Comment penser les relations internationales d`un

publicité
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
COMMENT PENSER LES RELATIONS INTERNATIONALES D’UN POINT
DE VUE PHILOSOPHIQUE ?
Quand la problematique philosophique de l’etat de nature rencontre celle de la guerre en
science politique
di Thomas Meszaros
Abstract: The international relations use the “Sovereign State” suggested by the political
thought in general, as recurring postulate. The latter tells in an almost mystical way the
birth of this object of belief which inspires attachment and fidelity. Our investigation will
attempt to treat the question of the state of nature from the philosophical point of view
starting from two opposed conceptions, that of Thomas Hobbes and that of John Locke.
Thus, a theory of the international relations cannot be limited only to an empirical approach.
It must necessarily find in philosophical epistemology a point of anchoring. We will
emphasize
various
ontological
and
epistemological
elements
which
favour
the
comprehension of these theories and their formulation. We will come to the conclusion that
philosophy tends to highlight the diversity of the points of the view which exist in a field as
complex as that of the international relations because philosophy is above all a sensemaker.
Résumé: Les relations internationales utilisent comme postulat récurrent celui de l’Etat
souverain, proposé par la pensée politique en générale. Cette dernière raconte de manière
quasiment mystique la naissance de cet objet de croyance qui inspire attachement et
fidélité. Notre investigation s’attachera à traiter la question de l’état de nature du point de
vue philosophique à partir de deux conceptions opposées, celle de Thomas Hobbes et
celle de John Locke. Une théorie des relations internationales ne peut donc se limiter
uniquement
à
une
approche empirique elle
doit
nécessairement
trouver
dans
l’épistémologie philosophique un point d’ancrage. Nous dégagerons différents éléments
ontologiques et épistémologiques qui favorisent la compréhension ces théories et leur
formulation. Nous parviendrons à la conclusion que la philosophie tend à mettre en
évidence la diversité des points des vue qui existent dans un domaine aussi complexe que
celui des relations internationales parce que la philosophie est avant tout créatrice de sens.
1
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
Philippe
internationales
Braillard,
proposait
en
1974,
« face
à
dans
son
ouvrage
l’accroissement
Philosophie
d’intérêt
pour
et
relations
les
relations
internationales, face aux approches et méthodes nouvelles qui sont, (…), de plus en plus
largement utilisées, face à l’évolution de ces relations elles-mêmes, d’examiner si la
philosophie a aujourd’hui encore une place dans l’étude de ce domaine. En réponse à cette
question, nullement académique, nous soutiendrons la thèse selon laquelle cette place
existe et qu’elle est même double : épistémologique et éthique »1. En effet, les relations
internationales utilisent comme postulat récurrent celui de l’Etat souverain, proposé par la
pensée politique en générale. Cette dernière raconte de manière quasiment mystique la
naissance de cet objet de croyance qui inspire attachement et fidélité. Notre investigation,
sans pour autant chercher à retracer la genèse interne de l’Etat, ni à appréhender
l’ensemble des lectures philosophiques possibles de ce que l’on nomme l’état de nature,
tendra à répondre à la problématique suivante : le paradigme de l’état de nature constitue
t-il aujourd’hui encore une voie ontologique et épistémologique qui permet d’appréhender
la réalité internationale pour en formuler une théorie ? Pour ce faire, nous aborderons
avant tout la question de l’état de nature du point de vue philosophique à partir de deux
conceptions opposées, celle de Thomas Hobbes et celle de John Locke2. Puis, au regard
des théories des relations internationales nous dégagerons différents éléments
ontologiques et épistémologiques qui favorisent la compréhension des relations
internationales et la formulation de théories. Ces éléments devraient permettre la genèse
d’un débat philosophique sur l’évolution et la nature même des relations internationales.
De la conception philosophique de l’état de nature : Thomas Hobbes et John Locke
1
Philippe Braillard, Philosophie des relations internationales, Genève, Institut Universitaire de haute Etudes
Internationales, 1974, p.6.
2
Nous aurions pu choisir d’autres philosophes contractualistes pour étayer notre thèse comme Grotius, Rousseau, ou
encore Kant mais notre choix s’est porté sur Hobbes et Locke car ils nous semblent incarner au mieux les courants des
théories des relations internationales, en l’occurrence le courant réaliste, l’école anglaise et le courant constructiviste. Au
principe de notre réflexion s’est imposée cette formule de Hedley Bull qui estime que si il faut comparer « les relations
internationales a un état de nature précontractuel imaginaire entre les hommes il vaut mieux choisir la description
proposée par Locke plutôt que celle de Hobbes », cité par Dario Battistella, Marie-Claude Smouts, Pascal Vennesson,
Dictionnaire des relations internationales, « Anarchie », Paris, Dalloz, 2003, p.20. C’est à partir de cette affirmation que
notre investigation a débutée.
