Médecine de ville : chronique d`une crise annoncée

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DOSSIER
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
Médecine de ville :
chronique d’une crise
annoncée
S
JEAN DE KERVASDOUÉ*
Si les médecins de ville traversent une
crise, ce n’est pas seulement parce que leur
profession les place en première ligne face aux
bouleversements de la société. C’est aussi parce
que les principes qui gouvernent l’exercice de
leur métier datent d’une autre époque et sont
largement inadaptés ; parce que l’Etat n’a
jamais voulu ou osé ouvrir avec eux un véritable
dialogue ; enfin, parce que les progrès de la
connaissance et les nouveaux besoins sanitaires
imposent une refonte complète de leur mode
de fonctionnement.
I
Sociétal
N° 36
2e trimestre
l y a vingt ans apparaissaient les
premiers signes de la crise que
traverse aujourd'hui la médecine
de ville. Si les revendications étaient
et restent financières, le malaise
est maintenant plus essentiel
puisqu'il porte sur une nouvelle
définition du rôle des praticiens
dans la société.
Le médecin demeure le recours et
le conseil, de plus en plus efficace,
de la personne malade, mais,
aujourd'hui plus qu'hier, il prend
aussi en charge, et souvent seul,
les manifestations individuelles
du mal-être social : suicides, accidents, usage de toxiques licites
ou illicites. On lui demande des
remèdes à des dysfonctionnements
sociaux dont il est par ailleurs
une des premières victimes. Le
médecin se déplace encore dans
des quartiers où la police ne va
2002
* Ancien directeur des Hôpitaux au ministère de la Santé, professeur au Cnam
(Conservatoire national des arts et métiers).
84
plus et visite le plus reculé des
hameaux qui, depuis des lustres,
n'a plus reçu de responsable
politique, même en campagne
électorale. Il est harcelé par le
patient-client-consommateur,
devenu d'autant plus agressif
que la consultation est gratuite
et qu'il semble ne bénéficier que
de droits, sans la contrepartie des
devoirs les plus élémentaires, à
commencer par celui de venir au
rendez-vous qu'il a lui même
exigé.
Les médecins sont en première
ligne des bouleversements de nos
sociétés, mais leur malaise, leur inadaptation sont d'autant plus profonds que l'organisation
même de leur métier doit être
repensée, le rôle respectif des
généralistes et des spécialistes
précisé, la place des professions
paramédicales définie, la liberté
de prescription contrainte… En
dépit du dérapage sécuritaire et
de l'inapplicable « principe de
précaution », la responsabilité
médicale doit réaffirmer l'importance de la notion d'obligation de
moyens – tout en la redéfinissant,
puisqu'il y a, d'une certaine façon,
« trop » de moyens qu'il faudrait,
MÉDECINE DE VILLE : CHRONIQUE D’UNE CRISE ANNONCÉE
dans l'absolu, mobiliser pour
soigner le malade le plus banal…
cette confédération deviendra
majoritaire et obtiendra, après
une reculade du gouvernement,
des modifications législatives en
1928 et en 1930, dont la plus
importante fut la transformation
du « tarif opposable » en « tarif
de prestation » : au nom de la
liberté d'honoraires, les médecins
purent facturer librement, au-delà
de ce que remboursait l'assurancemaladie.
La crise de la médecine n'est pas
la seule. S'y ajoute une crise de
l'État et de l'assurance-maladie.
Le paritarisme sans le Medef est
aussi difficile à concevoir qu'un
match de football avec une seule
équipe. Quant à l'État, qui s'est
attribué un pouvoir de plus en
plus étendu dans la gestion du
système de soins, son efficacité
ne semble pas exemplaire, à voir
La profession médicale s'arroge
le dérapage des comptes dans
alors toutes les libertés : liberté
les secteurs où il exerce
de choix, liberté
seul la responsabilité.
d'honoraires, liberté
Dans le système
de prescription, liberté
d'installation. Elle érige
français,
il
n’y
a
UN CADRE
le paiement à l'acte
ÉLABORÉ
pas de contrôle
en principe quasi reliEN 1926
véritable
gieux. Elle refuse la
o m m e n t c o m - des pratiques
« médecine de caisse »
prendre ces crises,
à l'allemande, tout en
cliniques.
