POSSESSION ET FORCE VITALE, par Achille Aristide. In Optique, no. 33 (Novembre 1956) (Port-auPrince, Haiti: Les Presses Libres, 1956). pp. [23]-[28] show details Author: Aristide, Achille, fl. 1955 Alternative Name: Achille Aristide Primary/Secondary: Primary Media Type: Text Document Type: Non-Fiction Publisher: Les Presses Libres Year of Publication: 1956 Place of Publication: Port-au-Prince, Haiti Language: French « Previous Next » Search Text: POSSESSION ET FORCE VITALE [note] ∗ C'est la partie qui forme le chapitere 7 de mon travail, institulé: « Introduction à l'étude comparée de l'Ontologie Bantoue et du Paysan Haïtien », lu en octobre dernier au Congrès d'Ethnologie et d'Historie, dans le cadre des fêtes jubilaires du Docteur Jean Price Mars. Au chapitre 2 on lira ce qui suit: « Le centre, le grand principe spirituel, par excellence, de la philosophie Bantoue et Africaine est la « force vitale ». Les expressions: « vie », « vivre fort » « énergie vitale » « vigueur », impliquent le même contenu métaphysique, cosmologique, désignent la même idée générale, experiment une vitalité supérieure, transcendante et universelle de vie qui serait comme la finalité de tous les êtres vivants et de la matière inorganique. Tout est « vie » et tout tend ou doit tendre vers la plénitude de « vie ». Cette philosophie de la « Force vitala », ici, n'est une tonalité, une physionomie spécifique aux manifestations générales et particulières de la culture c'est-à-dire aux manifestations générales et particulières de la culture, c'est-à-dire aux coutumes, aux mœurs, usages, religion, magie, folklore, langae et autres ». « Force vitale », ici, n'est point statique et est absolument étrangère à la physique occidentale traditionnelle. Elle est essentiellement dynamique. Elle participe donc à une ontologie donnée, c'est-à-dire à un vaste ensemble cosmologique où la partie est solidaire du tout « Une force de vie substantielle, écrit le grand africaniste, Marcel Griaule créée par un dieu unique, est agit depuis les origines du monde. Elle est difficilement définissable et lorsqu'on serre de très Près sa description, on aboutit à d'apparentes contradictions.» [p. [23]] | [Page Image] Le rationalisme occidental, loin de le clarifier et de le simplifier a compliqué à l'extrême le phénomène de la possession. Le mot « phénomène » lui-même implique l'idée d'une réalité, la manière de concevoir et d'appréhender cette réalité, object et sujet à la fois d'un contexte culturel aquel l'esprit, -- qui en est le produit, -- le plus honnête et le plus indépendant, n'échappe pas. Dès lors, on se rend bien compte que la terminologie est l'une des conditions premières de la Connaissance, dans la mesure où l'on dit, d'ailleurs, en matière de linguistique, que le langage est déjà la pensée. Dans ces conditions, étudier une culture, saisir une âme nouvelle autre quela sienne [p. 24] | [Page Image] propre en dégageant la philosophie qui la transcende, constitue une tâche immense, et une des plus périlleuses pour l'intelligence. C'est d'autant plus dramatique lorsqu'une telle démarche est empêtrée ou à ba°se de préjugés, guidée non pas par le souci absolu de la vérité en elle-même, mais par l'intérêt personnel ou racial. L'idéal d'un Thibaudet, disciple de Bergson: « Etre intérieur à l'objet étudié en même temps qu'extérieur à soi-même », se présente alors à notre jugement comme une des fins supérieures de la Pensée humaine. L'impérialisme culturel de l'Occident tisse ce grand drame de la conscience et se trouve aujourd'hui à michemin d'une catastrophe ou d'une révision totale de sa table de valeurs. Les nombreux travaux scientifiques sur la possession ont paru à plus d'un comme étant des plus symptomatiques de cette crise. Etant donné qu'elle constitue la plus haute manifestation métaphysique des cultures africaines ou, en ses modalités diverses de degré et de nature, d'autres cultures également dites primitives, on comprend que l'Occident se soit heurté bruyamment à ce qui fait, par dessus tout, leur caractère dominant et original. Les définitions les plus dogmatiques devaient avoir cours, susceptibles de créer une certaine mentalité. La possession, dira-t-on, « c'est l'état de ceux qui se croient ou que l'on croit gouvernés par une puissance surnaturelle, notamment par un démon, qui leur enlève la libre disposition de leurs paroles et de leurs actes et en fait l'instrument