2
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
La conception de l’état de nature en relation internationale caractérise en premier
lieu le trait spécifique du système international. En effet, lorsque Jean Bodin définit à la
vielle de la guerre de Trente ans la souveraineté comme « la puissance perpétuelle et
absolue d’une République »3 il exprime par là même cet état de nature qui existe entre les
Républiques qui ne reconnaissent « aucune autorité légitime au-dessus d’eux »4. Thomas
Hobbes, au lendemain des traités de Westphalie, à son tour, définira les relations entre
Etats en fonction de l’absence de « pouvoir commun »5 qui révèle l’état de nature
caractéristique de la réalité internationale. Cet état de nature est en fait un état de guerre
car il n’existe pas de contrat entre les parties. L’état de guerre entretien un climat de
suspicion, de crainte et oblige à une veillée d’arme en vue d’assurer la préservation de la
structure étatique. L’absence d’autorité légitime supérieure aux Etats et l’état de guerre que
ces derniers entretiennent les uns avec les autres, sont donc, dans la pensée hobbesienne
corrélatives. Même si une grande partie des philosophes reconnaissent l’état de nature
comme le trait spécifique des relations internationales tous n’épousent pas la même
conception que celle exprimée par Thomas Hobbes, à l’image de John Locke qui affirme
l’existence d’un état de nature caractéristique des relations entre les Etats6 et qui pourtant
diffère fondamentalement de la conception hobbesienne. Si l’état de nature exprimé par
Thomas Hobbes signifie l’absence d’autorité centrale et état de guerre, il détient dans la
pensée libérale de John Locke un sens différent. L’opposition entre les deux philosophes
trouve sa source dans l’essence même de leurs pensées.
L’anthropologie comme fondement de l’état de nature hobbesien
Le système de pensée de Thomas Hobbes détachée de la conception d’une âme
immatérielle, constitue une entreprise particulière, celle de décrire l’homme et la société en
terme de corps en mouvement7. L’ontologie qui caractérise son système de pensée,
3
Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris, Fayard-Corpus, 1986, Livre I, p.179.
4
Dario Batistella, Théorie des relations internationales, Paris, Presses de Sciences-Po, Références inédites, 2003, p.24.
5
Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Sirey, 1971, p.126.
6
John Locke, Traité du gouvernement civil, Paris, Garnier-Flammarion, 1999 (2e éd.), p.321.
7
Le système hobbesien est divisé en trois parties : le corps, l’homme et la société. Le De Cive publié en 1642 correspond
à son étude de la société alors que la première partie, le corps sont réunis dans ses Eléments de philosophie : Du corps,
paru en 1655. La seconde partie, De l’Homme, quant à elle fut publiée en 1657 même si une version antérieure avait déjà
été publiée sous le titre De la nature humaine, en 1650. Le Léviathan réunit la seconde et la troisième partie du système
3
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
entretenant un lien étroit entre son matérialisme, sa logique et sa philosophie du langage,
« comprend les corps qui occupent une place dans l’espace et qui sont des substances ;
leurs mouvements qui sont des accidents, et les apparences ou semblances qui se forment
quand ces derniers affectent les corps animés, et qu’il appelle « phantasmes » ou « idoles
du cerveau » ». Hobbes détermine ainsi de manière physique ces « phantasmes » en
terme de sensation, de mémoire et d’imagination.
La sensation comme principe de la connaissance
La sensation est alors un mouvement intérieur de l’être sensible qui se trouve
pressé par un corps extérieur en mouvement. L’organe touché réagit à la pression qui
s’exerce sur lui en se déplaçant légèrement vers le corps extérieur, ce qui donne naissance
à un « phantasme ou idée » qui apparaît alors comme une chose située à l’extérieur de
l’organe. Cette idée ou phantasme appartient donc, non pas au corps extérieur qui réalise
la pression, mais déjà au corps sensible.
La sensation subsiste en tant qu’image ou imagination alors même qu’elle est en
train de se désagréger. Ce sont les mouvements externes qui permettent la création de
chaînes entre les différentes images constituant ainsi le discours mental. Ainsi, la
connaissance ne peut progresser et être préservée que par la mémoire et les choses
sensibles doivent servir de points de repères pour rappeler des sensations déjà éprouvées
par le passé. La sensation est le principe même de la connaissance elle demeure dans
l’esprit sous forme d’une image alors que la raison est définie comme « un calcul des
conséquences des dénominations générales dont nous avons convenu pour noter et
signifier nos pensées »8. La raison n’est donc pas innée comme la sensation, elle est le
fruit d’une activité intellectuelle qui se réalise au travers d’une méthode correcte et
ordonnée9. C’est à partir de ces constations anthropologiques que se fonde la pensée
et un résumé de la théorie logique présentée dans la première partie de son étude. On comprend ainsi aisément que la
conception hobbesienne obéit à un schéma de pensée plus large qui répond à un problème ontologique. Sa conception de
l’Etat et la conception de l’état de nature qui existe au sein des relations internationales doivent donc nécessairement
répondre à cette même préoccupation ontologique originelle développée par le philosophe au travers de son système de
pensée.
8
Thomas Hobbes, Léviathan, op.cit., p.38.
9
Ibid., p.42. Thomas Hobbes précise que la raison en tant qu’activité se réalise par l’usage d’une méthode correcte mais
elle s’acquiert aussi grâce à la parole et au discours.
4
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
politique de Thomas Hobbes. En effet, l’intégralité de son investigation part de la sensation
considérée comme point de départ de la conscience.
