Du symptôme dépressif à la thérapeutique

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La dépression : des pratiques aux théories 9
Du symptôme dépressif
à la thérapeutique
V. Dassonville
CHS Ville Evrard, 93
La maladie dépressive est un réel
problème de santé publique. La
prévalence de la dépression,
initialement évaluée à 5% en
population générale, serait de
12% selon de nouvelles données. En France, 3 millions
de personnes souffriraient de
dépression.
Les femmes sont deux fois plus
touchées que les hommes.
La dépression est un trouble
fréquent et récidivant. Le taux
de récidive est de 50% à 2 ans
et de 75% à plus long terme.
20% des dépressions évoluent
vers la chronicité.
Les récurrences dépressives
augmentent le risque suicidaire
et elles accentuent la vulnérabilité dépressive. Elles diminuent la réponse thérapeutique
(4,17).
La principale complication de
la dépression est le suicide.
Le risque suicidaire chez les
sujets souffrant de dépression
est multiplié par 30. En France,
on dénombre 120000 à 150000
tentatives de suicide par an et
12000 suicides aboutis.
30% des tentatives de suicide
L’Encéphale, 33 : 2007, Septembre, Cahier2
Viviane DASSONVILLE propose une synthèse des données de
la littérature mises en perspective avec sa double pratique de la
psychiatrie, publique et privée. Elle propose un fil conducteur
pour la prise en charge du patient déprimé dans ses divers
aspects.
seraient liées à un état dépressif.
50 à 80% des suicides concerneraient des patients dépressifs. 15% des sujets déprimés
sévères décèdent par suicide.
Les femmes font 2 fois plus de
tentatives de suicide que les
hommes. Mais les hommes se
suicident deux fois plus que les
femmes (17,25).
La dépression est classée au
troisième rang des maladies
handicapantes après les pathologies cardiovasculaires et
tumorales. Il existe une multiplicité d’expressions cliniques.
Le diagnostic de dépression est
aisé dans les formes classiques ;
il peut s’avérer délicat lorsqu’il
s’agit de formes atypiques parfois trompeuses.
ETAPES DIAGNOSTIQUES
La prise en charge d’un épisode
dépressif isolé de l’adulte en
ambulatoire repose sur plusieurs
éléments :
- l’affirmation diagnostique,
- l’évaluation du risque suicidaire,
- la recherche des comorbidités
psychiatriques et somatiques,
- l’évaluation des incapacités
fonctionnelles,
- et l’information du patient.
Affirmer le diagnostic
L’entité pivot de description des troubles dépressifs est l’épisode dépressif majeur ou caractérisé. Il est défini
dans le DSM-IV-TR par :
S641
La dépression : des pratiques aux théories 9
V. Dassonville
- une association de symptômes
dépressifs suffisamment nombreux, durables, à l’origine d’une
souffrance cliniquement significative et d’une incapacité fonctionnelle ;
- la présence pendant au moins
15 jours d’une humeur dépressive et / ou d’une diminution
marquée de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités ;
- la présence d’au moins 5 des
symptômes associés suivants :
• baisse de l’estime de soi, dévalorisation, sentiment de culpabilité,
• attitude morose, pessimiste,
péjorative face à l’avenir,
• idées ou actes auto-agressifs ou
suicidaires,
• diminution de l’attention, la
concentration,
• trouble de l’appétit,
• trouble du sommeil,
• baisse de la libido.
Afin de déterminer les modalités
de prise en charge, il est nécessaire de préciser :
- le caractère isolé ou récurrent
de l’épisode dépressif majeur,
- la sévérité de l’épisode : légère,
modérée ou sévère,
- la présence ou non de caractéristiques psychotiques,
- les antécédents personnels
d’hypomanie,
-si l’épisode s’inscrit dans un
trouble unipolaire, dysthymique, cyclothymique ou bipolaire
de l’humeur.
Cas particulier de l’adolescent
La dépression de l’adolescent peut
se manifester par des troubles du
comportement et une irritabilité
S642
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
importante. Il existe toujours des
difficultés relationnelles et scolaires. Le taux de comorbidité
anxieuse est de 50%.
