NIETZSCHE Philosophe du Soupçon

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NIETZSCHE
Philosophe du Soupçon
NIETZSCHE a vécu au XIXème siècle (1844 -1900).
NIETZSCHE n’a pas eu de formation philosophique universitaire. C’est un
PHILOLOGUE et cependant NIETZSCHE est un des plus grands philosophes du
XXème siècle.
Il voulait devenir musicien, il va vibrer au son de la musique et des chœurs de la
TRAGEDIE grecque, TRAGEDIE qui représente pour lui l’APOGEE de la Culture
grecque. Pour NIETZSCHE l’aube de la PHILOSOPHIE se confond avec la
TRAGEDIE : c’est l’âge d’ESCHYLE et des pré platoniciens, HERACLITE et
PARMENIDE. Ce sera en substance la matière de son premier ouvrage «La
NAISSANCE de la TRAGEDIE » parue en 1872. Les forces lyriques sont incarnées
par le dieu DIONYSOS. SOCRATE, au nom du savoir et de la logique étouffe ces
forces, c’est un démon logique et destructeur.
NIETZSCHE condamne aussi PLATON, le disciple, qui pour fuir le REEL que
SOCRATE lui avait rendu odieux, va inventer la THEORIE des IDEES (le VRAI, le
BEAU, le BIEN), drame philosophique avec les IDEES en guise de personnages.
Comme PLATON est cependant DRAMATURGE, à travers ses DIALOGUES, et
même le plus grand prosateur grec, NIETZSCHE lui reconnaît une dimension
ARTISTIQUE et ne le condamne que partiellement.
En effet, PLATON est accusé de lâcheté devant le REEL, de HAINE du corps, de
CHRISTIANISME aggravé. (N’oublions pas que le ROYAUME de DIEU n’est pas
de ce monde).
RESUMONS
1 - la philosophie est née en GRECE sur le cadavre de la TRAGEDIE (SOCRATE –
PLATON).
2 - le geste philosophique majeur de NIETZSCHE est donc le « RENVERSEMENT
du PLATONISME ».
C’est la lecture de HEIDEGGER et de DELEUZE.
Nous avons le couple SOCRATE, démon cynique, PLATON, serviteur
schizophrène. Mais comme SOCRATE n’a pas laissé d’écrits, ne serait-ce pas lui
qui serait platonicien ? Enfin ne dit-on pas que PLATON a tué le père, en
l’occurrence PARMENIDE, ce qui en clair veut dire qu’il réhabilite en partie le
REEL.
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NIETZSCHE est à la philosophie ce que PICASSO est à la peinture. Il anticipe
toutes les ruptures à venir, réalisant une gigantesque déconstruction, mais il
fera de la philosophie par excellence, faisant de celle-ci son « TEMPS VECU
DANS LA PENSEE », selon la définition de HEGEL. Ce qui veut dire avoir
« l’INTELLIGENCE DE CE QUI EST » (Luc FERRY).
Le temps est celui de la MORT de DIEU, celui du déboulonnage des IDOLES,
celui de la PHILOSOPHIE au MARTEAU, et le travail de NIETZSCHE est bien la
critique des VALEURS et des IDEAUX traditionnels de la MORALE, de la
METAPHYSIQUE classique et de la RELIGION.
NIETZSCHE se veut un HABILE entre les MODERNES, mais estime-t-il, il faut
savoir combien les ANCIENS se donnaient du mal pour apprendre à parler et
écrire, et combien les MODERNES s’épargnent une telle peine. Et de fait, il aura
fallu un siècle pour apprendre à le lire, ceci étant lié à l’absence de système
jouant le rôle de référence, ce que l’on trouve par exemple chez HEGEL.
De plus, la pensée de NIETZSCHE évolue très vite : de 1872 à 1888, en seize ans,
il va écrire quinze livres, des poèmes et des compositions musicales. Cette
évolution ne se fera pas sans rupture de continuité. Cette pensée atteint le
tissu même de la vie et se mêle à elle nous dit Giorgio COLLI, philologue et
philosophe. Le lecteur se sent scruté et peut de ce fait rejeter cette impression,
ou alors il participe ardemment. Elle laisse son empreinte dans l’esprit avant
que dans la raison.
Pour le vrai philosophe la CONNAISSANCE est CREATION, sa volonté de vérité
est VOLONTE de PUISSANCE. Il ne fuit pas la VIE au profit de l’objectivité. Il lui
faut donc du COURAGE et les deux VERTUS COROLLAIRES : SINCERITE et
PROBITE, nécessaires pour faire face au caractère effroyable de la VIE.
AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA, PAR DELA le BIEN et le MAL.
Ces deux vertus, SINCERITE et PROBITE sont indispensables pour passer du
terrain esthétique, du sentiment tragique au terrain plus philosophique de
l’esprit tragique.
Ainsi lutter pour une VERITE, donc pour la valeur objective de la connaissance,
ne rend pas meilleur et lutter pour la VERITE, faire preuve de SINCERITE permet
de se dépasser. C’est le reproche fait à SOCRATE pour qui la SINCERITE tombe
sous la coupe de la logique. De même l’HISTOIRE n’aide pas les personnes à se
libérer, à être plus sincères vis-à-vis d’elles-mêmes, ce faisant elle aggrave la
misère intérieure de l’homme moderne.
Il y a là une opposition entre le regard « grec » et le regard « protestant » dans
lequel a vécu le jeune NIEZTSCHE, dont le père était pasteur.
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SCHOPENHAUER, EDUCATEUR de NIETZSCHE
SCHOPENHAUER est le premier philosophe contemporain. Il est le
précurseur de ceux que Paul RICOEUR appellera les philosophes du soupçon :
MARX, NIETZSCHE et FREUD. En fait, c’est le premier de ces philosophes. Son
ouvrage majeur s’intitule « Le MONDE COMME VOLONTE et
REPRESENTATION » (1819) Il invente la pratique généralisée du soupçon, ce
que NIETZSCHE appellera la GENEALOGIE, à savoir l’idée que derrière les
phénomènes conscients, il y a le dessous de l’ICEBERG, les SOUTERRAINS (de
DOSTOÏEWSKI), l’INCONSCIENT. La GENEALOGIE est l’attitude ultra critique de
tout ce qui est conscience claire du monde de la représentation (§289 de PAR
DELA le BIEN et le MAL). Parallèlement, la VOLONTE (WILLE) est le règne des
forces aveugles inconscientes.