Passions et pouvoirs : de l’état de nature au pacte social
L’approche anthropologique que présente Thomas Hobbes permet ainsi une lecture
radicalement différente de la politique. En effet, dans la partie qu’il consacre à la théorie
des passions il dégage une conception du pouvoir et des pouvoirs qui est essentielle pour
bien comprendre les enjeux de sa pensée politique. Il s’intéresse au pouvoir en général,
c’est-à-dire au pouvoir comme puissance mais aussi comme capacité d’agir. C’est à partir
de son étude sur la variété des mœurs qu’il détermine une inclination fondamentale
caractéristique de toute l’humanité, le désir perpétuel d’acquérir pouvoir après pouvoir,
désir qui ne cesse qu’avec la mort. L’ensemble des émotions, volontés, instincts et
passions sous alors déterminées mécaniquement. La conduite des hommes est la
conséquence d’un jeu de forces mécaniques et de soumissions aux passions. La théorie
des passions et l’étude de la condition naturelle des hommes permettent alors d’entrer
directement dans la problématique politique déjà abordée par le philosophe dans le De
Cive. L’état de nature, qui est un état fictif, que l’imagination autorise à penser, est la
conséquence d’une reconnaissance, la plus haute possible, que les hommes recherchent,
qui entraîne rivalité et méfiance, état de guerre. Cet état est entretenu par l’égalité qui
caractérise les hommes, aussi bien dans leurs facultés de corps et d’esprit. De cette égalité
d’aptitude découle la volonté d’atteindre les mêmes fins. D’où la rivalité et la défiance qui
entraînent la guerre. Par le droit de nature chacun est juge des moyens de sa
conservation. Le droit naturel désigne donc la liberté qu’a chacun d’user de son pouvoir
propre. Cette liberté apparaît donc comme peu rationnelle puisqu’elle se fonde sur la
crainte et la défiance. Selon Hobbes, en opposition avec Aristote, ce n’est pas en fonction
de dispositions naturelles que les hommes se rassemblent en sociétés humaines, mais par
crainte10. Le contrat est alors le moyen de rétablir la paix. C’est à partir de celui-ci que naît
la société humaine et l’Etat. Ce dernier constitue donc l’unique mode par lequel l’individu
peut préserver sa vie et accéder à la paix en sacrifiant le moins possible de son désir de
domination et de puissance.
10
Thomas Hobbes, Le Citoyen, Paris, Garnier-Flammarion, 1993, p.90.
5
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
L’Etat en tant qu’invention signifie l’assurance d’une paix qui permet la sécurité et la
liberté, la civilisation par le développement des arts et des sciences. Le gouvernement
constitue ainsi le moyen par lequel l’égoïsme des individus peut être limité. Hobbes, qui
rompt avec la tradition platonicienne et aristotélicienne, ne définit pas l’homme en tant
qu’animal politique mais il le détermine en fonction de son égoïsme et de ses désirs
ambitieux qui, si ils n’étaient pas maîtrisés, détruiraient l’Etat et la société dans une violente
guerre civile. Son comportement est soumis aux lois de la mécanique de la même manière
qu’une particule matérielle. La volonté étant déterminée, la liberté est ainsi définie de la
même façon comme étant l’absence d’obstacle à ses désirs. La constitution de la
république permet ainsi l’apparition de la propriété et de la justice. « On dit qu’une
République est instituée, lorsqu’un grand nombre d’hommes réalisent un accord et passent
une convention (…) destinée à leur permettre de vivre paisiblement entre eux, et d’être
protégés »11. Ce souverain (monarque ou assemblée) cherche avant tout à accomplir le
bien général, il est juge de ce qui est nécessaire pour la paix, des doctrines qui sont
favorables aux sujets, de décider de la guerre ou de la paix, de rétribuer ou de châtier,
d’assigner honneur et rang.
Le postulat de l’état de nature hobbesien constitue le principe central du courant
réaliste en relation internationale.
Condition naturelle de l’homme et état de nature chez John Locke
La pensée de John Locke s’inscrit en rupture avec le cartésianisme, notamment
avec l’innéisme. Tout comme pour Hobbes, la connaissance découle de la sensation.
Empiriste John Locke définit l’ensemble des objets de la pensée comme provenant de la
sensation et de la réflexion. Sa théorie politique, dont le point de départ est l’état de nature,
ne se fonde pas sur le même principe. En effet, dans la pensée de Locke l’état de nature
est caractérisé avant toute chose par une liberté parfaite et un droit naturel qui interdit de
porter atteinte à la liberté d’autrui.
De la nécessité du pacte social pour éviter l’instabilité provoquée par les passions
11
Thomas Hobbes, Léviathan, op.cit., p.179.
6
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
La condition naturelle de l’homme à l’état de nature est un état de parfaite égalité et
liberté, régit par la loi naturelle qui se réfère à la raison. Chacun dans l’état de nature est
tenu de veiller à la conservation du genre humain. En opposition complète avec l’état de
nature hobbesien, l’état de nature de nature lockien est un état de paix et de protection
mutuelle. Il n’est plus uniquement une hypothèse intellectuelle, purement méthodologique
mais possède une réalité effective. Cependant, le pacte social est nécessaire afin de palier
au droit naturel qui laisse subsister une certaine insécurité.
