Actes du Colloque international Les emprunts au français dans les langues européennes 1 2 Actes du Colloque international LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS DANS LES LANGUES EUROPÉENNES Craiova, 10-12 novembre 2011 EDITURA UNIVERSITARIA Craiova, 2011 3 UNIVERSITATEA DIN CRAIOVA UNIVERSITÉ DE CRAIOVA Comité de rédaction Maria Iliescu, Université d’Innsbruck (Autriche) Adriana Costăchescu, Université de Craiova (Roumanie) Mihaela Popescu, Université de Craiova (Roumanie) Daniela Dincă, Université de Craiova (Roumanie) Gabriela Scurtu, Université de Craiova (Roumanie) Lucrarea a fost elaborată în cadrul Proiectului PN II Idei Tipologia împrumuturilor lexicale din limba franceză în limba română. Fundamente teoretice, dinamică şi categorizare semantică (FROMISEM) finanţat de CNCS-UEFISCDI (2009-2011) 4 SOMMAIRE Avant-propos…………………………………………………………………... Maria ALDEA, Des emprunts au français dans le Lexicon de Buda (1825)… Mariana BARA, Sub formă (de)… [sous forme de…] ou des difficultés de la néologie en roumain…………………………………………………………………… Kátia BERNARDON DE OLIVEIRA, Adaptations phonologiques d’emprunts français en portugais……………………………………………………. Lucreţia-Nicoleta BICESCU, Les emprunts lexicaux dans les langues romanes: chronologie, terminologie, classifications……………………………… Christine BRACQUENIER, L’adaptation des emprunts lexicaux du français par la langue russe, de Karamzin à Akunin………………………………………... Silvia CACCHIANI, Chiara PREITE, Langues et cultures en contact: le statut des gallicismes dans l’anglais juridique du Royaume Uni………………. Corina CILIANU-LASCU, Remarques sur les emprunts d’origine française dans le domaine économique du roumain…………… ……. Cecilia CONDEI, La mobilité des mots: visées discursives et intégration textuelle………………………………………………………………………………… Adriana COSTĂCHESCU, Bref voyage culturel: les noms propres dans le vocabulaire de la gastronomie……………………………………………………… Elena DĂNILĂ, Marius Radu CLIM, Ana-Veronica CATANĂ-SPENCHIU, Les avantages de la lexicographie informatisée dans l’étude des emprunts lexicaux au français…………………………………………………………………… Elodie DESCLOUX, Pierre FOURNIER, Marjolaine MARTIN, Sophie VANHOUTTE, Les mots français en -eur (-euse) / -aire en anglais contemporain: emprunt et création lexicale………………………………………. Daniela DINCĂ, Le projet Fromisem: bilan et perspectives……………………. Ramona DRAGOSTE, Des emprunts d’origine française dans la langue roumaine actuelle: le domaine culinaire…………………………………………… Oana-Adriana DUŢĂ, Préstamos del francés en el lenguaje económico español y rumano: sintagmas nominales…………………………………………… Maria ILIESCU, Comment se fait-il que les noms bouchée et baiser se trouvent sur les menus roumains?...................................................................... Alice IONESCU, Quelques cas d’enrichissement sémantique des mots d’origine française dans le roumain actuel………………………………………… Ramona LEAHU, Un cas d'interférence linguistique: l'état de la langue roumaine courante sous l'influence du français à la fin du XIXème siècle…….... Mihaela POPESCU, L’étymologie des gallicismes du roumain…………………. Varvara PYROMALI, Facteurs d’usage des emprunts lexicaux du grec au français fonctionnant comme faux amis: l’influence de la langue maternelle à la compétence de la langue étrangère………………………………………………. Anda RĂDULESCU, Emprunts roumains des termes français du vocabulaire spécialisé: hôtellerie et tourisme…………………………………………………….. 5 7 9 20 35 50 65 78 98 110 119 132 145 163 176 187 196 204 214 227 240 260 Sanda REINHEIMER RIPEANU, «Gallicismes» «panromans»……………….. Mojca SCHLAMBERGER BREZAR, Les emprunts au français en langue slovène - des noms communs aux mots désignant des spécificités culturelles françaises………………………………………………………………………………. Gabriela SCURTU, Un cas de contact linguistique français-roumain: le domaine du mobilier…………………………………………………………… David TROTTER, L’anglo-normand et le français et les emprunts en anglais…………………………………………………………………………………… Titela VÎLCEANU, French borrowings – logonomic rules and translatorial ego in action……………………………………………………………………………. 6 270 278 289 299 310 AVANT-PROPOS Les langues ont toujours fait preuve de leur capacité de s’adapter aux changements sociaux, économiques, politiques, technologiques ou scientifiques. Pour pouvoir servir efficacement à la communication dans des contextes donnés et dénommer avec précision les nouvelles réalités, elles ont dû créer, dériver, emprunter ou adapter de nouvelles unités lexicales. Les emprunts lexicaux se constituent ainsi en un espace fertile de recherche qui suppose le contact entre plusieurs systèmes linguistiques, entre plusieurs cultures, entre plusieurs identités spirituelles. Ces derniers temps, le phénomène de l’emprunt lexical a suscité un vif intérêt de la part des chercheurs, qui se sont penchés sur les divers aspects de la circulation des mots pris et repris dans diverses langues. Les recherches ont examiné les multiples facettes de ce phénomène, à partir des aspects purement linguistiques (phonologiques, morphosyntaxiques, sémantiques ou pragmatiques) jusqu’aux aspects sociolinguistiques et culturels (qui voient dans les emprunts une manifestation du processus actuel de globalisation). Le présent volume réunit les contributions des participants au Colloque international Les emprunts lexicaux au français dans les langues européennes, qui a eu lieu à l’Université de Craiova, du 10 au 12 novembre 2011. Cette manifestation scientifique s’est déroulée dans le cadre du projet de recherche Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique (FROMISEM), qui s’est proposé de faire l’analyse des emprunts au français en roumain de différents points de vue (étapes de pénétration, domaines de manifestation, problèmes étymologiques et surtout changements sémantiques) dans le but d’esquisser, pour chaque aspect, une typologie spécifique du phénomène étudié. L’objectif du colloque a été ainsi de créer un lieu de rencontre et de réflexion sur la multiplicité des aspects soulevés par les transferts lexicaux et par la description du parcours suivi par les unités lexicales entre langue prêteuse (le français) et langues réceptrices (les langues européennes). Il s’est adressé aux personnes, ainsi qu’aux organismes et groupes de recherche intéressés par la néologie lexicale, signe de la vitalité des langues, en visant à mettre en évidence le rôle de pilier que le français a joué en tant que langue dont les mots ont été empruntés et adaptés par d’autres langues européennes (romanes ou non romanes). 7 Les actes de ce colloque ont été regroupés autour des axes suivants: 1. Aspects théoriques (autour des notions-clés: emprunt, gallicisme, néologisme, néonyme, calque, néosemie, etc.); 2. Rôle des emprunts au français pour l’enrichissement et la modernisation des lexiques des langues européennes (langue commune et lexiques spécialisés); 3. Aspects étymologiques (types d’étymologies, filières de pénétration, etc.); 4. Domaines de manifestation des emprunts; 5. Adaptation (graphique, phonétique, morphologique) des emprunts aux systèmes des langues réceptrices; 6. Typologie sémantique des emprunts lexicaux; 7. Perspectives lexicographiques; 8. Approche littéraire (traduction, néologismes dans l’oeuvre littéraire, regard de l’Autre). Nous remercions sincèrement tous les participants qui, par leurs communications et commentaires, ont contribué à la réussite de ce colloque. Un vif remerciement pour le Conseil National de la Recherche Scientifique (CNCS), organisme qui a fait possible l’organisation, le déroulement ainsi que la publication des actes. 8 DES EMPRUNTS AU FRANÇAIS DANS LE LEXICON DE BUDA (1825) Maria ALDEA Université Babeş-Bolyai de Cluj-Napoca, Roumanie 1. L’intérêt pour l’enrichissement de la langue, en général, et de la langue roumaine, en particulier, a représenté depuis toujours l’une de préoccupations des citoyens de la «Republica litteraria». Tout au long de la seconde moitié du XVIIIème siècle et jusqu’aux premières décennies du XIXème siècle on assiste à un déplacement nouveau vers une nouvelle étape de formation de la langue roumaine moderne, «une étape de transaction» qui représentera un moment charnière dans ce qui deviendra, par la suite, le processus de «modernisation et d’unification» de la langue roumaine littéraire. À l’intérieur de ce cadre dominé par un retour vers la langue-source – le latin – et vers les autres langues romanes, le roumain «se caracterizează, aşadar, prin numeroase tendinţe [...] de îmbogăţire cu împrumuturi lexicale mai ales din limbile romanice şi din limba rusă, de părăsire a turcismelor, a neogrecismelor şi a elementelor livreşti inutile şi de limpezire a frazei prin apropierea de limba vie a poporului»1 (Rosetti / Cazacu 1961: 367). Cette «redécouverte» de la culture occidentale doit ainsi beaucoup au renforcement des contacts d’ordre politique, économique, social et culturel. Parmi les acteurs de cette «réorientation», l’École latiniste de Transylvanie tiendra un rôle majeur. Pour les savants oeuvrant dans le cadre de ce mouvement à la fois idéologique et culturel, ce qui compte, avant tout, c’est «l’émancipation culturelle de tous les Roumains» (Munteanu / Ţâra 1983: 143). Leurs actions se développeront ainsi en deux directions majeures: d’une part, ils prêteront une attention particulière à l’élaboration de manuels, d’ouvrages de grammaire et de dictionnaires tandis que, de l’autre, ils manifesteront un intérêt accru pour la traduction des œuvres classiques appartenant à des auteurs français et italiens. En s’ouvrant vers les cultures occidentales, les membres de l’École ont facilité la pénétration dans la langue roumaine de divers termes scientifiques et techniques, se raccordant de cette façon aux idées véhiculées à leur époque sur le plan européen2. En dépit des réticences manifestées par rapport à l’usage des mots étrangers, les savants transylvaniens sont conscients de l’importance du recours aux emprunts. Ainsi, P. Maior n’hésite pas à avancer les propos suivants (1825: 9): 9 «Poetae non solum peculiarem in quibusdam habent Dialectum, sed etiam dialectos commiscent. Unde consequitur, Valachis jus esse una Dialecto subveniendi alteri, praecipue quoad copiam vocum. Quod propter illos Valachos adnotandum duxi, qui praeter Dialectum suae Patriae haud aliam norunt ; ideoque, dum quidpiam audiunt, ex alia Dialecto admisceri, quod a sua nutrice non hauserant, linguam Valachicam lacerari vociferantur.»3 Aussi les textes de ces savants servent-ils de fondement à la pénétration en roumain de nombreux termes provenant du latin et des autres langues romanes. Paru en 1825, le Lexicon de Buda constitue une des œuvres fondamentales de l’École latiniste. Ayant le mérite d’être un document incontestable en ce qui concerne la mémoire sémantique de l’époque, il couronne plus de trente ans de tentatives lexicographiques initiées dans l’espace pluriethnique et plurilingue de Transylvanie. 2. Bien que le discours sur l’emprunt constitue de nos jours encore un terrain d’étude insuffisamment exploité, le Lexicon de Buda retient le terme împrumut (emprunt) de même que sa famille lexicale (imprumutare; imprumutảtoriu; imprumutedzu, tare, atu; imprumutu, tare, tatu), sans préciser toutefois le sens d’«emprunt linguistique»: Imprumutu, tare, tatu. [«emprunter»]. [împrumut, tare, tat], verb. act. 1) cuiva, queva, séu pre quineva de queva: i.e. dau ỉmprumutu: a) qua se misẻ in tórquẻ iarẻ aquelaşi lucru, p. e. vre o carte, vre unu vestmėntu. ect. commodo: leihen. b) qua se misẻ in tórquẻ intru asémené p. e. bani, bucate, etc. mutuum do, mutuo do: költsön adni: leihen, borgen. de la quineva queva i.e. iéu imprumutu: mutuo, mutuor, mutuo summo: költsönözni, költsön venni: leihen, borgen, entlehen, aus Borg nehmen. a Lat. mutuo, as. Vu que le Lexicon compte plus de 13 000 entrées présentant des difficultés, nous avons choisi de nous pencher dans notre analyse seulement sur la tranche alphabétique appartenant à la lettre H. Notre corpus compte ainsi 288 articles4. Dans le cas qui nous intéresse, à l’exception de deux situations particulières dans lesquelles nous avons repéré un marquage explicite renvoyant à des xénismes5, nous n’avons pas réussi à identifier des marques d’emprunt proprement dites. Les deux entrées en question, à savoir: (1) Hảngeru, séu hảngeriu [«hanger»], m. pl. e. f. [Hăngeariu, pl. e], subst. cuvẻntu turcescu, şi insemnézả unu cuţitu mare, quare ’l pórtả la brảu turcii, spergả, stilettu, cuţitu spėntecảtoriu la Turci: sica, dolo, clunaculum, machaerium, pugio, culter turcicus: handzsár: der Dolch Taustdegen. (2) Hảrảmbaşu, [«chef de brigands»] m. pl, i. [Hărămbaş, pl. i.]. subst. e cuvẻntu strẻinu, signific. cảpitenie, séu capitinu preste lotri, vatévu lotrỉloru mai marele 10 tảlhariloru, Duca furiloru, archifuru, primariu predẻtoriloru; dux vel antesignanus praedonum: tolvajok, hadnagya, harambása: der Unfűhrer einer Rauberherde, présentant aussi les mentions: cuvẻntu turcescu (mot turc) et cuvẻntu strẻinu (mot étranger), nous apportent quelques indications concernant la perception de ces mots par les rédacteurs. Très brièvement, le locuteur roumain percevrait ces mots comme des mots étrangers. Quarante-quatre entrées du corpus retenu pour l’analyse présentent aussi une notice étymologique. Toutefois, aucune notice ne renvoie au français. On retient une étymologie. le plus souvent latine ou grecque optant aussi, parfois, pour une formation interne. Mais, dans la plupart des cas, il s’agit de notices exagérées6. Cette absence du marquage nous a mis ainsi devant la situation difficile de recourir à un repérage individuel des emprunts. Pour faciliter notre tâche, nous avons recouru dans une première phase à des ouvrages traitant de la problématique de l’emprunt au français dans la langue roumaine, à savoir le DILRLRV, le DILF et l’ouvrage de Ursu datant de 1962. L’examen du corpus dans la lumière de ces trois ouvrages nous a permis de procéder enfin à une première sélection (voir infra 2.1. et 2.2.) des emprunts au français présents dans le Lexicon de Buda. Dans une deuxième étape, nous avons procédé à une nouvelle sélection fondée sur la présence d’un équivalent français dans la description de chaque article (voir infra 2.3.). Nous donnons, dans ce qui suit, les résultats de notre investigation. 2.1. En nous rapportant aux trois ouvrages mentionnés ci-dessus, nous avons identifié une première série d’entrées qu’on pourra tenir pour des emprunts à étymologie uniquement française: (3) Harpíe [«harpie»], f. pl. ii. [harpie, pl. ii], 1) subst. paseri, séu sburảtóre fabulóse, scornite de poetici, cu capu, şi cu façie femeiéscả, érỏ altmėntrile asémene buheloru, cu picióre, şi cu mảni adủnci, adequẻ : cu ghiére mari de rảpitu : harpyia, monstra rapacia, et obscena : hárpia, ragadozó fene madár : die Harpne. 2) rảpítoríu, f. óre, furaciu- f. ce, furu : rapax, fur, elepta : tolvaj, ragadó : der Räuber, Dieb, Mausekopf. (4) Hecticả, [«hectique»] f. pl. ce. [hectică, ce], subst. oftica tabes hectica : hektika : die Hecktik. – quarele o are: hecticus: hectisch, hecticalisch. (5) Hemoroidzi.[«hemorroïdes»] [hemoroigi], séu emoroide : plur. hamorrhois, vel hemorrhoides : arany ér : die goldene Uder, die Hemorrhoiden. (6) Hidropicả, [«hydropique»], [hidropică], subst. boalả de apả: hydrops: víz korság : die Wasersucht. – quarele e cuprėnsu de hidropicả : hydropicus : viz korságos : wasersűchtig. (7) Hipocritả. [«hypocrite»] m [hipocrită], subst. hypocrita simulator pietatis : képmutató : der Gleisner, Heuchler, Muchter, der Scheinheilige. (8) Harmonescu, séu harmoniescu, séu armonescu, séu armoniescu : ire ; itu : [«harmoniser»], [Harmonesc, sau harmonesc, ire, it], verb. act. et neutr : facu harmonỉe : dau séu facu sunetu, séu versu cu harmoníe, mẻ lovescu in versu, sunu dopỏ mảiestríe. şi dulce la urechi : harmoniam efficio, harmunicum edu sonum, 11 concordo in sono : meg egyezni : öszve egyezni, öszve illeni : harmoniren, einstimmig senn, űbereinstimmen. Ital. armonizzare. (9) Harmonizezu, séu armonizezu, are, atu [«harmoniser»]. [Harmonizez, sau armonizez, are, at], verb. act., et neutr. facu, dau harmonie: facu, sỉ fíe cu harmonie: harmoniam efficio. V. Harmonescu: Ital. armoneggiare. Gall. harmoniser. L’examen de ces entrées de dictionnaire indique qu’elles renvoient à des domaines très différents comme, par exemple, la mythologie (exemple no 3) ou la médecine (exemples nos 4, 5 et 6). De ces quatre exemples, seul hidropică (hydropique) est présent dans le DILRLRV, tous les autres y étant absents. Le mot harpie (harpie) n’est présent que dans le DILF. Quant au mot hectică (hectique), la nature de son étymon suscite encore des débats: par exemple, Ciorănescu (2007: s.v. hectică) lui prête un étymon allemand – Hektisch. En ce qui concerne l’exemple no 7, il s’agit d’un mot exprimant une valeur axiologique de l’être dont la forme graphique représente un transfert du français, tandis que les exemples nos 8 et 9 renvoient à la musicologie. Ces trois derniers exemples ne sont mentionnés ni dans le DILRLRV ni chez Ursu. Il convient de souligner aussi un aspect supplémentaire, à savoir la présence dans la nomenclature du terme de deux formes (voir, dans ce sens, les exemples nos 5, 8, 9). Si la première forme à graphie française était un emprunt direct au français, la seconde, désignant la forme graphique adaptée phonologiquement et sémantiquement au roumain, allait néanmoins s’imposer. 2.2. Ce sont toujours ces trois ouvrages qui nous ont facilité l’identification d’une deuxième série de mots à étymologie qu’on pourrait appeler étymologie «multiple», c’est-à-dire des emprunts soit au français, soit à une autre langue7: (10) Hanseaticu, [«hanséatique»] f. ả, pl. ci, f. ce. [hanseatic, ă, pl. ci, ce], adj. impreunatu, insỏçitu, federatu; in atare soçietate de negotiảtorie luatu: hanseaticus, foederatus, foedere junctus: szövetséges, egyesült: vereiniget, verbunden; Nota: Aquestu cuvẻntu se dzice noma de cetảţile quele de lỏngỏ mare, quare au legảtuėntia la olaltả in lucru negotiảtoriei, deunde se şi numescu: cetảţi hanseatice, adeq: ceteţi de lỏngo mare pentru mái bonả negotiảrie la olaltả insoçite: civitates hanseaticae, emporia foederata: szövetséges tengerí városok: die Hanseestädte. (11) Harfả [«harpe»], f. pl. e. [harfă, e]. subst. unu instrumẻntu musicescu, chitarả, psaltire : harpa, harpe, nablium, psalterium, harbitos, cithara: bárfá: die Harfe. – quarele dzice cu harfa, harpicen: harfa pergetö: der Harfanist, oder Harfenspiler; Gall. Arpa, Hisp. Harpa: ab harpa – p. in f. mutato. (12) Harmonie, séu armoníe [«harmonie»], f. pl. ii. [Harmonie, sau armonie, pl. ii] subst. 1) cuvenėntia, séu lovirea verşuriloru la olaltẻ: frumósả impreunả versuire: harmonia, concentus, symphonia: ékesegyező éneklés, hang egyezés: die Zusammenstimmuug, Harmonie, der Concert. Ital. armonia, Gall. harmonie. Hisp. harmonia. Us. cảntu la, séu cu harmonie: ad harmôniam cano: musikai mesterség szerént énekelni: ein Concert anstimmen. 2) cuvenentia, unire, vẻşire la olalta, bonả inţellégere: harmonia, concordia, cointelligentia: meg egyezés, egyet értés: die Uibereinstimmung, Benstimmung, Einwilligung, Einhelligkeit, Eintracht, Einigkeit. 12 (13) Harmonicesce, séu armonicésce, [«harmonieusement»]: [Harmoniceaşte], adv. i.e. cu harmonie: harmonice: egyezőleg: überinstimmend, einstimmig. Ital. con armonia. Gal. harmonieusement. (14) Harmonicescu, séu armonicescu [«harmonique»], éscả, pl. esci. [Harmonicesc, ească, pl. şti], adj. V. Harmonicu. (15) Harmonicu, séu armonicu [«harmonique»], f. ả, pl. i, f. e.. [Harmonic, ă, pl. ci, ce]. harmoniosu, séu armoniosu, f. ósả, pl. oşi f. óse. [Harmonios, sau armonios, oasă, pl. oşi, oase]: adj. – Que e cu harmonie, que face sunetu dulce la urechi: harmonicus, numerosus, musicus: megegyező, öszve egyező, öszve illő: harmonisch, einstimmig, zusammenstimmend. Ital. armonico, armonioso: Gall. harmonique, harmonieux. – euse. (16) Harmonitu, séu armonitu [«harmonique»], f. ả, pl. ţi, f. te. [Harmonit, sau armonit, ă, pl. ţi, te]. adj. que e tomnitu, séu fảcutu cu armonie. Ital. armoniato. V. Harmonicu. (17) Heredie [«hérédité»], f. pl. dii. [heredie], subst. remaşiciẻ din viţe: exhaeredibus, exposteris: maradók, maradvány: der Rachkommer, Rachkömmling. - quảndu se inţelegu mai mulţi mosténi, herediéni: posteri, posteritas, haeredes, progenies: maradék: die Rachkommenschast. En examinant les exemples 10-17, on constate que ces mots proviennent de domaines tout aussi divers que ceux de la musique (exemples nos 11, 12, 13, 14, 15, 16), du droit (exemple no 17) ou du commerce (exemple no 10). Tous ces mots sont mentionnés aussi par le DILF qui les prête une étymologie «multiple», c’est-àdire plusieurs étymologies dont une serait française: le rou. hanseatic serait ainsi emprunté soit au mot fr. hanséatique, soit au mot all. hanseatisch; le rou. harfă serait emprunté soit au mot all. Harfe, soit au mot fr. harpe; le rou. harmonie ou armonie est un emprunt soit au mot fr. harmonie, soit au mot lat. harmonia; le rou. harmonicescu ou armonicescu est un emprunt soit au mot fr. harmonique, soit au mot lat. harmonicus; le rou. harmonicu ou armonicu est entré dans la langue roumaine soit par une voie française, provenant du mot fr. harmonique, soit par une voie latine, via le mot lat. harmonicus; enfin, le rou. harmonitu ou armonitu est un emprunt soit au mot fr. harmonique, soit au mot lat. harmonicus. Selon le DILRLRV, l’étymologie du mot harmonie ou armonie serait ainsi soit latine (du lat. harmonia) soit italienne (du mot it. armonia). Quant au mot heredie, on ne le retrouve point avec cette forme-là dans les dictionnaires consultés. Chez Ursu (1962) on retrouve le mot hereditate, respectivement ereditate, ereditar, erezitate, ereditariu. Le DILF ne mentionne que les formes ereditar et ereditate. Ursu (1962) de même que le DILF leur prêtent une étymologie soit latine, provenant des mots lat. hereditas, respectivement hereditarius, soit française, à savoir les mots fr. hérédité, respectivement héréditaire. Il convient de rappeler également que le mot heredie, tout comme la famille lexicale des mots harmonie et harmoniza (fr. harmonie, fr. harmoniser) ont connu une forme intermédiaire reflétant la forme graphique d’origine, adaptée ensuite, phonologiquement et sémantiquement, au roumain. 13 Malgré leur omission dans les ouvrages consultés, nous ajoutons à cette série deux entrées supplémentaires, à savoir: (18) Himenu, séu Hymenu. [«Hymen»] [Hymen], dumnedzeulu nunţei la romani ; hymen, hymeneus : hymen menyegzönek Istene : der Hymen, Hochzeitgott. (19) Hirundiné [«hirondelle»], f. pl. le.[hirundinea, le], subst. rỏnduné ; hirundo : fetske : die Schwalbe ; V. Rủndune !. L’exemple no 18 renvoie au domaine du poétique, tout en étant une personnification. À notre avis, il s’agirait dans ce cas d’un emprunt soit au latin, soit au français, l’étymon étant le terme grec Hymên et non pas un dérivé comme les auteurs du DA le pensaient. En ce qui concerne l’exemple no 19, celui-ci ne connaît pas de très large diffusion en roumain, les dictionnaires étymologiques ne le retenant point parmi leurs variantes. Selon Ciorănescu (2007: s.v. rîndunea), son étymon est le «lat. hirundinem, de la forme *hirundinĕlla». Nous pensons néanmoins qu’il s’agit d’un élément transporté tel quel soit des dictionnaires latins (lat. hirundinem), soit des dictionnaires français (fr. hirondelle). Les dictionnaires roumains ne le mentionnent pas. 2.3. Pour ce qui est des exemples suivants, le critère qui nous a servi dans notre sélection a été la présence de la mention «équivalent français» dans le corps même de l’article. La présence de ce correspondant français indiquerait non seulement un étymon commun, mais aussi une valeur de «nouveauté», une valeur du mot ressentie comme «récente» expliquant ainsi, par l’adaptation et l’assimilation du mot aussi bien au niveau graphique qu’au niveau sémantique, sa présence dans le Lexicon. Sans plus mentionner les exemples déjà analysés – harfả «harpe», harmonie «harmonie», harmonicesce «harmonieux», harmonicu «harmonique», armonizezu «harmoniser», qui bénéficient aussi d’équivalents dans les autres langues romanes, nous avons identifié dans le corpus un nombre de 13 lexies dont la description lexicographique mentionne des correspondants français. Il s’agit de hảblảescu «hâbler», hảblẻitoriu «hâbleur», hảblẻtire «hâbler», hacu «bois mort», hảmisescu «affamer», hảrçelescu «harceller», hảrçelitu «harcelé», hảrengu «hareng», hảrénu «raifort» hoi «hélas, ah, oh», hospả «houppe de millet», huiescu «huer», huietu «huée». Examinons tout d’abord la famille lexicale du mot hăblăi «hâbler» (les exemples nos 20-22): (20) Hảblảescu, séu hảblảescu, séu hảblảtescu, ire, itu- [«hâbler»], [hăblăesc, sau hăblătesc, ire, it]. verb. neutr. vorbescu multe, şi fỏr de cale: lefuréscu, flencảnescu, fleurescu, blehảescu, blảhảtescu séu blẻhẻtescu, blảterescu, blảtecảrescu, blảterezu, bảrfescu : blatero, blatio, garrio, fabulor, sermocinor, sermones caedo: tsátsogni, festegni, zajgani : schwaβen, plaudern, waschen, plappern, sausen; Gallis hábler: mentiri, se jactare, confidenter loqui; Hisp. hablar, loqui, discurrere. (21) Hảblẻitoriu [«hâbleur»], m. óre, f. pl. ori, óre. [Hăblăitoriu, oare, pl. ori, oare], adj. et subst. verbale: lefurả, fleurả, flérả, fléncảnitoriu, blehẻitoriu, blảteritoriu, 14 blaterỉu, bảrfitoriu: gerro, blatero, garrulus, locutuleius, in verba pojectus: f. lingulaca garrula, dlacula: tsátsogó, fetsegő: der Schwäser, -rin, die Plaudertasche, der Plässer, Wäscher; Hisp. habladot: Gall. hableur: garrulus, magniloquus. (22) hảblẻtire [«hâbler»], f. pl. i. [Hăblătire], subst. hảblẻire, fléncảnire, blẻheire, bảrfire, lefurire, blảterire, blảte, cảrire, vorbe fẻrde trébả: blateramen, blateramentum, blateratus, loquacitas, oramentum, Plaut. garrulitas: tsatsogás, fetsegés, szószaparitás: das Schwaβen, Plappern, Plaudern, Gewäsche, Geplappern, die Plauderei, Geschwäβigkeit, das Geschwaβ, Plauderwert; Gall. Hablerie, Iactantia. Bien qu’il n’y ait pas de documents écrits attestant leur diffusion en roumain, et ce malgré la mention, par de nombreux dictionnaires roumains, de leurs synonymes à valeur régionale ou péjorative qui les expliquaient, nous pensons qu’il serait possible de les prendre pour des emprunts soit à l’espagnol (esp. hablar), soit au français (fr. hâbler), avec les adaptations graphiques et sémantiques inhérentes. Une autre famille lexicale à correspondant étymologique français est celle du mot hărţui «harceler»: (23) hảrçelescu, ire, itu [«harceller»]. [Hărţelesc, ire, it], verb. II, act. lucru cu quineva fỏrde milả, il necảsescu cu lucru greu, ỉl osténescu fỏrde cale, il afligescu, il hảçescu in quoce, şi in colo: affligo, vexo aliquem, lacesso, incommodo: sanyargatni, kinzani, nyomorgatni: üldözni: ängstigen, plagen, peinigen, verfolgen; Gallis: harceler: II. reciproc. – me batu, mẻ ostescu, mẻ luptu, mẻ pumnescu, mẻ trảntescu cu quineva: contendo viribus cum aliquot, pugno – depugno, prelior, luctor certo, velitor: verekedni, küszködni, matazni, hartzólni, birkozni, vívni: straiten, kämpfen, sechten, sich mit Temanden schlagen. (24) hảrçelitu [«harcellé»], ả, pl. ţi, te, [Hărţelit, -ă, pl. ţi, te], adj. necảşitu, rẻu portátu, afliptu, aflỉgitu, hẻçitu, truditu ; afflictus, vexatus, lacessitus : male tractatus: sanyargattatott, kinzatott, üldőztetett : geängstiget, geplaget, angereizet; Gall. harcele. Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’emprunts au français puisque les formes enregistrées sont considérées par les dictionnaires roumains contemporains comme des mots dérivés du rou. harţă «dispute», dont l’étymon est le mot hongrois harc. La famille lexicale du verbe hui «huer» bénéficie d’une interprétation similaire: (25) huiescu, ire, itu [«huer, criér haro»]. [Huiescu], verb. act. batjocorescu, strigu, hui pe quineva, quaşi pe porcii, ’l şuieru, ’l afiscảescu : clamore, et sibillis, quem explodo : ki süvőlteni, ki tsúfolni, ki fütyülni, ki gúnyolni : auszischen, auspfeiffen, ausrauschen; Gall. houer, usu, numẻ huii : non me explodas. (26) huietu [«huée»], m. pl. ete. [Huiet], subst. strigare multả a supra cuiva : multitudinis inconditus, clamor, explosio, exsibilatio : ki süvöltés, ki fütyőlés, ki esúfolás : die Usszischung, das Uuszischen, Uuspfiffen; Gall. houée. 15 Ces mots sont loin d’être des emprunts au français, d’autant plus que les équivalents français mentionnés sont tout simplement fautifs: le mot fr. houer à la place du verbe huer, respectivement le nom fr. houée au lieu de huée. Selon Ciorănescu (2007: s.v. huideo), il y aurait là des formes dérivées de l’interjection huideo à «origine» probablement «orientale». Examinons maintenant les exemples suivants: (27) hacu [«bois mort»], m. pl. uri, f, [Hac. pl. uri], subst. hiacu, hréscu, huci, vergi, thỉrşi, séu tẻrsi, ramuri tảiéte, créngi dỉrỉmate, tảieturi, din copaci, dỉrỉmituri: sarmenta, ramalia, virgae, cremium, rami desecti: le nyeset fa ágok, le vágott haraszt: das Reisig, Reikholz, die Reiser, abgehauene Baumäste; Gallis, hache, securis, hacher: incidere, concidere, minutim dissecare: Hisp. hacina: manipulus lignorum. (28) hảmisescu, ire, itu [«affamer»]. [Hămesesc, ire, it], verb. I. act. – p.e. pre quineva, i: e: omoru cu fómea: íl flảmendzescu forte: il fometezu, afometezu preste modru: fame conficio, vexo divexo, crucio, excrucio, macero aliquem: valakit koplaltatni, éheztetni: einen aushungern, verhuugern; Gall, affamer Hisp. hambrear. Ital. affamare. II. neutr. – í. e. periu, séu peiu, moriu de fóme, leşinezu de fóme, me stingu de fóme, flảmẻndzescu de totu, multu, quỏtu nu potu ảmblá de fóme, şi de flảmẻndu : fame, praefame pereo, fame, inedia conficior, maceror, excrucior: extrema fame divexor, famesco: koplalni, nagyon megéhezni, nagy éhséget szenvedni, éhel halni: verhungern, einen starten Hunger leiden, Hungers Sterben; Ital. morir de fame. Hisp. hambrear, morir de hambre. A voce Lat. fameo, h. loco f. posito, more veterum sabinorum, et hispanorum, qui f. in h. saepe mutant. (29) hảrengu séu hảringu [«hareng»], m. pl. i. subst. [Hăring, pl. gi]. subst. unu pésce micu albu, quarele nu se aflả nomai in marea septemtrionului (dela medziulnoptiei) şi se chiamả şi halecu: clupea harengus, alec, halex, thrissa borealis, theta, alosa minor: hering: der Häring, Hering. Gall. hareng. Ital. aringa: Hisp. harenque. (30) hảrénu, séu herénu [«raifort»], m. pl. car. [Hărean, sau herean], subst. cochlearia armoracea Linn, nasturtium : torma : der Hren, Meerrettig. Gall. alenotis: species nasturtii. (31) hoi [«hélas, ah, oh»]. [Hoi], interj. dolentis: hai! hai: hai! haj: jaj, jaj, jaj: Uch; Ital. hai! Gal. hai. (32) hospả [«balle, écorce»], f. pl. e. [Hoaspă], subst. 1) pelitia meului, ordziului, faseolei, mazerei, şi altoru legumi, şi bucate cu quare e invescutu greunçulu: Gall. houpe du milet: gluma, foliculus, siliqua, vaginula, valvula, involucrum granorum: tokja, haja, polyvája, buzának, vagy egyéb veteménynek: der Grőbs, Griebs, Balg, das Bälglein, Rernhaus des Getreihes, und der Hülsenfrüchten, die Schote, Hülfe, das Schotchen. 2) pelisóra bombei de struguri : pellicula botrium, seu uvarum: szőllő szem hártyája: das Häutchen. L’analyse de ces exemples nous permet d’affirmer qu’il s’agirait là d’une possible tentative des rédacteurs d’insister sur l’origine latine du roumain grâce à un rapprochement renforcé du roumain avec les autres langues romanes. Cette tentative est toutefois forcée, voire exagérée, puisque la plupart des dictionnaires étymologiques roumains ne prennent pas ces mots pour des emprunts au français. 16 À regarder de plus près leurs étymons, on remarque que pour les mots rou. hacu et hảrengu, on a l’all. Hack (holz), respectivement l’all. Hering, Häring, bien que Ciorănescu (2007: s.v. hacu) prête à hacu un étymon fr. hache; peut-être c’est ce rapprochement du macédo-roumain qui a pu amener les rédacteurs du Lexicon à identifier dans les mots fr. hache, hacher un rapprochement entre le roumain et le français même si le sens des mots français ne se retrouve pas dans la forme roumaine. Pour le rou. hảmisescu l’étymon est l’albanais hamïs tandis que pour hảrénu l’étymon est le slave chrĕnŭ (cf. Ciorănescu 2007). Les deux formes enregistrées du mot hảrénu ou herénu «raifort» sont des variantes régionales actuelles de la forme littéraire hrean. En ce qui concerne les entrées hoi «hélas, ah, oh» et hospả «balle, écorce», les dictionnaires roumains actuels avancent dans leur cas une origine inconnue. Si le mot hoi pouvait être une variante régionale de l’interjection vai!, sa présence en roumain n’est pourtant pas attestée. 3. L’approche du corpus retenu pour l’analyse nous permet de tirer plusieurs conclusions. Tout d’abord, l’absence du marquage de l’emprunt, exception faite de deux xénismes (soit 0.7%) rend difficile le repérage des emprunts, ce qui ne nous permet pas de connaître l’opinion des rédacteurs quant à la valeur «nouvelle» d’un mot. Ensuite, en nous rapportant à des ouvrages traitant la problématique de l’emprunt, nous avons identifié seulement sept emprunts uniquement français (soit 2.4% du total des entrées), dont 1 appartient au champ de la mythologie, 3 à la médicine, 2 à la musique et 1 renvoyant à un mot à valeur axiologique. Dix emprunts (soit 3.5% du total des entrées) présentent une étymologie «multiple»: six mots appartiennent au domaine de la musique, un mot au domaine juridique, un mot au régime commercial et un mot au champ de la poésie. Pour la dixième entrée, sa diffusion en roumain n’est pas attestée par les documents. La présence de tant de domaines scientifiques est une preuve de l’érudition des rédacteurs de même que de leur ouverture intellectuelle. Un cas particulier qui a attiré notre attention concerne 13 entrées (soit 4.5% du total des entrées) présentant dans leur description la mention d’un «équivalent français». Malgré la présence de cet équivalent français, il est évident qu’on ne pourra pas parler dans leur cas de véritables emprunts au français mais plutôt de tentatives venant de la part des rédacteurs de montrer le lien rattachant le roumain au français, à l’italien, à l’espagnol et implicitement au latin, le noble ancêtre du roumain. Pour conclure, nous pouvons affirmer sans aucune hésitation que, même si les emprunts au français sont peu nombreux, leur présence dans le Lexicon met au jour une nouvelle tendance qui commence à se manifester à l’intérieur de la langue et, implicitement, une réorientation de la culture roumaine vers la langue source, le latin, et vers les autres langues romanes. 17 NOTES *Cet article est élaboré dans le cadre du projet no PN-II-RU-TE-2011-3-0170, financé par l’Autorité Nationale Roumaine pour la Recherche Scientifique, CNCS - UEFISCDI. 1 «se caractérise, donc, par de nombreuses tendances [...] d’enrichissement du lexique par des emprunts lexicaux provenant surtout du côté des langues romanes et du russe, par l’abandonnement de mots turcs, néogrecs et des éléments livresques inutiles, de même que par un éclaircissement de la phrase grâce au rapprochement de la langue vivante du peuple» (nous traduisons). Voir aussi Munteanu / Ţâra 1983: 109. 2 On constate chez les représentants de l’École latiniste de Transylvanie une tendance encore timide du «purisme linguistique». 3 (Les poètes non seulement qu’ils possèdent un parler particulier, mais aussi ils mélangent les parlers. D’où on voit que les Roumains ont le droit de venir à l’aide d’un parler, tout en appelant à d’autres, surtout en ce qui concerne l’enrichissement lexical. J’ai tenu pour nécessaire d’attirer l’attention sur ce fait-là, à cause de ces Roumains qui ne connaissent pas un autre parler que leur parler natif et c’est pour cela que, lorsqu’ils entendent dans leur parler d’autres mots étrangers qu’ils n’ont pas appris de leur nourrice, ils clament que le roumain s’effondre.) (nous traduisons). 4 Il convient de souligner la présence de sept lexies supplémentaires groupées sous 3 entrées qui sont autant de synonymes de la même forme diminutive: Hảinicả, Hảiniçả, Hảinicea, Hảinisórả, Hảinucả, Hảinutiả [«petit vêtement»]; Horcảire, Horcảitura [«râle»]; Hupảire, Hupảitura [«saut»]. 5 Ces deux situations ont été présentées pour la première fois dans notre étude intitulée «Mărci ale variaţiei lingvistice în Lexiconul de la Buda (1825)», in Actele celui de-al X-lea colocviu internaţional al Catedrei de Limba română, Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti (sous presse). 6 Une analyse sur l’indication étymologique peut être consultée dans notre article, Aldea 2011: 182. 7 Cf. DILF. I 2009: 3-4. SOURCES PRIMAIRES Lexicon de Buda (1825). Lesicon romănescu-lătinescu-ungurescu-nemţescu quare de mai mulţi autori, în cursul a trideci, şi mai multoru ani s’au lucrat. Seu Lexicon valachico-latino-hungarico-germanicum quod a pluribus auctoribus decursu triginta et amplius annorum elaboratum est, Budae, Typis et Sumptibus Typografiae Regiae Universitatis Hungaricae, 1825. BIBLIOGRAPHIE Aldea, Maria (2011): «Entre vérité scientifique et exagération: l’étymologie. Étude de cas: le Lexicon de Buda (1825)», in Steuckardt, Agnès / Leclercq, Odile / Niklas-Salminen, Aïno / Thorel, Mathilde (éds.) (2011): Les dictionnaires et l’emprunt. XVIe – XXIe siècle, Aix-en-Provence: Publications de l’Université de Provence: 167-182. Aldea, Maria (2011): «Mărci ale variaţiei lingvistice în Lexiconul de la Buda (1825)», in Actele celui de-al X-lea colocviu internaţional al Catedrei de Limba română, Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti (sous presse). Lupu, Coman (1999): Lexicografia românească în procesul de occidentalizare latino-romanică a limbii române moderne (1780-1860), Bucureşti: Logos. Maior, Petru (1825): «Orthographia romana, sive Latino-Valachica, una cum clavi, qua penetralia originationis vocum reserantur», in Lexicon de Buda, 18 Budae: Typis et Sumtibus Typografiae Regiae Universitatis Hungaricae, IVIII + 1-53. Munteanu, Ştefan / Ţâra, Vasile D. (1983): Istoria limbii române literare. Privire generală, Ediţie revizuită şi adăugită, Bucureşti: Editura Didactică şi Pedagogică. Reinheimer Rîpeanu, Sanda (2004): Les emprunts latins dans les langues romanes, Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti. Rosetti, Al. / Cazacu, B. (1961): Istoria limbii române literare. I. De la origini până la începutul secolului al XIX-lea, Bucureşti: Editura Ştiinţifică. Sala, Marius (2006): De la latină la română, ediţia a II-a revăzută, Bucureşti: Univers enciclopedic. Steuckardt, Agnès / Leclercq, Odile / Niklas-Salminen, Aïno / Thorel, Mathilde (éds.) (2011): Les dictionnaires et l’emprunt. XVIe – XXIe siècle, Aix-enProvence: Publications de l’université de Provence. Ursu, N. A. (1962): Formarea terminologiei ştiinţifice româneşti, Bucureşti: Editura Ştiinţifică. Dictionnaires et ouvrages de référence DA = Academia Română (1940): Dicţionarul Limbii Române, întocmit şi publicat după îndemnul regelui Carol I, Bucureşti: Tipografia ziarului «Universul». DER = Ciorănescu, Alexandru (2007): Dicţionarul etimologic al limbii române, Ediţie îngrijită şi traducere din limba spaniolă, de Tudora Şandru Mehedinţi şi Magdalena Popescu Marin, Bucureşti: Editura Saeculum I.O. DILF = Costăchescu, Adriana / Dincă, Daniela / Dragoste, Ramona / Popescu, Mihaela / Scurtu, Gabriela (2009-2010): Dicţionar de împrumuturi lexicale din limba franceză DILF, vol. I-II, Craiova: Universitaria. DILRLRV = Chivu, Gheorghe / Buză, Emanuela / Roman Moraru, Alexandra (1992): Dicţionarul împrumuturilor latino-romanice în limba română veche (1421-1760), Bucureşti: Editura Ştiinţifică. Dimitrescu, Florica (1997): Dicţionar de cuvinte recente, ediţia a II-a, Bucureşti: Logos. 19 SUB FORMĂ (DE) … [sous forme de…] OU DES DIFFICULTÉS DE LA NÉOLOGIE EN ROUMAIN Mariana BARA Université Hyperion Bucarest/ Institut Européen de Roumanie 1. INTRODUCTION Il y a en roumain des locutions (prépositionnelles et conjonctives) qui agissent comme des connecteurs forts pour le discours formel: dat fiind că (étant donné que), din punct de vedere (du point de vue), în ceea ce priveşte (en ce qui concerne), în cadrul (dans le cadre), în cazul în care / în caz că (au cas où, dans le cas où), etc. Bien que d’origine française certaine, ces unités ne font pas l’objet des recherches sur les emprunts roumains au français, qui s’orientent surtout vers les mots pleins, travaillant sur des corpus à base de dictionnaires, et non de textes (c’est le cas des projets orientés vers des mots). Pendant la documentation pour cette étude, j’ai découvert des références à une recherche pour laquelle je n’ai pas eu, malheureusement, la possibilité de consulter pour le moment (Goldiş Poalelungi: 1973), et qui prend en compte aussi les locutions et les expressions phraséologiques. Dans la présente étude je me propose de m’arrêter en détail sur la locution sub formă de. Cette locution est un néologisme, provenant du français sous forme de qui sert à exprimer «l’aspect d'une même chose subissant des transformations». Le français connaît aussi la locution en forme de «à la ressemblance de», à l’origine du roumain în formă de. Il faut remarquer, dès le début, que – en dépit des différences sémantiques nettes entre les deux locutions en français – leurs équivalences roumaines semblent des synonymes, étant utilisées l’une pour l’autre dans une confusion née de leur quasi homonymie. C’est la raison pour laquelle une approche comparative s’impose, mettant en parallèle aussi bien des textes français et des textes roumains, que les différentes occurrences en roumain de ces deux locutions. L'étude de ces constructions intéresse tant la sémantique que la syntaxe, en tentant compte surtout du fait que leur ancienneté en roumain ne dépasse pas la première moitié du XIXème siècle. 