SCHOPENHAUER passe pour le philosophe du pessimisme ; il est
effectivement pessimiste méthodologiquement sur le plan philosophique, mais
il ne l’est pas sur le plan du vécu psychologique. En fait, il prépare un nouvel
optimisme, un accès solide au bonheur, à une SAGESSE désillusionnée, suivant
l’héritage du BOUDDHISME qu’il a découvert et le passionne. Il a d’ailleurs écrit
un ART du BONHEUR. Il parle d’EUDEMONIE, de l’ART d’apprendre à vivre.
Ce BONHEUR se confine à l’ATARAXIE, c’est-à-dire l’absence de souffrance, la
sérénité. Sur le plan de la RAISON, SCHOPENHAUER déconstruit l’IDEE de
CAUSALITE, comme le fait HUME. Selon celui-ci, toute explication causale fait
intervenir un raisonnement par INDUCTION et a valeur de CROYANCE.
KANT dit la même chose dans la troisième antinomie de la CRITIQUE de
la RAISON PURE : le principe de causalité fait remonter à un état antérieur : la
causalité est donc par définition une REGRESSION à l’INFINI. Toute
représentation repose sur du vent, elle est sans fondement (GRUNDLOS), un
souterrain renvoie à un autre souterrain, le tout reposant sur l’océan du
VOULOIR (SCHOPENHAUER). Toute explication scientifique est un bouchon
flottant sur cet OCEAN.
Le principe de RAISON s’enracine dans l’absence totale de RAISON. C’est
l’ABSURDE, le TRAGIQUE au CŒUR du MONDE. Ce n’est pas seulement un
raisonnement imparfait comme l’induction qui est visé comme chez HUME,
mais la RAISON elle-même et ce par KANT lui-même suivi par SCHOPENHAUER
puis par NIETZSCHE. On sait qu’à cette absence de CAUSE PREMIERE, LEIBNIZ
posera DIEU comme tel. Mais alors de deux choses l’une : ou DIEU est sans
cause, c’est l’IRRATIONNEL, ou DIEU est cause de soi (SPINOZA), ce qui est
absurde : cf le Baron de MÜNCHHAUSEN qui se tire par les cheveux pour sortir
du marais où il patauge avec son cheval.
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Cette absurdité du monde, provoquant l’étonnement philosophique de
SCHOPENHAUER sera reprise par HEIDEGGER dans son analyse de l’ANGOISSE.
Ce sera la NAUSEE de SARTRE.
TROIS CLES de LECTURE de NIETZSCHE
1 – NIETZSCHE HERITIER des LUMIERES
Il radicalise la critique de la RELIGION et de la METAPHYSIQUE inaugurée au
XVIIIème siècle par VOLTAIRE. Il se reconnaît comme continuateur des
LUMIERES dans la préface d’AURORE (1881). Il leur reproche cependant de ne
pas aller assez loin dans la cassure des IDOLES que sont les illusions de la
RELIGION et de la METAPHYSIQUE, soit disant idéaux supérieurs qui ne servent
qu’à plonger l’humanité dans le NIHILISME, concept central chez NIETZSCHE.
Mais les LUMIERES n’ont pas été assez DECONSTRUCTRICES, elles n’ont pas
pratiqué suffisamment la « PHILOSOPHIE AU MARTEAU ». Elles ont même créé
de nouvelles idoles : le PROGRES, le SCIENTISME, la DEMOCRATIE, les DROITS
de l’HOMME. Donc NIETZSCHE radicalise l’esprit critique des LUMIERES.
2 – Seconde INTERPRETATION (DELEUZE)
NIETZSCHE va plus loin que la critique des Lumières : il déconstruit
l’HUMANISME, la MODERNITE. Ainsi FOUCAULT voit en NIETZSCHE le principal
philosophe de la MORT de DIEU mais aussi le philosophe de la MORT de
l’HOMME, tenant les DROITS de l’HOMME et le PROGRES pour IDOLES à
détruire.
3 – Lecture de HEIDEGGER. La plus profonde
NIETZSCHE serait le penseur de la TECHNIQUE de la RAISON INSTRUMENTALE :
la VOLONTE de PUISSANCE ne veut rien de précis, ni bonheur, ni liberté :
- la volonté du capitalisme ne vise que son propre accroissement
- la force pour la force
- l’intensité pour l’intensité
- la maîtrise pour la maîtrise.
La LOGIQUE est dé finalisée (sans OBJECTIFS) elle est RAISON INSTRUMENTALE.
Nous avons donc chez NIETZSCHE les concepts de NIHILISME, de VOLONTE de
PUISSANCE, de RAISON INSTRUMENTALE, de MONDE de la TECHNIQUE.
L’écriture est apparemment facile car elle est poétique, elle est économe en
jargon mais terriblement cryptée.
Mais voyons d’abord la notion d’INSTINCT (ou TRIEB), la philosophie de
NIETZSCHE étant une philosophie de l’INSTINCT.
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HISTORIQUE de l’INSTINCT NIETZSCHEEN
NIETZSCHE utilise deux mots : TRIEB et INSTINCT.
Le TRIEB est une irruption dynamique.
L’INSTINCT est une force calme, continue.
Le TRIEB est lié au STURM und DRANG (en français Tempête et Passion/Elan) et
le noyau de la notion est issu du PREROMANTISME allemand. Il est le MOTEUR
qui agit en la réalité humaine et qui s’investit en discours poétique. Il est donc
lié à l’ESTHETIQUE.
NIETZSCHE, dans sa leçon inaugurale à BÂLE, sur HOMERE et la PHILOLOGIE
classique (1869) va présenter celle-ci (la PHILOLOGIE) comme un ensemble
d’INSTINCTS SCIENTIFIQUES et ETHICO-ESTHETIQUES disparate donnant
l’impression d’une unité apparente.