L’état de nature est un état instable, les passions peuvent ainsi conduirent les
hommes à la guerre en opposition avec la loi naturelle. Comme il n’existe aucun juge pour
condamner ces manquements il existe toujours un risque d’instabilité et de transgression
de la loi naturelle. Si l’homme possède la pleine possession de certains droits objectifs, tels
que le droit de son corps ou bien le droit sur un territoire, l’absence de sanctions effectives,
oblige à la fondation d’une société politique. Le pacte social est donc réalisé afin d’assurer
de manière pleinement effective la sauvegarde des droits naturels apportant ainsi la
sécurité et le bien-être.
La société politique garantie de la liberté, de la sécurité et de la propriété
Ce pacte est le fruit d’un libre consentement de la part des parties. Loin d’abolir la
propriété et le respect des libertés individuelles, le pacte doit au contraire les assurer car
elles sont l’expression d’une subjectivité libre. Chez Locke, comme chez Hobbes, les
sociétés politiques sont crées pour « éviter cet état de guerre, où l’on ne peut avoir recours
qu’au ciel (…) les hommes ont formés des sociétés et ont quitté l’état de nature »12.
Ainsi, la finalité d’une société politique, définie comme une société où « chacun des
membres s’est dépouillé de son pouvoir naturel, et l’a remis entre les mains de la société,
afin qu’elle en dispose dans toutes sortes de causes, qui n’empêchent point d’appeler
toujours aux lois établies par elle », est la sauvegarde des vies, des libertés et des biens.
C’est le sens que possède le contrat par lequel on remet à la société la liberté, l’égalité et
le pouvoir de l’état de nature, mais dans les limites du bien public.
Le système de pensée de John Locke, marqué par la rupture avec la tradition
métaphysique, emprunt d’empirisme et de libéralisme politique, constitue un axe majeur de
12
John Locke, Traité du gouvernement civil, op.cit., p.158.
7
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
l’histoire de la philosophie. Précurseur des Lumières sa pensée constitue aujourd’hui
encore une actualité particulièrement importante. La conception lockienne de l’état de
nature, reprise par l’école anglaise, paraît bien plus adaptée à la réalité internationale
actuelle que ne l’est la conception de l’état de nature hobbesienne.
Le sens de l’état de nature dans les relations internationales, une approche protéiforme
L’état
de
nature ne revêt pas une conception unique comme postulat
épistémologique et ontologique dans la formulation des théories des relations
internationales. Le point de vue philosophique, comme nous avons cherché à le démontré
plus avant, définit l’état de nature en fonction d’un corpus de pensée et de postulat
acceptés
au
préalable
qui
constituent
un
système
de
pensée
ordonné
méthodologiquement. De la même manière les différentes conceptions de l’état de nature
qui servent de fondement épistémologiques aux théories des relations internationales
varient en fonction des approches méthodologiques et des postulats posés d’emblée par
les
théoriciens
eux-mêmes.
La
philosophie
des
relations
internationales
doit
nécessairement s’intéresser au postulat que constitue l’état de nature entendu comme trait
spécifique des relations qu’entretiennent les Etats entre eux. Cet état de nature, considéré
comme un état originel, comme un état de guerre, ou comme un état du système
international, illustre in fine l’anarchie qui règne dans les relations internationales. Le
postulat qui prévalait pour illustrer les relations entre les hommes à un état précontractuel
est érigé en postulat fondamental pour permettre la formulation d’une hypothèse
méthodologique permettant d’appréhender les relations internationales comme objet
d’étude et de connaissance. Comme nous l’avons déjà souligner cet état de nature existe
parce qu’il n’existe pas de pouvoir commun au dessus des Etats.
Etat de nature, état de guerre et anarchie dans les théories des relations internationales
Comme le soulignent Dario Battistella, Marie-Claude Smouts et Pascal Vennesson
dans leur Dictionnaire des Relations internationales, l’expression « anarchie » a été pour la
première fois utilisée en 1926 par G.Lowes Dickinson dans son ouvrage The International
Anarchy. Il fait suite un premier ouvrage du même auteur paru dix années auparavant The
8
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
European Anarchy13, dans lequel il définit l’anarchie comme l’absence d’autorité supérieure
aux Etats. La dichotomie entre la sphère interne d’une structure politique et la sphère
externe correspond donc à ce que Raymond Aron nomme le problème de la légitimité et de
la légalité14. Si au sein d’une structure politique il existe un monopole de la violence
légitime, instaurée par le pacte social, au niveau externe de cette même structure c’est
« l’absence de chef » et de monopole de la violence légitime qui règne15. Ainsi, puisque
aucun pacte social ne peut instaurer une autorité supérieure aux Etats la régulation des
relations entre les différents Etats s’effectue par la guerre.
Etat de nature hobbesien et réalisme
Le sens premier donné à l’état de nature au sein des relations internationales est
celui d’état de guerre, de lutte, tel que le concevait Thomas Hobbes. La réflexion
développée par Hans Morgenthau sur l’essence même de la nature humaine, qui est l’un
des principes fondamentaux du réalisme, dresse un portait pessimiste de cette nature
humaine et de la société. Arnold Wolfers définit cette conception de Hans Morgenthau de
la manière suivante : « hommes, individus et nations, agissent comme des bêtes de proie,
poussées par un ardent désir de puissance ou animus dominandi »16. On comprend ainsi
pourquoi le courant réaliste a pris comme concept central l’état de nature hobbesien. La
13
Dario Battistella, Marie-Claude Smouts, Pascal Vennesson, Dictionnaire des relations internationales, « Anarchie »,
op.cit., p.17. On notera la même référence à G.Lowes Dickinson dans l’ouvrage de Dario Batistella, Théorie des
relations internationales, op.cit, p.24.
