" Communiquer un diagnostic: les mots qui engagent Dr Anne Peeters , médecin psychogériatre Mme Caroline Day, ergothérapeute “Honesty is such a lonely word Everyone is so untrue Honesty is hardly ever heard And mostly what I need from you” Diagnostic de démence : « dire » ? Dans notre monde occidental: démence a une connotation d‛aliénation. Ce tabou = un obstacle important pour communiquer librement concernant ce diagnostic. Une évolution est observée: - dans les années 60: «dire ou pas dire?» - dans les années 70, 80 apparait le droit de savoir du patient: «quoi dire?» - la question actuelle: « comment lui dire? » Arguments contre l‛annonce du diagnostic au patient • incertitude concernant le diagnostic, cependant amélioration des procédures diagnostiques précoces • refus du patient de connaitre le diagnostic • risque émotionnel: des réactions de panique ou une dépression avec pensées ou actes suicidaires • détérioration cognitive trop avancée ou l‛anosognosie, et pourtant… Arguments pour l‛annonce du diagnostic au patient • droit à l‛information du patient Loi du 22 août 2002 (article 7) relative aux droits du patient § 1er. Le patient a droit, de la part du praticien professionnel, à toutes les informations qui le concernent et peuvent lui être nécessaires pour comprendre son état de santé et son évolution probable. § 2. La communication avec le patient se déroule dans une langue claire… A la demande écrite du patient, les informations peuvent être communiquées à la personne de confiance qu'il a désignée… § 3. Les informations ne sont pas fournies au patient si celui-ci en formule expressément la demande à moins que la non-communication de ces informations ne cause manifestement un grave préjudice à la santé du patient ou de tiers… § 4. Le praticien professionnel peut, à titre exceptionnel, ne pas divulguer les informations visées au § 1er au patient si la communication de celles-ci risque de causer manifestement un préjudice grave à la santé du patient… Loi du 22 août 2002 (article 14) relative aux droits du patient § 1er. Les droits… d'un patient majeur… sont exercés par la personne, que le patient aura préalablement désignée pour se substituer à lui pour autant et aussi longtemps qu'il n'est pas en mesure d'exercer ces droits lui-même. Code de déontologie médicale (article 33) Avant d’être une obligation légale, le devoir d’informer est avant tout une obligation déontologique. Le médecin communique à temps au patient le diagnostic et le pronostic; ceci vaut également pour un pronostic grave, voire fatal. Lors de l'information, le médecin tient compte de l'aptitude du patient à la recevoir et de l'étendue de l'information que celui-ci souhaite. En tout cas, le médecin assure le patient d'un traitement et d'un accompagnement ultérieurs adéquats. Le médecin y associe les proches du patient, à moins que ce dernier ne s'y oppose. A la demande du patient, il contacte les personnes que celui-ci a désignées. • déstigmatiser la démence: briser l‛isolement pour lutter ensemble • non infantilisation + respect de l‛autonomie • mettre fin à une période d‛incertitude (bc y avait pensé) + avoir une discussion franche et honnête sur ce que vit chacun • préserver la confiance patient-médecin, éviter le risque de découvrir le diagnostic en lisant une notice de médicament ou par la parole d‛un soignant • faciliter la communication relative aux symptômes • améliorer l‛adhésion au traitement (étude) • prévenir l‛épuisement familial • explorer les possibilités d‛aide + d‛accompagnement pour le patient et ses proches • permettre la prise de décision concernant l‛avenir à un stade où cela est encore possible: arrangements financiers, dispositions en matière de logement, déclaration de volonté… • optimaliser au mieux le « temps qui reste », goûter au jour le jour toutes les petites joies de la vie… Prérequis à l‛annonce du diagnostic Durant la phase de réalisation du bilan, important de préparer le terrain. Le spécialiste peut déjà - annoncer qu‛une consultation sera dédiée à l‛annonce du diagnostic. - identifier avec son patient les personnes qui seront présentes. En cas de doute diagnostic: refaire un bilan à 6 mois. Recommandé d‛avoir connaissance de différents éléments de vie du patient : • histoire de vie : situation familiale, deuils récents, maladie éventuelle du conjoint… • réseau d‛aides mobilisable • antécédents de troubles psychiatriques, notamment dépressifs • antécédent familial de démence • personnalité du patient + ses capacités de coping (capacité à faire face et stratégies d'adaptation) : évitant, confrontant… Recommandé d‛évaluer : • représentations et craintes par rapport à la maladie • conscience du trouble • volonté du patient de connaître le diagnostic L‛annonce diagnostique Qui annonce le diagnostic? Recommandé le médecin spécialiste qui a établi le diagnostic. Pourquoi? - en possession de l‛ensemble des éléments - les connaissances pour répondre aux questions - une certaine distance avec le patient: peut faciliter la gestion des premières manifestations émotionnelles. 