20 Attesté pour la première fois en 1688 en roumain (MDA: 2002), le substantif formă a deux étymologies (française et latine savante), étant un mot des textes spécialisés. L’émergence du roumain moderne, du registre littéraire et la prétention des linguistes de l’époque de forger le langage cultivé, menèrent au changement du lexique traditionnel du roumain, voire au remplacement du vocabulaire usuel, d’un contenu périphérique (balkanique: slave, turc et grec) par un lexique nouveau, à travers une européanisation, une «re-romanisation» (occidentale: française et italienne). Depuis l’an 2000, une nouvelle «re-romanisation» a lieu, via l’acquis communautaire, se ressourçant au français, surtout pour le langage juridique (Bara: 2011 b). L’influence française est un sujet classique, mais c’est aussi un sujet difficile, en raison de la diversité des formes et des étapes: le XIXe, l’entre-deuxguerres, la période communiste, le postcommunisme. Le sujet oblige à réfléchir à l’échelle d’au moins deux siècles, à rechercher les moments forts de l’influence et à évaluer en quoi les emprunts ont pu modeler, façonner, moderniser le roumain actuel. La méthode utilisée va éviter une généralisation, outrancière, lorsqu’il s’agit de plusieurs cas de figure, d’une polysémie que le corpus met en évidence. C’est pour cette raison que je vais donner seulement les grandes lignes de l’analyse de corpus, en choisissant des exemples précis et en apportant les nuances nécessaires. Le corpus comprend, d’une part, les textes juridiques (9150 au total, publiés dans le Monitorul Oficial al României - siglé MO); environ 5000 dans le Journal Officiel de l’Union Européenne - siglé JO), et d’autre part des extraits de deux types de dictionnaires (usuels et spécialisés). Pour compléter le paysage, un regard sera posé sur les textes en ligne. La présente démarche va dans le sens des analyses récentes de Gabriela Pană Dindelegan (2003), qui entreprend une critique de la grammaire traditionnelle, dans une perspective dynamique et fonctionnelle, et le fait ensuite dans la GALR (2005). L’étude des limites imprécises entre les classes et les sousclasses, avec une attention particulière pour l’article et les prépositions offre l’occasion pour des assertions notables (Pană Dindelegan 2003: 5-9). Dans la même direction, deux autres ouvrages récents font l’analyse des difficultés dans l’usage (Forăscu: 2002) et établissent la norme (Vintilă Rădulescu 2009). Quant au statut des locutions créées à l’aide de la préposition sub, Narcisa Forăscu les considère de simples «combinaisons de mots», mais qui tendent à fonctionner comme des locutions et elle donne trois exemples (sub formă de n’étant pas mentionnée): « În limba literară şi, cu cea mai mare frecvenţă, în limbajele publicistic, administrativ, juridic, sub intră în diverse îmbinări de cuvinte care nu şi-au dobândit încă statutul de locuţiuni prepoziţionale sau conjuncţionale, dar care tind să funcţioneze ca acestea: sub pretext(ul) (că), sub raport(ul), sub aspect(ul)» (Forăscu 2002). 21 En plus, la lecture du passage ci-dessus offre implicitement la base pour une observation de nature étymologique, car toutes les formules citées sont d’origine française (des expressions calquées sur: sous le prétexte que, sous le rapport, sous l’aspect). Dans cette série pourraient entrer aussi les locutions qui nous intéressent ici – sub formă (de) et în formă (de) –, qui n’ont encore été étudiées. La pertinence de l’approche en diachronie et du point de vue stylistique représente en conséquence la mise de la présente démarche. 2. HISTOIRE Évaluer la force et les métamorphoses de l’influence française pour peindre le portrait du roumain actuel est un projet d’envergure. Un début fut, par exemple, l’objet de la célèbre analyse statistique de Dimitrie Macrea (1961), selon lequel 38,42% des mots d’un important dictionnaire du lexique roumain moderne (DLRM : 1958) sont d’origine française. À présent, les linguistes l’ont déjà remarqué, le lexique roumain est confronté, surtout dans les terminologies, à une forte vague d’anglicismes (Avram: 1997; Stoichiţoiu Ichim: 2004; Zafiu: 2006 ; Bara: 2011 a). L’importance de la recherche des occurrences dans le corpus pour aboutir à des conclusions sur la dynamique des emprunts sera vérifiée dans cette étude. 2.1. Le XIXème L’adoption des codes napoléoniens au milieu du siècle contribua de manière significative au développement de la société roumaine, y compris à travers le registre juridique de la langue, en établissant des modèles de rédaction et des terminologies. Les rapports avec la France (économiques, politiques, scientifiques) font apparaître le fondement conceptuel des nouvelles terminologies en roumain. En fait, les grandes lignes du sujet peuvent être suivies à travers une bibliographie déjà consacrée (Craia: 2006). La tradition est confirmée jusqu’à nos jours, car la démocratie, la modernité, la diffusion des connaissances prennent corps dans l’espace culturel roumain à travers le français. Les exemples ci-dessous montrent comment les locutions se sont insérées en fonction de l’adhésion des auteurs des textes législatifs à la terminologie moderne (actia «les actes», decisiunea «la decision», terminu «le terme», grefiaru «le greffier», ministeriul publicu «le ministere public», estractu «l’extrait»). Ce sont les plus anciens textes du corpus: Actia se pote face sub forma de inscrisu platnicu către înfăţişătoru. (Codul Comercial, le 1 janvier 1840). 22 Copiii de ambe secsele, cari nu voru fi implinitu etatea de 16 ani, voru pute fi auditi numai sub forma de declarare si fara a face juramentu. (Codul de procedură penală al Principatelor unite române, le 2 décembre 1864). Decisiunea de respingere va fi, in terminu de trei dile, impartasita ministeriului publicu de langa curtea de casatiune de catre grefiaru, in forma de estractu sub semnatura acestuia. (Codul de procedură penală al Principatelor unite române, le 2 décembre 1864). Curtea 'şi va da totu d'auna hotărârea ei în forma de sentintia […]. (Legea din 24 ianuarie 1864 pentru curtea de compturi) 2.2. Le XXème Les structures extraites des textes de ce siècle paraissent dépendantes des traductions d’accords internationaux et des textes techniques (privilégiant la source française, en raison des liaisons culturelles, au cours du siècle, y compris pendant le régime communiste, avec la France). Les années 1980, par exemple, témoignent d’un reflux dans ces contacts (il y a moins de textes) et de la fermeture du régime. D’une manière implicite, la politique étrangère exerce une influence sur la politique linguistique. Les formules restent générales et presque figées, relevant de la langue de bois, tautologique: «condiţiile transportatorului sub formă de condiţii generale sau de tarife legal în vigoare în fiecare stat membru» (1980). 2.3. Le XXIème Les conditions d’entrée en roumain pour la locution sous forme de à travers les traductions des textes législatifs de l’Union Européenne relèvent du contact très étroit avec la langue source. En fait, il faut suivre attentivement les exemples du tableau suivant, pour constater si l’anglais ne joue pas un rôle dans la réactivation de la locution d’origine française dans les textes roumains (sans oublier que, y compris en anglais, la formule in the form of est empruntée au français): EN tongued (wood) / flanged (wod) oxide form grooved wood powder preparation powdered dairy products pellet FR bois (langueté) RO (lemn) sub formă de lambă sous forme d'oxyde bois rainé préparation en poudre produits laitiers en poudre sub formă de oxid (oxizi) lemn sub formă de uluc preparat sub formă de praf produse lactate sub formă de praf aglomerat sub formă de pelete alimente sub formă de praf pentru sugari zer sub formă de praf sau powders for infants aggloméré sous forme de pellets1 poudres pour nourrissons whey in powder or block lactosérum en poudre ou 23 form bridged tap star anise en bloc terminaison en T anis étoilé2 în bloc piesă în formă de T anason în formă de stea Source: recherche propre de l’auteur sur le corpus JO Pour la démonstration, un texte3 parmi d’autres, qui contient une liste de substances utilisées comme additifs alimentaires offre un nombre remarquable d’exemples pour la difficulté d’exprimer en roumain la configuration, l’aspect, l’état de ces substances. Il faut remarquer, en même temps, la manière simple d’expression en français et en anglais: (1) Suplimente alimentare dietetice sub formă de tablete şi drajeuri. Compléments alimentaires en comprimes et en dragées Dietary food supplements in tablet and coated tablet form (2) Deserturi cu aspect de jeleu; Deserturi sub formă de jeleu. Desserts de type gelée. Gel-like desserts. Le cas d’un autre document4 semble très éclaircissant, car si on trouve 213 occurrences de la locution sub formă de dans la version roumaine, la version anglaise présente seulement 12 fois la locution in the form of, tandis que dans la version française sous forme (de) apparaît 90 fois. L’étude comparée des textes dans les trois langues met en évidence des différences de contenu et de moyens d’expression pour l’identification des produits: 15.20.13.10 | Făină, pudră şi aglomerate sub formă de pelete de peşte 15.20.13.10 | Farine de poisson 15.20.13.10 | Flours, meals and pellets of fish 15.31.12.30 | Cartofi deshidrataţi sub formă de făină; pudră; fulgi; granule şi pelete 15.31.12.30 | Farine, semoule et flocons de pommes de terre 15.31.12.30 | Dried potatoes in the form of flour, meal, flakes, granules and pellets 15.31.12.90 | Cartofi preparaţi sau conservaţi (inclusiv sub formă de griş; excl. cei congelaţi, uscaţi, în oţet sau acid acetic, sub formă de făină, pudră sau fulgi) 15.31.12.90 | Autres préparations de pommes de terre, non congelées 15.31.12.90 | Potatoes prepared or preserved, including crisps (excluding frozen, dried, by vinegar or acetic acid, in the form of flour, meal or flakes) 15.61.33.35 | Germeni de cereale, întregi, presaţi, sub formă de fulgi sau zdrobiţi 15.61.33.35 | Germes de céréales, entiers, aplatis, en flocons ou moulus 15.61.33.35 | Germ of cereals, whole, rolled, flaked or ground 24 Dans ces derniers exemples, aux formules elliptiques du texte français, les traducteurs ont préféré les formules anglaises, plus explicites (sans doute, du texte source). L’image suivante montre la croissance du nombre atteint par les textes identifiés pour au moins une occurrence des deux locutions. La fin du XXe montre une croissance significative (l’année 1994), suivi par un redoublement en 2004 et une croissance forte depuis 2004, la tendance enregistrée jusqu'en octobre 2011 étant clairement à la hausse (7500 pour sub formă de, 1600 pour în formă de): Source : recherche propre de l’auteur, sur la base du corpus MO. 3. RELATIONS SÉMANTIQUES Le problème spécifique que soulève cette locution est l’insertion dans le discours, en tenant compte du contenu sémantique du mot formă. En fait, les deux mots (fr. forme et roum. formă) ne partagent pas entièrement, ni de la même manière, les sens (ou s’agirait-il seulement d’une maladresse des auteurs du DEX?), comme le démontre, à l’aide des flèches, la figure suivante: 25 Source : recherche propre de l’auteur, sur la base du Larousse et du DEX En réalité, c’est en parcourant le corpus que la diversité des relations sémantiques s’impose et requière une approche qui doit distinguer plusieurs types de situations. Prenons quelques extraits des textes juridiques en roumain: veniturile sub formă de salarii; sumă fixă acordată sub formă de indexare; în vederea înfiinţării unui nou agent economic sub formă de societate commercială Le même connecteur sert, dans ces exemples, à déterminer la nature des objets abstraits5 (des revenus), la matérialisation (des sommes fixes, accordées à titre d’indexations), l’identité ou l’identification d’une entité (l’agent économique). 3.1. Général versus particulier On verra que la plus ancienne relation (attestée dans les premiers textes en 1860 pour sub formă de et en 1864 pour în formă de) est celle établie entre le hypéronyme et ses hyponymes. Il y a une tendance à uniformiser le mode d’expression, sous l’effet de la constitution des disciplines et des domaines (financier, bancaire, technique, etc.), reflétée dans les textes juridiques. L’évolution du discours officiel est marquée par la prédilection pour les connecteurs formels, appréciés pour leur spécialisation, y compris pour leur éloignement du langage courant: 26 acordarea alocaţiei individuale de hrană sub forma tichetelor de masă; ajutorul primit din partea statului sub forma pensiei de urmaş. 3.2. Etat d’une matière industrializarea şi valorificarea sub forma de fainuri proteice a cadavrelor de animale; aparatele destinate pulverizarii sau dispersarii lichidelor sau a materialelor sub forma de pulbere; prepararea mecanizata a furajelor concentrate sub forma lichidă En général, cette utilisation du connecteur est très bien représentée, et dans certains cas, rares, il y a aussi l’adjectif pour exprimer l’état, ce qui donne: poluant – orice substanţă solidă, lichidă, sub formă gazoasă sau de vapori; ingredient utilizat sub formă concentrată sau deshidratată. Les adjectifs les plus utilisés font déjà partie des clichés comme : (ajutoare, despăgubiri) sub formă bănească; (materiale radioactive, poluanţi, substanţe toxice, deşeuri) sub formă gazoasă, lichidă sau solidă; (cupru, zinc, metale; lemn) sub formă brută ; (informaţii, date) sub formă orală sau scrisă, etc. 3.3. Configuration – confusion avec en forme de În formă de est moins représentée: un total de plus de 1650 textes a été repéré dans le MO, ce qui revient à un rapport de 1/5 (le corpus comprend 9150 textes au total), soit pour une occurrence de în formă de il y a 4 occurrences de sub formă de. Le montant s’explique par le fait que sub formă de est employée beaucoup de fois au lieu de în formă de, pour exprimer la configuration. Ainsi, s’il est juste de dire: "dreptunghiurile modificate", ale căror două laturi opuse sunt în formă de arc de cerc convex; un semn distinctiv în forma de disc galben în centrul căruia se afla semnul exclamării; Constituţia pe care sînt înscrise cuvintele "JUS" şi "LEX", iar în partea de jos, în forma de triunghi, tricolorul, il est assez discutable de dire: registrul va opera numai cu valori mobiliare în formă dematerializată; gelatine (inclusiv în forma de foi, decupate patrat sau reptunghiular, chiar prelucrate la suprafaţă sau colorate. 27 De même, c’est un abus d’employer cette locution dans sub formă pătrată sau dreptunghiulară, où în formă de serait recommandable. Il y a aussi des situations ou, à la limite et parce que l’habitude est déjà forte, les deux locutions pourraient être acceptées: data primirii avizului de la secţie, în formă definitivată; ordonanţa este repusă în vigoare în forma de dinaintea abrogării; deşeuri pe baza de calciu, în forma de nămol. Il faut reconnaître l’absence de la réglementation, et de ce fait, la variation libre des deux locutions. La dynamique de la langue – au moins dans ces textes – montre en roumain un effacement (dès le XIXe) des différences qui existent en français entre les deux locutions. Il y a eu, dès le début, en roumain la tentation et la pratique de la substitution des deux locutions, comprises comme équivalentes. 4. RELATIONS SYNTAXIQUES Il y a la possibilité d’interpréter ces locutions comme le résultat de la contraction des énoncés du niveau de profondeur de la syntaxe de la phrase (qui a la forme de ..., qui ressemble à ...). Ce qui est intéressant à ce point de l’analyse c’est d’établir le type de relation syntactique. En règle générale, la structure suivante est un groupe nominal GN, dans lequel le connecteur introduit un (ou plusieurs) déterminants: nom1 + sub formă de + nom2 (+ nom3 etc.) à l’accusatif Dans le corpus, l’apparition du groupe nominal ainsi configuré est visible dans des listes de marchandises, dans la nomenclature (douanière, tarifaire, etc.), dans les chaîne de termes qui ont la fonction de décrire les produits dérivés de la même matière: materiile menţionate mai sus sub formă de metal, aliaje, compuşi chimici sau concentraţi; medicamente pentru tratament personal sub formă de injecţii, tablete, ceaiuri etc. ; laminate din oţel obţinute prin deformare plastică la cald sub forma de profile simple şi fasonate, sîrme, table, benzi, produse tubulare. Mais, à part ce type de listes, le connecteur assure aussi – et en même temps – un type de relation complexe, car il cumule deux fonctions distinctes. D’une part, il assure la connexion au nom précédent, dans un GN, d’autre part la connexion au verbe (prédicatif ou participe passe), dans un groupe verbal GV: verbe + sub formă de + nom 28 Si dans le GN la relation établie est de détermination (identification de la matière après traitement, sa configuration, le produit fini), dans le GV la relation est plutôt de manière, de modalité. Par exemple, dans «pot fi ataşate voletelor foi anexă, de acelaşi model cu manifestul sau sub formă de documente comerciale», les relations analysables sont simultanément: GN: foi anexă sub formă de documente comerciale GV: pot fi ataşate sub formă de documente commerciale D’autres exemples confirment le fait que cette ambigüité ou double relation syntactique représente, en fait, la règle dans les textes du corpus: sumele primite de la partenerii externi sub formă de premii GN: sumele sub formă de premii GV: primite sub formă de premii sumă fixă acordată sub formă de indexare; porumbul care se livrează sub formă de ştiuleţi; formularul […] transmis în original sau sub formă de mesaj modem, mesaj telex sau mesaj telefax Une autre remarque de nature syntactique regarde le GN [sub forma + génitif]. L’article défini (forma) impose le génitif au nom2, qui est précédé (mais non de manière obligatoire) par l’article indéfini: nom1 + sub forma + (un, o) + nom2 au génitif informarea sub forma unei notificări scrise; laptele praf trebuie sa se prezinte sub forma unei pulberi fine; aceste aparate se prezinta sub forma unei colivii sau a unei cutii; acordarea alocaţiei individuale de hrană sub forma tichetelor de masă. Les textes du corpus (MO) indiquent une préférence pour le génitif dans les documents publiés après 1990. L’explication pourrait venir du phénomène de la re-romanisation déjà invoquée, sous l’influence du français (corpus JO): sous la forme d’un / d’une / des (une consultation sur ce sujet sous la forme d’un livre vert; l’instance gestionnaire devrait être créée sous la forme d’une agence de régulation; modèles de déclaration des grands risques [..] sous la forme des normes techniques). 29 5. REGISTRE DE LANGUE ET TYPE DE TEXTE 5.1. Le style normatif Les textes normatifs, en général, sont élaborés en roumain à l’aide d’une panoplie de formules consacrées, qui soulignent leur caractère officiel: având în vedere, dat fiind că, în cazul în care, qui correspondent aux connecteurs simples (deoarece, căci, dacă). La constatation déjà faite, sous 3.1, que les locutions prépositionnelles aident à introduire le rapport sémantique entre hyperonyme et hyponyme, souligne leur rôle d’instrument pour thématiser le niveau le plus général. Les textes normatifs se situent, en fait, au niveau le plus haut (abstrait) possible, et parlent des notions les plus générales, des classes (venituri «revenus», mărfuri «marchandises», valori mobiliare «valeurs mobiliaires», deşeuri «dechets», agenţi economici «agents économiques»). Il faut retenir la structure de ces constructions: NOM 1 (AU PLURIEL: CLASSE) nom(s) 2 (Objets identifiés) 5.2. Le style descriptif 5.2.1. Les marchandises, les matières pour l’identification et la classification des produits Le même schéma, présenté sous 5.1, explique le recours, pour l’individualisation, à la locution de sous forme de. Dans cette catégorie du style descriptif, il s’agit en fait des nomenclatures et de l’expression des états, suite aux transformations (céréales sous forme de whisky, lapte sub formă de pudră, lemn sub formă de palete etc.). 5.2.2. Lexicographie – în formă de Dans les dictionnaires roumains, le substantif forme ou une des locutions discutées peuvent être repérés dans la composition des définitions lexicographiques, surtout lorsque celles-ci décrivent des objets ou expliquent les adjectifs désignant la configuration: dragă 2: instrument în formă de sac sau de plasă cu care se colectează organismele vegetale sau animale de pe fundul apelor. (DEX) ecler: prăjitură în formă alungită, umplută cu cremă şi acoperită cu glazură de şerbet, ciocolată etc. (DEX) eliptic 1: în formă de elipsă. (DEX) insignă: mic obiect de diverse forme, purtat pe piept sau la şapcă, la bască etc. şi care indică, prin imagini simbolice sau indicaţii grafice, apartenenţa cuiva la o organizaţie, la un club etc. (DEX) 30 Dans la pratique lexicographique, le français utilise plusieurs possibilités pour exprimer la forme, l’aspect: en forme de, de la nature de …, en…: bombe glacée: entremets glacé en forme de demi-sphère ou de cône. (Larousse) corné : 1. de la nature de la corne ; 2. plié dans le coin. (Larousse) cytise: arbuste à grappes de fleurs jaunes et à fruits en gousse aplaties et velues, appelé aussi faux ébénier ou genêt à balai […]. (Larousse) étoilé : 1. semé d’étoiles, d’objets en forme d’étoile. (Larousse) Si en français il y a la possibilité de créer des adjectifs à base nominale (corné, étoilé), qui ont la forme des participes passés, ces adjectifs ne passent pas en roumain, langue dépourvue de ce procédé. Par exemple, l’adjectif roumain înstelat, qui signifie «semé d’étoiles», ne signifie pas pour autant «en forme d’étoile», comme son équivalent français. Quant à l’adjectif français corné, il peut être traduit seulement par ca de corn «pareil à la corne» ou bien îndoit «plié en deux» et n’a pas d’équivalent dans la même classe morphologique. 5.2.3. Terminographie – sub formă de Quelques définitions extraites de deux dictionnaires terminologiques serviront pour faire comprendre la différence par rapport aux dictionnaires explicatifs de la langue courante: fosfataza alcalină […] se prezintă sub două forme (izozime): f. a. hepatică şi f. a. osoasă. (DM) injecţie 2: substanţa injectată sub formă de soluţie sau de suspensie medicamentoasă. (DM) radiaţie 2: transport de energie sub formă de unde electromagnetice sau de particule. (DM) comutator de antene: ansamblu de comutatoare, în general dispuse sub forma unei matrice ortogonale, cu un dispozitiv de comandă asociat […]. (DEŞT) dispozitiv de afişare (al unui radiometru de produs expunere-suprafaţă): dispozitiv care primeşte un semnal de ieşire de la un dispozitiv de măsurare, convertind informaţia conţinută în semnal într-o formă adecvată observaţiei vizuale. (DEŞT) interferenţă: fenomen rezultat din suprapunerea a două sau mai multe oscilaţii sau unde coerente de frecvenţe egale sau aproape egale, manifestate prin variaţii ale amplitudinii rezultante, în spaţiu sub formă de franjuri de interferenţă sau în timp sub formă de bătăi. (DEŞT) Dans les dictionnaires spécialisés, plus la définition de l'objet abstrait est précise, plus la probabilité de rencontrer la locution diminue. Ainsi, dans le dictionnaire médical consulté (DM), la locution est plus rare que dans le dictionnaire technique (DEŞT). En général, par rapport aux auteurs des textes rédigés dans le style juridique et administratif, les auteurs des textes scientifiques sont moins enclins à utiliser cet instrument. La raison pourrait résider dans le but des textes normatifs, qui doivent exprimer le rapport général – particulier, en énumérant les membres d’une classe d’objets. 31 5.3. Le style familier Si le système des prépositions est enrichi depuis le XIXe avec les correspondants «formels», le registre familier dispose des modalités plus simples, qui privilégient l’attribut (adjectif ou nom précédé par la préposition ca). Le test suivant peut illustrer ces possibilités: în formă de triunghi, tricolorul → tricolorul, ca un triunghi; sub formă pătrată sau triunghiulară → triunghiular sau pătrat; ordonanţa sub forma de dinaintea abrogării → ordonanţa aşa cum era / anterioară abrogării. 5.4. Presse (en ligne) Ces constructions caractérisant les langages spécialisés du roumain, tels que la météorologie (ploi scurte, sub formă de averse) passent ensuite dans les textes de vulgarisation, dans le langage de la presse ou de la publicité des entreprises (soluţie sub formă de spray, peeling facial uşor sub formă de gel exfoliant, ceară sintetică sub formă de plăci, etc.). D’ailleurs, ces structures sont assez courantes en français aussi (scénario social sous forme de vidéo, crédit sous forme de remboursement d'impôt, résultat sous forme de tableau, un nouvel appareil sous forme de carte de crédit, lésions malignes sous forme de masses pseudo kystiques etc.). 6. CONCLUSIONS En tant qu'instrument de l'écriture dans le registre formel, la locution roumaine est présente dans les textes législatifs, dans les listes des documents officiels de l'Union Européenne, traduits en grande partie du français. Mais l'étymologie n’est pas la seule explication pour le grand nombre de ces constructions prépositionnelles en roumain. Pesant le positif (l’enrichissement) et le négatif (l’abus), il est assez clair que, malgré le nombre de situations où une autre solution aurait été possible, la locution sub formă de reste un instrument de construction du discours qui donne l’apparence de la précision, du sérieux, du professionnel, tout en restant une marque stylistique, presque une manie, un automatisme. Même si il y confusion entre sub formă de et în formă de, la locution comme outil pragmatique est l’une des plus importantes pour l’élaboration du discours juridique et administratif. Bien que la spécialisation sémantique des deux locutions en français soit évidente, en roumain on constate une suppression des différences et, par conséquent, une assez répandue confusion dans leur utilisation. Il est évident que les fonctions d’identifier les matières, de préciser la configuration ou l’état des objets, d’exprimer le rapport d’hypomimie sont transférées à un seul connecteur, dont la signification s’efface. La locution accomplit son rôle d’instrument pour ces fonctions: indiquer, préciser la matière, l’état, la configuration, des fois même la 32 manière. La double subordination cumulée (GN et GV) indique cette dualité fonctionnelle. En guise de conclusion théorique, il faudrait souligner encore que l’emprunt, le transfert des mots polysémiques ne s’accompagne pas toujours du transfert entier de ses significations. Dans le cas des connecteurs, on l’a vu, ses fonctions peuvent s’enrichir dans la langue cible ou diminuer. Ce dernier aspect a été mis en lumière par le fait que le style normatif en français (officiel, administratif, législatif) dispose de plusieurs procédés pour exprimer le même rapport sémantique et syntactique, tandis que le style normatif en roumain est restrictif par rapport aux connecteurs et impose, à travers la routine et les modèles imposés historiquement, une locution pour toutes les fonctions. La variété et la flexibilité des solutions dans les autres types de texte (surtout littéraires et scientifiques) ou de discours (colloquial, informel) permettent la substitution avec des prépositions simples ou la reformulation. La logique discursive dans les textes normatifs, en général, impose de recourir en première instance à l’hyperonyme et ensuite de particulariser à l’aide des hyponymes. Cette organisation sémantique préétablie explique l’emploi des clichés (en guise de stratégie syntactique). Polysémique (le MDA enregistre 32 sens), le nom formă fonctionne aujourd’hui comme un passe-partout. NOTES 1. En italien, agglomerato in forma di pellets. Nom scientifique, en latin, Illicium verum. 3. Directive 95/2/CE du Parlement Européen et du Conseil du 20 février 1995 concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants. 4. Règlement (CE) no 1165/2007 de la Commission du 3 septembre 2007 établissant pour 2007 la "liste Prodcom" des produits industriels prévue par le règlement (CEE) no 3924/91 du Conseil. 5. «Les termes abstraits, lorsqu’ils prennent un argument concret, font en fait référence à un objet concret sous un aspect ou bien a la manifestation d’une propriété dans cet objet concrète plutôt que une référence à un objet abstrait», Friederike Moltmann, Les Objets Abstraits: le point de vue de la langue naturelle [2006], http://semantics.univ-paris1.fr/pdf/Les%20lundi%20de%20la%20philosophie.pdf 2. BIBLIOGRAPHIE Avram, Mioara (1997): Anglicismele în limba română actuală, Bucureşti: Academia Română. Bara, Mariana (2011a): «Anglicismes dans la terminologie médicale actuelle en roumain», in Dialogos, VI (22), 2010: 115 – 124. Bara, Mariana (2011b): «Glosarul juridic la a doua ediţie», in Bara, Mariana / Ana-Maria Georgescu / Maria-Carolina Ionescu (éds.), Glosar juridic, ediţia a II-a, franceză – engleză – germană – română, Bucureşti: Institutul European din România, 7 – 9. Craia, Sultana (2006): Francophonie et francophilie en Roumanie, Bucureşti: Meronia. 33 Forăscu, Narcisa (2002): Dificultăţi gramaticale ale limbii române, Bucureşti: Universitatea din Bucureşti. Goldiş Poalelungi, Ana (1973): L’influence du français sur le roumain: vocabulaire et syntaxe, Paris: Les Belles Lettres. Macrea, Dimitrie (1961): Probleme de lingvistică română, Bucureşti: Editura Ştiinţifică. 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Et, encore, le sens du mot peut aussi être modifié selon l’usage qu’en feront les locuteurs de la langue d’accueil. Ainsi, une fois transmis et admis dans une langue, l’emprunt devient «propriété» de la langue d’accueil, et son rapport avec la langue source, sa langue d’origine, est dans la plupart du temps oublié, voire négligé. Ici, la discussion terminologique s’impose: «emprunt», est-il le meilleur terme pour désigner le phénomène du passage des mots d’une langue à autre? Selon Haugen (1950, apud Appel / Muysken 1987), le terme importation exprime mieux l’idée d’emprunt. Mineiro (1995) a également choisi ce terme dans son travail. Ce dernier auteur considère qu’importation contient l’idée du passage d’un vocable d’une langue vers une autre. Selon cette linguiste, en réalité, les locuteurs importent des vocables, et, ces vocables, en remplissant les lacunes lexicales, sont intégrés dans la langue qui les reçoit. Cet argument nous renvoie à l’idée de lexicalisation et d’intégration que le terme «emprunt» n’évoque pas si on le compare au terme «importation», qui dit aussi acquisition, appropriation. Notre objectif principal dans cet article n’est pas de discuter la terminologie en soi, mais de montrer la complexité du sujet et les diverses perspectives d’analyse des emprunts. Nous utiliserons dans ce travail le terme «emprunts» pour faire référence au phénomène, ayant conscience qu’une réflexion y est exigée. Nous nous proposons ici de les analyser en ce qui concerne leurs adaptations phonologiques, marque également d’acquisition et d’appropriation du nouveau terme. De même, l’adaptation phonologique d’un mot étranger ne se révèle pas sur une seule voie, ni en théorie, ni en pratique. Ainsi, nous parlerons de manière brève dans un premier moment de la discussion théorique sur les termes, les classifications et les facteurs qui peuvent éventuellement jouer un rôle dans le processus d’adaptation, pour parler ensuite du cas spécifique des emprunts français en portugais et les résultats d’une récente recherche dont l’objectif a été de récupérer le processus d’adaptations des mots français déjà intégrés en portugais. 35 2. LES ADAPTATIONS PHONOLOGIQUES DES EMPRUNTS EN THEORIE 2.1. Le caractère variable des adaptations: les facteurs susceptibles d’y jouer un rôle Le fait que les langues reçoivent des emprunts et que ces mots aient besoin, la plupart du temps, d’être soit phonologiquement, soit morphologiquement et/ou mêmes sémantiquement adaptés à la langue d’accueil est l’idée première sur laquelle se base une étude sur ce phénomène. Pour renforcer cette idée indispensable, nous avons recours à la proposition de Boutet: «La conséquence la plus évidente et la plus répandue du contact entre langues est l’emprunt: une langue importe des mots ou des expressions provenant d’une autre langue. En français, ‘parking’, ‘football’, sont issus de l’anglais. Ces mots sont intégrés phonologiquement, leur prononciation étant francisée. L’intégration au système peut aussi conduire à l’intégration morphologique et syntaxique. Ainsi, le verbe ‘to look’, emprunté, est ensuite conjugué selon la morphologie du français. ‘T’as looké le mec’, ‘Il me look ait pas possible’» (Boutet 1997: 4) Etant donné que les adaptations auront lieu d’une manière ou d’autre, la question se pose du phonème avec lequel le locuteur natif adaptera le mot étranger. Coetsen (1988), ainsi que Deroy (1956), considèrent que les locuteurs qui reçoivent le mot étranger s’efforceront de le prononcer selon la langue source. Comme ce n’est pas complètement réalisable à cause des différences entre les systèmes phonologiques, ils auront tendance à remplacer le phonème étranger par un phonème plus proche de la langue native, la langue d’accueil. Cependant, si les phonèmes étrangers étaient toujours remplacés par les phonèmes les plus proches de la langue d’accueil, les études en linguistique n’auraient pas de raison d’être. Le choix du phonème le plus proche, l’adaptation des syllabes, l’accentuation et l’orthographe sont variables. C’est cette variabilité qui rend intéressante l’analyse des adaptations phonologiques. L’intégration du mot dans la langue dépendra d’abord de son usage et du besoin qu’en a la langue d’accueil. Puis, comment l’intégration se passe-t-elle? La manière dont il sera prononcé après sa lexicalisation dépend de plusieurs facteurs, car le mot est passé par une période de variation où plusieurs prononciations ont été possibles. Dans le cas des emprunts, la variable est le mot étranger même, et les variantes sont les manières possibles soit de le prononcer, soit de l’utiliser avec d’autres sens. Du point de vue phonologique, les variantes seraient les façons de prononcer le mot étranger. Pour qu’une variante soit établie et choisie comme la forme acceptée et intégrée dans la langue d’accueil, l’autre doit être refusée: elle perdra son prestige dans la communauté linguistique. La question sur la manière dont le mot étranger se présente aux locuteurs de la langue d’accueil est ici pertinente. Il est évident que ce sont les locuteurs qui adaptent les mots étrangers, mais la manière dont ils en ont pris connaissance peut 36 être déterminante pour le devenir de ce mot dans leur langue. Sandmann (1992: 74) note: «Há empréstimos que, por assim dizer, entram pelos olhos, isso é, a palavra foi mais vista do que ouvida. Outros entram pelos ouvidos1». De même, Deroy (1956: 73) affirme: «Par l’oreille ou par les yeux, certains mots ont été empruntés avec leur forme erronée ou en un sens inexact.» L’interférence des yeux et/ou de l’oreille dans l’entrée d’un mot étranger est remarquable. Cette observation sur le rôle que le registre orthographique peut avoir dans le choix d’adaptation de l’emprunt est présente aussi chez Coetsen (1988: 94): «As is well-known, we may borrow not only on the basis of pronunciation (acoustic aspect), but also on the basis of spelling (visual aspect). Spelling and pronunciation the interact intimately.» Nous supposons que l’adaptation aura toujours tendance à réduire les différences entre les langues en fonction de la structure de la langue d’accueil. Si le mot entre par la forme orale, l’adaptation des phonèmes différents se fera par les phonèmes les plus proches possibles de la forme étrangère dans le système phonologique de la langue d’accueil. De même en cas d’entrée orthographique: le locuteur produira le mot étranger en respectant le rapport graphème/phonème de sa langue native, sauf s’il a une connaissance de la langue étrangère. Ainsi, on remarque une variation dans le champ des adaptations et que deux facteurs peuvent y jouer un rôle: l’orthographe et la connaissance de la langue source. 2.2 Les types d’adaptation: leur classification En ce qui concerne les différentes possibilités d’adapter un mot étranger, voyons la classification établie par Carvalho (1989). L’auteur propose une typologie et donne des exemples d’emprunts dans la langue portugaise: A) traduction littérale, ou calque: HAUTE COUTURE→ ALTA-COSTURA; B) adaptation phonétique et orthographique: FOOTBALL→ FUTEBOL; C) adaptation seulement phonétique: SHOW Nous affirmons que la prononciation, dans le troisième cas, sera adaptée, car il est peu probable que le locuteur de la langue d’accueil fasse l’effort de prononcer le mot en réalisant les phonèmes étrangers (surtout quand les phonèmes de la langue source ne font pas partie de son système phonologique). Cette classification confirme que les adaptations des emprunts sont un cas de variation. Il n’y a pas qu’une manière d’adapter un mot étranger lors de son processus d’intégration. Pour ce qui est des classifications d’adaptations, exposons encore celle de Haugen: «(i) Loanwords: morphemic importation without substitution. This is the most common kind, such as the use of the word “chic” in English. Within the category of loanwords, we may then distinguish cases there has been substitution at the phonemic level (phonologically adapted loans) from those where this has not been the case. 37 (ii) Loan blends: morphemic substitution as well as importation. This class includes “hybrids” such Dutch soft-ware ‘huis’ from soft-ware ‘house’. (iii) Loan shifts: morphemic importation without substitution. Here only a meaning, simple or composite, is imported, both forms representing that meaning are native. A well-know example of a loan shift is German “Wolkenkratzer”, French “gratte-ciel”, and Spanish “rascal-cielos”, all based on English “skyscraper”. But when the meaning is simple we can also find cases of loan shift. This is also sometimes called a loan translation. In Dutch the verb “controleren” means mostly “to check”, but in recent years it also acquired the English meaning of “control”, “to have power over.» (apud Appel / Muysken 1987: 164) Cette classification se différencie de la première en ceci qu’elle démontre le deuxième cas, où le mot étranger, en réalité les expressions étrangères, sont utilisées et intégrées de manière hybride. Il y a un mélange: une partie est conservée dans sa forme originelle et le deuxième composant est remplacé (substitué) par un composant de la langue d’accueil. Le troisième cas présenté par Haugen équivaut au calque, ou traduction littérale, qui n’a pas de rapport avec l’adaptation phonétique/phonologique, car il s’agit de la traduction du mot qui ne conserve aucun de ses aspects phonétiques/phonologiques. A partir de nos lectures, nous précisions le schéma d’intégrations possibles des emprunts: le calque-traduction; l’adaptation phonétique/phonologique avec changement orthographique; et l’adaptation seulement phonétique, quand le mot conserve la graphie étrangère et que sa prononciation reste proche de la langue source dans la langue d’accueil. L’on peut ainsi conclure que la variation d’adaptation au niveau phonologique des emprunts existe et que des facteurs doivent y être rajoutés pour une analyse plus complète. Ainsi, nous parlerons dans la section qui suit du cas spécifique des emprunts français en portugais afin d’expliciter cette variation et de montrer par une application pratique le rôle des facteurs tels que l’orthographe et la connaissance de la langue source dans le processus. 3. LES ADAPTATIONS PHONOLOGIQUES EN PRATIQUE 3.1. Les emprunts français en portugais: les vestiges de l’histoire En bref, l’influence du français dans le portugais remonte au XIXème siècle avec l’arrivée de la Cour Portugaise au Brésil, en 1808. Malgré le rapport politicoéconomique entre le Portugal et l’Angleterre et le fait que la Cour se soit réfugiée au Brésil pour fuir l’armée française, la «Mission Française» a été organisée en 1816, pendant le séjour de la famille royale dans sa colonie. Celle-ci a contribué à propager au Brésil les styles européens, surtout le style français, dans l’urbanisme, dans les arts et les sciences. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle et au début du XXème, lors de ce qu’on appelle significativement la «Belle Époque», la France devient la principale référence de l’élite brésilienne, comme le montre le style de modernisation qu’a 38 subi la capitale, Rio de Janeiro, à partir de 1902. Cette adoration du français commence à décliner dans les années 30, à cause de la politique protectionniste et nationaliste du gouvernement de Getúlio Vargas et de la croissance de la relation politico-économique avec les États-Unis. À partir de la IIème Guerre Mondiale, la prédominance de la langue anglaise dans le portugais brésilien est vérifiée, et elle perdure de nos jours. Ainsi, le corpus de base de cette recherche est constitué à partir de la lecture du journal «A Gazetinha». Il s’agit d’un journal brésilien de la fin du XIXème siècle, période propice pour l’entrée de mots français en portugais. Les mots recueillis du journal ont été vérifiés dans le dictionnaire monolingue du portugais Houaiss, pour attester de l’intégration des mots à l’époque actuelle. Ainsi, les possibles mots «de mode» du XIXème siècle ne sont pas considérés dans notre travail. Voici la liste des mots: TOILETE : TOALETE VELOUTINE : VELUTINA ECHARPE : ECHARPE CARNET : CARNÊ MIGNON GALANT : GALANTE CHIC : CHIQUE GAILLARD : GALHARDETES BOUDOIR : BUDOAR PALETOT : PALETÓ CHATELLAINE : CHÂTELAINE CHAMPAGNE : CHAMPANHE COGNAC : CONHAQUE DEBUT : DEBUTE POLKA : POLCA SOIRÉE BANQUET : BANQUETE RESTAURANT : RESTAURANTE COLLET : COLETE BIJOU : BIJU ABANDONNER : ABANDONAR BOUQUET : BUQUÊ ABATJOUR : ABAJUR BIDET : BIDÉ CANAPÉ : CANAPÊ BIBELOT : BIBELÔ ÉTAGÈRES : ETAGÉRES 39 L’hypothèse que l’orthographe a un rôle dans les adaptations devient plausible à travers les processus possibles qu’atteste cette liste. Le schéma d’adaptations est le suivant: (1) CAS RÉGULIERS: Le maintien du phonème français <OI>;/wa/2→<OA>; /wa/ : toilette→ toalete boudoir → budoar <OU>; /u/→<U>; /u/ : bijou → biju bouquet → buquê <GN>; /ɲ / →<NH>; /ɲ / : champagne → champanhe cognac → conhaque (2) CAS IRRÉGULIERS: (A)*Chute de la consonne3 écrite finale: carnet → carnê bidet → bidê bibelot → bibelô (B) *Insertion de voyelle à la fin du mot: restaurant → restaurante banquet → banquete galant → galante cognac → conhaque Ces cas valident une étude pour préciser quels choix ont la préférence et à quel point la référence écrite peut déterminer la stratégie d’adaptation. 3.2 La méthodologie: reconstituer les processus La méthodologie se base sur l’article de Vendelin et Peperkamp (2006), The influence of orthography on loanword adaptations. Ces linguistes se proposent d’analyser la manière dont les locuteurs français réalisent les adaptations des verbes anglais. À partir de deux situations différentes, ces auteurs observent jusqu’à quel point les locuteurs sont sensibles à l’interférence du mot écrit. Le test, comme il est spécifié, porte sur l’influence de l’orthographe. Sa formulation présuppose que l’orthographe intervient de deux façons dans les adaptations: le mot étranger est tout simplement lu, ce que ces linguistes nomment «reading adaptations», où le mot est prononcé comme s’il venait de la langue d’accueil. L’autre cas fait appel à la manière standard dont les graphèmes étrangers (de la langue source) sont produits (prononcés) dans la langue d’accueil. Dans ce cas, ces linguistes utilisent le concept de «between-language grapheme-to-phoneme correspondence rules»4. Le test consiste en présenter aux locuteurs des non-mots (inexistants) créés selon des structures habituelles de verbes anglais4.Tous les participants ont été soumis à deux types d’input (stimulus), oral et oral/écrit (mixed). Dans la situation orale, le mot est présenté oralement. Dans la situation orale/écrite (mixed), le nonmot est fourni par écrit, puis, sa forme orale est présentée au participant. Dans la 40 situation mixed, les participants sont avertis qu’ils doivent faire attention au registre écrit du mot. Les participants ont été partagés en deux groupes: l’un par la situation orale d’abord et puis par la situation mixed; alors que l’autre suit l’ordre inverse des situations. En conclusion, Vendelin et Peperkamp avancent que l’orthographe a un rôle dans les adaptations. Dans notre cas, nous vérifions quels facteurs sont inter-liés dans certains choix de stratégies d’adaptations des mots français en portugais, en comparant le portugais européen et le brésilien. Notre objectif majeur est de vérifier le rôle du facteur orthographe. La question phonologique est analysée à partir de la distinction entre les adaptations de lecture et d’autres liées à la prononciation du mot étranger. Nous avons suivi la méthode des linguistes en ce qui concerne les situations dans lesquelles les stimuli sont présentés aux participants5. À partir de la liste des mots recueillis du journal, certaines consonnes et voyelles de ces mots ont été modifiées pour en gauchir la compréhension, de sorte que le test a été construit avec des non-mots suivis de phrases correspondantes dans lesquelles les participants doivent introduire leurs versions d’adaptation. Le test est le suivant: DOILETTE FELOUTÉ OCHARBE GARNET MUGNON KALANT GIC KAILLART POUTOIR BALETOT CHATOLLAINE CHOMBAGNO GEGNAC TOPUT BOLGA ZOIRÉE PANQUET LOSTAULANT GOLLET PICHOU APANTENNER POUQUET APATCHOUR PITET 1) Aqui é o ______________________. 