14
Raymond Aron, « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationale ? », Revue française de science politique, 17
(5), octobre 1967, p.837-861.
15
C’est là une différence spécifique qui existe entre la pensée de Hans Morgenthau et Raymond Aron. Là où Hans
Morgenthau voit dans la politique internationale une essence identique à celle de la politique interne, Raymond Aron voit
une spécificité des relations entre Etats qui de fait impose une différence entre politique interne et politique
internationale. La réflexion de Raymond Aron ne se décline pas à partir d’une conception de la nature humaine, comme
chez Hans Morgenthau, mais en fonction de la spécificité du type de relation qu’entretiennent les Etats. C’est pourquoi,
Raymond Aron emploie la méthode de sociologie historique pour déterminer la conduite diplomatico-stratégique, c’està-dire celle du diplomate en temps de paix et du soldat en temps de guerre, évitant ainsi de rallier une conception
originelle de la nature humaine pour ne pas tomber dans l’idéologie. Ce qui fait dire à Stanley Hoffmann « le mérite
essentiel d’Aron, c’est d’avoir, sans employer la méthode et les ressources de la philosophie classique, c’est-à-dire sans
partir d’une conception a priori de la nature humaine et de la société, sans raisonner sur la nature des choses et non sur
les événements, mais aussi sans verser dans l’idéologie, élaboré une grande doctrine de sociologie historique dont il n’a
pas hésité à tirer, en fonction des valeur qui lui sont chères, les implications normatives », dans, « Minerve et Janus »,
Critique, 1963, pp.51-52.
16
Discord and Collaboration, Baltimore, John Hopkins University Press, 1962, pp.83-84. Cette pensée est propre à Hans
Morgenthau, elle ne caractérise pas l’intégralité des théoriciens du courant réaliste, nombreux sont ceux qui déterminent
la nature humaine en fonction du désir de sécurité qui découle de la peur à l’état de nature.
9
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
succession de guerres et de paix qui caractérise l’histoire internationale constitue le trait
spécifique des relations internationales17. En transférant le paradigme de l’état de nature
hobbesien au système international, l’école réaliste a stigmatisé la méfiance et la crainte
comme étant le trait spécifique du comportement des Etats, et la sécurité et la préservation
comme étant leur finalité18. Cependant, l’ontologie hobbesienne qui autorisait de poser un
tel postulat méthodologique pour expliquer scientifiquement la naissance de l’Etat
n’apparaît pas dans la démarche réaliste aussi clairement. Certes, les principes de
l’anthropologie hobbesienne sont présents, ils sont inscrits au cœur de la préoccupation
réaliste et permettent de déterminer une telle hypothèse méthodologique pour caractériser
le système international. Mais cette hypothèse méthodologique ne peut être considérée
comme absolue.
Du système anarchique à la société anarchique
L’état de nature n’est pas nécessairement un état de guerre, de conflit puisque des
coopérations entre les Etats, mêmes si elles sont fragiles, et des règles internationales,
même si elles sont transgressées, existent. Le concept d’anarchie prend un sens différent
si l’on se réfère à la conception lockienne de l’état de nature19. C’est la démarche
entreprise par l’école anglaise qui, à l’image d’Hedley Bull, préfère l’emploi de cette
conception plutôt que celle hobbesienne de l’état de nature. Certes, il existe une anarchie
internationale, mais celle-ci possède une dynamique qui n’existe pas dans la tradition
réaliste. La transformation d’un état vers un autre état, c’est-à-dire le passage d’un état de
nature, instable vers un état plus stable la société internationale. C’est ce même
mouvement, dirigé par le désir de sécurité des hommes et par leur volonté de préservation,
qui autorisait déjà, chez Hobbes, le passage de l’état de nature à l’Etat. Le courant réaliste,
parce qu’il se définit en fonction d’une conception de la nature humaine, fonde sa réflexion
17
Raymond Aron définit la paix comme étant un temps de préparation des guerres à venir, la paix est donc synonyme de
trêve en vue de la récupération et de la préparation d’une nouvelle guerre.
18
On lira à cet égard Kenneth Waltz qui insiste sur le double effet structurant de l’anarchie internationale. D’une part les
Etats la recherche de sécurité et d’autre part le fait que les Etats ne peuvent compter que sur eux-mêmes. En définitive la
préservation implique une démarche solitaire, la coopération entre Etats impliquant un trop grand risque au regard de
l’anarchie qui caractérise le système international. Cf. Kenneth Waltz, Theory of International Politics, New York,
MCGraw-Hill, 1979, 250 p.
19
Ou grotienne.
