Réussir l`extubation en réanimation

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RÉUSSIR L’EXTUBATION EN RÉANIMATION
Gérald Choukroun, Virginie Lemialle & Jean-Daniel Chiche
Service de Réanimation Médicale, Groupe Hospitalier Cochin - Saint Vincent de
Paul - La Roche Guyon, 27 Rue du Faubourg St Jacques, 75014 Paris
INTRODUCTION
Dès le début de la prise en charge des patients intubés et ventilés pour insuffisance respiratoire aiguë, l’objectif est d’aboutir rapidement au sevrage de la
ventilation mécanique et à l’extubation. En effet, la ventilation mécanique (VM)
est associée à la survenue de complications dont l’incidence augmente avec la
durée de l’intubation. La procédure de sevrage vise à réduire la durée de la VM
tout en tolérant un pourcentage acceptable d’échecs. Cette procédure repose
sur trois étapes essentielles :
• L’identification des candidats à une épreuve de ventilation spontanée (VS).
• La réalisation pratique de l’épreuve de VS.
• L’extubation et la période de 48 heures au terme de laquelle le sevrage est
considéré comme réussi ou non.
Cette mise au point à pour objectif de rappeler les acquisitions récentes dans
le domaine du sevrage de la ventilation mécanique et de l’extubation.
1. LE SEVRAGE DÉBUTE DÈS L’INSTITUTION DE LA VENTILATION
MÉCANIQUE
Lors de l’insuffisance respiratoire aiguë, l’intubation sanctionne l’incapacité du patient à faire face à une augmentation de la demande ventilatoire, y
compris après initiation de méthodes de ventilation non-invasives. Dès que
le traitement étiologique rétablit l’équilibre entre la demande ventilatoire et la
capacité du patient à ventiler spontanément, le sevrage de la ventilation mécanique et l’extubation deviennent les objectifs principaux de la prise en charge
symptomatique. En moyenne, plus de 40 % du temps passé sous ventilation
artificielle en réanimation est consacré au sevrage de la ventilation [1]. C’est
pendant cette période que s’observent les principales complications de la ventilation, et en particulier les pneumopathies nosocomiales ou les complications
barotraumatiques. Avant d’envisager la phase finale du sevrage et la conduite
de l’extubation, il faut rappeler que deux facteurs permettent de réduire la durée
de cette période critique :
• D’une part, il importe de favoriser l’utilisation précoce de modes de ventilation
spontanée susceptibles d’assurer des échanges gazeux adéquats tout en res-
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pectant l’autonomie respiratoire des patients à la phase aiguë de l’insuffisance
respiratoire [2-6]. Les progrès technologiques réalisés sur les ventilateurs
modernes ont favorisé l’avènement de modes de ventilation mécanique
sophistiqués qui permettent d’ajuster l’assistance respiratoire à la demande
du patient. Si de nombreux travaux démontrent que des modes de ventilation
respectant la ventilation spontanée sont utilisables dès la phase aiguë de l’atteinte respiratoire [2, 4, 7, 8], il existe encore peu d’arguments pour attester
l’efficacité de ces stratégies en terme de réduction de la durée de ventilation
mécanique ou de ses complications.
• D’autre part, il est difficile de considérer le sevrage de la ventilation mécanique
sans aborder les modifications intervenues dans les modalités de prescription
de la sédation en réanimation. En effet, plusieurs études démontrent que l’interruption quotidienne de la sédation est associée à une réduction de la durée
de ventilation mécanique. Dans ce contexte, on peut imaginer que l’adaptation
des posologies en fonction d’un objectif de sédation et le contrôle de cet
objectif à l’aide d’une échelle d’évaluation favorise l’autonomisation rapide du
patient et réunit les conditions du sevrage.
2. INTÉRÊT DES PROTOCOLES DE SEVRAGE
2.1. IDENTIFIER LES CANDIDATS À L’EXTUBATION
Après une controverse centrée sur le choix des modalités de ventilation durant
la période de sevrage [2, 9, 10], plusieurs études ont permis d’établir l’importance
de rechercher l’opportunité d’interrompre la VM dès son instauration [11] (figure 1).
Quelles que soient la pathologie sous-jacente et la cause d’insuffisance respiratoire aiguë, la procédure de sevrage débute par la recherche du prérequis à
l’épreuve de VS.