de sa volcnté ». Cette définition et d'autres terminologies telles que « possession démoniaque » évoquent à l'esprit la démonologie du Moyen-Age. Et on sait qu'en ce temps-là l'arme la plus puissante de l'Eglise, pour chasser ces démons du corps de l'homme, était l'exorcisme. Depuis, on a vu des théologiens et des missionnaires, au cours de leur « mission civilisatrice » de « conversion » et de christianisation en Afrique et chez d'autres peuples dits primitifs, recueillir des observations et publier des ouvrages importants, mais où l'influence de l'ancienne et traditionnelle théologie du Moyen-Age est patente. Bien sûr, parmi eux s'en trouvent de très remarquables par la charité chrétienne, le zèle, apostolique et surtout la compréhension humaine. Mais, ce qui, à un moment donné, dominera davantage l'ensemble des travaux touchant le problème de la possession, c'est l'idée de l'hystérie, telle qu'elle a été d'abord conçue par la doctrine de Charcot, puis battue en brèche par celle de Babinsky, renouvelée enfin par les travaux et l'enseignement de Janet. On ne peut exposer, ici, la littérature de ces théories psychopathologiques [p. 25] | [Page Image] sur l'hystérie qui, durant l'époque glorieuse de la Salpêtrière, étaient régnantes en Europe comme ailleurs. Ces théories participèrent à la création d'une nouvelle méthode clinique et thérapeutique de certaines psychoses et névroses et d'autres formes des maladies mentales, dont la crise de possession voudouique. Jusqu'en 1930, la notion de l'hystérie dominait les travaux du savant Oesterreich sur la matière. (Possession, Demoniacal and Other, E. T.). Et jusqu'à l'heure actuelle, des savants, comme Montague Summers, parlent systématiquement de « causes épileptiques et hystériques » dans la possession. Eux aussi, les savants Haïtiens, ont subi l'influence de ces théories régnantes. D'abord, J. C. Dorsainvil, dans « Vodou et Névrose », donne la définition suivante: « Le vaudou est une psycho-névrose religieuse, raciale, caractérisée par un dédoublement du moi avec altérations fonctionnelles de la sensibilité, de la motilité et prédominance des phénomènes pithiatiques ». Price Mars critique sérieusement cette définition, fait l'exposé des doctrines desquelles elle relève et en arrive à formuler la sienne: « En définitive, écrit-il, selon nous, la crise vaudouesque est un état mystique caractérisé par le délire de la possession théomaniaque et le dédoublement de la personnalité. Elle détermine des actes automatiques et s'accompagne de troubles de la Cénesthésie ». La solution du problème a fait une avance considérable avec Mars, puisqu'il a écarté la cause psychopathologique de l'hystérie. Mais la pathogénie de cette manifestation mystique demeure, sous une forme ou une autre. Il fait donc intervenir la mythomanie. L'ethno-psychiatre, Louis Mars, y voit, de son côté, « une grande erreur ». Ce dernier savant fait avancer davantage, selon nous, la compréhension du problème. La genèse de sa pensée procède des conceptions antérieures de Malinowsky, lequel s'est élevé à une philosophie des cultures humaines par la conjugaison de l'anthropologie, de la psychanalyse et d'autres disciplines connexes. Mars, lui, crée, de façon originale, sa nouvelle « Ethno-psychologie » basée sur une théorie plus dynamique et plus large, enrichie des dernières acquisitions de la Connaissance humaine, dont il a réalisé cette synthèse harmonieuse. Un fait de la culture humaine ne peut être bien compris que placé dans son cadre, que senti comme par l'homme qui en est le produit. Ce qui est normal pour une culture peut être pathologique ou anormal pour une autre, d'où le problème de la relativité culturelle. Cette voie permet de découvrir l'identité et l'universalité de l'esprit humain. La théorie de Louis Mars s'insère dans ces notions générales de [p. 26] | [Page Image] base et d'autres que le temps nous empêche de rappeler ici. Pour donner une forme définitive à sa pensée dans l'interprétation du phénomène de la possession, par exemple, Louis Mars emprunte un terme au glossaire du philosophe allemand Hegel: « aufgehoben », ce terme n'ayant pas d'équivalent en français et pouvant être ainsi entendu: « Effacement de la personnalité antérieure, surgissement d'une personnalité étrangère » ou bien: « Atténuation extrême d'un état et de cet état, atténué à l'extrême, épanouissement d'un état supérieur ». « La