10
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
à partir d’un postulat méthodologique, celui de l’état de nature entendu comme état de
guerre. C’est à partir des images qu’est rendue possible la connaissance, l’état de nature
et l’Etat constituant deux images essentielles qui réalisent les deux postulats principaux du
réalisme, à la fois l’état d’anarchie du système international et l’aspect stato-centrée de
celui-ci. Arnold Wolfers note d’ailleurs la limite qui s’impose puisque, « une théorie qui ne
se préoccupe que des Etats comme acteurs est irréaliste, avant tout parce qu’elle néglige
la prise en compte des individus comme acteurs à part entière des relations
internationales, ensuite parce qu’elle ne considère pas les autres acteurs que sont les
organisations internationales, les groupes organisés, etc »20. La philosophie si elle permet
l’élaboration de principes théoriques constitue aussi et principalement un outil empirique
qui rend possible la lecture de la réalité. C’est du moins de ce point de vue que l’apport de
celle-ci peut
constituer
un
intérêt fondamental pour appréhender
les
relations
internationales. Ainsi, plutôt que de choisir entre deux postulats méthodologiques ou deux
conceptions de l’état de nature n’est-il pas plus constructif pour le théoricien d’utiliser deux
voire plusieurs conceptions pour donner une appréciation de ce qu’est la réalité
internationale ?
Ainsi, lorsque Barry Buzan définit les concepts d’anarchie immature et d’anarchie
mature, il fonde sa réflexion sur une certaine idée de l’ordre politique. Celui-ci est
décentralisé, l’anarchie s’impose toujours comme une absence de gouvernement central
mais elle ne signifie pas « absence de gouvernement per se, mais plutôt que le
gouvernement réside dans les unités du système »21. Par conséquent, Buzan définit deux
idéaux-typiques, l’anarchie immature qui revêt les caractéristiques de l’état de nature de
Hobbes et l’anarchie mature dans laquelle les Etats possèdent une grande sécurité issue
de leurs forces internes et des règles effectives qui régissent leurs relations mutuelles. La
réalité internationale se situe donc entre deux extrêmes, l’instabilité et la stabilité,
l’hétérogénéité et l’homogénéité22. Ces idéaux-typiques, que sont l’homogénéité et
20
Arnold Wolfers, Dicord and Collaboration, op. cit., p.24.
21
Cité dans Dario Battistella, Marie-Claude Smouts, Pascal Vennesson, Dictionnaire des relations internationales,
« Anarchie », op.cit., p.20.
22
Nous faisons ici référence à Panayis Papaligouras, Théorie de la société internationale, Kundig, Université des Hautes
Etudes Internationales de Genève, 1941, 577p. Notre thèse de doctorat s’attache à reprendre la pensée de Panayis
Papaligouras pour en montrer l’actualité et l’intérêt dans l’élaboration du théorie critique philosophique, sociologique et
historique des relations internationales.
11
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
l’hétérogénéité, sont en continuelle mutation dans l’histoire, ils sont essentiellement mus
pas les images et représentations que les Etats partagent ou qu’ils ne partagent pas. C’est
donc bien plus une question de représentation dont il est question. Si comme le souligne
Barry Buzan la réalité contemporaine se situe quelque part entre un système anarchique,
en état de guerre, et une société internationale parfaitement établie il n’en demeure pas
moins que l’évolution de la structure du système est difficilement prévisible. En réalité il
serait bien plus productif pour le théoricien des relations internationales de s’intéresser au
construit social pour déterminer quelles sphères de la structure internationale obéissent à
quels états de nature. Il convient donc de définir plusieurs états de natures distincts qui
obéissent chacun à différentes logiques et à partir desquelles il serait possible de donner
une interprétation de l’anarchie. C’est ce qu’a réalisé Alexander Wendt, en affirmant avant
tout comme postulats ontologiques qu’il existe une culture anarchique, bien plus qu’une
structure anarchique, fondée sur des représentations que possèdent les Etats, et que c’est
cette culture anarchique qui affecte le comportement des acteurs, détermine leurs intérêts
et même leurs identités. Wendt définie donc trois types d’anarchies, hobbesienne,
lockienne et kantienne à partir desquelles il est possible de lire et d’appréhender la réalité
internationale23.
L’état de nature comme paradigme pour appréhender les relations internationales
contemporaines
La complexité des relations internationales contemporaines impose la prise en
compte de plusieurs conceptions de l’état de nature pour déterminer le degré d’anarchie du
système international ou la culture anarchique à laquelle se réfèrent les Etats. Si l’on
23
La culture anarchique hobbesienne, c’est-à-dire l’état de guerre de tous contre tous a prévalu de l’antiquité à la guerre
de Trente ans. A partir de 1648 cette culture ne réapparaît que de manière occasionnelle lors de périodes historiques
données — comme lors des guerres de la révolution et de l’Empire ou bien lors de la Seconde Guerre mondiale — ou
encore à des échelles régionales ou locales, comme au Proche-Orient. La culture hobbesienne se fonde essentiellement
sur un principe de non reconnaissance d’un Etat à exister. Depuis 1648, le système international obéit à une culture
lockienne, la reconnaissance mutuelle de la souveraineté des Etats ne permet le recours à la force que dans le but de
préserver leur sécurité. Même si les Etats se conçoivent comme des rivaux ils sont tenus de respecter certaines règles qui
prévalent. Enfin, l’anarchie kantienne, qui constitue la dernière culture anarchique, ne se réalise encore que de manière
imparfaite. Les Etats se considèrent comme des amis, ils entretiennent solidarité et aide mutuelle. Les différends qui les
opposent sont réglés de manière pacifique car chacun partage la règle du non recours à la force. Wendt estime
qu’aujourd’hui seule l’aire nord-atlantique est régie par la logique kantienne. L’évolution de la mondialisation et la
multiplicité des défis auxquels les Etats doivent faire face les incitent à un comportement de coopération qui pourrait
permettre un développement de la culture kantienne.
