Qu'est-ce qu'un concept ? « Les concepts sont les choses mêmes à l’état libre et sauvage » (G. Deleuze) Le concept de « concept » Définition générale Qu'est-ce qu'un concept ? Un concept est un nom commun, que l'on définit avec précision, pour contrôler exactement l'étendue de sa signification. Il doit valoir pour toutes les choses qu'il subsume (toutes les choses qui se rangent sous ce concept) et seulement pour elles. Par ce moyen, on peut s'en servir comme d'un outil précis pour des opérations d'argumentation : puisque l'on sait exactement à quelles sortes d'objets ce mot renvoie (du fait de sa précision), nous pouvons affirmer par son moyen des propositions sur la nature de ces choses. (Je viens de proposer un concept de « concept »). Platon disait qu'un philosophe est comme un bon boucher, qui doit découper le réel selon ses articulations. Le concept est l'instrument de ce découpage : c'est un outil, pour rendre le réel apparent. Ainsi, une même chose (par exemple une chaise) peut être découpée de manières différentes : avec un concept (le concept de chaise) ou avec deux concepts (tabouret + dossier). Unicité et pluralité du concept En tant qu'ils sont construits (par le philosophe, ou l'apprenti-philosophe), on peut avoir plusieurs concepts d'une même chose. Mais cela ne veut pas dire que « les concepts dépendent des individus », car les concepts ne dépendent pas des opinions. Ils sont le contraire de l'opinion. Alors que l'opinion est l'expression d'un point de vue singulier, le concept est un outil de communication et a une prétention à l'universalité. L'opinion est plurielle en droit ; le concept est unique en droit et n'est pluriel qu'en fait. Cela signifie que chaque philosophe propose une définition des concepts (et un système de concepts) exclusive d'autres définitions. Deux philosophes, en fait, auront deux concepts différents, mais cela ne veut pas dire que ces concepts sont relatifs. Ils sont, à l'intérieur de chacun des systèmes, les seuls concepts possibles. Deux opinions différentes présupposent souvent le même concept. Par exemple, un électeur de droite pense que trop d'impôt est injuste (opinion 1) et un électeur de gauche que plus d'impôt serait juste (opinion 2), mais ils peuvent très bien par ailleurs utiliser implicitement le même concept de justice comme « payer selon nos moyens ». Dans ce cas-là, simplement, il n'entendent pas exactement de la même manière le « selon ». Quelqu'un qui dirait que les plus pauvres doivent payer plus d'impôts (opinion 3) n'a pas forcément non plus un concept différent. S'il veut dire par contre qu'une société est juste lorsque une partie de la population se sacrifie, il a un concept différent, mais son opinion peut tout aussi bien vouloir dire qu'il pense que la justice est moins importante que l'économie. Intension et extension Attention à distinguer l'intension (sa définition) du concept, et son extension – ce qu'il subsume. Ainsi, je peux trouver belle la Joconde, et mon frère belle la Venus de Botticelli : nous avons pourtant le même concept de beauté (par exemple, l'harmonie des couleurs et des formes dans un tableau). Réciproquement, deux personnes qui trouvent belle la Joconde peuvent avoir des concepts différents (l'un pense que la beauté réside dans l’harmonie des formes et des couleurs, l'autre pense que la beauté réside dans le mystère d'une expression humaine). Pour philosopher, il faut passer de l'extension (des exemples) à l'intension (la définition). C'est-à-dire se demander d'abord à quels objets (dans leur différence) s'applique ce mot, et essayer de trouver le point commun entre ces différences. Pour construire le concept d'État, par exemple, il faut se demander à quelles choses on applique ce mot, et quel est leur point commun. De cette façon, il s'agit de transformer un usage (courant, et irréfléchi) en concept. Une fois ce concept (qui est une stylisation du sens commun) construit, il faut réfléchir aux exemples-limites qui permettent d'en modifier les lignes pour créer un concept original. Concept et philosophie Philosophie contre rhétorique On admet traditionnellement que le père de la philosophie est Socrate, et que la philosophie remonte donc au Vème siècle avant JC, à Athènes. Socrate était une sorte de