2) É um vestido de _________________________. 3) Adoro esse _____________________. 4) Esse ___________________ é meu. 5) Ela é ________________. 6) Ele é ___________________. 7) Isso é muito ___________________. 8) Essa _____________é linda. 9) Quero um ___________________. 10) Esse _______________ é bonito. 11) É uma bela _____________________. 12) Comprei ____________________. 13) Também tem ____________________. 14) Isso é o _______________________. 15) Adoro ______________________. 16) Foi muito boa a _________________. 17) Um verdadeiro _______________________. 18) Vamos ao ____________________. 19) Não gosto de ___________________. 20) Não uso ______________________. 21) Vou ter que ______________________tudo. 22) Um lindo _________________. 23) Ele tem um ___________________. 24) Está ali em cima do ___________________. 41 GANABÉ PIPELOT ODAGERES 25) É um _____________________. 26) Parece um _____________________. 27) Eu não tenho _____________________. Il a été demandé aux participants d’intégrer les mots dans les phrases sans faire attention au contexte sémantique. En effet, ces phrases sont une manière de les pousser à «penser en portugais», ce qui pourrait empêcher l’influence ou la réalisation des phonèmes étrangers. Nos participants passent par deux situations: l’une, où les mots leur sont fournis oralement, les locuteurs entendent/écoutent les mots. Puis, on arrête le stimulus pour que le participant écrive son adaptation dans la phrase correspondante. À la fin de cette procédure, on demande aux participants de lire les mots ou les phrases avec les mots adaptés. Cette lecture enregistrée constitue le corpus d’analyse. L’autre situation est mixed, c’est-à dire que les stimuli sont fournis oralement en même temps que le participant s’aperçoit de la forme écrite de chaque mot. La procédure d’intégration de leur version dans les phrases et la lecture sont les mêmes que dans l’autre situation. Dans la deuxième situation, soit l’orale, soit la mixed, selon l’ordre convenu au participant, on lui demande d’évaluer ce qu’il vient de faire. La décision de reformuler l’adaptation est un choix exclusif du participant. Les stimuli sont fournis par quatre locuteurs français (deux femmes et deux hommes) qui ont été enregistrés pour le test sous format mp3. Ainsi, la production des segments phonologiques étrangers est faite par des locuteurs natifs. Les productions de ces locuteurs sont fournies de manière alternée. A partir des cas réguliers et des cas non-réguliers constatés à partir de mots français déjà intégrés en portugais, nous avons construit un tableau d’analyse qui expose les types d’adaptations possibles. Ce tableau distingue l’adaptation de lecture de celle du rapport graphème-phonème entre langues. Ce cadre sera notre référence à laquelle nous comparerons les résultats. Voyons ce tableau construit avant le test: Tableau: Correspondances pré-test Graphème; phonème français Adaptation de lecture Rapport graphèmephonème entre langues [wa]; [o.a] <oi>; /wa/ [oj] <ou>; /u/ [ow] [u] <et>; /ɛ/ [e.t ʃi]; [ ɛ.t ʃi]; [e.te]; [ɛ]; [e] 42 <u>; /y/ [ɛ.te] [u] [u]; [i] <c>; /k/ [ke] [ke] <gn>; /ɲ/ [gi.ne] [ɲ] Les données ont été collectées dans quatre régions du Brésil. Les locuteurs du portugais européen ont subi le test à Lisbonne. Les participants doivent remplir une fiche après leur participation au test. Cette fiche comporte des données personnelles, comme le nom, le prénom, l’âge, la classe sociale, la connaissance de la langue étrangère. L’appartenance à une classe sociale et le niveau de connaissance des langues étrangères (le français, l’anglais et l’espagnol) sont une auto évaluation du participant. Nous totalisons l’analyse avec 155 participants. Après la transcription des données, l’analyse via GoldVarb 2001 a été développée en trois tours pour chaque phonème: un avec les groupes des locuteurs brésiliens, l’autre avec les locuteurs portugais et un troisième avec les deux groupes ensemble. Passons aux résultats les plus remarquables concernant le rôle de l’orthographe dans le processus. 3.3. Les résultats pertinents 3.3.1. Graphème <ou>; phonème /u/ français adapté par les locuteurs portugais et brésiliens La stratégie préférée a été la même aussi bien chez les Brésiliens que chez les Portugais. Donc, le résultat confirme que le pourcentage le plus haut est celui du maintien du phonème français. Quelques aspects sont intéressants en ce qui concerne l’adaptation de lecture. Même si cette stratégie est toujours la moins choisie, il semble que, dans quelques groupes, la lecture du phonème ait un rapport avec un facteur externe. Ce qui peut nous fournir de vrais indices par rapport au rôle du facteur orthographe est celui qui concerne les situations du test. Ainsi, il est important de retenir que l’adaptation de lecture a lieu dans la situation mélangée à partir de notre analyse. Nous croyons que l’adaptation de lecture n’est pas fréquente comme stratégie d’adaptation des emprunts. Nous restons dans l’idée que les processus d’adaptation sont plutôt dépendants de la structure de la langue d’accueil du point de vue phonologique, sans rapport étroit avec les règles graphème/phonème entre la langue source et la langue d’accueil. Cependant, quand l’adaptation de lecture a lieu, il s’agit vraiment de la prise en considération du graphème étranger, du respect de la représentativité de ce graphème selon les règles de lecture de la langue d’accueil. 43 Le fait est confirmé quand on analyse le croisement des facteurs cibles, c’est-à-dire la connaissance de la langue française et l’orthographe. Voyons le résultat du croisement de ces facteurs6: Ainsi, l’adaptation de lecture est vraiment rare, mais elle existe. Son apparition est inter-liée à la non-connaissance de la langue source et à la situation où le mot est présenté. Donc, le processus qui consiste à lire le graphème français selon les règles graphème/phonème du portugais semble être la ressource utilisée par ceux qui n’ont pas l’habitude de la sonorité française. Le locuteur cherche des outils dans la graphie afin de pouvoir comprendre: mieux percevoir ce qui est produit en français, et le produire dans un autre moment en portugais en fonction de ce qu’il a vu, c’est-à-dire la graphie du mot. Nous l’affirmons par rapport au phonème français /u/. Cependant, nous réaffirmons que les adaptations d’emprunts méritent des études individuelles en ce qui concerne les phonèmes adaptés pour après passer à une comparaison et avancer des conclusions plus précises. 3.3.2. Graphème <et>; phonème /ɛ/ français adapté par les locuteurs brésiliens Les résultats montrent que la stratégie préférée est toujours celle du maintien de la voyelle /ɛ/, avec ou sans application des phénomènes phonétiques du portugais en ce qui concerne l’ouverture, la hauteur de cette voyelle. Pour ce qui est de l’analyse des situations, nous constatons, même avec des pourcentages assez bas, que cette stratégie a été choisie dans la situation mélangée, c’est-à-dire que les locuteurs l’ont réalisée au moment où ils ont pu voir le registre écrit du mot. Pour l’affirmer, nous montrons les pourcentages concernant le croisement entre les facteurs connaissance du français et la situation, représentante de l’orthographe. 44 Nous pouvons affirmer, d’après les pourcentages ci-dessus, que les participants ayant réalisé une adaptation qui semble une lecture du mot français sont des locuteurs dont la connaissance du français a été classifiée par eux-mêmes comme nulle. Le plus important est que cette adaptation se soit produite avec une plus grande fréquence dans la situation mélangée, avec le registre écrit du mot. Ainsi, l’orthographe peut jouer un rôle dans le choix d’adaptation, mais son rôle varie selon les besoins du locuteur. On réaffirme que les locuteurs qui ne sont pas habitués à l’écriture ni à la sonorité française se servent de l’aspect visuel du mot pour réaliser l’adaptation. L’adaptation des mots étrangers allant toujours vers la structure de la langue d’accueil, on observe la même tendance dans les adaptations de lecture. Le mot étranger est lu selon les règles et correspondances graphème/phonème de la langue qui reçoit les emprunts. Donc, l’orthographe est bien un facteur dans les adaptations, mais son rôle est inter-lié au facteur connaissance de la langue étrangère. Les locuteurs qui ont une moindre connaissance de la langue ont tendance à l’utiliser comme ressource. Ils pallient leur non-habitude de la sonorité étrangère et leur non-reconnaissance des correspondances des graphèmes de la langue source par la lecture directe du mot étranger selon les règles du rapport entre les graphèmes et les phonèmes de leur langue native. Si l'on considère notre expérience comme une reproduction du processus d’adaptation que les mots français ont subi en portugais, nous supposons que les mots qui semblent avoir une correspondance avec la lecture des graphèmes étrangers selon les règles de l’orthographe portugaise sont dus à l’intervention, dans un premier moment, de gens qui ne connaissaient pas la langue française. En considérant que cette lecture apparaît toujours dans une proportion moindre par rapport aux autres choix d’adaptation, nous croyons que l’établissement de telle adaptation, par exemple l’insertion d’une voyelle à la fin du mot, ce qui rajoute une voyelle à la consonne écrite, non prononcée, du mot français, est faite d’intellectuels qui avaient le pouvoir de systématisation de l’écriture portugaise. Le mot doit passer par un processus d’analyse et d’usage régulier pour pouvoir rester dans la langue d’accueil. Son intégration passe 45 également par une vérification de sa viabilité dans la langue par des intellectuels, qui décideront de la forme adaptée ou non du mot étranger. Ainsi, le processus choisi pour des mots intégrés avec ce type de structure a été, dans quelques cas, celui qui a facilité la prononciation du mot écrit français. Une autre explication pour cette adaptation de lecture sont les moyens de communication du XIXème siècle. La presse était le moyen le plus usuel et celui où on utilisait le plus les mots étrangers. Aujourd’hui encore, les mots étrangers sont plutôt utilisés, dans un premier moment, par les journalistes. De sorte qu’au XIXème, la population, y compris celle qui avait une connaissance du français, pouvait être influencée par la forme écrite du mot français à cause de la fréquence de sa visualisation. Une autre explication est un moment stable de variation pleine de la prononciation de ces mots. Tel nous semble le cas des mots dont la lecture selon les règles de la langue d’accueil est vraiment distincte de la prononciation du mot originel. Quelques cas ont reçu une voyelle d’autres ont gardé la sonorité française. La convention des adaptations des mots étrangers est plutôt liée à une manipulation, et à une systématisation par un groupe qui a le pouvoir de décision sur la langue. Que la variation ait été prise en compte semble logique, mais ce qui en a fait une convention (plutôt que telle autre) n’est pas complètement clair et se rapproche plus à un jugement arbitraire. Les adaptations suivent les règles et les structures de la langue d’accueil, mais exigent également l’intervention de conventions qui ne dépendent pas complètement de la réalité linguistique des locuteurs. La variation est attestée par nos données, ce qui peut nous aider à comprendre le processus d’adaptation des emprunts à une autre époque, et ce qui explique pourquoi on trouve des mots avec la consonne suivie d’une voyelle à la fin du mot, ou d’autres sans. Les adaptations de lecture, ici, sont dépendantes de l’orthographe et du niveau de connaissance du français. Puis, la forme convenue sous laquelle le mot étranger sera enregistré dans la langue d’accueil dépend d’un processus d’analyse et des conventions à côté du phénomène langagier en soi7. Nous attestons que l’adaptation de lecture (quand elle existe) et l’intervention de la connaissance de la langue source sont inter-liés. Ce qui a transformé en conventions ces adaptations dépasse le cadre de cette étude. 3.3.3. Graphème <u>; phonème /y/ français adapté par les locuteurs brésiliens La stratégie préférée chez les Brésiliens est le maintien, aussi exact que possible, du phonème français /y/, [i]. Ce phonème-ci est un cas un peu à part, car ce phonème français ne fait pas partie de l’inventaire phonologique du portugais. Ainsi, pour décider des variables dépendantes, nous avons considéré les voyelles les plus proches possibles de la voyelle française, selon le trapèze phonologique des voyelles: les voyelles hautes du portugais, l’antérieure, /i/, et la postérieure, /u/. Ces voyelles sont les plus proches possibles du phonème français au niveau de l’articulation. Pour distinguer l’adaptation de lecture, nous considérons comme telles les réalisations de la voyelle adaptée comme [u], étant donné que la lettre 46 <u> écrite correspond à cette réalisation en portugais. Ainsi, les réalisations [i] sont des stratégies considérées comme des adaptations qui maintiennent la prononciation française, si on considère la proximité entre ces voyelles. Les résultats montrent que les locuteurs brésiliens préfèrent maintenir la prononciation française, à cause de la proximité sonore des voyelles en question. Afin de décider si l’orthographe a développé un rôle dans les stratégies d’adaptation de lecture, nous vérifions le rapport entre les groupes des facteurs, situation et connaissance de la langue française (les facteurs cibles). L’intervention de l’orthographe dans la réalisation de l’adaptation de lecture est démontrée par le croisement des deux facteurs explicités ci-dessus. Ainsi, la situation mélangée montre un pourcentage un peu plus élevé que celle où le mot n’est présenté que par sa sonorité. Cependant, le groupe qui présente le pourcentage le plus élevé de cette réalisation est celui qui a une bonne connaissance du français. Ce cas laisse un chemin ouvert à des réflexions et des recherches. 4. CONCLUSION Nous voyons à partir des cas pratiques que, d’abord, le phénomène d’emprunt implique la notion d’appropriation et d’acquisition des mots étrangers et les adaptations phonologiques soulignent cette idée. La forme étrangère, dans la plupart du temps, reçoit une adaptation phonétique/phonologique avec changement orthographique, ce qui conserve la prononciation d’origine le plus proche possible. Cependant, cela n’est pas toujours le cas, et la langue d’accueil utilise d’autres ressources, ce qui fait du mot sa «propriété». Les cas où l’orthographe semble être présente montrent que ce facteur apparaît lié au niveau bas de connaissance de la langue source. Cela nous permet d’affirmer que l’orthographe est une ressource pour ceux qui ne connaissent pas les relations graphèmes/phonèmes du français. Les résultats montrent que les adaptations des mots étrangers sont faites vers la langue d’accueil au niveau phonologique aussi bien qu’au orthographique. Les mots, quand «plus vus 47 qu’entendus», suivent les règles de correspondance graphème/phonème de la langue d’accueil. Ainsi, nous croyons que ces résultats poussent à une réflexion sur le processus d’adaptations des mots étrangers et sur l’importance d’un regard centré sur les facteurs extralinguistiques. En effet, notre travail est également utile pour ce qui concerne l’apprentissage du français langue étrangère par les locuteurs du portugais dans la mesure où on voit les phonèmes qui causent une ambigüité de prononciation. Ainsi, les enseignants, basés sur ces résultats, peuvent développer une didactique avec des activités centrées sur la prononciation de ces phonèmes en précis afin de faciliter leur acquisition et leur reconnaissance à l’écrit. En outre, cette étude laisse d’autres chemins ouverts pour la recherche. Par exemple, la vérification et l’implication du contexte spécifiquement phonologique et les traits des phonèmes en analyse. A partir des résultats qui révèlent une plus grande hésitation d’adaptation, on peut se poser la question sur les caractéristiques du phonème en soi et vérifier si le même phénomène de variation, même si dans une échelle mineure, a lieu dans d’autres contextes phonologiques- de même, pour ce qui est de la prosodie: essayer de voir si le mot dans un contexte phrastique présente de différences par rapport aux mots isolement présentés. Ainsi, au-delà de la présente contribution, les emprunts, malgré leur exploration assez répandue en linguistique, restent un sujet avec un vaste champ d’investigation. NOTES 1. Il y a des emprunts qui, on pourrait dire, rentrent par les yeux, c’est-à-dire, le mot a été plus vu qu’écouté. Et d’autres qui rentrent par l’oreille. 2. Ce cas correspond en réalité à une séquence phonémique: une voyelle avec une semi-voyelle. 3. Lettre sans réalisation phonétique, mais qui pourrait servir d’indice à l’insertion d’une voyelle, ce qui modifie la sonorité étrangère. 4. Les linguistes avaient des voyelles intra-consonnes précises à analyser. On n’approfondira pas ici leur analyse. 5. Évidemment, le déroulement du test (par rapport aux équipements et aux conditions) a été adapté à notre réalité. 6. L’orthographe est représentée par les différentes situations. 7. Nous pourrions penser que ce choix peut être lié au phénomène de liaison de la langue française. Ce qui expliquerait également le rajout d’une voyelle à la lettre française à la fin du mot. Cette lettre pourrait être interprétée comme un élément extra-syllabique, ce qui cause le phénomène de liaison expliqué par le Principe du Licenciement Prosodique. Le Principe proposé par Itô (1986, p.2 apud Collischonn) prévoit l’attachement de tous les segments à un nœud syllabique, c’est-àdire, à une syllabe. Ainsi, la liaison est selon Milliken (1988, apud Collischonn), un phénomène expliqué par les cas d’extra-syllabisme. Ce sont les éléments qui, pendant le processus de syllabisation d’une certaine séquence, ne peuvent pas être associés à une syllabe, mais ils ne sont pas effacés, parce qu’ils sont considérés invisibles aux opérations d’effacement. L’auteur dit que ces consonnes sont dans le niveau sous-jacent de la langue. À partir de ces idées démontrées très brièvement, nous pouvons penser que les mots qui présentent ce type d’adaptation sont des mots qui ont des contextes favorables et possibles de liaison en français. Les intellectuels, de cette sorte, ayant une bonne connaissance du français ont récupéré telle consonne extra-syllabique française en l’application d’insertion d’une voyelle, ce qui effectue l’adaptation du mot français avec la consonne à la fin du mot en portugais. Cela reste comme une explication hypothétique, car il faudrait réaliser une analyse des mots qui présentent telle adaptation pour vérifier si ces mots 48 peuvent subir le phénomène de liaison en français. Restons avec l’idée de convention de la forme du mot adapté. BIBLIOGRAPHIE Appel, René / Muysken, Pieter (1987): Language contact and bilingualism, United Kingdom: Edward Arnold. Basilio, Margarida (2001): Teoria lexical, São Paulo: Séries Princípios, 7 ed., Editora ática. 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Ils se situent à deux niveaux: - des éléments importants de la terminologie linguistique (mots et concepts qui constituent des éléments fondamentaux du métalangage de la linguistique); - des mots qui ont enrichi le vocabulaire général des langues romanes, étant des éléments fondamentaux pour divers champs sémantiques. Nous nous sommes proposé de présenter dans les pages qui suivent un bref panorama de la situation des emprunts à ces deux niveaux linguistiques - le métalangage de la linguistique (la terminologie) et le vocabulaire général - dans quatre langues romanes, l’italien, l’espagnol, le portugais et le roumain, tels qu’ils résultent de l’étude d’un corpus. 2. LA TERMINOLOGIE LINGUISTIQUE La lecture des chapitres dédiés au lexique dans les divers livres d’histoire des langues romanes ainsi que d’études de linguistique romane nous permettent d’isoler la terminologie concernant l’histoire du vocabulaire et les emprunts lexicaux: - en français (emprunt, influence, gallicisme, calque); - en italien (prestito, influsso, forestierismo, gallicismo, francesismo, provenzialismo, parola di origine gallo-romanza, calco); - en espagnol (préstamo, galicismo); - en portugais (empréstimo (do francês / do povençal), galicismo); - en roumain (influenţă, neologism, cuvânt împrumutat, etc.). Dans l’organisation hiérarchique du vocabulaire, nous avons trouvé des mots français (champ, domaine), italiens (campo, terminologia), roumains (terminologie). Les unités d’analyse sont désignées aussi par des termes souvent différents dans la même langue: en français (mot, terme), en italien (parola, vocabolo, voce, 50 termine, nome, elemento), en espagnol (palabra), en portugais (palavra), en roumain (cuvânt, termen, element, etc.) (cf. F. Brunot (1967 sqq.), B. Migliorini (1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier (2001), O. Densuşianu (1997), G. Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G. Rohlfs, P. Bec (1970, 1971), C. Tagliavini (1982)). Les emprunts lexicaux interromans (spécialement au français) existent, donc, dans toutes les langues romanes. Du point de vue chronologique, ces emprunts existent dans les langues romanes occidentales depuis l’époque des troubadours et des trouvères, tandis qu’en roumain on les inventorie à partir de la fin du XVIIIe siècle. Dans le cadre de la distinction fonctionnelle entre les emprunts à l’adstrat, les emprunts aux superstrats et les emprunts interromans (cf. C. Tagliavini, 1982), les emprunts lexicaux que les langues romanes ont faits au français constituent une partie importante des emprunts interromans. Il y a plusieurs situations d’emprunt pour une famille de mots: on emprunte à une langue étrangère le mot base, ou bien le mot base et (une partie de) ses dérivés, ou encore un dérivé en reprenant d’une autre langue le mot base. Des mots qui existent dans toutes les langues romanes (nationales) peuvent avoir des étymologies différentes. On constate ensuite que les emprunts lexicaux touchent beaucoup de champs lexicaux (domaines du vocabulaire). Finalement, il faut préciser que les mots empruntés sont surtout des mots pleins: des noms (majoritairement), des adjectifs, des verbes et des adverbes. Nous avons inventorié la terminologie linguistique utilisée dans les chapitres de lexique d’histoires des langues romanes et d’études de linguistique romane pour la comparer ensuite avec celle que proposent des études plutôt classiques de linguistique. Les inventaires de mots extraits du corpus constitué et des dictionnaires nous ont permis de comparer la situation des emprunts lexicaux au français dans les langues romanes nationales autres que le français (italien, espagnol, portugais, roumain). Les mots clés trouvés sont les substantifs français emprunt, néologisme, mot, terme, champ, vocabulaire, terminologie et leurs correspondants romans (v. ci-dessus). Les distinctions mot (lexème) vs. terme et lexicologie vs. terminologie se rattachent à la distinction des registres de langue (langue générale vs. langue spécialisée (technique vs. scientifique), vocabulaire général vs. vocabulaire spécialisé. Il faut mentionner ici aussi les distinctions suivantes: mots de la langue générale vs. termes techniques vs. termes scientifiques, d’une part et dénominations générales vs. dénominations spécialisées (techniques vs. scientifiques) de l’autre. Dans la présentation du Dicionário de Estrangeirismos on explique, entre autres, la terminologie utilisée: estrangeirismo («palavra proveniente de outra lingua y escrita de acordo com a ortografia da sua lingua de origem, em desacordo, num ou em vários aspetos, com a grafia, a morfologia ou a relação entre grafia e pronúncia do português»: angl. aftershave), empréstimo(s) («palavra(s) de outra(s) 51 lingua(s), (muitas) utilizada(s) com regularidade em textos oficiais em língua portuguesa e registada(s) em obras lexicográficas do português»), decalque semântico (equivalente: ptg. correio eletrónico pour angl. e-mail), aportuguesamento («uma forma adaptada a nível ortográfico, ou morfológico, ou mesmo semântico»: ptg. suflé < fr. soufflé), internacionalismo. Selon la langue d’origine, on utilise toute une terminologie (tirée des noms et des adjectifs ethniques) pour dénommer les emprunts et, de manière générale, les mots étrangers: fr. gallicisme (it. gallicismo, esp. galicismo, it. francesismo, rm. franţuzism), fr. italianisme (it. italianismo, rm. italianism), fr. arabisme (it. arabismo, rm. arabism), fr. anglicisme (it. anglicismo, rm. anglicism), it. grecismo (rm. grecism), fr. latinisme (it. latinismo, rm. latinismo), etc. (cf. F. Brunot (1967 sqq.), B. Migliorini (1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier (2001), O. Densuşianu (1997), G. Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G. Rohlfs, P. Bec (1970, 1971), C. Tagliavini (1982)). «Anche più importante è la serie delle parole di origine galloromanza. Per quelle francesi si può rimanere incerti se siano vocaboli entrati nell’uso siciliano (più o meno popolare) con i Normanni, ovvero se siano vocaboli genericamente culturali o specificamente letterari, invece per le parole provenzali la provenienza letteraria è pressoché certa. Non si dimentichi tuttavia, che molto spesso è difficile distinguere i francesismi dai provenzialismi.» (B. Migliorini, 1983: 128) «Per elencare i principali gallicismi penetrate in Italia dal 1000 al 1300 le difficoltà non mancano.» (B. Migliorini, 1983: 158) «A influência da língua d’oïl e da língua d’oc é muito forte durante o período do galego-português, e explica-se por uma série de causas convergentes: presence da dinastia de Borgonha, implantação das Ordens de Cluny e de Cister, chegada a Portugal de numerosos franceses do Norte e do Sul, influência directa da literatura provençal, etc.» (P. Teyssier, 2001) «Neologismele de origine latină în –ione n-au căpătat la el forma –ione, pe care le-o dădea în acelaşi timp Iannache Văcărescul, ci au rămas cu cea veche, de origine latină-polonă şi latină-maghiară, în –ie (cf. mai vechiul oraţie). Alţii plecau pe atunci de la forma franceză a cuvintelor latine în –ione, pe care o introduceau de-a-dreptul în româneşte, fără a-i mai impune alte modificări, deci pronunţarea ca en, on a vocalelor nazale ã, ẽ, õ: pension, rezon. Asemenea cuvinte au pătruns în graiul vorbit de masele culte, rămînînd în limbă pănă astăzi. Alături de ele se vor introduce mai tîrziu dubletele cu aspect fonetic latin: raţie sau raţiune şi pensie sau pensiune, adesea cu sensuri deosebite.» (G. Ivănescu 1980: 627-628) «O serie de termeni comerciali pătrunşi în această vreme în limba noastră sînt de origine italiană […].» (G. Ivănescu, 1980: 497) «La terminologia scientifica moderna è piena di neoformazioni dal Greco, talune delle quali sono foggiate in modo poco felice o addiritura irrazionale.» (C. Tagliavini, 1982: 281-282) «Il Russo, lingua nazionale di un popolo di più alta cultura, ha permeato di suoi elementi il lessico dei piccolo popoli ugrofinnici che abitano nell’URSS (Mordvini, Ceremissi [ora detti Mari], Votjachi [ora detti Udmurti] ecc.); ma 52 questi popoli, che fino a una cinquantina d’anni fa si trovavano in uno stadio ancora primitive di cultura, sono in gran parte dediti alla caccia e alla pesca e nella caccia e nella pesca hanno raggiunto una perfezione tecnica non commune. Nulla quindi di più naturale che, nel vocabolario tecnico della pesca e della caccia, essi abbiano dato alla lingua russa (per lo meno ai dialetti russi della regione del Volga) un numero considerevole di parole.» (C. Tagliavini, 1982: 272) Cet appareil conceptuel n’est pas expliqué par les historiens de la langue. C’est C. Tagliavini (1982) qui expose une théorie des emprunts dans le contexte de l’évolution du latin et des langues romanes: «Quando si parla di influssi lessicali si usa generalmente la voce «prestiti» o «imprestiti». Il vocabolo è ormai entrato nella terminologia linguistica internazionale (franc. emprunts, mots d’emprunt, ted. Lehnwörter, ingl loanwords, sp. préstamos, russo zaimstvovannye slova, ungh. kölcsönszavak, ecc.), ma non è forse uno dei più felici adattamenti alla linguistica di voci del linguaggio comune o di una diversa terminologia specifica. Infatti il «prestito» doverbbe portare con sé l’idea della «restituzione», cosa che invece, nel prestito linguistico, avviene solo molto raramente e chi «presta» una cosa ad un altro dovrebbe rimanere, almeno temporaneamente, privo, ciò che non avviene nel prestito linguistico.» (C. Tagliavini, 1982: 270-271) «Si intende con «prestito» o «voce mutuata» una parola che proviene ad una lingua da un’altra lingua, diversa da quella che forma la base principale dell’idioma mutuante, o che proviene dalla medesima lingua base, però non per trasmissione regolare, continua e popolare, ma in seguito ad accatto seriore.» (C. Tagliavini, 1982: 271) Dans la bibliographie théorique consultée nous avons isolé la terminologie linguistique suivante, terminologie qui permet la compréhension des faits de langue envisagés: mot (St. Ullmann (1952), O. Duchacek (1967), L. Guilbert (1971, 1975)), terme et terminologie (M.-T. Cabré, 1998), champ (St. Ullmann (1952), O. Duchacek (1967), H. Geckeler (1971 / 1976)), emprunt (G. Humbley (1974), L. Guilbert (1975), J. Rey-Debove (1998), C. Tagliavini (1982)), néologie et néologisme (L. Guilbert, 1975), pérégrinisme (L. Guilbert, 1975), xénisme (L. Guilbert, 1975), calque, changement sémantique (St. Ullmann (1952), O. Duchacek (1967)). Un excellent point de départ pour inventorier et pour expliciter la terminologie concernant les unités d’analyse en lexicologie (unités lexicales) et terminologie (unités terminologiques), l’organisation hiérarchique du lexique est constitué par le glossaire de linguistique (cf. http://pnglanguages.org/ linguistics/ glossary_fe/) où on trouve les termes: mot, terme, néologie, néologisme, emprunt, xénisme, calque, doublet, créativité lexicale, néologie de forme (création lexicale), néologie de sens (changement sémantique). D’autres termes et oppositions terminologiques se retrouvent un peu partout dans la bibliographie citée: langue emprunteuse (J. Dubois (1994), A. Martinet (1960)), innovation, emprunt lexical, emprunt savant, terme d’emprunt 53 (Croissels, 1991), phonème d’emprunt (Honis, 1963), emprunt vs. heritage (B. Pottier, 1973), emprunt dénotatif vs. emprunt connotatif (B. Pottier, 1973), emprunt interne vs. emprunt externe (J. Dubois et al., 1994), emprunt populaire vs. emprunt savant (A. Martinet, 1960), néologisme vs. archaïsme, néologie de forme vs. néologie de sens, mot simple, mot polysyllabique, mot dérivé, mot variable, mot vide, mot emprunté, mot savant. Dans le dictionnaire de linguistique de J. Dubois et alii (1994) on trouve, en plus, les définitions des termes suivants: mot-phrase, mot-porte-manteau, motracine, mot-valise, lexème, lexie, lexique, lexicalisation, terminologie, dérivation, composition, champ, champ de dispersion, champ lexical, classe, domaine, dénomination, pérégrinisme. Pour constituer le corpus linguistique, nous avons utilisé surtout des chapitres de lexique d’histoires de la langue et d’études de linguistique romane (F. Brunot (1967 sqq.), B. Migliorini (1960 / 1983), R. Lapesa (1976), P. Teyssier (2001), O. Densuşianu (1997), G. Ivănescu (1980), W. Bal et alii (1991), G. Rohlfs, P. Bec (1970, 1971), C. Tagliavini (1982)). 3. LES EMPRUNTS DANS LE VOCABULAIRE GENERAL VS. SPECIALISE De manière générale, les emprunts lexicaux touchent beaucoup de champs lexicaux (domaines du vocabulaire). Il faut préciser que les mots empruntés sont surtout des mots à sens plein: des noms (majoritairement), des adjectifs, des verbes et des adverbes. Il faut distinguer entre mot étranger et mot d’origine étrangère (cf. H. Walter / G. Walter (1992) et http://www. portaldalinguaportuguesa. org/ index.php?action = estrangeirismos&act=list): les deux expressions désignent des mots d’origine étrangère, mais les mots étrangers ne sont pas adaptés au système graphique et morphologique de la langue cible. Pour cette section de notre travail, nous avons examiné des articles de presse d’information générale (Corriere della Sera (en ligne), El País (en ligne), Correio da manhã (en ligne), România liberă (en ligne)), des articles de presse spécialisée (Il Giornale dell’architettura, version imprimée et en ligne), des textes littéraires d’écrivains du 19e siècle, republiés (cf. bibliographie: B. Perez Galdós (1958 et en ligne), Vasile Alecsandri (1852 / édition de 1988), Mihail Kogălniceanu (1840, édition de 1987)), un certain nombre d’articles de dictionnaires spécialisés (P. Merlin / Fr. Coay (1988 / 2000), A. Lewin (2001), L. de Madariaga (1994), PIARC (en ligne), Dicţionar tehnic poliglot (1963)). Nous avons utilisé aussi des dictionnaires de mots étrangers et de néologismes: O. Lurati (1990), H. Walter / G. Walter (1992), http://www.portal dalinguaportuguesa.org/index.php?action=estrangeirismos&act=list (Dicionário de Estrangeirismos), http:// projects. chass. utoronto. ca/ langueXIX/ dg/08_t1-2.htm. Le Dicionário de Estrangeirismos (1343 mots) présente des mots étrangers appartenant à beaucoup de domaines du vocabulaire (aéronautique, art culinaire, art 54 militaire, astronomie, automobile, botanique, chirurgie, cinéma, danse, économie, électricité, géologie, informatique, juridique, marketing, médecine, météorologie, minéralogie, musique, photographie, physique, politique, sports, télécommunications, théâtre, vêtements). Ces mots viennent de langues européennes, africaines, asiatiques, etc. (allemand, anglais, arabe, chinois, coréen, danois, espagnol, français, ghanéen, grec, hébraïque, hollandais, italien, japonais, langues scandinaves, latin, maori, néerlandais, norvégien, pahoehoe, russe, sanscrit, sueco, torque, yiddish). Ces lexèmes ne respectent pas les règles orthographiques et morphologiques du portugais, et ils sont tous enregistrés dans MorDebe («atestados em dicionários de referência ou frequentes em jornais portugueses»), représentant moins de 1% du lexique portugais. Seulement 294 mots sont d’origine française (2de place), contre 808 mots anglais (tête de liste). «Este dicionário fornece uma lista que se pretende o mais completa possível de todos os empréstimos não adaptados ortograficamente (isto é, que não respeitam a grafia do português, ou a relação entre grafia e pronúncia) e que se encontram registados na base de dados. Para todas estas palavras é indicada a categoria, a língua de origem e o domínio a que pertencem.» A partir du corpus nous avons isolé plusieurs inventaires de mots d’origine française appartenant au lexique général (italien (elicottero, galleria, oblio, parterre, trincea, trinciare, trinceante1, tranciare, tranchet, progetto, progettare, etc.) espagnol (balance, barricada, batalla, batería, baluarte, etc. (cf. B. Perez Galdós, en ligne); cine(matógrafo) (cf. http://www.elpais.com/global)), portugais (alarme, estrangeiro, instalação, revoltar, etc.) ou roumain (abuz, academie, aeronautică, aritmetică, literatură, discreţie, fin, pedant, decora, publica, etc. (cf. M. Kogălniceanu, 1840 / 1987); actualitate, artă, auto2, cultură, economie, educaţie, tehnologie, etc. (cf. http://www.romanialibera.ro)). D’autres inventaires, extraits de dictionnaires analogiques, explicatifs et spécialisés ou de textes spécialisés, sont constitués par des termes du lexique spécialisé (arts, urbanisme, architecture, constructions). Dans les documents sélectés il y a beaucoup de termes d’origine étrangère. Pour ce qui est des emprunts au français, ceux-ci appartiennent à de nombreux domaines du vocabulaire. Par exemple, dans le texte de V. Alecsandri (1852 / 1988), les emprunts au français appartiennent aux champs lexicaux suivants: vie militaire (armes (pistol), organisation de la vie militaire (escadron), métiers militaires (militar, ofiţer, cadet)), vie sociale et politique (bonj(o)ur, revoltat), administration du territoire (provincie, capitală), arts (contradans), spectacles (carnaval, scenă, teatru), vêtements et accessoires (costum, domino, bonetă), architecture (monument, teatru), formules d’adresse (damă, madamă, demuazelă, madmuazel, mademuaselă), boissons (şampanie), métiers (modistă), etc. Les mots d’origine française du corpus portugais appartiennent aux champs de la géographie (norte, sul), des unités de mesure (quilómetro), des 55 appareils de mesure (termómetro), des objets (cofre, ecrã), des armes (bomba), des bâtiments et des constructions (quiosque, gare, aérogare), des voies terrestres de communication (rua), moyens de transports (camião), des matières (bronze), des agents humains (funcionário, passageiro1), des métiers militaires (comandante). Un mot français peut être emprunté dans plusieurs langues: esp. jardín < fr. jardin, it. giardino < fr. jardin. Un même mot qui existe dans plusieurs langues romanes peut avoir une origine différente dans chacune, en parcourant des itinéraires différents: - esp. carnaval < it. carnevale, fr. carnaval < it. carnevale, rm. carnaval < fr. carnaval; - it. investire < lat. investire, ptg. investir < fr. investir < lat. investīre, rm. investi < fr. investir, lat. investire. Il existe aussi des mots empruntés, pour lesquels l’origine française est possible (les mots à étymologie multiple). Voici quelques exemples: - mots portugais: - ptg. rua < fr. rue ou cast. rúa < lat. ruga- ptg. bomba1 < it. bomba, ou fr. bombe - ptg. alarme < fr. alarme < it. all'arme - ptg. alarmar < alarme+-ar, ou fr. alarmer - ptg. quilómetro < quilo-+ metro, ou fr. kilomètre - ptg. retirar < re- + tirar, ou fr. retirer - mots espagnols: - ptg. avenida < cast. avenida < fr. avenue Des mots de la même famille (base lexicale et derivé(s)) peuvent être empruntés à des langues différentes: - ptg. prisão < fr. prison < lat. prensiōne- ptg prehensiōne-ptg. prisional < cast. prisión +-al < lat. prensione- rm. isterie < fr. hystérie, it. isteria - rm. istericale < ngr. isteriká. D’autres mots portugais sont d’origine seulement française, ou dérivés dans cette langue d’une racine provenant du français: - ptg. comandar < fr. commander - ptg. comandante < fr. commandant - ptg. commando < comandar - ptg. revoltar < francês révolter - ptg. revoltado, p.p. < revoltar - ptg. gare < fr. gare - ptg. aerogare < aero-+ gare Il existe aussi des mots espagnols ou portugais empruntés à l’ancien français: esp. baluarte < a. fr. ant. balouart < moy. néerl. bolwerc; ptg. estrangeiro < fr. ant. estrangier, auj. étranger < lat. *extranearĭu-. Une autre situation intéressante est celle des mots empruntés qui ont des doublets d’origine française, comme dans le cas du rm. şerbet < tc. şerbet où on trouve aussi rm. sorbet < fr. sorbet. 56 En roumain, on emprunte au français la base lexicale et on construit des mots roumains sur cette base: - rm. complot < fr. complot - rm. complotist < rm. complot + -ist - rm. costuma < fr. costumer - rm. costumat, p.p., adj. < rm. costuma Beaucoup des mots empruntés en roumain ont une étymologie multiple: - mots à double étymologie, il y a des lexèmes qui ont pour origine: (a) le français et le latin: rm. artist < fr. artiste, lat. artista, rm. iluminaţie (luminaţie) < fr. illumination, lat. illumination, rm. teatru < fr. théâtre, lat. theatrum, rm. monument < fr. monument, lat. monumentum, rm. duel < fr. duel, lat. duellum, rm. act < fr. acte, lat. actum, rm. opinie < fr. opinion, lat. opinio, -onis, rm. talent < fr. talent, lat. talentum, rm. patrie < fr. patrie, lat. patria, rm. plan < fr. plan, lat. planus, rm. provincie (provinţie) < fr. province, lat. provincia, rm. decoraţie (cocoraţie, cocoraţii) < fr. décoration, lat. decoratio, -onis, rm. triumf < fr. triomphe, lat. triumphus, rm. public, n., adj. < fr. public, lat. publicus, rm. adora (adorează) < fr. adorer, lat. adorare, rm. decora < fr. décorer, lat. decorare; (b) le français et une autre langue romane: rm. adio < it. addio, fr. adieu; (c) le français et une langue germanique (allemand): rm. mască (maşcă) < fr. masque, germ. Maske, rm. marş, n. < fr. marche, all. Marsch, rm. vals (valţ) < fr. valse, all. Walzer; (d) le français et une langue slave (russe): rm. cadet < fr. cadet, rus. kadet, rm. comisar < fr commissaire, rus. komissar, rm. escadron (scadron) < rus. eskadron, fr. escadron; - mots roumains à triple étymologie: (a) le français, une langue romane, le latin: rm. scenă < fr. scène, it. scena, lat. scaena, rm. notă (de plată) < fr. note, lat. nota, it. nota; (b) le français, une langue romane, le néo-grec: rm. patriot < ngr. patriótis, fr. patriote, germ. Patriot, rm. partidă (de cărţi) < ngr. partídha, it. partita, fr. partie; (c) le français, une langue germanique (allemand), le latin: rm. revoluţie < fr. révolution, lat. revolutio, -onis, germ. Revolution, rm. militar < fr. militaire, lat. militaris, germ. Militär; (d) le français, une langue romane, l’allemand: rm. mobilă < fr. meuble, it. mobilia, germ. Möbel; (e) le français et deux langues slaves: rm. ofiţer (ofiţeri) < pol. oficer, rus. ofițer, fr. officier; - mots qui ont plus de trois étymons: rm. muzică < lat. musica, it. musica, fr. musique, germ. Musik, rm. orchestră < fr. orchestre, germ. Orchester, it. orchestra, rus. orkestr, rm. serenadă < fr. sérénade, it., sp. serenata, germ. Serenade. Comme nous l’avons montré, les mots empruntés sont surtout des mots à sens plein: noms (majoritairement), adjectifs, adverbes (rarement), verbes. Nous avons individualisé les classes sémantiques suivantes: 57 - noms concrets individuels inanimés (ptg. bronze < fr. bronze < it. bronzo; ptg. camião < fr. camion; ptg. cofre < fr. coffre < lat. eccl. coffru- ; ptg. ecrã < fr. écran; ptg. gare < fr. gare; ptg. instalação < fr. installation; ptg. jornal < fr. journal < lat. diurnāle-; ptg. quiosque < fr. kiosque < tc. kioskh; ptg. restaurante2 < fr. restaurant; ptg. termómetro < fr. thermomètre < gr. thérme+ métron; rm. sală < fr. salle; rm. salon < fr. salon; rm. lojă < fr. loge; rm. bufet < fr. bufet; rm. bal < fr. bal; rm. carnaval < fr. carnaval; rm. pistol < fr. pistole; rm. bilet (pl. bileturi) < fr. billet (cfr. it.); rm. costum (costium) < fr. costume; rm. domino < fr. domino; rm. bonetă < fr. bonnet; rm. papiotă (papiliotă) < fr. papillote; rm. capitală (capitalie, capitaţie) < fr. capitale; rm. şampanie (şampan) < fr. champagne; rm. costrădanţ < fr. contredanse; - noms concrets individuels animés: ptg. candidato < fr. candidat < lat. candidātu-; ptg. funcionário < fr. fonctionnaire; ptg. passageiro1 < fr. passager; ptg. patrão < fr. patron < lat. patrōnu-; ptg. responsável < fr. responsible; rm. demuazelă (franţuzism, vx.)