Les troubles du mouvement intentionnel : Approche évaluative et conceptuelle des troubles psychomoteurs Jean-Michel ALBARET Laboratoire “Adaptation Perceptivo-Motrice et Apprentissage” – EA 3691 Toulouse – 21 novembre 2005 Troubles psychomoteurs Les troubles psychomoteurs sont des troubles neurodéveloppementaux qui affectent l’adaptation du sujet dans sa dimension perceptivo-motrice : – Trouble déficit de l’attention/hyperactivité - TDA/H – Troubles du mouvement intentionnel - TAC 1 TAC • Trouble de l’acquisition de la coordination (TAC) – Dyspraxies de développement – Dysgraphies de développement TAC Dyspraxies développement Dysgraphies 2 Questions • Quoi ? – Caractériser les particularités motrices de ces enfants – Se donner les moyens de les repérer – Essayer d’ordonner la variabilité des manifestations • Comment ? – Comprendre quels sont les mécanismes à l’œuvre dans cette variabilité – Rendre compte d’un défaut de synchronisation présent à différents niveaux Critères diagnostiques du TAC A. Les performances dans les activités quotidiennes sont au-dessous du niveau escompté. B. La perturbation interfère de façon significative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante. C. La perturbation n’est pas due à une affection médicale générale et ne répond pas aux critères d’un Trouble envahissant du développement. D. Si retard mental, les difficultés motrices dépassent celles habituellement associées à celui-ci. DSM-IV-TR, 2000 3 Phénomènes principaux (1/2) • Contrôle postural – – – – Hypo- ou hypertonie (raideur, posture avachie) Immaturité (crispation des doigts à l’écriture) Equilibre statique (unipodal) Equilibre dynamique (saut cloche-pieds) • Coordination sensori-motrice – Lenteur, imprécision, manque de fluidité, variabilité dans différentes tâches : locomotion, danse, écriture, laçage de chaussures Geuze, 2005 Phénomènes principaux (2/2) • Apprentissages moteurs – Nouveauté (vélo) – Anticipation (attraper une balle) – Adaptation aux changements (marche surface non familière) – Automatisation du mouvement (double tâche) Geuze, 2005 4 Données épidémiologiques • Prévalence du trouble : 6 % des enfants de 5 à 11 ans • Sex ratio : 2/1 à 7/1 • Persistance des troubles à l’adolescence et à l’âge adulte dans environ 50 % des cas Etiologie pluri-factorielle et confuse • Deux logiques complémentaires – Modèle bio-psycho-social : conjonction de facteurs psychologiques, biologiques et environnementaux – Modèle cognitif de la motricité : anomalies associées aux différentes étapes du traitement de l’information • Perception • Sélection et programmation • Exécution contrôlée 5 Modèle bio-psycho-social • Biologiques : – – – – Facteurs héréditaires Facteurs pré, péri- ou néonataux Signes doux Anomalies cérébrales non spécifiques (EEG, Scanner) • Psychologiques : – Motivation de l'enfant • Sociaux : – Absence de stimulation – Limitation des occasions d'apprentissage Modèle cognitif de la motricité • Perception – Traitement visuel – Sensibilité kinesthésique – Perception sensorielle intermodale • Sélection et programmation – Déficit de modélisation interne – Défaut d’intégrité du transfert interhémisphérique • Exécution contrôlée – Déroulement temporel – Déficit de contrôle de la force musculaire 6 Modèles des troubles du développement •Modèle du Développement Cérébral Atypique (Kaplan et al., 1998) •Modèle neurobiologique de Ramus (2004) Facteurs de susceptibilité TDAH génétique 8 Facteur environnemental Dyslexie 7 19 23 Conditions 10 hormonales biologie 26 22 Perturbation cérébelleuse TAC Trouble moteur cognition comportement Maladresse / dyspraxie Ectopie de la couche moléculaire dans un cerveau de personne dyslexique (Ramus, 2004) Quoi ? : diagnostic • L’hétérogénéité des manifestations du TAC peut être interprétée à l’aide du modèle plurifactoriel des aptitudes de Fleishman (1954 à 1998) • Nécessité de disposer de plusieurs outils pour – mesurer ces différents facteurs, afin de mettre en place un projet de soin adapté – mais également pour chercher à rendre compte de la variabilité interindividuelle (Albaret et al., 1995) Aptitudes