actualité stratégique en Asie N°82 Espoir, désintérêt ou

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ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
N°82
1er mars
2011
Espoir, désintérêt ou inquiétude, l’ASIE face à la « révolution de jasmin » (1/2)
Mosaïque par définition plurielle, c’est sous des angles bien différents que le continent asiatique observe, depuis l’Orient, l’insolite « révolution de jasmin » bousculer depuis deux mois l’Afrique du nord et le Moyen-Orient, ses certitudes, ses régimes et les ordres — parfois autoritaires - établis. Il est vrai que toutes les capitales d’Asie, tous les gouvernements en place, ne sont pas précisément placés au même niveau pour apprécier ou se féliciter de la portée
des événements ayant dernièrement bouleversé Tunis, Le Caire ou Tripoli. L’occasion à travers ces deux pages succinctes de détailler les positions de ceux pour qui le « printemps de la rue arabe » ne change rien ou presque, ceux
feignant de s’y intéresser en regardant ailleurs, ceux qui devraient peut-être y prêter davantage d’attention et enfin,
ceux pour qui ce parfum de renouveau politique distille un arôme bien incommodant.
Les « peu ou prou concernés » : les pays où la démocratie et le développement économique prévalent, nonobstant quelques fragilités récurrentes. Parce qu’ils incarnent majoritairement les nations asiatiques ayant réussi ces dernières décennies l’enviable combinaison du développement économique dans un environnement politique où prédomine la règle démocratique et la
possibilité de l’alternance, appelons-les les nantis. Ces derniers, parfois aux
prises avec divers tourments internes (cf. instabilité gouvernementale et économie atone au Japon) ou régionaux (cf. situation tendue entre les deux Corées) préoccupants, ne sont pas directement concernés par la « révolution de
jasmin » impulsée depuis la rive méridionale de la Méditerranée, à l’exception
du rapatriement de leurs expatriés pris au piège d’une crise que personne ne
vit venir. Tokyo, Séoul, Singapour, New Delhi, la plus lointaine Canberra bien
sûr, figurent en bonne place parmi ces « privilégiés » ayant a priori peu à redouter des événements décrits plus haut. De même, quoi qu’à un niveau inférieur du fait de leur moindre aboutissement tant en matière démocratique
qu’économique, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, ou encore le Sri Lanka
enfin pacifié, le paisible Bhoutan himalayen et son bonheur national brut ou bien l’Etat archipélagique et ensoleillé
des Maldives paraissent eux aussi à l’abri d’éventuelles ondes de choc en provenance du bouillonnant Maghreb.
Pareil détachement à défaut de désintérêt serait en revanche moins compréhensible - voire qui sait peut-être maladroit, dangereux - pour la catégorie évoquée ci-après.
Ceux qui devraient se sentir interpellés par les événements : Etats enferrés dans une grave crise politique
ou sous le joug interminable d’un gouvernement réfractaire à la démocratie, affligés par la mauvaise gouvernance, une corruption endémique et / ou un environnement socio-économique ténu. Nous sommes ici déjà bien
loin du cadre esquissé dans le paragraphe précédent. En l’espèce, le syncrétisme entre développement politique et
économique aboutis...n’est pas encore réalisé ; les nations asiatiques concernées appartiennent encore toutes au
monde en développement et, à des niveaux variables, sont également toutes affligées par un ou plusieurs maux mettant en péril une situation déjà naturellement précaire. Ce ne sont pas les (mauvais) exemples de l’Afghanistan
(conflit en cours ; impéritie politique ; morcellement ethnique ; grave crise économique) et du Pakistan (fragilité politique ; démocratie bridée par le militaire ;
talibanisation et terrorisme ; économie en banqueroute) qui dépareront dans
un paysage frisant parfois la déshérence et le chaos. Le Népal, le Bangladesh
et le Cambodge, familiers eux aussi des environnements politiques internes où
la mauvaise gouvernance et le clientélisme disputent ces deux dernières décennies la place à la corruption, à un sous-développement criant et à une situation économique précaire, devraient peut-être se montrer plus attentifs au
courroux populaire exprimé dernièrement avec ténacité et succès, sans peur,
en Afrique du nord et au Moyen-Orient. Sans être les seuls de leur époque
dans le vaste espace asiatique, ces trois pays et régimes cumulent un ensemble de tares d’importance, entretenant auprès de leur population largement
