Face à la souffrance et à la détresse existentielle en fin de vie

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Face à la souffrance et à la détresse existentielle en fin de vie
Quelle relation tisser avec un patient face à une détresse existencielle ? Quelles limites fixer à
l'autonomie du sujet dans un contexte de vulnérabilité extrême ?
Par : Martine Ruszniewski , Psychologue clinicienne, Institut Curie, Paris, membre du groupe
de recherche « Décisions et responsabilités en fin de vie », Espace éthique région Ile-deFrance | Publié le : 28 Octobre 2014
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L’angoisse de sa finitude
Les patients ont avant tout peur de l’abandon : « ne me laissez pas seul face à la maladie, face
à la mort… » Tout patient passe par ces moments de perte de repère, de sentiment
d’abandon qui envahit tout le psychisme et toute l’existence. Une solitude originelle de l’être
humain face à l’angoisse de sa finitude. Or, les lois et les recommandations qui entourent
notre pratique clinique posent comme principe l’autonomie de l’individu.
C’est une bonne chose évidemment : par définition l’être humain, malade ou pas, est
autonome et digne. Mais face à la détresse existentielle les soignants doivent inventer un
étayage, un soutien, un accueil quasi maternel de cette souffrance du patient.
Et de fait, on ne peut pas répondre à cette détresse en opposant au patient l’autonomie du
sujet.
Deux cas cliniques
Josépha : « J’ai le droit d’entendre ce que je veux »
Une histoire qui survient en groupe de parole.
Josépha va très mal. Au début de sa maladie, elle a parlé de la possibilité de la mort. Elle a
semblé très consciente de ce qui lui arrivait. Ainsi elle a suivi et subi les chimiothérapies, elle
a posé les questions qu’il fallait, elle a aussi vécu les échecs, les derniers essais, les
complications. Elle aurait bien montré qu’elle comprenait. Aujourd’hui Josépha est à la fin de
sa vie et entame au moins mal cette dernière étape de la maladie mais elle ne veut pas
l’admettre.
1er épisode Josépha fait une occlusion. Un chirurgien vient la voir dans sa chambre. Le
chirurgien ne peut rien faire. Il lui dit que dans son état, il ne peut plus intervenir. Josépha
répond : « Il faut lever cette occlusion, il me faut de la chimio. » Premier accroc dans une
relation équipe soignante malade qui semblait cheminer sereinement.
2ème épisode plus habituel à ce moment de la prise en charge : une infirmière raconte que
peu de temps après cette consultation Josépha lui a demandé : « Est-ce que je vais mourir ? »
La soignante se souvient avoir été démunie, surprise et déstabilisée et n’a su que répondre.
La question posée au groupe est : « où en est Josépha dans la compréhension de son état ? »
Alors, au fil des associations, un infirmier rapporte cette discussion : Josépha parle avec son
père avec angoisse du futur de sa famille. Elle dit que son mari va refaire sa vie, qu’elle n’est
pas contre, mais c’est insupportable pour elle l’idée qu’une autre femme puisse s’occuper de
ses enfants. Le père ne la contredit pas mais ajoute de façon compassionnelle mais aussi
violente : qu’aucune femme ne la remplacera dans son rôle de mère.
Autre association : une infirmière se souvient d’une scène : Une discussion a lieu dans la
chambre entre le médecin référent, Josépha et son mari. Le médecin redit qu’il n’est plus
possible d’envisager une chimiothérapie. Le médecin sort. Josépha dit à son mari : « Il y aura
peut-être de la chimio. Le mari répond que ce n’est pas ce qu’a dit le médecin. Josépha
rétorque : ‘’Tu m’énerves !’’ Le mari poursuit : » » On n’a pas entendu la même chose » ».
Josépha conclut par : ‘’J’ai le droit d’entendre ce que je veux’’. »
L’attitude et les remarques de Josépha compliquent le travail médical et relationnel des
soignants. Les soignants se retrouvent sans points de repère comme si cette ambivalence,
cette incertitude, cette ambigüité n’étaient pas habituelles tout au long de l’évolution de la
maladie grave.
Commentaires pour aider les soignants face à la détresse des patients et leurs proches
1 - Face à ces situations, nécessité de partager en groupe de parole.
2 - La vérité du patient avance avec plusieurs interlocuteurs.
3 - Adapter son attitude et son écoute en fonction de la parole du patient.
4 - Se déprendre d’un cheminement idéal sans accro, sans ambivalence, sans ambigüité,
sans déni.
5 - Tenter de passer de l’informe du discours à la mise en forme par l’intermédiaire d’une
parole en groupe.
6 - Ne pas chercher à figer la parole, le droit à une écoute souple, qui accueille les évolutions,
les révolutions parfois, de la parole du patient.
