LA DOULEUR DE LA PERSONNE ÂGEE Docteur DUFRENE Christian Equipe mobile de soins palliatifs Consultation pluridisciplinaire de la douleur Centre hospitalier de Châteauroux FMC le 7 juin 2011 Cas clinique N°1 l l l l Mme B, 82 ans Amenée par sa fille pour lombalgies chroniques « rebelle à toute forme de prise en charge thérapeutique y compris antalgiques de palier III » évoluant depuis plus de 6 mois ATCD: HTA équilibrée, cholécystectomie, époux décédé d’une maladie d’Alzheimer. 2 enfants, 3 petits enfants. Notion de chute récente chez elle, sans conséquence apparente. Mode de vie: vit seule dans un petit appartement . Autonome pour les AVQ. Aide ménagère. Sa fille lui fait les courses. Ne sort pratiquement pas de chez elle. Cas clinique N°1 l Examen clinique: démarche précautionneuse avec une canne. ½ tour difficile. Raideur du rachis à la mobilisation dans toutes les directions avec réflexe d’appréhension. Palpation des muscles lombaire douloureuse avec une zone gâchette paravertébrale droite de niveau L4-L5. Pas de radiculalgie mais des fessalgies augmentées à l’étirement des muscles pelvi-trochantériens l Examens complémentaires: Polyarthrose rachidienne, discopathies étagées, scoliose lombaire modérée, pas de canal lombaire étroit. VS, calcémie normales Cas clinique N°1 l Traitement actuel - Association AA2-diurétique - Vasodilatateur artériel pour une plainte mnésique et des acouphènes - anti-arthrosique - Association Paracétamol et Tramadol faiblement dosé à la demande Cas clinique N°1 l Comment évaluez-vous la douleur? l Quels sont les éléments à prendre en compte dans cette évaluation? l Quelle prise en charge proposez-vous? (1) proverbe chinois : le médecin commence à avoir mal à la tête quand son patient a mal au dos. Définition de la Douleur « La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire potentielle ou réelle, ou décrite en des termes évoquant une telle lésion. » Association Internationale pour l’Étude de la Douleur (IASP, 1979) Douleur La perception sensorielle: dépend de mécanismes neurophysiologiques permettant le décodage de la douleur ( localisation, symptômes, intensité). La sensibilité varie d’un individu à l’autre. L’intensité de la douleur n’est pas proportionnelle à la gravité de l’atteinte physique. v Les émotions: La peur, l’angoisse (surtout la nuit), la dépression majorent la perception douloureuse. v Douleur v L’histoire individuelle: Douleur jugée comme rédemptrice, positive ou négative, punitive. v L’expression de la douleur: « Mettre des mots sur les maux ».Varie selon la culture, le caractère, l’éducation. Certaines personnes sont très démonstratives, d’autres beaucoup moins. Cela ne veut pas dire qu’elles ne souffrent pas. Toujours croire le malade. v La douleur totale ou globale: « J’ai mal = je suis mal » Intrication d’une douleur physique et d’une souffrance psychologique, sociale, spirituelle. DOULEURS AIGUES-DOULEURS CHRONIQUES Douleur aiguë Douleur chronique l Durée < 3 mois > 3 à 6 mois l Utilité signal d’alarme inutile l Origine monofactorielle plurifactorielle l Psycho anxiété dépression l Traitement Cause Bio-psycho-social l Objectif Réadaptation Guérison MODELE MULTIDIMENSIONNEL DE LA DOULEUR MECANISMES GENERATEURS P A T H O L O G I E NOCICEPTIF DOULEUR PERCEPTION COMPORTEMENT SENSATION NEUROPATHIQUE PSYCHOGENE IDIOPATHIQUE DEFICIENCE ENVIRONNEMENT FAMILIAL MOTEUR PROFESSIONNEL COGNITION VERBAL EMOTION SOCIAL INCAPACITE DESAVANTAGE Comment évaluer? DIFFICILE, mais systématique ! Qualitative : Ø importance de l’examen clinique. Ø D e l a r e c h e r c h e d ’ u n e c o m p o s a n t e neuropathique. Ø De l’étude du retentissement sur l’état psychologique et la qualité de vie. § Quantitative : Ø Par l’intermédiaire d’un outil adapté au patient. Ø Avant et après l’introduction des antalgiques. § Evaluation de la douleur (1) Patiente communicante: auto évaluation l Considérée comme la meilleure évaluation. l Patient = EXPERT. l Utilisation d’échelles unidimentionnelles. l Evaluation de la douleur (2) l l l EVS>EN>EVA N’est qu’une échelle d’intensité douloureuse ressentie au moment de l’évaluation par la personne. Perte de pertinence dans les douleurs chroniques 50% des P.A. lucides et communicants, ne sont pas capables d’utiliser une EVA. Simon AM et al. Évaluation de al douleur chez la personne âgée. La revue du généralise