Plusieurs études prospectives multicentriques randomisées ont démontré
l’impact positif d’un protocole de sevrage sur le pronostic des patients ventilés[12-17]. Ainsi, Ely a le premier évalué les conséquences de l’implantation
d’un protocole de sevrage sur la durée de la ventilation et la survenue de complications liées à la VM dans un service de réanimation médicale et une unité de
soins intensifs cardiologique [12]. Après randomisation, un protocole de sevrage
détaillé était utilisé pour 149 patients tandis que la procédure était laissée à
l’appréciation du médecin dans le groupe témoin (n = 151). En impliquant les
physiothérapeutes respiratoires dans la recherche quotidienne et systématique
de critères simples de sevrage, les auteurs rapportent une réduction de la
durée de ventilation de 2,5 j et une baisse significative (20 % versus 41 %) du
nombre de complications (ré-intubations, auto-extubations, trachéotomies, ventilation de plus de 21 j). La mortalité était comparable dans les 2 groupes (38 %
versus 40 %). Depuis, d’autres équipes ont confirmé l’intérêt d’une recherche
systématique de critères devant faire pratiquer une épreuve de VS [12-17], et la
XXème conférence de consensus organisée par la Société de Réanimation de
Langue Française et la Société française d’Anesthésie-Réanimation recommande
la mise en place d’une procédure de sevrage [11]. Cette procédure comporte la
recherche systématique de critères généraux et respiratoires par le personnel
infirmier et/ou les kinésithérapeutes ; elle doit être précoce, quotidienne et faire
l’objet d’un protocole écrit. Les critères utilisés peuvent varier d’une équipe à
l’autre, mais on retient généralement :
• L’absence de sédation avec une réponse cohérente aux ordres simples, et
l’absence de vasopresseur et d’inotrope pour les critères généraux.
• Une valeur de FIO2 < 50 %, et un niveau de PEP < 5 cmH2O pour les critères
respiratoires. En revanche, il n’existe pas d’arguments forts pour recommander
l’utilisation systématique des paramètres de mécanique ventilatoire et des
indices dérivés [11].
Questions pour un champion en réanimation
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Résultat de l'épreuve
de VS et évolution
Epreuve de VS
Recherche du prérequis à l'épreuve
de VS
Si la présence de ces critères doit nécessairement faire pratiquer une épreuve
de VS, le médecin peut néanmoins décider de l’épreuve de VS en s’affranchissant
d’un ou plusieurs des critères généraux ou respiratoires. Dans ces conditions,
le sevrage est réussi dès la première tentative chez les 2/3 environ des patients
sélectionnés sur ces critères [11]. Le taux d’échecs associé à cette procédure
peut-être considéré comme acceptable compte tenu des risques inhérents à la
prolongation inutile de la VM.
•
•
•
•
•
Absence d'inotropes et vasopresseurs
Absence de sédation
Réponse cohérente aux ordres simples
FiO2 ≤ 0,5
PEP ≤ 5 cmH2O
Pièce en T ou AI sans PEP
30-120 min
Signes de mauvaise tolérance
• FR > 35.min-1
• SpO2 ≤ 90
• Variation de PAS ou FR > 20 %
• Sueurs, agitation, troubles de vigilance
Absents
• Recherche des
critères d'extubation
Présents
• GDS artériels
• Reprise de la VM
EXTUBATION
Sevrage difficile
VNI ou réintubation
Echec de sevrage
Sevrage réussi
Figure 1. Procédure de sevrage (d’après [11]).
2.2. L’ÉPREUVE DE VS
La mise en place d’un protocole de sevrage réduit la durée et les complications
de la VM. Au-delà de l’identification des patients candidats à une épreuve de VS,
ce protocole doit également détailler les modalités de réalisation de l’épreuve
676
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de VS par le personnel infirmier et/ou les kinésithérapeutes. L’élaboration de ce
protocole, obligatoirement écrit, doit impliquer toute l’équipe soignante [18-20].
En effet, l’adhésion de l’équipe au protocole est essentielle et implique une diffusion large de ses objectifs, de ses modalités et de ses résultats à l’occasion
de réunions régulières. Ce protocole doit notamment détailler les modalités de
réalisation de l’épreuve de VS par le personnel infirmier et/ou les kinésithérapeutes. Le choix de la modalité de l’épreuve de VS est fonction des habitudes
de l’unité [21]. Le patient, installé confortablement en position semi-assise doit
être informé, rassuré et encouragé. Après réalisation d’une aspiration trachéobronchique, l’épreuve de VS est menée indifféremment sur une pièce en T ou
en VS avec aide inspiratoire (AI) en utilisant un faible niveau d’AI (7 cmH2O). Ce
niveau minimal permet de compenser l’effort effectué par le patient pour vaincre la charge liée à la sonde d’intubation et à la valve inspiratoire du ventilateur.
