La déscolarisation : étude rétrospective d`une cohorte de 63 patients

publicité
Disponible en ligne sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
Article original
La déscolarisation : étude rétrospective d’une cohorte de 63 patients soignés
en ambulatoire dans un secteur de pédopsychiatrie
Out-of-school children: A retrospective cohort study in a French public psychiatric institution with
ambulatory care
L. Zugaj a,∗,b,d , N. Gotheil a,b , S. Delpech a,b , C. Jung b,c , C. Delmas a,b
a 1er
secteur de psychiatrie infanto-juvénile du Val-de-Marne, 41, avenue Carnot, 94500 Champigny-sur-Marne, France
b Centre hospitalier intercommunal de Créteil, 40, avenue de Verdun, 94000 Créteil, France
c Centre de recherche clinique, 40, avenue de Verdun, 94000 Créteil, France
d Union pour la défense de la santé mentale (UDSM), 17, boulevard Henri-Ruel, 94120 Fontenay-sous-Bois, France
Résumé
Il existe dans la littérature scientifique psychiatrique peu de données sur les jeunes qui se déscolarisent et sont soignés en ambulatoire. C’est
pourquoi nous avons mené une étude qui a pour objectif principal de proposer un état des lieux de la clinique de ces jeunes et de leur environnement.
Nous avons donc pour cela réalisé une étude rétrospective de 2010 à 2013 sur une cohorte de 63 patients déscolarisés et soignés en consultation
ambulatoire dans le Service. Les données recueillies concernent les caractéristiques socio-démographiques, puis les volets cliniques individuels et
familiaux et enfin la prise en charge. Les jeunes sont âgés de 15 ans en moyenne. Les diagnostics les plus fréquents sont les troubles anxieux (46 %)
et la dépression (39,7 %). Au niveau familial, nous constatons une surreprésentation des parents souffrant d’une pathologie psychiatrique (41,3 %).
Le nombre de patients qui interrompent prématurément les soins est important (28,6 %). Enfin, les prises en charge sont plus intensives que pour
les autres patients du Service et la rescolarisation reste longtemps possible (84,4 % des patients suivis). Nous n’avons pas obtenu de résultats
statistiques significatifs concernant les facteurs favorisant la reprise de la scolarité chez les patients suivis. Cette étude souligne l’importance d’une
prise en charge globale du jeune et de sa famille dans la perspective d’un retour à l’école.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Déscolarisation ; Adolescence ; Pathologie mentale parentale ; Pathologie du lien ; Soins ambulatoires
Abstract
In the psychiatric scientific literature, there is little data dealing with outpatient out-of-school children. The aim of this study was to report
clinical cases of these youth and their environment as well as their clinical management. We conducted a retrospective study, from 2010 to 2013 on
a 63-patient cohort. The patients were all out-of-school children who received outpatient medical consultations in our department. The collected
data were focused on socio-demographic characteristics, clinical data and care management. The youth were aged 15, in average. The most common
diagnoses were anxiety disorders (46%) and depression (39.7%). We have noticed an overrepresentation of mentally ill parents at the family level
(41.3%). The number of patients who decided to prematurely stop their care is high (28.6%). Finally, care management has been more intensive than
for the other patients of the department and the return to school has remained possible for a long period of time. We did not obtain any significant
results regarding the factors fostering re-schooling. This study highlights the importance of care involving both the youth and their family in the
perspective of returning to school.
© 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: School phobia; Teenager; Psychiatric parental disease; Child-parent relationship; Ambulatory care
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Zugaj).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2016.01.002
0222-9617/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
76
L. Zugaj et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
1. Introduction
Les jeunes déscolarisés qui consultent en pédopsychiatrie
posent des problèmes complexes de diagnostic et de prise en
charge. Ils mobilisent les équipes soignantes avec des résultats plutôt décevants [1–4]. Cette population est peu étudiée
dans la littérature psychiatrique, or elle représente 2 à 5 % des
consultations d’enfants et d’adolescents avec un sexe ratio de
1/1 [2,5–7].
Le terme de déscolarisation, plutôt du registre de la sociologie, est peu utilisé dans la littérature psychiatrique. Il rend
compte d’un état de fait objectivable : un élève, qui poursuivait
une scolarité dans un établissement scolaire, ne s’y rend plus. Il
a le mérite de ne témoigner ni de la position subjective du jeune
ni des mécanismes psychopathologiques sous-jacents.