comment y remédier ?
obtenant de l'assuranceAu cours du XXe siècle,
maladie que la demande
la société française n'a véritabledevienne solvable par l'instaurament débattu qu'une seule fois
tion du tarif de « prestation » Le
avec le corps médical de son
tarif de prestation n’est pas
rôle et de ses prérogatives : ce
opposable, autrement dit le
fut entre 1925 et 1930. Les
médecin peut facturer plus que
« principes de la médecine libéce que rembousera l’assurancerale » furent en effet imaginés
maladie. Restait à bénéficier
en 1926.
d'une juridiction autonome : ce
fut fait dans les tout premiers
Ces principes portent la marque
mois du gouvernement de Vichy,
de l'idéologie des grands médecins
à l'automne 1940.
parisiens, à l'époque les seuls à
être exclusivement payés à l'acte,
Au cours des soixante-douze années
les autres praticiens se contentant
qui se sont écoulées depuis 1930,
de présenter des honoraires anil n'y aura eu de tarifs opposables
nuels, aux alentours de Noël, sous
nationaux et uniques que pendant
forme de forfait familial. Ce sont
moins de neuf années (1971-1980),
les grands médecins parisiens
jusqu'à la création du secteur 2
qui refusèrent le principe du
par le gouvernement de Raymond
« tarif opposable » de l'acte médiBarre. En outre, dans le système
cal remboursé par l'assurancefrançais, en cas de contrôle par
maladie, pourtant accepté en
l'assurance-maladie d'un profes1925 par la majorité de leurs
sionnel de santé, par exemple
confrères et par le gouvernement.
pour la pose d'une prothèse
dentaire, ce n'est pas le dentiste
Les principes de la médecine
qui est contrôlé par son confrère,
« libérale »1 seront politiquement
dentiste-conseil de l'assuranceportés durant tout le XXe siècle
maladie, mais le patient. Il n'y a
par la CSMF (Confédération des
pas ainsi de contrôle véritable
syndicats médicaux français),
des pratiques cliniques, chacun
créée en 1927. De minoritaire,
sachant que l'on n'évalue pas les
C
qualités professionnelles d'un
dentiste en examinant l'une de
ses indications, voire l'une de ses
prothèses.
Il en est de même des médecins.
Le début prometteur des RMO
(références médicales opposables)
en 1993 n'a pas été suivi d'autres
méthodes d'évaluation de la qualité des soins. Et même les RMO,
qui visaient à s'assurer du bienfondé de certaines prescriptions
et le firent avec efficacité, ne
sont plus en vigueur.
LE FONCTIONNEMENT
KAFKAÏEN DE L’ETAT
P
ourtant, l'inadaptation des
principes négociés il y a un
demi-siècle est criante. Quel sens
peut encore avoir la cotation uniforme de l'acte médical, quelle que
soit la durée de la consultation, la
formation et l'âge du médecin ?
Pourquoi, en France, les médecins
de première intervention, et notamment les généralistes, ne
sont-ils toujours pas payés, pour
l'essentiel, au forfait annuel par
malade (paiement à la capitation),
alors que c'est la règle en Europe
et en Amérique du Nord ? L’avantage de ce mode de paiement
est qu’il n’induit pas de consommations d’actes. Il reste un système
libéral puisque, chaque année, ni
plus ni moins souvent que nous le
faisons, par exemple, pour notre
compagnie d’assurance, le patient
choisit son médecin, et c’est ce
choix qui déclenche le paiement
du forfait. Certes, depuis 1998,
il est possible d'honorer ainsi –
partiellement en tous cas – le
médecin « référent », qui reçoit
alors un forfait annuel pour la
tenue du dossier médical de son
patient. Mais ce forfait est limité
(de l'ordre de 38 euros par an),
il a été mal défendu par ses inventeurs et largement combattu par
la CSMF.
Pourquoi, cette fois-ci encore,
la refonte de la nomenclature gé-
1
Ils ne sont
aucunement
libéraux au sens
économique
du terme, à
commencer par
la reconnaissance
du monopole
des médecins
dans l’exercice
de la médecine.