et de la gérontologie.1998;49:6-10 Eléments à prendre en compte dans l’évaluation l La plainte du patient âgé douloureux chronique est la résultante de composantes somatiques, psychologiques, sociales, l Le parcours médical du douloureux chronique est souvent complexe, mal vécu, avec sentiment d’échec, d’incurabilité , qu’il soit âgé ou non. l Du fait d’une attente démesurée (demande de guérison totale et définitive) génératrice de déceptions répétées. Eléments à prendre en compte dans l’évaluation l Du fait de paroles d’impuissance (« je ne peux plus rien pour vous ») avec vécu d’abandon par le patient ; l ou de catastrophisme (« votre dos est foutu », « vous risquez le fauteuil roulant », « vos os sont rongés »…). Attention aux discours tenus aux patients ! l Nomadisme médical : « je vais vous envoyer ailleurs, ce n’est pas normal que vous ayez toujours mal » l Intérêt d’un travail en équipe pluridisciplinaire et en réseau !! Eléments à prendre en compte dans l’évaluation l Evaluation de la dépression MINI GDS l Vous sentez-vous souvent découragé(e) et triste ? oui = 1 Avez-vous le sentiment que votre vie est vide ? oui = 1 l Etes-vous heureux(se) la plupart du temps ? non = 1 l Avez-vous l’impression que votre situation est l désespérée ? oui = 1 l [Un score ≥ 1 permet de suspecter l’existence d’une dépression] Eléments à prendre en compte dans l’évaluation l Evaluation du handicap l Intérêt du bilan-diagnostic kinésithérapique Kinésiophobie fréquente chez la personne âgée Littéralement « peur du mouvement ». Peur de se faire mal en bougeant surtout après une chute, avec évitements comportementaux. l l l Cercles vicieux Kinésiophobie Douleurs Contractures Le cercle vicieux de la chronicisation de la lombalgie Eléments à prendre en compte dans l’évaluation l l l l l l l l Finir par une évaluation gériatrique globale sur le modèle de l’ EGS les troubles cognitifs (I.A.D.L., test de l’Horloge, épreuve des 5 mots de Dubois), la dépression (Mini-Geriatic Depression Scale), l’équilibre et le risque de chutes (Épreuve de Tinetti, Get up and go Test, équilibre unipodal), la dénutrition (Mini Nutritionnal Assessment), le risque d’escarres (Échelle de Norton). Quelle prise en charge? l Plus la douleur est chronique, moins les antalgiques sont efficaces, quels que soient leurs paliers. Cela s’explique par le caractère multidimensionnel de la douleur chronique. l Plus la douleur est aigüe, plus les antalgiques sont efficaces. L’auto ou l’hétéro-évaluation guide le choix du palier de l’antalgique. Quelle prise en charge? l Prévalence des douleurs chroniques non cancéreuses dans la population générale: 25 à 40% selon les études. l Prévalence croissante de la douleur chez les hommes et chez les femmes âgés (25% chez les personnes de plus de 60 ans, 40% chez celles de plus de 80 ans). l Les échelles d’évaluation perdent de leur pertinence en douleur chronique, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas les utiliser l le recours excessif aux médicaments, notamment aux DOULEURS CHRONIQUES NON CANCEREUSES PLACE DES OPIOIDES FORTS l 6 points essentiels (AFSSAPS) l 1- Prise en charge globale 2- Les paliers de l’OMS ne s’appliquent pas à tous les syndromes douloureux chroniques (pas d’indication dans les douleurs myofasciales, les céphalées) 3- Il s’agit d’un traitement de 2ème intention 4- Certains syndromes douloureux chroniques ne sont pas sensibles aux morphiniques 5- En cas de doute, ne pas faire de surenchère et solliciter l’avis d’une structure douleur 6- Prendre en compte le rapport bénéfice/risque, les effets indésirables et le risque à long terme : effets délétères endocriniens, immunitaires, cognitifs, génotoxique. l l l l l Antalgiques l l l l l l Mêmes molécules utilisées. « Start low, go slow » Débuter à faible dose, augmenter lentement Importance de l’estimation de la CLAIRANCE de la CREATININE. Attention à la polymédication. Ici, association antihypertenseur et vasodilatateur: risque de chute Attention aux effets secondaires indésirables souvent plus fréquents. Réévaluation efficacité-tolérance Si nécessité de morphiniques: Pas de forme à libération prolongée d’emblée (Fentanyl en patch) Antalgiques l l l Penser systématiquement aux douleurs neuropathiques Importance des moyens non médicamenteux dans les douleurs chroniques. Plus la douleur est chronique, moins