En présence d’un filtre échangeur de chaleur et d’humidité, il est nécessaire
d’augmenter ce niveau d’AI d’environ 4 à 6 cmH2O. La durée de cette épreuve
de VS est comprise entre 30 et 120 minutes, et doit être adaptée en fonction des
difficultés prévisibles du sevrage [21]. A titre d’exemple, chez les patients BPCO,
le risque plus élevé de sevrage difficile conduit à recommander une épreuve
de VS d’une durée de 120 min [22]. Pendant l’épreuve, la surveillance repose
sur l’évaluation de l’état clinique et sur le monitorage continu de la fréquence
respiratoire, de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de l’oxymétrie de pouls [21]. L’apparition de critères de mauvaise tolérance (fréquence
respiratoire > 35 cycles/min, SpO2 < 90 %, variation de plus de 20 % de la fréquence cardiaque ou de la pression artérielle systolique, sueurs, troubles de la
vigilance, agitation) impose de vérifier la perméabilité de la sonde d’intubation,
d’interrompre l’épreuve de VS et de reprendre la ventilation mécanique après
avoir prélevé des gaz du sang. En l’absence de signe de mauvaise tolérance, il
n’est pas indispensable de pratiquer de gaz du sang.
2.3. LES LIMITES DES PROTOCOLES
Si les travaux cliniques montrent que la mise en place d’un protocole de
sevrage réduit la durée et les complications de la VM, il n’est pas démontré
que la généralisation de cette pratique se traduise par les mêmes bénéfices en
dehors d’une étude interventionnelle. D’une part, l’élaboration des protocoles,
obligatoirement écrits, doit impliquer toute l’équipe soignante. L’adhésion de
l’équipe au protocole est en effet essentielle et implique une diffusion large
de ses objectifs, de ses modalités et de ses résultats à l’occasion de réunions
régulières [20]. En l’absence d’une vérification régulière de la compliance stricte
à ces protocoles, il est possible que les avantages réels soient moins importants
que les bénéfices escomptés. Ainsi, des données récentes suggèrent que l’utilisation de respirateurs comportant un mode d’adaptation automatique de l’AI en
fonction de paramètres cliniques (FR, VT et EtCO2) permet de réduire la durée
de ventilation mécanique par rapport à un groupe ou le sevrage est conduit avec
un protocole de sevrage sans vérification stricte de son application. D’autre part,
les bénéfices escomptés sont dépendants de l’environnement médical et paramédical présents dans le service de Réanimation, ainsi que de la population de
patients étudiés [23-25]. Dans une étude récente, Krishnan et coll. ont comparé
une stratégie de sevrage basée sur l’utilisation d’un protocole à la stratégie habituelle, fondée sur la décision médicale prise dans une unité de réanimation bien
dotée en personnel médical [24]. Aucune différence significative n’était observée
en termes de pourcentage de patients sevrés, de nécessité de reventilation, de
durée de VM ou de mortalité. Enfin, si l’on s’intéresse à une population de patients
ne posant que rarement des difficultés de sevrage, il est également difficile de
mettre en évidence l’impact de protocoles de sevrage [23, 25].
Questions pour un champion en réanimation
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3. ECHECS DE SEVRAGE OU ÉCHECS D’EXTUBATION
Si le sevrage de la VM est le plus souvent facile, le sevrage difficile peut se
définir par l’échec de l’épreuve de VS, ou par la reprise de la ventilation dans les
48 heures suivant son arrêt programmé. Même si de nombreuses études ont
confondu échecs de sevrage et échecs d’extubation, il est important de distinguer
les deux processus [26, 27]. En effet, si les définitions habituellement admises
de l’échec de l’extubation et de l’échec du sevrage ventilatoire sont comparables,
les mécanismes responsables sont souvent différents et les critères prédictifs
d’un sevrage difficile sont distincts de ceux prédisant l’échec du retrait de la
prothèse endotrachéale.