psychomotrices Aptitudes motrices 1. Contrôle précis des mouvements 2. Coordination des mouvements des membres 3. Choix des réponses motrices 4. Timing des mouvements 5. Temps de réaction 6. Stabilité main-bras 7. Dextérité manuelle 8. Dextérité digitale 9. Rapidité poignet-doigt 10.Rapidité de mouvements des membres 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Force statique Force explosive Force dynamique Force du tronc Souplesse d’extension Souplesse dynamique Coordination de l’ensemble des mouvements 8. Équilibre corporel 9. Résistance physique ou endurance 7 Démarche diagnostique Evaluation des coordinations selon l’âge •M-ABC ; Lincoln-Oseretsky Oseretesky ; TGMD ; Evaluation de l’écriture •BHK Bruininks- •Charlop-Atwell •Purdue pegboard 1 Problème OK Arrêt Praxies 2 •Imitation de gestes •Figure de Rey ou VMI OU •Test des bâtonnets SITP Perception •Développement Perception Visuelle •KST ou KAT Albaret & de Castelnau, 2005 Outils développés Dimensions Tests Subtests Coordination multi-membre Charlop-Atwell Pantin – Animal préhistorique Coordination deux actions Charlop-Atwell Saut avec demi-tour - Tournoiement Equilibre statique Charlop-Atwell M-ABC Equilibre sur pointe des pieds Equilibre 1 Equilibre dynamique Charlop-Atwell M-ABC Sauts successifs sur un pied Equilibre 2 et 3 Ecriture et contrôle graphique BHK M-ABC Dextérité manuelle 3 Coordination des deux mains M-ABC Dextérité manuelle 2 Dextérité digitale Purdue pegboard M-ABC 1, 2 et 3 Dextérité manuelle 1 Albaret & Noack, 1994 Béguet & Albaret, 1998 Charles, Soppelsa, & Albaret, 2003 Soppelsa & Albaret, 2004 8 Variabilité(s) • Ce qui ressort de l’ensemble de ces données et modèles c’est l’extrême variabilité des manifestations inter-individuelles • Mais … l’expérience clinique nous enseigne aussi que cette variabilité s’exprime également au niveau intra-individuel Question • Comment rendre compte de cette variabilité et, subséquemment, de l’absence de stabilité du comportement des enfants porteurs d’un TAC ? 9 Du Quoi ? au Comment ? De la variabilité à la stabilité • Certaines théories ont fait de la variabilité leur concept clef : – Pas un simple bruit – Mais une mesure de la stabilité • Stabilité : capacité du système à retrouver son état initial après une perturbation Æ Les théories dynamiques et de l’auto-organisation 10 Stabilité et dynamique Etat initial • Vallée = Attracteur ou patron de coordination stable • Bille = Système • Selon les contraintes, l’allure du paysage est modifié ce qui explique les changements de patron de coordination Modèle dynamique du développement (1/3) • Mêmes principes génériques – A différents niveaux – A différentes échelles temporelles • Existence de transitions de phase et de perte de stabilité à leur voisinage • Complexité comportementale est la résultante de l’interaction d’un nombre limité de mécanismes Æ Autorise une vision d’ensemble du développement moteur 11 Modèle dynamique du développement (2/3) Posture quadrupédie grimper course Équilibre dynamique marche – stabilisation réponse en cours – création nouvelle réponse – abandon réponse inefficace Gravité saut • Coalition de contraintes modifie la dynamique de coordination existante Æ phénomènes de compétition ou de coopération aboutissant à solutions motrices • Finalité adaptative Æ Muchisky et al., 1993 Modèle dynamique du développement (3/3) • La perturbation de ces mécanismes peut avoir plusieurs expressions phénotypiques selon le niveau atteint Æ Les différentes manifestations motrices chez les enfants TAC seraient dues à un trouble de la synchronisation à différents niveaux 12 Etude de la synchronisation • Synchronisation “externe” avec des stimuli visuels : paradigme de type Engström et al. (1996) avec situation de synchronisation puis de syncope • Synchronisation “interne” entre les membres supérieurs : paradigme de type Kelso (1984) avec réalisation de coordinations bimanuelles spontanées puis synchronisées avec des diodes lumineuses Protocole • Trois groupes d’enfants : 8-9 ans, 10-11 ans et 12-13 ans • Pour chaque groupe, 8 enfants TAC et 20 enfants contrôles • Trois