Ces instincts sont mélangés : ainsi une activité unitaire en apparence est liée à
une foule d’instincts. Le MÊME recouvre de nombreux instincts, non fondus.
La PHILOLOGIE est ainsi présentée comme une science de la NATURE cherchant
à sonder le plus profond instinct de l’HOMME.
L’ INSTINCT de PAROLE (SPRACHINSTINKT)
TRIEB et INSTINCT sont les leviers des apparences, la PHILOLOGIE va les
actualiser sous forme de CONNAISSANCE, de SCIENCE humaine.
SCHILLER (que reprend NIETZSCHE) fonde son anthropologie (science de
l’homme) sur le SOI (SACHTRIEB), allant vers le réel, et le FORMTRIEB, allant
vers la forme.
Ils sont sources de KUNSTTRIEB (instinct de l’ART) qui est perçu comme un
langage prenant forme dans la réalité, par exemple la création artistique.
L’instinct est naturaliste, il vient de la NATURE. C’est une PUISSANCE (MACHT)
qui se matérialise soit en style APOLLINIEN, soit en style DIONYSIAQUE.
NIETZSCHE fait l’analogie entre les deux instincts SACHTRIEB et
FORMTRIEB et la dualité des sexes. Pour lui, SOCRATE qui nie l’instinct est un
MONSTRE.
Il va aussi déplorer les méfaits de l’INSTINCT de CONNAISSANCE
(ERKENNTNISTRIEB) aboutissant à la Science, de l’instinct de culture, de
l’instinct de VERITE, trop imprégnés de RAISON.
Rappelons que la définition standard de la PHILOLOGIE est l’établissement du
texte authentique, de son contenu historique et socioculturel, à propos de ce
qui a survécu d’une civilisation de l’écriture (Alain REY).
Le TRIEB de SCHILLER (Instinct)
Le WILLE (VOLONTE ) de SCHOPENHAUER
Les SOUTERRAINS de DOSTOÏEWSKI
La GENEALOGIE de NIETZSCHE
Correspondent à l’INCONSCIENT, thème central de FREUD et de LACAN.
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L’INCONSCIENT
L’homme est un être doté de conscience et cette conscience constitue une
unité. Comme nous le dit KANT « Le je pense doit pouvoir accompagner toutes
mes représentations ». Mais si KANT souligne qu’il doit pouvoir le faire, cela
implique peut-être qu’il ne le fait pas nécessairement. Il se pourrait donc que
des représentations échappent au « je pense », échappent à notre conscience.
Or, elles peuvent y échapper de diverses manières : certains souvenirs,
certaines pensées peuvent être actuellement absents de ma pensée consciente
et revenir par un effort volontaire ; mais d’autres peuvent échapper au pouvoir
et à la maîtrise de la conscience, être, à proprement parler, inconscientes.
Quelles sont alors les conséquences de l’hypothèse de l’inconscient sur la
conception de l’homme ? Que se passe-t-il alors si le « je pense » ne parvient
pas à accompagner toutes mes représentations ?
Sommaire
 SPINOZA : « Les hommes ont conscience de leurs désirs mais non des
causes qui les déterminent à désirer ».
 NIETZSCHE : « Une pensée vient quand elle veut et non quand je veux ».
 FREUD : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison ».
 ALAIN : « L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du
corps ».
SPINOZA
« Les hommes ont conscience de leurs désirs mais non des causes qui les
déterminent à désirer ».
Cette citation de SPINOZA aborde les questions de l’illusion de la conscience et
de l’illusion de la liberté. Spinoza part ici d’un constat : les hommes ont
conscience de leurs désirs. En effet nous avons conscience de désirer boire,
manger ou encore de désirer telle ou telle personne. Toutefois, il ne faut pas
confondre le désir et ses causes, à savoir ce qui fait que nous désirons telle ou
telle chose ou telle ou telle personne. Si nous avons conscience de nos désirs,
nous ne savons pas ce qui fait que nous avons tel désir particulier. Je peux avoir
entièrement conscience de désirer une personne, mais ce qui fait que je la
désire m’échappe. Je peux toujours me dire que je la désire parce que je la
trouve belle ou séduisante. Mais pourquoi est-ce que je trouve cette personne
particulièrement belle et séduisante ?
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Tel est ce qui reste mystérieux. Faire le constat selon lequel la cause de nos
désirs échappe, c’est relever que, contrairement à ce que nous pouvons croire,
nous n’avons pas pleinement conscience de ce que nous sommes et de ce qui
nous pousse à agir. Ainsi, nous tombons dans l’illusion lorsque nous pensons
que nous sommes la cause consciente de nos actes. SPINOZA nous conduit
donc ici à faire plusieurs déductions :
1 – Le libre arbitre est une illusion puisque la cause de nos actes nous échappe.
En effet, croire au libre arbitre, c’est penser que nous pouvons entièrement et
consciemment nous déterminer (On peut penser ici à une critique possible de
la liberté cartésienne).
2 – Il y a un au-delà de la conscience puisque nous n’avons pas conscience des
causes de nos désirs. S’agit-il pour autant de penser que nous ne sommes pas
libres et par conséquent pas responsables, puisque les causes nous
échappent ? SPINOZA va s’attacher à montrer que la liberté ne résulte pas d’un
libre décret de la volonté, mais bien au contraire, d’une connaissance des
causes qui nous déterminent. Pour prendre un exemple simple dans le
domaine de la nature et de l’action, les lois de la pesanteur font que sur terre
un objet plus lourd que l’air tombe. Pourtant, une connaissance de ces lois peut
nous conduire à faire voler un avion. Ceci ne consiste pas à changer les lois
existantes, ce qui est impossible, mais à les connaître pour mieux les utiliser.
Dans la même perspective, il ne s’agit pas de simplement condamner un
cleptomane pour la déviance de ses comportements, mais bien plutôt de
comprendre ce qui le pousse à agir de la sorte. Ainsi, la liberté passe par la
connaissance des causes et de la nécessité. Elle n’est pas une liberté de la
volonté qui elle est illusoire.
NIETZSCHE
« Une pensée vient quand elle veut et non quand je veux ».