Le refus d’aller à l’école est étudié depuis la fin du XIXe
siècle et fait l’objet d’une controverse depuis plusieurs décennies
[8–10]. Une première école de pensée le relie à une anxiété de
séparation d’avec les figures d’attachement principales [11,12],
une autre l’associe à une phobie [13,14]. Aujourd’hui encore le
débat n’est pas tranché comme en témoignent les classifications
psychiatriques actuelles. La classification française des troubles
mentaux de l’enfant et de l’adolescent situe la phobie scolaire
dans les symptômes phobiques [15] et la classification internationale des maladies dans les troubles du fonctionnement social
de l’enfant [16]. Dans les diverses versions du manuel diagnostique et statistique des maladies mentales, la phobie scolaire
apparaît comme une complication du trouble anxieux de séparation [5]. Dans sa dernière version [17], le refus scolaire anxieux
peut être rattaché soit aux symptômes d’angoisse de séparation
soit à la phobie sociale [1].
Le refus scolaire est un processus dynamique impliquant
plusieurs niveaux constitutifs imbriqués [18].
Tout d’abord, au niveau individuel, le refus scolaire peut être
associé à diverses pathologies individuelles isolées ou associées
entre elles : troubles anxieux, dépression et troubles du comportement (trouble oppositionnel, des conduites) [2,5,19–22].
Par ailleurs, plusieurs auteurs se sont intéressés au dysfonctionnement familial retrouvé chez ces patients déscolarisés
[2,22,23]. Parmi eux, certains identifient des configurations
familiales propices à la déscolarisation. Celles-ci sont liées à
une accumulation de facteurs de risques : familles exprimant un
désir d’ascension sociale, situations de névrose mutuelle (mère
phobique, père absent et relation fusionnelle mère-enfant) et
parents malades [6] ou au chômage [2].
Enfin, les difficultés actuelles de la société (chômage, crise
financière, difficulté à entrer dans la vie active. . .) tendent à renforcer l’exigence vis-à-vis du scolaire, qui devient omniprésente
[2,5,24]. L’idée du refus scolaire est ainsi liée à la norme sociale
que représente la scolarisation [18], obligatoire pour les enfants
français ou résidants en France de 6 à 16 ans révolus.
La prise en charge de ces jeunes est peu décrite dans la
littérature. L’ensemble des publications s’accorde pour parler
d’une prise en charge multidimensionnelle, pluridisciplinaire
et de réseau faisant intervenir plusieurs acteurs (médicaux,
scolaires et éducatifs). L’objectif principal des intervenants
est le retour à une scolarisation permettant la reprise d’un
processus de pensée mais également d’un lien social avec les
pairs [2,7,23,25,26].
Les prises en charge s’articulent autour d’un axe individuel
et d’un axe familial [1,2,27].
Au niveau individuel, les soins proposés tiennent compte
du refus scolaire mais également de la pathologie associée.
Ils sont extrêmement variés. Il peut s’agir d’une thérapie
individuelle de diverses orientations (analytique [2], cognitivocomportementale [21,28,29]), de médiations comme support à
l’échange et à la réactivation du processus de pensée. Une hospitalisation et/ou un traitement médicamenteux sont également
des alternatives thérapeutiques [1,19,21]. Des dispositifs institutionnels souples de type centre d’accueil thérapeutique à temps
partiel (CATTP) sont également proposés [2].
Un abord familial associé au traitement individuel est également retrouvé dans la littérature. Il peut s’agir d’hospitalisations
à domicile avec un abord multidirectionnel à la fois individuel
et familial [22], de thérapies familiales [19,27].
Au sein du premier secteur de psychiatrie infanto-juvénile
du Val-de-Marne, nous avons mené une étude de cohorte rétrospective dont l’objectif principal est de proposer un état des lieux
de la clinique et de la prise en charge de ces jeunes et de leur
famille.
2. Matériels et méthodes
2.1. Lieu de l’étude
La recherche porte sur une cohorte de 63 patients déscolarisés et soignés en ambulatoire dans le 1er secteur de psychiatrie
infanto-juvénile du Val-de-Marne, qui couvre 10 communes
de la banlieue parisienne. Le Service ne dispose pas d’unité
d’hospitalisation à temps plein. Les enfants et adolescents
sont donc reçus en ambulatoire dans un des 5 centres médicopsychologiques (CMP) ou au sein de la consultation accueil pour
adolescents (CAPADO). Les consultants qui reçoivent enfants et
adolescents sont psychiatres ou psychologues. Les diagnostics
sont réalisés avec la CIM 10.