< fr. demoiselle rm. madamă [auj. madam] < fr. madame; rm. modistă < fr. modiste; rm. amoreză < fr. amoureuse; rm. bonjur (franţuzism) (bonjour), bonjurist < fr. bonjour; rm. revoltant < fr.révoltant; - noms collectifs inanimés: ptg. corporação < fr. corporation < lat. corporatiōne-; - noms concrets collectifs animés: ptg. equipa < fr. équipe - noms abstraits: ptg. alarme < fr. alarme < it. all'arme; ptg. choque < fr. choc; ptg. este2 < fr. est < angl. east; ptg. funcionamento < fr. fonctionnement; ptg. norte < fr. nord < angl. north; ptg. oeste < fr. ouest < angl. west; ptg. sul < fr. sud < angl. ant. suth; ptg. vaga1 < fr. vague < scand. ant. wagr; rm. compliment (pl. complimenturi) < fr. compliment; rm. complot (pl. comploturi) < fr. complot; rm. fantazie < fr. fantaisie; - adjectifs: rm. fin < fr. fin, rm. pedant < fr. pédant, germ. Pedant; - verbes: esp. abandoner < fr. abandonner; ptg. garantir < fr. garantir; ptg. investir < fr. investir < lat. investīre; ptg. revoltar < fr. révolter; ptg. surpreender < fr. surprendre; ptg. alarmar < alarme+-ar, ou fr. alarmer. En ce qui concerne les termes techniques des vocabulaires des arts, de l’urbanisme, de l’architecture et des constructions, on constate qu’en roumain ils sont le plus souvent d’origine française (qu’il s’agisse de bases lexicales ou de termes dérivés vs. composés): rm. urbanism < fr. urbanisme, rm. urban < fr. urbain, lat. urbanus, rm. urbanist < fr. urbaniste, rm. urbaniza < fr. urbaniser, rm. urbanitate < fr. urbanité, lat. urbanitas, -atis, rm. arhitectură < fr. architecture, lat. architectura, rm. architect < fr. architecte, lat. architectus, rm. architectural < fr. architectural, rm. arhitectura < fr. architecturer, rm. architectonic < fr. architectonique, lat. architectonicus, rm. architectonic, -ă < fr. architectonique, lat. architectonicus, etc. Des termes du vocabulaire des arts (désignant des courants esthétiques, des styles architecturaux, des éléments d’architecture) sont d’origine française dans plusieurs (sinon dans toutes) des (/ les) langues romanes: it. ogivale < fr. ogival, it. ogiva < fr. ogive, esp. ojiva < fr. ogive, rm. ogival < fr. ogival, rm. ogivă < fr. 58 ogive, it. barocco2 < probabl. croisement du fr. baroque et du baroco, esp. barroco < fr. baroque, rm. baroc < fr. baroque, it. art nouveau (loc. fr.), etc. En comparant beaucoup de mots qui désignent des matériaux de construction en français, italien et roumain, on constate que seulement it. beton et rm. beton sont empruntés au français dans les deux langues et une bonne partie de leurs dérivés: (a) it. beton < fr. béton, it. betonièra < fr. bétonnière < fr. béton, it. betonàggio < fr. bétonnage < fr. béton, it. betonista (ou betonière) < it. beton, it. gasbetòn < it. gas + it. beton; (b) rm. beton < fr. béton, rm. betona < fr. bétonner, rm. betonare < rm. betona, rm. betonaj < fr. bétonnage, rm. betonieră < fr. bétonnière, rm. betonist < rm. beton + -ist. Comme rm. betona (vb.), beaucoup d’autres verbes roumains qui désignent des travaux de construction sont d’origine française: asfalta, construi, dala, gudrona, macadamiza, pava. Pour souligner l’importance des emprunts du français, nous présentons un bref tableau des mots du champ lexical des matériaux en français, italien et roumain: français argile MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION italien argilla roumain argilă < fr. argile, lat. argilla asphalte asfalto asfalt < fr. asphalte beton1 beton < fr. beton bitume beton < fr. béton, calcestruzzo < lat. *calcestris bitume calcaire calcare2 ciment cemento calcar < lat. calcarius, fr. calcaire ciment < it. cimento, fr. ciment 1 bitum < fr. bitume dalle dalle2 granite lastra dală < fr. dalle granito3 granit < fr. granite liant legante liant < fr. liant metal metallo1 metal < fr. metal, germ. Metall travertin travertino tuf tufo travertin < fr. travertin, it. travertino tuf < fr. tuf 4. CONCLUSIONS Dans les textes littéraires du XIXe siècle et dans les textes de la presse actuelle il y a beaucoup de mots d’origine étrangère et, surtout, beaucoup de mots d’origine française. Certains domaines des langues romanes actuelles sont 59 constitués majoritairement de mots d’origine française, qu’il s’agisse du lexique général ou spécialisé. BIBLIOGRAPHIE Bal, W. / Germain, J. Klein, J.-P. Swiggers, P. (1991): Bibliographie sélective de linguistique romane et française, Duculot, Champs linguistiques Baralt, R., M. (1995): Diccionario de galicismos, Madrid: Visor Bec, Pierre (1970): Manuel pratique de philologie romane, Tome I, Paris: A. & J. Picard Bec, Pierre (1971): Manuel pratique de philologie romane, Tome II, Paris: A. & J. Picard Bloch, O. / Wartburg, W. von (1964): Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris: P.U.F. Brunot, F. 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Ce phénomène se poursuit de nos jours, avec un accroissement du volume des emprunts dans certains domaines depuis la dernière décennie du XXème siècle. Il sera ici question de la manière dont le russe s’approprie les mots français en les adaptant aux niveaux phonétique, orthographique, morphologique, syntaxique et sémantique. Il faut cependant noter que les procédés d’adaptation dont use le russe sont les mêmes quelle que soit la langue source. Mais avant cela, je présenterai les champs lexicaux qui fournissent régulièrement du lexique au russe par emprunt au français. Quelques remarques préliminaires s’imposent. Il est toujours difficile de déterminer avec précision comment se passe l’emprunt des mots que l’on dirait, dans notre jargon moderne, globalisés ou mondialisés, et notamment des héritages grecs et latins. Sont-ils entrés directement en russe ou bien ont-ils transité et sontils arrivés en russe par l’intermédiaire d’une autre langue, et si oui, laquelle? le français? le polonais? Cette question a soulevé bien des polémiques, comme le montrent J. Breuillard / P. Keruhel (1979: 470). Par ailleurs, la langue française a pu servir de «passeur» aussi pour d’autres langues vernaculaires, comme l’italien ou l’anglais. Je ne m’attarderai pas sur ces problèmes ici dans la mesure où ils ne correspondent pas à l’objectif de ce présent travail et les emprunts à étymologie multiple sont traités de façon approfondie dans d’autres contributions de ce volume. ème 1. LES CHAMPS LEXICAUX DES EMPRUNTS Les domaines qui ont fourni et fournissent le plus de lexique au russe à partir du français sont essentiellement les suivants, mais J. Breuillard / P. Keruhel (1979: 467) font remarquer que ces phénomènes de l’emprunt au français concernent l’ensemble du lexique: 65 - la gastronomie: нектар (nektar: nectar)1, суп (sup: soupe), соусы (sousy: sauces), десерт (desert: dessert), лимонад (limonad: limonade), бисквиты (biskvity: biscuits), баваруаз (bavaryaz: bavaroise), буше (buše: petit-four), безе (beze: meringue, macaron), майонез (majonez: mayonnaise) ou encore рагу (ragu: ragoût) ; sans oublier les vins, comme медок (medok: Médoc), лафит (lafit: Laffitte); et, plus récemment, круассан (kruassan: croissant). (1) В Румынии продают шоколадные круассаны «Обама» В румынском городе Алба-Юлия в одной из кондитерских появились в продаже круассаны с шоколадом, которым дали название «Обама». По мнению менеджеров предприятия, эти булочки, покрытые приправленным ромом шоколадом, станут хитом2. (Аргументы и факты, 11/02/2009) http://www.aif.ru/money/news/30922 V Rumynii prodaût šokoladnye kruassany «Obama» V rumynskom gorode Alba-üliâ v odnoj iz konditerskix poâvilis’ v prodaže kruassany s šokoladom, kotorym dali nazvanie « Obama ». Po mneniû menedžerov predpriâtiâ, èti buločki, pokrytye pripravlennym romom šokoladom, stanut xitom. (Argumenty i fakty) <En Roumanie on vend des croissants au chocolat «Obama» Dans la ville roumaine Alba Iulia dans une pâtisserie ont été mis en vente des croissants au chocolat auxquels on a donné le nom d’«Obama». Selon les responsables de l’entreprises, ces petits pains, recouverts de chocolat parfumé au rhum, seront vite un succès.> - les vêtements, la mode, les étoffes, les parfums: робы (roby: robes), неглиже (negliže: déshabillé), корсет (korset: corset). (2) Для верховой езды у меня прелестная амазонка из зеленого дра-де-дама и круглая мужская шляпа, бесподобнейшая! (Булгарин, Письма провинциялки из столицы). Dlâ verxovoj ezdy u menja prelestnaâ amazonka iz zelenogo dra-de-dama i kruglaâ mužskaâ šlâpa, bespodobnejšaâ! (Bulgarin, Pis’ma provincialki iz stolicy) <Pour monter à cheval j’ai une charmante amazone en « drap de dame » vert et un chapeau d’homme rond, des plus admirables!>3 (3) Опрыскиваться духами mauvais ton, провинциялизм! Только l'eau de Cologne, eau des Alpes и mille fleurs – позволенные вещи за дамским туалетом, но этим моются с водою, а не напрыскиваются, как у нас. (Булгарин, Письма провинциялки из столицы). Opryskivat’sâ duxami mauvais ton, provinciâlizm! Tol’ko l'eau de Cologne, eau des Alpes i mille fleurs – pozvolennye veŝi za damskim tualetom, no ètim moûtsâ s vodoû, a ne napryslivaûtsâ, kak u nas. (Bulgarin, Pis’ma provincialki iz stolicy) <S’asperger de parfum est de «mauvais ton», c’est du provincialisme! Seules l’eau de Cologne, eau des Alpes et mille fleurs sont permises pour la toilette des femmes, mais on les mélange à de l’eau pour se laver, on ne s’en asperge pas comme chez nous.> - l’architecture: монумент (monument: monument), барельеф (barel’ef: bas-relief), балюстрад (balûstrad: balustrade), террасса (terrassa: terrasse), 66 «перистили, портики, фронтоны, пиластры (perisitili, portiki, frontony, pilastry: péristyles, portiques, frontons, pilsatres)» (Karamzin), обелиск (obelisk: obélisque), павильйон (pavil’jon: pavillon), аркады (arkady: arcades); - la vie intellectuelle et artistique, notamment les termes liés au théâtre: театр (teatr: théâtre), партер (parter: parterre), ложи (loži: loges), виртуозы (virtuozy: virtuoses); эстампы (èstampy: estampes); комплимент (kompliment: compliment); каламбуры (kalambury: calembours); - les artefacts: диаманты (diamanty: diamants), бриллианты (brillianty: brillants); канапе (kanape: canapé), эшафот (èšafot: échafaud), биллиард (billiard: billard), фиакр (fiakr: fiacre), ревербер (reverber: réverbère), телевизор (televizor: téléviseur); - les lieux: булевар4 (bulevar: boulevard), ресторан (restoran: restaurant), отель (otel’: hôtel), мотель (motel’: motel), et aussi, par exemple, оберж (oberž: auberge) et генгет (genget: guingette), féminisé par Karamzin (d’où генгета, gengeta), mais emprunté tel quel par Bulgarin, et donc donnant un substantif masculin: (4) В наше время русские трактиры уже совершенно изменились, и хотя сохраняют еще свою оригинальность, русизм, но в существе своем благопристойнее даже парижских загородных трактиров, генгетов и городских гарготов… (Булгарин, Русская ресторация). V naše vremâ russkie traktiry uže soveršenno izmenilis’, i xotâ soxranâût eŝe svoû original’nost’, rusizm, no v suŝestve svoem blagopristojnee daže parižskix zagorodnyx traktirov, gengetov i gorodskix gargotov… (Bulgarin, Russkaâ restoraciâ) <De nos jours les cabarets russes ont complètement changé, et bien qu’ils conservent leur originalité, leur caractère russe, ils sont plus convenables que les cabarets des banlieues parisiennes, les guinguettes, ou que les gargotes de la ville.> - la société: il convient de préciser que ces emprunts ont été nombreux au XVIIIème siècle, qu’ils le sont moins de nos jours et que beaucoup de ces mots empruntés ne l’ont été que pour décrire la société française, ou plus largement, européenne, et nettement moins la société russe de l’époque qui possédait sa propre hiérarchie nobiliaire et ses propres termes. La plupart d’entre eux est conservée dans la langue russe actuelle aux mêmes fins: маркиз (markiz: marquis), маркиза (markiza: marquise), барон (baron: baron), баронесса (baronessa: baronne), принц (princ: prince), принцесса (princessa: princesse); дофин (dofin: dauphin), прелат (prelat: prélat); d’autres sont pérennes, comme министры и эксминистры (ministry i èks-ministry: ministres et ex-ministres), адвокаты (advokaty: avocats), экономисты (èkonomisty: économistes), энциклопедисты (ènciklopedisty: encyclopédistes), аристократы и демократы (aristokraty i demokraty: aristocrates et démocrates); орден тамплиеров (orden tamplierov: ordre des Templiers); савояры (savoâry: savoyards) n’est employé que par deux auteurs, Karamzin d’une part, et Annenkov d’autre part, tous les deux pour dénommer les musiciens des rues dans la France respectivement de la fin du 67 XVIIIème siècle et de la Révolution de 1848; et puis il y a aussi le петиметр (petitmetr: petit-maître) qui fleurissait au XVIIIème siècle. Jean Breuillard / Pierre Kerhuel ont établi une nomenclature idéologique des emprunts au début du XIXème siècle (1820), ils obtiennent un corpus de 1355 mots et déterminent les trois domaines les plus représentés: la vie artistique (avec la littérature 120 mots, le théâtre 50 mots, les Beaux-Arts 100 mots, la musique et la danse 70 mots) pour un total de 330 mots; la vie scientifique et technique (300 mots), la «frivolité» 215 mots (habillement, coiffure, objets de toilette (115 mots) et distractions et fêtes (100mots)). Certains termes empruntés au XVIIIème siècle ont pu sortir de l’usage quotidien, mais les champs lexicaux pourvoyeurs d’emprunts restent à peu près les mêmes, mis à part la vie scientifique et technique qui recule dans les emprunts au français, face aux TIC et au lexique des affaires, largement alimentés par l’anglais. Les champs lexicaux qui ont fourni au russe des emprunts à partir du français ont été largement étudiés (notamment, J. Breuillard / P. Kerhuel: 1979; Corrêa da Costa: 1995) et je vais davantage m’intéresser ici à leur insertion dans le système de la langue. 2. ADAPTATIONS PHONETIQUES ET ORTHOGRAPHIQUES L’adaptation phonétique se manifeste au travers de l’adaptation orthographique. Quand le russe emprunte à une langue européenne, quelle qu’elle soit, se pose le problème de la graphie. Dans les Lettres d’un voyageur russe, Karamzin utilise le mot tel quel ou le translittère ou encore le transcrit en lettres cyrilliques. On peut observer que Karamzin n’est pas toujours très attentif à l’orthographe; c’est tantôt le «Café de Valois, de caveau», tantôt «Café de Foi, du Cavot, du Valois, de Chartres»: (5) […] – и с томною, но приятных чувств исполненною душою отдыхать в Пале-Рояль, в «Café de Valois», de «Caveau» за чашкою баваруаза (Kaрамзин, Письма русского путешественника). […] i s tomnoû, no priâtnyx čuvstv ispolnennoû dušoû otdyxat’ v Pale-Roâl’, v «Café de Valois», de «Caveau» za čaškoû bavaruaza. (Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika) < […] – et l’âme langoureuse mais pleine de sentiments agréables, se reposer au Palais Royal, au «Café de Valois», de «Caveau», devant une tasse de bavaroise.> (6) Ныне более шестисот кофейных домов в Париже […], но знаменитых считается десять, из которых пять или шесть в Пале-Рояль: Café de Foi, du Cavot, du Valois, de Chartres. (Kaрамзин, Письма русского путешественника). Nyne bolee šestisot kofejnyx domov v Pariže […], no znamenityx sčitaetsâ desât’, iz kotoryx pât’ ili šest’ v Pale-Roâl’: Café de Foi, du Cavot, du Valois, de Chartres. (Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika) < Actuellement il y a plus de 600 cafés à Paris […], mais on peut considérer qu’il y en a dix de célèbres, parmi lesquels cinq ou six au Palais Royal: Café de Foi, du Cavot, du Valois, de Chartres.> 68 S’il transcrit le mot отель (otel’: hôtel), il l’écrit en français en note de bas de page par exemple: (7 ) Иметь хорошую комнату в лучшей отели […] [Note]: Hôtel есть наемный дом, где вы, кроме комнаты и услуги, ничего не имеете. Кофе и чай приносят вам из ближайшего кофейного дома, а обед – из трактира. (Kaрамзин, Письма русского путешественника). Imet’ xorošuû komnatu v lučšej oteli […] [Note]: Hôtel est’ naemnyj dom, gde vy, krome komanty i uslugi, ničego ne imeete.kofe i čaj prinosât vam iz bližajšego kofejnogo doma, a obed – iz traktira. (Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika) <Avoir une bonne chambre dans le meilleur hôtel […] [Note]: Hôtel est une maison louée où, outre la chambre et les services, vous n’avez rien de plus. Le café et le thé vous sont apportés du café le plus proche et le repas vient d’un cabaret. Le russe contemporain insère volontiers un mot en lettres latines dans son texte en cyrilliques sans autre forme de procès: (8) Кажется, ее высочеству было угодно сделать меня конфидентом своей affaire de cœur, а мне совершенно не хотелось принимать на себя эту двусмысленную роль. (Акунин, Коронация). Kažetsâ, ee vysočestvu bylo ugosno sdelat’ menâ konfidentom svoej affaire de cœur, a mne soveršenno ne xotelos’ prinimat’ na sebâ ètu dvusmyslennuû rol’. (Akunin, Koronaciâ) <Il me semble que son Excellence voulait faire de moi le confident de son affaire de cœur, mais moi, je n’avais pas du tout envie de prendre sur moi ce rôle ambigu.> Mais très rapidement, le russe translittère ou transcrit l’emprunt afin de mieux l’insérer dans la structure de la phrase: (9) На первый взгдяд все это выглядело как самый обычный светский суаре […] (Акунин, Коронация) Na pervyj vzglâd vse èto vyglâdelo kak samyj obyčnyj svetskij suare […] (Akunin, Koronaciâ) <A première vue tout cela ressemblait à une soirée mondaine des plus ordinaires.>5. Le russe actuel transcrit phonétiquement plus qu’il ne translittère. Il attache une importance particulière à la prononciation du mot dans la langue d’origine. Pour les sons communs aux deux langues, ou proches, il n’y a pas de difficultés majeures. Se pose en revanche le problème des sons vocaliques /u/ et /eu/. -u- est transcrit par -y- (-u-) ou -ю- (-û-): буфет (bufet: buffet); меню (menû: menu); -ieu- donne -ье- (-’e-): крок-месье (krok-mes’je: croque-monsieur) et plus anciennement -ьё- (-’ë-): Монтескьё (Montesk’ë) alterne, chez Karamzin, avec 69 Монтескье (Montesk’e: Montesquieu). La syllabe -eur est transcrite différemment suivant les époques: d’abord -ёр: актёр (aktër: acteur), ресторатёр (retoratër: restaurateur), ce dernier mot étant fixé comme ресторатор (restorator: restaurateur) dans le dictionnaire de 1865, à l’image de директор (direktor: directeur), телевизор (televizor: téléviseur)6, etc. Les sons nasaux /an/in/on/ sont dénasalisés: -on donne -он (-on): шампиньон (šampin’on: champignon); -an est translittéré par -ан: шампань ou шампанское (šampan’ ou šampanskoe: champagne), ресторан (restoran: restaurant), круассан (kruassan: croissant); -in est transcrit par -ен (-en) ou -эн (-èn), dont la prononciation est sentie plus proche au niveau de l’émission vocalique que ne le permettrait une translittération par -ин (-in): Тэнтэн (Tèntèn : Tintin). Un exemple récent d’adaptation graphique est celui du nom des magasins venus du nord de la France «Auchan» et largement installés en Russie. La transcription phonétique voudrait Ошан (Ošan), mais le choix s’est porté sur Ашан (Ašan). Phonétiquement, cela ne change rien. L’accent tonique final du français étant respecté, c’est la seconde syllabe qui est accentuée, et en russe le /o/ et le /a/ en position prétonique (et ici, en outre, à l’initiale absolue) sont neutralisés au profit de la prononciation [a]. La prononciation des graphies Ошан (Ošan) et Ашан (Ašan) est parfaitement identique. La marque a donc choisi le «A» afin de préserver sa signalétique qui reste ainsi la même qu’en France. Les consonnes finales non prononcées en français subissent un traitement différent selon l’époque à laquelle se fait l’emprunt. Le russe actuel ne transcrit plus cette consonne puisque le principe adopté de manière générale n’est plus celui de la translittération, mais dès Karamzin on observe de grands flottements : il écrit Нинона Лакло (Ninona Laklo: Ninon Laclos), mais Павел Люкас (Pavel Lûkas: Paul Lucas)7 et Дидрот (Didrot: Diderot) ou encore ресторант (restorant: restaurant). De nos jours se côtoient эмигрант (èmigrant: émigrant) et ресторан (restoran: restaurant), qui a perdu son -т (-t) et круассан (kruassan: croissant) qui ne l’a jamais eu. Ainsi la présence dans la transcription russe de la consonne finale muette en français donne-t-elle un indice de l’époque de l’emprunt au français. Aux XXème et XXIème siècles, il semble que l’on ait définitivement abandonné l’idée de la translittérer. En ce qui concerne les géminées, le russe ne peut en voir apparaître dans les mots russes que lors du contact entre préfixe et racine (par exemple, исследовать – issledovat’: examiner, observer, étudier) ou entre racine et suffixe (осенний – osennij: automnal) ou dans les emprunts, comme грамматика (grammatika: grammaire), à côté cependant de комиссия (komissiâ: commission) qui présente un -м- (-m-) et deux -с- (-s-). Dans les mots empruntés qui présentent une consonne redoublée en français, il semble que le russe maintienne assez régulièrement cette géminée: круассан (kruassan: croissant) tout comme il écrit пицца (picca: pizza) emprunté à l’italien. La présence d’une consonne géminée 70 ailleurs qu’entre deux morphèmes du mot est l’indice, pour le locuteur natif, d’un emprunt. Enfin, signalons que les consonnes du français sont, pour la plupart, ressenties comme molles par l’oreille russe et qu’elles sont marquées comme telles dans la transcription: Лилль (Lill’: Lille), пье-де-пуль (p’e-de-pul’: pied-de-poule), глясе (кофе глясе) (glâse; kofe glâse: glacé, café glacé), маникюр (manikûr: manucure), иль де ботэ (il’ de botè: île de beauté), etc. 3. ADAPTATIONS MORPHOSYNTAXIQUES Les mots empruntés sont avant tout des substantifs, mais ce phénomène concerne aussi des adjectifs et des verbes. 3.1. Les substantifs Le russe s’efforce d’adapter la forme de telle sorte que le substantif emprunté puisse devenir un véritable substantif russe et se fléchir selon les modèles des trois déclinaisons. Les masculins sont de manière souhaitable terminés par une consonne pour être fléchis et les féminins par le phonème /a/. Cela peut justifier le choix de Karamzin pour la graphie Дидрот (Didrot: Diderot) déjà évoquée plus haut (les graphies Дидро, Дидерот, Дидрот (Didro, Diderot, Didrot) étaient aussi en usage): (10) Госпожа Гло* есть ученая дама лет в тридцать, говорит по-английски, италиянски и (подобно госпоже Неккер, у которой собирались некогда д'Аланберты, Дидроты и Мармонтели) любит обходиться с авторами. (Kaрамзин, Письма русского путешественника). Gospoža Glo* est’ učenaâ dama let v tridcat’, govorit po-anglijski, italiânski i (podobno gospože nekker, u kotoroj sobiralis’ nekogda d’Alanberty, Didroty i marmonteli) ljubit obxodit’sâ s avtorami. (Karamzin, Pis’ma russkogo putešestvennika) <Madame Glo* est une dame savante d’environ trente ans, elle parle anglais, italien et (comme madame Necker chez qui se réunissaient jadis les d’Alembert, les Diderot et les Marmontel), elle aime fréquenter les auteurs.> Les féminins se voient volontiers ajouter un /a/ : шемизетка (šemizetka: chemisette), шевелюра (ševelûra: chevelure), террасса (terrassa: terrasse), генгета (gengeta: guinguette) (chez Karamzin). Certains emprunts hésitent sur le genre; ce dernier mot est formellement féminisé chez Karamzin, chez Bulgarin il est translittéré et le -т (-t) final le transforme en masculin: il est fléchi en tant que tel. On observe des phénomènes semblables chez Karamzin aussi qui ne féminise pas formellement балюстрад (balûstrad: balustrade) ou баваруаз (bavaruaz: bavaroise) qui deviennent alors masculins. Le russe contemporain possède des doublets comme зал ou зала (zal ou zala: salle), le masculin étant plus employé que le féminin. Le problème est plus 71 grand encore pour les noms terminés par une consonne molle, ces substantifs relevant de la 2e déclinaison s’ils sont masculins, de la 3e s’ils sont féminins. A côté de Лилль (Lill’: Lille) ou прунель (prunel’: prunelle – liqueur) qui sont masculins, on a роль (rol’: rôle) ou отель (otel’: hôtel) qui sont féminins. Le changement de genre lors de l’emprunt pose bon nombre de problèmes aux apprenants des deux langues: проблема (problema) est souvent traduit par les apprenants débutants russes par «la» problème et «le» problème est, dans la bouche des russisants francophones, *проблем (problem). En outre, certains noms avaient d’abord été empruntés avec leur genre d’origine et celui-ci a ensuite été modifié par l’usage: (11) Тут посыпались со всех сторон похвалы и сравнения. Эта метода взаимного восхваления продолжалась со всем пиитическим жаром. (Булгарин, Хладнокровное путешествие по гостиным). Tut posypalis’ so vsex storon poxvaly i sravneniâ. Èta metoda vzaimnogo vosxvaleniâ prodolžalas’ so vsem piitičeskim žarom. (Bulgarin, Xladnokrovnoe putešestvie po gostinym) < Alors se mirent à pleuvoir de tous côtés des louanges et des comparaisons. Cette méthode des éloges réciproques se poursuivit avec un enthousiasme passionné.> 3.2. Les adjectifs L’adaptation s’est faite selon un procédé ordinaire pour le russe : emprunt d’un adjectif français, translittération / transcription en cyrillique et ajout du suffixe <-n°-> et des désinences adjectivales. Cependant, il arrive que l’adjectif soit proche d’un substantif lui-même emprunté et adopté, et répertorié chez Dal’ par exemple ou dans un dictionnaire des mots étrangers, alors que l’adjectif, qui présente un sémantisme proche de celui du substantif, n’est pas porté dans le dictionnaire. C’est le cas des adjectifs proposés ici. On constate que ces adjectifs sont empruntés directement, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas dérivés des substantifs empruntés, comme интересный (interesnyj: intéresant) l’est de интерес (interes: intérêt), par exemple. C’est le cas, notamment, de корпулентный (korpulentnyj: corpulent), qui n'est attesté que depuis peu (Komlev 2006), alors que le substantif корпуленция (korpulenciâ: corpulence) est présent chez Ušakov ou chez Evgen'eva. Il se trouve que l'on observe le même phénomène en français avec l'adjectif corpulent, qui vient de corpulentus lui-même dérivé de corpus alors que corpulence vient de corpulentia (Rey 2006). (12) – Помилуй, душа моя, воспитание дано им самое странное, комическое, ридикюльное. (Булгарин, Хладнокровное путешествие по гостиным). - Pomiluj, duša moâ, vospitanie dano im samoe strannoe, komičeskoe, ridikûl’noe. (Bulgarin, Xladnokrovnoe putešestvie po gostinym) < - Mon amie, il leur est donnée une éducation les plus étranges, comique, ridicule.> 72 (13) «Сказывают, лет за двадцать назад служил писарем в квартале, а теперь он так себе, человек пантикулярный*». Note de bas de page: *Т.е. партикулярный, частный, неслужащий. (Булгарин, Русская ресторация). «Skazyvaût, let za dvadcat’ nazad služil pisarem v kvartale, a teper’ on tak sebe, čelovek pantikulârnyj*». Note de bas de page: T.e. partikulârnyj, častnyj, neslužaŝij. (Bulgarin, Russkaâ retoraciâ) < « Il paraît qu’il y a vingt ans environ il était clerc au commissariat de police du quartier, mais maintenant il est un panticulier.» Note de bas de page : C’est-à-dire, particulier, privé, pas fonctionnaire.> (14) – […] Мы с вами почти одного роста, и это самое г-главное. Вы существенно корпулентней, но это можно скрыть за счет просторной одежды. (Акунин, Коронация) - […] My s vami počti odnogo rosta, I èto samoe g-glavnoe. Vy suŝestvenno korpulentnej, no èto možno skryt’ za sčet prostornoj odeždy. (Akunin, Koronaciâ) < - […] Nous avons presque la même taille, et c’est l’es-ssentiel. Vous êtes nettement plus corpulent, mais on peut cacher cela par un vêtement ample.> Les auteurs jouent avec ces adjectifs en montrant, grâce à des procédés phonétiques ou morphosyntaxiques, leur degré d’assimilation dans la langue. C’est ainsi que Bulgarin transcrit le défaut d’assimilation de cet adjectif «savant» (13) en remplaçant dans la bouche de son locuteur le /r/ par un /n/. Le /n/, en effet, remplace aisément une autre consonne en cas de dissimilation phonétique dans le parler populaire. L'auteur estime nécessaire d'introduire une note explicative où il reprend l'adjectif sous sa forme correcte et où il l'explique par des synonymes russes. Akunin propose un adjectif emprunté sous la forme d'un comparatif auquel il a ajouté le préfixe по- (po-), ce qui réduit l’impression d’emprunt, dénote un haut degré d’adoption et manifeste la grande capacité de la langue russe à adopter et adapter des termes étrangers: (15) Московский почтамт показался мне нехорош, с петербургским и не сравнить – темноватый, тесный, безо всяких удобств для посетителей. Городу с миллионным населением, на мой взгляд, следовало бы обзавестись главной почтовой конторой попрезентабельней. (Акунин, Коронация) Moskovskij počtamt polazalsâ mne nexoroš, s peterburgskim i ne sravnit’ – temnovatyj, tesnyj, bezo vsâkix udobstv dlâ posetitelej. Gorodu s millionnym naseleniem, na moj vzglâd, sledovalo by obzavestis’ glavnoj počtovoj kontoroj poprezentabel’nej. (Akunin, Koronaciâ) < La poste centrale ne me plut pas, ce n’était pas comparable avec celle de SaintPéterbourg, elle était sombre, minuscule, dans aucune facilité pour les usages. Une ville d’un million d’habitants devrait, selon moi, avoir un bureau de poste central un peu plus présentable.> 3.3. Les verbes Les verbes empruntés au français sont souvent transformés en verbes russes grâce au suffixe <-ova->, très productif: контролировать (kontrolirovat’: 73 contrôler), монтировать (montirovat’: monter), организовать (organizovat’: organiser), etc. Voici deux exemples tirés de Bulgarin et un d’Akounine: (16) Надобно с каждым говорить смело, громко, смотреть прямо в глаза, а иногда даже самой агасировать, т.е. самой заводить разговор с мужчиной, особенно в танцах. (Булгарин, Письма провинциялки из столицы). Nadobno s každym govorit’ smelo, gromko, smotret’ prâmo v glaza, o inogda daže samoj agasirovat’, t.e., samoj zavodit’ razgovor s mužčinoj, osobenno v tancax. (Bugarin, Pis’ma provincialki iz stolicy) <Il faut parler avec chacun de manière audacieuse, d’une voix forte, regarder droit dans les yeux, et même parfois soi-même l’agacer, c’est-à-dire engager la conversation avec un homme, particulièrement pendant les danses.> (17) Наконец хозяин дома и другие мужчины, соседи и родня, не женируются более при любезном panu poruczniku, ибо доказали ему, что фамилия его древнего польского происхождения. (Булгарин, Корнет). Nakonec xozâin doma i drugie mužčiny, sosedi i rodnâ, ne ženiruûtsâ bolee pri lûbeznom panu poruczniku, ibo dokazali emu, čto familiâa ego drevnego pol’skogo proisxoždeniâ. (Bulgarin, Kornet) <Enfin, le maître de maison et les autres hommes, les voisins et la famille, ne se gênent plus en présence de l’aimable pan lieutenant, car ils lui avaient démontré que son nom de famille était d’origine polonaise ancienne.> (18) Разве что служитель, сидевший в окошке корреспондениции до востребования, со временем стал бросать в мою сторону внимательные взгляды. И то – ведь я маршировал мимо него с трех часов пополудни. (Акунин, Коронация) Razve čto služitel’, sidevšij v okoške korrespondencii do vostrebovaniâ, so vremenem stal brosat’ v moû storonu vnimatel’nye vzglâdy. I to – ved’ â marširoval mimo nego s trex časov popoludni. (Akunin, Koronaciâ) <Il n’y avait guère que l’employé du guichet de la correspondance en poste restante qui s’était mis à me jeter des regards curieux. Et encore, je marchais devant lui depuis trois heures de l’après-midi.> 3.4. Les lexies Le russe peut aussi emprunter des lexies; dans ce cas, on observe plusieurs cas de figure: - la lexie est écrite en un seul mot : шапоклак (šapoklak: chapeau claque), потофе (potofe: pot-au-feu), шезлонг (šezlong: chaise longe), кордебалет (kordebalet: corps de ballet); - la lexie est écrite à l’aide de traits d’union пье-де-пуль (p’e-de-pul’: piedde-poule) ou кор-де-ложи (kor-de-loži: corps de logis), дра-де-дам (dra-de-dam: drap de dame) chez Karamzin; - enfin, elle peut être écrite en deux mots: от кутюр (ot kutûr: haute couture). A propos de cette lexie il est à signaler son appréhension potentiellement ambiguë; en effet, ot peut être interprété comme la préposition ot russe qui indique l’origine et qui régit le génitif; or, kutûr peut, de son côté, être pris pour une forme 74 de génitif pluriel féminin ou neutre. Les Russes eux-mêmes peuvent se laisser berner quelques secondes par cette apparence «russe» du syntagme. La tendance contemporaine est de conserver la lexie en deux mots ou avec des traits d’union. 4. LA SEMANTIQUE Les phénomènes du glissement sémantique, de l’adaptation sémantique des mots empruntés sont bien connus et je ne donnerai que quelques exemples tirés du russe. Пижон (pižon) signifie en russe un homme coquet, un dandy, et non quelqu’un qu’il est facile de berner. Безе (beze), traduit historiquement par « meringue » est en réalité un macaron tel que nous les préparons actuellement, avec une crème entre les deux biscuits8. Зефир (zefir) a d’abord été un nom de marque russe pour des meringues et est devenu un nom commun. Неглиже est un «déshabillé» et le mot français «négligé» n’est plus guère employé dans ce sens. Тет-а-тет (tet-a-tet) permettait initialement de dénommer en russe une causeuse, mais il s’emploie également de nos jours pour signifier «tête à tête». 5. CONCLUSION Le russe est une langue qui a de grandes capacités pour adopter et adapter les emprunts, qu’il s’agisse du français, prédominant dans les emprunts aux XVIIème et XVIIIème siècles, à côté de l’allemand, ou de l’anglais, prédominant au XXème siècle. Le XXIème siècle semble emprunter beaucoup aussi au français, mais à l’italien également, et à l’anglais. Les emprunts actuels ne seront peut-être pas aussi pérennes que les plus anciens parce qu’ils concernent surtout des marques ou des phénomènes de mode même dans la langue source. Le russe fait siens les mots qu’il emprunte en les transcrivant en caractères cyrilliques, en leur donnant une forme qui permet de les fléchir et de les insérer ainsi dans le système de la langue. Par ailleurs, tout mot emprunté peut donner naissance à un paradigme lexical, grâce aux procédés de dérivation dont le russe est particulièrement riche. Le russe enrichit de la sorte son lexique et se trouve être ainsi en permanente évolution. NOTES 1 Je donne les mots russes et les exemples en caractères cyrilliques, puis en translittération selon la translittération en usage chez les slavistes, et enfin, la traduction en français. 2 On appréciera en outre les emprunts à l’anglais (menedžer et xit). 3 Je donnerai des exemples tirés de trois auteurs littéraires choisis pour les raisons suivantes : N. Karamzin a écrit les Lettres d’un voyageur russe (1791-1793) après son voyage effectué à travers l’Europe et notamment la France; il avait pour objectif de décrire les sociétés européennes à ses amis restés en Russie. Les citations que je prends de F. Bulgarin sont tirées d’un ouvrage où il entend décrire les mœurs de la société russe de 1825 à 1843; enfin, j’ai choisi aussi B. Akunin, un 75 auteur contemporain qui utilise les idiomes étrangers de manière intéressante dans la construction de ses romans. 4 C’est sous cette orthographe que le mot est emprunté par Karamzin ; l’orthographe actuelle est бульвар (bul’var). 5 Dans ces deux exemples, on appréciera l’accord des déterminants, au féminin avec « affaire de cœur » et, bizarrement, au masculin : le substantif français est féminin, et le mot transcrit ainsi a les apparences d’un neutre… 6 Lorsque la graphie passe de -ёр (-ër) à -ор (-or), on observe conjointement un recul de l’accent sur pénultième. 7 Karamzin rend formellement le prénom Ninon féminin en lui ajoutant un -a ; en revanche, il traduit le prénom Paul, alors qu’une transcription était tout à fait possible (oserais-je dire, souhaitable). 8 Je renvoie ici à la contribution de Madame Maria Iliescu. Le roumain et le russe ont de toute évidence emprunté le même mot français pour la même pâtisserie. BIBLIOGRAPHIE Babkin, A.M. / Šendecov, V.V. 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INTRODUCTION À la différence des langues spécialisées des sciences exactes et des technologies, le langage2 juridique se caractérise par une forte polysémie3 qui dépend de l’histoire de la discipline (cf. Cornu 2000) aussi bien que de sa nature profondément culturo-spécifique, à savoir du fait que l’évolution du langage juridique, et donc de sa terminologie, reflète l’histoire de la société et de la culture qui s’expriment à son travers. Il s’agit donc d’un langage qui évolue de manière lente mais sans interruption (cf. Lemmens 2011), dans lequel la polysémie et la spécificité culturelle compliquent la nouvelle conceptualisation de termes caractérisés par un fort degré de spécialisation, dont l’ambigüité sémantique éventuelle est le plus souvent levée par le co(n)texte d’emploi (cf. Lerat 1995, Cornu 2000). Toute évolution et innovation en matière juridique entraînent donc l’évolution et l’innovation d’une terminologie très marquée du point de vue socioculturel. L’une des sources majeures d’enrichissement du lexique juridique est le contact entre systèmes juridiques (Möslein 2009) et, par voie de conséquence, entre les langues à travers lesquelles ils s’expriment. Ce contact entraîne souvent l’inclusion dans un système juridique déterminé d’emprunts linguistiques ayant parfois un statut de «greffe juridique» (legal transplant, Watson 1974; Ewald 1995). Ces greffes juridiques consistent en des termes adoptés par un système/langue juridique qui n’est pas celui qui les a forgés pour désigner une certaine norme ou institution (ex. ang. class action > fr. class action) ou bien en des termes appartenant à un système/langue supranational (ex. acquis communautaire, dans le droit de l’Union européenne). Toutefois, la présence d’un lot très riche et ancien de termes venant de la langue française dans le lexique juridique anglais ne peut pas être expliquée en se limitant aux cas mentionnés, étant somme toute assez récents. En effet, si d’un côté l’anglais a désormais assumé au niveau international le rôle de lingua franca et langue globale, en compétition avec le français pour ce qui est des textes rédigés par les institutions centrales de l’Union européenne, de l’autre côté, il est indubitable qu’il a connu dans le passé une forte 78 influence de la part du français, encore attestée dans certains domaines disciplinaires, et tout particulièrement dans le langage juridique. Par conséquent, le but de cette contribution est de discuter le rôle des gallicismes dans l’anglais juridique, y compris le dialecte hybride (Baker 1998) qu’on appelle law French (ce dernier étant limité à une période historique ancienne et bien déterminée, allant des premières attestations qui remontent à la moitié du XIIIème siècle jusqu’à l’abandon graduel du français de la part des Cours de Justice à partir de la moitié du XIVe siècle, cf. Mellinkoff 1963; Baker 1998). Notre intérêt porte surtout sur le système juridique du Royaume Uni et touche non seulement le fonds lexical du law French mais aussi la situation contemporaine. Alors que beaocoup d’ouvrages de référence dans le domaine (Mellinkoff 1963; Baker 1990, 1998; Tiersma 1999) ont mis en exergue le fait que le law French constitue une partie essentielle et incontournable de l’anglais juridique et de la Common Law, nous nous proposons de nous pencher également vers l’inclusion, la représentation et la conceptualisation des gallicismes dans les dictionnaires juridiques anglais (principalement dans l’Oxford Dictionary of Law (ODL), et en moindre mesure dans The Longman Dictionary of Law (LDL)). A cette fin, nous fournirons en premier lieu une explication introductive concernant le passage des gallicismes du français à l’anglais, avec une attention particulière aux égards de la présence de termes forgés suite à la rencontre entre le dialecte anglo-normand avec un ancien anglais non standardisé, lesquels ont ensuite contribué à la formation d’un jargon professionnel particulier (§ 2). En deuxième lieu, sur la base d’une série d’exemples représentatifs choisis à partir d’une liste (non exhaustive) d’entrées sélectionnées grâce à des renseignements étymologiques, il sera possible de fournir une typologie des emprunts au français, fondées sur le degré d’adaptation aux caractéristiques morphologiques de l’anglais, aussi bien que de discuter si et dans quelle mesure il est approprié de parler d’emprunt, dans le sens de Deroy (1956: 2) qui le considère comme un élément étranger introduit dans une langue déterminée «en usage à un moment donné dans une société donnée […] et défini par opposition à l’ensemble des éléments antérieurs» (§ 3). En dernier lieu, pour un nombre limité d’études de cas, nous nous pencherons sur l’examen des dynamiques qui guident le changement du système linguistique et juridique anglais, en nous concentrant notamment sur le law French et sur les gallicismes dans le système juridique contemporain, pour conclure avec l’analyse des différents parcours de conceptualisation et différenciation suivis par des termes ayant une origine identique dans les systèmes juridiques britannique et français (§ 4). 