Cette citation de NIETZSCHE peut d’abord tout simplement relever d’un constat
de l’expérience : il arrive que des pensées nous viennent à l’esprit sans aucune
décision de notre part ; de même, d’ailleurs, elles peuvent nous échapper alors
que nous voudrions nous en souvenir. Nous ne savons pas comment elles
viennent et pourquoi elles viennent. Elles peuvent ainsi être provoquées par
des évènements extérieurs ou encore surgir à la suite d’une association
d’idées… Ces constats peuvent nous conduire à penser que ce n’est pas par une
décision de notre volonté que nos pensées nous viennent.
NIETZSCHE s’oppose ici radicalement à DESCARTES qui, en disant « je pense
donc je suis », affirme que l’acte de penser est une opération d’un sujet (« Je »)
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qui pense. Or, nous pensons et réfléchissons toujours dans un milieu donné,
dans un contexte déterminé, dans une époque précise. Nous pensons toujours
dans le cadre d’une pensée déjà construite et élaborée par ce que nous
entendons, par les discours qui nous entourent. Il est donc peut-être
totalement illusoire d’affirmer que le « Je » est l’auteur de nos paroles et de
nos volontés. Le langage que nous utilisons nous fait penser que le « Je » est
sujet : quand nous disons « je pense » nous faisons du « Je » la source de nos
pensées ; mais justement, cela ne fait que montrer que c’est le langage, cadre
dans lequel nous pensons, qui est la source de notre illusion. En d’autres
termes, la conscience n’est que la surface d’une vie plus profonde qui échappe
à notre volonté. On ne devrait pas dire « Je pense », mais « Quelque chose
pense en nous ».
C’est pourquoi NIETZSCHE, comme MARX et FREUD, sera qualifié par l’histoire
de la philosophie de philosophe du soupçon.
Soupçonner, c’est ici se méfier des apparences véhiculées par un discours.
Cette critique opérée par NIETZSCHE de l’illusion du Moi et de la conscience a
aussi des conséquences morales. En effet, l’affirmation de l’existence de la
conscience morale consiste à dire que notre conscience est susceptible de saisir
immédiatement ce qui est bien et ce qui est mal. Mais c’est ignorer alors que la
conscience n’est que la surface des choses, qu’elle masque nos instincts, nos
penchants, nos habitudes, nos expériences… et c’est pourquoi NIETZSCHE dans
le Gai Savoir dit : « Nul n’est plus que soi-même étranger à soi-même ». Le
soupçon est alors jeté sur l’idée d’une toute puissance du moi qui n’est
finalement qu’une fiction du langage.
FREUD
« Le moi n’est pas maître dans sa propre maison »
FREUD donne ici au moi la place qui est la sienne. Nous l’avons vu, toute une
tradition s’est attachée à faire du moi, de la conscience, la source de nos
pensées et de nos actes. En tant que tel, le moi était alors considéré comme ce
qui régnait en maître en notre esprit. C’est cette illusion que FREUD va ici
dénoncer et présenter comme la troisième blessure narcissique de l’humanité.
- La première blessure est la découverte de l’héliocentrisme : la terre et en
conséquence l’homme n’est plus au centre de l’univers.
- La deuxième apparaît avec la théorie des espèces de DARWIN : l’homme
s’inscrit dans une évolution parmi d’autres êtres vivants.
- La troisième est la découverte de la psychanalyse conduisant à
déposséder le moi de son illusion de maîtrise : la vie de l’esprit ne se
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réduit pas aux moments où nous pouvons être conscients de quelque
chose ou de nous-mêmes. Il existe un certain nombre de pulsions, de
tendances, de désirs ou de représentations qui sont refoulés et censurés,
qui ne parviennent pas jusqu’à la conscience, en raison de la douleur ou
de la déconvenue qu’ils provoqueraient s’ils étaient conscients.
Cela viendrait heurter les interdits sociaux, religieux, familiaux, etc…D’où
l’existence d’une force qui va opérer une censure. Tout ce qui aura été
censuré restera inconscient et se manifestera sous forme de rêves,
d’actes manqués, de lapsus et de névroses.
FREUD s’attache ici à montrer l’illusion dans laquelle se trouve celui qui
croit que le psychisme se réduit au conscient et qui refuse l’hypothèse
d’un inconscient psychique. Le terme d’inconscient n’est pas alors
réservé à ce qui n’est pas actuellement conscient, mais à ce qui ne peut
en aucun cas devenir conscient de soi-même. Ce renvoi vers un autre
que la conscience n’est pas alors sans poser de problème. Affirmer
l’inconscient, c’est admettre que le sujet ne maîtrise ni ses goûts, ni son
comportement, ni ses pensées, ni ses paroles.
Comment alors dans ces conditions, parler de liberté, de responsabilité
et de morale ?
ALAIN
« L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps »
C’est en outre pour les raisons évoquées plus haut qu’Alain va opérer une
critique de l’idée d’inconscient psychique. L’hypothèse de l’inconscient conduit
à supposer qu’un autre Moi que je ne connais pas, ou que je connais mal, agit
en moi, et à affirmer une influence démesurée du corps, en accordant une
place prépondérante aux pulsions que FREUD détermine comme étant
d’origine biologique.
Alain récuse ainsi l’approche de la psychanalyse qui consiste à détruire la
notion de volonté pour y substituer quelque chose d’étranger à l’esprit. C’est
avant tout cette duplicité du Moi qu’il s’agit de refuser, cette idée selon
laquelle l’inconscient serait un autre Moi enfoui, caché et qui me
déterminerait. Dans l’esprit d’Alain, il ne s’agit pas de contester la réalité de
l’inconscient : il y a de l’impensé en l’homme, mais cet inconscient n’a pas de
réalité en soi.
L’inconscient est un terme technique qui désigne un simple mécanisme du
corps et non un mécanisme fondamental de l’esprit ; il n’a rien à voir avec un
autre Moi qui chercherait à me corrompre et à me faire agir contre mon gré.
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Alain ne prétend pas ici que l’homme est entièrement transparent à lui-même,
mais il lui semble qu’affirmer l’existence de l’inconscient, c’est refuser sa place
à la volonté.
Contrairement à NIETZSCHE, ALAIN affirme : « Je veux ce que je pense ».
