Transports de Na dans la cochlée de mammifères

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Transports de Na dans la cochlée de mammifères
V. Couloigner1,2, O. Sterkers1,2 et E. Ferrary1
1
INSERM U.426 et EMI-U 0112, Faculté Xavier Bichat, Université Paris 7, Paris ;
Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, AP-HP, Hôpital Beaujon, Clichy
2
Résumé • Summary
L’endolymphe, liquide baignant le pôle apical des cellules
sensorielles de l’oreille interne, est riche en K et pratiquement
dépourvu de Na. Dans la cochlée, différents transports épithéliaux impliqués dans le transport transcelullaire de Na du compartiment apical endolymphatique vers le compartiment basolatéral périlymphatique ont été mis en évidence : Na+,K+-ATPase
basolatérale, canaux cationiques non sélectifs, échangeur Na+/H+
et canal sodique épithélial de type ENaC apicaux. Ces transporteurs pourraient jouer un rôle dans certaines situations physiologiques et pathologiques, en particulier lorsque la concentration
endolymphatique de Na est élevée.
Endolymph, the fluid that bathes the apical side of the inner
ear sensory cells, is a K-rich and Na-poor fluid. In the cochlea,
various epithelial transport systems involved in the transport of
Na from the apical endolymphatic to the basolateral perilymphatic compartments have been identified : basolateral Na+,K+ATPase, apical non selective cationic channels, Na+/H+ exchanger,
and ENaC epithelial Na channel. These transporters may be
involved in physiological and pathological processes in which
endolymph Na concentration is high.
Mots-clés : Oreille interne – Epithélium – Endolymphe – ENaC –
Audition – Maladie de Ménière.
Key words: Inner ear – Epithelium – Endolymph – ENaC – Hearing
– Ménière’s disease.
■ Compartiments liquidiens de l’oreille
interne
périlymphatique.2 Les structures épithéliales impliquées dans la
sécrétion de la périlymphe ne sont pas connues.
Les trois organes de l’oreille interne sont la cochlée, dévolue
à l’audition, le vestibule, dévolu à l’équilibration, et le sac endolymphatique, dépourvu de cellules sensorielles et essentiellement
impliqué dans l’homéostasie liquidienne et la défense immunitaire de l’oreille interne.
Les deux liquides de l’oreille interne sont la périlymphe et
l’endolymphe. Ces liquides transmettent les stimuli auditifs
(ondes pressionnelles) et vestibulaires (accélérations linéaires et
angulaires) aux cellules sensorielles cochléo-vestibulaires ou cellules ciliées. Par ailleurs, l’endolymphe, du fait de sa composition
originale (voir ci-dessous), joue un rôle essentiel dans la transduction mécano-électrique, processus par lequel les cellules
ciliées transforment le stimulus sensoriel, auditif ou vestibulaire,
en influx nerveux.
● L’endolymphe
Le compartiment périlymphatique est compris entre le labyrinthe membraneux, épithélium neuro-sensoriel de l’oreille
interne, et le labyrinthe osseux. Dans la cochlée, ce compartiment se divise en scala vestibuli et scala tympani (fig. 1). La périlymphe baigne le pôle basolatéral des cellules ciliées. Sa composition est semblable à celle du liquide interstitiel (pour revue, voir 1).
Elle est sécrétée à partir du plasma à travers la barrière hémato-
Néphrologie Vol. 23 n° 6 2002, pp. 245-247
■ Transports de K dans la cochlée
A l’état stationnaire, la stabilité de la concentration de K dans
l’endolymphe cochléaire résulte d’un équilibre entre une sécrétion
et une réabsorption de K s’effectuant toutes deux par voie transcellulaire. La sécrétion de K se fait au travers de l’épithélium de la
strie vasculaire (fig. 1) (pour revue, voir 1,4). Dans les cellules marginales de la strie vasculaire, elle se fait par l’action couplée de deux
245
mise au point
● La périlymphe
L’endolymphe est située au contact du pôle apical des cellules ciliées (fig. 1). Elle est sécrétée à partir de la périlymphe.3 Sa
composition électrochimique est unique parmi les liquides extracellulaires des mammifères (fig. 1) (pour revue, voir 1,4). Elle est
riche en K (170 mM) et en Cl (130 mM), pratiquement dépourvue de Na (1-5 mM) et hyperosmolaire de 30 à 40 mosm/l par
rapport au plasma et à la périlymphe. L’hyperosmolarité est liée
aux sels de potassium, la concentration de protéines est extrêmement faible. Le pH est de 7,4 et le potentiel transépithélial de
part et d’autre du labyrinthe membraneux est positif dans l’endolymphe. Dans la cochlée, ce potentiel, appelé potentiel endocochléaire, est d’environ + 80 mV.