paupérisée une mésestime notoire, quand il ne s’agit pas d’un mécontentement tout juste retenu par la peur. La peur et l’appréhension, deux verrous que l’on a pourtant vu sauter tout récemment. Dans cette catégorie, nous inclurons également, aux côtés de pairs pas toujours très flatteurs et à l’état
général incomparablement plus dégradé (cf. Afghanistan ; Pakistan), la Thaïlande du souverain A. Bhumibol, divisée
en 2011 comme elle ne le fut pas depuis longtemps, à la merci ces 5 dernières années d’une insoluble impasse
politique ayant fait valsé les 1ers ministres, malmené le verdict des urnes (cf. coup d’Etat militaire), multiplié les manifestations populaires au format considérable dans la capitale (populistes de l’opposition ou « chemises rouges » ;
sympathisants nationalistes pro-gouvernementaux ou « chemises jaunes »), miné la confiance des investisseurs
étrangers et lesté d’autant l’image du pays comme les perspectives de croissance économique.
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N°82
1er mars
2011
ACTUALITE STRATEGIQUE en ASIE
Espoir, désintérêt ou inquiétude, l’ASIE face à la « révolution de jasmin » (2/2)
Régimes dictatoriaux : une attention perceptible ; une jurisprudence à décourager. En d’autres recoins de la vaste région Asie-Pacifique, les événements inouïs secouant, bouleversant le monde arabe, sont suivis avec moins de recul, observés avec appréhension. En tout premier lieu par ce que nous nommerons les régimes dictatoriaux, composés essentiellement par un binôme insolite, terriblement anachronique mais ayant survécu la transition du XXe au XXIe
siècle, nonobstant ses limites, errances, aberrations diverses et variées. Aussi, dans la Corée du nord du Cher Dirigeant Kim Jong-il et de son Dauphin officiel Kim Jong-un (le Jeune général) et, dans une moindre mesure, dans la Birmanie des généraux désormais vêtus de costume trois pièces, là où la population n’a guère le droit d’exprimer un
quelconque courroux à l’endroit de ses despotiques dirigeants, d’émettre — sauf à ses risques et périls - réserves et
critiques à l’égard de la gestion des affaires domestiques, l’effet domino emportant l’un après l’autre des régimes hier
encore solides et martiaux amènent Pyongyang comme Naypyidaw à ne pas baisser la garde et à demeurer proactifs.
Ces jours derniers, les dirigeants de l’austère Pyongyang n’ont du reste eu de
cesse de blâmer la mobilisation d’activistes sud-coréens - un exercice pour le
moins fréquent - envoyant par-delà les airs (ballons gonflés à l’hélium) et le 38e
parallèle séparant les deux Corées des informations sur la « révolution de jasmin », à une population nord-coréenne comme il se doit dûment sevrée de toute
information extérieure pernicieuse et censée se contenter sagement des reportages montrant le Cher Dirigeant visiter qui une ferme, qui une usine, qui une
unité de soldats vaillants et bien nourris. Dans la Birmanie désormais officiellement post-junte (mais où officie toujours, dans l’ombre, l’omnipotent généralissime Than Shwe), les soulèvements populaires aboutissant en Tunisie et en Egypte
à la chute rapide d’un régime fort et régalien a interpellé les tenants du pouvoir,
ce, d’autant que les Birmans disposent d’une certaine capacité à s’informer sur
ce qui se passe ces derniers mois dans le volatile arc de crise s’étirant d’Alger à
Téhéran. Près de 4 ans après une « révolution de safran » (sept-oct. 2007) avortée, laquelle avait en son temps associé l’espace de quelques jours plusieurs milliers de moines bouddhistes et de manifestants passant outre leur crainte
d’être malmenés par les forces de l’ordre, emprisonnés et pire encore, l’improbable tour de force opéré en quelques
semaines à Tunis, au Caire et actuellement à Tripoli ne peut que redonner quelques idées, quelques espoirs aux 53
millions de Birmans qui commémoreront en 2012 un demi-siècle de gestion martiale. Habiles, maitresses dans l’art
de prévenir, dissuader et de réprimer toute velléité de contestation et de manifestation populaire, les forces et services de sécurité ont « encadré » à leur manière, ces dernières semaines, le suivi et l’enthousiasme généré par le départ de chefs de l’Etat discrédités et honnis de tous. Les activistes non-encore sous les verrous sont placés sous surveillance, les membres de l’opposition, représentés dans les récentes chambres nationales ou provinciales, « priés »
de ne pas s’exprimer sur le sujet ; surtout s’il s’agit d’en louer les bénéfices.