Les garçons sont plus à risque de
conduites excessives déviantes
comme une consommation de
toxiques (alcool, drogues), une
marginalité, des prises de risque
(conduite automobile, sexualité).
Les filles présentent plutôt des
troubles du comportement alimentaire (anorexie ou de boulimie) et un retrait. Les tableaux
dépressifs sont souvent atypiques (hypersomnie / hyperphagie), dans plus de 60 % des cas.
sif majeur) serait la forme la plus
fréquente chez le sujet âgé. Cela
concernerait 2/3 des sujets âgés
déprimés.
Par ailleurs, la forme délirante est
fréquente chez le sujet âgé. Le
délire peut être le seul symptôme
dépressif. Cependant l’existence
d’une symptomatologie délirante
chez le sujet âgé n’est pas associée à la gravité de l’épisode ou
au risque suicidaire contrairement au sujet jeune.
Les caractéristiques mélancoliques seraient fréquentes chez
le sujet âgé (DSM-IV), mais non
reconnues dans 40% des cas.
Cas particulier du sujet âgé
Apprécier le risque suicidaire
Chez le sujet âgé, la dépression
est une pathologie fréquente difficile à évaluer, sous diagnostiquée et sous traitée.
Selon les études, sa prévalence
est estimée entre 10 à 87%
(médiane à 41%).
Le retentissement de la dépression est majeur :
- qualité de vie moindre,
- pathologies somatiques plus
fréquentes et morbidité plus
grande,
- nombreuses tentatives de suicide et suicides aboutis,
- accélération de l’évolution de la
maladie d’Alzheimer dans 50%
des cas,
- espérance de vie diminuée.
Le poids économique de la
dépression du sujet âgé est lourd.
En effet, la dépression induit plus
d’hospitalisations et une surconsommation médicale
L’épisode dépressif mineur (présence de moins de 5 symptômes
caractérisant l’épisode dépres-
Repérer les facteurs de risque
Le fait de poser des questions
sur les intentions suicidaires du
patient n’augmente pas le risque
suicidaire.
L’interrogatoire per met de
rechercher des idées suicidaires,
exprimées par message direct ou
indirect et d’évaluer si ces idées
sont passagères ou non, actives
ou prévalentes et d’avoir éventuellement connaissance de l’élaboration d’un projet suicidaire.
A noter que les personnes âgées
restent très secrètes quant à
leurs intentions.
Le contexte de vulnérabilité est
à prendre en compte. Les informations médicalement utiles
ne pourront être fournies par le
patient s’il n’est pas interrogé
par le médecin. En effet, le risque suicidaire est plus élevé s’il
existe :
- des antécédents personnels de
tentative de suicide (30 à 40%
des suicidants récidivent dans
l’année et 10% décèderont par
suicide dans les 10 ans) ;
- des antécédents familiaux de
tentatives de suicide ou de suicide abouti ;
- un trouble unipolaire, un tableau
mélancolique, un épisode dépressif majeur récent ;
- une comorbidité psychiatrique
en particulier anxieuse, un trouble
de personnalité ou une consommation d’alcool ;
- des événements de vie douloureux en particulier dans le
domaine de la perte ou du conflit :
ruptures affectives (sentimentale, conjugale, veuvage), perte
de la santé (maladie grave), perte
professionnelle (retraite, mutation, harcèlement), perte sociale
(déménagement, chômage), perte
familiale (départ des enfants),
perte financière.
Le repérage des facteurs de risque se base sur un modèle plurifactoriel impliquant à la fois des
facteurs socioculturels, environnementaux et psychopathologiques en interaction avec un
modèle intégratif.
Le regroupement de signes
d’alerte et une rupture par rapport à l’état habituel doivent faire
craindre un risque de passage à
l’acte (35).
Repérer les facteurs d’urgence
Les facteurs d’urgence permettent de poser l’indication d’une
hospitalisation.