Faire l’hypothèse de l’inconscient, c’est nier le primat et la force de la volonté.
Une telle attitude revient alors à excuser chacun en faisant appel aux pulsions,
c’est-à-dire au corps, ou au passé, à l’histoire individuelle.
ALAIN ne voit donc dans l’inconscient qu’une soumission aveugle à des idoles.
Or, si l’hypothèse de l’inconscient reconnaît que la toute-puissance du Moi et
de la volonté n’est qu’une illusion, elle ne conduit pas nécessairement à
excuser tout comportement, toute attitude, à nier la liberté et la responsabilité
de chacun. Alain s’efforce ici de sauver la volonté et l’autonomie du sujet, mais
n’est-ce pas déjà tout simplement nier toutes les situations nombreuses où
nous ne pensons ni ce que nous voulons, ni ce que nous croyons vouloir ? En
outre, l’hypothèse de l’inconscient ne conduit peut-être pas nécessairement à
nier toute liberté et toute responsabilité.
FREUD, dans « Une difficulté de la psychanalyse », nous dit ainsi : « Entre en
toi-même, apprends à te connaître, alors tu comprendras pourquoi tu dois
devenir malade, et tu éviteras peut-être de le devenir ».
La reconnaissance de l’existence de l’inconscient est alors peut-être le premier
pas vers une libération.
LACAN
Pour LACAN, l’ÊTRE HUMAIN se caractérise par la parole. C’est un
PARLÊTRE. Le langage est un monde symbolique qui a ses lois et sa syntaxe : ce
sont ces lois qui structurent l’INCONSCIENT HUMAIN. C’est ainsi que les lapsus,
les jeux de mots sont révélateurs de l’inconscient, selon FREUD, et LACAN
prône un retour à FREUD, trahi selon lui par la psychanalyse américaine
marquée par la psychologie de l’EGO.
LACAN a un style dérangeant, il le veut conforme à la langue de
l’INCONSCIENT. Dans la formation du RÊVE, il va retrouver les mécanismes du
langage, par exemple la CONDENSATION et le DEPLACEMENT.
- Il compare la CONDENSATION à la METONYMIE (figure du langage) qui
substitue un terme à un autre du fait d’une proximité : par exemple boire
un verre, en fait on boit le contenu du verre, pas le verre.
- Le DEPLACEMENT est comparé à la METAPHORE
Exemple : la bouche d’un fleuve, le cœur de la forêt.
De même, toujours dans le rêve, il va distinguer le SIGNIFIANT du
SIGNIFIE : contenu manifeste du rêve, versus matériel latent du rêve.
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Cependant, le SUJET se constitue en accédant au monde symbolique, en
entrant dans le langage : il y perd une partie de sa VERITE, une partie
fondamentale. Il s’y ALIENE. LACAN parle de la FENTE du SUJET (SPALTUNG) :
c’est le S barré.
Vers 6-8 mois advient le stade du MIROIR : en se regardant dans le MIROIR,
l’enfant prend conscience de l’unité (de son corps). Il s’identifie à son image.
Progressivement, il va se nommer dans son langage, lequel échoue à lui donner
la VERITE sur lui-même. Il va donc chercher des images d’autrui auxquelles il va
pouvoir s’identifier. Il s’agit naturellement de représentations. Pour LACAN,
depuis le stade du MIROIR, le Moi (perçu dans le MIROIR) est lié
inextricablement aux représentations.
Le Moi est pour un autre et par un autre : il n’a nul besoin d’être renforcé par la
cure psychanalytique (comme le fait l’EGO-PSYCHOLOGY), mais au contraire, il
doit être DECONSTRUIT des identifications aliénantes dont il est constitué à la
manière d’un artichaut, pour que la VERITE du sujet puisse advenir, capturé
qu’il est dans les filets du désir de l’autre, réalisant la phrase de FREUD :
Où ça était, Je dois advenir.
On retrouve le schéma de SCHOPENHAUER du MONDE comme VOLONTE et
REPRESENTATIONS, la VOLONTE étant pour partie ce qui émerge au moment
du MIROIR : en fait apparition de l’ÊTRE, de nature pulsionnelle (INSTINCT)
alors que les REPRESENTATIONS liées au langage sont des IDOLES au sens de
NIETZSCHE, qu’il faut donc déconstruire.
Sur ce point, il faut citer Otto RANK, comme médiateur entre NIETZSCHE
et FREUD, voyant en NIETZSCHE une psychologie de la volonté, utilisant les
facteurs instinctifs élémentaires en vue d’une création VOLONTAIRE de la
PERSONNALITE, le MOI créateur étant le représentant temporel de la force
cosmique primitive.
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LEXIQUE
Analyse / Synthèse
Analyse
- Sens mathématique : étude des relations de dépendance entre diverses
grandeurs.
- Sens scientifique : décomposition d’un tout en ses éléments.
- Sens épistémologique : méthode de connaissance qui procède par
analyse au sens mathématique ou par analyse au sens scientifique.
Synthèse
- Sens usuel : réunion ou conciliation de thèses ou d’opinions diverses,
éventuellement opposées.
- Sens scientifique : reconstitution d’un tout à partir de ses éléments.
- Sens épistémologique : opération intellectuelle qui va du simple au
complexe.
KANT, dans la Critique de la raison pure, distingue les connaissances
analytiques et les connaissances synthétiques.
La connaissance analytique est une connaissance des attributs et des
propriétés d’une réalité par le seul examen de son concept.
Exemple : « un cercle est rond ».
Le jugement synthétique, à l’inverse, est une connaissance où ce qui est
dit d’une réalité suppose autre chose que l’examen de son concept, et bien
souvent une intuition empirique ou une expérience.
Exemple : « l’eau bout à 100° ».
Eponyme : qui donne son nom.
Philologie : - goût des belles lettres,
- étude d’une langue par l’analyse des textes.
STURM und DRANG
« Tempête et Passion/Elan » en français.
C’est un mouvement à la fois poétique et littéraire allemand de la seconde
moitié du XVIIIème siècle.
Il succède à la période des Lumières (Aufklärung) et en marque la
radicalisation. Il est le précurseur du romantisme.