7 - Comment aussi tenir compte et entendre ce droit très particulier invoqué par Josépha : le
droit d’entendre ce que je veux ? Est-ce un droit que de vouloir entendre ce qu’on veut ?
8 - Inventer un mi dire, une parole qui invente une oscillation entre la réalité objective de la
maladie et la vérité du sujet patient. Un dire qui doit s’inventer pour mieux dire la maladie.
C’est faire un pas de côté pour ne pas affronter l’impossible à dire.
Juliette : « Dites moi franchement si je vais mourir »
Juliette est une jeune femme de 28 ans en phase terminale après trois ans de combat contre
la maladie dans un déni plutôt protecteur lui permettant de rester dans la vie, de mener ses
projets.
Une nuit elle a crié de douleur, appelé, le médecin de garde augmente très fortement les
doses de morphine, Juliette sombre dans un état semi-comateux. Le père arrive au petit
matin, voyant sa fille dans cet état – elle ne réagit pas –, il hurle et traite les soignants
d’assassins : « C'est inadmissible de laisser Juliette dans cet état, elle ne parle plus, il faut que
tout ça s'arrête… » Le père est en train de devenir fou. Pour lui il fallait aller au bout pendant
la nuit et ne pas laisser sa fille dans cet état.
En fin de matinée l’interne qui la suit depuis longtemps rentre dans la chambre, le père
toujours présent. Juliette commence à se réveiller. L’interne bredouille : « Bonjour, j’ai appris
que vous aviez eu très mal cette nuit… »
Le père à côté, silencieux, l’interne est mal à l'aise du fait de cette présence. Il a peur de ses
réactions, il a peur de lui et ne sait pas quoi dire,
Juliette regarde l’interne et demande : « Dites moi franchement si je vais mourir. »
L’interne répond : « Je dois reconnaître que je ne vous ai jamais vu aussi mal », et il ajoute : «
Dites-moi si vous avez peur de quelque chose, si quelque chose vous fait peur. »
Juliette répond : « Oui j’ai peur de ne plus pouvoir parler. »
L’interne la regarde. Juliette regarde son père qui fond en larmes. Juliette enlace son père.
L’interne s'en va.
Juliette est morte 5 jours après. Elle a convié à son chevet, sur sa demande, tous les gens
qu’elle aimait pour organiser ses adieux, en retrouvant l’usage de la parole.
Commentaires et hypothèses cliniques
1 - N’y aurait-il pas eu confusion assez habituelle entre douleur et souffrance ?
2 - Son cri n’était-il pas l’expression d’une angoisse majeure ?
3 - Son cri serait un appel à l’autre, un cri de détresse nécessitant dans un premier temps un
soulagement, par des antalgiques.
4 - Angoisse de mort dans laquelle elle a été prise et qui a pu être mise en mots grâce au lien
transférentiel lié à l’interne et qui lui a permis de retrouver l’usage des mots, de retrouver le
sens de sa vie
5 - Elle peut alors ouvrir un autre temps, un temps encore à vivre, qui est non pas la peur de
la mort mais la peur de ne plus être dans la vie, dans le lien, à savoir la peur de ne plus
pouvoir parler.
6 - Face à la détresse de cette jeune femme, il faut noter l’engagement de ce jeune interne
comme sujet : « Je dois reconnaître que je ne vous ai jamais vu aussi mal… » ; « Dites-moi si
vous avez peur de quelque chose, si quelque chose vous fait peur… »
En s’engageant comme sujet, le médecin ou le soignant, réinstaure le patient dans sa
subjectivité. Alors le patient n’est plus seulement un objet malade, il est aussi un sujet soigné.
Un sujet c’est-à-dire des désirs, une histoire, un temps qui reste qui est un temps à vivre
malgré tout : sa brièveté, la perte d’autonomie, les douleurs plus ou moins contrôlées, encore
un temps pour parler.
C’est très dur pour les soignants
Faire le grand écart entre leur savoir et leur subjectivité, dans un contexte de contraintes :
- économique : plus le temps ;
- légale ou morale : obligation d’information.
Position du médecin, du soignant, face à la souffrance et à la détresse existentielle du patient.
Le médecin, le soignant, est tiraillé, écartelé entre deux logiques : savoir le réel de la
maladie, prendre en charge la détresse et aider un sujet en souffrance
Comment trouver les mots face à de telles paroles de vérité ?
On ne sait pas toujours d’où ils sortent… Accepter que « ça » ne sort pas, on ne « prescritpas
»
l’aide relationnelle. Fréquenter les groupes de paroles ou les groupes Balint pour explorer les
effets de son engagement comme sujet soignant.