Ils sont fonction :
- du niveau de souffrance psychique : désespoir, dévalorisation, culpabilité, impuissance du
patient à faire face à la situation,
- du niveau d’impulsivité : insta-
V. Dassonville
bilité, irritabilité, antécédents de
passages l’acte, trouble panique
comorbide,
- du degré d’intentionnalité : idées
passives ou actives, scénario élaboré,
- et de l’événement précipitant.
Repérer les facteurs de danger
Il est nécessaire d’évaluer la dangerosité du scénario envisagé, le
risque de létalité, et l’accessibilité
aux moyens.
Les facteurs de protection (qualité du support familial et social)
sont à rechercher.
Evaluer le niveau d’urgence
La triple évaluation des facteurs de risque, d’urgence et de
danger permettent de définir le
degré d’urgence en trois catégories : urgence faible, moyenne ou
forte.
Le niveau d’urgence détermine
si le sujet relève d’une prise en
charge ambulatoire ou d’une
hospitalisation. En cas d’urgence
forte, l’hospitalisation est recommandée.
L’évaluation du risque suicidaire
repose sur :
- la capacité du sujet à s’interroger ou non sur le sens de sa souffrance et à s’inscrire dans un
projet de soins,
- la capacité de l’entourage à faire
face à la crise,
- l’évaluation du support familial
et social du sujet.
L e s r e c o m m a n d at i o n s d e
l’ANAES lors de la conférence
de consensus d’octobre 2000 (3)
définissent les critères des différents degrés d’urgence. L’ANAES
a défini plusieurs niveaux d’urgence auxquels nous devons
savoir nous référer...
Le patient en crise suicidaire d’urgence faible :
- est dans une relation de
confiance,
- désire parler et communiquer,
- cherche des solutions à ses problèmes,
- pense au suicide mais n’a pas
établi de scénario,
- pense à des moyens et des stratégies pour faire face à la crise,
- n’est pas anormalement troublé
mais psychologiquement souffrant.
Le patient en crise suicidaire d’urgence moyenne :
- présente un équilibre émotionnel fragile,
- envisage le suicide et son intention est claire,
- envisage un scénario dont l’exécution est reportée,
- ne voit pas d’autre recours que
le suicide pour cesser de souffrir,
- a besoin d’aide et exprime son
désarroi (directement ou indirectement),
- est isolé.
Le patient en crise suicidaire d’urgence élevée :
- est décidé,
- a planifié son passage à l’acte,
- est coupé de ses émotions rationalisant sa décision ou inversement est très émotif, troublé,
- est complètement immobilisé
par la dépression ou en état de
grande agitation,
- exprime ou tait une douleur et
une souffrance omniprésentes,
- a un accès direct et immédiat à
un moyen de se suicider,
- a le sentiment d’avoir tout fait
et tout essayé,
- est très isolé.
S643
La dépression : des pratiques aux théories 9
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
La dépression : des pratiques aux théories 9
V. Dassonville
Rechercher des comorbidités
psychiatriques
Devant une symptomatologie
dépressive, il est important de
rechercher des comorbidités psychiatriques.
Le risque de passage à l’acte est
plus élevé en cas de trouble de
la personnalité psychopathique,
border line ou hystérique comorbide contrairement aux personnalités phobiques.
L’existence d’une comorbidité
anxieuse, retrouvée chez 50%
des sujets déprimés, est un facteur de mauvais pronostic. Cela
induit un plus grand risque de
résistance thérapeutique, de suicide et de conduites addictives.
Le risque suicidaire et une résistance
thérapeutique sont plus fréquents en
cas de consommation de toxiques
comorbide (alcool ou drogues).
Rechercher des comorbidités
somatiques
La présence de pathologies somatiques entraîne souvent un retard
au diagnostic de dépression. Les
comorbidités somatiques fréquemment retrouvées sont des
troubles vasculaires, endocriniens, neurologiques dégénératifs
ou des pathologies douloureuses
invalidantes (22,27).
La coexistence d’une pathologie somatique et d’un épisode dépressif est à l’origine
d’une aggravation réciproque des deux pathologies ainsi
que d’une augmentation de la
morbidité et de la mortalité.
De plus la qualité de l’observance thérapeutique est souvent altérée.
