RÉUSSIR L’EXTUBATION EN RÉANIMATION Gérald Choukroun, Virginie Lemialle & Jean-Daniel Chiche Service de Réanimation Médicale, Groupe Hospitalier Cochin - Saint Vincent de Paul - La Roche Guyon, 27 Rue du Faubourg St Jacques, 75014 Paris INTRODUCTION Dès le début de la prise en charge des patients intubés et ventilés pour insuffisance respiratoire aiguë, l’objectif est d’aboutir rapidement au sevrage de la ventilation mécanique et à l’extubation. En effet, la ventilation mécanique (VM) est associée à la survenue de complications dont l’incidence augmente avec la durée de l’intubation. La procédure de sevrage vise à réduire la durée de la VM tout en tolérant un pourcentage acceptable d’échecs. Cette procédure repose sur trois étapes essentielles : • L’identification des candidats à une épreuve de ventilation spontanée (VS). • La réalisation pratique de l’épreuve de VS. • L’extubation et la période de 48 heures au terme de laquelle le sevrage est considéré comme réussi ou non. Cette mise au point à pour objectif de rappeler les acquisitions récentes dans le domaine du sevrage de la ventilation mécanique et de l’extubation. 1. LE SEVRAGE DÉBUTE DÈS L’INSTITUTION DE LA VENTILATION MÉCANIQUE Lors de l’insuffisance respiratoire aiguë, l’intubation sanctionne l’incapacité du patient à faire face à une augmentation de la demande ventilatoire, y compris après initiation de méthodes de ventilation non-invasives. Dès que le traitement étiologique rétablit l’équilibre entre la demande ventilatoire et la capacité du patient à ventiler spontanément, le sevrage de la ventilation mécanique et l’extubation deviennent les objectifs principaux de la prise en charge symptomatique. En moyenne, plus de 40 % du temps passé sous ventilation artificielle en réanimation est consacré au sevrage de la ventilation [1]. C’est pendant cette période que s’observent les principales complications de la ventilation, et en particulier les pneumopathies nosocomiales ou les complications barotraumatiques. Avant d’envisager la phase finale du sevrage et la conduite de l’extubation, il faut rappeler que deux facteurs permettent de réduire la durée de cette période critique : • D’une part, il importe de favoriser l’utilisation précoce de modes de ventilation spontanée susceptibles d’assurer des échanges gazeux adéquats tout en res- 674 MAPAR 2005 pectant l’autonomie respiratoire des patients à la phase aiguë de l’insuffisance respiratoire [2-6]. Les progrès technologiques réalisés sur les ventilateurs modernes ont favorisé l’avènement de modes de ventilation mécanique sophistiqués qui permettent d’ajuster l’assistance respiratoire à la demande du patient. Si de nombreux travaux démontrent que des modes de ventilation respectant la ventilation spontanée sont utilisables dès la phase aiguë de l’atteinte respiratoire [2, 4, 7, 8], il existe encore peu d’arguments pour attester l’efficacité de ces stratégies en terme de réduction de la durée de ventilation mécanique ou de ses complications. • D’autre part, il est difficile de considérer le sevrage de la ventilation mécanique sans aborder les modifications intervenues dans les modalités de prescription de la sédation en réanimation. En effet, plusieurs études démontrent que l’interruption quotidienne de la sédation est associée à une réduction de la durée de ventilation mécanique. Dans ce contexte, on peut imaginer que l’adaptation des posologies en fonction d’un objectif de sédation et le contrôle de cet objectif à l’aide d’une échelle d’évaluation favorise l’autonomisation rapide du patient et réunit les conditions du sevrage. 2. INTÉRÊT DES PROTOCOLES DE SEVRAGE 2.1. IDENTIFIER LES CANDIDATS À L’EXTUBATION Après une controverse centrée sur le choix des modalités de ventilation durant la période de sevrage [2, 9, 10], plusieurs études ont permis d’établir l’importance de rechercher l’opportunité d’interrompre la VM dès son instauration [11] (figure 1). Quelles que soient la pathologie sous-jacente et la cause d’insuffisance respiratoire aiguë, la procédure de sevrage débute par la recherche du prérequis à l’épreuve de VS. Plusieurs études prospectives multicentriques randomisées ont démontré l’impact positif d’un protocole de sevrage sur le pronostic des patients ventilés[12-17]. Ainsi, Ely a le premier évalué les conséquences de