philosophe errant qui arrêtait les passants dans la rue pour leur poser des questions d'apparence simple, tant qu'on ne les prenait pas au sérieux, mais qui s'avéraient autrement plus difficile dès lors qu'on les prenait au sérieux : « qu'est-ce qu'une action courageuse ? » (Lachès), « qu'est-ce qu'une société juste ? » (La République) Or, aux questions que pose Socrate, ses interlocuteurs sont souvent tentés, dans un premier temps, de proposer deux types de réponses par contraste avec lesquels nous allons comprendre ce qu'est la philosophie. Le premier type de réponse consiste à en rester à l'exemple. Ainsi, si l'on demande « qu'est-ce que la liberté ? », on pourrait être tenté de répondre « la liberté, c'est quand je pars en vacances », ou « la liberté, c'est quand je regarde la télé ». Or, cela ne nous dit pas ce qu'est la liberté, mais quand est-ce qu'il y a la liberté. Autrement dit, on a tendance à répondre par un exemple, alors que la question porte sur un concept. Le deuxième type de réponse, ce serait de dire « Pour moi la liberté c'est de ne pas travailler, mais pour un autre la liberté c'est d'avoir de l'argent grâce au travail ». On est bien dans la définition (« la liberté, c'est ceci », et non « la liberté c'est quand ceci ») mais on en reste à l'opinion : car on conclurait ici que chacun à sa conception de la liberté. Or, de même que « 2 et 2 font 4 » ne dépend pas des individus et de leur point de vue, Socrate cherche à trouver l'essence de la liberté : ou bien la liberté est disposer de son temps, ou bien de pouvoir acheter ce que l'on veut – mais ce n'est pas les deux. La deuxième dimension du concept, donc, c'est qu'il est universel, tandis que l'opinion est particulière. En fait, l'usage des concepts s'oppose essentiellement à la rhétorique. La rhétorique est l'art d'utiliser le langage pour ses effets, alors que la philosophie propose d'utiliser les mots pour leur contenu. Cette opposition est par exemple développée dans le débat de Socrate et le sophiste Gorgias. Socrate cherche la nature des choses, l'essence se cachant derrière le mot, alors que la rhétorique de Gorgias utilise les mots comme des drogues permettant de modifier la conformation des corps. C'est la raison pour laquelle la rhétorique est deux fois dangereuse pour Socrate : politiquement, car elle peut manipuler l'opinion d'une personne ou d'une foule et s'en servir à sa guise, et parfois à mauvais escient ; épistémologiquement, car l'enseignement du rhéteur est une « mauvaise nourriture » pour l'âme car elle n'apporte pas la vérité et le savoir rationnel mais un semblant de vérité. Or, le concept, lui, est un moyen pour accéder à la vérité. La connaissance par construction de concepts La question de savoir par quel moyen on peut arriver à la connaissance n'est évidemment pas une question simple, et elle constitue même une sorte de Graal ! En général, on considère différents moyens possibles pour accéder à la connaissance : − Une source de confiance (par exemple votre prof d'histoire) − L'illumination − La lecture de textes (éventuellement sacrés) − L'inspiration − La tradition − L'expérimentation scientifique, etc. La philosophie, depuis Socrate, considère que c'est le langage lui-même, ou plutôt un certain usage du langage, qui nous permet de parvenir à la connaissance conceptuelle. Cet usage du langage, il l'appelle « la dialectique ». Dialectique vient du Grec dialegesthai qui signifie dialoguer. On pourrait aller plus loin dans l'analyse en montrant que dialoguer signifie « deux raisons ». C'est par l'usage de deux raisons – ou par un usage double de la raison (« la pensée est un dialogue de l'âme avec ellemême », dit-il dans le Théétète) – que Socrate pense pouvoir parvenir à la connaissance, et que depuis lors la philosophie opère. En fait ce dont il s'agit, c'est de partir des opinions – par nature multiples – pour les dépasser en les confrontant elle-même. Reprenons l'exemple de tout à l'heure : l'un pense que la liberté c'est ne pas travailler, et l'autre que la liberté c'est gagner de l'argent – ce qui implique de travailler. Ces deux opinions sont manifestement opposées. Philosopher, cela consiste dans un premier temps à soulever ce problème, et dans un deuxième temps à essayer de le