Le nom de ce mouvement vient de la pièce de théâtre éponyme de KLINGER.
En musique ce terme renvoie à une période de la musique classique où
prédomine une écriture dans des tonalités mineures plus aptes à traduire les
sentiments.
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LE NIHILISME
NIHIL signifie RIEN en latin. Le langage courant désigne par nihiliste celui
qui ne croit en rien, celui qui n’a pas un ou des IDEAUX.
NIETZSCHE emploie le mot IDOLE pour IDEAL. A l’inverse du langage courant, le
nihiliste pour NIETZSCHE est celui qui a des idéaux métaphysiques, religieux ou
politiques, ainsi DIEU, le PROGRES, la DEMOCRATIE, la REVOLUTION, le
SOCIALISME, la SCIENCE, la NATION, la REPUBLIQUE, le PARADIS, le
COMMUNISME : ce sont des IDOLES supérieures impliquant des convictions
fortes. Ce sont des « causes » à défendre, pour lesquelles il faudra faire des
sacrifices. Ces causes sont au-dessus de REEL, voire dans l’AU-DELA, en
opposition avec ICI-BAS.
Ainsi le Monde des IDEES opposé au Monde de la Caverne chez PLATON.
Le Christianisme est appelé platonisme pour le peuple, avec le PARADIS opposé
au REEL, le MONDE, l’ICI-BAS : immoral, impur, sexuel, monde de la MORT, de
la FINITUDE. Toutes les religions et toutes les philosophies présentent ce
schéma, sauf SPINOZA, considéré comme un frère par NIETZSCHE .
Pourquoi ? pour discréditer le REEL, pour faire de lui le RIEN (=NIHIL), donc
croire en des VALEURS, morales, religieuses, politiques… en fait des ILLUSIONS
pour décréter que la réalité ne vaut rien :
- PARADIS contre ICI-BAS
- SOCIALISME contre CAPITALISME
- DEMOCRATIE contre ANCIEN REGIME.
Tel est le NIHILISME contre lequel il faut lutter. Comment ?
PHILOSOPHER au MARTEAU
Pour casser les pseudo-valeurs, les IDOLES.
Exemples :
- SOCRATE est un Bouffon
- PLATON est un fumiste
- EPICURE est décadent
- DESCARTES est superficiel
- KANT est un imbécile
- HEGEL est ennuyeux
- DARWIN a tout faux
Par contre on doit le respect à HERACLITE
- SPINOZA est un précurseur
- LEIBNIZ est un clairvoyant.
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RECONCILIATION AVEC LE MONDE
Grâce à l’AMOR FATI (amour du destin)
C’est ULYSSE rentrant à ITHAQUE
- Réconcilié avec le présent, l’instant, semblable à l’ETERNITE,
- N’ayant plus la nostalgie du passé,
- Ne posant aucun idéal à réaliser dans le futur.
Le passé engendre des passions tristes (SPINOZA).
Le futur nous empêche d’habiter le présent.
Briser les idoles, c’est envisager une autre sagesse, celle qui dit « OUI » au
monde. (ECCE HOMO - Le CREPUSCULE des IDOLES).
Le nouveau blasphème ne sera pas de médire de DIEU (qui est mort…), mais de
médire de la terre (ANTECHRIST – AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA).
La MORT de DIEU signifie en fait le mouvement de sécularisation qui anime
l’Occident chrétien (Max WEBER). La RELIGION devient de l’ordre du PRIVE.
LES TROIS AXES de la PENSEE de NIETZSCHE
Ces trois axes sont ceux de toute philosophie :
THEORIE – ETHIQUE/SPIRITUALITE – SALUT.
Si NIETZSCHE s’exprime en poète, et souvent par APHORISME (=fragments), il
est cependant très rationnel dans son argumentation, bien que pour lui la
RAISON soit sans fondement.
- THEORIE
C’est-à-dire Théorie de la Connaissance.
Il s’agit de la GENEALOGIE, la philosophie du soupçon. C’est la
DECONSTRUCTION des IDOLES, religions, platonisme, science…
Ce sera le thème de La GENEALOGIE de la MORALE (1887), dans l’optique de
SCHOPENHAUER, que l’on retrouve chez MARX et FREUD.
Derrière les discours manifestes, derrière les choix conscients se cachent les
souterrains de DOSTOÏEVSKI (l’HOMME du SOUTERRAIN) ou les ARRIEREMONDES de NIETZSCHE, univers enfouis, inconscients que le GENEALOGISTE se
charge de dévoiler. C’est la face cachée de l’ICEBERG.
Le philosophe est seul, en avance sur son temps. La généalogie n’est pas une
THEORIE au sens strict (vision du divin) mais une pensée basée sur le goût et
l’odorat. C’est une ANTI-THEORIE. Voir le § 289 de PAR DELA le BIEN et le MAL.
L’inconscient conditionne le discours conscient. Cet inconscient est fait de
peurs, de pulsions inavouables.
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Tout jugement conscient est un symptôme et non une vérité. C’est donc un
MASQUE.
- Symptôme du monde de la VOLONTE chez SCHOPENHAUER
- Symptôme du monde de l’INCONSCIENT chez FREUD
- Symptôme de l’INFRASTRUCTURE ECONOMIQUE chez MARX
- Symptôme du monde de la vie et de la VOLONTE de PUISSANCE chez
NIETZSCHE.
Mais MARX et FREUD veulent faire œuvre de science ; en dévoilant les
souterrains, ils prétendent arriver à une claire conscience, à la VERITE qu’ils
refusent aux autres. Leur discours reprend un STATUT CARTESIEN ;
Pour SCHOPENHAUER et NIETZSCHE la SCIENCE est une CROYANCE, un
SYMPTOME comme les autres.
Ses choix sont irrationnels, ouverts sur l’ABÎME sans fond
- Du vouloir aveugle chez SCHOPENHAUER
- De la VOLONTE de PUISSANCE chez NIETZSCHE.
Ainsi pour NIETZSCHE, la proposition deux plus deux égale quatre dissimule une
volonté de VERITE, visant à en finir avec l’incohérence de nos pulsions internes.