l’implantation d’un protocole de sevrage sur la durée de la ventilation et la survenue de complications liées à la VM dans un service de réanimation médicale et une unité de soins intensifs cardiologique [12]. Après randomisation, un protocole de sevrage détaillé était utilisé pour 149 patients tandis que la procédure était laissée à l’appréciation du médecin dans le groupe témoin (n = 151). En impliquant les physiothérapeutes respiratoires dans la recherche quotidienne et systématique de critères simples de sevrage, les auteurs rapportent une réduction de la durée de ventilation de 2,5 j et une baisse significative (20 % versus 41 %) du nombre de complications (ré-intubations, auto-extubations, trachéotomies, ventilation de plus de 21 j). La mortalité était comparable dans les 2 groupes (38 % versus 40 %). Depuis, d’autres équipes ont confirmé l’intérêt d’une recherche systématique de critères devant faire pratiquer une épreuve de VS [12-17], et la XXème conférence de consensus organisée par la Société de Réanimation de Langue Française et la Société française d’Anesthésie-Réanimation recommande la mise en place d’une procédure de sevrage [11]. Cette procédure comporte la recherche systématique de critères généraux et respiratoires par le personnel infirmier et/ou les kinésithérapeutes ; elle doit être précoce, quotidienne et faire l’objet d’un protocole écrit. Les critères utilisés peuvent varier d’une équipe à l’autre, mais on retient généralement : • L’absence de sédation avec une réponse cohérente aux ordres simples, et l’absence de vasopresseur et d’inotrope pour les critères généraux. • Une valeur de FIO2 < 50 %, et un niveau de PEP < 5 cmH2O pour les critères respiratoires. En revanche, il n’existe pas d’arguments forts pour recommander l’utilisation systématique des paramètres de mécanique ventilatoire et des indices dérivés [11]. Questions pour un champion en réanimation 675 Résultat de l'épreuve de VS et évolution Epreuve de VS Recherche du prérequis à l'épreuve de VS Si la présence de ces critères doit nécessairement faire pratiquer une épreuve de VS, le médecin peut néanmoins décider de l’épreuve de VS en s’affranchissant d’un ou plusieurs des critères généraux ou respiratoires. Dans ces conditions, le sevrage est réussi dès la première tentative chez les 2/3 environ des patients sélectionnés sur ces critères [11]. Le taux d’échecs associé à cette procédure peut-être considéré comme acceptable compte tenu des risques inhérents à la prolongation inutile de la VM. • • • • • Absence d'inotropes et vasopresseurs Absence de sédation Réponse cohérente aux ordres simples FiO2 ≤ 0,5 PEP ≤ 5 cmH2O Pièce en T ou AI sans PEP 30-120 min Signes de mauvaise tolérance • FR > 35.min-1 • SpO2 ≤ 90 • Variation de PAS ou FR > 20 % • Sueurs, agitation, troubles de vigilance Absents • Recherche des critères d'extubation Présents • GDS artériels • Reprise de la VM EXTUBATION Sevrage difficile VNI ou réintubation Echec de sevrage Sevrage réussi Figure 1. Procédure de sevrage (d’après [11]). 2.2. L’ÉPREUVE DE VS La mise en place d’un protocole de sevrage réduit la durée et les complications de la VM. Au-delà de l’identification des patients candidats à une épreuve de VS, ce protocole doit également détailler les modalités de réalisation de l’épreuve 676 MAPAR 2005 de VS par le personnel infirmier et/ou les kinésithérapeutes. L’élaboration de ce protocole, obligatoirement écrit, doit impliquer toute l’équipe soignante [18-20]. En effet, l’adhésion de l’équipe au protocole est essentielle et implique une diffusion large de ses objectifs, de ses modalités et de ses résultats à l’occasion de réunions régulières. Ce protocole doit notamment détailler les modalités de réalisation de l’épreuve de VS par le personnel infirmier et/ou les kinésithérapeutes. Le choix de la modalité de l’épreuve de VS est fonction des habitudes de l’unité [21]. Le patient, installé confortablement en position semi-assise doit être informé, rassuré et encouragé. Après réalisation d’une aspiration trachéobronchique, l’épreuve de VS est menée indifféremment sur une pièce en T ou en VS avec aide inspiratoire (AI) en utilisant un faible niveau d’AI (7 cmH2O). Ce niveau minimal permet de compenser l’effort effectué par le patient pour vaincre la charge liée à la sonde d’intubation