Sociétal
N° 36
2e
trimestre
2002
85
DOSSIER
nérale des actes professionnels
(NGAP), proposée par le professeur Escat, attend-elle « sur le
bureau du ministre » une éventuelle mise en œuvre ? Cette
question est très importante
pour tous les spécialistes, puisqu’elle concerne tous les tarifs
opposables d'un système de prix
administrés, c’est-à-dire la base
même de la régulation économique
de la profession. Or la nomenclature actuelle est ancienne, la
dernière révision majeure datant
de 1972 : elle est donc injuste et
inadaptée. Les contrôles éventuels
sont en conséquence peu légitimes.
2
En 1995, plus
de 60 % des
médecins ont
voté au premier
tour des
élections
présidentielles
pour le candidat
Chirac.
En février 2002,
le candidat
aux élections
présidentielles
qui venait
en tête des
intentions
de vote des
médecins
était Jean-Pierre
Chevènement
avec 15 %.
Sociétal
N° 36
2e trimestre
2002
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Tout cela donne aux professionnels du secteur une impression
kafkaïenne du fonctionnement de
l'État. Des groupes se réunissent,
se documentent, innovent, travaillent sans être véritablement
rémunérés, et proposent par
esprit républicain une nomenclature conforme aux meilleures
pratiques médicales du moment.
Un rapport est rédigé, remis au
ministre. Rien ne se passe, sauf
les semaines et les mois, puis un
nouveau ministre nomme une
nouvelle commission… Le pouvoir politique, sauf circonstances
exceptionnelles comme en 1996,
manque du plus élémentaire
courage.
On comprend bien que, vu son
impact sur les rémunérations, la
révision de la nomenclature ne
peut se faire sans remous. Mais
la politique de prix est l'outil
majeur de la régulation : certains
actes comme l'appendicectomie
ne sont pas assez rémunérés,
d'autres le sont trop, toutes proportions gardées. L'absence de
révision a donc des conséquences
économiques immédiates et des
conséquences politiques profondes
et pernicieuses, parce qu'elle ôte
tout fondement à la légitimité du
système de paiement des spécialistes. Ce qui, dans l'indifférence
générale, laisse à chacun le soin
de se débrouiller.
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
d'articles médicaux, censé connaître
l'effet pharmacologique des 3500
principes actifs qui composent la
epuis 1930, la médecine a
pharmacopée allopathique, censé
changé de nature : elle est
interpréter les résultats des 850
devenue efficace. Cette efficacité,
examens de biologie qu'il peut
nouvelle dans l'histoire de l'humaaujourd'hui prescrire à ses patients ?
nité, provient des applications de
Bien entendu, le généraliste a sa
la recherche scientifique à la praplace dans le système de soins :
tique de l'art médical, jusqu’alors
c'est celle de guide et de conseil.
bien impuissant, sauf en de très
Mais c'est aussi, dans certaines
rares circonstances.
conditions, celle de
Les premiers succès (les
prescripteur. Et là, on
sulfamides et surtout Quel est le rôle
sent bien que quelque
les antibiotiques) ont du généraliste,
chose doit être redéfini.
été suivis par d'autres censé lire
découvertes et d'autres
Le discours politique
applications. Chaque jour, chaque mois
concernant les générade nouvelles publications une vingtaine
listes est d'autant plus
font évoluer le savoir de milliers
décalé que leurs actes
médical et, à terme, la
restent, en moyenne,
pratique de la médecine. d’articles
rémunérés 30 % de
Chaque mois, 25 000 médicaux,
moins que ceux des
nouveaux articles dans connaître
spécialistes. Décalé
des revues « à comité
aussi parce que leur
de lecture » sont publiés. l’effet de 3 500
formation se définit
En moins de trente ans, principes actifs,
souvent encore par
l'imagerie médicale a interpréter les
défaut : le « cursus
connu au moins trois
honorum » est toujours
grandes révolutions : le résultats des
celui du spécialiste.
scanner, la résonance 850 examens
magnétique nucléaire, qu’il peut
La gauche n'a pourtant
les traitements et repas cessé de soutenir,
constructions d'images prescrire à
par le verbe et les
(3D), sans compter ses patients ?