« Il n’y a pas de FAITS, il n’y a que des interprétations », propos qui vise le
scientisme (Le CREPUSCULE des IDOLES – 1889).
La notion de symptôme (à propos du jugement) en revient à l’INFINI des
INTERPRETATIONS. C’est le nouvel infini du GAI SAVOIR, sur lequel on ne peut
asseoir aucune science, alors que MARX et FREUD veulent inaugurer les
sciences sociales.
La THEORIE de NIETZSCHE est plutôt une ANTI-THEORIE. La GENEALOGIE révèle
derrière les JUGEMENTS-SYMPTOMES les arrière-mondes qui les engendrent.
Que sont ces arrière-mondes ?
Le REEL est un tissu de forces animé par la VOLONTE de PUISSANCE qui est
l’essence la plus intime de l’ÊTRE. C’est en fait la VOLONTE de SCHOPENHAUER.
Cela fonde l’ONTOLOGIE de NIETZSCHE comme REALITE du REEL (HEIDEGGER).
Ces forces sont les mêmes, en fait une multiplicité de PULSIONS : TRIEB ou
INSTINCT. Ensemble ces forces sont la VIE ou encore la VOLONTE de
PUISSANCE.
Ce n’est pas une volonté sur un objet extérieur, c’est la VOLONTE de la
VOLONTE, qui se veut elle-même, sans finalité, sans désir de pouvoir. Les êtres
de la nature ressentent de la joie lorsque leurs forces vitales s’accroissent ; si
elles s’amenuisent, ils ressentent de la tristesse (SPINOZA).
La volonté n’est pas une intention consciente visant un but conscient. C’est un
tissu de forces qui cherche à s’accroître. La joie véritable tient au sentiment
d’intensité de la VIE.
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L’accroissement de notre puissance vitale est selon NIETZSCHE la MISSION de
l’ART. Toutefois, il distingue deux types de forces : les REACTIVES et les
ACTIVES.
FORCES REACTIVES
Ce sont des PASSIONS TRISTES (SPINOZA) qui s’accroissent en mutilant
d’autres forces, ainsi la VOLONTE de VERITE (ERKENNTNISSTRIEB) animant la
PHILOSOPHIE classique (Les DIALOGUES de PLATON) et la SCIENCE elle-même.
La VERITE en science se pose en s’opposant aux erreurs qui la précèdent, elle
procède par COUPURES EPISTEMOLOGIQUES (BACHELARD).
De même, dans les DIALOGUES de PLATON, SOCRATE détruit les OPINIONS de
ses adversaires. Il manie le syllogisme comme un couteau et fait preuve de
méchanceté de rachitique, car ces forces réactives sont l’arme du faible.
SOCRATE pique comme une TORPILLE.
La VERITE ainsi atteinte est valable pour tous, elle est démocratique. La Science
est roturière, elle n’est pas aristocratique. Par contre, l’activité aristocratique
par excellence est l’ART.
L’HISTOIRE confirme cette vision : les PHILOSOPHES des LUMIERES sont de
GRANDS REPUBLICAINS et de grands défenseurs du PROGRES SCIENTIFIQUE.
FORCES ACTIVES
Elles produisent leurs effets sans avoir besoin de nier. Leur modèle n’est
pas la SCIENCE, mais l’ART. Elles ne sont pas démocratiques, discutaillant pour
démontrer et/ou détruire les opinions d’autrui.
Elles sont ARISTOCRATIQUES. L’ARISTOCRATE pose des valeurs sans discuter.
Les ARTISTES sont des ARISTOCRATES car ils n’ont nul besoin de prouver que
leurs prédécesseurs ont tort. BACH ne réfute pas VIVALDI qui ne réfute pas le
GREGORIEN. En ART, on peut poser des valeurs côte à côte : ainsi, BACH,
CHOPIN, RAVEL…
Par contre NEWTON montre la fausseté de la physique d’ARISTOTE, EINSTEIN
fera de même pour NEWTON, du moins en partie.
(REMARQUE : l’HISTOIRE des MATHEMATIQUES ne procède pas par
contradiction d’états antérieurs, mais plutôt par ouverture du champ
opératoire, ce qui représente un ajout, pas une destruction, par exemple, la
THEORIE des ENSEMBLES par rapport aux MATHEMATIQUES CLASSIQUES, bien
que l’apport n’ait pas toujours été compris. Notons que cette théorie date de la
fin du XIXème siècle, époque de NIETZSCHE).
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- ETHIQUE
Les idoles abattues, il vaut mieux parler de morale de l’immoraliste, d’un idéal
anti-idéaliste, d’un matérialiste total.
Dans les années 1960, on a voulu faire de NIETZSCHE un hédoniste, un
anarchiste, un précurseur de Mai 68. Rien n’est plus faux.
« Si un anarchiste exige des droits, il est victime d’une pulsion causale : c’est la
faute de quelqu’un s’il se sent mal…Il en éprouve une ivresse de puissance.
(CREPUSCULE des IDOLES).
L’anarchisme est le comble des passions, le déferlement des FORCES
REACTIVES. C’est donc une PASSION TRISTE, traduisant une baisse vitale, une
baisse de la volonté de puissance et de la joie de vivre : il est pauvre en vie. Les
passions s’entrecroisent et s’annihilent. Les forces s’automutilent.
Il en est de même de l’artiste romantique. NIETZSCHE lui préfère le
CLASSICISME grec ou français.
De même l’HEDONISTE est un malade, un DECADENT.
Une MORALE de GRAND STYLE
D’abord ne pas rejeter les forces réactives (volonté de vérité, christianisme,
démocratie…) sinon l’on devient REACTIF soi-même.
La GRANDEUR consiste en l’harmonisation, la réconciliation des forces
réactives et des forces actives. Dans ce cadre, NIETZSCHE fait paradoxalement
l’éloge du CHRISTIANISME. Il convient de l’intégrer à la manière du classicisme
(donc intégrer l’ennemi intérieur).
L’Eglise voulait anéantir ses ennemis. Il faut faire l’inverse avec elle. De même
en politique, un parti pour ne pas s’effondrer a besoin des autres. Un nouveau
REICH a plus besoin d’ennemis que d’amis.