12
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
accepte le postulat ontologique selon lequel il existe au sein même de la structure plusieurs
systèmes fondés sur des cultures anarchiques distinctes, réalisant différentes sociétés
internationales, où les Etats entretiennent des relations de nature différentes les uns avec
les autres, il convient de s’intéresser aux rapports entretenus entre ces différentes sociétés
mais aussi aux conséquences que ces rapports peuvent avoir sur la structure globale.
La question ontologique de la nature des acteurs
Sur la base des travaux de Wendt il est possible de rattacher différentes sphères
géographiques, locales, ou régionales, à des conceptions de l’état de nature distinctes.
L’état d’anarchie de ces sociétés internationales est donc évolutif et variable suivant les
périodes historiques. Ce qui crée la stabilité et la maturité d’une société internationale est
précisément la reconnaissance de valeurs communes qui autorisent les Etats à partager
des représentations communes. Ainsi, l’homogénéité d’une société internationale repose
sur la reconnaissance mutuelle que certains Etats possèdent de certaines formes sociales.
La coopération et l’entraide mutuelle découlent essentiellement d’une communauté de
valeur que réunit les Etats qui possèdent des représentations identiques. L’hétérogénéité
quant à elle réalise, à certains degrés, l’anarchie qui se rattache à la conception
hobbesienne de l’état de nature, elle impose méfiance et crainte. L’instabilité qui
caractérise l’hétérogénéité de certaines sociétés internationales ne peut se passer de
l’économie d’une étude approfondie des acteurs, qui ne sont pas nécessairement
étatiques24. De même que l’homogénéité peut être encouragée par certains acteurs non
étatiques dont les décisions et actions affectent les relations internationales. En d’autres
termes peuvent être considérés comme acteurs des relations internationales l’ensemble
des entités qui interagissent les unes avec les autres et qui peuvent devenir objet du savoir
social. C’est précisément ces interactions et les processus qui les initient qui influent sur le
cours des relations internationales.
24
Cela n’empêche en rien que l’Etat demeure l’acteur principal des relations internationales. Nous pensons ici en
l’occurrence à la conception de James Roseneau qui réunit le « monde interétatique », dont les acteurs sont liés par la
souveraineté et le monde « multicentré » des acteurs libres de souveraineté.
13
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
Penser l’état de nature dans les relations internationales contemporaines
Le débat « agent-structure » développé par les constructivistes pose implicitement la
question de l’état de nature puisqu’il affirme que l’anarchie n’est pas un état de fait, absolu,
mais qu’au contraire les agents, suivant les représentations qu’ils possèdent les uns des
autres, exercent une influence sur la structure. Ce qui permet à Alexander Wendt d’affirmer
que « l’anarchie est ce que les Etats en font ». Cette liberté que possèdent les Etats de
faire évoluer la structure d’une anarchie immature vers une anarchie mature se retrouve
dans la même manière dans la conception classique philosophique de l’état de nature,
chez Hobbes ou Locke. Certes la dynamique n’est pas la même puisque dans un cas c’est
plus la volonté de préservation et un calcul rationnel qui oblige les individus à sacrifier de
leur liberté pour assurer leur sécurité, alors que dans l’autre cas il s’agit d’un libre
consentement qui confirme un état précontractuel pacifique. Au niveau international on
retrouve ces mêmes logiques, certains accords, certaines alliances sont plus le fruit d’un
calcul de courte, moyenne ou longue durée et visent à assurer une stabilité relative en
fonction des enjeux stratégiques du moment. De même, il n’en demeure pas moins que le
fait de partager certaines valeurs réalise, dans la durée, une société d’Etats qui librement
consentent à développer des relations politiques, sociales, culturelles et économiques
privilégiées voire à assurer collectivement leur sécurité25. L’état de nature peut ainsi
constituer un idéal-typique qui se réfère à des conceptions différentes qui illustrent chacune
l’anarchie internationale. Ces conceptions varient en fonction des liens qui existent entre
les Etats et des représentations à partir desquelles ces liens se réalisent. Il apparaît
aujourd’hui que les défis imposés par la mondialisation et l’émergence de nouveaux
acteurs transfrontaliers renforcent, dans une certaine mesure, les liens entre les Etats.
C’est cette volonté de persévérer dans leur être qui impose le développement de
coopérations nouvelles en vue d’assurer leur conservation et leur sécurité. C’est peut-être
cette impulsion venue du monde « multicentré », parce qu’elle remet en cause la
conception d’un système international stato-centrée, que l’anarchie lockienne héritée des
traités de Westphalie, pourra évoluer vers une anarchie kantienne. « Voilà une perspective
qui peut paraître excessivement optimiste, sinon utopique. En réalité, d’un point de vue de
25
A un degré supérieur, lorsque l’homogénéité d’une telle société d’Etats se réalise pleinement il est possible de parler
d’anarchie kantienne au sens où l’emploie Alexander Wendt, c’est-à-dire que les Etats partagent une identité collective,
un sentiment commun de solidarité et considèrent leur intérêt national comme faisant partie de celui de leurs amis.