les antalgiques sont efficaces. Les antidépresseurs ont une action antalgique spécifique en cas de douleur associée à la dépression, qui se manifeste plus rapidement que l’effet antidépresseur En cas de doute, faire un test avec un antidépresseur Problème des douleurs musculaires chroniques Douleurs myofasciales : souvent segmentaires Association de la perception d’une corde musculaire tendue individualisable, d’une zone gâchette et d’une douleur référée. Rôle des postures, du stress, de l’anxiété, du vécu de la douleur et du handicap. • Situations les plus fréquentes: syndrome du piriforme, du ligament ilio-lombaire, bandelette ilio-tibiale… (Maigne) • Les douleurs musculaires chroniques ne sont pas sensibles aux morphiniques. (Action en périphérie sur les terminaisons A Delta et C si et seulement si il y a inflammation.) • Intérêt des infiltrations locales (corticoïdes non fluorés + Lidocaïne) suivies de massages transverses profonds et d’étirements l Moyens non médicamenteux Ø Ecoute active, empathie, discours rassurant Ø Thermothérapie (chaud – froid) Ø Massages Ø Relaxation, respiration abdominale Ø Kinésithérapie Ø Neurostimulation transcutanée Cas clinique N°2 l l l l l l Mme S. 87 ans Pensionnaire de l’EHPAD dans laquelle vous la suivez depuis 5 ans pour une maladie d’Alzheimer Dépendance physique et psychique importante. GIR 2 Communication verbale altérée. propos inadaptés, aphasie d’expression et de compréhension. ATCD d’HTA, de cancer du sein droit opéré il y a 10 ans.(mammectomie). Aucun traitement actuellement A des enfants en région parisienne qui demandent peu de nouvelles et des petits enfants qu’elle n’a pas revu depuis son admission en EHPAD. Cas clinique N°2 Depuis une dizaine de jours, s’oppose aux soins en criant, refuse l’alimentation, s’agrippe aux soignants lors de la toilette en les griffant, s’oppose au lever au fauteuil. Conséquence: apparition d’une escarre sacrée stade 1. l L’équipe est en difficultés devant l’attitude de Mme S. et vous demande votre avis l LA PERSONNE AGEE DOULOUREUSE EST UNE PERSONNE DOULOUREUSE COMME UNE AUTRE UNE PERSONNE AGEE DOULOUREUSE PRÉSENTANT DES TROUBLES COGNITIFS EST UNE PERSONNE DOULOUREUSE COMME UNE AUTRE Spécificités de l’association douleurtroubles cognitifs lDouleur lImpact et cognition de la douleur chronique sur la cognition « normale », lAtteinte des capacités attentionnelles (mémoire à court terme , de travail surtout), lDifficultés face à toutes tâches demandant un coût attentionnel (tâche interférente, attention partagée, etc.), lAtteinte lRôle des fonctions exécutives (difficultés d’inhibition) joué par les traitements? (nombreux chez l’âgé!!), pathologies somatiques? (effets iatrogènes ++) Spécificités de l’association douleur- troubles cognitifs Douleur et processus démentiel l Même impact de la douleur chronique sur la cognition « pathologique » (/cognition « normale »), Score au MMS peut être diminué par la douleur…!! l Pas d’impact sur la perception de la douleur mais surtout sur son expression l Le seuil de tolérance à la douleur est, comme dans la majorité des cas, influencé par des variables psychologiques, culturelles et Spécificités de l’association douleur- troubles cognitifs l La mémoire à court terme est la plus touchée au début de la pathologie, l’associativité douloureuse (mémoire à long terme ++) est ainsi préservée même si le sujet a du mal à l’exprimer l Non considérer la douleur peut majorer un peu plus le vécu d’étrangeté à l’égard de soi-même (abandon) ressenti par la personne en raison de ses troubles cognitifs et conduire à des angoisses archaïques de morcellement du moi (dysmorphophobie, hallucinations, vécu de persécution, éléments psychotiques ++…..) l Non ou mal prise en charge la douleur peut favoriser l’apparition de troubles anxieux et dépressifs qui compliquent le vécu et la prise en charge de la personne Spécificités de l’association douleur- troubles cognitifs l Plutôt modification de l’expression de la douleur que du ressenti . La démence n’a aucun impact ni sur le seuil, ni sur la tolérance à la douleur. l Les problèmes se rencontrent surtout en douleur chronique et lors des soins, des toilettes et des mobilisations. l La douleur chronique est présente chez 60% des PA , dont 1/3 de douleurs sévères. l l ö en fin de vie (60 - 70% dans le mois qui précède la mort). Le