S644
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
20% des sujets déprimés présentent une pathologie cardiaque. Le risque de survenue d’une
pathologie ischémique lors d’un
épisode dépressif majeur est de
71%. Le risque de décès à 6 mois
en période de post infarctus est
multiplié par 5 lorsqu’existe associé un épisode dépressif majeur.
Le diagnostic d’épisode dépressif majeur est porté chez 37%
des sujets souffrant d’insuffisance
cardiaque.
75 à 80% des patients déprimés
expriment des plaintes somatiques. Alors que la prévalence des
douleurs chroniques est de 17%
en population générale, elle est de
43% chez les sujets souffrant de
dépression. Il s’agit de dorsolombalgies dans 21% des cas, et de
douleurs articulaires dans 10% des
cas. La sévérité de la douleur est
positivement corrélée à la sévérité de la dépression. Les sujets
douloureux chroniques sont plus
à risque de suicide.
Évaluer les incapacités
fonctionnelles
Pour chaque patient, il est nécessaire d’évaluer le degré d’incapacité fonctionnelle afin de décider
de l’opportunité ou non d’un
arrêt de travail ou d’aménager
les horaires de travail et de mettre en place des aides sociales
nécessaires.
Informer le patient
L’effort d’information du patient
conditionne aussi la qualité de
l’alliance thérapeutique. Dans
tous les cas, le patient doit être
informé de la nature des trou-
bles thymiques, des effets bénéfiques et indésirables du traitement
(recommandations de grade A).
Le projet thérapeutique est défini
avec lui afin d’optimiser l’alliance.
Avec l’accord du patient, l’entourage peut être informé.
Dans un deuxième temps, le
patient doit être éduqué pour
savoir repérer des signes précoces de récidive ou de rechute
dépressive.
ETAPES THERAPEUTIQUES
Les modalités thérapeutiques
sont multiples : psychothérapies,
chimiothérapies, électroconvulsivothérapie…
Les psychothérapies
Les psychothérapies cognitives
et cognitivo-comportementales
(TCC), de soutien et interpersonnelles ont fait l’objet d’études contrôlées dans le cadre
d’épisodes dépressifs caractérisés d’intensité légère à modérée.
Elles peuvent être associées ou
non aux traitements antidépresseurs. Plus à distance de la phase
aigue les psychothérapies d’inspiration analytique peuvent être un
recours pour certains patients.
Les antidépresseurs
Choix de l’antidépresseur
Toutes les classes d’antidépresseurs [antidépresseurs imipraminiques, inhibiteurs de la recapture
de la sérotonine (IRS) et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline
(IRSNA)] sont efficaces dans le
traitement de la dépression. Les
IRS et les IRSNA sont mieux tolérés que les imipraminiques à long
terme. Les antidépresseurs imipraminiques et IMAO sont généralement des traitements de 2ème
voire de 3ème intention.
Le choix de l’antidépresseur (2,3)
repose donc sur :
- les effets latéraux : sédation,
anxiolyse, ou stimulation ;
- l’existence de comorbidités psychiatriques et/ou somatiques:
l’efficacité des IRSNA serait supérieure à celle des IRS en cas de
symptomatologie douloureuse;
- le respect des contre indications.
L’antidépresseur choisi doit donc
être le mieux toléré, le moins dangereux et le plus simple à prescrire à dose efficace pour un sujet
donné.
Indications des antidépresseurs
La prescription d’un antidépresseur n’est pas recommandée en
urgence ni en cas :
- d’épisode dépressif non caractérisé,
- d’épisode dépressif caractérisé
d’intensité légère sauf échec de la
psychothérapie,
- de trouble dysthymique,
- de trouble cyclothymique,
- de trouble de l’adaptation avec
humeur dépressive.
L’indication principale des antidépresseurs est le traitement des
épisodes dépressifs majeurs unipolaires.
La durée du traitement est de :
- 6 à 12 semaines en phase aigue
afin d’obtenir la rémission,
- 16 et 20 semaines en phase de
consolidation afin de prévenir la
rechute.
V. Dassonville
Une phase de maintenance est
préconisée s’il s’agit d’un trouble
dépressif récurrent afin de prévenir les récidives.