2.2. Critères d’inclusion et d’exclusion
Les patients inclus sont âgés de 9 à 18 ans et doivent être
inscrits en classe ordinaire dans un établissement scolaire. Un
patient est déscolarisé lorsqu’il ne se rend plus en cours depuis
au moins 1 mois entre janvier 2010 et décembre 2013. Il doit
avoir consulté au moins une fois dans le service. La déscolarisation peut être le motif initial de la consultation ou survenir
au cours du suivi. Nous considérons qu’un patient reprend une
scolarité lorsqu’il réinvestit une activité scolaire au sein d’un
établissement scolaire ou d’une unité soins-étude. On considère
qu’un patient ne reprend pas la scolarité lorsqu’il ne retourne pas
dans un établissement scolaire, lorsqu’il est orienté en hôpital
de jour (HDJ) ou occupe un emploi.
Les patients exclus sont des patients pour lesquels une admission en institution sanitaire ou médico-sociale est en attente
et qui ne peuvent fréquenter un établissement scolaire en raison de leur pathologie psychiatrique. De même, les patients qui
L. Zugaj et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
présentent une pathologie physique médicale imposant une éviction scolaire transitoire sont exclus.
2.3. Données recueillies et statistiques
Nous avons élaboré un questionnaire qui étudie les
caractéristiques socio-démographiques, les données cliniques
individuelles du patient et de son environnement familial et enfin
la prise en charge proposée. Chaque questionnaire est rempli par
les investigateurs principaux en collaboration avec le consultant
du patient et à partir du dossier médical.
Les données sont exprimées par leur fréquence et leur pourcentage, ou leur moyenne ± les déviations standards. Les tests
de Mann-Whitney ou de Kruskal-Wallis sont utilisés pour la
comparaison des variables continues. Les tests du Chi2 ou de
Fischer sont utilisés pour les comparaisons des variables discrètes. Dans tous les cas, un p < 0,05 est considéré comme
statistiquement significatif.
3. Résultats
Durant les 4 années de l’étude, 2400 patients ont consulté sur
le secteur. Soixante-trois patients ont présenté un épisode de
déscolarisation, soit 2,6 % de l’ensemble de la file active.
Les principales données obtenues sont résumées dans le
Tableau 1.
Tableau 1
Données générales concernant l’épisode de déscolarisation, données sur la clinique individuelle et familiale chez 63 patients déscolarisés.
Caractéristiques de l’épisode de déscolarisation
Sexe
Âge (moyenne ± DS) [rangs]
Antécédent de redoublement/DM
Mode de début/DM
Début brutal
Début progressif (absentéisme)
Signes fonctionnels associés/DM
Évolution des patients et leur scolarité
Patients suivis
Reprise d’une scolarité
Non reprise d’une scolarité
Patients perdus de vue
Caractéristiques cliniques individuelles
Données concernant la petite enfance
ADS dans la petite enfance/DM
Troubles des apprentissages/DM
Diagnostic clinique
Trouble anxieux
Dépression
Trouble oppositionnel
Schizophrénie
TED
Trouble de l’humeur
Caractéristiques de l’environnement familial
Maladie psychiatrique chez un des deux parents/DM
26F (41)
37G (59)
15 ± 1 [9,3 ; 18]
26 (41,3)/3 (4,8)
60 (95,2)/3 (4,8)
22 (34,9)
38 (60,3)
34 (54)/3 (4,8)
45 (71,4)
38 (84,4)
7 (15,6)
18 (28,6)
14 (22,2)/26 (41,3)
12 (19)/4 (6,3)
29 (46)
25 (39,7)
10 (15,9)
8 (12,7)
6 (9,5)
1 (1,6)
26 (41,3)/13 (20,6)
DM : données manquantes ; pourcentages entre parenthèses.
77
3.1. Données socio-démographiques
La cohorte compte 37 garçons (59 %) et 26 filles (41 %). La
moyenne d’âge est de 15 ans, et correspond à la médiane ; le
patient le plus jeune est âgé de 9 ans, le plus vieux de 18 ans.
Quatre patients sont âgés de moins de 12 ans, 3 entrent dans leur
12e année et 1 patient est âgé de 9 ans.
Vingt patients sont concernés par la question de la migration.
Trois patients, 16 pères (25,4 %) et 11 mères (17,5 %) ne sont
pas nés en France.
Le niveau socio-économique est hétérogène (faible : 22
[35 %], moyen : 24 [38,1 %] et élevé 15 [23,8 %]).