symboles politiques,
l'échographie
du
les généralistes et leur
« pet-scan ».
syndicat MG France, seul signataire important des dernières
Les médecins se spécialisent dans
conventions médicales. Elle a
des champs de compétence de
ignoré les spécialistes, considérant
plus en plus étroits : de fait, il
peut-être qu'ils étaient « riches »,
existe au moins une centaine de
« nantis », souvent « au secteur 2 »,
« spécialités », même si les facultés
et surtout qu'ils ne faisaient pas
de médecine n'en reconnaissent
partie de sa clientèle électorale.
en France que cinquante-six. Quant
Erreur, car s'il est vrai que, jusaux autres professions de santé,
qu'en 1995, le corps médical était,
leur nombre et leur qualification
dans sa grande majorité, proche
ne cessent de croître avec les
des positions du RPR2, lui-même
proche des positions de la CSMF,
nouvelles techniques diagnostiques
les ordonnances Juppé de 1996
et thérapeutiques.
ont bouleversé le paysage politique de la profession, le corps
Les conséquences de tout cela
médical s'étant estimé trahi par
pour la pratique de la médecine
la droite. La gauche n'en a pas tiré
sont considérables. Quel est, par
avantage, faute d'avoir compris
exemple, le rôle du généraliste
les transformations en cours, faute
censé lire, selon la déontologie en
aussi d'avoir pu imaginer des révigueur, cette vingtaine de milliers
QUELLE PLACE POUR
LES GÉNÉRALISTES ?
D
MÉDECINE DE VILLE : CHRONIQUE D’UNE CRISE ANNONCÉE
ponses politiques s'adressant à
chacun, et pas seulement aux
généralistes.
UNE GESTION
PAR LA GRÈVE
L
e plan stratégique de la
CNAMTS (Caisse nationale
d'assurance-maladie des travailleurs
salariés) proposait des réformes
dont l'objectif était d'agir sur
les dépenses d'assurance-maladie
plus que de refonder l'organisation
de la médecine. Le gouvernement
n'a même pas daigné y répondre,
pas plus d'ailleurs qu'il n'a répondu
aux suggestions avancées par les
partenaires sociaux3. Il s'est contenté
de réduire les prérogatives des
caisses, qui ne peuvent pas réviser
seules la nomenclature des actes
professionnels et n'ont plus leur
mot à dire que sur une partie des
rémunérations des professionnels
de santé, soit à peine 21 % des
dépenses de l'assurance-maladie.
en trois ans, une somme supérieure au budget de tout l'enseignement supérieur français (7,5
milliards d'euros). Les médecins,
et notamment les généralistes,
ne peuvent pas être les seuls responsables de ces dérapages qui
représentent 75 % de l'ensemble
des honoraires remboursés, puisque
ces honoraires ont depuis quelques
années peu augmenté en volume
et sont restés quasiment constants
en valeur. Le dérapage de l'assurancemaladie est d'abord dû à la consommation de médicaments.
La gestion politique du dossier
de la médecine a été une gestion
par la grève4. Le gouvernement a
toujours répondu aux manifestants
par des chèques, rapidement
libellés pour les hospitaliers, un
peu plus lentement pour les
libéraux. L'engagement « hors
bilan », pour reprendre un terme
de la comptabilité d'entreprise,
reste à ce jour très lourd : nous
n'avons pas fini de payer
Le Medef en a d'autant
les promesses faites l'an
plus tiré les leçons que, Le gouvernement
dernier, notamment en
pour être bénéficiaire a toujours
termes de revalorisation
de l'assurance-maladie
de carrière, promesses
répondu aux
– c'est une des consédont les conséquences
quences de la couverture manifestants
budgétaires ne se sont
maladie universelle – il par des chèques,
pas encore fait sentir.
suffit maintenant d'être
Sans augmentation
rapidement
résident légal sur le
majeure de la CSG ou
territoire, les références libellés pour
des cotisations sociales,
au travail et au fait de les hospitaliers,
l'assurance-maladie sera
cotiser ayant de fait
lourdement déficitaire
un peu plus
disparu. A une toute
cette année et l'année
petite nuance près, les lentement pour
prochaine.