Les « démocratico-résistant ». Reste enfin à évoquer le cas de ces régimes naturellement réfractaires à l’exercice
de la règle démocratique et promouvant encore, en 2011, le dogme communiste. On ne s’arrêtera guère longtemps
sur la discrète République Populaire Démocratique lao (Laos ; 7 millions d’habitants) qui fêta en décembre dernier
ses 35 années de régime communiste ; plus exposé par la mondialisation dont il tire à toute vapeur (PIB + 6,8% en
2010 ; +7,5% en 2011) d’appréciables dividendes, son influent voisin vietnamien (90 millions d’habitants ; république
socialiste depuis 1976) observe avec davantage d’attention sinon d’appréhension le cortège de soubresauts ébranlant l’Afrique du nord et le fragile Moyen-Orient ; pour preuve, l’arrestation le 28 février de Nguyen Dan Que, activiste
de 69 ans bien connu des autorités d’Hanoi, lequel réclamait ni plus ni moins, en écho de la chute des régimes Ben Ali
et Moubarak, celle du parti communiste vietnamien… Enfin, pour finir par le modèle le plus emblématique, entre dogmatisme idéologique...et développement économique fascinant, le cas de la toute nouvelle 2e économie mondiale, l’atypique République Populaire de Chine. Des appels via réseaux sociaux à manifester pacifiquement dans une douzaine
de villes (dont Pékin et Shanghai), afin « d’inviter » les autorités à lutter plus âprement contre la corruption, l’inflation,
mais également à concéder plus d’espace et de substance aux libertés individuelles, … ont in fine réuni davantage de
forces de police, de membres des services de sécurité, que de participants. Dans les couloirs du pouvoir pékinois, pas
question de baisser la garde, de laisser le moindre doute naitre dans l’esprit des opposants. Certainement pas.
Prospective : région d’origine du jasmin, la lointaine Asie suit le cours insolite de la révolution du même nom bouleverser le paysage politique nord-africain et moyen-oriental, avec plus ou moins d’intérêt, d’inquiétude selon l’état de sa
relation avec sa population et la nature plus ou moins rigide de son modèle de gouvernement. Si d’influentes nations
développées et démocratiques d’Asie orientale (cf. Japon, Corée du sud) observent avec un certain recul, sans appréhension, évoluer ces scénarii hier encore improbables, si certains gouvernements d’Asie méridionale (Pakistan, Bangladesh, Népal) et du sud-est (Birmanie, Thaïlande, Cambodge) devraient mieux prendre en compte les envies de changement, la lassitude et les frustrations populaires, certains régimes hostiles au multipartisme et aux libertés publiques
montrent indiscutablement davantage de crispation, à l’instar du Vietnam, de la Corée
Olivier GUILLARD
du nord et de la Chine. On les comprend sans peine.
Directeur de recherches à l’IRIS
Associé Crisis Consulting
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