3.2. Caractéristiques de la scolarité et de l’épisode de
déscolarisation
Vingt-six patients ont déjà redoublé (41,3 %). Trente-sept
(58,7 %) ont changé d’établissement scolaire dans l’année précédant l’épisode, il s’agit pour une grande partie de la transition
collège-lycée. Quarante-quatre patients (70 %) se déscolarisaient entre la classe de 4e et de première dont 17 patients en
classe de 2nde et 11 patients en classe de 3e .
Le recueil du niveau scolaire, réalisé lors des entretiens, est
une évaluation subjective faite par les parents en fonction de
ce qu’ils ont perçu de l’avis de l’établissement scolaire (notes,
appréciations. . .). Le niveau scolaire est hétérogène : bon pour
17 patients (27 %), moyen pour 18 patients (28,6 %) et faible
pour 23 patients (36,5 %).
L’épisode de déscolarisation est à début brutal pour
22 patients (34,9 %) et précédé d’absentéisme scolaire pour
38 patients (60,3 %).
Des signes fonctionnels sont présents pour 34 patients (54 %),
les plus fréquents sont les céphalées et les douleurs abdominales.
Dix-huit patients (28,6 %) ont interrompu le suivi de manière
prématurée sans avoir repris une scolarité au moment de l’arrêt
des soins. Nous ne connaissons pas leur devenir scolaire.
Sur les 45 patients suivis (71,4 %), 38 patients (84,4 % de
la population suivie) reprennent une scolarité, 33 dans un établissement scolaire ordinaire, 5 dans une unité soins-étude. La
durée moyenne de l’épisode de déscolarisation est de 9 mois
(9,25 ± 5,4 [1 ; 24]). Parmi ces 38 patients, 25 % reprennent
une scolarité après 11 mois de déscolarisation. Sept patients
(15,6 % de la population suivie) ne reprennent pas leur scolarité : 2 patients occupent un emploi, 1 patient est pris en charge
dans un hôpital de jour, 2 patients poursuivent leurs soins en
psychiatrie adulte et 2 patients maintiennent leur suivi dans le
service sans reprendre la scolarité.
3.3. Données cliniques individuelles
Les diagnostics cliniques des patients sont les troubles
anxieux pour 29 patients (46 %) (on recense un trouble anxiété
de séparation chez 12 patients, un trouble anxieux phobique
chez 10 patients, un trouble obsessionnel compulsif (TOC) chez
1 patient, une anxiété réactionnelle chez 5 patients et une anxiété
généralisée chez 3 patients), un épisode dépressif majeur pour
25 patients (39,7 %), un trouble oppositionnel pour 10 patients
78
L. Zugaj et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
(15,9 %), une schizophrénie pour 8 patients (12,7 %), un trouble
envahissant du développement (TED) pour 6 patients (9,5 %) ;
un patient présente un trouble de l’humeur avéré (1,6 %) et un
patient un épisode psychotique aigüe transitoire (1,6 %). Par
ailleurs, 6 patients (9,5 %) ont une problématique liée à l’alcool
(épisodes d’alcoolisation aigüe répétés) et 8 patients (12,7 %)
consomment du cannabis de façon régulière.
L’anamnèse de la petite enfance permet de repérer que
14 patients ont présenté une angoisse de séparation (22,2 %) et
12 patients des troubles des apprentissages (19,9 %).
Concernant les 18 patients perdus de vue, la moyenne et la
médiane d’âge est de 15 ans. On compte 8 filles et 10 garçons.
Huit patients présentent un troubles anxieux, 6 patients un
épisode dépressif majeur, 4 patients un trouble oppositionnel,
2 patients une schizophrénie, 2 patients un TED et un patient un
trouble bipolaire. Deux patients ont une problématique liée à
l’alcool et 4 patients une consommation régulière de cannabis.
Par ailleurs, on retrouve une angoisse de séparation dans la petite
enfance chez 7 patients.
pour son action anti-impulsive). Onze patients reçoivent une
monothérapie, 3 une bithérapie et 4 une trithérapie.
Sept patients souffrant de schizophrénie reçoivent un traitement médicamenteux ainsi que les patients qui ont un diagnostic
de trouble bipolaire, de TOC et d’ épisode psychotique aiguë
transitoire et ceux qui souffrent de trouble dépressif et/ou
anxieux sévères.
Entre les trois groupes de patients (patients suivis ayant repris
une scolarité, suivis n’ayant pas repris une scolarité et perdus
de vue sans information sur le devenir scolaire), nous ne trouvons pas de différences significatives concernant l’âge, le sexe,
les diagnostics cliniques individuels, la présence d’angoisse de
séparation dans la petite enfance, la présence d’une pathologie
mentale parentale, les consultations rapprochées, les entretiens
familiaux, les thérapies individuelles, les médiations et une
hospitalisation. L’exclusion des 4 patients prépubères (âgés de
moins de 12 ans) ne modifie pas de manière significative les
résultas obtenus.