dépasser par la confrontation des concepts opposés. Soulever le problème, cela signifie prendre au sérieux la difficulté, et rendre ainsi compte de la pluralité des opinions : oui, ce n'est pas une question facile. La dépasser, cela signifie rechercher ce qui dans les opinions apparemment opposées est en fait identique, et trouver par ce fait une troisième voie qui dépasse l'opposition (trouver le concept unique derrière une pluralité d'opinions). En l'occurrence ici, en disant par exemple que si la liberté c'est de pouvoir acheter ce que l'on veut, on serait alors tout aussi libre si, sans travail, on avait de l'argent, et même, en allant plus loin si, sans argent, on pouvait faire ce que l'on veut. De même, si la liberté consiste à ne pas travailler, c'est parce que l'on considère que le travail nous empêche de faire ce que l'on veut. Autrement dit, en confrontant ces opinions et en argumentant, on arrive à une troisième possibilité, cette fois-ci conceptuelle et non pas 'opinative », selon laquelle « la liberté, c'est de faire ce que l'on veut », c'està-dire la possibilité de transformer ses désirs en actes ; position qui réunit et dépasse les deux opinions à partir desquelles on était parti. Concept et métaphysique On peut appeler « métaphysique » cette croyance, qui est à la base de la philosophie, selon laquelle on peut parvenir à la vérité simplement par un usage dialectique des concepts. C'est cette dimension métaphysique que certains auteurs modernes (Nietzsche et ses continuateurs, comme Deleuze et Derrida) ont critiqué, en proposant un retour à une conception affective et rhétorique du langage. Dans Le Crépuscule des idoles (1888), Nietzsche critique le fait que la pensée par concept est un oubli de l'histoire (parce qu'elle cherche ce qu'il y a d'identique entre toutes choses) et présente l'obsession philosophique pour la stabilité comme une maladie : Vous me demandez de vous dire tout ce qui est idiosyncrasie chez les philosophes ?... Par exemple leur manque de sens historique, leur haine contre l’idée du devenir, leur égypticisme. Ils croient faire honneur à une chose en la dégageant de son côté historique, sub specie aeterni, — quand ils en font une momie. Tout ce que les philosophes ont manié depuis des milliers d’années c’était des concepts-momies, rien de réel ne sortait vivant de leurs mains. Ils tuent, ils empaillent lorsqu’ils adorent, messieurs les idolâtres du concept, — ils mettent tout en danger de mort lorsqu’ils adorent. Dans ce texte, on le voit, Nietzsche interprète l'amour du concept abstrait (« momie ») comme une haine de la réalité concrète, qui elle serait devenir, histoire, changement. Ainsi, d'après lui, au lieu de parvenir à la vérité, les philosophes construiraient un monde fictif, au-dessus de la réalité sensible (« méta-physique »), monde rempli d'idoles (eidolon) et non pas d'idées (eidos). Il inaugure ce que l'on appellera les « philosophies de la différence » qui essaient de penser la différence entre les choses plutôt que leur point commun. L'usage des concepts dans les devoirs La dissertation Définir les concepts La définition en philosophie a le même rôle que l'hypothèse en sciences, et permet d'être la fondation première, le principe du raisonnement. Si, comme le pense Platon, on peut accéder à une contemplation directe des concepts, la philosophie devient même supérieure aux autres sciences, qui sont prisonnières de simples hypothèses invérifiables (elles sont « hypothético-déductives ») Malheureusement, il y a des chances qu'on ne contemple moins le concept qu'on le construise ou qu'on le fabrique. Deleuze et Guattari définissaient la philosophie comme la discipline qui fabrique des concepts. Problème et concept Puisque les problèmes, en philosophie, consistent dans le fait que deux affirmations opposées sont vraies en même temps, c'est la redéfinition conceptuelle qui va permettre de les résoudre. En effet, deux affirmations opposées ne sont vraies en même temps que si l'on emploie un même terme dans deux sens opposés. Définir le concept permet d'expliciter ces deux sens, de les distinguer et de choisir l'un plutôt que l'autre – donc de montrer à quelles conditions une affirmation est vraie. Par exemple, on peut dire en même temps qu'être