Les forces réactives doivent être sous le commandement des forces actives. Il
s’agit d’une hiérarchisation. Ainsi, si un homme aime l’ART et la SCIENCE, il doit
construire un édifice de culture à l’aide des puissances conciliatrices.
(HUMAIN- TROP HUMAIN).
Voilà le GRAND STYLE :
Harmoniser les forces réactives de la rationalité et les forces actives de
l’ESTHETIQUE et aboutir à l’ART SIMPLE ou ART CLASSIQUE, mathématique et
harmonieux, par exemple le calme et la sérénité des statues grecques, de la
musique classique française.
Les forces réconciliées, le geste maîtrisé, harmonieux, c’est le CHAMPION, c’est
la GRANDEUR (au TENNIS).
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La VOLONTE de PUISSANCE s’amplifie. Pour harmoniser, hiérarchiser, il faut de
la logique, de la clarté, réconcilier l’APOLLINIEN, la représentation, la clarté et
le DIONYSIAQUE, le souterrain, l’ivresse, la folie, la VOLONTE.
Voilà NIETZSCHE rationaliste, méprisant l’anarchie des instincts, reprochant à
KANT son manque de logique.
(NAISSANCE de la TRAGEDIE / La VOLONTE de PUISSANCE).
- SOTERIOLOGIE – L’AMOR FATI
C’est la doctrine de l’ETERNEL RETOUR qui remplace les religions après la
déconstruction des idoles, du nihilisme, l’application de la généalogie et de la
morale immoraliste.
Il s’agit d’un SALUT SANS DIEU. C’est l’AMOUR DE CE QUI EST, dégagé de la
tyrannie du PASSE et du FUTUR, habitant le PRESENT.
C’est l’AMOR FATI (amour du destin),
- l’INNOCENCE du DEVENIR,
- le « OUI au MONDE »
- la SERENITE.
NIETZSCHE s’éloigne ainsi de SCHOPENHAUER qui fuit le REEL, le VOULOIR et se
réfugie dans l’ART, le NIRVANA et la PITIE.
L’INNOCENCE du DEVENIR
- C’est ULY SSE à ITHAQUE
- l’instant dilaté, l’instant d’ETERNITE
- l’ETERNITE de l’INSTANT.
D’où une critique du LIBRE ARBITRE (NIETZSCHE par Luc FERRY p 52) à la façon
de SPINOZA et de SCHOPENHAUER.
En effet, le « j’aurais dû… » (qui implique le LIBRE ARBITRE) entraîne toujours
regrets, culpabilité, remords, passions tristes, et nous fait « manquer de vivre »
(SENEQUE).
Il ne faut ni dissimuler la NECESSITE ni seulement la supporter, il faut l’AIMER.
Dans ce cadre, l’ETERNEL RETOUR n’a rien à voir avec un cycle cosmique
quelconque, c’est une réflexion qui nous permet de revivre une infinité de fois
nos moments de grandeur, les retrouvailles entre ULYSSE et PENELOPE.
« TOUT PLAISIR VEUT L’ETERNITE » (ALLE LUST WILL EWIGKEIT).
Cela reprend l’impératif kantien :
« FAIS EN SORTE QUE LE BUT QUE TU RECHERCHES VISE NON SEULEMENT TON
INTERET MAIS AUSSI L’INTERET GENERAL »
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Remplacé par :
« CE QUE TU VEUX, SOIS SÛR DE LE VOULOIR UN NOMBRE INFINI DE FOIS »
(NIETZSCHE par Luc FERRY p 54/55).
Là, le choix est libre : moments insignifiants ou réconciliation avec le monde
pour devenir un INSTANT d’ETERNITE.
OBJECTION
AIMER le REEL, TOUT le REEL, n’est-ce-pas un nouvel IDEAL une nouvelle
IDOLE ?
D’autant que l’échec de l’AMOR FATI renvoie à la culpabilité de celui qui
échoue…
Chasser la culpabilité par la porte, elle revient par la fenêtre.
Enfin, VOULOIR la PUISSANCE pour elle-même, c’est s’en remettre au
« MONDE de la TECHNIQUE » qui est sans objectif (HEIDEGGER).
On risque d’arriver à un LAISSER-FAIRE / LAISSER-ALLER absolu, une sorte
d’ULTRALIBERALISME.
Au final, l’œuvre de NIETZSCHE est un énorme brassage d’idées, soit
déconstructives, soit constructives, mais qui n’est pas un véritable système. Le
lecteur peut avoir sa lecture personnelle, qui sera très différente de celle d’un
autre lecteur, ce qui n’enlève rien à la cohérence des idées de NIETZSCHE. On
sait que cette œuvre a présenté des lectures déviantes. NIETZSCHE a été
présenté comme anarchiste, comme philosophe du nazisme (voir à ce sujet le
rôle de sa sœur et de son beau-frère) ce qu’aucune lecture ne peut confirmer.
NIETZSCHE est un penseur immense qui a dominé tout le XXème siècle et qui
est encore aujourd’hui le sujet de nombreux travaux. C’est aussi un écrivain de
valeur et un poète, tout en ayant fait beaucoup d’improvisations musicales au
piano. En cela, il suivait son idée de jeunesse de devenir musicien. Evoquons à
ce propos son amitié pour WAGNER et sa femme Cosima, amitié qui a été un
grand moment de sa vie et qui s’est soldé par une rupture en relation avec ce
qu’il appelait « le cirque de BAYREUTH » qui idolâtrait de façon excessive
l’esprit allemand auquel il préférait l’esprit classique grec et l’esprit classique
français. Rappelons qu’après sa nomination comme professeur à BÂLE, il a
abandonné la nationalité prussienne qu’il n’a jamais reprise, ce qui ne l’a pas
empêché de faire la guerre de 70, du côté allemand, comme infirmier près de
METZ. Nous terminerons par la figure de Lou Andréas SALOME qui a
probablement été son grand amour et qui a connu ensuite FREUD puis est
devenue une psychanalyste connue.
Les ARCHIVES de NIETZSCHE sont à WEIMAR.
Robert MATHIS , 27 Mars 2014
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