4. Discussion
3.4. Données cliniques familiales
Parmi les 63 patients, on retrouve une séparation parentale
pour 32 d’entre eux (50 %), la famille de 18 patients (28,6 %)
est recomposée.
Vingt-sept patients (42,9 %) ont un des deux parents ou les
deux parents au domicile, il s’agit de parents au chômage pour
9 patients et 10 patients ont des parents en arrêt de travail ou en
invalidité en raison d’une pathologie physique ou psychique.
Au niveau familial, nous mettons en évidence que 26 patients
(41,3 %) ont un de leurs deux parents ou leurs deux parents qui
présentent une pathologie psychiatrique (alcoolisme chronique,
dépression, trouble bipolaire, schizophrénie, troubles anxiophobiques). Pour 14 patients (22,2 %), il s’agit de leur père, pour
20 patients (31,7 %) de leur mère.
3.5. La prise en charge ambulatoire proposée
Cinquante-trois patients (84,1 %) viennent en consultation
de façon hebdomadaire. Durant ces consultations, le jeune est
reçu seul dans un premier temps, puis parfois avec le parent
qui l’accompagne dans un second temps. Sept patients (11,1 %)
refusent les consultations hebdomadaires et viennent mensuellement. Trois patients (4,8 %) sont vus moins de deux fois
en consultation. Par ailleurs des entretiens familiaux mensuels
(en général un des deux parents et l’enfant) sont réalisés pour
56 patients (88,9 %). Neuf patients (14,3 %) bénéficient d’une
psychothérapie d’inspiration analytique, 13 (20,6 %) d’une thérapie à médiation artistique. Dix-huit (28,6 %) reçoivent un
traitement médicamenteux et 21 (33,3 %) patients bénéficient
d’un temps d’hospitalisation.
Concernant les traitements médicamenteux, 5 patients
reçoivent des antipsychotiques de première génération, 10 des
antipsychotiques de seconde génération, 6 des antidépresseurs,
6 des anxiolytiques non neuroleptiques et 2 des thymorégulateurs (Un patient pour son action thymorégulatrice et un patient
Les données socio-démographiques de notre cohorte sont en
accord avec celles de la littérature [2,5,13], excepté une légère
asymétrie en faveur des garçons. La moyenne d’âge est de
15 ans, avec 4 patients de moins de 12 ans. L’analyse statistique
ne montre pas de résultats différents en excluant ces patients plus
jeunes. Cependant, les facteurs psychopathologiques en jeu dans
le refus scolaire à l’adolescence sont bien différents [3]. Ils n’ont
pas été étudiés dans la cadre de cette étude. Un travail plus centré sur les mécanismes psychopathologiques impliqués dans la
déscolarisation en fonction de chaque tranche d’âge pourrait être
intéressant dans la compréhension de facteurs spécifiques liés à
chaque période de développement.
Le taux de redoublement en France est de 28,4 % en
2014 [30]. Dans notre cohorte, 41,3 % des patients ont
redoublé. Il ne s’agit pas seulement d’élèves avec des difficultés d’apprentissage, lesquelles ne concernent que 19 % des
patients. Ce taux de redoublement important pourrait témoigner
d’antécédents d’absentéisme mal repérés.
L’absentéisme est décrit par certains auteurs comme un
facteur de risque de refus scolaire [23]. Dans notre travail,
l’absentéisme scolaire précédant la déscolarisation est présent
chez 38 patients (60 %). Nous constatons donc chez ces patients
une continuité entre absentéisme et déscolarisation. Ce chiffre
doit cependant être relativisé. En effet, nous remarquons que
l’absentéisme est souvent minimisé par les familles ou masqué
par des allégations de troubles somatiques (54 % des patients ont
des signes fonctionnels). Nous avons pu rencontrer des familles
qui n’avaient pas repéré en tant que tel un absentéisme jugé
préoccupant par le médecin scolaire.