libre, c'est faire ce que l'on veut, et que faire ce que l'on veut est être esclave de ses désirs. Définir le concept de liberté comme autonomie (se donner à soi-même sa propre loi) permet de donner une solution au problème : être libre est faire ce que l'on veut si l'on entend « ce que l'on veut » au sens fort (objet de la volonté) mais pas si l'on l'entend au sens faible (ce que l'on désire). La dissertation aura répondu au problème par reconfiguration conceptuelle. NB : au cours d'une dissertation, chaque thèse repose sur une certaine définition des concepts. Changer de thèse (changer de partie) implique donc nécessairement un travail de redéfinition des concepts. C'est cette redéfinition des concepts qui permet de résoudre le problème : redéfinir les concepts permet en effet de « redécouper » la réalité, selon ses articulations véritables. Concept et essence Définir un concept doit servir à définir précisément les relations d'essence (de nature, indépendamment des circonstances particulières) entre des choses. En définissant l'homme comme « animal rationnel », j'affirme qu'il y a une relation d'essence entre humanité et raison. « Relation d'essence » signifie dès lors que ce rapport n'est pas simplement un hasard, et que tout homme, en tous temps et en tous lieux, doit être pourvu de raison. En tant que concept, « L’État (en tous temps et en tous lieux) est une démocratie » implique qu'un État non démocratique n'est pas un véritable État. Il faut bien le distinguer d'une description empirique : « L'État (francais) est une démocratie » ne nous dit rien sur le concept d'État. Ainsi, une proposition est la définition d'un concept si l'on peut ajouter « selon son essence ». Exemple : lorsqu'on dit « les hommes ne sont pas égaux », on peut vouloir dire deux choses : Ø ou bien « les hommes, dans leur essence (en droit), ne sont pas égaux ». On propose là un concept d'homme qui permet d'argumenter en faveur d'une conception platonicienne de la justice comme harmonie (donc comme respect de l'inégalité naturelle). Ø ou bien « les hommes, dans la réalité (en fait), ne sont malheureusement pas égaux ». Ici, on ne propose pas un concept d'homme, mais un fait qui contredit le concept. Le concept serait celui-ci : « les hommes, dans leur essence, sont égaux ». L'explication Trouver les concepts dans un texte La connaissance précise des notions du programme permet d'identifier la plupart des concepts principaux des textes. Les concepts d'un texte sont ou bien les mots explicitement définis, ou bien les mots employés dans un sens étrange qui ne correspond pas à leur emploi commun. On peut donc les reconnaître à l'aide des moyens suivants : Ø Ils sont issus d'une tradition philosophique Ø Ils sont en lien avec les notions du programme Ø Ce sont des mots qui désignent quelque chose de général Ø Ils reviennent plusieurs fois dans le texte (ou bien directement ou bien à travers un réseau de synonymes), comme si le texte tournait autour d'eux Ø Ils rendent les phrases étranges, voire paradoxales – parce qu'ils consistent en un emploi non standard des définitions (regardez de nouveau le concept de « concept » proposé par Deleuze en exergue : « le concept est la chose même » et demandez-vous pourquoi cette définition est paradoxale). Un exemple Voici un texte de Rousseau, choisi au hasard dans une banque de sujets de bac : Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du désir d'en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu'on sent sont pénibles ; c'est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux. En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs ; car, s'ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C'est alors seulement que, toutes les forces étant en action, l'âme cependant restera paisible, et que l'homme se trouvera bien ordonné. À première vue, le concept de désir semble être le concept principal de ce texte. Pour deux raisons : non seulement à cause du nombre de ses occurrences, mais aussi du fait que ce soit un concept du programme. Cependant, on doit remarquer que le texte propose d'autres concepts : on le voit au fait qu'ils reviennent souvent (facultés, sensibilité, volonté, puissance, bonheur, misère) et qu'ils sont déterminés par des réseaux de définitions (« Tout sentiment de peine est... Un être sensible serait... En quoi consiste... ») caractérisées par leur généralité («Tout... toute... tout... ») . La plupart de ces concepts sont issus de la tradition, philosophique (sensibilité, volonté et puissance sont les facultés que l'on attribue traditionnellement à l'homme) ou chrétienne (misère). Il faut noter qu'en plus de désir, on trouve un autre concept du programme (bonheur). Poursuivons. Comme tout texte philosophique, ce texte s'attache à fabriquer des concepts pour répondre à un problème. Le concept-enjeu du texte sera donc l'outil utilisé pour réaliser cette opération. Or, dans le texte, on remarque un paradoxe : « En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs ». On pense habituellement que le bonheur consiste à réaliser nos désirs (concept qui stylise le sens commun). Or, Rousseau s'oppose à cette thèse et prétend que c'est le contraire. L'enjeu du texte est donc de proposer un nouveau concept de bonheur, alors que le concept de désir, lui, reste conforme au sens traditionnel (« tout désir suppose privation »). En effet, si l'on regarde la marche du texte, le paradoxe consiste à poser une question conceptuelle (« En quoi consiste le bonheur ? ») que la suite du texte essaie de résoudre (« Ce n'est pas..., car... ; ce n'est pas non plus..., car... ; mais c'est... »). Regardons la réponse proposée : « c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. » Voici la nouvelle définition du bonheur selon Rousseau – elle s'appuie sur une articulation originale entre des concepts définis selon la tradition. On doit donc distinguer les concepts-appuis (déjà définis, par un texte précédent ou par la tradition) et le concept-enjeu (que le texte construit de façon originale). On croyait au début que le concept principal du texte était le concept de désir ; mais celui-ci n'est qu'un concept-appui. Le concept-enjeu du texte, c'est le concept de bonheur. Le mouvement du texte, c'est de montrer que le concept de bonheur doit être défini comme articulation des concepts de désir et de facultés, pour résoudre un problème d'une conception du bonheur comme réalisation des désirs. Cette définition traditionnelle contredisait en effet une autre propriété traditionnelle du bonheur : le bonheur comme exercice plein de nos facultés. Cette définition était problématique, en effet, car la réalisation des désirs, si on la retraduit comme diminution des désirs (première opération de « fabrication », c'est-à-dire de redéfinition – ou si l'on veut de tour de passe-passe conceptuel, de la part de Rousseau), semble impliquer le repos des facultés (qui s'oppose à leur action). Rousseau veut penser ensemble bonheur et activité : le bonheur ne doit donc pas être une diminution des désirs, mais une conformation des désirs aux puissances des facultés. Et pour prouver que cette réorganisation des notions est opératoire, Rousseau finit en montrant que son concept de bonheur permet d'expliquer une des propriétés traditionnellement attribuées au bonheur : la paix de l'âme. En disant, « l'âme cependant restera paisible », il s'agit donc de redescendre depuis le concept vers la réalité : la nouvelle définition (intension) est plus conforme que l'ancienne à ce que nous nous subsumons (extension) habituellement sous le concept de bonheur. Synthèse Ø Un texte répond à un problème en construisant un concept-enjeu, c'est-à-dire en proposant une nouvelle intension à un concept de la tradition (ou du programme). Ø Cette nouvelle définition du concept-enjeu s'appuie sur des concepts-appuis, dont la signification n'est pas modifiée. Ø Cette définition est testée par un double aller-retour entre les usages du sens commun et l'originalité du philosophe d'une part, entre l'extension du concept et son intension d'autre part. Dès lors, le travail critique de l'épreuve consiste à : Ø Expliquer précisément le rapport des concepts au problème qu'ils permettent de résoudre. Ø Déconstruire l'organisation du système de concepts Ø Mettre en évidence l'écart entre la réorganisation conceptuelle opérée par l'auteur et les concepts de la tradition, des autres philosophes – ou ceux proposés par le candidat (qui doit fournir un travail philosophique d'argumentation – cf. plus haut).