3 à 4 médecins (généraliste ou spécialiste) sur 10 communiquent le diagnostic de démence au patient. toujours parfois rarement Stade précoce 37% 37% 26% modéré 12% 33% 55% évolué 7% 8% 85% Mais entre 70 et 80% des médecins voient un intérêt à communiquer ce diagnostic + estiment que c‛est leur devoir de le faire. Ils demandent une formation complémentaire. ! Les médecins souhaiteraient être informés du diagnostic s‛ils étaient eux-mêmes frappés de démence. A qui annoncer le diagnostic? Au malade Personnes sans troubles cognitifs: +/- 90% souhaiteraient connaitre le diagnostic Patients atteints de démence ou confrontés à un diagnostic probable de démence: +/- 75% souhaiteraient connaitre leur diagnostic Si la personne dit explicitement qu'elle ne veut pas connaître la cause des symptômes: il faut respecter sa demande. 50% à 80% des proches ne souhaitent pas que le patient soit informé de sa démence. recommandé de : • recevoir la famille à part: comprendre les raisons de cette opposition (peur, sentiment d‛impuissance, surprotection…) • prendre du temps pour expliquer l‛intérêt de l‛annonce • se faire aider si nécessaire par un psychologue et/ou un psychiatre ! 70% d‛entre eux souhaiteraient être informés s‛ils étaient eux-mêmes concernés. Cas particuliers En cas d‛angoisse majeure Recommandé : · interrompre par moments l‛annonce pour apaiser et rassurer le patient · instaurer un traitement si nécessaire, voire hospitaliser le patient. Patient isolé socialement à domicile Recommandé d‛annoncer le diagnostic après mise en place d‛une prise en charge médico-psycho-sociale. En cas de déni ou d‛anosognosie Recommandé de ne pas chercher à convaincre. Néanmoins, le diagnostic doit être annoncé clairement. La répétition peut être inutile ou traumatisante. L'attitude de déni a une valeur défensive. Un travail psychique sur la souffrance ressentie peut permettre ensuite d'aborder le diagnostic. A un stade sévère de la maladie Il est difficile de préjuger des capacités réelles de compréhension du patient… Mais la personne démente comprend toujours plus que son aspect extérieur le laisse supposer. L‛annonce du diagnostic est également une marque de respect et de reconnaissance. Le patient doit rester acteur. Lorsque le diagnostic a été fait tardivement, une attention particulière est portée à l‛entourage du fait d‛un risque d‛épuisement. À la personne de confiance si le patient est d'accord • Le fait d'accepter d'être accompagné lors de la consultation peut être considéré comme un accord implicite. • Si le patient est indifférent et n‛exprime pas de demande, vérifier qu‛il n‛est pas opposé à l‛annonce du diagnostic à sa famille. • Si le patient refuse que le diagnostic soit communiqué à sa famille: - rechercher les motifs de ce refus - tenter de lever ses réticences - expliquer l‛utilité de partager ce diagnostic avec un proche (aide et soutien) Si le refus persiste, aborder de nouveau cette question au cours du suivi. • En cas d‛incapacité à exprimer cette demande, le diagnostic est annoncé à la personne de confiance en présence du patient. Au soignant : • Secret partagé • informations limitées à celles utiles pour la prise en charge Au médecin traitant : • rapidement • permet de partager l'annonce diagnostique et de réaliser le suivi Consignes spatio-temporelles Lieu approprié: - lieu calme - absence de passage - absence de sollicitations extérieures du médecin - impératif de confidentialité… Le médecin doit - être disponible et avoir le temps - s‛adapter au rythme du patient (1 ou plusieurs consultions) Commencer par un rappel des informations déjà connues du patient • rappel de la raison de cette rencontre • rappel des plaintes ou difficultés initiales • essayer de savoir ce que le patient veut connaitre Communiquer le diagnostic Lors de la 1ère consultation, partir de ce que pensent patient et famille non de ce qu‛on désire communiquer. Commencer par donner la parole au patient pour bien lui montrer qu‛il est l‛interlocuteur principal. L‛annonce du diagnostic: à réserver pour consultation ultérieure. Ne pas asséner le diagnostic. Amener le patient au plus près de la réalité en l‛accompagnant. Le médecin doit - parler lentement + clairement - utiliser des mots simples + courtes phrases. - ne donner qu‛1 message à la fois - sans trop de concepts ou d'idées afin que le patient ait le temps de comprendre l'information et d'y réagir. Utiliser une graduation dans le choix des mots: perte de mémoire, maladie du cerveau…, puis maladie d‛Alzheimer… Préciser qu‛il s‛agit d‛une maladie du cerveau et non pas une maladie mentale. Ca n‛a rien à voir avec la « folie » et personne n‛est responsable. Les termes