Parmi les patients suivis, une reprise de la scolarité est possible chez 38 patients de notre étude (60 % de la cohorte, 84 %
des patients suivis). Or le taux de reprise d’une scolarité après
une déscolarisation est variable dans la littérature et oscille entre
30 à 60 % selon les auteurs [1–4]. Le taux élevé de reprise de
scolarité retrouvé dans notre travail est à pondérer. En effet, il
s’agit d’une étude rétrospective sans suivi longitudinal de ces
L. Zugaj et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
jeunes. Une étude prospective sur plusieurs années permettrait
une véritable évaluation de la durée de la reprise de la scolarité
et de la survenue éventuelle d’un autre épisode d’absentéisme
et/ou de déscolarisation.
La durée moyenne de déscolarisation, pour les jeunes suivis
qui reprennent une scolarité est de 9 mois. Nous trouvons également que 15 patients (25 %) retournent en classe après plus
de 11 mois de déscolarisation [31]. Parmi ces 15 patients, seuls
3 patients sont admis dans une unité soin-étude, les autres ayant
repris une scolarité ordinaire. Ce chiffre nous indique l’intérêt de
poursuivre longtemps la prise en charge et l’objectif de rescolarisation, même après une année scolaire entière passée hors
d’un établissement scolaire.
Dix-huit patients interrompent leur prise en charge et nous
ne connaissons pas le devenir de ces jeunes. Plusieurs facteurs
peuvent être envisagés, à la fois individuels et familiaux. Les
soins sollicitent l’activité psychique, or ces jeunes ont souvent
une grande difficulté à mettre en œuvre leur pensée, qui apparaît
« gelée » [24,32]. On peut émettre l’hypothèse que l’activité psychique mobilisée par le fait même de consulter est vécue comme
potentiellement dangereuse et qu’ils s’en protègent par la rupture de soins. Auraient-ils quitté l’école pour les mêmes raisons ?
Par ailleurs, les parents sont souvent découragés et démunis et
ne perçoivent pas la dimension intra-psychique à l’œuvre dans le
refus de leur enfant d’aller à l’école. Ils peuvent alors se montrer
peu soutenants vis-à-vis des soins.
Dans notre étude, les 2 diagnostics associés au refus scolaire
les plus représentés sont les troubles anxieux et la dépression.
Or dans la littérature les pathologies psychiatriques les plus fréquemment associées sont les troubles anxieux, la dépression et
les troubles du comportement (troubles oppositionnels, troubles
des conduites) [2,5,19–22]. La faible proportion des troubles du
comportement retrouvée dans notre travail s’explique probablement par les habitudes de cotation des différents consultants de
notre Service. Par ailleurs, ces diagnostics sont réalisés avec la
CIM10, qui propose un regroupement de troubles sans repérage
d’une dimension plus structurelle de la pathologie et ne rendent
pas compte des modalités de fonctionnement psychique du jeune
[10]. Une étude plus approfondie avec l’utilisation de tests psychologiques nous paraîtrait intéressante dans le cadre d’un futur
travail.
Les résultats sur la petite enfance doivent être analysés avec
précaution, car les données manquantes sont nombreuses. La
petite enfance n’est pas interrogée de manière systématique par
le consultant. Le refus scolaire mobilise souvent une inquiétude
telle que parents et consultants sont centrés sur l’ici et maintenant. Par ailleurs la famille peut être réticente à en parler, ou ne
pas avoir repéré des symptômes dans la petite enfance.
La notion d’un dysfonctionnement familial est fréquemment
retrouvée dans la littérature [2,22,23]. Dans notre étude, nous
trouvons que 41 % des patients ont un des deux parents ou
leurs deux parents souffrants d’une pathologie psychiatrique.
La majorité de ces parents sont insérés professionnellement,
mais ont un risque accru d’arrêt de travail ou de chômage,
les conduisant à rester au domicile. Dans les CMP du Service,
le pourcentage de parents porteurs d’une pathologie psychiatrique diagnostiquée est de l’ordre de 18 %. On trouve donc une
79
surreprésentation importante de parents malades mentaux parmi
les jeunes qui se déscolarisent [6,33].
Nous émettons l’hypothèse que le processus de déscolarisation peut témoigner d’une pathologie du lien entre cet enfant et
ce parent souffrant.
Les jeunes peuvent considérer que penser, s’ouvrir aux autres,
s’émanciper, menacent la relation à leur parent et s’imposer
inconsciemment de quitter l’école. Parents et enfants sont en
partie liés autour de ce symptôme « déscolarisation » dont toute
modification implique un réaménagement de leur lien et une
séparation. Les parents peuvent être ambivalents à ce changement, pris dans une double contrainte réciproque [1,34].