Les stratégies thérapeutiques
ambulatoires sont fonction
de l’intensité et du type de
l’épisode dépressif selon les
recommandations de l’ANAES
Mai 2002 (2) et de l’afssaps
octobre 2006 (3).
En cas d’épisode dépressif léger, la
psychothérapie est le traitement
de première intention (recommandations de grade B et C). Les
antidépresseurs sont prescrits en
seconde intention (recommandation de grade A). Si la psychothérapie seule échoue, il est
nécessaire d’associer un traitement antidépresseur.
En cas d’épisode dépressif
modéré, le traitement antidépresseur est prescrit en première
intention (recommandation de
grade A), si besoin associé à une
psychothérapie (recommandations de grade B et C).
En cas d’épisode dépressif sévère,
la prescription d’un traitement
antidépresseur en première intention est préconisée (recommandation de grade A), si besoin
en association avec un traitement neuroleptique dans les formes psychotiques mélancoliques
(recommandation de grade A).
L’association d’une psychothérapie au traitement médicamenteux
en phase aigue est sans bénéfices
(recommandation de grade C).
En cas d’épisode dépressif dans
le cadre d’un trouble bipolaire, la
prescription d’une monothérapie par antidépresseur n’est pas
indiquée (recommandation de
grade A) même en cas d’intensité légère (recommandation de
grade B). Dans les formes modérées à sévères, l’association d’un
FIGURE 1 : Stratégie et réponse thérapeutiques
Début du traitement
Antidépresseur et/ou phytothérapie
En l'absence de réponse ou
si la sévérité des symptômes le justifie
envisager d'augmenter la posologie
des antidépresseurs avant 4 semaines
Après 4 à 8 semaines : réévaluer la réponse au traitement
Pas de réponse
Réponse partielle
Réponse complète
Antidépresseurs en cours
Antidépresseurs en cours
- Changer de médicament,
- Associer une psychothérapie,
- Envisager une consultation
spécialisée ou une hospitalisation
- Augmenter la dose,
- Changer de médicament,
- Associer une psychothérapie,
- Envisager une consultation
spécialisée ou une hospitalisation
Poursuivre le traitement
6 mois à 1 an
Psychothérapie en cours
- Associer un anti-dépresseur
Psychothérapie en cours
- Associer un anti-dépresseur
4 à 8 semaines plus tard : réévaluer la réponse au traitement
Recommandations ANAES mai 2002
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La dépression : des pratiques aux théories 9
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
La dépression : des pratiques aux théories 9
V. Dassonville
traitement antidépresseur et d’un
thymorégulateur est préconisée
(recommandation de grade A).
Attention, l’utilisation d’antidépresseurs imipraminiques induit
plus de virages maniaques que les
autres classes d’antidépresseurs.
Réponse thérapeutique et
surveillance
Chronologiquement, l’amélioration symptomatologique se
caractérise par une diminution
de l’anxiété et une amélioration
des troubles du sommeil en quelques jours, puis une diminution du
ralentissement psychomoteur et
des idées suicidaires en une à deux
semaines. L’amélioration thymique se fait après deux à quatre
semaines de traitement. Le délai
d’action est le même quelque
soit le mode d’administration et
la molécule choisie.
La réponse thérapeutique complète survient après 6 à 8 semaines de traitement.
Il est recommandé de ne pas interrompre le traitement antidépresseur avant 4 semaines, même en
l’absence d’amélioration sauf en
cas d’aggravation de la symptomatologie.
La surveillance thérapeutique
repose sur divers éléments :
- l’intensité des symptômes,
- le risque suicidaire,
- le statut fonctionnel,
- la qualité de l’observance thérapeutique,
- la survenue d’effets secondaires,
- l’existence de comorbidités
psychiatriques (y compris l’abus
d’alcool ou d’autres toxiques) et
organiques,
- la survenue d’un virage maniaque.