Scala vestib uli
Périlymphe:
K = 5 mM; Na = 140 mM
Strie
vasculaire
Scala media
Endolymphe
K = 170 mM; Na = 1 mM
Os temporal
Ligament
spiral
Proéminence
spirale
Limbus
spiral
Sulcus
externe
Scala tympani
Périlymphe:
K = 5 mM; Na = 140 mM
ATPase est présente dans tous les types cellulaires épithéliaux
bordant l’endolymphe. Parmi ces cellules, les plus intensément
marquées par des anticorps anti-Na+,K+-ATPase sont les cellules
marginales de la strie vasculaire et les cellules du sulcus externe
(fig. 1).8 Les transporteurs membranaires apicaux possiblement
impliqués dans l’entrée de Na dans la cellule à partir du compartiment endolymphatique sont :
• des conductances cationiques non sélectives dans les cellules
marginales de la strie vasculaire, les cellules du sulcus externe et
celles de la membrane de Reissner.9-11 Cependant, compte tenu des
concentrations respectives de Na et de K dans l’endolymphe, il est
probable que ces canaux transportent préférentiellement du K ;
• l’isoforme NHE3 de l’échangeur Na/H dans les cellules marginales de la strie vasculaire ;12
Vaisseau sanguin
• le canal sodique de type épithélial (ENaC) dans la strie vasculaire, la partie basse du mur latéral de la cochlée (proéminence
spirale et/ou sulcus externe), les cellules de Claudius, les cellules
de Deiters et le limbus spiral (fig. 1).13,14
CCE
T
D D
H
C
D
CCI
Fig. 1 : Représentation schématique d’une coupe de cochlée avec
agrandissement de l’organe de Corti.
Latéralement, le ligament spiral et la strie vasculaire constituent le mur
latéral. L’organe de Corti comprend une rangée de cellules ciliées internes
(CCI) et plusieurs rangées de cellules ciliées externes (CCE) soutenues par
les cellules de Deiters (D). Plus latéralement se trouvent les cellules tectales
(T), les cellules de Hensen (H) et les cellules de Claudius (C).
transporteurs basolatéraux, la Na+,K+-ATPase et le cotransport
Na-K-2Cl, et d’un canal potassique apical, le canal KvLQT1/IsK.
La réabsorption du K se fait essentiellement à travers les canaux
de transduction mécano-électrique situés dans la membrane apicale des cellules ciliées.5
mise au point
■ Transports de Na dans la cochlée
Le gradient électro-chimique de Na de part et d’autre du labyrinthe membraneux cochléaire est en faveur d’un flux transépithélial passif de Na vers l’endolymphe. A l’état stationnaire, ce flux
doit être compensé par une réabsorption transcellulaire de Na faisant intervenir des systèmes de transport actif. Cette hypothèse
est étayée par l’augmentation de la concentration endolymphatique de Na observée lorsque les systèmes de transports actifs sont
inhibés, par exemple au cours de l’anoxie expérimentale.6
Les transporteurs possiblement impliqués dans la réabsorption transépithéliale de Na ont été détectés par immunohistochimie, hybridation in situ et « patch-clamp » sur cellules isolées.