• Les principaux facteurs laissant prévoir un sevrage difficile sont la durée de la
VM, l’existence d’une BPCO ou d’une pathologie neuromusculaire, un score de
gravité élevé, et à un moindre degré, l’existence d’une insuffisance cardiaque
gauche ou d’une cardiopathie ischémique [11]. En cas d’échec de l’épreuve
de VS, on s’attachera à rechercher, en plus des facteurs cités ci-dessus, la
présence d’une obstruction de la sonde d’intubation, d’un sepsis non controlé, d’une anémie, ou d’une dysfonction diaphragmatique potentiellement
aggravée par des désordres métaboliques et nutritionnels. Parmi les indices
physiologiques proposés pour prédire le succès de l’épreuve de VS, le rapport
fréquence respiratoire sur volume courant (FR/VT) est le plus souvent utilisé
malgré l’absence de données suffisantes pour recommander son utilisation
routinière [28]. Les autres indices manquent de sensibilité et de spécificité,
et ne peuvent donc être recommandés en routine.
• En définissant l’échec d’extubation comme la nécessité précoce (24 à 72 h)
d’une réintubation dans les suites de l’extubation programmée, les facteurs de
risque d’échec de l’extubation sont l’inefficacité de la toux, l’encombrement et
la suspicion d’œdème laryngé [27]. En l’absence de ces facteurs de risque et
en cas de succès à l’épreuve de VS, le patient doit être extubé sur prescription
médicale écrite. La présence de ces facteurs de risque ne doit pas retarder
la procédure de sevrage, mais impose une vigilance accrue si l’extubation est
décidée.
4. LES ÉCHECS DE L’EXTUBATION
L’incidence des échecs de l’extubation varie entre 2 et 25 % en fonction des
populations étudiées et des pratiques utilisées. Compte tenu de la morbidité et
de la surmortalité attribuable aux échecs d’extubation [29-31], il est difficile de
définir un pourcentage d’échec acceptable au sein d’une unité de réanimation.
4.1. LES CAUSES D’ÉCHEC DE L’EXTUBATION
Le plus souvent, plusieurs facteurs concourent à la réintubation chez un
patient donné [27]. Un œdème des voies aériennes supérieures représente la
principale cause d’échec de l’extubation. Celui-ci se traduit le plus souvent par la
survenue d’une dyspnée laryngée au décours immédiat de l’extubation. Une intubation traumatique, une auto-extubation accidentelle, une intubation prolongée,
une surpression du ballonnet de la sonde, ou une infection trachéo-bronchique
sont souvent associées à la réduction du calibre glottique ou sus-glottique des
VAS [28-32]. Parmi les nombreuses autres causes d’échec rapportées, les troubles de conscience et l’incapacité à évacuer les sécrétions trachéo-bronchiques
constituent les facteurs le plus souvent impliqués dans la nécessité de réintubation. Progressivement, l’encombrement bronchique contribue à aggraver le
déséquilibre entre la capacité des muscles respiratoires et les contraintes qui
leur sont imposées, précipitant ainsi l’échec de l’extubation.
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MAPAR 2005
4.2. PRÉDIRE L’ÉCHEC DE L’EXTUBATION
La physiopathologie différente des échecs du sevrage et des échecs de l’extubation explique en partie pourquoi les index prédictifs de l’échec du sevrage
sont moins performants pour prédire l’échec de l’extubation. C’est le cas par
exemple de la valeur prédictive du rapport FR/VT et même de l’épreuve de VS qui
à une bonne valeur prédictive du succès du sevrage mais une assez mauvaise
valeur prédictive du succès de l’extubation [22, 30-32].
L’épreuve de VS permet d’évaluer la capacité des patients à faire face au
travail respiratoire après l’extubation. Plusieurs travaux du groupe de Mondor
suggèrent que l’effort respiratoire évalué par différents index (travail respiratoire,
pression transdiaphragmatique, produit temps–pression) ne varie pas de façon
significative entre l’épreuve de VS sur pièce en T et après l’extubation [33, 34].
Lorsque l’épreuve en VS est cliniquement bien tolérée, le travail respiratoire sur
pièce en T ne change pas au cours de l’épreuve et diffère peu de l’effort observé
après extubation chez les patients extubés avec succès. De plus, l’utilisation de
technologies comme la compensation automatique de sonde permet de compenser la proportion du travail respiratoire total (environ 10 %) engendré par la
sonde d’intubation [35].