tâches – Tâche attentionnelle de type CPT – Tâche de synchronisation-syncope – Tâche de synchronisation motrice 13 Tâche de synchronisation-syncope (1/2) - Tâche de synchronisation-syncope (2/2) ΔT T Synchronisation Syncope Phase relative (PR) = Δ T/T x 360° Æ Valeur PR requise = 180° 14 Etude de la précision 200 190 Trial 1 Cont Trial 2 Cont Trial 3 Cont Trial 1 TAC Trial 2 TAC Trial 3 TAC 170 160 150 140 130 Synchr 0,5 Hz 0,7 Hz 0,9 Hz 1,1 Hz 1,3 Hz Fréquence • Synchronisation : Essai x Groupe • Syncope : Fréquence ; Fréquence x Groupe de Castelnau, Albaret, Zanone & Chaix, 2005 – DCD VI Etude de la stabilité Variabilité intra-sujet de la phase relative (°) Phase relative (°) 180 120 100 Trial 1 Cont * 80 Trial 2 Cont Trial 3 Cont 60 Trial 1 TAC Trial 2 TAC 40 Trial 3 TAC 20 0 Synchr 0,5 Hz 0,7 Hz 0,9 Hz 1,1 Hz 1,3 Hz Fréquence • Synchronisation : Essai ; Essai x Groupe • Syncope : Groupe ; Fréquence ; Essai x Groupe ; Fréquence x Groupe • Passage : Groupe de Castelnau, Albaret, Zanone & Chaix, 2005 – DCD VI 15 Potentiels évoqués (1/2) • EEG moyenné, par rapport à un stimulus ou une réponse • Le potentiel évoqué reflète la décharge d’une large population de neurones • L’intérêt est la précision temporelle, de l’ordre de la milliseconde • Ils sont facilement utilisables chez les enfants Potentiels évoqués (1/2) 111 - 400 ms + 400 ms 16 Composantes des potentiels évoqués N100 Cz Bereitschaftspotential BP - 6 µv 250 msec P200 EMG Représentation schématique des différentes composantes du potentiel évoqué lié à une réponse motrice chez l’adulte, d’après Chiarenza et al. (1995) et Vidal (2004). Résultats potentiels évoqués Enfants de 8 ans • Aire BP augmentée chez les enfants de 8 ans • Latence augmentée pour la N100 -5.0 BP µV -2.5 CONT TAC 0.0 2.5 N100 5.0 -400 -300 -200 -100 0 100 200 300 400 ms Enfants de 12 ans Enfants de 10 ans -5.0 •-5.0 µV µV •-2.5 •0.0 2.5 •2.5 •5.0 -400 -300 -200 -100 0.0 N100 0 ms 100 200 N100 300 400 5.0 -400 -300 -200 -100 0 100 200 300 400 ms de Castelnau, Albaret, Zanone, & Chaix, 2005. EACD, 20 novembre 17 Conclusion (1/2) • L’augmentation de l’aire de la BP illustre une moindre synchronisation des populations neuronales qui se traduit par une perte de stabilité comportementale • La latence de la N100 illustre le retard dans les boucles de rétroaction - informations proprioceptives. • Hypothèse : désynchronisation entre mouvement et sa correction responsable de la perte de stabilité • Manifestations comportementales et mécanismes cérébraux sont régis par une même dynamique Conclusion (2/2) • Les manifestations comportementales observées dans la tâche de synchronisationsyncope sont de même nature que celles retrouvées – dans des tâches de coordination bimanuelles (Volman & Geuze, 1998 – HMS ; Albaret, Zanone & de Castelnau, 2000 - ANAE) – dans des tâches de tracking (Volman & Geuze, 1998). 18 Dégradation de la dynamique de l’écriture • Les mêmes principes gouvernent la motricité graphique chez les sujets ordinaires et pathologiques • Hypothèse sur la différence : – moindre stabilité initiale des patrons de coordination – sensibilité accrue aux contraintes Æ Etude de la dynamique de coordination graphique chez le sujet ordinaire et de sa dégradation sous diverses contraintes (vitesse, effecteur, situation de stress) Potentiel Dynamique de l’écriture 135° 45° 180° 0° Phase relative Formes Phase relative 0° 15° 30° 45° 60° 75° 90° 105° 120° 135° 150° 165° 180° Athènes, Sallagoïty, Zanone, & Albaret (2004). HMS 19 Effets de l’augmentation des contraintes Dégradation du patron le moins stable (135°) avec l’augmentation des contraintes (vitesse et effecteur) Erreur constante de la phase relative (deg) 15 •MDL 10 •MDR •MGL •MGR 5 0 -5 -10 -15 -20 -25 -30 0 15 30 45 60 75 90 105 120 135 150 165 180 Phase relative Sallagoïty, I., Athènes, S., Zanone, P.G., & Albaret, J.