COPACAMU 2008 Douleur aigüe : titration de la morphine Dr Agnès Ricard-Hibon Douleur aigüe : titration de la morphine Dr Agnès Ricard-Hibon SMUR Beaujon La douleur en situation d’urgence est fréquente mais reste encore insuffisamment prise en considération en urgence, que ce soit dans les services d’urgence intrahospitaliers (1,2,3) ou extrahospitaliers (4,5). Malgré les recommandations de sociétés savantes françaises (6,7) ou anglosaxones, le soulagement des douleurs aiguës en situation d’urgence reste insuffisant comme en témoigne les nombreux articles même récents sur l’oligo-analgésie dans ce contexte. Les raisons de cette oligo-analgésie sont multiples : facteurs organisationnels, peur de masquer un symptôme nécessaire au diagnostic, peur des morphiniques, douleur non considérée comme une urgence à l’opposé d’autres détresses vitales, etc. Mais les principales causes sont souvent un défaut d’évaluation de l’intensité douloureuse et/ou un recours insuffisant à l’analgésie par agonistes morphiniques (5,8). D’une manière générale, le choix de la technique d’analgésie dépend de l’intensité douloureuse, du rapport bénéfice/risque et du terrain. Le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et le MEOPA sont les traitements de choix pour les douleurs peu intenses mais sont insuffisants pour les douleurs sévères. Le recours à la morphine titrée intraveineuse se justifie d’emblée dès lors que les douleurs aiguës sont intenses, définies par un score > 6 /10 sur une échelle EVA ou EN (ou avec un score équivalent sur une échelle catégorielle en cas d’impossibilité de réaliser une EVA ou une EN) (6,7) ou lorsqu’une douleur modérée est insuffisamment calmée par les analgésiques non morphiniques. Il n’existe pas de contre-indication formelle à l’analgésie morphinique. En particulier, un traitement morphinique ne masque pas le diagnostic d’une douleur abdominale. Plusieurs études ont évalué la prescription morphinique dans ce cadre : toutes concluent à l’absence d’erreur diagnostique ou thérapeutique attribuée à l’administration de morphiniques (9,10,11,12,13,14). Il semblerait même que l’administration de morphiniques facilite l’examen clinique abdominal (9). La Titration de la morphine par voie IV en situation d’urgence La titration IV de morphine consiste à administrer une quantité fractionnée de morphine IV toutes les 5 minutes jusqu’à obtenir un soulagement jugé satisfaisant par le patient, le relais étant pris par la suite par de la morphine sous-cutanée ou en PCA IV. Les protocoles de titration de morphine prennent en compte l’intensité des douleurs et le niveau de vigilance. La dose de titration dépend de différents facteurs, en particulier de la sensibilité individuelle à l’action des morphiniques et du niveau initial de douleur. L’âge ne semble pas influencer la dose totale de titration (15,16). La technique de titration doit privilégier les bolus de faible dose avec des intervalles d’administration courts aux grands bolus avec des intervalles d’administration longs. En effet, durant une titration morphinique, le patient passe rapidement, d’un bolus à l’autre, d’un niveau de douleur supérieur à 6/10 sur une EVA/EN à un niveau de douleur inférieur à 3, et ceci après un nombre très variable et imprévisible de bolus déjà réalisés. Les recommandations de la Sfar préconisent un bolus initial de 0,05 mg/kg suivi de bolus de 2 à 4 mg toutes les 5 minutes jusqu’à l’obtention d’un score sur l’EVA/EN < 3/10. Le principe d’une dose de charge initiale est à l’heure actuelle controversée. Certains auteurs réfutent totalement l’idée d’une dose de charge, considérée comme inutile voire dangereuse, à fortiori lorsque la titration morphinique est déléguée à du personnel paramédical. D’autres préconisent une dose de charge initiale de 0,1 mg/kg (17,18). La littérature internationale qui préconise une dose de charge à 0,1 mg/kg ne peut être citée en référence dans le cadre de la titration car ces études sont réalisées avec une dose de morphine unique suivie d’une ré-évaluation à 30 min, ce qui ne correspond en rien à une méthode de titration (19,20). 1 COPACAMU 2008 Douleur aigüe : titration de la morphine Dr Agnès Ricard-Hibon En revanche, une étude française récente, randomisée, réalisée en préhospitalier a comparé une dose de charge de 0,1 mg/kg vs 0,05 mg/g suivies de bolus de 0,05 mg/Kg vs 0,025 mg/kg toutes les 5 min respectivement. Les résultats de cette étude montrent une absence de différence sur les scores de douleur à 30 minutes entre les 2 protocoles de titration mais une différence significative isolée à T10 min. Il n’existait pas de différence significative en terme d’effets secondaires mais sur un petit collectif de patients (17). A l’inverse, Ricard-Hibon et coll. ont récemment montré que lorsque le protocole de titration de la Sfar était respecté (bolus de 0,05 mg/kg suivi de bolus de 2 à 4 mg), le délai d’obtention de l’analgésie était obtenu en médiane en 10 min (8). 