2. DYNAMIQUES JURIDIQUE TERMINOLOGIQUES DANS L’ANGLAIS Il est certain que les emprunts au français – ou mieux, à l’ancien français, au moyen français et au dialecte anglo-normand – et au latin (classique et médiéval) à travers le français, qui ont pénétré l’ancien et moyen anglais, pour 79 former le jargon juridique appelé law French, constituent un lot fondamental et quantitativement significatif du langage juridique anglais contemporain (Mellinkoff 1963; Baker 1998; Tiersma 1999). Cela demeure valable non seulement pour les termes spécialisés employés dans le domaine professionnel4, mais aussi pour les termes génériques qui viennent de la langue courante ou qui y pénètrent (ex. tort, trespass, nuisance, deceit, debt ou les plus récents negligence et reasonableness) et dont la conceptualisation et la spécialisation ont demandé des décennies, voire des siècles (Baker 1998). Le plus souvent, le sens attribué à ces emprunts et le sens des termes d’origine ne coïncident pas: «[…] la plupart des termes légaux anglais sont d’origine française, mais leur sens légal est purement anglais puisqu’il résulte de la conversion de mots ordinaires en termes techniques utilisés par des avocats bilingues se servant du français uniquement à des fins professionnelles». (Baker 1998: 5) Par exemple le law French et le français ancien et moderne tort décrivent un tort ou une injustice, alors que dans l’anglais juridique contemporain tort est un technicisme qui identifie un type particulier d’injustice (Mellinkoff 1963: 107). Enfin, au fil du temps, à côté des emprunts, d’autres néonymes ont été forgés pour enrichir ce jargon vulgaire particulier, employé plus souvent à l’écrit qu’à l’oral (Baker 1998) dans le domaine juridique anglais. Il est désormais clair que le law French a connu une croissance constante à partir du début du XIIIème siècle. Ce qui paraît être justifié de manière différente par plusieurs facteurs: (i) la reconnaissance, au niveau international, du rôle du français comme langue savante et de la diplomatie de l’époque (Baker 1998); (ii) le bilinguisme anglo-normand assez répandu parmi les familles nobles à la fin du XIIème siècle (qui est le fruit des mariages entre nobles autochtones et les descendants des normands), auquel s’ajoute l’emploi du latin pour les classes cultivées (Mellinkoff 1963); (iii) le fait que le français était plus proche du latin, ancienne langue internationale pour tout acte juridique, que l’anglais. En effet, jusqu’à l’an 1731 et avec une interruption dans les années 50 du XVIIème siècle, le latin demeurait la langue des ordonnances et des décisions de justice dans leur forme écrite, alors qu’on ne pouvait faire recours à l’anglais que dans la res gestae (procès verbaux, témoignages, citations, etc.) (Baker 1998); (iv) l’absence d’un anglais suffisamment standardisé ou considéré comme langue nationale, à utiliser donc dans les situations officielles, face aux nombreux dialectes dont l’intercompréhension n’était pas assurée (Mellinkoff 1963; Baker 1998). Depuis 1270, des mots français entrent dans la Common Law pour en devenir des termes fondamentaux, comme, entre autres, action, contract et verdict. Dans la période du moyen anglais plus de 10.000 emprunts au français entrent en anglais, dont 7.500 sont encore employés (Baugh 1935: 220 apud Mellinkoff 1963: 97)5. Cependant, dans le domaine juridique, il est possible d’en relever au fil du 80 temps des restrictions d’emploi, au moins à l’oral, qui vont de pair avec le déclin du law French. Cela est témoigné, par exemple, par l’introduction de l’emploi obligatoire de l’anglais dans les tribunaux londoniens (1356) et par le Statute of Pleading (1361), écrit en français, qui dénonce l’emploi persistant du français auprès des Cours de Justice, alors qu’il devient la langue officielle des statuts en Angleterre. Le law French continue donc son parcours à l’intérieur de l’anglais juridique, où l’on en trouve des traces de type différent, qui ne concernent pas seulement les termes spécialisés (technical law French, Mellinkoff 1963), mais aussi des unités lexicales non spécialisées, comme par exemple fr. cy près > ang. cy pres. Il s’agit de termes que Mellinkoff définit comme dégénérés (degenerate Law French), à savoir des emprunts intégrés à l’anglais, du point de vue morphologique – nous observons par exemple la conversion d’un verbe en substantif, comme dans le cas de cesser – ou bien, le plus souvent, du point de vue formel (phonétique et orthographique), comme par exemple fr. fee taile > ang. fee tail ou fr. heires > ang. heirs. Aujourd’hui, le résultat de cette adaptation est la présence abondante d’éléments marqués par l’Oxford English Dictionary (OED)6 comme anglonormand, ancien français ou moyen français, ou bien comme éléments latins pénétrés en anglais à travers le français. Autrement dit, le français, ou mieux l’ancien français, le moyen français et, surtout, l’hybride anglo-normand adopté comme anglais juridique – et par conséquent employé par une communauté de pratique (Wenger 1988, «community of practice») et discursive (Swales 1990) déterminée – accompagnent au fil des siècles le développement d’un système juridique et d’une tradition, la Common Law, distincte du droit romain, et ce law French en est la langue véhiculaire jusqu’au XVIIème siècle (Baker 1998). Après un arrêt long de quelques siècles, c’est à l’époque contemporaine que nous assistons de nouveau à un passage de termes, bien que très faible, de la langue juridique française dans l’anglais juridique, suite à la codification du droit de l’Union européenne. Dans le cas du law French et de la Common Law, il est donc possible d’observer des dynamiques terminologiques qui mènent à la formation d’une terminologie diatechnique spécifique, marquée du point de vue culturel, à partir d’emprunts venant d’une variante hybride du français et de l’anglais. Cela se traduit dans le fait que nous ne sommes pas en présence d’emprunts sémantiques ou de greffes juridiques proprement dits, mais d’emprunts qui subissent une nouvelle conceptualisation et une spécialisation du sens à l’intérieur d’un jargon en évolution. En revanche, dans le cas récent des emprunts au droit de l’Union européenne, il est possible de relever des termes adoptés par un système linguistique et juridique national, suite à la nécessité de se conformer aux lois et directives qui règlent l’institution supranationale. En d’autres termes, des périodes historiques différentes ont connu l’inclusion dans la langue-culture juridique du Royaume Uni de gallicismes, à savoir d’emprunts au français (langue nationale, dialecte ou variante hybride anglofrançaise), répondant à des exigences différentes: d’une part, la formation d’un 81 langage juridique national, et de l’autre, l’interaction avec un langage juridique supranational. 3. LES GALLICISMES JURIDIQUES: ASPECTS FORMELS7 Après avoir présenté les dynamiques historiques relatives à la formation d’une terminologie juridique «anglo-française», nous allons avancer une classification des emprunts au français repérés dans les vocabulaires pris en considération. Avant tout, il convient de préciser qu’à côté de l’emprunt lexical, qui constitue la catégorie la plus riche et variée, il existe également les emprunts morphologiques, concernant des morphèmes liés et les constructions dans lesquelles ils trouvent occurrence (ex. -ee dans l’anglais juridique)8¸ et les emprunts syntaxiques et phraséologiques. Ces dernières ne sont pas des catégories nettement définies, parfois elles se superposent, comme dans le cas de attorney general, emprunt phraséologique et en même temps syntaxique, avec l’adjectif modificateur placé à la droite du substantif, sur le modèle de la langue française. Du point de vue formel, suite au contact et à l’interférence entre langue modèle et langue d’arrivée, les emprunts au dialecte anglo-normand d’abord et au français (à ses différents stades) ensuite sont «imités» par l’anglais juridique et plus ou moins assimilés au niveau graphique, sémantique, phonologique ou flexionnel, de manière à résulter entièrement intégrés, en voie d’intégration ou non intégrés. Deroy (1956: 215-234) distingue notamment entre l’emprunt «total» ou «partiel», selon le degré de pénétration dans la langue d’accueil. Dans le premier type il range, d’une part, les emprunts proprement dits, désormais naturalisés et adaptés au système jusqu’à évoluer comme les mots autochtones, d’autre part, les pérégrinismes9 et les xénismes, ressentis comme étrangers, puisqu’ils gardent leur forme d’origine. Dans le deuxième groupe il identifie le calque – la production d’un mot nouveau sur un modèle étranger – et l’emprunt de sens, qui demeure le moins perceptible. Par conséquent, à côté de la distinction entre type d’emprunt lexical, morphologique, syntaxique, phraséologique, il est possible d’adopter le critère formel afin d’identifier le degré d’intégration d’un emprunt déterminé. Le renvoi à la taxinomie proposée par Deroy (1956), nous permet de fournir à titre d’exemple une classification des emprunts à l’anglo-normand, à l’ancien et moyen français, et au français contemporain sur la base des caractéristiques morphologiques, orthographiques et syntaxiques observées. Pour chaque catégorie présentée, nous allons offrir des exemples d’emprunts tirés d’une liste préliminaire de plus de 400 occurrences enregistrées par le ODL et le LDL10. 3.1. Les emprunts intégrés A l’intérieur de cette catégorie, il est possible de distinguer entre: 1) emprunts lexicaux intégrés proprement dits; 2) emprunts morphologiques; 3) le cas particulier des emprunts aller-retour (cf. Deroy 1956). 82 3.1.1. Les emprunts lexicaux intégrés Les emprunts lexicaux intégrés montrent une forme graphique et/ou phonique adaptée au système de la langue anglaise et représentent la plupart des emprunts identifiés, venant de l’ancien français, de l’anglo-normand ou du latin à travers le français. Il s’agit de technicismes ou bien de mots de la langue commune entrés dans l’anglais juridique: abandonment, abatement, access, accession, action, accord, accruer, adjournment, adjustment, affray, affreightment, agreement, alien, appeal, assault, bail, bailiff, capital, cesser, contract, conveyance, court, counsel, debt, debenture, defence, demurrer, device, equitable, equity, espionage, espousal, estoppel, estovers, estreat, evidence, excuse, failure, felony, feme sole, feme covert, grant, guarantee, guardian, hereditament, indictment, issue, joinder, judge, judgement, lease, licence, lien, malice, marriage, note, negligence (Baker 1998: du français moderne), nuisance, obligation, Parliament, parol (ex. dans parol lease), party, patent, plaintiff, plea, pleadings, police, process, property, purchase, reasonableness (Baker 1998: du français moderne), request, robbery, seisin, sentence, service, sue, suit, summon, tort, trespass. Puisqu’il n’est pas possible de s’arrêter sur tous les éléments retenus pour des raisons d’espace, nous allons fournir quelques observations préliminaires pour un nombre limité d’articles significatifs, en nous servant des informations étymologiques offertes par l’OED11: (1) conseil, n.: […] Middle English con-, counseil, -ail, -ayl, < Old French conseil, cunseil, in Anglo-Norman French counseil […] < Latin consilium. (2) debt, n.: […] Middle English det, dette, < Old French dete, dette < popular Latin *debita for Latin dēbitum. (3) equitable, adj.: […] < French équitable, < équité equity n. (4) estoppel, n.: […] apparently < Old French estoupail, estouppail bung or cork, < estouper. (5) estovers, n.: […] < Old French estover, estovoir, subst. use of estovoir to be necessary. (6) lease, n.: […] Anglo-Norman les = Old French lais, leis, lez, etc., a letting, leaving (modern French, with pseudo-etymological spelling legs, ‘legacy’), vbl. noun < laisser to let, leave.). (7) cesser, n.: […] < French cesser to cease; the infinitive being used subst. as in trover, misnomer. (8) demurrer, n.: […] < Anglo-Norman demurrer = Old French demourer, present infinitive (see demur v.) used as n.: compare refresher, user. Les exemples (1)-(8) illustrent clairement le fait que, au fil du processus d’intégration et acclimatation à l’anglais, certaines unités lexicales ont présenté au début deux variantes (xénisme et emprunt intégré), qui généralement se distinguaient du point de vue graphique à travers la chute de la voyelle non accentuée, ex. debt (2). S’il est vrai que dans la séquence phonétique st- au début de mot on a fait précéder une voyelle, ex. espousal vs. ancien français spouse 83 (Tiersma 1999: 30), il est possible d’observer la présence de cas où la voyelle est déjà présente dans l’unité lexicale de départ, ex. estoppel (4) et lease (5). Ensuite, parmi les stratégies d’intégration de l’emprunt, nous comptons la conversion Verbe > Nom, ex. cesser (7) et demurrer (8), procédé de dérivation typique de l’anglais, qui permet de former des gérondifs substantivables en -er (Tiersma 1999: 30) à partir d’un verbe anglo-français. Enfin, signalons la présence d’emprunts au français étant conformes au latin (advocate) ou remodelés sur le latin (advowdson) (OED). 3.1.2. Les emprunts morphologiques Les emprunts morphologiques sont des exemples de dérivation à partir d’emprunts intégrés formés avec l’ajout d’affixes désormais anglais. Certains éléments sont caractéristiques de l’anglais juridique, comme le suffixe -ee (ex. employee, lessee, vendee), signalé comme tel par une marque diatechnique dans l’OED («-ee, suffix1: […] Law»), et son complémentaire non systématique -or (ex. creditor, debtor, factor, lessor, tortfeasor, vendor). Il convient de remarquer que, comme l’atteste l’OED, alors que -or ne résulte plus être productif en anglais, -ee l’est encore, mais il ne concourt qu’à la formation de mots non juridiques. Le suffixe -age, dont l’origine remonte à l’ancien français et qui n’est pas employé exclusivement dans le domaine juridique, forme des noms abstraits à partir de noms et de verbes (ex. damage, espionage, marriage, peerage), et il est désormais un élément intégré à la morphologie de l’anglais (OED). D’autres suffixes qui identifient immédiatement l’emprunt juridique comme dérivé du français sont -al et -el (Tiersma 1999: 30), qui forment des noms déverbaux (ex. acquittal, denial, proposal, rebuttal, estoppel). Il convient cependant de remarquer que l’anglais -el, du latin -ālem à travers l’ancien français, a été ensuite remodelé en -al à l’instar des adjectifs latins en -ālis (OED). Pour la formation de noms déverbaux, il est possible d’observer également la présence d’autres suffixes latins pénétrés dans l’anglais juridique à travers le français, en combinaison avec des bases françaises, comme -ance/-ence (ex. acceptance, nuisance, conveyance, defeasance, negligence) et -ment (ex. advancement, easement, hereditament, indictment) (OED)12. Quant à la formation d’adjectifs, le suffixe -able, de l’anglo-normand et du latin -ābilis, est encore très productif et son application ne se réduit pas au domaine juridique (ex. compellable, equitable, voidable) (OED). 3.1.3. Les emprunts aller-retour Les emprunts aller-retour représentent un troisième type d’emprunt intégré. Il s’agit de mots de l’ancien français qui, passés en anglais, ont été rempruntés par le français moderne (Deroy 1956: 18). Nous avons identifié ces emprunts grâce aux informations étymologiques offertes par l’OED pour l’entrée correspondante et par le Vocabulaire juridique (VJ), dictionnaire spécialisé comparable à ODL et LDL en termes de fonctions et usagers visés (sur la base de Bergenholtz et Tarp 1995). Quelques exemples en sont: fr. allégeance, budget, disqualification, estoppel, jury, verdict et warrant. 84 3.2. Xénismes, emprunts hybrides et gallicismes syntaxiques Parmi les emprunts non intégrés ou partiellement intégrés il est possible d’énumérer: 1) les xénismes; 2) les emprunts hybrides; 3) les gallicismes syntaxiques. 3.2.1. Les xénismes Les xénismes sont des emprunts qui gardent la forme d’origine et/ou qui essayent de reproduire la prononciation étrangère, malgré l’interférence phonétique. Nous comptons parmi les xénismes: (i) des maximes, adages et formules de la culture juridique, bien que rares: ex. sois fait comme il est désiré, semble; (ii) des substantifs qui désignent des procédures, des notions, des acteurs ou des rôles de la culture juridique anglaise: agrément, agent provocateur, autre vie, cestui que trust, cestui que vie, cy près, cy-près schèmes, retour sans protêt, voire dire (vs. voir dire où voir est partiellement intégré du point de vue orthographique); (iii) Dans cette catégorie il est également possible d’inclure force majeure, effet utile, et les plus récents CE et acquis communautaire. 3.2.2. Les emprunts hybrides Les emprunts hybrides sont des associations entre unités (lexicales ou phraséologiques) autochtones et xénismes, parfois dans des expressions figées: par exemple, autrefois convict (vs. autrefois acquit, qui demeure un xénisme), chose in action, tenant pour autre vie, trustee de son tort. L’emprunt hybride peut également être formé – au moins pour l’anglais juridique – d’un emprunt intégré et d’un xénisme: par exemple, cy-près doctrine, malice afterthought, executor de son tort. 3.2.3. Les gallicismes syntaxiques Enfin, les gallicismes syntaxiques reproduisent l’ordre des mots typique de la langue française pour ce qui est du syntagme nominal et parfois gardent au moins l’un des deux éléments étrangers: attorney general, agent provocateur, condition precedent/consequent, court martial, decree absolute, effet utile, fee simple, fee tail, feme sole, feme covert, heir apparent, malice afterthought, tail special/general/male. 4. LES GALLICISMES JURIDIQUES: ASPECTS SÉMANTIQUES ET CONCEPTUELS Le but de cette contribution étant de discuter le rôle des gallicismes dans l’anglais juridique (et donc dans le système juridique de la Common Law au Royaume Uni), nous pouvons passer à l’analyse du lien existant entre ce dernier et le français, rendu évident par le passage terminologique dont nous avons brossé une typologie fondée sur le degré d’acclimatation et intégration relevé. Prenons en considération certains facteurs: la spécialisation terminologique qui suit le plus souvent la première attestation des emprunts dans la langue-culture d’arrivée; l’appartenance à deux traditions et systèmes qui évoluent et changent au 85 fil du temps; la contribution donnée par les emprunts à l’ancien et moyen français et à l’anglo-normand à la formation de la Common Law en tant que tradition corrélée mais séparée du droit romain et civil; et, enfin, la nécessité de conformer les codes de loi nationaux à la législation supranationale (dans le cas des emprunts récents au droit européen). Il en découle qu’il est légitime de croire que, dans les systèmes juridiques actuels, les unités lexicales passées d’une langue-culture à l’autre ont subi des processus qui en ont changé la conceptualisation à travers les systèmes juridiques et leur histoire, qui ont mené à une différenciation de leur sens aussi bien que de leur interprétation. A ce propos, nous allons prendre en examen l’évolution de la conceptualisation actuelle de: 1) certains gallicismes entrés dans le law French et encore employés dans la langue juridique de France et du Royaume Uni, tels que abatement, amendment, agreement et agrément; 2) un cas d’emprunt aller-retour, tel estoppel; 3) deux emprunts au droit de l’Union européenne, tels acquis communautaire et CE. Aux fins de l’analyse, nous allons mettre en comparaison, lorsque présentes, les microstructures du VJ pour le français, et de l’ODL pour l’anglais, auquel peut s’ajouter, le cas échéant, le LDL. Il s’agit de trois dictionnaires spécialisés équivalents du point de vue fonctionnel (cf. Cacchiani / Preite 2010), dont les articles sont employés comme source de savoir de type propositionnel, procédural et épisodique. En effet, ils mettent à la disposition de l’usager des informations sectorielles qui constituent une base pour la construction de modèles cognitifs idéalisés (Idealized Cognitive Model, Lakoff 1987), à savoir des concepts, à travers la description de liens cohérents entre des «frames» spécifiques non situationnels et des «scenes» situationnelles (par exemple, le script concernant l’application ou la violation de l’application du CE). La référence au Manual of Law French (MLF) (Baker 1990) et à l’OED nous permettra d’intégrer également des renseignements de type étymologique. 4.1. Abatement, amendment, agreement et agrément Dans ce paragraphe nous allons analyser rapidement la (dis)similarité dans la conceptualisation actuelle de termes qui étaient déjà présents dans le law French. L’appartenance des termes juridiques, profondément culturo-spécifiques, à des traditions et systèmes juridiques différents entraîne nécessairement une différenciation pour ce qui est des «frames» et des «scenes» en jeu et, par conséquent, exige une compétence propositionnelle, procédurale et épisodique différente, présentée par les dictionnaires examinés selon des degrés variables d’approfondissement. En particulier, nous nous attendons à ce que la comparaison des articles lexicographiques nous permette de mettre en exergue non seulement les divergences mais aussi les points de contact dans la conceptualisation des emprunts retenus. 86 4.1.1. Abatement L’emprunt abatement est attesté déjà dans le MLF à l’entrée abater, abatir (9a). A côté du sens original (to fell a tree), le MLF présente plusieurs emplois spécialisés de abater, abatir, dans des collocations telles que to abate a nuisance et to abate a writ (9a, MLF, abater, abatir: 2, 3), abatement de bref (abatement of a writ) et abatement en terre (wrongful intrusion in land) (9a, MLF, abater, abatir: 3, 4): (9a) abater, abatir, […] 1, to cast down, to knock down, to fell (a tree) […]. 2, to abate (e.g. a nuisance) […]. 3, to abate (i.e. quash or declare void) a writ. [L. abatere]. 4, to abate (i.e. to be quashed [L. cassari]. abatement de bref, abatement (i.e. quashing) of a writ [L. cassatio brevis]. abatement en terre, abatement (i.e. wrongful intrusion) in land [L. intrusion]. se abater, 1, to intrude […]. 2, to bate […]. (MLF) Le terme est présent dans l’anglais juridique actuel, comme le montre l’ODL abatement (9b), aussi bien que dans le français juridique contemporain, à l’entrée abattement du VJ (9c). (9b) abatement n. 1. (of debts) The proportionate reduction in the payments that take place if a person’s assets are insufficient to settle with his creditors in full. 2. (of legacies) The reduction or cancellation of legacies when a solvent estate is insufficient to cover all the legacies provided for in the will or on intestacy after payment of the deceased’s debt. The Administration of Estates Act 1925 (sch 1 pt II) provides that general legacies, unless given to satisfy a debt, abate in proportion to the amounts of those legacies; specific and demonstrative legacies then abate if the estate is still insufficient to pay all debts, and a demonstrative legacy also abates if the specified fund is insufficient to cover it. For example, A’s estate may comprise a painting, £3000 in his savings account, and £7000 in other money; there are debts of £1000 but his will leaves the painting to B, £5000 from the savings account to C, £8000 to D, and £2000 to E. B will receive the painting, C’s demonstrative legacy abates to £3000, and after the debts are paid from the remaining £7000, D’s and E’s general legacies abate proportionately, to £4800 and £1200 respectively. When annuities are given by the will, the general rule is that they are valued at the date of the testator’s death, then abate proportionately in accordance with that valuation, and each annuitant receives the abated sum. All these rules are subject to any contrary intention being expressed in the will. 3. (in land law) Any reduction or cancellation of money payable. For example a lease may provide for an abatement of rent in certain circumstances, e.g. if the building is destroyed by fire, and a purchaser of land may claim an abatement of the price if the seller can prove his ownership of only part of the land he contracted to sell. 4. (of nuisances) The termination, removal, or destruction of a *nuisance. A person injured by a nuisance has a right to abate it. In doing so, he must not do more damage than is necessary and, if removal of the nuisance requires entry on to the property from which it emanates, he may have to give notice to the wrongdoer. A local authority can issue an abatement notice to control statutory nuisances. 5. (of proceedings) The termination of civil proceedings by operation of law, caused by a change of interest or status (e.g. bankruptcy or death) of one of the parties after the start but before the completion of the proceedings. An abatement did not prevent 87 either of the parties from bringing fresh proceedings in respect of the same cause of action. Pleas in abatement have been abolished; in modern practice any change of interest or status of the parties does not affect the validity of the proceedings, provided that the cause of action survives. (ODL) (9c) abattement Dér. du v. abattre. V. abattage. 1 *Réduction effectuée sur la matière imposable avant application de l’impôt. Ex. abattement à la base, abattement pour charges de famille, abattement sur la part des héritiers. Comp. Exonération, dégrèvement, déduction, décharge. 2 Diminution du salaire légal ou d’une prestation sociale, fondée sur les différences du coût de la vie (abattement de zone) ou des différences d’aptitude supposée (abattement d’âge). V. discrimination. (VJ) Nous jugeons le traitement unitaire du sens13 comme l’indication de la nature polysémique du terme et de sa spécialisation selon les branches du droit. La pratique lexicographique différente, d’une part, et les choix concernant la quantité et l’approfondissement des informations fournies pour l’entrée, de l’autre part, permettent à l’usager de reconstruire les «frames» et les «scenes» avec un degré d’information encyclopédique et un détail de spécialisation différents, mais également corrects. En particulier, il est clair que le sens 1 du français abattement (9c, VJ), concernant le droit fiscal, est comparable, au moins en partie, pour ce qui est du domaine d’application, des acteurs et des rôles, avec la réduction ou l’annulation d’un payement de sommes d’argent en référence à dettes, legs et droit foncier, évoquées dans l’ODL pour les sens 1, 2, 3 de abatement (9b, ODL). Toutefois, il n’est pas possible de parler de sens proches et comparables pour ce qui est du sens 2 de abattement (9c, VJ), appartenant au droit fiscal, et les sens 3, 4 et 5 de abatement (9b, ODL). En effet, le sens 3 concerne le droit foncier (à l’instar de l’exemple 9a du MLF, abater, abatir: 4 abater en terre), le sens 4, abatement of a nuisance, fait référence à un délit ou crime et à la possibilité de le réparer à travers une action civile ou pénale, et le sens 5 concerne lui aussi le droit processuel civil. 4.1.2. Amendment Passons à la comparaison de l’anglais amendment (10b, ODL) – du law French amendement (10a, MLF) – avec le français amendement (10c, VJ), qui est un exemple de démultiplication et spécialisation de sens, avec perte de significations originaires. (10a) amendement, 1, improvement, reform. 2, amends, compensation. 3, correction (i.e. punishment) [L. emendatio.] (MLF) (10b) amendment n. 1. Changes made to the legislation, for the purpose of adding to, correcting, or modifying the operation of the legislation. 2. Changes made to the *statement of case used in civil litigation. The relevant rules are Part 17 of the *Civil Procedure Rules. When a statement of case has been served, a party may only amend it with the written consent of all the other parties or with the 88 permission of the court. See also DEPARTURE. 3. An alteration of a *treaty adopted by the consent of the*high contracting parties and intended to be binding upon all such parties. An amendment may involve either individual provisions or a complete review of the treaty. (ODL) (10c) amendement N. m. – Dér. du lat. emendare: amender 1 Proposition présentée au cours de la *discussion en vue de modifier la teneur initiale d’un texte soumis à une assemblée delibérante. Ex «les membres du parlement et le gouvernment ont le droit d’amendement» (Const. 1958, a. 44). V. adoption, rejet, voie, ajournement. Comp. initiative, projet, proposition. 2 Par ext., la modification apportée. 3 Aux Etats-Unis, modification apportée par la suite à la Constitution de 1787. 4 Dans la Charte de l’ONU, modification apportée par la suite à la Charte (a. 108) : plus généralement modification apportée à un traité international ou à un acte unilatéral d’une organisation internationale. […] 5 Amélioration escomptée en la personne du condamné qui endure sa *peine, du fait de celle-ci, objectif de *politique criminelle, fondé sur la vertu corrective prêtée au châtiment. V. punition, répression. Comp. prevention, mesure de sûreté. (VJ) En général, en ce qui concerne les termes actuels, il est possible d’observer des conceptualisations parallèles selon le pouvoir législatif des organes et des institutions nationales, internationales et supranationales. Dans le cadre du droit processuel civil, l’anglais amendment (10b, ODL) développe une réflexion sur la non-modificabilité de la déclaration formelle de faits inhérents à une affaire (et à garantie de celle-ci) dans un contentieux civil. Par contre, c’est le français amendement (10c, VJ) qui présente le sens, déjà attesté dans le law French, concernant la valeur rééducative de la sanction pénale dans le droit processuel et pénal. En particulier, le français contemporain amendement décrit le droit parlementaire, sanctionné par la Constitution, d’apporter des modifications mélioratives aux lois et aux propositions de loi (10c, VJ: 1, 2), et donc à la Constitution elle-même. De même, le droit d’amendment anglais sanctionne le droit de la part de sujets compétents de modifier la législation nationale (10b, ODL: 1), en incluant donc aussi la constitution «non écrite» du Royaume Uni, qui comprend les statuts constitutionnels, le droit jurisprudentiel et les conventions. Les membre des assemblées compétentes peuvent modifier (fr. amender; ang, amend) les chartes et les traités (droit international) (10b, ODL; 10c, VJ). Amendment trouve également une application dans le droit civil (10b, ODL: 2), tandis qu’amendement (10c, VJ: 4) se lie à la réflexion sur la valeur correctionnelle de la peine (10a, MLF, amendement: 3) en décrivant l’amélioration attendue de la part du détenu escomptant sa peine. 4.1.3. Agreement, agrément Un cas légèrement différent est celui de l’anglais agreement, agrément par rapport au français agrément. Le MLF enregistre gre, gree, à partir duquel agreement est dérivé. L’évolution diachronique de la langue-culture a mené au 89 terme agrément (11c, VJ) dans le français juridique actuel, alors qu’en anglais nous assistons à une diversification des emprunts (dans des périodes historiques successives) et des significations avec agreement (11a), du law French, et agrément (11b), emprunt linguistique au français et terme du droit de la diplomatie internationale, attesté dans l’OED à partir de 1917. (11ai) agreement n. (in international law) See TREATY. (ODL) (11aii) agreement. A consensus of minds, or evidence of such consensus, in spoken or written form relating to anything done or to be done […]. See CONTRACT. (LDL) (11aiii) regulated agreements. Agreements to which provisions of C.C.A. 1974 relate, i.e., consumer credit agreements; consumer hire agreements; credit token agreements (qq.v.): see s 189(1). The agreements must be in writing, must contain all express terms in legible form, must comply with appropriate regulations and be signed by the debtor personally and by the other parties. Failure to comply renders agreements “improperly executed”. […]. (LDL) (11aiv) agreement for a lease A contract to enter into a *lease. Special rules govern the creation of such a contract. […] (ODL) (11av) contract. A legally binding agreement creating enforceable obligations. […] Contracts under, known also as deeds or specialty contracts, must be in writing. Simple contracts include oral contracts and contracts which require some writing. Implied contracts arise from the assumed intentions of the parties. Contracts of record arise from obligations imposed by a court of record (q.v.). […] (LDL) (11b) agrément n. The formal diplomatic notification by a state that the diplomatic agent selected to be sent to it by another state has been accepted, i.e. is persona grata and can consequently become accredited to it. The agrément is the reply to a query by the sending state, which precedes the sent diplomat’s formal nomination and accreditation. This type o mutual exchange by the states over their diplomatic representation is called agréation and is a informal method of determining that the representative is acceptable to the host state before the final appointment is made. The mere expression of a wish may reasonably be enough to prevent an appointment from being made. However, once agrément has been made, good cause alone justifies the demand that it be cancelled. See also PERSONA NON GRATA. (ODL) (11c) agrément Dér. du v. agréer, comp. de *gré. En général, *approbation ou autorisation a laquelle est soumis un projet (de contrat, de nomination, etc.) et qui suppose, de la parte de celui à qui on doit le demander, un pouvoir d’appréciation en général discrétionnaire (un pouvoir de la refuser à son gré). Ex. vente à l’agrément. Comp. essai. I (émanant des pouvoirs publics) 1 Acte unilatéral ou conventionnel (lettre d’agrément) par lequel l’administration, dans l’exercice de sa compétence discrétionnaire, autorise la constitution d’un organisme ou, plus fréquemment, confère à des organismes déjà existants le bénéfice de certains avantages, facultés ou prérogatives. 90 2 Acte par lequel un gouvernement donne son assentiment à la nomination d’un chef de mission diplomatique, qui sera ainsi considéré comme persona grata. Comp. agréation. 3 Approbation des autorités de tutelle administrative à laquelle la loi subordonne l’accomplissement ou le plein effet d’actes ou d’initiatives (agrément d’une convention collective, d’un stage de formation professionnelle). - fiscal. Procédé de type conventionnel par lequel l’administration fait bénéficier une entreprise d’*avantages fiscaux, à charge, pour cette entreprise, de respecter les engagements qu’elle prend de favoriser par sa politique et ses investissements la poursuite des objectifs du *Plan, de l’*aménagement du territoire e du développement régional. - technique. Autorisation spéciale que tout assurer doit préalablement obtenir de l’État pur pratiquer un type déterminé d’assurance. II (dans le relations privées) 1 *Adhésion donnée par un tiers à un acte juridique dont la validité ou l’opposabilité est subordonnée à cette formalité. Ex. agrément, par le propriétaire, d’un sous-locataire, dans le cas où le bail interdit au preneur de sous-louer sans cette autorisation (adde C. civ., a. 1868, al. 3, dans la société en nom collectif), 2 Dans certaines ventes (vente au goûter, C. civ., 1587, vente avec clause «gré dessus»), accord qu’il appartient à l’acquéreur de donner ou de refuser après avoir examiné et éprouvé la marchandise. Syn. *agréage, ne pas confondre avec agréation. 3 Dans la *distribution sélective, acte par lequel le fabricant confie la *commercialisation de se produits à un *distributeur de son choix. - (clause d’). Clause insérée dans les status d’une *société qui subordonne la *cession des *parts ou *actions à l’assentiment d’un organ social. Comp. préemption. (VJ) Il est possible d’affirmer que le sens I, 2 d’agrément (11c, VJ) coïncide avec le sens de l’anglais agrément (11b, ODL). Nous en recevons une confirmation en analysant les scripts respectifs. Observons notamment le renvoi à agréation dans les deux articles, en plus de constructions verbales, arguments et acteurs similaires (VJ: «le gouvernement donne son assentiment à la nomination d’un chef de mission diplomatique (persona grata)»; ODL: «the state accepts the nomination of a diplomatic agent (persona grata) to be sent to it»). Bien que dans la première description du sens de agrément (11c, VJ, «En général […]»), la référence à la forme qui doit être donnée à l’expression de consensus, autorisation ou approbation (écrit ou oral) ne soit pas fournie, et que la description du sens de agreement (11aii, LDL), précisé par les définitions des significations successives, soit plus générique, les descriptions initiales du sens dans les deux articles semblent indiquer la présence d’un noyau comparable. En particulier, agreement indique un consensus of mind, donné à l’écrit ou à l’oral, qui n’est pas légalement contraignant (11ai, LDL), alors qu’un contract (11av, LDL) est légalement contraignant. Un lease agreement (11aiv, ODL) et les types différents de regulated agreements (11aiii, LDL) sont donc des contrats, et se superposent largement aux significations regroupées au point II de agrément (11b, VJ), concernant le droit privé. Enfin, la référence aux traités internationaux (11ai, ODL: «[…] (in international law) See 91 treaty), reste exclu d’agrément (11c, VJ: I (émanant des pouvoirs publics)), parce que le français a à disposition traité et, dans le sens général du terme, accord et convention. 4.2. Estoppel Estoppel illustre le cas des emprunts aller-retour de l’anglo-normand (12a, ODL) ou ancien français (OED, estoppel). En particulier, estoppel, attesté dans l’OED à partir de 1530, est une institution de la Common Law présente dans le système juridique britannique en formes diverses: estoppel by conduct, estoppel by deed, estoppel by record, equitable estoppel (promissory and proprietary). Il s’agit d’une greffe juridique que le système français a adopté du droit anglo-saxon en le limitant au droit international privé (12b, VJ), ce qui a entraîné une réduction sémantique remarquable, face à la démultiplication des significations associées au terme anglais. (12a) estoppel n. [from Norman French estouper, to stop up] A rule of evidence or a rule of law that prevents a person from denying the truth of a statement he has made or from denying the existence of facts that he has alleged to exist. The denial must have been acted upon (probably to his disadvantage) by the person who wishes to take advantage of the estoppel or his position must have been altered as a result. There are several varieties of estoppel. • estoppel by conduct (or in pais) arises when the party estopped has made a statement or has led the other party to believe in a certain fact. • estoppel by deed prevents a person who has executed a deed from saying that the facts stated in the deed are not true. • estoppel by record (or per rem judicatam) prevents a person from reopening questions that are *res judicata (i.e. that have been adjudicated upon by a court of competent jurisdiction). See also ISSUE ESTOPPEL. There are two forms of equitable estoppel – promissory and proprietary. The doctrine of promissory estoppel applies when one party to a contract promises the other (by words or conduct) that he will not enforce his rights under the contract in whole or in part. Provided that the other party has acted in reliance on that promise, it will, though unsupported by consideration, bind the person making it: he will not be allowed subsequently to sue on the contract. When applicable, the doctrine thus modifies the common-law rules relating to *accord and satisfaction. Under the doctrine of proprietary estoppel, the courts can grant a discretionary remedy in circumstances where an owner of land has implicitly or explicitly led another to act detrimentally in the belief that rights in or over land would be acquired. The remedy may take the form of the grant of a *fee simple in the property (Pascoe v Turner [1979] 1 WLR 431), the grant of a short-term occupational *licence, or even a monetary sum equivalent to the value of the detriment suffered by the claimant in reliance upon the expectation (Jennings v Rice [2003] P & CR 8 (CA)). The court will always seek to do the minimum necessary to satisfy the equity. (ODL) (12b) estoppel. Terme angl. signifiant «fin de non-recevoir». 