suivants doivent être évités : démence, démence sénile, détérioration intellectuelle , dégénérescence cérébrale, Incurabilité, inexorable… Chez un patient avec un coping confrontant: l‛annonce doit être précise + détaillée. Le patient demande des informations + essaie d‛agir sur le problème Chez un patient avec un coping évitant: l‛annonce doit être plus progressive. Les informations font peur + le patient essaie de fuir le problème Quelque soit la personnalité du patient: l‛information doit être suffisante: - la nature de la maladie - les effets éventuels de la progression de la maladie sur la personne, - le pronostic - le traitement… Réactions émotionnelles à l‛annonce du diagnostic Réaction du patient à l‛annonce du diagnostic : • indifférence (40%) • anxiété surtout lié à la crainte de stigmatisation et de perte d‛autonomie (27%) • nervosité (21%) • dénégation (15%) • agressivité (8%) • semble pas y avoir un risque accru de dépression majeure sévère ou de suicide. Si un état dépressif existe, il faut le traiter préalablement à l‛annonce diagnostique. Réaction du conjoint : • anxiété « qu‛est-ce qui nous attend? » (48%) • résignation « il n‛y a plus rien à faire » (28%) • soulagement (17%) • rejet initial (16%) • déni (12%) • colère « pourquoi ça arrive à moi, c‛est pas juste » (12%) Il faut encourager l‛expression des émotions: • renvoyer le reflet de ces émotions « Vous semblez choqué » • aider à mettre des mots sur le ressenti ou à poser des questions. Type d‛écoute à proposer face à la réaction émotionnelle Eviter : • a-pathie « mmm-mmm »: ne prend pas en compte la réaction émotionnelle • anti-pathie « mais non »: corrige la réaction émotionnelle • sym-pathie « c‛est affreux »: fusionne et s‛identifie avec la réaction émotionnelle du patient Em-pathie « je comprends bien »: offre écoute, reconnaissance et respect de la réaction émotionnelle. Avant de conclure Evaluer le niveau de compréhension du patient et de ses proches et répondre aux questions. Tolérer les silences. Mettre en avant les capacités préservées du patient, ses souhaits et ses projets. L‛évolution clinique en effet peut être lente. L‛après diagnostic, embarquement pour un long voyage L‛annonce d‛un diagnostic doit s‛accompagner d‛un plan d‛action de soins et d‛aides. Ce plan de soins et d‛aides correspond à une coordination de différents réseaux d‛interaction: - médical - social - paramédical - protection de la personne - aide à la famille Médical - psychiatre, psychologue - infirmier - kiné - clinique de la mémoire - accueil de jour, hôpital de jour Le patient et sa famille doivent, s‛ils le souhaitent, être revus rapidement par le médecin qui a fait le diagnostic ou par un membre de son équipe. Il est important de pouvoir répéter et réexpliquer. Le spécialiste ayant établi le diagnostic doit également inviter à consulter le médecin traitant. Il est recommandé que ce dernier soit informé avant qu‛il ne revoie le patient. Cette coordination avec le médecin traitant est un gage de sécurité et de continuité des soins. Social - organisme assureur tel que la mutuelle - aide sociale de financement - désignation d‛une personne de confiance - coordination de soins à domicile (assistante sociale, aide familiale…) Paramédical - suivi diététique - suivi logopédique - ergothérapie Protection de la personne Évaluation des situations dangereuses lors des activités de la vie quotidienne et des loisirs (conduite automobile, tâches domestiques, sports, chasse (arme à feu) Aide à la famille - associations - suivi des aidants (écoute, déculpabilisation) - repérage des situations d‛épuisement La famille doit se sentir soutenue et encadrée mais aussi responsabilisée et valorisée dans le rôle fondamental qu‛elle a à jouer. Conclusion La communication d‛un diagnostic de démence est difficile, même pour les médecins les plus expérimentés et n‛est pas encore devenue un acte de routine dans la pratique médicale. Bien que la loi relative aux droits des patients indique une obligation d‛information, un % significatif de médecins n‛informe pas leurs patients, ou les informe en termes très flous. L‛incertitude du diagnostic et l‛angoisse de provoquer le désespoir semblent être les principales raisons de ce silence. Pourtant, souvent, le diagnostic ne fait que confirmer les soupçons du patient et de ses proches. Beaucoup d‛infirmiers et de proches signalent que le fait d‛aborder librement le diagnostic peut présenter des avantages considérables. De plus, la divulgation de la vérité permet d‛inaugurer une nouvelle phase de leur vie, dans laquelle ils sont invités à rester concentré sur les « bonnes choses » de la vie. A une époque où le traitement des problèmes de mémoire menace d‛être réduit à la prescription de médicaments, l‛intérêt d‛une relation thérapeutique avec le patient atteint de démence ne sera jamais suffisamment souligné.