37% des patients étaient soulagés (EVA < 3) dès le premier bolus, ce qui laisse supposer que 37% de patients seraient en surdosage si le premier bolus était augmenté (8). En revanche, lorsque le protocole n’est pas respecté, soit en terme de dose initiale insuffisante, soit en terme d’espacement des bolus supplémentaires, le délai d’obtention de l’analgésie augmente de manière significative et le % de patients soulagés diminue (8). De plus, le % d’effets secondaires observé est plus élevé dans les études préconisant une dose de charge de 0,1 mg/kg comparées aux études préconisant l’absence de dose de charge ou une dose initiale limitée à 0,05 mg/kg (8,17,18,21). Il n’existe pas de dose maximale justifiant une interruption de la titration : la titration mrophinique se justifie tant que le patient a mal. En revanche, il est légitime d’effectuer une réévaluation médicale au bout de 5 boli. Une absence d’obtention d’analgésie après 10 boli justifie une réflexion médicale pour une ré-orientation thérapeutique. En conclusion, le protocole de titration morphinique proposée par la Sfar en 1999 reste adapté. Plutôt que de vouloir augmenter les doses initiales, il faut avant tout respecter les doses préconisées et les intervalles de titration afin de soulager efficacement et rapidement les patients. La titration morphinique peut s’accompagner d’effets secondaires qu’il est nécessaire de connaître mais qui ne doivent pas être un frein à la prescription (21). Les personnels doivent être formés à la prévention et à la gestion de ces effets indésirables. Avant d’effectuer une titration morphinique, il convient d’identifier les circonstances favorisant la survenue d’effets indésirables des morphiniques. Une dose même faible de morphine peut avoir des conséquences sur l’état hémodynamique, respiratoire et/ou neurologique du patient en provoquant par exemple une hypotension chez un malade hypovolémique, une détresse respiratoire aiguë chez un patient ayant une insuffisance respiratoire chronique évoluée ou une sédation excessive chez un patient déjà somnolent. Il est donc nécessaire, avant de traiter la douleur d’un patient par les morphiniques, d’évaluer cliniquement les fonctions vitales du patient, en particulier les états hémodynamique, respiratoire et neurologique. La surveillance doit être protocolisée, avec notamment la surveillance de la fréquence respiratoire et du niveau de sédation. A noter, la sédation peut survenir avant l’analgésie lors d’une titration morphinique (22). Cette surveillance médicalisée doit être poursuivie lors des transferts pour investigations complémentaires. La gestion des effets indésirables doit être protocolisée, avec notamment le recours aux antiémétiques (type droleptan à petites doses) et aux antidotes (naloxone) en cas d’effet indésirable grave. L’association d’analgésiques non morphiniques à la morphine, notamment des substances antihyperalgésiques (kétamine entre autre) permet de limiter les effets indésirables de la morphine (23). En fait, il n’existe pas, d’un côté, les patients traités par morphine IV et, de l’autre, ceux traités par des analgésiques non morphiniques. Tous les patients bénéficient de traitements non morphiniques et ceux souffrant de douleurs modérées à intenses ont, en plus et de manière concomitante, une titration IV de morphine (22). En effet, le concept d’analgésie balancée, introduit il y a une dizaine d’années et qui a rencontré un vif succès pour traiter la douleur postopératoire, s’applique aussi pour la douleur aux urgences. Il consiste à associer plusieurs analgésiques appartenant à des familles pharmacologiquement différentes afin d’augmenter leur puissance analgésique tout en limitant leurs effets indésirables. 2 COPACAMU 2008 Douleur aigüe : titration de la morphine Dr Agnès Ricard-Hibon La sortie du SAU vers un service d’aval peut s’envisager 1heure après l’administration du dernier bolus de morphine. L’aptitude à la rue de peut être envisagée que 2 heures après l’ l’administration du dernier bolus de morphine. Mais, malgré toutes les recommandations, les constats d’oligo-analgésie persistent (2, 3, 8). Comment faire pour améliorer la prise en charge de la douleur dans nos structures d’urgence ? Est-ce que les procédures d’assurance qualité sont efficaces pour optimiser ces prises en charge ? La réponse est OUI. Le meilleur moyen d’améliorer la prise en charge est de réaliser un audit et de montrer les résultats à l’équipe soignante (4,24). Il n’y a pas de meilleur « sensibilisateur » pour une équipe que de montrer leurs propres résultats et il n’y a pas de meilleur « moteur » que de montrer l’efficacité des procédures engagées. En conclusion La stratégie thérapeutique vise à favoriser l’utilisation de la morphine intraveineuse titrée d’emblée lors de douleurs intenses, associée aux antalgiques mineurs et/ou, le cas échéant à une technique d’anesthésie loco-régionale, selon des protocoles préétablis, validés et enseignés au sein de l’équipe. Au delà des discussions sur la dose initiale, les points importants pour obtenir un soulagement efficace et rapide sont : le respect des doses préconisées et l’espacement entre les ré-injections. Les effets indésirables existent mais sont limités lorsque les protocoles de titration recommandés par les sociétés savantes sont respectés. Le point de départ de la démarche est l’évaluation systématique de la douleur du patient à l’arrivée aux urgences, la mise en place le plus rapidement possible du protocole thérapeutique, puis la réévaluation de la douleur afin de vérifier l’efficacité du traitement et, enfin, l’évaluation de la douleur avant la sortie afin qu’aucun patient ne quitte la structure d’urgence avec une douleur supérieure à 3/10. 3 COPACAMU 2008 Douleur aigüe : titration de la morphine Dr Agnès Ricard-Hibon Références : 1. Wilson J, Pendleton J. Oligoanalgesia in the emergency department. Am J Emerg Med 1989;7:620-623. 2. Todd KH, Ducharme J, Choiniere M, Crandall CS, Fosnocht DE, Homel P, et al. Pain in the emergency department: results of the pain and emergency medicine initiative (PEMI) multicenter study. J Pain 2007;8(6):460-6. 3. O'Connor AB, Lang VJ, Quill TE. Underdosing of morphine in comparison with other parenteral opioids in an acute hospital: a quality of care challenge. 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