S646
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
Modalités évolutives
Un épisode dépressif évolue soit
vers la rémission complète, soit
vers la rémission partielle (persistance de symptômes résiduels),
soit vers la résistance (fig.1). Un
épisode dépressif résistant se définit par une non-réponse à deux
traitements antidépresseurs successifs bien conduits à posologie
efficace pendant une durée suffisante (4 à 6 semaines). Le terme
de résistance s’applique uniquement si l’un des traitements antidépresseurs est de la venlafaxine
ou un imipraminique.
Les rechutes dépressives correspondent à une réapparition
de symptômes dépressifs après
amélioration initiale au cours d’un
même épisode.
La récidive ou récurrence dépressive correspond à la survenue
d’un nouvel épisode dépressif
après une rémission d’au moins
2 mois (13).
Le traitement antidépresseur est
maintenu pendant une durée de
16 à 20 semaines après rémission symptomatique. Pendant la
phase de consolidation, le traitement antidépresseur ayant permis la rémission est maintenu aux
mêmes posologies.
La prévention des récidives
dépend :
- du nombre des épisodes antérieurs (3 en 4 ans),
- de la gravité des épisodes dépressifs,
- des pathologies associées,
- des antécédents familiaux.
Elle est systématique si l’on dénombre au moins trois épisodes dépressifs sur 4 années consécutives.
Par ailleurs, le traitement antidépresseur ne doit pas être arrêté
s’il persiste au moins 2 symptômes résiduels en raison d’un risque de rechute élevé.
En cas de dépression résistante,
plusieurs alternatives sont envisageables (1) :
- augmentation de la posologie du
traitement antidépresseur,
- association de deux antidépresseurs,
- changement de molécule,
- potentialisation par les sels de
lithium,
- adjonction d’hormone thyroïdienne ( triiodothyronine),
- recours à l’électroconvulsivothérapie.
Associations médicamenteuses
Les benzodiazépines ne doivent
pas être prescrites de manière
systématique (recommandation
de grade A) en raison du risque
de dépendance et de survenue de
réactions paradoxales. Elles sont
prescrites si le patient présente
une insomnie rebelle et/ou une
anxiété invalidante. Leur prescription doit être dans ce cas de
courte durée.
La prescription d’antipsychotiques est indiquée dans les épisodes dépressifs majeurs avec
caractéristiques psychotiques
(recommandation de grade A)
ou dans les formes sévères sans
caractéristiques psychotiques si
l’anxiété est invalidante et le risque suicidaire élevé (recommandation de grade C).
Cas particulier du sujet âgé
Lors de la prescription d’un antidépresseur chez le sujet âgé il ne
faut pas se contenter d’éviter les
effets secondaires : il faut aussi
rechercher l’efficacité. La conduite
à tenir face à un épisode dépressif chez le sujet âgé est la même
que pour le sujet jeune en prenant
en compte la tolérance et le risque de survenue d’effets indésirables. La recherche d’absence
d’effets secondaires ne doit pas
primer sur l’efficacité. Le traitement est débuté à demi-dose.
V. Dassonville
La réponse au traitement suit une
cinétique pus lente que chez le sujet
jeune. La phase d’attaque dure au
moins 6 semaines et la phase de
consolidation au moins 12 mois.
La phase de maintenance est quasi
systématique devant le taux élevé
de récidives et de suicides.
La surveillance est essentiellement clinique (tension artérielle)
et paraclinique (ionogramme san-
guin) et recherche :
- une hypotension orthostatique,
- des troubles de l’équilibre,
- un syndrome confusionnel
secondaire à l’hyponatrémie
induite par les IRS majorée en cas
de co-prescription avec un diurétique,
- un saignement avec les IRS et
la venlafaxine en cas de co-prescription avec des anticoagulants.
Annexe 1 : Médicaments antidépresseurs commercialisés en France dans les épisodes dépressifs
• ISRS : citalopram (Séropram®), escitalopram (Séroplex®), fluoxétine (Prozac®), fluvoxamine (Floxyfral®), paroxétine
(Deroxat®), sertraline (Zoloft®).
• IRSNA : milnacipran (Ixel®), venlafaxine (Effexor®), duloxétine (Cymbalta®, non commercialisé en France).