En revanche, la principale difficulté consiste à évaluer la capacité des patients
de protéger leurs voies aériennes et/ou d’éliminer les sécrétions avec une toux
efficace. Alors qu’il est fondamental de bien évaluer la capacité du patient à
évacuer ses sécrétions avant d’envisager une extubation, la méthode consistant à évaluer l’effort de toux provoqué lors de l’aspiration trachéale à travers
la sonde d’intubation n’est ni sensible ni spécifique [36, 37]. La mesure de la
pression expiratoire maximale à l’aide d’une valve unidirectionnelle pendant une
occlusion de 30 secondes, permet de mesurer la capacité du patient à tousser
efficacement pour évacuer ses sécrétions après l’extubation [22].
Par ailleurs, l’évaluation de la perméabilité des voies aériennes supérieures
après extubation est fondamentale pour identifier les patients susceptibles de
développer une obstruction brutale des voies aériennes supérieures. Cet évènement, qui complique 2 à 20 % des extubations, peut imposer une réintubation
en urgence dans plus de 30 % des cas, souvent dans des conditions techniques
difficiles [38-40]. La présence de la sonde d’intubation ne permet pas d’évaluer
directement la perméabilité des voies aériennes supérieures (VAS), et il est en
pratique difficile de prévoir la survenue de l’œdème laryngé.
Afin d’évaluer objectivement la perméabilité des VAS et de dépister les
patients susceptibles de développer une dyspnée laryngée après l’extubation,
Miller et coll. ont préconisé la réalisation d’un test de fuite qui consiste à dégonfler le ballonnet de la sonde d’intubation après aspirations trachéobronchique et
buccale soigneuses, afin d’apprécier la fuite d’air expiré autour de la sonde [39].
Dans un premier temps, une appréciation qualitative (importante, minime ou
absente) de la fuite obtenue en bouchant l’extrémité de la sonde d’intubation
après avoir dégonflé le ballonnet a été préconisée par les auteurs qui ont transposé cette méthode des pratiques pédiatriques [41, 42]. Plusieurs années après,
Miller et Cole ont décrit une méthode quantitative qui consiste à mesurer la fuite
autour de la sonde après déflation du ballonnet [39]. Une première mesure du
VT inspiré est réalisée ballonnet gonflé, puis celui-ci est dégonflé et la mesure
du VT expiré est obtenue en moyennant six cycles consécutifs. La différence
entre le VT inspiré ballonnet gonflé et le VT expiré ballonnet dégonflé représente
le volume de fuite. En construisant des courbes ROC, Miller et al. retiennent une
valeur de fuite inférieure à 110 ml pour considérer que le test de fuite est positif.
Une autre manière de quantifier la fuite est de l’exprimer en valeur relative, ce
qui permet de s’affranchir de la valeur initiale du VT. Sandhu et al. proposent de
Questions pour un champion en réanimation
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679
considérer la différence entre VT expiré ballonnet gonflé et VT expiré ballonnet
dégonflé pour calculer une valeur de fuite en pourcentage [(VT expiré gonflé
- VT expiré dégonflé) / VT expiré gonflé)] [40]. La valeur seuil permettant alors
de prédire la réintubation est de 11,7 %. Dans tous les cas, une fuite faible ou
absente fera suspecter la survenue d’une obstruction des VAS qui doit inciter le
clinicien à envisager un traitement préventif et/ou à initier le plus précocement
possible un traitement spécifique après l’extubation. Chez l’adulte, il n’existe
cependant pas d’argument justifiant l’administration d’une corticothérapie pour
prévenir l’œdème laryngé [11].
4.3. ECHECS DE L’EXTUBATION : PLACE DE LA VENTILATION NON INVASIVE
En cas d’échec de l’extubation et a fortiori en cas d’échec du sevrage de la
ventilation, la question qui se pose en priorité est celle de la nécessité de recourir
à l’instrumentation des voies aériennes. Jusqu’à récemment, la nécessité de
réinstituer un support ventilatoire après échec de l’extubation était synonyme de
réintubation parfois suivie de trachéotomie. Plusieurs équipes ont récemment
proposé d’utiliser la ventilation non invasive (VNI) dans certaines situations d’insuffisance respiratoire aiguë afin d’éviter le recours à la réintubation [43-47].
Meduri et al. ont été les premiers à suggérer l’intérêt de la VNI en cas de
détresse respiratoire post-extubation [44, 48]. Depuis, des résultats discordants
obtenus en utilisation la VNI dans des modalités non comparables et sur des
populations différentes, ne permettent pas d’apporter de conclusion formelle.