Le patient face à cette détresse existentielle est vulnérable : quelle relation
tisser avec lui ?
C’est pour du fait de la détresse existentielle que pendant bien longtemps la relation
paternaliste était de mise dans la relation médecin/malade. Mais cette vulnérabilité indéniable,
a entrainé une relation médecin/malade identique pour tous les malades, c’est le médecin qui
décidait pour le malade, sans tenter de sonder si le malade ne restait pas seul avec ce savoir
non dit mais su, même de façon ambivalente. Mais impossible pour lui d’échanger puisque le
mensonge était la règle. Voire même le non-dit était la règle. C’est aussi le médecin qui
décidait du moment de prescrire la pose du cocktail lithique.
Alors est apparue une autre forme de relation dite d’autonomie, où le savoir médical devait
être partagé, la décision également. Le malade doit donner son consentement, il doit être bien
informé, il lui est proposé de rédiger ses directives anticipées, il lui est proposé de désigner
une personne de confiance. C’est lui qui doit, d’une certaine façon dire et savoir dorénavant
ce qui est bon pour lui, ce qu’il désire. Dès lors il peut dire ne plus vouloir de traitements et le
jour suivant dire l’inverse.
Mais, pour poursuivre cette dialectique, sans revenir en arrière, il faut avant tout, au plus près
de notre clinique, avoir l’honnêteté d’admettre que la vulnérabilité est toujours de mise chez le
malade et ses proches, que cette vulnérabilité entrave l’autonomie du malade. Et donc il
convient de toujours replacer au centre de nos réflexions et de notre écoute la vulnérabilité
face à la détresse : vulnérabilité face à cet intrus « maladie » que le malade ne peut contrôler.
Vulnérabilité qui entraîne une ambivalence chez le malade, qui veut savoir et ne rien savoir,
qui veut décider et qui ne sait quoi décider, qui souhaite arrêter tout traitement et poursuivre
coûte que coûte.
En fait le patient veut être autonome et pas autonome, il veut décider de ce qui est bon pour
lui, dire ses désirs, sentir qu’ils sont entendus, mais, dans l’immense majorité des cas, le
patient ne veut pas et ne peut pas être autonome face à la mort.
Qu’est-ce qu’une autonomie face à la mort ? Sur un plan psychique et clinique qu’est-ce que
ça veut dire ? Une autonomie face à ce qui n’a pas de sens ?
Pour rester autonome le patient a besoin d’un entourage constant. Pour rester autonome le
patient a besoin qu’on ne le confronte pas violement aux ambivalences de son vécu C’est
donc une autonomie accompagnée qui doit aider le patient à rester sujet, oserais-je dire une
relation « suffisamment bonne ». Des moments d’étayage, une relation « enveloppante »
quand la détresse se traduit par une souffrance intenable. Oserait-on même dans certains
cas, parler de besoins de relations de type « maternalistes » ?
Au fond ce que le malade espère avant tout – au-delà du partage de la vérité – c’est d’être
entendu, soutenu, accompagné et jamais abandonné. Une relation « suffisamment contenante
» qui consiste par exemple pour le médecin, à énoncer une partie de son savoir à son
patient, en se souciant avant tout de ce que ce dernier pourra faire de ce savoir « encombrant
».
Le passage de la loi à la clinique
La loi – les lois – ne doivent pas infléchir cette écoute, cet accueil d’une souffrance
primordiale, face à la maladie qui s’aggrave, Peut se poser la question de savoir si les outils
conceptuels définis par la loi aident à prendre en charge cette douleur existentielle.
Le risque pourrait être de banaliser ce que les soignants disent : à savoir les mots encadrés
par la loi mais qui ne seraient pas les bons mots, les bons gestes, pour ce patient là, pour ce
proche là, à ce moment là. Autrement dit, de sortir de l’impasse de la confrontation à la
souffrance existentielle par un prêt à dire, à agir.
Le risque serait d’aller trop vite dans la compréhension univoque de ce qui est un signe, un
symptôme, de se précipiter dans un geste ou une parole. Alors le temps psychique, pourrait
être raccourci, pris de vitesse. Ce serait un temps « d’entre deux morts », une mort « psychique
» avant la mort « physique »
Si l’oreille est formatée par la loi ou toute forme d’idéologie face au malade et ses proches,
une forme de surdité risque d’empêcher l’écoute. La loi si elle est essentielle, ne doit pas se
transformer en savoir ou en automatismes de pensée ni en habitudes cliniques toutes tracées.
Notre question, au fond très complexe, est le passage de la loi à la clinique. La loi, la belle
autonomie qu’elle affirme pour chaque citoyen malade, ne doit pas nous conduire à
abandonner le sujet patient toujours par définition seul face à la mort.
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