-M. (2004). MC Conclusion (1/2) • Transition intentionnelle entre les quatre patrons : – Temps de passage intentionnel lié à la stabilité • Plus de temps pour passer d’un patron plus stable vers un patron moins stable – Transitions plus courtes quand pas de changement d’orientation • Stabilisation de (certains) patrons avec le développement Zanone, Athènes, Sallagoïty & Albaret, 2005. IGS 20 Conclusion (2/2) • Dégradation de l’écriture chez l’enfant dysgraphique : dynamique moins forte • Dysgraphie et TAC : même affaiblissement de la dynamique ? • Trouble de la synchronisation à différents niveaux (musculaire, bio-mécanique, comportemental, cérébral, …) Perspectives (1/2) • Quoi ? – Etude transculturelle Liban-France du M-ABC (thèse de Carla Matta Abi-Zeid, Beyrouth) – Etude longitudinale en collaboration avec Michel Zorman (Grenoble) pour le dépistage des enfants TAC – Etude rétrospective sur les liens dyslexie-TAC avec Yves Chaix (publication en cours) et sur les modalités rééducatives – Etude sur la validité BHK : comparaison sujets contrôles et sujets dysgraphiques (Régis Soppelsa & Jérôme Marquet-Doléac) 21 Perspectives (2/2) • Comment ? – Etude multicentrique des liens dysgraphie et TDA/H (Marie-France Le Heuzey, Patrick Berquin) portant sur cent enfants avec comparaison traitement psychomoteur et traitement pharmacologique – Etude normale et pathologique de l’écriture et des coordinations : (comportementale et électrophysiologique) – Etude de la stabilisation au cours de l’apprentissage et des remédiations chez des enfants TAC et dysgraphiques – Pathologies motrices (maladie de Parkinson, etc.) (IFR 96) Merci de votre attention 22 Annexes Modèle de Burton et Miller 1 - Habiletés de mouvement (movement skills) – “une classe spécifique de types de mouvements orientés vers un but, comme courir, jeter, … ou même parler”. Elles sont de forme similaire et peuvent être modifiées par l’entraînement et l’expérience. 2 - Ensembles d’habiletés (movement skill sets). Les habiletés au sein d’un même ensemble sont homogènes (critères définis par des experts ou analyse factorielle). Habiletés de mouvements Ensemble d’habiletés Ensemble d’habiletés Ensemble d’habiletés 3 - Bases des habiletés de mouvement (movement skill foundations) : concernent “tous les aspects d’une personne – physique, mental, et émotionnel – lesquels facilitent ou contraignent l’exécution des habiletés de mouvement”. 4 - Capacité motrice générale (General Motor Ability) – trait individuel qui est à la base de la réalisation de toutes les habiletés motrices. Capacité motrice générale 23 Incapacité d’apprentissage moteur Principe de séparabilité neurale Processus stratégiques (frontal dorsolatéral) Processus d’intégration perceptivo-motrice (pariétal postérieur) Dyspraxie Incapacité d’apprentissage moteur Processus de séquençage (aire motrice supplémentaire et ganglions de la base) TAC Processus dynamique (moelle épinière) Principe de représentation différentiée Principe du double mode Espace allocentrique (voies ventrales, lobes temporaux ; support de la perception ; voie du « quoi » ; reconnaissance des objets) Mode conscient (explicite) Espace égocentrique (voies dorsales ; lobes pariétaux ; voie du « comment » ; contrôle perceptif du guidage de l’action) Mode non conscient (implicite) Innervation des muscles Contrôle postural (cervelet) Timing (cervelet) Ahonen et al., 2004 Biologie Modèle neurobiologique de Ramus (2004) Facteurs de susceptibilité génétique pour anomalies corticales Modulation génétique de la localisation Facteurs de susceptibilité génétique Conditions hormonales Perturbations thalamiques CGL-CGM Cognition Anomalies périsylviennes gauches Comportement Facteur environnemental Récupération lexicale lente Faible mémoire verbale à court terme Faible conscience phonologique Perturbation cortex pariétal supérieur Trouble auditif Trouble visuel Faible discrimination de fréquences Faible détection de contrastes Perturbation cérébelleuse Trouble moteur Mauvaises correspondances graphèmesphonèmes Dénomination lente Faible empan de chiffres Contrepèteries difficiles Lecture déficiente Maladresse 24 Les troubles du mouvement intentionnel : Approche évaluative et conceptuelle des troubles psychomoteurs Jean-Michel ALBARET Laboratoire “Adaptation Perceptivo-Motrice et Apprentissage” – EA 3691 Toulouse – 21 novembre 2005 25