Plusieurs études randomisées ont étudié spécifiquement l’intérêt de l’application de la VNI en cas de détresse respiratoire post-extubation. Carlucci et al.
ont rapporté l’efficacité de la VNI administrée au moins 6 heures par jour dans
une population à haut risque d’échec de l’extubation. Dans cette étude, la VNI
permettait de réduire le taux de réintubation (25 vs 6 %), la durée de séjour
(33 vs 21 j) et la mortalité (18 vs 0 %) dans le groupe VNI comparé au groupe
traitement standard. Dans les suites opératoires de chirurgie pulmonaire,
Auriant et al. retrouvent une réduction significative du taux de réintubation (17
vs 48 %) et de la mortalité (9 vs 35 %) chez les patients traités par VNI [49].
En revanche, Keenan et al. rapportaient des taux de réintubation comparables
entre les patients traités par VNI ou traitement standard (72 vs 69 %) dans une
population de réanimation polyvalente [50]. Plus récemment, dans une large
étude multicentrique, Esteban et al. ne retrouvent aucun avantage à l’utilisation
systématique de la VNI au décours de l’extubation [51]. Sur une population de
93 patients présentant une IRA post-extubation, Jiang et al. retrouvent un taux
de réintubation plus élevé dans le groupe VNI que dans le groupe traitement
conventionnel (28 % versus 15 %) [45].
Récemment, Ferrer et al. ont inclus 43 patients dans une étude contrôlée
randomisée testant l’efficacité de la VNI utilisée comme stratégie de sevrage [46].
Après un échec à l’épreuve de ventilation spontanée sur pièce en T trois jours
de suite, les patients étaient randomisés pour former un groupe de patients
extubés et traités systématiquement par VNI dans les suites immédiates de
l’extubation. L’autre groupe était sevré et extubé de façon conventionnelle après
succès de l’épreuve de VS. De façon intéressante, le groupe pris en charge par
VNI présentait une réduction significative de la durée de ventilation invasive
(9,5 ± 8,3 vs 20,1 ± 13,1 j), de la durée de séjour en réanimation (14,1 ± 9,2 vs
25,0 ± 12,5 j), de la mortalité (19,9 vs 13,6 %) et de l’incidence des infections
nosocomiales (5,2 % vs 13,6 %, P < 0,05).
Au total, ces différentes études suggèrent que la VNI pourrait être efficace en
cas d’insuffisance respiratoire aiguë post-extubation chez un groupe de patients
sélectionnés. D’autres études sont cependant nécessaires pour établir les indications préférentielles de la VNI dans ce domaine. Il est également important
de souligner que comme dans le cadre des IRA hypoxémiques, l’utilisation de
iv
680
MAPAR 2005
la VNI ne doit pas retarder une intubation inévitable chez un patient en détresse
respiratoire aiguë, susceptible de présenter un arrêt cardiaque consécutif à une
hypoxémie dont la gravité aurait été sous-évaluée.
CONCLUSION
Au cours des dernières années, la prise de conscience des complications liées
à la ventilation mécanique avec intubation endo-trachéale a clairement conduit
les cliniciens à s’interroger sur leurs pratiques. Au delà de l’utilisation croissante
de la ventilation non-invasive, la tendance est de réévaluer les objectifs en terme
de sédation afin de favoriser le plus rapidement possible la ventilation spontanée.
L’instauration de protocoles de sevrage basés sur la recherche systématique
des candidats à l’extubation a fait diminuer la durée de la ventilation mécanique
injustifiée. Les causes d’échec d’extubation sont maintenant distinguées des
causes d’échec de l’épreuve de VS en pièce en T. En cas d’échec d’extubation,
le recours à la réintubation est associé à une augmentation de la durée de ventilation mécanique, de la durée de séjour hospitalier ainsi qu’une augmentation
de la mortalité. Pour ces raisons, il importe de réduire au maximum les facteurs
susceptibles de favoriser l’échec de l’extubation. Parallèlement à la poursuite de
la réflexion sur la sédation et les facteurs susceptibles d’entraîner des complications neurologiques compromettant l’extubation, il est important de pouvoir
mieux identifier les patients à risque d’échec d’extubation afin d’optimiser la
prise en charge et de permettre de réduire encore la morbidité et la mortalité
associées à l’assistance respiratoire invasive.
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