92 Notion empruntée au Droit anglo-saxon, souvent analysée comme une exception procédurale, destinée à sanctionner, au nom de la *bonne foi, les contradictions dans les comportements d’un État, celui-ci étant considéré comme lié par son comportement antérieur et, dès lors, estopped à faire valoir une prétention nouvelle. Ex. un Etat qui a expressément reconnu une ligne frontière est déchu de son droit de contester cette ligne auprès d’un autre Etat. V. acquiescement, reconnaissance, irrecevabilité, fin de non-recevoir. (VJ) 4.3. Acquis communautaire, CE Considéré le rôle fondamental du droit romain en Europe, le droit européen emploie un certain nombre de termes français pour lesquels l’anglais ne présente pas de calques et qui ne constituent pas de greffes juridiques à partir du système juridique national français. Considérons, par exemple, acquis communautaire et CE, à savoir des termes employés à la fois au Royaume Uni et en France, mais enregistrés uniquement par l’ODL. Acquis communautaire (13, ODL) décrit l’ensemble du droit européen. (13) acquis communautaire [French] The body of *Community legislation and judgments of the *European Court of Justice by which all EU member states are bound. (ODL) Le terme connaît des variantes: acquis (avec la perte du modificateur suite à la fréquence d’emploi) et EC acquis (avec la traduction de communautaire et la modification du nom à gauche à travers l’acclimatation à l’anglais). Le droit européen naît d’un traité international et, pour être applicable dans le système juridique anglais, dualiste, il doit être ratifié par le biais de statuts spéciaux. Grâce au principe de primauté, le droit européen jouit d’un état de supériorité hiérarchique pas rapport aux normes statutaires nationales. Par conséquent, l’interaction avec le droit de l’union européenne représente une source d’innovation pour la langue-culture juridique du Royaume Uni. Cela reste valable également pour ce qui est des directives européennes, à savoir des actes qui demandent aux États membres d’atteindre un résultat spécifique, sans pour autant indiquer les méthodes et les parcours à effectuer à cette fin. Les mesures pour l’implémentation restent donc à la discrétion de chaque État membre et mènent à une lente innovation à l’intérieur des réglementations nationales en vigueur, intégrées afin d’assurer le respect des directives européennes. C’est bien le cas de CE (14, ODL): (14) CE [French Communauté européenne: European Community] A marking applied to certain products, such as toys and machinery, to indicate that they have complied with certain EU directives that apply to them, including *electromagnetic compatibility. A CE marking is not a quality mark, but it indicates that health and safety and other legislation has been complied with. The manufacturer or first importer into the EU must apply the CE marking; fines can be levied for breach of the rules. (ODL) 93 5. CONCLUSIONS Dans le premier volet de cette contribution, nous avons brossé une réflexion préliminaire sur le statut des gallicismes dans l’anglais juridique du Royaume Uni du point de vue formel et conceptuel. D’abord, nous avons identifié un noyau fondamental d’emprunts à l’anglo-normand et à l’ancien et moyen français et de la part du law French, qui constitue le cœur du langage juridique anglais et de la Common Law. Ensuite, nous avons cerné une série d’emprunts relativement récents, venant du droit international et européen, à savoir de systèmes juridiques et règlements supranationaux avec lesquels l’anglais doit interagir. Du point de vue formel, les emprunts appartenant au premier groupe – formant le law French – sont intégrés orthographiquement et/ou phonétiquement (ex. conseil, equitable, le suffixe -ee ou les emprunts aller-retour budget, jury, etc.). Font exception certaines maximes, adages et formules de la culture juridique qui ont gardé la forme d’origine sans intégration (ex. sois fait comme il est désiré) aussi bien que certains xénismes syntaxiques employés dans des expressions figées (ex. cestui que vie). En revanche, le deuxième groupe compte de véritables xénismes, non intégrés et adoptés récemment (ex. agent provocateur, effet utile). Dans le deuxième volet nous nous sommes penchées sur l’évolution de la conceptualisation des emprunts au fil du passage de la langue d’origine à la langue emprunteuse. Du point de vue conceptuel, sur la base des renseignements offerts par des dictionnaires spécialisés et étymologiques généraux (ODL, MLF et OED pour l’anglais, dont on a comparé les articles, le cas échéant, avec le VJ pour le français), nous avons pu remarquer que des termes du law French encore employés dans le système juridique du Royaume Uni peuvent montrer une démultiplication de significations non partagée avec les termes français ayant la même origine (ex. ang. abatement vs. fr. abattement). Toutefois, malgré la spécialisation en plusieurs sens, il est possible de noter, dans l’anglais, une perte de significations et emplois originaires, gardés par contre en français (ex. la réflexion sur la valeur de la peine, présente dans le français amendement et dans le law French amendement, mais absente dans l’anglais amendment). La présence d’emprunts intégrés à côté de xénismes d’adoption plus récente peut refléter non seulement le passage terminologique dû au contact entre langues-cultures nationales, mais aussi l’exigence éventuelle de disposer de termes différenciés pour le droit international. Par exemple, cela se manifeste, dans le dictionnaire juridique anglais, par la présence parallèle du terme intégré agreement et du xénisme agrément, réservé au droit diplomatique et consulaire, alors que le français se sert uniquement du terme agrément pour le système juridique national et international. Pour ce qui est des emprunts aller-retour, estoppel constitue un cas particulier d’accueil d’une greffe juridique de la part de l’anglais. Ce terme montre une restriction du sens, avec la perte de plusieurs significations en anglais, et une conceptualisation limitée au droit international privé plutôt qu’une extension éventuelle dans le droit privé national. Enfin, pour revenir aux emprunts récents, des termes venant du droit européen, tels que acquis communautaire et CE, ne peuvent pas manquer. Ces derniers jouissent 94 d’un statut hiérarchiquement supérieur par rapport aux règlements statutaires anglais, ce qui signifie que le système juridique du Royaume Uni ne peut que subir une lente innovation dans le processus d’adaptation aux règlements et aux directives de l’Union européenne. NOTES 1. Ce travail est le fruit d’une collaboration entre les auteures, cependant Silvia Cacchiani est responsable des paragraphes 2., 3.1, 3.1.1., 3.1.2, 3.1.3, 4.1., 4.1.1., 4.1.2, 4.1.3., alors que Chiara Preite est responsable des paragraphes 1., 3., 3.2., 3.2.1, 3.2.2., 3.2.3., 4., 4.2., 4.3., 5. et de la rédaction en langue française. 2. Selon Ziembinski (1974), philosophe du droit, langage et langue ne sont que deux facettes de la même médaille: le langage du droit est l’expression du législateur, alors que la langue juridique équivaut à la langue employée par les juristes pour parler de droit. Cependant, en linguistique, le débat autour du choix entre langage et langue juridique demeure ouvert. Sourioux et Lerat (1975: 9) emploient langage et expliquent que langue fait référence à la langue naturelle, alors que parler de langage implique «l’existence d’usages spécifiques de la langue commune et d’éléments étrangers au système de celle-ci». De même, selon Cornu (2000: 23) «[…] le langage juridique est un usage particulier de la langue commune […]». En revanche, Groffier (1990) parle de La langue du droit et Bocquet (1998: 96) explique: «[…] on pourrait opposer le langage du droit, formé de toutes les sortes de signes linguistiques et extra-linguistiques, à la langue du droit, qui ne comprendrait que les signes linguistiques […]». Enfin, Gémar (1999: 6-7) ajoute l’emploi de discours, en distinguant entre la langue du droit, formée par la terminologie spécialisée, le discours, qui est «la manière de dire le droit» des spécialistes, et le langage ou «le message dont le discours est porteur, sa forme linguistique et sa destination particulières». Indépendamment du débat, dans ce travail nous employons langue et langage, juridique et du droit, comme des synonymes. 3. Au point que Gémar (1981: 342) a observé que «de toutes les langues spécialisées, la langue juridique est peut-être celle où règne la plus grande polysémie». 4. Termes qui, selon Cornu (2000: 68-69), se caractérisent par l’appartenance exclusive au droit («Ils n’ont de sens qu’au regard du droit»), ou bien par une double appartenance, mais dont l’appartenance juridique est principale par rapport au sens que le mot possède dans la langue commune. Le cas contraire de double appartenance est également possible. 5. Les études qui portent sur les gallicismes de l’anglais remontant à l’anglo-normand ne touchent pas seulement aux emprunts juridiques, mais aussi aux emprunts appartenant à la langue générale ou à d’autres langues spécialisées. Voir par exemple Trotter (2010). 6. La deuxième édition consultée comporte également une mise à jour (http://www.oed.com). 7. Dans ce paragraphe nous présentons la révision approfondie d’une classification préliminaire discutée brièvement dans Cacchiani / Preite (2010). 8. Un morphème lié est identifié sur la base d’une analyse componentielle et d’une généralisation se fondant sur une série d’occurrences lexicales qui le contiennent (Weinrich 1968). Dans ce cas, il s’agit souvent de couples agent/patient ou masculin/féminin. 9. La liste de termes spécialisés collectés ne contient ni de calques ni des pérégrinismes. Ces derniers sont exclus des dictionnaires juridiques à cause de leur nature même: «le pérégrinisme […] ne devient un emprunt proprement dit que s’il est employé non plus occasionnellement, mais couramment» (Deroy 1956: 224). En effet, un emprunt dont l’emploi ne serait qu’occasionnel et peut-être éphémère ne fait pas l’objet d’une entrée lexicographique. 10. La sélection se fonde sur une liste (non exhaustive) de plus de 400 unités terminologiques enregistrées par le ODL et le LDL. A cause de l’absence de tout étiquetage historique et étymologique dans les deux ouvrages pris en considération, l’identification des emprunts a été menée par le biais de l’OED. C’est sur la base des renseignements offerts par ce dernier qu’il est possible de subdiviser les termes retenus selon leur origine historique en [Anglo-Norman], [Old French], [Middle French], [French], [Latin through French]. 95 11. Nous n’incluons pas les informations concernant les variantes orthographiques pour chaque entrée et période historique énumérées par l’OED. 12. Les suffixes anglais -ure (closure, failure) et -ant/-ent (complainant, litigant, tenant) forment des emprunts complexes, qui ne peuvent pourtant pas être considérés comme distinctifs du langage juridique. Dans ces cas, il est possible d’observer à la fois des mots complexes formés à partir d’une base française ou anglaise et des mots adaptés directement du latin (OED). Le préfixe non(ex. nonage, nondisclosure, nonfeasance, non-refoulment), emprunté à l’anglo-normand (non-, noun-, nun-) et au latin nōn, à partir du XVème siècle il forme des mots complexes également en combinaison avec des bases anglaises. 13. En opposition au traitement homonymique qui scinde le mot polysémique en plusieurs homonymes. Selon Cornu, cette approche synchronique n’est pas satisfaisante en ce qui concerne le langage juridique dont il juge nécessaire de prendre en considération l’étymologie des termes pour découvrir à la fois leur polysémie «interne» («lorsqu’au regard du droit, dans un système juridique donné, un même terme peut revêtir, dans l’usage actuel, deux ou plusieurs sens distincts», Cornu 2000: 95) et «externe» («elle existe pour peu qu’un terme, doté d’un sens juridique soit aussi pourvu d’un sens extrajuridique», Cornu 2000: 75). Les dictionnaires juridiques ne s’occupent évidemment pas de cette dernière. BIBLIOGRAPHIE Baker, John H. 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La relation entre la terminologie économique et les changements socioéconomiques, tout comme la relation entre les concepts économiques et les possibilités morpho-syntaxiques et phonologiques des langues en contact impliquent une approche circonstanciée des trois types d’emploi des termes économiques: l’emprunt adapté du point de vue phonologique et orthographique au roumain, le calque, l’emploi parallèle du terme français et du calque. “Quand un locuteur du langage X emploie une forme d’origine étrangère, non pas comme un recours fortuit au langage Y, mais parce qu’il l’a entendue employée par d’autres dans des discours en langue X, alors cet élément d’emprunt peut être considéré, du point de vue descriptif, comme étant devenu partie intégrante du langage X” (Weinreich 1963: 11). Les changements du domaine des finances développé en Roumanie d’une période à l’autre ont impliqué des besoins terminologiques spécifiques. Vue du côté de la lexicographie, la néologie n’est rien d’autre que l’enregistrement de mots nouveaux, sous la pression des besoins de dénomination, d’expression et de communication (Lerat 1993: 131). Pour exprimer les nouvelles réalités qui n’avaient pas de correspondant en roumain, les professionnels ont adopté un nombre important d’emprunts d’origine française. Dans cet article nous nous proposons d’étudier certaines des caractéristiques de ces emprunts. Pour y aboutir, nous avons tout d’abord défini les objectifs de notre recherche à partir de l’arbre conceptuel du domaine des finances. Ensuite nous avons dressé l’inventaire des emprunts d’origine française du domaine financier en roumain afin de constituer notre corpus analysé dans le chapitre suivant selon les différents critères de classification linguistique, 98 sémantico-syntaxiques, morpho-dérivationnels, phonologiques et orthographiques. Enfin, nos conclusions offrent la perspective de l’étude des emprunts dans d’autres domaines économiques pour mieux envisager les rapports entre les facteurs socioéconomiques, culturels et linguistiques. 2. OBJECTIFS Notre recherche se propose d’étudier les caractéristiques de l’intégration des emprunts d’origine française du domaine des finances dans le système linguistique du roumain. Nous voulons essayer d’aborder une approche systématique de la recherche terminologique en économie, qui est d’habitude ponctuelle et porte sur un terme isolé ou sur un groupe restreint de termes relatifs à un ou plusieurs domaines (Boutin-Quesnel et al. 1985: 17, in Lerat 1993: 132). Pour y arriver, comme l’enrichissement lexical ne se réalise pas par l’introduction dans le lexique d’un ensemble homogène de mots nouveaux correspondant à chaque domaine, dans une première étape de notre recherche nous avons établi l’arbre conceptuel du domaine des finances : Finances Agents Activités Documents Caractérisant s Le champ conceptuel de tout domaine est l’ensemble des concepts qui constituent cette discipline, un ensemble de concepts structurés en d’autres sousensembles plus spécifiques encore, et ainsi de suite (Cabré 1992: 174). Comme les objets (entités concrètes et abstraites, propriétés - états, relations, dimensions, activités, etc.) qui partagent les mêmes propriétés ou caractéristiques sont groupés en classes à partir desquelles on constitue par abstraction des unités de connaissance ou de savoir appelées concepts, l’ensemble général des concepts des finances est formé de notions renvoyant à la structure du système financier et aux différents types d’activités et de documents ce qui détermine des catégories comme : agents, documents, règles / techniques / méthodes, opérations, etc. Il est utile de structurer conceptuellement notre domaine de recherche sur une base onomasiologique, ce qui correspond premièrement à l’établissement des concepts à dénommer. La structuration du champ conceptuel des finances reflète une certaine 99 vision culturelle et scientifique de la réalité à définir pour établir correctement les équivalents dans les deux langues et toutes les informations pragma-linguistiques à envisager dans les étapes ultérieures de notre recherche, à partir des différences et des ressemblances du système financier des deux pays à des époques différentes de leur évolution économique. Cette structuration nous donnera par la suite de mieux vérifier les équivalents entre les termes du roumain et du français, d’élaborer des définitions de façon systématique, en fait d’accéder plus facilement et efficacement à l’information et aux structures du savoir selon les différentes catégories conceptuelles. Les étapes suivantes de notre recherche comprennent les objectifs suivants: - dresser l’inventaire des emprunts d’origine française du domaine financier en roumain; - étudier le degré d’adaptation des emprunts au système linguistique de la langue d’accueil et leur intégration; - établir des classes de comportement linguistique des emprunts d’origine française. 3. CORPUS Nous avons repéré 275 emprunts roumains d’origine française dans notre corpus qui comprend quatre cours universitaires, dictionnaires et glossaires en ligne, guides, législation, différents journaux et revues, sites représentant en totalité un corpus de textes qui correspondent aux exigences de représentativité, d’exhaustivité relative et d’actualité. Cette étape de notre recherche soutient l’intérêt d’une approche sémasiologique aussi importante pour la recherche en terminologie que l’approche onomasiologique. La prise en compte de l’usage et de la fréquence d’apparition des emprunts implique l’analyse d’un corpus plus large qui inclut deux types de textes: 1) textes didactiques (cours universitaires); 2) textes journalistiques. En fait il s’agit du discours pédagogique et du discours spécialisé de type semivulgarisation pour lesquels nous prenons en compte : la qualification du rédacteur (enseignant, journaliste ou spécialiste en économie), le type de public (étudiants, professionnels ou grand public), le mode de diffusion (milieu universitaire ou vente en kiosque), le caractère professionnel du document (universitaire ou journalistique). (v.aussi Gaudin 1993: 183 in Gaudin/Guespin 2000). 4. CRITÈRES DE CLASSIFICATION Nous faisons appel, d’une part, à la norme socio-culturelle qui règle la motivation et la fonction des emprunts tout comme leur acceptabilité et leur usage, d’autre part, à la norme linguistique qui envisage le processus d’assimilation, en tant que composante d’une norme socio-linguistique afin d’envisager la terminologie analysée sous l’angle d’une approche socioterminologie et d’une 100 approche linguistique. Même si certains linguistes considèrent que la norme linguistique est codifiée en roumain d’une manière explicite tandis que la norme sociale est implicite (cf. Stoichiţoiu-Ichim 2006), nous estimons que, pour la terminologie des finances, aucune des deux normes n’est explicite. Les distinctions entre les emprunts dénotatifs / connotatifs (Guilbert 1975: 91-92), techniques / stylistiques (Guiraud 1965: 7-8), de nécessité et de «luxe» (Deroy 1956) conformément à la finalité sociale de la communication (v. Stoichiţoiu-Ichim 2001: 85-96) n’intéressent pas expressément notre étude actuelle car la diversité des discours relativise de telles caractérisations. Les emprunts de nécessité se trouvent dans beaucoup de cas dans la phase de pérégrinisme, celle qui précède l’assimilation complète, comme ango/ en gros par exemple, alors qu’il y aussi un petit nombre de xénismes, à l’usine, à la baisse, allonge qui gardent leur aspect étranger et restent à la périphérie du système linguistique du roumain. Après avoir envisagé quelques caractéristiques des néologismes sémantiques et des néologismes de forme, nous étudions les possibilités morphodérivationnelles, sémantico-syntaxiques, phonologiques et orthographiques des deux langues. 4.1. Néologismes sémantiques et néologismes de forme «La néologie de forme » et « la néologie de sens » dénotent une nouvelle réalité (nouveaux concepts, nouveaux realia de la communauté linguistique respective). Chaque sphère de significations nouvelle, correspondant à une expérience nouvelle, se réalise lexicalement par un ensemble lexical fait d’emplois nouveaux de mots empruntés à des sphères d’activité apparentées formées antérieurement (Guilbert 1975: 82-83), qu’on a appelés néologismes sémantiques (1a), et de mots nouveaux ou néologismes de forme (Dubois 1973: 334 ) (1b) : (1a) agregate monetare, prudenţă bancară, masă monetară (1b) (operaţiuni) bilanţiere, (elemente) extrabilanţiere, (control) prudenţial 4.2. Caractéristiques morpho-dérivationnelles Le champ sémantique correspondant à l’activité nouvelle s’organise à l’aide d’un ensemble de signes qui possèdent leurs propres connexions sur le plan linguistique, différentes des relations entretenues par les notions ou les réalités qu’ils traduisent. Comme il y a des domaines économiques apparentés, il y a des séries de termes tirés du vocabulaire d’un domaine dans un autre, entraînés dans le nouveau vocabulaire par un mot-base; la constitution de la série lexicale se situe essentiellement sur le plan linguistique: (2a) gérer (co)gérant, (co)gérance (2b) gérer (auto)gestion, (auto)gestionnaire (3) actionnaire / actionnariat – acţionar /acţionariat (4) bourse / transaction boursière - bursă / tranzacţie bursieră 101 L’ensemble lexical propre à un domaine s’organise selon une double structure : il comporte des séries lexicales d’ordre sémantique et des séries lexicales d’ordre morphologique. Les séries sémantiques sont constituées par des ensembles de vocabulaire transférées d’une technique à l’autre ou d’un domaine économique à l’autre. Les séries morphologiques sont formées à partir d’une même base (aval, cession, créance, débit, endos, mandat) diversifiées selon une série d’éléments spécifiques de l’activité respective : (5a) cession cédé / cédant, cessible (5b) cesiune /cedent / a cesiona / cesionare cesionabil (Păun 2003: 207 - 208), cesionar Dans beaucoup de cas, si la base en roumain est d’origine française, la dérivation est spécifiquement roumaine: (6a) aval, avaliser, avaliste, avaliseur - aval, avaliza, avalizare, avalist (6b) gérer, gérant - a gira, gir girant / girator (Păun 2003: 190) (6c) endosser, endossement/endos, endosseur, endossataire - a andosa, andosare, andosator Dans la plupart des activités économiques qui mettent face à face deux partenaires, le français et / ou le roumain dispose(nt) de leur dénomination: (7a) mandant/ mandataire – mandant / mandatar, tireur / tiré – trăgător / tras (7b) commettant / commissionnaire, franchiseur/ franchisé (7c) acceptant / acceptat, comanditar / comanditat Pour d’autres cas, il n’y a qu’un seul des deux agents dans les deux langues: (8) andosator, avalist, bancrutar, cesionar, comisionar, furnizor, garant, gestionar Contrairement à la plupart des terminologues qui considèrent que la terminologie d’un domaine comprend uniquement des noms, nous devons souligner l’existence des verbes (comme en 5b, 6a, 6b, 6c) mais aussi des adjectifs, la détermination adjectivale étant très répandue dans la terminologie financière : (9a) société absorbante / absorbée, actifs cédés / actionnaires cédants (9b) banca trasă / acceptantă / negociatoare / confirmatoare/ rambursatoare / solicitantă / avizatoare / notificatoare (Păun 2003: 199) Notre corpus contient beaucoup d’adjectifs néologiques : 102 (10a) (cec) barat / certificat, (operaţii) bilanţiere / extrabilanţiere (Dardac, 2 : 109), mediu) concurenţial, (risc) interbancar / sectorial, (subvenţii) rambursabile, (acreditiv) revocabil / irevocabil, terţe (persoane) (10b) bursier, compensatoriu, forfetar, ipotecar, mutual, prudenţial La formation d’un nouveau vocabulaire technique, notamment dans la mesure où il se réalise par le glissement d’un matériel lexical provenant d’un autre champ sémantique, s’opère par la détermination du mot de base emprunté par un élément de référence au nouveau champ sémantique. Ce processus de formation provoque la création d’un grand nombre d’unités de significations complexes appelées néologismes syntagmatiques, qui doivent être considérées comme parties intégrantes du lexique au même titre que les lexèmes simples (Guilbert 1975: 220): (11a) chèque au porteur, billet à ordre, paiement en nature, paiement en numéraire (11b) cec la purtător, bilet la ordin, plata în natură, plata în numerar (12a) apport / paiement en nature, en numérair ; après-vente; à vue; billet à ordre ; chèque au porteur; économie d’échelle ; euro-niche, euro-masse; impôt sur le revenu, sur le profit ;plafond d’exonération d’impôt; sous-traitance (12b) aport / plată în natură, în numerar; post-vânzare; la vedere; bilet la ordin; cec la purtător; economie de scară; euro-nişă ; impozit pe venit, pe profit; plafon de scutire; subcontractare Selon le modèle français, les néologismes syntagmatiques, appelés aussi synapsies ou collocations, ont en roumain la forme d’un groupe prépositionnel (13a), d’un nom appositif (13b) ou d’une composition (13c): (13a) paiement par acceptation / par négociation / à vue - cu plata prin acceptare / prin negociere / la vedere / (13b) crédit acheteur / vendeur - credit cumpărător / vânzător (13c) contre-partie – contrapartidă, dommages- intérêts – daună-interese, soustraitance, sous-traitant – subcontractare, subfurnizor, subcontractant Il y a des cas où l’emprunt n’est pas entièrement intégré et le xénisme est employé parallèlement au calque: (14) en détail / cu amănuntul Une étude détaillée des affixes pourrait souligner l’existence d’affixes semblables dans les deux langues: -ité / (at)ate, -aire / ar, mais aussi certains affixes roumains spécifiques: in-, ne- pour les préfixes français in- ou non: (15a) anuitate, arierate, credit obligatar, (pre)finanţare, (re)scontare (15b) agent (ne)bancar, (ne)plată, (in)solvabilitate 103 Les emprunts se soumettent dans la plupart des cas à la spécificité morphodérivationnelle du roumain. 4.3. Caractéristiques morpho-syntaxiques Il y a une série de différences de genre pour certains noms entre les deux langues : (16) une avance (n.f.) – un avans (s.n.), une commission (n.f.) – un comision (s.n.), un arriéré (n.m.) – un arierat (s.n.), tantième (n.m.) – tantiemă (s.f.) Dans certains cas, le spécialiste roumain emploie un terme insuffisamment ou pas du tout adapté au roumain: cu plata “diferată” du français “différée” (amânată). Le locuteur roumain qui ne connaît pas le français ne pourra pas comprendre cette dernière synapsie en roumain: (17) à paiement différée – cu plata diferată (Păun 2003: 201) 4.4. Caractéristiques sémantico-syntaxiques et dérivationnelles Un nom polysémique du français correspond à des hétéronymes à suffixes différents en roumain. La spécialisation sémantique est soutenue par des suffixes différents en roumain: (18) allocation – alocaţie / alocare, autorisation - autorizare/autorizaţie, cotisation – cotare / cotaţie, crédit – creditare / credit, réescompte – rescontare / rescont (19) obligation – obligaţie / obligaţiune, opération – operaţie / operaţiune Seul le contexte détermine le choix correct de l’hétéronyme en roumain: (20a) spéculation – speculă / speculaţie, speculaţii ; participation – participare / participaţii (la capital, participaţii financiare) (Dardac, 2, 200 : 105) (20b) La spéculation sur les terrains à bâtir. (20c) Spéculations désastreuses. (21) Un voyageur qui demande une allocation de devises / allocations familiales (Petit Robert) (alocare de valută / alocaţii familiale) La polysémie du terme français provision détermine quelquefois le spécialiste à proposer un synonyme entre parenthèses (ex. provizionul (depozitul) (Păun 2003: 192)) implique le choix de plusieurs hétéronymes: (22a) provizie / provizion – provizioane ”fonduri pentru riscuri bancare generale” (22b) constituirea de provizioane, chèque sans provision – cec fără acoperire. Un seul verbe et nom français ont des hétéronymes différents en roumain: 104 (23) accepter, acceptation - accept / acceptare, prévoir – prévision / a prevedea – a previziona / previziune – previzionare (metoda de previzionare a creanţelor riscante (Dardac, 2, 2003: 108) L’infinitif long du roumain en tant que nominalisation déverbale, permet un doublet, cas où le français n’a qu’un nom: (24) crédit – credit / creditare, participation – participare / participaţii (la capital, participaţii financiare) (Dardac 2003: 105) D’ailleurs le roumain économique abonde en déverbaux infinitifs longs d’origine française: (25) avalizare, andosare, autorizare, avalizare, decontare, denominare, forfetare, garantare, (strategia de ) poziţionare a băncii pe piaţă, rambursare, regularizare,rescontare, scontare (Păun 2003: 190) Pour le terme accise il n’y a pas de verbe français correspondant, alors qu’en roumain on emploie le déverbal accizare sans employer le verbe correspondant. Dans d’autres cas, la distinction sémantique est neutralisée en roumain sous l’influence du français: (26) émission de monnaie – emisie / emisiune de monedă / *emitere de monedă. Un seul nom du français impose un doublet nom simple / nom déverbal en roumain: (27a) instrument de gestiune, gestiunea internă a băcii / gestionarea riscurilor. (27b) activitate de creditare / credite furnizor, cumpărător Dans ces cas il n’y a qu’un nominal français: crédit, gestion. Dans les deux langues, deux nominaux différents correspondent aux différents sens du même verbe polysémique : (28) avance / avancement – avans / avansare. Les spécialisations sémantiques de certains termes de la langue standard dans le langage économique ont un comportement semblable dans les deux langues: (29) adaos comercial, achiziţii, fuziuni de întreprinderi, marcă hibrid La métaphorisation fonctionne de la même façon dans les deux langues: 105 (30a) modalité d’extinction des obligations de paiement - mod de stingere a obligaţiilor de plată (30b) niche de marché - nişă de piaţă (30c) entrepôt douanier – antrepozit vamal La polysémie d’un nom comme acţiune (action) détermine le blocage de certaines dérivations ayant un des sens du mot de base: (31) acţionar, acţionariat (fin.) et non *acţionar în justiţie, a acţiona în justiţie (jur.), sans sens financier du verbe. 4.5. Caractéristiques phonologiques et orthographiques Il y a des emprunts qui connaissent des variantes phoniques et qui, à la limite, représentent des xénismes: (32a) franchisor, mais franciză/franşiză (32b) agiotaj, embosare, embosat La plupart des emprunts s’adaptent du point de vue morphophonologique et orthographique: (33) acont, acreditiv, aviz, balanţă, bancă, bancher, bancrută, cesiune, clauză, clientelă, conosament, consorţiu,cont, curtaj, curtier, debitor, dividend, echilibru, gaj, inventar, lichiditate, negociere, poliţă, rabat, randament, redevenţă, remiză, renegociator, risturnă, trată, etc. Il y a aussi la possibilité d’employer parallèlement le terme étranger et la forme correspondante en roumain: (34a) amortissements – amortismente / amortizări L’emprunt en gros (avec ses variations d’orthographe jusqu’au terme complètement roumanisé angro) redoublé en roumain de l’expression cu ridicata, implique la formation de l’agent angrosist, qui en français n’est pas préfixé: grossiste. (34b) en gros – angro (en gros) / cu ridicata Si certains termes monosyllabiques ont la même forme et prononciation dans les deux langues : fisc, troc, pour les termes polisyllabiques, la consonne finale est prononcée en roumain, à la différence du français: (35) acţionariat, credit, debit, fond, mandat 106 5. CONCLUSIONS L’analyse des néologismes d’origine française employés dans le discours économique du roumain offre des conclusions intéressantes sur le rapport entre les réalités socio-économiques et culturelles et la problématique de la néologie par emprunt, tout comme sur les ressemblances et les différences entre les deux langues. Les relations entre la terminologie économique et les changements socioéconomiques, ainsi que les rapports entre les concepts économiques et les possibilités morpho-syntaxiques et phonologiques des langues étudiées déterminent certaines conclusions intéressantes pour études socioterminologiques. L’étude d’autres domaines économiques où l’emprunt de néologismes d’origine française est différent pourrait donner une image intéressante des rapports socio-culturels et linguistiques des deux langues, le français et le roumain. L’analyse linguistique et socio-linguistique des néologismes roumains d’origine française souligne les ressemblances et les différences entre les deux langues, comparaison utile aux recherches typologiques et à la recherche terminologique. Les caractéristiques morpho-syntaxiques et sémantico-pragmatiques de la terminologie étudiée représentent aussi une base de départ importante pour le processus d’enseignement/apprentissage du français économique destiné aux spécialistes roumains. En outre, les résultats de cette étude doivent être efficacement utilisés pour la normalisation terminologique et l’aménagement terminologique. Même si l’on établit des classes morpho-syntaxiques de néologismes, on ne peut pas exclure le comportement idiosyncrasique spécifique à certains des termes analysés. En même temps, la complexité du domaine économique détermine une analyse qui dépasse le domaine de la terminologie et impose l’étude plus approfondie de la «néologie de sens» à côté de la «néologie de forme». Le recours simultané à divers mécanismes de néologie – néologisme morphologique, néologisme sémantique, néologisme syntagmatique – constitue une manifestation de la vitalité de la langue dans la période initiale de formation d’un nouveau vocabulaire ou, par la suite, d’un nouveau système économicosocial. Foisonnement de synonymes, de néologismes et de barbarismes au début, la décantation s’opère ensuite diachroniquement au stade de la diffusion du nouveau vocabulaire selon le critère de la fréquence et de l’usage. Le néologisme spécialisé, dans notre cas le néologisme économique, est défini par sa qualité d’information et son usage particulier qui en fait un objet social car il n’y a pas de réalité que dans la mesure où les objets dénommés font partie de la culture des professionnels (Lerat 1993: 132). L’équilibre s’établit au sein du champ sémantique de la nouvelle activité ou réalité en liaison avec l’organisation et la stabilisation de l’expérience elle-même. Les emprunts roumains d’origine française du domaine économique manifestent un degré très élevé d’adaptation et d’intégration au système de 107 la langue d’accueil. Comme ils n’entravent pas la créativité lexicale en roumain et qu’il s’agit d’un procédé linguistique productif dans la mesure où il permet, sans empêcher l’utilisation des termes roumains existants, d’intégrer efficacement des formes nouvelles, il convient de réagir d’une manière positive aux emprunts, en tant que procédé très important d’enrichissement de la langue. Mais, en même temps, il faut prendre en considération une politique linguistique de l’emprunt et mettre en place des instruments de normalisation et d’aménagement terminologique, absolument nécessaire afin de préserver la qualité du roumain et de contribuer à l’efficacité de la communication professionnelle. BIBLIOGRAPHIE Avram, Mioara (1993): «La créativité et l’hospitalité du roumain», in RRL, XXXVIII, 1-3: 23-26. Béjoint, Henri / Thoiron, Philippe (sous la direction de)(2000): Le sens en terminologie, Lyon: Presses universitaires de Lyon. Cabré, Maria Teresa (1992): La terminologie. Théorie, méthode et applications, Paris: Presses de l’Université d’Ottawa, Armand Colin. Cabré, Maria Teresa et al. (2010): Actes del I Congrés International de Neologia de les Llengües Romàniques, Barcelona: Institut Universitari de Lingüistica Aplicada, Universitat Pompeu Fabra. 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Dans la perspective que nous proposons, centrée surtout sur l’analyse du discours et sur l’intégration textuelle des mots venus d’une autre langue dans la langue française, le néologisme « se définit mieux en synchronie, c’est-à-dire dans la perspective du rapport des éléments du système linguistique entre eux. C’est le locuteur qui crée la nouvelle forme !» (Charaudeau, Maingueneau 2002: 11). En observant les éléments déplacés d’une langue à l’autre, éléments mobiles par excellence, affectés par des changements discursivo-graphiques et perçus par la langue d’accueil comme des nouveautés, nous n’insistons pas sur l’opposition générale «néologisme» - «archaïsme», mais sur leur production et/ou leur reconnaissance en discours par une sorte d’intuition néologique (Cf. Charaudeau, Maingueneau 2002: 401). D’ailleurs, «la formation d’un néologisme n’est pas seulement un acte de parole, elle est destinée à être aussi un phénomène de langue» (Guibert 1973: 13), parce que le destinataire du message est «partie prenante dans la création» (Idem.) étant donné son rôle. Sans doute, les domaines technique, scientifique, économique sont par excellence le territoire de la néologie, mais qu’en est-il du domaine littéraire ? Le patrimoine littéraire du français, composé d’œuvres d’une même configuration d’expression, mais venant de tous les continents, les œuvres des écrivains venus d’un ailleurs lointain dans un dedans rigidifié par des règles témoigne de la noble modernité du français et annonce les parcours ultérieurs du changement linguistique. On s’accorde à dire que la création linguistique est l’apanage des écrivains (Guilbert 1973: 26) et que tout élément récemment entré dans une langue est rangé du côté des nouveautés. A côté du discours littéraire, le discours de vulgarisation se situe à mi-chemin entre le discours scientifique et celui ordinaire, sorte de construction à base de «traduction», qui vise les moins spécialistes ou les profanes. La néologie de sens ou de forme peut s’y installer confortablement. Un 110 tel type de discours sera représenté par Cloner le Christ ?, une sorte de romandossier realisé par Didier van Cauwelaert, constitué autour d’un tournage de film présenté par Lundi investigation, émission du Canal + et intitulé Ils veulent cloner le Christ ? Pour ce qui est du discours littéraire, celui des écrivains étrangers d’expression française nous sert parfaitement. Quelques pilons sémantiques et discursifs soutiennent la grille d’analyse: les études de Louis Guilbert, Christian Marcellessi, Michale Riffaterre, pour le côté sémantique et celles de Jacqueline Authier-Revuz, Marie-Christine Lala, Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, pour la perspective discursive. Pour ce qui est de la date de l’apparition d’un mot dans la langue française, nous utilisons Petit Robert (éd. 1977) et Trésor de la Langue Française, version informatisée (désormais TLFi), non sans négliger une sorte de sentiment néologique (dans le sens de Gardin, 1975) que le discours littéraire pris en compte nous permet de dégager. Louis Guilbert (1973: 22-23) distingue trois formes de néologie sémantique: a) une forme qui consiste en une utilisation nouvelle du «groupement des sèmes afférents à un lexème, type synecdoque, métaphore, comparaison, métonymie. La nouvelle signification est perceptible dans la mutation d’un sème, accompagnée le plus souvent d’un déterminant, type «pirate de l’air», que Guilbert (1973: 22) appelle néologie syntagmatique, c’est-à-dire néologie sémantique apparentée à la néologie syntaxique. b) une autre forme qui affecte la catégorie grammaticale du lexème ; il s’agit de la néologie par conversion, du type belle (adj.) - les belles (subst.). c) une forme, enfin, qui couvre la néologie sociologique, touchant à des niveaux sociaux différents et facilitant le passage d’un mot spécialisé appartenant à un domaine vers un autre vocabulaire, lui aussi spécialisé, mais dans un autre domaine, la signification du mot étant, évidemment, nouvelle. Dans le discours littéraire, ce déplacement est dicté soit par le milieu professionnel où évolue le personnage, soit par le soin du locuteur de bien faire passer le sens. Tenant compte de notre visée, la première situation ne semble pas soutenir le fonctionnement de la néologie sociologique, puisque c’est la situation de communication en contexte déterminé qui l’impose. Mais, si le locuteur se focalise sur un néologisme consacré dans un domaine pour le faire entrer dans un autre, cette situation, par contre, est celle de la néologie sociologique véhiculée par le discours littéraire. Par exemple, l’héroïne de Maria Maïlat (2003: 186), écrivaine immigrée comme son auteure, affirme: «J’avais besoin d’une permanente perfusion d’oralité, de bavardage», le mot perfusion (daté, selon Petit Robert, 1923, avec le sens «méd. Injection lente et continue de sérum») passe d’un domaine, médical, dans le discours littéraire et fait référence aux efforts d’un écrivain étranger d’expression X, dans notre cas, d’expression française, de construire un discours dans la langue d’accueil. Le texte avance sous le poids du même procédé: «Dans mon sommeil, les phrases glanées au cours de mes flâneries se transformaient en aiguilles et s’enfonçaient douloureusement dans ma peau» (ibidem). 111 Pour ce qui est du néologisme littéraire, Guilbert (1973: 27) évoque «les traits caractéristiques de la création marginale»: suffixes tels que ence, transcription phonétique ironique et télescopage de deux mots, type cordoléance, dans le texte de Ionesco, formé de cordial + condoléances. Il est pourtant clair qu’il s’agit dans ces situations d’hapax, moins que des néologismes en trains de s’installer dans la langue. Le néologisme a la fonction de transmettre de nouvelles connaissances, ce qui le fait perdre assez rapidement la caractéristique de mot nouveau pour entrer dans le vocabulaire courant. Son étude ne peut être séparée de «l’ensemble de la situation de production, linguistique et extralinguistique: contexte linguistique direct de l’unité néologique – son environnement-, insertion de ce contexte dans l’ensemble du discours» (Marcellessi 1974: 95-96). Pour esquisser une typologie de la néologie, Charaudeau et Maingueneau (2002: 400-401) propose une première distinction entre la néologie de sens et celle de forme, cette dernière divisée encore en fonction de la manière de création du nouveau signifiant: a) exploitation des ressources internes du système de la langue; b) réalisation d’un signifiant totalement nouveau, comme dans le domaine de la création des noms de marques; c) emprunt. Les situations a) et c) seront analysées dans ce qui suit. Le corpus considéré nous permet de distinguer plusieurs formes lexicales, créations néologiques dans le domaine littéraire qui servent à la transmission du sens, et en même temps au fonctionnent en tant qu’éléments expressifs. Ainsi, sous un air d’épanorthose, se cache la preuve d’une évolution de sens qui génère une nouveauté saisissable au cours du XXème siècle, d’après Petit Robert: (1) «Dorénavant, pour me rejoindre chez moi le soir, Yacef se voyait contraint à d’inénarrables ruses: garer sa voiture le plus loin possible de mon immeuble. Attendre qu’il n’y ait personne devant l’entrée. Tromper la vigilance du concierge qui, comme tous ses collègues, se comportait en véritable geôlier garant de l’honorabilité de son fief» (Mokeddem 1995: 42). Pour inénarrable, le Petit Robert mentionne l’origine latine et le sens du XV siècle «qu’on ne peut pas narrer». Comme la séquence continue à détailler les ruses du personnage, ce sens est à abandonner. En fait, le mot signifie «dont on ne peut pas parler sans rire», signification vers laquelle s’oriente le ton du discours. a) La dérivation suffixale. Un subtil jeu de mots de Malika Mokeddem, évoquant le temps de l’Algérie d’avant la guerre pour le mettre en contraste avec le temps de l’Algérie extrémiste, est basé sur la dérivation suffixale: ème (2) «En ce temps-là nous n’étions divisées qu’en Algé-Rois et Algé-Riens. Et la majorité des ‘Riens’ et les moins-que-rien, les femmes, s’accommodaient encore assez bien des prétentions de quelques ‘Rois’. En ce temps-là les Algé-Rois méprisaient encore notre raï, mais rappliquaient en meutes chaque fin de semaine, parce que les Oranaises avaient du chien» (Mokeddem, 1995 : 33). 112 Une combinaison nouvelle dont la valeur expressive se combine avec un jugement évaluatif, les moins-que-rien, est expliquée immédiatement après, les femmes. b) Fonctionnement de l’emprunt Nous dirons, tout comme Amira Lakhdhar (2008 :55), que le français n’emprunte pas, mais s’empare des mots d’une autre langue. La longue cohabitation avec les langues parlées dans ses colonies et ses protectorats, ou dans les pays sur lesquels il a exercé une forte domination culturelle, comme on peut constater dans les pays de l’Est européen, cette situation de contact, donc, favorise l’enrichissement du français avec des mots nouveaux. Un personnage de Dumitru Tsepeneag, metteur en scène, explique devant l’équipe d’acteurs avec laquelle il travaille sa vision sur un film qu’on est en train de tourner: (3) «Le metteur en scène se tait. Il a devant lui plusieurs feuillets tapés à la machine et qui, vraisemblablement, forment le synopsis, mais aussi des notes manuscrites. Il les compulse, semble ne pas trouver ce qu’il cherche, et finit par lire une autre phrase du synopsis. -Marie se sent de plus en plus attirée par la nouvelle venue qui d’ailleurs se prénomme également Marie et lui ressemble beaucoup. -C’est kif-kif bourricot ! -Les Marie sont mariées ? demande un malin» (Tsepeneag 1985: 23). L’apparition et l’évolution du syntagme kif-kif bourricot sont liées à l’arabe et datées, d’après l’information de Petit Robert 1867, pour la forme kif-kif et 1914, pour la forme populaire «Celui-ci, c’est kif-kif bourricot», avec le sens, enregistré en France, de «superlatif de toute ressemblance» (Idem) (4) «Vous les médecins, même en étant quotidiennement au contact de dialysés, vous ne pouvez guère avoir qu’une approche intellectuelle de leur ressenti […] Vous créez ‘un abord vasculaire’. Vous ‘artérialisez’ une veine pour lui donner un débit suffisant à une circulation extra-corporelle. Vous appelez ça ‘un pont artérioveineux’, une ‘fistule’. Pour moi, le malade, cette chose c’était un petit cœur qui battait à mon poignet, un relais électrique qui me branchait à une mécanique savante […]» (Mokeddem 2007: 104) Marqué discursivement par des gloses ou accompagné d’explications «Vous ‘artérialisez’ une veine pour lui donner un débit suffisant à une circulation extra-corporelle», le discours parle de soi-même et montre, en même temps, ses composants néologiques. 