montants remboursés les libéraux.
par chaque régime sont
Aucune des questions
les mêmes. Quelle est
que nous avons évoalors l'utilité de maintenir plusieurs
quées n'a trouvé de réponse
régimes d'assurance-maladie ?
politique. Les mécanismes de
Est-ce pour permettre aux agents
régulation sont inopérants et de
de ces caisses de vérifier des
nouveaux problèmes apparaissent.
droits que tout le monde a et de
L'application des 35 heures à
rembourser des feuilles de soins,
l'hôpital se fait dans une situation
alors qu'existe le tiers payant ?
de pénurie de main-d'œuvre
qualifiée. La démographie médicale
Depuis l'année 2000, les dépenses
a atteint un plateau, et les predépassent de 3 milliards d'euros
mières difficultés commencent à
par an l'« objectif » voté par le
se faire sentir dans des spécialités
Parlement, soit 9 milliards d'euros
comme l'anesthésie, la psychiatrie,
l'obstétrique, ainsi que dans certaines régions. De nombreux
médecins qui cessent leur activité
dans la France rurale ne trouvent
plus de repreneur pour leur cabinet. Les urgences hospitalières
des centres urbains connaissent
depuis bientôt dix ans une croissance continue de leur activité
car, en ville, les praticiens n'assurent plus les urgences et renvoient leur malade vers l'hôpital
ou vers des associations comme
SOS médecins. Il existe un clivage
entre ville et campagne : la médecine urbaine, faite de spécialistes
et d'établissements de soins
nombreux, se distingue de la
médecine rurale où le patient
appelle encore « son » généraliste
en premier.
La profession médicale reste
cependant unie, en dépit des
coupures traditionnelles et de
nouveaux clivages inventés par la
puissance publique, notamment
la multiplication d'enveloppes ou
de mécanismes spécifiques de
régulation qui font florès depuis
1991 : coupures entre la médecine
de ville et la médecine hospitalière,
les généralistes et les spécialistes,
les prescripteurs et les prescrits
(biologistes, radiologues…), le
sanitaire et le social.
L'AVENIR
EST AUX RÉSEAUX
Q
ue construire sur cet édifice
délabré ? Avant d'introduire
de nouveaux mécanismes économiques plus ou moins complexes
comme la concurrence, il convient
que les Français renouent un
dialogue avec leurs médecins, et
qu'il en sorte les bases d'un
nouveau contrat.
Le phénomène qui bouleverse
l'organisation de la médecine est
la division du travail. Dans quinze
ans en France, comme aux EtatsUnis, les unités de base du système
de soins ne seront plus des médecins,des cliniques, des pharmacies,
3
Il fut moins
insensible
aux voix des
associations,
notamment au
moment du vote
de la CMU.
4
Voir Jean de
Kervasdoué, « Une
politique de santé
par la grève »,
Le Monde,
10 janvier 2002.
Sociétal
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trimestre
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DOSSIER
SANTÉ : QUELLES RÉFORMES ?
PETIT LEXIQUE MÉDICAL
• Médecine libérale : ses principes, définis en 1926,
étaient la liberté de choix du médecin par son
patient, la liberté d'honoraires, la liberté de prescription, la liberté d'installation et le non-contrôle
des pratiques cliniques (en France, ce ne sont pas
les médecins qui sont contrôlés, mais leurs patients).
• Tarif opposable : si le patient exige ce tarif, qui
est remboursé par l'assurance-maladie, le médecin
perd la liberté de fixer le montant de ses honoraires.
• Secteur 2 : système inventé par Raymond Barre
quand il était Premier ministre, qui permet au médecins relevant de ce secteur d'être conventionnés
et en même temps de fixer librement leurs honoraires, à condition qu'ils le fassent « avec tact et
mesure ». Le patient ne se fera donc rembourser par
l'assurance-maladie que sur la base du tarif conventionnel de référence, c'est-à-dire le tarif du secteur.
• RMO : référence médicale opposable ; elle précise les conditions médicales de remboursement de
certains actes ou prescriptions. Les RMO sont
5
Jean de
Kervasdoué,
La qualité des
soins en France,
Editions
ouvrières,
Paris, 2000.