• Imipraminiques : clomipramine (Anafranil®), amoxapine (Défanyl®), amitriptyline (Elavil®, Laroxyl®), maprotiline
(Ludiomil®), dosulépine (Prothiaden®), doxépine (Quitaxon®), trimipramine (Surmontil®), imipramine (Tofranil®).
• IMAO non sélectifs : iproniazide (Marsilid®) ; IMAO sélectifs A : moclobémide (Moclamine®)
• Autres antidépresseurs : miansérine (Athymil®), mirtazapine (Norset®), tianeptine (Stablon®).
Annexe 2 : définitions simplifiées des troubles dépressifs
• Trouble dépressif unipolaire : Entité pivot des troubles dépressifs, le trouble dépressif majeur unipolaire est défini
par la présence d’un ou plusieurs épisodes dépressifs majeurs, dans la vie d’un sujet, et par l’absence d’épisodes
maniaques ou hypomaniaques.
L’entité pivot de description des troubles dépressifs est l’épisode dépressif majeur, c’est-à-dire caractérisé. Il est défini
dans le DSM-IV-TR par une association de symptômes dépressifs :
- suffisamment nombreux,
- suffisamment durables,
- à l’origine d’une souffrance cliniquement significative,
- et à l’origine d’une incapacité fonctionnelle.
• Trouble bipolaire de l’humeur (trouble dépressif bipolaire) : Trouble de l’humeur comportant le plus
souvent une alternance d’épisodes dépressifs majeurs c’est-à-dire caractérisés et d’épisodes maniaques ou hypomaniaques.
• Trouble dysthymique : Trouble de l’humeur comportant des symptômes dépressifs en nombre inférieur à celui des
épisodes dépressifs majeurs caractérisés, durant pendant au moins 2 années consécutives, à l’origine d’une souffrance
cliniquement significative et d’une incapacité fonctionnelle.
• Trouble cyclothymique : Trouble de l’humeur comportant des symptômes hypomaniaques et/ou des symptômes
dépressifs fluctuants et en nombre inférieur à celui des épisodes dépressifs majeurs caractérisés ou des épisodes
maniaques, durant pendant au moins 2 années consécutives, à l’origine d’une souffrance cliniquement significative et
d’une incapacité fonctionnelle.
S647
La dépression : des pratiques aux théories 9
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
La dépression : des pratiques aux théories 9
V. Dassonville
L’Encéphale, 2007 ; 33 : 641-649, Cahier 2
Annexe 3 : critères diagnostiques de l’ épisode dépressif majeur (DSM-IV-TR)
• A. Au moins 5 des symptômes suivants doivent être présents pendant une même période d’une durée de 2 semaines
et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur; au moins un des symptômes est soit une
humeur dépressive, soit une perte d’intérêt ou de plaisir.
1- Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, presque tous les jours signalée par le sujet (par exemple:
se sent triste ou vide) ou observée par les autres (par exemple : pleure).
2- Diminution marquée de l’intérêt et du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités, pratiquement toute la
journée, presque tous les jours (signalée par le sujet ou observé par les autres)
3- Perte ou gain de poids significatif en absence de régime (par exemple : modification du poids corporel en 1 mois
excédant 5%) ou diminution ou augmentation de l’appétit presque tous les jours.
4- Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
5- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constatés par les autres, non limités à un
sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur).
6- Fatigue ou perte d’énergie presque tous les jours.
7- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les
jours (pas seulement se faire prier ou se sentir coupable d’être malade).
8- Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalées par le sujet ou
observées par les autres).
9- Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou
tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
• B. Les symptômes ne répondent pas aux critères d’épisode mixte.
• C. Les symptômes traduisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social,
professionnel, ou dans d’autres domaines importants.
• D. Les symptômes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple une
substance donnant lieu à abus, un médicament) ou une affection médicale générale (par exemple hypothyroïdie).
• E. Les symptômes ne sont pas expliqués par un deuil, c’est-à-dire après la mort d’un être cher, les symptômes
persistent pendant plus de 2 mois ou s’accompagnent d’une altération marquée du fonctionnement, de préoccupations
morbides, de dévalorisation.
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