L’extrusion de Na vers le compartiment basolatéral du labyrinthe
membraneux s’effectue, au moins en partie, via la Na+,K+-ATPase
basolatérale. En effet, la perfusion périlymphatique d’ouabaïne,
inhibiteur spécifique de la Na+,K+-ATPase, entraîne une augmentation de la concentration endolymphatique de Na.7 La Na+,K+-
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■ Rôle de l’ENaC dans la physiologie
et la physiopathologie cochléaires
Ce rôle a été étudié in vivo chez le cochon d’Inde par mesure
du potentiel endocochléaire après injection endolymphatique
d’inhibiteurs de l’ENaC, amiloride et benzamil. En l’absence de
modifications de la composition de l’endolymphe, l’administration locale de ces inhibiteurs n’altère pas le potentiel endocochléaire. En revanche, lorsqu’une perfusion endolymphatique
d’une solution riche en Na est réalisée, les inhibiteurs de l’ENaC
induisent une augmentation du potentiel endocochléaire probablement due à une inhibition de la réabsorption de Na.13
Sur le plan physiologique, l’ENaC pourrait être particulièrement actif en période périnatale lorsque l’endolymphe s’apauvrit
en Na et s’enrichit en K.15 En faveur de cette hypothèse, l’expression de l’ENaC, évaluée chez le rat par hybridation in situ,
devient maximale à J12, période à laquelle la concentration de
Na dans l’endolymphe diminue le plus.14
En pathologie humaine, il n’a pas été décrit de surdités au
cours du syndrome de Liddle (mutations de l’ENaC avec augmentation de fonction) ou du pseudo-hypo-aldostéronisme de type II
(mutations de l’ENaC avec perte de fonction). Au cours de la
maladie de Ménière, syndrome évoluant par crises et associant
vertiges, surdité de perception et acouphènes, l’ENaC pourrait
être activé. La principale lésion histologique observée dans cette
pathologie est un hydrops endolymphatique, augmentation du
volume du compartiment endolymphatique. Les crises de la maladie de Ménière ont été attribuées à la rupture du labyrinthe membraneux distendu, à l’origine d’une contamination de l’endolymphe par du Na.16 Dans cette pathologie, l’activation de l’ENaC
pourrait permettre la clairance du Na hors de l’endolymphe.
En conclusion, le maintien d’une faible concentration de Na
dans l’endolymphe est nécessaire au bon fonctionnement des cellules sensorielles cochléo-vestibulaires. Plusieurs systèmes de transports localisés dans différentes portions de l’épithélium labyrinthique cochléaire participent à la réabsorption de Na en dehors du
compartiment endolymphatique. Parmi ces transporteurs, l’ENaC
pourrait avoir un rôle prédominant, en particulier durant le développement et au cours de certaines pathologies de l’oreille interne.
Néphrologie Vol. 23 n° 6 2002
Remerciements
3. Sterkers O, Saumon G, Tran Ba Huy P, Amiel C. K, Cl, and H2O entry in
endolymph, perilymph, and cerebrospinal fluid of the rat. Am J Physiol
1982 ; 243 : F173-F80.
Les auteurs tiennent à exprimer leur gratitude au Pr Gérard
Friedlander pour son soutien. Ils remercient Nicolette Farman et
les membres de l’unité INSERM U.478 pour leur aide à la réalisation de ce travail sur le canal ENaC.
4. Ferrary E, Sterkers O. Mechanisms of endolymph secretion. Kidney Int
1998 ; 65 (Suppl.) : S98-103.
Financement
6. Bosher SK. The nature of the negative endocochlear potentials produced
by anoxia and ethacrynic acid in the rat and guinea-pig. J Physiol (Lond)
1979 ; 293 : 329-45.
Cette étude a été financée par l’INSERM, la Faculté Xavier
Bichat et l’Université Paris 7. Vincent Couloigner a bénéficié d’un
financement de la Fondation pour la Recherche Médicale pour
l’année de DEA et d’un poste d’accueil INSERM pour les trois
années de thèse
Adresse de correspondance :
Dr Evelyne Ferrary
INSERM EMI-U 0112
Faculté Xavier Bichat
Boîte postale 416
16, rue Henri Huchard
F-75870 Paris Cedex 18
E-mail : [email protected]
5. Hudspeth AJ. The cellular basis of hearing : the biophysics of hair cells.
Science 1985 ; 230 : 745-52.
7. Konishi T, Mendelsohn M. Effect of ouabain on cochlear potentials and
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nonselective stretch-activated channel in the Reissner’s membrane of the
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inner ear. Hear Res 1998 ; 123 : 1-9.
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Sterkers O, Ferrary E, Saumon G, Amiel C. Na and nonelectrolyte entry
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mise au point
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Néphrologie Vol. 23 n° 6 2002
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