6
Il est possible
d’envisager que
ceci soit réalisé
par une instance
régionale.
Sociétal
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2e trimestre
2002
88
des dentistes ou des hôpitaux,
mais des réseaux qui contracteront en notre nom avec ces différentes professions ou institutions.
Chaque réseau assurera la coordination de la prise en charge du
malade entre tous les métiers et
institutions sanitaires et sociales.
C'est le réseau qui recevra le
financement de l'assurance-maladie, c'est lui qui, au nom du malade,
passera des contrats avec les professionnels et les institutions de
santé et contrôlera le bien-fondé
des pratiques cliniques.
Qui sera entrepreneur des réseaux ?
Ces derniers seront-ils en concurrence ? Comment s'exercera en pratique cette éventuelle concurrence ?
Quelles que soient les réponses, on
voit bien que tout ce qui peut
contribuer à la continuité des soins
et à la coordination de la prise en
charge des malades doit être dès
maintenant favorisé : médecine de
groupe, possibilité d'associer dans
un même cabinet des médecins, des
infirmières, voire d'autres métiers
de la santé…
toujours exprimées sous forme négative. Par
exemple : ne pas réaliser, sauf exception, plus de
trois échographies au cours d'une grossesse.
• Maîtrise médicalisée : terme inventé par la
CSMF, qui l'oppose à la maîtrise comptable. La
maîtrise médicalisée vise l'ensemble des conditions
médicales de prescription et de remboursement
des actes. Les RMO en font partie, et ne sont que
les premières ébauches de méthodes de contrôle
des pratiques cliniques en vigueur aux Etats-Unis,
mais encore discutées en France au nom du secret
médical. Elles représentent pourtant la voie à suivre.
• Contrôle de qualité : pour les pratiques cliniques, le contrôle de qualité est un des éléments
de la maîtrise médicalisée. Il consiste à comparer,
pour un ensemble de malades, les modalités de
leur prise en charge avec une prise en charge de
référence, telles que peuvent la définir à un instant
donné les meilleurs spécialistes, compte tenu des
connaissances médicales disponibles.
Mais, avant toute chose, ce dialogue hautement souhaitable doit,
pour déboucher sur un équilibre
stable, traiter simultanément
quatre questions : les modalités
et le niveau des rémunérations,
directes et différées (retraite),
des médecins ; la formation initiale et continue ; le contrôle des
pratiques cliniques ; enfin, la responsabilité médicale. Il n'est pas
inutile de rappeler que plusieurs
des principes de 1926 s'opposent
aujourd'hui à la mise en œuvre du
contrôle de la qualité des soins
médicaux : par exemple, le quasiuniversalisme du doctorat en
médecine, ou l'impossibilité de
vérifier les conduites thérapeutiques
courantes d'un praticien.
La gestion de la qualité des soins,
la maîtrise « médicalisée » est
aujourd'hui juridiquement impossible en médecine de ville. Il
n'est pas question de mettre un
contrôleur, fût-il médecin luimême, derrière chaque praticien,
mais de mettre fin à l'hypocrisie
collective qui consiste à prétendre
que toutes les prescriptions sont
adaptées. C'est certes souvent le
cas, mais l'on sait aussi qu'il y a
en France des sous-prescriptions,
des sur-prescriptions, des prescriptions inadaptées5 qui, dans les
autres secteurs de l'économie,
justifieraient des mécanismes de
contrôle. L'un des enjeux à venir
sera justement de préciser les
modalités et les conséquences de
ces contrôles et l'étendue, dans
ce domaine, d'une éventuelle
cogestion, avec les caisses
d'assurance-maladie ou avec
celui qui demain sera le financeur6
des soins médicaux.