et à la valve inspiratoire du ventilateur. En présence d’un filtre échangeur de chaleur et d’humidité, il est nécessaire d’augmenter ce niveau d’AI d’environ 4 à 6 cmH2O. La durée de cette épreuve de VS est comprise entre 30 et 120 minutes, et doit être adaptée en fonction des difficultés prévisibles du sevrage [21]. A titre d’exemple, chez les patients BPCO, le risque plus élevé de sevrage difficile conduit à recommander une épreuve de VS d’une durée de 120 min [22]. Pendant l’épreuve, la surveillance repose sur l’évaluation de l’état clinique et sur le monitorage continu de la fréquence respiratoire, de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de l’oxymétrie de pouls [21]. L’apparition de critères de mauvaise tolérance (fréquence respiratoire > 35 cycles/min, SpO2 < 90 %, variation de plus de 20 % de la fréquence cardiaque ou de la pression artérielle systolique, sueurs, troubles de la vigilance, agitation) impose de vérifier la perméabilité de la sonde d’intubation, d’interrompre l’épreuve de VS et de reprendre la ventilation mécanique après avoir prélevé des gaz du sang. En l’absence de signe de mauvaise tolérance, il n’est pas indispensable de pratiquer de gaz du sang. 2.3. LES LIMITES DES PROTOCOLES Si les travaux cliniques montrent que la mise en place d’un protocole de sevrage réduit la durée et les complications de la VM, il n’est pas démontré que la généralisation de cette pratique se traduise par les mêmes bénéfices en dehors d’une étude interventionnelle. D’une part, l’élaboration des protocoles, obligatoirement écrits, doit impliquer toute l’équipe soignante. L’adhésion de l’équipe au protocole est en effet essentielle et implique une diffusion large de ses objectifs, de ses modalités et de ses résultats à l’occasion de réunions régulières [20]. En l’absence d’une vérification régulière de la compliance stricte à ces protocoles, il est possible que les avantages réels soient moins importants que les bénéfices escomptés. Ainsi, des données récentes suggèrent que l’utilisation de respirateurs comportant un mode d’adaptation automatique de l’AI en fonction de paramètres cliniques (FR, VT et EtCO2) permet de réduire la durée de ventilation mécanique par rapport à un groupe ou le sevrage est conduit avec un protocole de sevrage sans vérification stricte de son application. D’autre part, les bénéfices escomptés sont dépendants de l’environnement médical et paramédical présents dans le service de Réanimation, ainsi que de la population de patients étudiés [23-25]. Dans une étude récente, Krishnan et coll. ont comparé une stratégie de sevrage basée sur l’utilisation d’un protocole à la stratégie habituelle, fondée sur la décision médicale prise dans une unité de réanimation bien dotée en personnel médical [24]. Aucune différence significative n’était observée en termes de pourcentage de patients sevrés, de nécessité de reventilation, de durée de VM ou de mortalité. Enfin, si l’on s’intéresse à une population de patients ne posant que rarement des difficultés de sevrage, il est également difficile de mettre en évidence l’impact de protocoles de sevrage [23, 25]. Questions pour un champion en réanimation i 677 3. ECHECS DE SEVRAGE OU ÉCHECS D’EXTUBATION Si le sevrage de la VM est le plus souvent facile, le sevrage difficile peut se définir par l’échec de l’épreuve de VS, ou par la reprise de la ventilation dans les 48 heures suivant son arrêt programmé. Même si de nombreuses études ont confondu échecs de sevrage et échecs d’extubation, il est important de distinguer les deux processus [26, 27]. En effet, si les définitions habituellement admises de l’échec de l’extubation et de l’échec du sevrage ventilatoire sont comparables, les mécanismes responsables sont souvent différents et les critères prédictifs d’un sevrage difficile sont distincts de ceux prédisant l’échec du retrait de la prothèse endotrachéale. • Les principaux facteurs laissant prévoir un sevrage difficile sont la durée de la VM, l’existence d’une BPCO ou d’une pathologie neuromusculaire, un score de gravité élevé, et à un moindre degré, l’existence d’une insuffisance cardiaque gauche ou d’une cardiopathie ischémique [11]. En cas d’échec de l’épreuve de VS, on s’attachera à rechercher, en plus des facteurs cités ci-dessus, la présence d’une obstruction de la