D’autre part, nous avons repéré, à partir de l’impression
subjective des divers consultants, un fonctionnement familial
pathologique chez une proportion importante des patients de
l’étude. Cette appréciation ne peut être avancée comme un
résultat car nous ne l’avons pas objectivée plus avant dans le
cadre de cette étude. Elle est cependant congruente aux données
retrouvées dans la littérature [6,35] et pourrait faire l’objet d’un
travail plus précis.
Le soin ambulatoire proposé à ces jeunes dans le Service
s’oriente autour d’un axe individuel et d’un axe familial. Un
important travail de réseau, notamment avec les partenaires de
l’éducation nationale est également réalisé, que nous n’avons
pas exploré dans le cadre de cette étude. L’importance des
allégations somatiques (troubles fonctionnels) retrouvées dans
notre cohorte nous invite à inclure plus systématiquement les
médecins généralistes dans notre travail de réseau [7,26]. Par
ailleurs, le Service ne propose pas l’ensemble des modalités
thérapeutiques retrouvées dans la littérature, en particulier, nous
n’avons pas de CATTP, ni de possibilités de thérapie cognitivocomportementale [21,28].
Des consultations hebdomadaires sont réalisées pour
53 patients (84,1 %). Or le recueil global de l’activité du Service
nous montre que 17 % des patients toutes pathologies confondues sont reçus de façon hebdomadaire. Les jeunes déscolarisés
reçoivent plus de soins que la moyenne des autres patients du
Service, sans corrélation avec la gravité de leur pathologie en
terme de diagnostic psychiatrique. C’est bien la situation de
déscolarisation qui conduit à une prise en charge plus soutenue.
Le consultant en charge du jeune sollicite les parents à des
entretiens réguliers (56 patients, 88,9 %). Durant ces entretiens
familiaux, le jeune est le plus souvent reçu avec un de ses deux
parents, la mère dans la majorité des cas. Il est rare que les deux
parents soit présents simultanément et la fratrie n’est jamais
reçue. Le plus souvent donc, un même consultant reçoit à la fois
le jeune seul et avec sa famille. Peu de patients ont bénéficié
d’une psychothérapie individuelle, ce qui témoigne de la difficulté de ces jeunes à exprimer leurs affects et à explorer leur
psychisme. La médiation artistique a parfois pu être proposée
ce qui a aidé ces jeunes à remobiliser leur pensée.
Finalement, un tiers des jeunes seulement bénéficient d’un
soin individuel (psychothérapie ou médiation artistique) Cela
témoigne peut-être de l’adaptation des soignants au fonctionnement familial particulier dans ces situations pour lesquelles il est
nécessaire dans un premier temps de « travailler la séparation »
en restant « tous ensemble ». C’est dans un second temps que
80
L. Zugaj et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 75–80
pourra s’opérer une différenciation des espaces psychiques des
parents et des enfants, ce qui favorise une thérapie individuelle
pour le jeune menée par un autre consultant (couplée à des
entretiens familiaux) et la reprise éventuelle d’une scolarité
[19,22,27].
5. Conclusion et perspectives
Cette étude nous a appris la grande proportion de parents
souffrant d’une pathologie psychiatrique et l’intérêt de la
poursuite des soins, y compris pour la rescolarisation. Nous
formulons l’hypothèse d’une pathologie du lien parents-enfants
et de l’intérêt d’espaces thérapeutiques différenciés. Mais cette
étude rétrospective a des limites car le nombre de patients perdus
de vue est important. Nous souhaitons poursuivre cette recherche
par une étude prospective qui inclut plus de patients et évalue les
mécanismes psychopathologiques individuels et familiaux. Cela
permettrait d’étayer nos hypothèses plus finement et de garder
le contact avec les perdus de vue qui interrompent les soins. Les
facteurs favorisants la reprise de la scolarité pourraient alors être
précisés.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
[1] Benoit L, Barreteau S, Moro MR. « Phobie scolaire chez l’adolescent
migrant », la construction identitaire dans une approche transculturelle.
Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2015;63:84–90.
[2] Girardon N, Guillonneau J. Phobie scolaire à l’adolescence. Perspectives
Psy 2009;48:375–81.
[3] Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris: Masson; 2013.
[4] Mcshane G, Walter G, Rey JM. Functional outcome of adolescents with
school refusal. Clin Child Psychol Psychiatry 2004;9(1):53–60.
[5] Le Heuzey MF. Phobie scolaire ou refus scolaire ? Rev Prat 2008;58:741–4.
[6] Bahali K, Tahiroglu AY, Avci A, Seydaoglu G. Parental psychological
symptoms and familial risk factors of children and adolescents who exhibit
school refusal; 2011.