Pour 90 % de la population, les
consultations chez les médecins
conventionnés se font sans débourser d'argent. Cela ne veut pas
dire que les médecins, comme
leurs patients, n'ont pas, à l'égard
de la collectivité, des devoirs,
contrepartie évidente de droits
importants et, pour les malades,
presque uniques au monde. La
gratuité ne peut se concevoir que
dans des circonstances médicales
MÉDECINE DE VILLE : CHRONIQUE D’UNE CRISE ANNONCÉE
ou financières particulières, ou
juridique de tels mécanismes,
encore parce qu'on a accepté
le dilemme est simple : plus la
certaines disciplines7 : celle, par
définition du panier de soins est
exemple, de consulter d'abord un
précise, moins il y a de concurmédecin préalablement choisi
rence ; plus elle est imprécise,
pour une durée minimale. Au
plus elle est inégalitaire. Si les
même chapitre des droits et des
Français tolèrent des systèmes
devoirs, il n'est pas
effectivement inégalipossible que perdure C’est une partie
taires, ils n'acceptent
en ville la possibilité
pas que ce soit une
de ne plus assurer des des idées des
inégalité de principe.
gardes ou des astreintes, HMO américains
Vo i l à p o u r q u o i l a
c h a q u e p r a t i c i e n qu’il faut
faisabilité politique de
pouvant renvoyer ses
systèmes fonctionnant
reprendre en
patients à l'hôpital.
sur la concurrence est
assez peu crédible.
France, celle
LA PRATIQUE
QUOTIDIENNE
AVANT
LES GRANDS
PRINCIPES
maladie (Pays-Bas, Allemagne).
La France pratique les deux à la
fois : un système régionalisé pour
l'hospitalisation (les ARH), étatisé
pour la médecine de ville. Une
des urgences sera de faire un
choix entre ces deux modèles.l
qui concerne
Reste la mise en place
de mécanismes de
q u a s i - m a rc h é e n t re
charge globale
producteurs de soins,
des malades,
notamment entre les
u'est-ce que le et non la
hôpitaux et les cliservice du public concurrence sur
niques, et à terme une
pour les médecins ? les modalités de
éventuelle concurrence
Quels sont les droits et
entre des réseaux de
les devoirs des patients financement.
soins. Mais l'intérêt des
qui font appel pour se
réseaux, avant l'introsoigner à de l'argent public ? La
duction d'une éventuelle concurdéfinition de règles du jeu doit
rence, est d'abord la coordination
précéder la mise en place de méorganisée. C'est donc une partie
canismes économiques nouveaux,
des idées des HMO américains
car il faut attacher plus d’impor(Health Maintenance Organization)
tance aux détails de la pratique
qu'il faut reprendre en France,
quotidienne qu'aux grands concepts
celle qui concerne la prise en charge
simplistes et simplificateurs de
globale des malades et non la
« concurrence », de « déconcenconcurrence sur les modalités de
tration » ou de « décentralisation ».
financement.
En France, beaucoup plus que
les principes, c'est bien souvent la
Et l'Etat dans tout cela ? On
mise en œuvre qui est critiquable.
conviendra qu'il ne peut être à la
fois l'inventeur de la réglementaLes expériences étrangères ont
tion, le contrôleur de sa mise en
montré que toute concurrence
œuvre et le principal producteur
par le financement, pour être
de soins. C'est probablement la
efficace, était aussi par essence
raison pour laquelle ses décisions
inégalitaire. De telles inégalités
sont le plus souvent inadaptées…
sont politiquement inimaginables,
L'Etat va donc avoir à décider
et, même aux Etats-Unis, il existe
de sa propre réorganisation. A
deux programmes (Medicare et
regarder les exemples étrangers,
Medicaid) qui financent les soins
il y a probablement deux pistes
aux personnes âgées et aux plus
à explorer : les systèmes régionapauvres. Quand il n'y a plus de
lisés avec financement unique
concurrence par le financement
(Canada, Royaume-Uni, Suède…) ;
mais par la gestion d'un « panier
et les systèmes où ce qui prime,
de soins »8 , pour reprendre l'idée
avant la région de résidence, est
du Medef, outre la complexité
l'affiliation à une caisse d'assurancela prise en
Q
7
Les propositions
qui consistent à ne
rembourser une
visite que quand
elle médicalement
ou socialement
justifiée vont dans
ce sens, même si
cette idée n’est pas
très facile à mettre
en œuvre.
8
Le « panier de
soins » représente
la totalité des actes,
des produits,
des prestations
et des services
remboursés à un
moment donné
par une assurancemaladie à ses
ayants-droit.
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