sonde d’intubation, d’un sepsis non controlé, d’une anémie, ou d’une dysfonction diaphragmatique potentiellement aggravée par des désordres métaboliques et nutritionnels. Parmi les indices physiologiques proposés pour prédire le succès de l’épreuve de VS, le rapport fréquence respiratoire sur volume courant (FR/VT) est le plus souvent utilisé malgré l’absence de données suffisantes pour recommander son utilisation routinière [28]. Les autres indices manquent de sensibilité et de spécificité, et ne peuvent donc être recommandés en routine. • En définissant l’échec d’extubation comme la nécessité précoce (24 à 72 h) d’une réintubation dans les suites de l’extubation programmée, les facteurs de risque d’échec de l’extubation sont l’inefficacité de la toux, l’encombrement et la suspicion d’œdème laryngé [27]. En l’absence de ces facteurs de risque et en cas de succès à l’épreuve de VS, le patient doit être extubé sur prescription médicale écrite. La présence de ces facteurs de risque ne doit pas retarder la procédure de sevrage, mais impose une vigilance accrue si l’extubation est décidée. 4. LES ÉCHECS DE L’EXTUBATION L’incidence des échecs de l’extubation varie entre 2 et 25 % en fonction des populations étudiées et des pratiques utilisées. Compte tenu de la morbidité et de la surmortalité attribuable aux échecs d’extubation [29-31], il est difficile de définir un pourcentage d’échec acceptable au sein d’une unité de réanimation. 4.1. LES CAUSES D’ÉCHEC DE L’EXTUBATION Le plus souvent, plusieurs facteurs concourent à la réintubation chez un patient donné [27]. Un œdème des voies aériennes supérieures représente la principale cause d’échec de l’extubation. Celui-ci se traduit le plus souvent par la survenue d’une dyspnée laryngée au décours immédiat de l’extubation. Une intubation traumatique, une auto-extubation accidentelle, une intubation prolongée, une surpression du ballonnet de la sonde, ou une infection trachéo-bronchique sont souvent associées à la réduction du calibre glottique ou sus-glottique des VAS [28-32]. Parmi les nombreuses autres causes d’échec rapportées, les troubles de conscience et l’incapacité à évacuer les sécrétions trachéo-bronchiques constituent les facteurs le plus souvent impliqués dans la nécessité de réintubation. Progressivement, l’encombrement bronchique contribue à aggraver le déséquilibre entre la capacité des muscles respiratoires et les contraintes qui leur sont imposées, précipitant ainsi l’échec de l’extubation. ii 678 MAPAR 2005 4.2. PRÉDIRE L’ÉCHEC DE L’EXTUBATION La physiopathologie différente des échecs du sevrage et des échecs de l’extubation explique en partie pourquoi les index prédictifs de l’échec du sevrage sont moins performants pour prédire l’échec de l’extubation. C’est le cas par exemple de la valeur prédictive du rapport FR/VT et même de l’épreuve de VS qui à une bonne valeur prédictive du succès du sevrage mais une assez mauvaise valeur prédictive du succès de l’extubation [22, 30-32]. L’épreuve de VS permet d’évaluer la capacité des patients à faire face au travail respiratoire après l’extubation. Plusieurs travaux du groupe de Mondor suggèrent que l’effort respiratoire évalué par différents index (travail respiratoire, pression transdiaphragmatique, produit temps–pression) ne varie pas de façon significative entre l’épreuve de VS sur pièce en T et après l’extubation [33, 34]. Lorsque l’épreuve en VS est cliniquement bien tolérée, le travail respiratoire sur pièce en T ne change pas au cours de l’épreuve et diffère peu de l’effort observé après extubation chez les patients extubés avec succès. De plus, l’utilisation de technologies comme la compensation automatique de sonde permet de compenser la proportion du travail respiratoire total (environ 10 %) engendré par la sonde d’intubation [35]. En revanche, la principale difficulté consiste à évaluer la capacité des patients de protéger leurs voies aériennes et/ou d’éliminer les sécrétions avec une toux efficace. Alors qu’il est fondamental de bien évaluer la capacité du patient à évacuer ses sécrétions avant d’envisager une extubation, la méthode consistant à évaluer l’effort de toux provoqué lors de l’aspiration trachéale à travers la sonde d’intubation n’est ni sensible ni spécifique [36, 37]. La mesure de la pression expiratoire maximale