113 2. NÉOLOGIE ET DISCOURS (NON)LITTÉRAIRE Le néologisme apparaît en discours comme une aspérité, un élément pas comme les autres, «qui ne va pas de soi», dans le sens de J. Authier-Revuz, un élément qui bénéficie d’un traitement méta/linguistique par traduction ou association d’une glose (par exemple comme on dit aujourd’hui, qui s’appelle). Le discours de vulgarisation scientifique est beaucoup plus commode pour l’insertion des néologismes que le discours littéraire, surtout si ces néologismes viennent des domaines scientifique et technique. La situation qui nous intéresse est celle de la présence du néologisme sous forme d’élément ajouté. L’ajout est défini d’après Pierre-Marc Biasi, Anne Herschberg-Pierrot et Jacques Neefs (2007: 33), qui font cependant référence au discours littéraire: (5) «Toute ‘intervention’ de l’écrivain, dans la mesure précisément où l’on peut la considérer comme un travail pour l’œuvre, pourrait donc être considérée comme un ‘ajout’ à cette œuvre, à sa conception, à sa disposition et finalement à son existence.» Jacques Neefs distingue plusieurs types d’ajouts: a) l’ajout dans la genèse, plutôt esthétique, forme qui «participe de la construction en cours, et du jeu de possibles au sein desquels une “version” se stabilise temporairement» (Idem: 31) et b) l’ajout linguistique «avec cependant parfois de saisissants effets de spécularité» (Idem: 30-31). Un ajout peut avoir une longueur variable, un mot ou un paragraphe. Envisageant les situations où on utilise l’ajout dans le discours de vulgarisation scientifique, comme celui de Van Cauwelaert, nous avons constaté une préoccupation du locuteur de mettre sous forme d’élément annexé surtout les mots ou syntagmes considérés nouveaux ou moins connus par le possible lecteur. C’est ici que nous rejoignons Bernard Gardin qui parle d’un «sentiment néologique». Mais cette situation nous a permis de parler de boucle néologique, terme qui rappelle la boucle énonciative de J.Authier Revuz, mais qui s’en distingue pourtant par sa substance. Une boucle néologique est déclenchée par la présence d’un néologisme. C’est un ajout de grandeur variable, un mot ou une phrase, ou même une séquence entière qui laisse l’impression de changement de registre, de « mot qui ne va pas de soi » comme l’aurait dit J. Authier Revuz. Le thème du livre de Van Cauwelaert est la présentation de son enquête sur les découvertes concernant les Linges de la Passion, plus précisément les entretiens avec plusieurs enseignants-chercheurs et prélats catholiques. L’auteur, constitué en voix narrative, rapporte la scène d’une entrevue avec un tel chercheur, généticien, le Pr. Lucotte, qui avait réussi à étudier le sang de la Tunique d’Argenteuil, supposé être celui de Jésus Christ. Le généticien lui expose ses résultats: « […]le curé ouvre son reliquaire, et me voici seul face à la fameuse Tunique sans couture, effectivement couverte de sang. Il prend une longue inspiration, bloque l’air, hoche la tête: -Et alors ? 114 -Je la lave. -Pardon ? Il vide son verre. -C’est le terme que nous employons. Un produit fixe les protéines du sang, je récupère le tout dans un tube, et je l’emporte au labo pour en extraire l’ADN. J’en trouve cinq microgrammes. Je l’amplifie au moyen de l’hybridation moléculaire ; puis, dix ans plus tard, j’améliore les résultats avec la PCR, la réaction de polymérisation en chaîne qu’on venait d’inventer. (Van Cauwelaert 2007: 86) Laver est ici dépourvu de son sens quotidien pour se présenter avec un sens nouveau, spécialisé, expliqué ensuite dans le texte. L’enchaînement des répliques «-Et alors ? -Je la lave.-Pardon ?» suivi d’une pause verbale décrite par la voix narrative procure un effet programmé, de nouveauté, montré discursivement et affirmé par la séquence explicative. (6) « C’est un homme. Un homme ordinaire avec des chromosomes X et Y […] J’ai comparé ses haplotypes du chromosome Y avec mes collections d’ADN sémite ancien: il est juif. Et il est porteur de la FMF, la fièvre méditerranéenne familiale. Une maladie très rare aujourd’hui, mais courante aux premiers siècles en Palestine, qui se traduit par des poussées de température fréquentes et sur le tard, des complications rénales.» (Van Cauwelaert 2007: 88) La boucle néologique que nous distinguons est l’ajout explicatif la fièvre méditerranéenne familiale, placé après FMF, initiales qui auraient restées totalement incompréhensibles sans cet ajout. Si haplotype, qui est lui aussi un néologisme, (appartenant au domaine médical, sans être mentionné ni par Petit Robert, ni par TLFi) peut indiquer une caractéristique du chromosome, sens déductible même par un public assez profane, FMF serait resté inaccessible sans son ajout. Une situation semblable dans: (7) «La recherche des polymorphismes de l’ADN n’a pas permis, au moins jusqu’à maintenant, de relever des dissemblances. Il faut entendre par polymorphismes les variations des marqueurs utilisés en médecine légale pour procéder à l’identification des individus» (Idem: 35) (8) «Depuis des années, le Pr. Marion travaille sur la Tunique d’Argenteuil, cette chemise sans couture que Jésus, d’après la tradition, aurait portée lors de l’ascension du Golgotha. Grâce au matériel sophistiqué de l’Institut d’optique d’Orsay (microdensitomètre, caméras CCD, scanners pour numériser et traiter les photos dans l’infrarouge), Marion a répertorié les taches de sang sur la relique» (Idem: 12) (9) «Si l’on en croit Pierre Mérat, qui dirige de CIELT(Centre international d’études sur le Linceul de Turin), c’est bien un cadavre qui a laissé des traces de sang dans ce drap de lin, et qui en a disparu de manière inexplicable, tandis que se 115 formait par un procédé inconnu son image en négatif à la surface des fibres» (Idem: 22) Les exemples (7), (8), (9) nous permettent de constater que le repérage des boucles néologiques est possible grâce à leur détachement du texte, réalisé soit par des marques typographiques (7), soit par des parenthèses, comme les ajouts explicatifs de (8) et (9). 3. INTÉGRATION TEXTUELLE DES NÉOLOGISMES Comme nous venons de le constater, les néologismes sont souvent signalés textuellement par l’association de guillemets, de caractères typographiques marqueurs ou de changement graphique. Malika Mokeddem a besoin d’un mot d’origine russe pour un contexte français, un mot qui, même transformé par le système latin, reste reconnaissable: « La salle est comble […] Propos confus ou de mauvaise fois de quelques apparatchiks du gouvernement» (Mokeddem 1995: 151). Apparatchik, avec son air néologique, est mentionné par Petit Robert et placé dans les années ’65 « polit. Membre influent du parti communiste ». Les apparatchiks de Malika Mokeddem ne sont pas nécessairement représentants d’un parti de gauche, mais d’un parti du pouvoir présents aux conférences d’une réfugiée algérienne, d’après la guerre de l’indépendance, pour augmenter le capital politique. Nous avons signalé plusieurs fois le traitement des mots étrangers entrés dans le discours littéraire des écrivains étrangers d’expression française avec leurs formes d’origine ou francisés plus ou moins pour effacer les aspérités. Mais ces mots étaient dans la majorité des cas signalés comme « étrangers » par divers moyens, guillemets, changement de caractère typographique par exemple, quelques fois même par deux ou trois stratégies, comme dans la situation du discours de Panait Istrati. Temporellement et spatialement éloigné, le discours de Malika Mokeddem utilise simultanément plusieurs stratégies discursivo-graphiques pour insérer les mots nouveaux. (10) «Le FLN, il a fabriqué des hittistes. Les fissistes les ont rendus azimutés. - C’est-à-dire ? - C’est-à-dire des catastrophes ambulantes. Des kamikazes du malheur.» (Mokeddem 1995: 100) Hittistes est expliqué en bas de page: «ceux qui tiennent les murs. Les exclus» et, en même temps, est signalé à l’aide des italiques; fissistes, dérivé de FIS, nom d’un parti algérien extrémiste, est également signalé typographiquement, mais azimutés est intégré dans le texte, bien que néologisme daté 1937 par le Petit Robert, appartenant au registre familier, «qui est fou, qui a perdu la boussole, l’azimut». 116 Côtoyer longtemps une langue autre permet au français de s’en emparer des mots et de les traiter selon ses propres règles. En échangeant quelques mots avec Kenza, protagoniste du roman Des rêves et des assassins, le personnage Slim affirme à propos de la famille algérienne de sa mère que ses parents: (11) «[…]ont très vite compris qu’ils pourraient profiter d’elle [de sa mère]. - Comment ça ? - Chaque fois, toute la smala d’Algérie nous tombe dessus et nous ruine. Comme elle était pleine aux as, ma mère. Ils s’en foutent qu’elle trime toute l’année. Ils repartent avec des valises et des sacs bourrés de cadeaux.» (Mokeddem 1995: 100) Même sans être expliqué, on se rend compte que smala désigne une famille. Le mot d’origine arabe zmâla a souffert des transformations orthographiques pour s’intégrer dans le discours. Signalé depuis 1872 comme appartenant au registre familier, smala signifie «famille ou suite nombreuse qui vit aux côtés de quelqu’un» (Petit Robert 1977: 1821). Même situation pour les jeunes hommes algériens qui désirent se marier: «Il leur faut l’autorisation et la bénédiction de papa, maman et de toute la tribu pour se marier. Sinon makach !» (Mokeddem 1995: 69). Le texte de Malika Mokeddem propose la forme makach, mais le dictionnaire Petit Robert signale la forme macache, mot de provenance arabe, enregistré pour la première fois en 1861, «emprunté à l'arabe maghrébin s» (TLFi). D’ailleurs, TLFi le traite de vieilli, citant comme source le Nouveau Larousse illustré, Lar. 20e. 4. EN GUISE DE CONCLUSION Nous signalons pour conclure que l’emprunt, forme d’enrichissement néologique, est caractérisé par l’adaptation au code de la langue d’accueil. Le discours analysé dévoile l’existence des mots d’une autre langue récemment entrés dans le lexique français, mots spécialisés pour un certain domaine, surtout technique ou scientifique, d’où la rare présence dans le discours littéraire et la fréquence plus grande dans le discours de vulgarisation. S’ils apparaissent dans le discours littéraire, cela renforce plus d’une fois, l’effet stylistique. Michael Riffaterre affirme l’impossibilité d’analyser la littérarité en dehors d’une description du «fonctionnement du néologisme dans le système qui constitue le texte» (1973: 60). Il continue mettant l’accent sur la singularité du néologisme qui provient d’après lui, «non pas de l’isolement, de la position du néologisme ‘hors contexte’, si on peut dire, mais de la rigueur des séquences sémantiques et morphologiques dont il est le point d’aboutissement ou d’inférence» (Idem). La position du néologisme dans le discours est celle d’un ajout, comme prolongement discursif, mais aussi comme marque de ce qui n’est pas totalement intégré dans le discours. D’où sa tendance à se distancier. Le texte, en tant qu’élément indissociable du discours, va dans la même direction, s’efforçant d’inventer, lui aussi, des frontières. La boucle néologique, que nous venons de signaler sous forme d’ajout tient en même temps du texte et du discours. 117 BIBLIOGRAPHIE Authier-Revuz / Marie-Christine Lala (éds.) (2007): Figures d’ajout. Phrase, texte, écriture, Paris: Presses Sorbonne Nouvelle. Pierre-Marc Biasi / Herschberg Pierrot, Anne / Jacques Neefs (2007): «Ajout et genèse», in Jacqueline Authier-Revuz, Marie-Christine Lala (éds.), Figures d’ajout. Phrase, texte, écriture, Paris: Presses Sorbonne Nouvelle. Cauwelaert, Didier van (2007): Cloner le Christ ? Paris: Albin Michel – Canal+ Charaudeau, Patrick / Maingueneau, Dominique (éds.) (2002): Dictionnaire d’analyse du discours, Paris: Seuil. Fontanier, Pierre (1968): Les figures du discours, Paris: Flammarion. Gardin, Bernard et alii (1974): «A propos du ‘sentiment néologique’», in Langages, no 36: 45-52. Guilbert, Louis (1973): «Théorie du néologisme», in Cahiers de l’Association internationale des études françaises, vol 25: 9-29. Lakhdhar, Amira (2008): «Mots migrateurs de retour», in Synergie Italie, no 4: 5562. Mailat, Maria (2003): La cuisse de Kafka, Paris: Fayard. Marcellessi, Christian (1974): «Néologie et fonctions du langage» in Langages, no. 36, vol 8: 95-102. Mokeddem, Malika (2007[1993]): L’interdite, Paris: Grasset. - (1995): Des rêves et des assassins, Paris: Grasset. Petit Robert (1977): Paris: SNL. Riffaterre, Michael (1973): «Poétique du néologisme » in Cahiers de l’Association internationale des études françaises, vol 25: 59-76. Trésor de la Langue Française, version informatisée, disponible à l’adresse http://atilf.atilf.fr/ , dernière consultation: le 10 juillet 2011. Tsepeneag, Dumitru (1985): Roman de gare, Paris: P.O.L. 118 BREF VOYAGE CULTUREL: LES NOMS PROPRES DANS LE VOCABULAIRE DE LA GASTRONOMIE* Adriana COSTĂCHESCU Université de Craiova, Roumanie Membre FROMISEM 1. INTRODUCTION Le vocabulaire roumain de la cuisine et de la gastronomie constitue une preuve impressionnante de la complexité des contacts culturels que les Roumains ont vécus au cours des siècles. Dans la terminologie de la cuisine roumaine, à côté des termes latins hérités (pâine «pain», grâu «blé», peşte «poisson», vin «vin», aluat, «pâte», …) et des créations lexicales propres, on trouve: - des mots slaves, provenant d’un des quatre strates de cette influence (borş «soupe aigre», povidlă «marmelade de prunes», piroşti «(sorte de) gnocchi», piftie «gelée», colac «gimblette (pain blanc en forme d’anneau)», smântână «crème», drob «plat de viscères d’agneau», …); - des mots turcs (pilaf «pilaf», şerbet «(sorte de) confiture», sarailie «gâteau feuilleté aux noix», telemea «feta», sarma «boulette de viande hachée enveloppée dans une feuille (de vigne, de chou, etc.)», musaca «met de viande hachée et aubergines ou pommes de terre», kebab «kébab», …); - des mots hongrois (gulaş «goulasch», pogaci «galette», papricaş «ragoût au paprika», … ); - des mots grecs (pesmet «croûte de pain râpé», stufat «ragoût d’agneau à oignons et à l’ail», …). Dans une mesure plus réduite, on trouve aussi des plats qui ont des noms qui sont des mots allemands, anglais, espagnols, etc. À présent, le vocabulaire roumain de la cuisine s’ouvre vers des horizons nouveaux, surtout de la cuisine asiatique, grâce non seulement au grand nombre de restaurants chinois mais aussi au fait que certains restaurants proposent des plats japonais, indiens ou indonésiens. Pour illustrer la complexité des contacts historiques dans le domaine de la cuisine nous donnons un seul exemple, celui du bouillon épaissi qui, en Roumanie, constitue traditionnellement l’entrée du déjeuner. Ce met présente trois variétés principales, à savoir: supă (du français soupe, surtout si elle contient de la viande), ciorbă (du turc çorba) si le liquide est aigri, et borş (du russe, ukr. borsc) qui désigne tant le liquide fermenté qui sert à aigrir les bouillons (obtenu par la fermentation du son de blé ou de maïs) que le résultat, donc un bouillon aigri 119 contenant souvent des légumes, mais aussi du poisson ou de la viande. On y ajoute quelques formats autochtones comme fiertură «bouilli» (du verbe a fierbe «bouillir») ou bien zeamă «soupe / sauce longue». Les termes d’origine française occupent dans ce secteur du vocabulaire roumain aussi une place remarquable, tant par le nombre que par l’importance des termes: des mots français comme endive, aspic, entrecôte, béchamel(le), biscuit, blanquette, brioche, bonbon, bouillon, carotte, compote, filé, foursec, pâtée, crème, sauce, roulade, tarte, salade, sauce, etc. sont entrés en roumain, et la liste pourrait continuer avec quelques dizaines d’autres mots. Parfois le nom de certains mets contient un nom propre toponyme ou anthroponyme, qui est lié d’une manière ou d’une autre au plat en question. Quelques-uns de ces mots ont été repris en roumain, langue qui a conservé dans tous les cas leur sens culinaire. Il est clair que la propriété référentielle fondamentale des noms propres, celle de désigner une entité individuelle, se transfère aussi aux syntagmes dont ils font partie. Nous avons concentré notre attention sur ce secteur du vocabulaire des plats et de leur préparation, invitant ainsi le lecteur à un bref voyage culturel car la cuisine est considérée un élément important de la culture de chaque peuple, étant une partie constitutive de son patrimoine non-matériel. Dans ce contexte, la mémoire historique est assez approximative. Dans peu de cas les documents nous ont conservé le nom de «l’auteur», souvent un humble cuisinier, donc une personne du peuple. La manière de préparation du plat étant souvent une manifestation de l’inspiration du cuisinier ou le fruit du hasard, il est extrêmement difficile d’établir qui est l’inventeur réel. Souvent on retrouve plusieurs hypothèses regardant l’origine ou l’auteur de certaines préparations. 2. LES TOPONYMES Les toponymes qui nomment des plats se retrouvent sous deux formes: tels quels ou comme dérivé d’un nom propre sous la forme d’un adjectif, souvent substantivé. 2.1. Les adjectifs dérivés de toponymes FR. sauce béarnaise ou béarnaise < ROUM. sos bearnez En français, béarnais est un adjectif dérivé du toponyme Béarn, qui désigne une province du sud-est de la France. Il est employé comme tous les autres dérivés de ce type, désignant, donc, les habitants ou les personnes nées dans le Béarn (paysan béarnais), les éléments caractéristiques de la zone (coutumes béarnaises, folklore béarnais, mouton béarnais), l’idiome (le patois béarnais), etc. En cuisine l’adjectif, parfois substantivé, désigne un type spécial de sauce, la sauce béarnaise ou simplement la béarnaise, qui accompagne les viandes et les poissons grillés. 120 Pourtant, dans ce contexte, béarnais (ne signifie pas dans la région parisienne, par le chef Collinet, cuisinier au restaurant «Pavillon Henri IV» à Saint-Germain-en-Laye, petit localité près de Paris où se trouve un beau château «originaire ou caractéristique du Béarn», puisque la sauce a été inventée qui, pendant plusieurs siècles, a été résidence royale Louis XIV y est né). L’anecdote dit que la découverte de la sauce a été le fruit du hasard: le 24 août 1837 Collinet a tenté de sauver une réduction d’échalote ratée en y ajoutant du jaune d’œuf. Les clients ont demandé le nom de cette sauce extraordinaire et le cuisinier, regardant le buste d’Henri IV qui se trouvait dans la salle, a inventé le nom «sauce béarnaise», vu que le Béarnais a été le surnom de ce premier roi de France de la dynastie des Bourbons. En roumain, l’adjectif bearnez n’existe pas et tous les syntagmes ci-dessus se traduisent avec din Bearn «du Béarn» (ţăran din Bearn «paysan de Béarn», obiceiurile din Bearn «les coutumes de Béarn», graiul din Bearn «le patois de Béarn»). L’adjectif substantivé bearnez peut se retrouver dans des traductions, par exemples des romans historiques d’Alexandre Dumas-père dédiés aux Valois, pour désigner Henri de Navarre (le futur roi Henri IV de Bourbon). À part cette situation, l’adjectif bearnez se retrouve en roumain seulement comme terme de cuisine, dans le syntagme sos bearnez, traduction de sauce béarnaise, sauce qui a la même recette. Les toponymes entrés dans le vocabulaire français de la cuisine ne sont pas nécessairement des noms de lieux de France, parfois ce sont des noms de villes ou de régions se trouvant à l’étranger. Nous présentons trois exemples de ce type. FR. parmesan – ROUM. parmezan La situation de ce mot ressemble beaucoup à celle de béarnais, dans le sens que c’est un adjectif dérivé d’un toponyme parfois substantivé. Cette fois-ci le toponyme originaire est le nom de la ville italienne de Parme, et le sens fondamental est «de Parme», mais les emplois avec cette acception sont assez rares, comme il résulte d’une recherche statistique sur TLFi, où 21 des 23 occurrences du mot ont le sens culinaire, de «fromage italien à pâte dure, employé surtout râpé». D’ailleurs la première attestation du mot en français, en 1414 (cf. TLFi) dénote le fromage (fromage parmigean), étant un emprunt de l’italien, formaggio parmigiano, spécialité culinaire très ancienne, puisqu’elle figure déjà dans un texte du Boccace. D’ailleurs, certains dictionnaires donnent le sens de «fromage de Parme» comme unique signification du mot (Dictionnaire de l’Académie 9e, Petit Robert, Le Nouveau Littré). Le mot qui désigne en roumain un fromage du même type, parmezan, qui est un emprunt du français, fait incontestable, car un emprunt de l’italien aurait conduit à une forme différente (probablement parmigian). FR. bavarois – ROUM. bavareză L’adjectif dérive du nom d’un land méridional de l’Allemagne, nommé en français Bavière. Comme dans les cas précédents, l’adjectif désigne les personnes 121 nées en Bavière ou qui y habitent, ainsi que toutes les entités qui proviennent de cette zone (l’armée bavaroise, le dialecte bavarois). Comme terme du vocabulaire de la gastronomie, l’adjectif substantivé connaît en français trois emplois. Le substantif féminin, la bavaroise, nom mentionné dans certains dictionnaires comme «vieilli», désigne une infusion de thé et de sirop, sucrée et mêlée avec du lait. Dans le deuxième emploi, le substantif masculin le bavarois est le nom d’un entremets froid, sucré, à base de mousse de fruits. Enfin, la crème bavaroise, originaire de la Suisse, est une mousse collée à la gélatine, éventuellement parfumée d’un alcool. Cette acception a été reprise en roumain, sous la forme d’un substantif féminin: o bavareză. FR. mayonnaise – ROUM. maioneză Le nom de cette émulsion froide, fameuse dans tout le monde, préparée d’huile, de sel, de poivre, de vinaigre, de moutarde et de jeunes d’œuf, ingrédients battus ensemble jusqu’à la consistance d’un sirop épais, a une étymologie très controversée. Selon l’Oxford English Dictionary, la forme initiale du mot a été mahonnaise, la forme actuelle du mot étant due à une erreur d’impressions dans un livre de cuisine de 1841. Si cette observation est vraie, on doit lier le nom de cette sauce à une victoire du maréchal français Louis François Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696 - 1788), fils du petit-neveu du célèbre cardinal de Richelieu, qui a été premier ministre de Louis XIII. Le duc de Richelieu a été vainqueur de la bataille de Minorque (1756), au début de la Guerre de Sept Ans. Cette bataille, navale et terrestre, opposait la France et l’Angleterre pour la conquête de l’île de Minorque, dans les Baléares. La chute de l’île, qui était occupée auparavant par les Anglais, et l’entrée victorieuse du maréchal de Richelieu dans la ville de Port Mahón, capitale de l’île serait à l’origine du nom donné par un cuisinier à la sauce qu’il a dû improviser parce qu’il n’y avait dans la cuisine que des œufs et de l’huile d’olives. Il a créé ainsi une nouvelle sauce qu’il a appelée mahonnaise en honneur de la victoire du duc. Le fait que le mot est attesté seulement en 1806, donc un demi-siècle après la bataille, fait douter de cette hypothèse, qui est pourtant présente dans les dictionnaires Robert, dans le TLFi et dans l’ Oxford English Dictionary. Le dictionnaire Nouveau Littré, en revanche, parle d’une possible altération du mot bayonnaise, qui dérive de la ville française de Bayonne, en Aquitaine. Selon une autre hypothèse encore, la sauce a été nommée mayennaise en honneur de Charles de Lorraine, due de Mayenne (1554-1611), après la bataille d’Arques, en 1589. Il existe deux autres hypothèses à propos de l’origine du nom de cette sauce. Le fameux chef et auteur de livres de cuisine Marie Antoine Carême (17841833) soutient que le substantif mayonnaise dérive de moyennaise, à son tour dérivé du verbe magner ou manier. Prosper Montagné soutient que le nom dérive de moyennaise, vu que moyen signifie en ancien français «jaune d’œuf» (cf. TLFi). 122 2.2. Les substantifs toponymes Un autre moyen morphosyntaxique pour fournir des informations sur le lieu d’origine d’une préparation culinaire est celui d’introduire directement ce nom de lieu à côté du nom de la préparation. FR. crème (à la) Chantilly – ROUM. cremă Chantilly Ce dessert célèbre a une histoire particulièrement intéressante. Le nom dérive du château de Chantilly qui, au temps du Roi Soleil, a été la résidence de Louis de Bourbon, Prince de Condé (1621 - 1686), appelé aussi le Grand Condé. La création de la crème est attribuée, selon certains à tort, au fameux François Vatel (1631- 1671), pâtissier et maître d’hôtel de Nicolas Fouquet et, ultérieurement, du Prince de Condé. Trois événements de la vie de François Vatel ont frappé tant les contemporains que la postériorité, qui a fait de lui un personnage cinématographique. Deux de ces événements sont constitués par l’organisation de deux festins fameux, auxquels a participé le Roi Soleil. Le premier, qui a eu lieu le 17 août 1661, a été organisé par le surintendant de finances Nicolas Fouquet à son château de Vaux-le-Vicomte. Louis XIV, qui avait alors 23 ans et la reine mère, Anne d’Autriche y ont participé et la légende dit que c’est à cette occasion qu’on a servi pour la première fois la crème fouetté et sucré dont nous parlons. Les fêtes et le festin ont été d’un luxe tellement extravagant que Fouquet est tombé en disgrâce et ensuite arrêté; Vatel, son maître d’hôtel, épouvanté, s’est réfugié en Angleterre. Le deuxième événement est lié à un autre festin, donné par le Prince de Condé toujours en honneur au roi, en avril 1671, au Château de Chantilly. À l’occasion de cette fête, qui lie la crème au nom de Chantilly, François Vatel s’est suicidé parce que la livraison de la pêche du jour avait du retard, ce que le maître de cérémonies a considéré une tache indélébile sur son honneur, et cette attitude, quasi de samouraï japonais, est le troisième événement qui a impressionné tant ses contemporains que les générations ultérieures. Le nom de crème Chantilly est enregistré seulement en 1784, quand elle a été servie à la Baronne d’Oberkirch pendant sa visite au Hameau de la reine (Marie Antoinette) dans le parc du château de Versailles. Ce nom a été donné, simultanément, en souvenir de François Vatel et parce que le château de Chantilly était considéré le symbole d’une cuisine raffinée. Le syntagme cremă Chantilly et sa recette se retrouvent dans beaucoup de livres de cuisine roumains. 3.2. Comment exprimer l’origine d’un plat en roumain Quand il s’agit de préciser le lieu de provenance d’un certain plat, en roumain il existe trois possibilités principales: - employer l’expression spécifique empruntée au français: salată à la russe «salade à la russe», ciuperci à la grec «champignons à la grec»; à un certain 123 moment cette procédure a été tellement populaire, qu’on parlait de varză à la Cluj «choux à la Cluj» expression qui, clairement, est une création roumaine. - à présent les syntagmes de ce type sont en concurrence avec ca la «comme à»: varză ca la Cluj «chou comme à Cluj», friptură de iepure ca în Transilvania «rôti de lapin comme en Transylvanie», tocană ca la Abrud «ragoût comme à Abrud»; - employer un adjectif dérivé du toponyme (selon le modèle sauce béarnaise qui se retrouve dans plusieurs langues romanes): borş moldovenesc «soupe (aigre) moldave», ciorbă ardelenească «potage transylvain», supa franţuzească «soupe française», tochitură dobrogeană «hachis de la Dobroudja», cozonac moldovenesc «brioche moldave», etc. 3. LES ANTHROPONYMES Beaucoup d’anthroponymes se retrouvent dans la dénomination de diverses préparations culinaires. Nous avons trouvé deux situations: dans beaucoup de cas, le nom fait allusion à la personne qui a créé la préparation; dans d’autre cas, le nom de la personne incluse dans la désignation est celui d’une personnalité qu’on a voulu honorer. 3.1. Les ‘auteurs’ FR. sauce (à la) Robert - ROUM. sos Robert La sauce (à la) Robert est faite d’oignons hachés, beurre, vin blanc, farine, vinaigre, sel, moutarde et poivre et elle s’appelle ainsi parce qu’elle a été inventée par le cuisinier Robert. Cette sauce a été vantée par Rabelais qui l’a considérée salubre et nécessaire, estimant aussi que son inventeur fait partie de ceux qui ont bien mérité de la patrie. La sauce figure dans la Belle au bois dormant de Charles Perrault (1697) où la Reine Mère, qui est aussi une Ogresse, veut manger sa bru et ses petits-enfants: « […] la Reine Mère envoya sa Bru et ses enfants à une maison de campagne dans le bois, pour pouvoir plus aisément assouvir son horrible envie. Elle y alla quelques jours après, et dit un soir à son Maître d’Hôtel: Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore. – Ah ! Madame, dit le Maître d’Hôtel. – Je le veux, dit la Reine (et elle le dit d’un ton d’Ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je la veux manger à la sauce Robert. » (Charles Perrault, la Belle au bois dormant http://clpav.fr/lecture-belle-bois-dormant.htm) La sauce Robert est entrée dans la cuisine roumaine et certains de nos compatriotes semblent ignorer son origine française. Sur un forum contenant la recette du rôti d’oie à la sauce Robert, un internaute a demandé pourquoi la sauce s’appelle Robert et l’auteur de la recette a répondu qu’elle s’appelle ainsi «du nom de mon ami Robert qui aime ce plat à la folie». (www.reteteculinare.ro/ forum/.../friptura_de_gasca_cu_sos_robert-25...).1 124 FR. bain-marie - ROUM. bain-marie Ce terme ne désigne pas un plat, mais une manière de cuisson «indirecte», car on plonge le récipient contenant les aliments dans un liquide porté à l’ébullition. Le terme existe dans beaucoup de langues européennes, y compris le roumain où le mot est prononcé [bεnmari]. Son histoire est particulièrement intéressante. C’est un terme de chimie et d’alchimie, la méthode étant décrite, semble-til, pour la première fois dans l’Antiquité, par le médecin et mathématicien Hippocrate de Chios (Vème siècle av. J. C.) et, un siècle plus tard, par le naturaliste Théophraste. On attribue la diffusion du terme bain-marie à côté de bain de Marie à l’alchimiste Albert le Grand, au XIIIème siècle. Il existe plusieurs théories sur l’identification de son éponyme. Selon une de ces théories le nom vient de Marie la Juive (IIIème siècle av. J.C.) à qui la tradition attribue l’invention de plusieurs ustensiles de laboratoire. Selon une autre tradition, le nom viendrait de la prophétesse Miriam, nom hébreu de Marie (Exode, XV, 20), sœur de Moïse et d’Aaron et auteur de traités d’alchimie. Une troisième théorie, explique l’apparition du terme par une tentative d’intégration symbolique de la Vierge Marie à la mystique des alchimistes, le nom de Marie succédant ainsi au nom d’Isis de la tradition égyptienne (cf. TLFi et Wikipédia). La première attestation du terme se retrouve en latin médiéval, balneum Mariae au début du XIVème siècle. (cf. TLFi). FR. madeleine - ROUM. madlenă Ce petit gâteau à saveur proustienne est un dessert traditionnel lorrain. Le nom semble provenir de Madeleine Paumier, cuisinière de la marquise Perrotin de Barmond, qui a préparé ce gâteau en 1755. Ce dessert a été offert à Stanislas Leszczynski, ex-roi de Pologne et beau-père du roi Louis XV (TLFi, New Oxford American Dictionary). Selon d’autres, Madeleine Paumier aurait été la cuisinière de Stanislas Leszczynski et le roi Louis XV lui-même a voulu honorer la cuisinière de son beau-père en donnant son nom au petit gâteau. Une autre hypothèse attribue la création de ce gâteau au cuisinier du prince Talleyrand, un certain Jean Avice. Une autre source encore lie la madeleine au pèlerinage de Saint-Jacques-deCompostelle: une jeune fille qui s’appelait Madeleine aurait offert aux pèlerins un gâteau aux œufs moulé dans une coquille Saint-Jacques. 3.3. Les noms en honneur de … FR. sauce (à la) Béchamel ou béchamelle - ROUM. sos Beşamel Cette fameuse sauce blanche, préparée avec du beurre, de la farine et du lait, se retrouve probablement dans la plupart des cuisines européennes contemporaines. Son nom dérive de Louis de Béchamel, marquis de Nointel (1630 - 1703), un fameux gourmet et maître d’hôtel de Louis XIV. 125 Il existe plusieurs suppositions sur la provenance de cette sauce. Selon une de ces théories, à l’origine de la sauce se trouverait une préparation italienne, une sauce toscane à base de crème appelée salsa colla, portée en France par la reine Catherine de Médicis. Cette sauce a été probablement perfectionnée par François Pierre de La Varenne (1618 - 1678), cuisinier du marquis d’Uxelles et auteur du livre Le Cuisinier françois (1651), ouvrage qui marque le passage de la cuisine du Moyen Âge à la cuisine moderne. Il parait que la préparation est arrivée à porter le nom de Louis de Béchamel parce que de La Varenne lui a dédié la sauce, selon une habitude des cuisiniers de l’époque, à savoir celle de dédier une invention culinaire à un représentant de la noblesse. Grâce au grand succès de la sauce, le nom de Louis de Béchamel est devenu célèbre, ce qui a provoqué l’envie de ses contemporains, si on croit à une remarque sarcastique attribuée au vieux duc d’Escars: « Est-il heureux, ce petit Béchamel! J’avais fait servir des émincés de blancs de volaille à la crème plus de vingt ans avant qu’il fût au monde et, voyez, pourtant je n’ai jamais eu le bonheur de pouvoir donner mon nom à la plus petite sauce!» (Anette Smedley-Weill, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995, p. 40, apud Wikipédia en français) Cette phrase est typique pour la mentalité de l’aristocratie avant la Révolution Française: le duc d’Escars considère que le mérite pour une préparation culinaire excellente n’est pas de celui qui l’a faite (dan notre cas le cuisinier de La Varenne) mais de celui qui l’a fait servir, estimant, donc, que la sauce béchamel aurait dû s’appeler «sauce d’Escars»! FR. sauce Mornay - ROUM. sos Mornay Cette sauce est une variante de la sauce béchamel, à laquelle on ajoute du fromage râpé. On débat encore auquel duc de Mornay le cuisinier a dédié la sauce, et Philippe duc de Mornay (1549-1623), gouverneur de Saumur, seigneur protestant, écrivain et diplomate, est le candidat le plus probable. On attribue à ce duc d’autres sauces, comme la sauce lyonnaise, la sauce chasseur, la sauce au porto et même la sauce béchamel (Stradley 2004). Pourtant, la sauce Mornay ne figure ni dans Le Cuisinier françois de la Varenne, ni dans les livres de cuisine du début du XIXème siècle (par exemple Le cuisinier Royal, 10e édition, de 1820). Il est possible, si on prend en considération ces données, que la sauce ait été introduite seulement au XIXème siècle au grand restaurant parisien Le Grand Véfour, sous les arcades du Palais Royal. Si cette hypothèse est vraie, le nom Mornay serait celui de deux gentilshommes très à la mode dans le tout-Paris de Charles X, le marquis de Mornay et son frère, le comte Charles de Mornay. FR. savarin - ROUM. savarină Ce gâteau représente une modification du baba au rhum, introduit en France (en Alsace et en Lorraine) par Stanislas Leszczynski, ex-roi de Pologne ou, 126 peut-être, par son pâtissier, Nicholas Stohrer. Ce dernier a introduit ce dessert à Versailles, quand il a accompagné là Maria Leszczynska, devenue reine de France. L’innovation appelée savarin (abréviation de brillat-savarin) a été créée en 1844 par les frères Julien, pâtissiers parisiens. Ils ont proposé un gâteau en forme de couronne, garni de crème et imbibé d’un sirop de rhum. Ils ont appelé leur invention savarin en honneur de l’écrivain et gastronome français Jean BrillatSavarin (1755-1826), auteur du livre La Physiologie du goût (1825), livre dédié à la gastronomie qui a connu un grand succès. FR. pêche Melba - ROUM. piersici Melba Ce dessert consiste dans une combinaison de pêches et sauce de framboises, avec de la glace à la vanille. Il a été inventé en 1892 par le chef français Auguste Escoffier (1846-1935) du Savoy Hotel à Londres, et présenté à un dîner qui fêtait le triomphe de la cantatrice australienne Nelly Melba dans l’opéra Lohengrin de Wagner à Covent Garden. Selon la légende, la cantatrice, qui habitait à cet hôtel, avait donné à Escoffier des billets pour son spectacle. Pour montrer sa reconnaissance et pour fêter le triomphe, Escoffier a offert offrir un diner, à la fin duquel il a présenté un nouveau dessert, sous la forme d’un cygne sculpté dans la glace qui soutenait les pêches, le cygne faisant allusion à Lohengrin, le Chevalier du Cygne. FR. poires La belle Hélène - ROUM. pere La belle Hélène C’est toujours Auguste Escoffier, «roi des cuisiniers et cuisinier des rois», qui a inventé, en 1864, ce dessert, selon une formule similaire aux pêches Melba (il y a toujours la glace à la vanille et le sirop, seulement les fruits sont le poires). Le nom du dessert a été donné pour célébrer un opéra comique de Jacques Offenbach, représentée dans la même année, qui a comme sujet l’enlèvement d’Hélène par Pâris. L’opéra a connu un succès extraordinaire, ayant 700 représentations de file, fait unique jusqu’alors. ROUM. (prăjitură cu ciocolată) Joffre «gâteau au chocolat Joffre» Nous avons vu jusqu’à présent des situations dans lesquelles des préparations culinaires contenant un nom propre ont été reprises en roumain. Nous avons trouvé aussi un cas contraire, un dessert roumain qui contient un anthroponyme français, à savoir le gâteau au chocolat Joffre. Ce dessert est lié aux célébrations de la victoire à la fin de la Première Guerre Mondiale. Cette guerre a été particulièrement douloureuse pour la Roumanie, car l’armée roumaine est restée seule devant les troupes allemandes et bulgares, en 1917, après le retrait de la Russie de la guerre et la paix de Brest-Litovsk. La Roumanie a été réduite à une petite zone autour de Yassy, le reste du territoire se trouvant sous occupation allemande, y compris notre capitale, Bucarest. La Roumanie a été obligée de sortir de la guerre, qu’elle a reprise seulement en novembre 1918. 127 En janvier 1920, Joseph Joffre, maréchal de France et artisan de la victoire alliée de la bataille de la Marne, est arrivé en Roumanie pour remettre la médaille militaire au roi roumain Ferdinand Ier et la Croix de guerre à la ville de Bucarest. La cérémonie de remise de la Croix de guerre à la ville a été suivie par un banquet. À cette occasion les frères Capşa2 ont créé un gâteau au chocolat qu’ils ont nommé Joffre, en l’honneur du maréchal. Ce petit cylindre rempli de mousse de chocolat, avec un glaçage toujours de chocolat a eu un grand succès, il a plu tant au maréchal qu’aux Roumains, qui continuent à le préparer jusqu’à présent. 4. CONCLUSIONS Le vocabulaire roumain de la cuisine a repris beaucoup de mots et de recettes de la France. Quelques-uns de ces mots se retrouvent seulement dans le vocabulaire de la cuisine – bearnaz, parmezan, bain-marie, savarină, sont quelques exemples. Nous avons constaté que la grande majorité des termes de cuisine contenant un nom propre ont été repris dans d’autres langues aussi – en anglais, en italien, en allemand, en russe, en néerlandais et probablement dans beaucoup d’autres langues encore. Il est intéressant de constater que les emprunts regardent surtout les grandes innovations apportées par la cuisine française dans la manière de se nourrir d’abord en France et, ensuite, dans une grande partie de l’Europe survenue au XVIIème siècle. Le tournant est marqué clairement par le livre de cuisine de François Pierre de La Varenne, publié, comme nous l’avons dit, en 1651. Le livre est plutôt l’expression que la cause du changement, car ce processus se déroulait déjà depuis un certain temps. L’idée fondamentale de cette nouvelle cuisine est celle de retrouver la saveur naturelle des produits. On abandonne l’emploi diffus des épices exotiques caractéristiques de la cuisine du Moyen Âge qui avait comme caractéristique celle de cacher le goût naturel des aliments. Dans la nouvelle cuisine des épices comme la cannelle, le cumin, la maniguette, la muscade, etc. ont été remplacées par les fines herbes locales (laurier, thym, persil). On renonce aussi aux saveurs aigresdouces et on emploie le sucre, qui avait été considéré jusqu’alors une épice, seulement dans les desserts. On introduit dans la cuisine des légumes nouveaux, comme le chou-fleur, l’asperge, le petit-pois, le concombre, l’artichaut. Toutes ces légumes devaient être fraiches et précoces et le poisson, grâce à l’amélioration des transports, devait être très frais aussi, ce qui nous fait comprendre un peu le désespoir de François Vatel, poussé au suicide par l’absence du poisson frais. Le XVIIème siècle marque, dans la cuisine française, un retour à la nature, que notre époque essaie aussi de retrouver. Le slogan de l’époque classique semble être la fameuse phrase de La Varenne : «Quand je mange une soupe aux choux, je veux qu’elle ait goût de choux.» Cette révolution de la manière de préparer les plats s’est constituée peu à peu, en commençant probablement avec la Renaissance. Les nouvelles recettes ont 128 connu un grand succès dans toute l’Europe, étant ainsi une contribution essentielle de la France au patrimoine non matériel de notre continent. NOTES * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. 1 «Sosul se numeşte Robert după numele prietenului meu căruia îi place la nebunie această mâncare». 2 Il s’agit de la fameuse famille Capşa, formée de douze frères. Vasile et Anton Capşa ont ouvert en 1852 une confiserie à Bucarest, qui est devenue ensuite lieu de réunion d’importants écrivains et artistes bucarestois ainsi que de l’élite politique de l’époque. Les frères Capşa ont apporté à Bucarest des produits de confiserie de Vienne et Paris et ils ont introduit les glaces, les bonbons au chocolat et les bonbons fondants. Le cadet des frères, Grogore, élève du fameux confiseur et pâtissier parisien Bélisaire Boisier, a ouvert, avec son frère ainé Constantin, en 1869, le «Café Capşa», avec restaurant et hôtel, dans une rue centrale de Bucarest où il se trouve jusqu’à nos jours (rue Edgar Quinet, à l’angle avec Calea Victoriei). 