traitement du syndrome douloureux du dément ne doit souffrir d’aucun préjugé, ni d’idée reçue afin d’obéir aux stratégies à 3 niveaux de l’OMS. Spécificités de l’association douleur- troubles cognitifs L’observation du COMPORTEMENT est primordiale. Plus la démence est sévère plus la douleur influence les troubles du comportement. n Parmi les patients souffrant d’une douleur chronique, en dehors de tout épisode aigu, ceux atteints d’une démence sévère présentent significativement des troubles du comportement plus intenses et plus fréquents que ceux atteints d’une démence moins sévère. l Daisha J et al. Behavioral manifestations of pain in the demented elderly.jamda.2006:1-11 Spécificités de l’association douleur- troubles cognitifs TOUT CHANGEMENT DE COMPORTEMENT DOIT ETRE SUSPECT. • • • • • Confusion, agitation, régression, prostration. Troubles du sommeil. ø spontanée de la MOTRICITE (refus de se lever, de marcher). Refus de s’alimenter. Refus de soins. Comment évaluer? Les personnes totalement non communicantes n’existent pas ! l La communication verbale et raisonnée peut se perdre, la communication par d’autres canaux, d’autres modalités non verbales, reste possible (toucher+++). l On parlera plutôt de personnes non verbalisantes, non comprenantes ou non participantes l HÉTÉRO-ÉVALUATION (1) l Utilisation d’échelles comportementales. l Indispensable chez le patient « non communicant ». l Repose sur l’observation et l’appréciation du comportement par : • les médecins • les soignants • la famille Nécessite un travail d’équipe. l HÉTÉRO-ÉVALUATION (2) n ECHELLE DOLOPLUS • Validée depuis Janvier 99. • Créée et retravaillée par un collectif de 15 gériatres francophones formés aux soins palliatifs. • Nécessite un apprentissage. • Coter en équipe pluridisciplinaire. • Un score > 5 sur 30, signe une DOULEUR. • Si ITEM inadapté => coter 0. Doloplus 2 = échelle la plus appropriée pour les patients atteints de démence HÉTÉRO-ÉVALUATION (3) l ECHELLE ALGOPLUS • Cette échelle évalue 5 domaines d’observation l l l l RECOMMANDATIONS PRATIQUES. Remplir la grille dans l’ordre des items (débuter par la cotation de l’expression du visage) La simple constatation d’un comportement dans le domaine d’observation suffit pour que l’item soit côté " OUI ", même si ce comportement est connu et considéré comme habituel Il ne faut pas interpréter le comportement du patient, mais le coter systématiquement "OUI" s’il existe INTERPRÉTATION. l Chaque "OUI" est compté 1 point l La somme des items aboutit à un score sur 5 l Un score ≥ 2 points signe la nécessité d’une prise en charge antalgique l Evaluation du retentissement fonctionnel de la douleur et de la démence l l l l l l Régression psychomotrice allant jusqu’à la grabatisation Dépression Réduction du périmètre de marche Evitements des sorties Kinésiophobie, troubles de la proprioception Chutes… Intérêt d’une évaluation globale pluridisciplinaire Importance du dépistage TRAITEMENT (1) Mêmes molécules utilisées. l Prudence avec les médicaments aggravant un déficit cholinergique. l • • Acupan® Antidépresseurs tricycliques Pas de Fentanyl en patch d’emblée. Intérêt des tests antalgiques avec les morphiniques d’action rapide l Mêmes principes de traitement que chez la P.A.: l (CLAIRANCE de la CREATININE, polymédication, effets secondaires TRAITEMENT (2) ! La population démente est souvent sous traitée. La prescription d’antalgiques s’avère plus faible chez les patients ayant une altération des fonctions cognitives plus importante. § Ce n’est pas le déclin cognitif seul, mais son association à des comorbidités, qui limite la prise en charge. Cornali C et al. Diagnosis of chronic pain caused by ostéoarthritis and prescription of analgésics in patients with cognitive impairment. J Am Med Dir Assoc.2006;7:1-5 p=0,075 entre les 4 groupes p=0,016 entre MMS 0-12 et MMS 25-30 § 63,4% des patients atteints de démence décèdent avec un haut niveau d’inconfort (évalué par le MMSE). Aminoff BZ. Dying dementia patients : too much suffering, too little palliation. Am J Hosp Palliat Care.2005;22(5): 344-8 Conclusion Attention aux pièges: l Douleur minimisée ou banalisée : douleur mal soulagée l Douleur mal évaluée dans toutes ses dimensions: surdosage ou escalade thérapeutique l Intrication plainte douleur et souffrance globale : faire taire la plainte , pas la douleur….