14
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
pure logique conceptuelle, l’anarchie kantienne de Wendt est parfaitement plausible :
structure vide, l’anarchie renvoie à l’absence de quelque chose, en l’occurrence d’une
autorité centrale, et non à la présence de quelque chose ; l’amitié y a donc autant sa place
que l’hostilité et la rivalité »26.
La difficulté qui réside dans l’élaboration d’une théorie des relations internationales
impose tout d’abord la prise en compte de la totalité du système international avant de
s’attacher aux agents qui composent la structure. Une telle théorie ne peut être élaborée
qu’au travers d’une approche pluridisciplinaire, historique, sociologique et philosophique27.
Comme le note Stanley Hoffmann, la théorie philosophique peut aider le théoricien
empirique « à rendre explicites les préférences qui se cachent derrière les catégories qu’il
emploie et les relations qu’il met en valeur : de lui révéler les postulats sur la nature de
l’homme, de la société, de l’Etat ou des rapports entre Etats sont enracinés en lui, et qui ne
peuvent pas ne pas affecter son travail. Une connaissance sérieuse de la théorie
philosophique pourra donc lui servir d’avertisseur du point de vue de la méthode »28. Une
théorie des relations internationales ne peut donc se limiter uniquement à une approche
empirique elle doit nécessairement trouver dans l’épistémologie philosophique un point
d’ancrage. La philosophie tend à mettre en évidence la diversité des points des vue qui
existent dans un domaine aussi complexe que celui des relations internationales. Nous
avons surtout chercher à montrer que certains postulats ontologiques enferment la pensée,
la rendent esclave de perspectives sommes toutes limitées, alors qu’une complémentarité
26
Dario Battistella, Marie-Claude Smouts, Pascal Vennesson, Dictionnaire des relations internationales, « Anarchie »,
op.cit., p.22.
27
Dans notre approche, la démarche philosophique tend à mettre en évidence certains postulats ontologiques, notamment
à définir certaines conceptions de la nature humaine, bien souvent opposées, à partir desquelles pourront être abordées
les différentes relations qu’entretiennent les Etats entre eux. L’approche sociologique quant à elle tend à mettre en
évidence les processus qui régulent ces mêmes relations tout en délimitant un cadre épistémologique, fondé sur des
idéaux-typiques, à partir desquels se réalisent les différentes sociétés internationales. Enfin, la démarche historique
demeure fondamentale puisqu’elle permet de valider scientifiquement le raisonnement du théoricien par l’application
concrète à des périodes historiques données. Raymond Aron et Stanley Hoffmann en utilisant la méthode de la sociologie
historique n’ont pas pour autant ôter de leur réflexion la théorie philosophique. Stanley Hoffmann sépare les deux
approches fondamentales à une recherche en relations internationales : Premièrement la sociologie historique (ou théorie
empirique), deuxièmement l’établissement de « relevant utopias » (ou théorie philosophique se préoccupant des valeurs
mais ne négligeant pas leurs possibilités de réalisation).
28
« Théorie et relations internationales », Revue française de Science politique, 11, 1961, p.431.
15
rivista di filosofia on-line
WWW.METABASIS.IT
mars 2006 an I nombre 1
entre différentes conceptions et méthodes permettent une plus grande place à la liberté
d’interprétation. La philosophie dans la pensée des relations internationales constitue un
formidable outil épistémologique, elle est à fois un point de repère pour le théoricien mais
aussi elle est synonyme de perspectives à atteindre, à réaliser. Plus que jamais celle-ci
semble nécessaire pour donner forme au flot chaotique de l’actualité, car le but essentiel
de la philosophie est de donner du sens. Ainsi, Frédéric Ramel, reprenant David Boucher
et Ulrich Beck, précise t’il cette nécessité de recouvrer du sens qui donne à la philosophie
politique toute sa pertinence dans l’actualité des relations internationales : « Qui sommes
nous ? En ce début de millénaire, la question est majeure tant pour les individus que pour
les Etats. Nos habitudes, nos repères, nos perspectives sont bousculées. Les différents
processus à l’œuvre sur le plan international nécessitent d’approfondir la pensée du
politique et surtout le legs de la modernité »29. Sans aucun doute la question du sens
trouve t-elle sa source dans la question originelle de la nature humaine qui a tant inspirée
les philosophes.
Sesto San Giovanni (MI)
via Monfalcone, 17/19
© Metábasis.it, rivista semestrale di filosofia e comunicazione.
Autorizzazione del Tribunale di Varese n. 893 del 23/02/2006.
ISSN 1828-1567
Cette création est mise à disposition selon le Contrat Paternité-NonCommercial-NoDerivs
2.0 France disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ ou par courrier postal à
Creative Commons, 559 Nathan Abbott Way, Stanford, California 94305, USA.Abbott Way, Stanford, California 94305, USA.
29
Frédéric Ramel, David Cumin, Philosophie des relations internationales, Paris, Presses Science-Po, 2002, p.28.
16
Téléchargement