à l’aide d’une valve unidirectionnelle pendant une occlusion de 30 secondes, permet de mesurer la capacité du patient à tousser efficacement pour évacuer ses sécrétions après l’extubation [22]. Par ailleurs, l’évaluation de la perméabilité des voies aériennes supérieures après extubation est fondamentale pour identifier les patients susceptibles de développer une obstruction brutale des voies aériennes supérieures. Cet évènement, qui complique 2 à 20 % des extubations, peut imposer une réintubation en urgence dans plus de 30 % des cas, souvent dans des conditions techniques difficiles [38-40]. La présence de la sonde d’intubation ne permet pas d’évaluer directement la perméabilité des voies aériennes supérieures (VAS), et il est en pratique difficile de prévoir la survenue de l’œdème laryngé. Afin d’évaluer objectivement la perméabilité des VAS et de dépister les patients susceptibles de développer une dyspnée laryngée après l’extubation, Miller et coll. ont préconisé la réalisation d’un test de fuite qui consiste à dégonfler le ballonnet de la sonde d’intubation après aspirations trachéobronchique et buccale soigneuses, afin d’apprécier la fuite d’air expiré autour de la sonde [39]. Dans un premier temps, une appréciation qualitative (importante, minime ou absente) de la fuite obtenue en bouchant l’extrémité de la sonde d’intubation après avoir dégonflé le ballonnet a été préconisée par les auteurs qui ont transposé cette méthode des pratiques pédiatriques [41, 42]. Plusieurs années après, Miller et Cole ont décrit une méthode quantitative qui consiste à mesurer la fuite autour de la sonde après déflation du ballonnet [39]. Une première mesure du VT inspiré est réalisée ballonnet gonflé, puis celui-ci est dégonflé et la mesure du VT expiré est obtenue en moyennant six cycles consécutifs. La différence entre le VT inspiré ballonnet gonflé et le VT expiré ballonnet dégonflé représente le volume de fuite. En construisant des courbes ROC, Miller et al. retiennent une valeur de fuite inférieure à 110 ml pour considérer que le test de fuite est positif. Une autre manière de quantifier la fuite est de l’exprimer en valeur relative, ce qui permet de s’affranchir de la valeur initiale du VT. Sandhu et al. proposent de Questions pour un champion en réanimation iii 679 considérer la différence entre VT expiré ballonnet gonflé et VT expiré ballonnet dégonflé pour calculer une valeur de fuite en pourcentage [(VT expiré gonflé - VT expiré dégonflé) / VT expiré gonflé)] [40]. La valeur seuil permettant alors de prédire la réintubation est de 11,7 %. Dans tous les cas, une fuite faible ou absente fera suspecter la survenue d’une obstruction des VAS qui doit inciter le clinicien à envisager un traitement préventif et/ou à initier le plus précocement possible un traitement spécifique après l’extubation. Chez l’adulte, il n’existe cependant pas d’argument justifiant l’administration d’une corticothérapie pour prévenir l’œdème laryngé [11]. 4.3. ECHECS DE L’EXTUBATION : PLACE DE LA VENTILATION NON INVASIVE En cas d’échec de l’extubation et a fortiori en cas d’échec du sevrage de la ventilation, la question qui se pose en priorité est celle de la nécessité de recourir à l’instrumentation des voies aériennes. Jusqu’à récemment, la nécessité de réinstituer un support ventilatoire après échec de l’extubation était synonyme de réintubation parfois suivie de trachéotomie. Plusieurs équipes ont récemment proposé d’utiliser la ventilation non invasive (VNI) dans certaines situations d’insuffisance respiratoire aiguë afin d’éviter le recours à la réintubation [43-47]. Meduri et al. ont été les premiers à suggérer l’intérêt de la VNI en cas de détresse respiratoire post-extubation [44, 48]. Depuis, des résultats discordants obtenus en utilisation la VNI dans des modalités non comparables et sur des populations différentes, ne permettent pas d’apporter de conclusion formelle. Plusieurs études randomisées ont étudié spécifiquement l’intérêt de l’application de la VNI en cas de détresse respiratoire post-extubation. Carlucci et al. ont rapporté l’efficacité de la VNI administrée au moins 6 heures par jour dans une population à haut risque d’échec de l’extubation. Dans cette étude, la VNI permettait de réduire le taux de réintubation (25 vs 6 %), la durée de séjour (33 vs 21 j) et la mortalité (18 vs 0 %) dans le groupe VNI comparé au groupe traitement standard. Dans les suites opératoires de chirurgie pulmonaire, Auriant et al. retrouvent une réduction significative du taux de réintubation (17 vs 48 %) et de la mortalité (9 vs 35 %) chez les patients traités par VNI [49]. En revanche, Keenan et al. rapportaient des taux de réintubation comparables entre les patients traités par VNI ou traitement standard (72 vs 69 %) dans une population de réanimation polyvalente [50]. Plus récemment, dans une large étude multicentrique, Esteban et al. ne retrouvent aucun avantage à l’utilisation systématique de la VNI au décours de l’extubation [51]. Sur une population de 93 patients présentant une IRA post-extubation, Jiang et al. retrouvent un taux de réintubation plus élevé dans le groupe VNI que dans le groupe traitement conventionnel (28 % versus 15 %) [45]. Récemment, Ferrer et al. ont inclus 43 patients dans une étude contrôlée randomisée testant l’efficacité de la VNI utilisée comme stratégie de sevrage [46]. Après un échec à l’épreuve de ventilation spontanée sur pièce en T trois jours de suite, les patients étaient randomisés pour former un groupe de patients extubés et traités systématiquement par VNI dans les suites immédiates de l’extubation. L’autre groupe était sevré et extubé de façon conventionnelle après succès de l’épreuve de VS. De façon intéressante, le groupe pris en charge par VNI présentait une réduction significative de la durée de ventilation invasive (9,5 ± 8,3 vs 20,1 ± 13,1 j), de la durée de séjour en réanimation (14,1 ± 9,2 vs 25,0 ± 12,5 j), de la mortalité (19,9 vs 13,6 %) et de l’incidence des infections nosocomiales (5,2 % vs 13,6 %, P < 0,05). Au total, ces différentes études suggèrent que la VNI pourrait être efficace en cas d’insuffisance respiratoire aiguë post-extubation chez un groupe de patients sélectionnés. D’autres études sont cependant nécessaires pour établir les indications préférentielles de la VNI dans ce domaine. Il est également important de souligner que comme dans le cadre des IRA hypoxémiques, l’utilisation de iv 680 MAPAR 2005 la VNI ne doit pas retarder une intubation inévitable chez un patient en détresse respiratoire aiguë, susceptible de présenter un arrêt cardiaque consécutif à une hypoxémie dont la gravité aurait été sous-évaluée. CONCLUSION Au cours des dernières années, la prise de conscience des complications liées à la ventilation mécanique avec intubation endo-trachéale a clairement conduit les cliniciens à s’interroger sur leurs pratiques. Au delà de l’utilisation croissante de la ventilation non-invasive, la tendance est de réévaluer les objectifs en terme de sédation afin de favoriser le plus rapidement possible la ventilation spontanée. L’instauration de protocoles de sevrage basés sur la recherche systématique des candidats à l’extubation a fait diminuer la durée de la ventilation mécanique injustifiée. Les causes d’échec d’extubation sont maintenant distinguées des causes d’échec de l’épreuve de VS en pièce en T. En cas d’échec d’extubation, le recours à la réintubation est associé à une augmentation de la durée de ventilation mécanique, de la durée de séjour hospitalier ainsi qu’une augmentation de la mortalité. Pour ces raisons, il importe de réduire au maximum les facteurs susceptibles de favoriser l’échec de l’extubation. Parallèlement à la poursuite de la réflexion sur la sédation et les facteurs susceptibles d’entraîner des complications neurologiques compromettant l’extubation, il est important de pouvoir mieux identifier les patients à risque d’échec d’extubation afin d’optimiser la prise en charge et de permettre de réduire encore la morbidité et la mortalité associées à l’assistance respiratoire invasive. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Esteban A, Alia I, Ibanez J, et al. Modes of mechanical ventilation and weaning. A national survey of Spanish hospitals. The Spanish Lung Failure Collaborative Group. Chest. 1994;106:1188-93 [2] Brochard L, Rauss A, Benito S, et al. Comparison of three methods of gradual withdrawal from ventilatory support during weaning from mechanical ventilation. Am J Respir Crit Care Med. 1994;150:896-903 [3] Putensen C, Hering R, Wrigge H. 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