[7] Katz F, Leith E, Paliokosta E. 15-minute consultation for a child not attending school: a structured approach to school refusal. Arch Dis Child Educ
Pract Ed 2015 [edpract-2013].
[8] Binet A. La peur chez les enfants. L’année psychologique. Persee; 1895.
[9] Bowlby J. Attachement angoissé et « phobies » de l’enfance. Paris: PUF;
1978.
[10] Gaspard JL, Liengme N, Minjard R. Enjeux et perspectives psychopathologiques de la phobie scolaire. Neuropsychiatr Enfance Adoles
2015;63(2):67–75.
[11] De Ajuriaguerra J. L’enfant et l’école. Manuel de psychiatrie de l’enfant.
2e ed. Paris: Masson; 1974. p. 861–85.
[12] Johnson AM, Falstein EI, Szurek SA, Svendsen M. School phobia. Am J
Orthopsychiatry 1941;11:702–11.
[13] Catheline N. Refus scolaire et difficultés scolaires à l’adolescence.
Paris: Elsevier Masson SAS; 2012. p. 1–14 [psychiatrie/pédopsychiatries,
(292684)].
[14] Hahn P, Waldfogel S, Coolidge J. The development meaning and management of school phobia. Am J Orthopsychiatry 1957;27:754–76.
[15] Botbol M, Bursztejn B, Durand C, Coinçon Y, Garret-Gloanec N, Golse
B, et al. Classification française des troubles mentaux de l’enfant et
de l’adolescent–R-2012. Presses de l’école des hautes études en santé
publique; 2012.
[16] Classification internationale des maladies; 2008.
[17] American psychiatric association. Diagnostic and statistical manual of
mental disorders V. American psychiatric association; 2013.
[18] Esterle-Hedibel M. Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les
apports des recherches récentes. Déviance et Société 2006;30:41–65.
[19] Bernstein G, Hektner J, Borchardt C, McMillan M. Treatment of school
refusal: one-year follow-up. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
2001;40(2).
[20] Egger H, Costello JE, Angold A. School refusal and psychiatric disorders:
a community study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2003;42(7):
797–807.
[21] Heyne D, King N, Tonge B, Cooper H. School refusal: epidemiology and
management. Paediatric drugs 2001;3(10):719–32.
[22] King N, Bernstein G. School refusal in children and adolescents: a
review of the past 10 years. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2001;
40(2):197–205.
[23] Denis H. Le refus scolaire anxieux, prise en charge par une équipe multidisciplinaire. Enfance & Psy; 1998.
[24] Cordié A. De la phobie scolaire au surinvestissement du savoir. Enfances
& Psy; 2002.
[25] Hugon MA. Lutter contre le décrochage scolaire : quelques pistes pédagogiques. Informations sociales; 2010. p. 36–45.
[26] Gaspard JL, Brandibas G, Fouraste R. Refus de l’école : les stratégies
thérapeutiques en médecine générale. Neuropsychiatr Enfance Adolesc
2007;55(7):367–73.
[27] Bernstein G, Warren S, Massie E, Thuras P. Family dimensions in anxiousdepressed school refusers. J Anxiety Disord 1999;13(5):513–28.
[28] Layne AE, Bernstein G, Egan E, Kushner M. Predictors of treatment response in anxious-depressed adolescents with school refusal. J Am Acad
Child Adolesc Psychiatry 2003;42(3):319–26.
[29] Heyne D, Sauter FM, Van Widenfelt BM, Vermeiren R, Westenberg PM.
School refusal and anxiety in adolescence: non-randomized trial of a
developmentally sensitive cognitive behavioral therapy. J Anxiety Disord
2011;25(7):870–8.
[30] PISA à la loupe. OCDE; 2014.
[31] De Lamartine A. Le lac. Médiatations poétiques; 1820.
[32] Birraux A. Refus scolaire et difficultés d’apprentissage à l’adolescence.
EMC - Psychiatrie. Paris: Elsevier Masson; 1999 [37-216-D-10].
[33] Haute Autorité de Santé. Programme pluriannuel relatif à la psychiatrie et
à la santé mentale. Note d’orientation; 2013.
[34] Elkaïm M. Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Pourquoi ne m’aimes-tu pas toi
qui prétends m’aimer? Approche systémique et psychothérapie. Éditions
du Seuil; 1989.
[35] Carless B, Melvin GA, Tonge BJ, Newman LK. The role of parental self-efficacy in adolescent school-refusal. J Fam Psychol 2015;29(2):
162.
Téléchargement