réalité humaine, dit Mars, au moment critique, devient une nouvelle réalité plus haute, plus profonde, grâce au dynamisme de la pensée afro-haïtienne ». Cette formulation nous amène à constater déjà que le pathologique est définitivement exclu dans l'appréciation du phénomène de la possession. « Nous disons en ce cas, continue Mars, que la réalité est aufgehoben ». Et, plus loin, il poursuit: « Ainsi la crise de loa se situe très bien, en tant que fait normal, dans le cadre de la mentalité afrohaïtienne, c'est-à-dire qu'elle ne peut se produire, avec les caractéristiques que nous lui connaissons, que dans un milieu donné, en liaison étroite avec un héritage social donné, notre héritage de croyances et de coutumes millénaires originaires d'Afrique. Elle ne relève pas de la pathologie mentale ». Nous croyons personnellement que cette nouvelle théorie pourrait largement orienter les patientes recherches de la « Para-psychology », discipline qui, issue de la vieille métapsychique de Richet, s'est proposée d'étudier les phénomènes supranormaux de « Préconnaissance », de télépathie, de clairvoyance, de divination, etc., phénomène inhérents aux cultures ou civilisations dites inférieures. On sait que l'auteur de la « Double puissance de l'Esprit», J. B. Rhine, est le maître incontestable de la nouvelle parapsychologie. Qu'on soit en droit de regretter une excessive systématisation de l'emploi des méthodes mathématiques et expérimentales à laquelle cette science a eu recours, cela est dû nécessairement aux patients tatonnements des débuts... Mais la pensée de Mars, croyonsnous, rejoint, ou doit rejoindre, par une voie parallèle, la philosophie de la force vitale, telle qu'elle est exposée et expérimentée par le Père Placide Tempels. D'ailleurs l'une et l'autre de ces deux démarches intellectuelles puisent chacune la matière de leur concept dans deux cultures: bantoue et haïtienne, dont j'ai essayé de dégager, dans ce travail comparatif, une identité de pensée et une communauté de traits distinctifs, et donc des différences sociologiques et historico-culturelles normales. Car, cette même idée de mouvement, de dynamisme et de « force vitale », on la trouve, au fond, -- avec des différences [p. 27] | [Page Image] d'expression dialectique propre à chacune des deux théses, -- dans une seule et même explication finale du monde. Mais, pour chacune d'elle, il me semble qu'un problème capital reste en suspens: c'est celui d'un mode spécifique de la connaissance que postulent, en termes rationnels, la théorie de la « force vitale » et celle de l'« aufgehoben » réadaptée par Mars. Comment va-t-on utiliser, orienter l'expérience résultant des faits dits supranormaux de « préconnaissance », de télépathie, de clairvoyance, de divination, etc? Dans quelle mesure ces faits, dans le Vodou et la possession, par exemple,[note] (1) Les vodouisants croient que le « vodun » c'est-à-dire le loa, l'esprit, lit dans le passé, le présent et l'avenir; de même qu'il peut guérir ceux qui sont atteints de maladies naturelles et surnaturelles, etc. ont-ils été reconnus constants ou non, ont-ils amélioré la condition humaine? Et dans quelle mesure n'offrent-ils pas, ces faits « étranges », matière à élaboration d'une théorie de la connaissance mystique ou métaphysique absolument opposée à la théorie occidentale? Si l'état actuel de la connaissance scientifique ne permet pas une appréhension totale et lucide de ce qui constitue à nos yeux la plus haute et la plus dynamique expression d'une culture donnée: la possession, si l'observation n'arrive pas jusqu'ici à en saisir parfaitement les mécanismes extrêmement complexes de causalité et de finalité, ce n'est point une raison suffisante de suspendre en ce sens tout jugement, toute activité intellectuelle créatrice et d'attendre les hasards de la vie et du mouvant... Précisément cet état de la connaissance, formé par la documentation la plus récente et les notions même imparfaites de cette troublante réalité, autorise l'hypothèse de travail la plus féconde relative à ce mode probablement spécifique de connaissance, ainsi qu'elle ressort de notre exposé et des questions précédemment posées. C'est un champ nouveau que, selon nous, elle est appelée à fertiliser. C'est la « terra incognita » qui appelle l'étroite collaboration et la hardiesse créatrice des philosophes, anthropologues et ethno-psychologues. [p. [28]] | [Page Image]