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Wikipedia, en français, anglais et roumain YD = yourdictionary.com, http://www.yourdictionary.com/ 131 LES AVANTAGES DE LA LEXICOGRAPHIE INFORMATISÉE DANS L’ÉTUDE DES EMPRUNTS 1 LEXICAUX AU FRANÇAIS Elena DĂNILĂ / Marius Radu CLIM / Ana-Veronica CATANĂ-SPENCHIU Institut de Philologie Roumaine „A. Philippide” Académie Roumaine – Filiale Iassy Un objectif actuel des politiques européennes est représenté par la préservation et la valorisation de l’identité linguistique nationale, vu le fait qu’il y a une tendance générale d’utiliser certaines langues privilégiées par le fait qu’elles possèdent des moyens informatisés de se promouvoir. Dans ces conditions, en Roumanie on a commencé à créer des instruments et des ressources électroniques nécessaires pour soutenir la langue et la culture roumaines, dans le contexte de la recherche académique fondamentale. Pendant les dernières années, des lexicographes et des informaticiens ont réalisé quelques projets de recherche communs sur l’informatisation de la recherche linguistique roumaine, d’une part, pour valoriser les ressources existantes par leur acquisition en format électronique et, d’autre part, pour la création de nouvelles ressources et de nouveaux instruments pour le traitement automatique de la langue. Ainsi, on a travaillé pour réaliser une version informatisée du Dictionnaire «Trésor» de la Langue Roumaine, qui représente le plus complexe ouvrage lexicographique créé sous l’égide de l’Académie Roumaine – commencé il y a 105 années. Le Dictionnaire comprend 13 tomes en 37 volumes, totalisant plus de 20.000 pages et plus de 175.000 entrées, y compris les variantes, et se situe, par la conception et par la réalisation, parmi les travaux similaires européens et c'est pourquoi sa digitalisation s'est imposée, en tant qu'une étape normale dans l'évolution de la lexicographie roumaine. Ce qui est spécifique au Dictionnaire de la langue roumaine, du point de vue lexicographique, rapporté à d'autres ouvrages lexicographiques édités sous l'égide de l'Académie Roumaine, est déterminé par son caractère de «trésor», ce qui suppose l'enregistrement et le traitement lexicographique de tous les mots de la langue roumaine enregistrés dans des textes écrits, dans au moins deux styles fonctionnels, à partir des sources écrites, citées sous chaque définition. La première édition du Dictionnaire-trésor de la langue roumaine vient d’être achevée en avril 2010. 132 Même avant l’achèvement de la première édition du Dictionnaire on a réalisé des projets pour trouver une solution pour l’acquisition en format électronique de la variante imprimée de DLR. Jusqu’à présent, dans le Département de Lexicologie – Lexicographie de L’Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide»2, on a finalisé quelques projets: a) Dicţionarul limbii române (DLR) în format electronic. Studii privind achiziţionarea [Le Dictionnaire de la Langue Roumaine (DLR) en format électronique. Études sur l’acquisition], projet financé par le CNCSIS (2003 –2005) – par ce projet on a vérifié et on a démontré la possibilité de transformer Le Dictionnaire de la Langue Roumaine du texte imprimé en texte électronique annoté3, traité à l’aide d’un programme spécifique, DLRex – un instrument d’acquisition, de traitement et consultation du DLR, à partir d’une heuristique par laquelle on reconnaît les différents champs formels du texte d’un article, ayant pour résultat la possibilité d’identifier automatiquement le texte des définitions, des citations et celui des sigles. b) Resurse lingvistice în format electronic: Monumenta linguae Dacoromanorum. Biblia 1688. Regum I, Regum II – Ediţie critică şi corpus adnotat [Les Ressources linguistiques en format électronique: Monumenta linguae Dacoromanorum. Biblia 1688. Regum I, Regum II – édition critique et corpus annoté], (projet CNCSIS 2006 – 2007). Dans ce projet on a trouvé une méthode d’acquisition en format électronique des livres anciens de la Bibliographie DLR4 (en particulier deux livres de la Bible imprimé à Bucarest en 1688, Regum I, Regum II) et la création de certains instruments pour indexer et annoter automatiquement, au niveau du mot, des textes roumains anciens. c) DLRI. Bază lexicală informatizată. Derivate [DLRI. Base lexicale informatisée. Des dérivés] (projet CNCSIS 2007 – 2008). Par ce projet on a étudié un échantillon lexicographique formé des dérivés dans la langue roumaine avec les suffixes -ime et -işte, de la série ancienne DA et de la série nouvelle DLR, l’unification du point de vue des normes lexicographiques des articles de DA et de DLR et l’analyse de cet échantillon en utilisant des moyens informatiques. Fondamentalement, ces démarches de digitalisation de la recherche philologique roumaine visent, d'une part, la réalisation d'instruments informatisés spécifiques à la recherche philologique (des programmes de traitement / analyse automatique du texte écrit / parlé; des interfaces de travail en ligne, nécessaires pour valoriser les ressources crées ou existantes) et, d'autre part, la réalisation des ressources linguistiques digitalisées (des dictionnaires informatisés, des corpus de textes écrits / parlés). Ces démarches ont préparé le terrain pour le projet complexe eDTLR – Dicţionarul tezaur al limbii române în format electronic (eDTLR – Le Dictionnaire trésor de la langue roumaine en format électronique)5. Ce projet national (financé par Le Conseil National du Management des Projets – CNMP, 2007-2010; directeur: prof. univ. dr. Dan Cristea) représente l’un de plus importants projets de type collaboratif des dernières années, qui entremêle l'expérience des linguistes lexicographes et les recherches linguistiques appliquées, assistées par l’ordinateur6. 133 L'initiateur et, en même temps, le coordonnateur est la Faculté d'Informatique de l'Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi; directeur dr. Dan Cristea. Dans le projet se sont impliqués, en tant que partenaires: – les trois instituts académiques qui ont participé à la rédaction du Dictionnaire: – L'Institut de Linguistique «Iorgu Iordan – Al. Rosetti», Bucarest7; – L'Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide», Iaşi8; – L’Institut de Linguistique et d’Histoire Littéraire «Sextil Puşcariu», Cluj9 Napoca ; – les deux instituts académiques spécialisés dans le traitement du langage naturel: – L’Institut de Recherches pour l’Intelligence Artificielle, Bucarest; – L’Institut d’Informatique Théorique, Iaşi; – La Faculté de Lettres, de l'Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi; Dans le projet se sont impliqués, en tant que volontiers, des étudiants, des masterands et des doctorants dans le domaine de la philologie et de l’informatique, de plusieurs facultés du pays. Les principaux objectifs du projet ont été: la réalisation du format électronique Dictionnaire de la langue roumaine, la création d’une archive électronique de textes roumains comprenant toutes les sources dépouillées en vue de l’élaboration du Dictionnaire (donc, qui font partie de la Bibliographie du DLR), la réalisation des liaisons entre le dictionnaire électronique et les sources bibliographiques du celui-ci, organisées en tant que base de données, ce qui permettra des interrogations complexes du Dictionnaire et la continuation des activités d'actualisation et de publication. Donc, la base de données comprendra, d'une part, la version informatisée du dictionnaire actuel, toutes les sources bibliographiques, en format électronique, et, d'autre part, des programmes spécifiques, réalisés dans le projet, des moteurs de recherche, etc. Le Dictionnaire devient, de cette manière, un instrument et une base de données structurée intelligemment, avec des applications salutaires dans l’actualisation des moyens de recherche lexicographique en Roumanie. Pour la réalisation du projet on a établi deux étapes principales: 1. Scanner, OCR10-iser, corriger le Dictionnaire de la langue roumaine (DA + DLR) (approximativement 175.000 pages) et la réalisation du format électronique du Dictionnaire. 2. Scanner, OCR-iser, traiter du point de vue informatique la Bibliographie du DLR et réaliser des liaisons entre le dictionnaire électronique et les sources bibliographiques du celui-ci (approximativement 3000 volumes). eDTLR permet de nouvelles modalités de travail / étude / recherche dans la lexicographie roumaine, en incluant sa perspective computationnelle, il offre la seule modalité moderne de compléter et actualiser le Dictionnaire de la langue roumaine et la possibilité de consulter interactivement le dictionnaire par tout connaisseur de la langue roumaine de Roumanie ou de n'importe où. 134 eDTLR permet des recherches variées qui peuvent être utilisées selon de divers critères – l'étymon, les types de calques, le domaine, la période envisagée, selon le mot «franţuzism» pour pouvoir analyser les emprunts français du point de vue de l'histoire de la langue roumaine, de la première attestation, de l'influence du modèle culturel (voir les traduction), du point de vue statistique, etc. Par ses dimensions, eDTLR se situe à côté des grands dictionnaires d’autres langues romanes (Trésor de la langue française informatisé – TLFi; Diccionario de la lengua española de la Real Academia Española – DRAE, Tesoro della lingua italiana delle origini et d’autres), des dictionnaires de grandes dimensions, qui ont déjà une variante informatisée. Une étape obligatoire qui suit à la digitalisation du DLR est représentée par la réalisation d’un corpus lexicographique qui inclut eDTLR et les autres dictionnaires essentiels de la langue roumaine (dictionnaires anciens et nouveaux, dictionnaires généraux ou «spéciaux» etc.), alignés au niveau de l’entrée. C’est pourquoi on a proposé le projet CLRE. Corpus lexicographique roumain essentiel. Les dictionnaires de la langue roumaine alignés au niveau de l’entrée11. De cette manière, la langue roumaine va se comparer avec les autres langues qui possèdent déjà un corpus pareil: – Le rayon des dictionnaires, http://www.atilf.fr/ – collection de dictionnaires informatisés français, du XVIème jusqu’au XXème siècle; – Nuevo tesoro lexicográfico de la lengua española, http://buscon.rae.es/ntlle/SrvltGUILoginNtlle – base de données qui inclut les versions facsimilées de tous les dictionnaires édités et publiés par la Real Academia Espagnola; – Das Wörterbuchnetz, http://germazope.uni-trier.de/Projects/WBB/ – réseau de dictionnaires de langue allemande, créé à l’Université Trier d’Allemagne, etc.). Le collectif de recherche du projet est formé de: – Elena Dănilă – lexicographe à l'Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide», de Iaşi, directeur du projet; – Marius-Radu Clim – lexicographe à l'Institut de Philologie Roumaine «A. Philippide», de Iaşi; – Ana-Veronica Catană-Spenchiu – doctorant à la Faculté de Lettres, de l’Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi; – Marius Iulian Răschip – doctorant informaticien à la Faculté d’Informatique, de l’Université «Alexandru Ioan Cuza», Iaşi. Le projet CLRE a pour buts: 1. la réalisation d’une base de données qui comprenne les dictionnaires essentiels de la Bibliographie du DLR, alignés au niveau de l’entrée et, partiellement, au niveau du sens (en respectant la loi de la propriété intellectuelle). Pour cela on va scanner et OCR-iser, puis utiliser un parseur pour identifier automatiquement les entrées des dictionnaires scannés et OCR-isés déjà, et, où estil possible, pour identifier le sens dans les entrées des dictionnaires, on va réaliser 135 une interface en ligne pour valider / corriger les résultats du traitement à l’aide du parseur et pour valider l’alignement entre les articles du eDTLR et les articles des dictionnaires de référence de la Bibliographie du DLR. 2. la réalisation des logiciels qui permettent la consultation interactive de ce corpus, qui peut constituer un cadre modern de travail et de recherche lexicographique. 3. la réalisation d'une liste de mots quasi exhaustive, pour la langue roumaine, à partir du corpus aligné. 4. croître la visibilité de l'activité de recherche des professionnels linguistes et informaticiens, dans le domaine de la langue roumaine, pour promouvoir les moyens informatiques de traitement linguistique créés dans le projet par des études ou par des articles publiés dans des revues de spécialité. Dans l'espace de la langue roumaine il y a un premier essai qui est proche á l'idée de notre projet, par le site http://dexonline.ro/, où un nombre de 32 dictionnaires ont été transposés textuellement sur l'Internet, ce qui – á présent – représente un point de départ pour le public intéressé par la langue roumaine. La spécificité de notre projet est représentée par: – le grand nombre de dictionnaires qu'on envisage (environ 100 dictionnaires de la Bibliographie de DLR – 150.000 pages de dictionnaire), qui doivent être inclues dans la base de données et alignées au niveau de l'entrée et, partiellement, du sens; – la perspective historique sur la lexicographie roumaine et, implicitement, sur la langue roumaine qui suppose la sélection des dictionnaires proposée par nous; – le fait que ce qu'on propose est un corpus suivant toutes les normes scientifiques, sa réalisation par une équipe mixte, formée par des linguistes et des informaticiens, et l'évaluation des résultats par des professionnels consacrés dans le domaine, assurant la qualité demandée par les exigences par une recherche compétente et adéquate. Donc, ce que nous nous proposons d'obtenir par l'intermédiaire du CLRE c’est un corpus bien individualisé, supérieur tant du point de vue quantitatif, que du point de vue qualitatif – réalisé sous l'égide de l'Académie – à tous les essais de jusqu'à présent. Dans le corpus on inclura de divers types de dictionnaires (on y présente seulement quelques exemples pour chaque catégorie): – des dictionnaires de type général: le DA = Dicţionarul limbii române, tomes I-II. Bucureşti: Tipografia ziarului „Universul”, Imprimeria Naţională, 1907-1944; le DLR = Dicţionarul limbii române, Serie nouă, tomes VI-XIV. Bucureşti: Editura Academiei, 1965-2010; le DEX = Dicţionarul explicativ al limbii române. Bucureşti: Editura Academiei, 1975; 136 le DEXI = Dicţionarul explicativ ilustrat al limbii române, Auteurs: Dima, Eugenia / Doina Cobeţ / Laura Manea / Elena Dănilă / Gabriela E. Dima / Andrei Dănilă / Luminiţa Botoşineanu. Chişinău: Editurile Arc şi Gunivas, 2007; le MDA = Micul dicţionar academic. Vol. I–IV. Bucureşti: Editura Univers Enciclopedic. Vol. I: A–C (2001); vol. II: D–H (2002); vol. III: I–Pr (2003); vol. IV: Pr–Z (2003); le NDU = Noul dicţionar universal al limbii române. Auteurs: Oprea, Ioan / Carmen-Gabriela Pamfil / Rodica Radu / Victoria Zăstroiu, Bucureşti / Chişinău: Litera Internaţional, 2006. – des dictionnaires auxiliaires: A. de Cihac, Dictionnaire d’etymologie daco-romane. Vol. I. Elements latins, comparés avec les autres langues romanes, Francfort A.-M., Ludolphe St. Goar; Berlin, A. Asher; Bucarest, Socec, 1870. Vol. II. Elements slaves, magyars, turcs, grecs-moderne et albanais, Francfort, Ludolphe St. Goar; Berlin, S. Calvary; Bucureşti: Sotschek, 1879; Alexandru Ciorănescu, Dicţionarul etimologic al limbii române [Ediţie îngrijită şi traducere din limba spaniolă de Tudora Sandru-Mehedinţi şi Magdalena Popescu Marin]. Bucureşti: Editura Saeculum I. O., 2002; *** Dicţionarul ortografic, ortoepic şi morfologic al limbii române [Ediţia a II-a revăzută şi adăugită]. Bucureşti: Univers Enciclopedic, 2005; Florin Marcu, Noul dicţionar de neologisme. Bucureşti: Editura Academiei Române, 1997; – des dictionnaires spéciaux (encyclopédiques ou spécialisés, choisis sur le critère de leur importance pour la perspective diachronique sur la langue): Dicţionar enciclopedic. [Vol.] I: A–C (1993), [vol.] II: D–G (1996), [vol.] III: H–K (2000), [vol.] IV: L–N (2001), [vol. V]: O–Q (2004). [vol.] VI: R–S (2006). [vol.] VII: T–Z (2009). Bucureşti: Editura Enciclopedică; I.-Aurel Candrea / Gh. Adamescu, Dicţionarul enciclopedic ilustrat. Partea I: Dicţionarul limbii române din trecut şi de astăzi par I.-Aurel Candrea. Partea II: Dicţionarul istoric şi geografic universal par Gh. Adamescu. Bucureşti: Editura Cartea Românească, [1926–1931]; Lexiconul tehnic român. I ş. u. Elaborare nouă. Bucureşti: Editura Tehnică, 1957, etc. Dans le projet on utilisera tant des méthodes classiques / traditionnelles (par exemple, la translittération des entrées écrits en alphabet cyrillique ou en alphabet de transition) ou l'étude comparatif, au niveau sémantique des dictionnaires, que de méthodes nouvelles, de lexicographie computationnelle. Les difficultés d’une telle démarche sont liées à la grande quantité de matériel qui doit être traité du point de vue lexicographique informatique et alignés (presque 100 dictionnaires – d’environ 150.000 pages de dictionnaires), à la situation des dictionnaires écrits en alphabet cyrillique ou en alphabet de transition, aux problèmes de copyright dans le cas des dictionnaires plus récents, etc. Il y a aussi des problèmes en ce qui concerne les corpus de textes, en général, des problèmes qui sont liés à: 137 – le financement et l’initiative, ce qui suppose le besoin de raffiner la politique linguistique de Roumanie; – le respect pour la législation concernant la propriété intellectuelle; – sécuriser les informations des corpus; – l’accès du public aux informations. Dans ce dernier cas il y a déjà des solutions proposées – voir, par exemple, la solution du projet GOOGLE BOOKS12 ou, pour la langue roumaine, les solutions du site DACOROMANICA13. L’importance de ce corpus, qui doit être accessible à tous les chercheurs – et non seulement à ceux qui travaillent au Dictionnaire Trésor de la langue roumaine – est indiscutable. Les résultats finaux de ce projet, surtout la réalisation du Corpus lexicographique roumain essentiel, qui inclura un nombre significatif de dictionnaires de la langue roumaine, alignés du point de vue formel et partiellement sémantique, permettront le développement des applications d’envergure sur la désambiguïsation sémantique des mots, la sélection des types d’entrées en vue de l’élaboration de nouveaux dictionnaires spécialisés (thématiques, étymologiques, etc.), la corrélation à d’autres ressources linguistiques ou multimédia, ce qui amènera la lexicographie roumaine au niveau de la lexicographie européenne. Bref, CLRE représente un point de départ pour des recherches futures. L’importance de ce corpus, qui doit être accessible à tous les chercheurs – et non seulement à ceux qui travaillent au Dictionnaire – est indiscutable. En utilisant les ressources offertes par ce projet on peut illustrer maintenant un exemple concret de l’évolution sémantique d’un mot. On va présenter plusieurs acceptions des lexicographes roumains, énoncés tout au long du temps, qu’on considère significatives, concernant la notion du néologisme. Le concept du néologisme a provoqué beaucoup de débats parmi les linguistes qui lui ont donné plusieurs variations sémantiques. La première attestation du terme dans la langue roumaine écrite, selon les N.A. Ursu, se trouve dans l’œuvre de I. Golescu, Condica limbii rumâneşti, le IVe tome, page 184r, publiée en 1830, œuvre considérée le premier dictionnaire explicatif complet de la langue roumaine. Selon le même chercheur le terme apparaisse puis dans quelques traductions du français (par exemple, George Sand, Indiana, traduction de P. Teulescu, Bucarest, 1847 et A. de Lamartine, Moartea lui Socrat, traduction de Gh. Sion, Iassy, 1847). Le XIXème siècle a été «le siècle du néologisme» pour la langue roumaine parce que on a eu les plus divers débats concernant la théorie du néologisme et les plus nombreuses empruntes pour la langue, particulièrement des langues romanes, mais aussi du grec, allemand, hongrois, russe, etc. On peut mentionner ici le premier dictionnaire académique roumain, réalisé par A.T. Laurian şi I.C. Massim et intitulé Dicţionariul limbei romane où les auteurs ont proposé vraiment des néologismes (mots pris du latin et formés selon les moyens internes du roumain) qui n’existaient jusqu’alors dans la langue et plusieurs de ces mots sont présents maintenant dans le vocabulaire courant du roumain. On peut illustrer quelques définitions des dictionnaires importants de ce période: 138 néologisme (s. m.) «neologism, obişnuinţă, nărăvire de a întrebuinţa ziceri nouă, sau de a da zicerilor obişnuite înţelesuri nouă; se ia spre rău» (POENAR– AARON–HILL 1841) neologism (s. n.) «căutare de espresii şi de vorbe nuoe» (NEGULICI 1848) neologism «plecare, patimă de a tot înoi, a reforma (limba)» (STAMATI 1851) neologism «obicinuinţa de a întrebuinţa ziceri expresii noi» (PROTOPOPESCU– POPESCU 1862) neologism «afectaţiune de a se servi cu vorbe noue» (ANTONESCU 1862) «Neologia anunţă o nouă specie de limbagiu, nişte maniere noi de vorbire, invenţiunea sau aplicăţiunea nouă a terminilor. Neologismul înseamnă abuzul sau afectaţia de a se servi cineva cu termini noi, cu expresiuni şi vorbe ridicul întoarse din înţelesul lor natural sau din usul lor ordinar. Gramaticii au tractat altă dată asupra acestei chestiuni dacă e permis să se facă vorbe noue; aceasta preţuieşte mai tot atât ca când am întreba dacă e permis să dobândim nouă idei şi nouă avuţie. Este dar aci o neologie laudabilă, utilă, necesară şi opusă la neologism. Neologia are legile şi regulele sale: cea întâi din aceste legi e de a nu se adăuga în limbă decât aceea ce-i lipseşte, cea întâi din aceste regule e de a urma în formaţiunea nouălor vorbe după capacitatea, analogia şi formele proprii ale limbei. Vorbe deşerte şi de prisos ce nu fac de cât a încărca peste mesură limba cu o abundenţă stearpă; vorbe şi expresiuni pocite şi bizare care deşteaptă ideea barbarismului sunt curat de tot neologism» (CANELLA 1867: 234–235). neologism (s. n.) «căutare, aflare de expresiuni noi, de ziceri noi – se ia cu înţeles rău» (COSTINESCU 1870) neologism «espresione, covent, intorsura, sens sau forma de covent neusitata inco in limba populare» (LAURIAN–MASSIM 1876, s.v. neo-) On remarque aussi une variation orthographique du mot: neologhism, neologhizm, neologizm (voir le DLR). Dans les dictionnaires suivants on va trouver un essai de systématisation théorique, parce que les lexicographes cherchent à éliminer l’ambiguïté sémantique de ce terme et à définir d’une manière plus adéquate le néologisme. neologism «vorbă nouă. Neologismele sunt indispensabile, când denotă un obiect necunoscut, o nouă invenţiune, o idee necesară sau o nuanţă a cugetării; ele sunt superflue, când servesc pur şi simplu a înlocui momentan un termen indigen (tendenţa modei trecătoare sau a presei periodice): astfel sunt numeroasele franţuzisme care abundă în ziare şi în conversaţiunea banală. O categorie specială o formează mahalagismele» (ŞĂINEANU 1929) neologizm «cuvânt nou» (SCRIBAN 1939) 139 neologism «1. Cuvânt nou împrumutat dintr-o limbă străină (în epoca modernă) sau creat recent (prin mijloace proprii) în limba respectivă din acest împrumut. (Restr.) Împrumut lexical recent. 2. Accepţie nouă a unui cuvânt. 3. (Înv.) Neologie» (DEXI 2007) La variation sémantique est visible aussi dans les éditions différentes du même dictionnaire, par exemple: Le dictionnaire des néologismes de Florin Marcu: «cuvânt nou într-o limbă, împrumutat dintr-o limbă străină sau format prin mijloace proprii în limba respectivă» (lingv.) (DN 1961) «cuvânt împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în limba respectivă» (DN2 1966) «cuvânt nou împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în limba respectivă; (p. restr.) împrumut lexical recent» (lingv.) (DN3 1978) «cuvânt nou, împrumutat dintr-o limbă străină sau creat prin mijloace proprii în limba respectivă; (p. restr.) împrumut lexical recent; accepţie nouă a unui cuvânt» (NDN 1997, MDN2 2007). Les acceptions du concept de néologisme dans les dictionnaires roumains présentées ici relèvent l’évolution sémantique, mais aussi l'orthographie et l’orthoépie du mot dans la langue roumaine. Par ces définitions les lexicographes ont illustré tant l’histoire de la perception des linguistes roumains concernant ce concept, que les ambigüités qu’il a générés dans la langue roumaine. Aussi, par ces exemples, on peut remarquer le fait que dans les dictionnaires roumains on ne trouve pas des classifications des néologismes comme dans les autres dictionnaires étrangers. CONCLUSIONS La version informatisée du dictionnaire (eDTLR) et le corpus lexicographique roumain essentiel (CLRE) faciliteront l’étude des emprunts au français du point de vue de leur reflet dans les dictionnaires de la langue roumaine, à partir de plusieurs critères: chronologie, texte / auteur–source, etc. et la comparaison avec la situation des emprunts au français dans d’autres langues européennes. NOTES 1 Cette communication présente les préliminaires d'un projet financé par le Ministère de l’Education et de la Recherche (MEC), par le Conseil National de la Recherche Scientifique de l’Enseignement Supérieur (CNCSIS) de Roumanie, qui s'appelle CLRE: Corpus lexicographique roumain essentiel. Les dictionnaires de la langue roumaine alignés au niveau de l’entrée et du sens (2010– 2013 – cod TE_246). 2 http://www.philippide.ro/pages/lexicografie.html 140 3 Le texte annoté est un texte analysé et marqué du point de vue formel, de sorte qu’il peut être consulté, corrigé, modifié, etc. par les lexicographes, à l’aide de l’ordinateur. On a la possibilité d’extraire du format complet une forme destinée seulement à la consultation, qui s’adresse à un public plus large que celui des experts. Pour des détails, voir Haja/Dănilă/Forăscu/Aldea (2005). 4 Parallèlement, à Bucarest s’est déroulé un autre projet destiné à l’acquisition en format électronique des livres de la Bibliographie DLR, CNR – Corpus de referinţă al limbii române pentru constituirea de dicţionare academice [CNR – Corpus de référence pour la langue roumaine, pour la réalisation des dictionnaires académiques] (projet CNCSIS, 2007-2008). 5 Des informations concernant le projet sont publiées à l’adresse: https://consilr.info.uaic.ro/edtlr/wiki/index.php?title=Despre_proiect 6 Pour des détails sur les méthodes et les outils utilisées dans le projet eDTLR, voir Aldea / Dănilă / Forăscu / Haja (2006); Cristea / Răschip (2008); Cristea / Răschip / Forăscu / Haja / Florescu / Aldea / Dănilă (2007); Curteanu / Moruz / Trandabăţ (2008); Dănilă (2010); Haja (2007); Haja / Dănilă / Clim / Patraş (2009); Haja / Dănilă / Forăscu / Aldea (2005); Haja / Forăscu / Aldea / Dănilă (2006). 7 http://www.lingv.ro/ 8 http://iit.iit.tuiasi.ro/philippide/ 9 http://www.acad-cluj.ro/institut_lingvistica_istorie_literara.php 10 Optical Character Recognition permet la transformation du format image (.jpg, .tiff, .gif etc.) en format texte (.doc, .rtf). 11 Des informations concernant le projet sont publiées à l’adresse: http://consilr.info.uaic.ro/~mraschip/clre/index.php?title=Pagina_principal. 12 Voir la description et les solutions de partager l’information de ce très connu projet à l’adresse: http://books.google.com/intl/en/googlebooks/about.html. 13 DACOROMANICA (http://www.dacoromanica.ro/) – projet réalisé par la Bibliothèque Métropolitaine de Bucarest et la Bibliothèque de l’Académie Roumaine – à présent la plus importante bibliothèque digitale roumaine, accessible en ligne, qui offre un fond de 2000 volumes (environ 1.000.000 pages, 400 images et quelques ressources sonores numérisées), contenant des textes qui couvrent l’intervalle Moyen Age – le début du XXème siècle. DACOROMANICA est un partenaire officiel de la plus importante bibliothèque digitale au niveau européen EUROPEANA (http://www.europeana.eu/portal/). Ainsi, pour certains documents, qui ne se trouvent plus sous l’incidence de la loi du droit d’auteur ou pour lesquels les droits ont été négociés avec les héritiers, l’accès est libre, et pour les documents qui se trouvent encore sous l’incidence de cette loi – ils sont disponibles exclusivement in situ et sans pouvoir être copiés, sur le site étant affichées seulement des métadonnées, la pictogramme et, sélectivement, les 5 premières pages. BIBLIOGRAPHIE = Antonescu, G. M. (1862): Dicţionar rumân. Mic repertor de cunoştinţe generali, coprinzând vorbe streine, cu etimologia, termini technici, numini proprie, notiţiuni historice, ş.c.l., Bucureşti: Imprimeria Naţională a lui Stephan Rassidescu. 1 CANELLA = Canella, C. ( 1867): Vocabular de câteva vorbe sinonime, Bucureşti: Tipografia Naţională. COSTINESCU = Costinescu, Ion (1870): Vocabular româno-frances, lucrat după Dicţionarul Academiei Francese, după al lui Napoleone Landais şi alte dicţionare latine, italiane, etc., Bucureşti: Tipografia Naţională. DA = Academia Română (1913–1937): Dicţionarul limbii române, tom I–II, Bucureşti: Tipografia ziarului „Universul”, Imprimeria Naţională. DEXI = Dima, Eugenia (éd.) (2007): Dicţionarul explicativ ilustrat al limbii române, Chişinău: Editura Arc-Gunivas. ANTONESCU 141 = Academia Română (1965–2010): Dicţionarul limbii române, Serie nouă, tom VI–XIV, Bucureşti: Editura Academiei. DN = Marcu, Florin / Constant Maneca (1961): Dicţionar de neologisme, Bucureşti: Editura Ştiinţifică. 2 2 DN = Marcu, Florin / Constant Maneca ( 1966): Dicţionar de neologisme, Bucureşti, Editura Ştiinţifică. 3 3 DN = Marcu, Florin / Constant Maneca ( 1978): Dicţionar de neologisme, Bucureşti: Editura Academiei. DRAE = Diccionario de la lengua espanola de la Real Academia Espagnola – http://buscon.rae.es/draeI/. OED = Oxford English Dictionary – http://www.oed.com/. DWB = Deutsches Wörterbuch “der Grimm” – http://germazope.unitrier.de/Projects/DWB. LAURIAN–MASSIM = Laurian, A. T. / I. C. Massim: Dicţionariul limbei române. După însărcinarea dată de Societatea Academică Română. Elaborat ca proiect. Tomu I A–H, 1871 [în realitate: 1873 ]; tomul II (colaboratori Iosef Hodosiu şi G. Bariţiu) I–Z, 1876; tom. III: Glosariu, care cuprinde vorbele din limba română străine prin originea sau forma lor, cum şi cele de origine înduioasă, 1871 [în realitate: 1877], Bucureşti: Noua Tipografie a Laboratorilor Români. 2 MDN = Marcu, Florin (2007): Marele dicţionar de neologisme, Ediţia a IX-a revăzută, augmentată şi actualizată, Bucureşti: Editura Saeculum Vizual. NDN = Marcu, Florin (1997): Noul dicţionar de neologisme, Bucureşti: Editura Academiei Române. NEGULICI = Negulici, I. D. (1848): Vocabular român de toate vorbele străbune reprimite până acum în limba română, şi de toate cele ce sunt a se mai primi d-acum înainte, şi mai ales în ştiinţe, Bucureşti: Tipografia Colegiului. POENAR–AARON–HILL = Peonar, P. / F. Aaron / G. Hill: Vocabular franţezoromânesc, după cea din urmă ediţie a Dicţionarului de Academia Franţozească, cu adăogare de multe ziceri, culese din deosebite dicţionare de…, tomul I: A–H, 1840; tomul II: I–Z, 1841, Bucureşti: Tipografia Colegiului Sf. Sava. PROTOPOPESCU–POPESCU = Protopopescu, E. / V. Popescu (1862): Nou dicţionar portativ de toate zicerile radicale şi streine reintroduse şi introduse în limbă, coprinzând şi termeni ştienţifici şi literari, volumul I: A–J, volumul al II-lea: K–Z, Bucureşti, vol. I: Tipografia Toma Teodorescu, vol. II: Tipografia Oprea Demetrescu. SCRIBAN = Scriban, August (1939): Dicţionaru limbii româneşti. (Etimologii, înţelesuri, exemple, citaţiuni, arhaizme, neologizme, provincializme), Ediţiunea întâia, Iaşi, Institutul de Arte Grafice „Presa Bună”. STAMATI = Stamati, Pah. T. (1851): Disionăraş românesc de cuvinte tehnice şi altele greu de înţeles. Întâia ediciune, Iaşi: Tipografia Buciumului Român. DLR 142 = Şăineanu, Lazăr (1929): Dicţionar universal al limbei române, coprinzând: 1. Vocabularul complet al limbei vorbite şi literare, arhaismele culturale, expresiunile idiomatice, neologismele uzuale, accepţiunile cuvintelor în ordinea logică a evoluţiunii lor cu exemple din viul grai şi cu citaţiuni din cei mai buni scriitori români. 2. Terminologia ştiinţifică, artistică şi industrială. 3. Nomenclatura mitologică şi folklorică. 4. Etimologia vorbelor populare. 5. Vocabular general biografic, geografic şi istoric cu privire specială la România şi la ţările locuite de români. A şeasa ediţiune, Revăzut şi adăogit la Ediţia VI-a, Craiova: Editura „Scrisul Românesc”. TLFI = Le Trésor de la Langue Française Informatisé – http://atilf.atilf.fr/ . TLIO = Tesoro della lingua italiana delle origini – http://tlio.ovi.cnr.it/TLIO/index2.html . Aldea, Bogdan-Mihai / Elena Dănilă / Corina Forăscu / Gabriela Haja (2006): «Dicţionarul limbii române (DLR) în format electronic. Aplicaţii», in Dănilă, Elena / Ofelia Ichim, Florin-Teodor Olariu (éds.), Comunicare interculturală şi integrare europeană. Iaşi: Editura Alfa, 7–17. Cristea, Dan / Marius Răschip (2008): «Linking a Digital Dictionary onto Its Sources», in Marko Tadic / Mila Dimitrova-Vulchanova / Svetla Koeva (eds.), Proceedings of the Sixth International Conference Formal Approaches to South Slavic and Balkan Languages (FASSBL, Dubrovnik, Croatia, September 25–28, 2008). Zagreb: Croatian Language Technologies Society – Faculty of Humanities and Social Sciences, 50–52. 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Torino: Italy, september 2006. 144 LES MOTS FRANÇAIS EN -EUR (-EUSE) / -AIRE EN ANGLAIS CONTEMPORAIN: EMPRUNT ET CRÉATION LEXICALE Elodie DESCLOUX / Pierre FOURNIER / Marjolaine MARTIN / Sophie VANHOUTTE Laboratoire Ligérien de Linguistique (E.A. 3850)/ Université de Tours, France INTRODUCTION Les emprunts au français en anglais représentent une proportion non négligeable de son lexique. La présente étude propose de s’intéresser à quelques 300 d’entre eux: les mots qui se terminent par -eur (-euse) et par -aire. Notre approche se situe au croisement des théories lexicographiques et phonologiques. Nous présenterons en premier lieu le contexte historique des phénomènes d’emprunt de ces mots. Ensuite nous nous intéresserons à la méthode utilisée pour la mise en place de notre corpus. Enfin, nous proposerons une analyse approfondie des phénomènes lexicogéniques et accentuels qui caractérisent ces éléments. 1. LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS EN ANGLAIS 1.1. Perspectives historiques En 1066, Guillaume Duc de Normandie, cousin du défunt roi d’Angleterre Édouard le Confesseur, attaqua l’Angleterre pour faire valoir ses droits sur le trône. Il comptait parmi ses ancêtres des Vikings scandinaves qui avaient descendu la Seine sur des drakkars aux IXème et Xème siècles et s’étaient installés en Normandie. Il devint roi après sa victoire sur Harold II lors de la bataille de Hastings. L’influence française dans les hautes sphères de la société anglaise existait déjà en 1066. Mais cette fois-ci, l’aristocratie anglo-saxonne dut laisser place à une élite normande. Cette dernière avait perdu la langue scandinave au profit d’un dialecte du français, le franco-normand1. Le français devint donc une langue de prestige, alors que l’anglais était une langue vernaculaire2 parlée par la majorité de la population. L’année 1066 avait donc marqué le début d’un bouleversement social et linguistique avec l’introduction, dans une société soumise à l’influence germanique, d’une langue romane. Il faudra néanmoins attendre de nombreuses 145 années avant que les changements linguistiques ne soient véritablement ancrés dans la langue et marquent le passage du vieil anglais au moyen anglais. La situation changea en 1204, lorsque le roi Jean d’Angleterre entra en conflit avec le roi Philippe de France et dut abandonner la Normandie par décret. Les liens entre la couronne d’Angleterre et la France furent donc rompus. Les nobles perdirent leurs terres et l’hostilité entre les deux pays alla croissant, pour trouver son apogée durant la guerre de Cent Ans (1337-1453). La déstabilisation qui s’ensuivit modifia considérablement la situation linguistique. Le sentiment d’appartenance nationale se faisait jour en Angleterre, tandis que la population d’origine normande se mêlait à la population anglaise. L’anglais devint progressivement la langue officielle du pays. Le XIVème siècle vit le triomphe définitif de l’anglais: la littérature fut de plus en plus écrite en langue anglaise et l’anglais fut désormais utilisé dans l’administration. C’est en 1362 que l’on employa pour la première fois l’anglais au Parlement3. 1.2. Conséquences linguistiques La période de domination française (XIème – XIIIème siècles) se traduisit par de nombreux emprunts au français (10 000 mots environ). Les mots empruntés, qui étaient marqués par les préoccupations d’une élite riche et cultivée, avaient trait à l’administration, à la justice, mais aussi à la médecine, à l’art et à la mode. Les trois quarts de ces mots sont encore en usage aujourd’hui. L’anglais restait la langue populaire, pour laquelle il n’existait pas de norme. Le latin, qui était la langue de l’érudition, demeurait la référence en matière de langue écrite. C’est à partir du XIIIème siècle que naquit le concept d’anglais standard et que l’on commença à faire la distinction entre la forme standard d’expression et les formes régionales ou populaires. Pourtant, l’anglais n’était pas sans rival puisque le latin, qui restait la langue du savoir et de la communication internationale, jouissait toujours d’un grand prestige. Durant la période moderne, si la structure de la langue a connu peu de modifications en comparaison des siècles qui l’ont précédée, la création lexicale a, en revanche, connu une expansion nouvelle. En effet, la Renaissance fut l’époque de l’intérêt retrouvé pour les auteurs anciens, celle aussi de nombreuses découvertes scientifiques, du rayonnement artistique et de l’exploration du monde lors d’expéditions lointaines. Les conséquences sur le langage ne tardèrent pas à se faire sentir, car le manque de mots pour exprimer les concepts nouveaux conduisit à la recrudescence des emprunts, surtout au latin et au grec, mais aussi au français, à l’italien, à l’espagnol, au portugais et à d’autres langues encore. Ainsi, les deux corpus utilisés dans le cadre de cette étude (mots terminés en anglais par -aire et par -eur/-euse) comprennent principalement des termes empruntés au français depuis la Renaissance jusqu’à la fin du XIXème siècle ou le début du XXème siècle. Beaucoup de ces emprunts ont trait à des domaines aussi variés que l’administration, l’économie, le monde militaire, la religion, la médecine, l’alimentation, l’art, la mode, ou encore l’amour. C’est déjà pour 146 enrichir les mêmes champs lexicaux que l’anglais avait eu recours à l’emprunt au français du XIème au XIIIème siècles. Il ne faudrait pas conclure trop rapidement que l’anglais ne possédait pas dans ses ressources propres la capacité à nommer certains concepts. D’ailleurs, des mots d’origine romane et germanique coexistent aujourd’hui, avec des sens plus ou moins différents, comme chasseur et hunter. Le terme d’origine romane possède alors souvent une connotation sinon savante, du moins éduquée, et son usage est plus restreint (dans l’exemple cité, il s’agit de l’art culinaire dans l’expression à la chasseur). Notons qu’il arrive que les termes du doublet soient tous deux d’origine romane, mais empruntés à des moments différents (par exemple dancer et danseur). Les emprunts n’étaient évidemment pas la seule façon pour l’anglais d’étendre son lexique, les sources internes furent également utilisées: adjonction d’affixes, recours à la conversion. En conséquence, à partir de la Renaissance, l’anglais commença à apparaître comme une langue véritablement «hybride»: il n’était pas simplement «émaillé» de mots d’origine étrangère, mais ces mots étaient si bien intégrés à la langue qu’on pouvait leur adjoindre un préfixe ou un suffixe germanique (ex. undoctrinaire). De même, des affixes d’origine latine (tels que les suffixes -aire et -eur/-euse) pouvaient désormais être utilisés avec des radicaux germaniques (ex. thousandaire). 1.3. Exemples tirés du corpus Les exemples cités sont suivis de la période à laquelle l’Oxford English Dictionary (OED) atteste leur première utilisation dans la langue anglaise. - - Registre financier: beneficiaire, millionaire et numeraire (première moitié du 19ème siècle), Registre administratif: secretaire et rapporteur (14ème siècle), notaire (15ème siècle), procureur (fin du 16ème siècle), militaire (17ème siècle), commissaire et propriétaire (18ème siècle), legionnaire et communautaire (19ème siècle), protocolaire (20ème siècle), Registre religieux: pensionnaire (14ème siècle dans le sens de person who receives a pension), reliquaire (17ème siècle), confessionaire (18ème siècle), Registre guerrier: tirailleur (fin du 18ème siècle), voltigeur et sabreur (19ème siècle), torpilleur (20ème siècle), Registre artistique: amateur, prosateur et litterateur (fin 18ème – début 19ème), danseur/danseuse et art connoisseur (19ème siècle), auteur et porteur (20ème siècle), Registre de la santé: valetudinaire (17ème siècle), malade imaginaire et accoucheur (18ème siècle), poitrinaire et masseur (19ème siècle), milieu interieur et main d’accoucheur (20ème siècle), Registre de l’alimentation: traiteur, primeur et restaurateur (18ème siècle), bon viveur (19ème siècle), croque-monsieur et vin d’honneur (20ème siècle), 147 - Registre de la mode et de la beauté: capillaire (18ème siècle), tricoteuse, causeuse et coiffeur (19ème siècle), tailleur, charmeuse, poudreuse et luminaire (20ème siècle), Registre de l’amour: affaire de cœur (19ème siècle), grande amoureuse (20ème siècle), Registre des idées: raisonneur, doctrinaire et solidaire (19ème siècle). 2. CONSTITUTION DU CORPUS 2.1. Mots en -eur (-euse) / -aire Les mots choisis pour notre étude sont d'origine romane. Dans ses travaux, Lionel Guierre, phonologue français, spécialiste de la morphophonologie de l’anglais, a mis en évidence que les emprunts contenant ces terminaisons tendent à être accentués sur la syllabe finale. Ce comportement n’est pas typique des mots de l’anglais qui présentent généralement, du fait de la logique germanique, leur accent primaire à gauche. Ceci est en partie lié au fait que: «The stress systems of Romance languages share a feature which is the exact opposite of the stress systems of Germanic languages: stress is determined from the end of words (or tone units) rather than from their beginning.» (Fournier 2007: 228). En outre, considérant les langues comme des systèmes, il nous semble que, comme selon Tournier: «dans la plupart des cas, l’emprunt subit un processus d’adaptation qui tend à l’assimiler au système linguistique de la langue emprunteuse. Cette assimilation concerne le signifiant (graphique et phonique), les flexions et le contenu sémantique du mot.» (1993: 148) Notre étude vise à analyser ces indices étymologiques et accentuels nous permettant d’associer ces items aux langues romanes et à voir dans quelle mesure il existe d’autres éléments pouvant témoigner du degré d’intégration de ces emprunts au système de la langue anglaise. 2.2. Les sources Nous avons effectué un relevé dictionnairique complet dans les sources décrites ci-dessous, seuls les quelques noms propres présents dans la première extraction ont été écartés. L’Oxford English Dictionary (OED) Ce dictionnaire est un ouvrage de référence pour les anglicistes qui a été fondé en 1857 et comporte environ 600 000 entrées. Pour chaque emprunt considéré nous avons relevé: l’étymologie, l’origine du mot, la date de première apparition dans la langue, le sens, la catégorie syntaxique, la prononciation et l’accentuation lorsqu’elle était indiquée. Notre travail traitant de l'anglais 148 contemporain, nous n’avons pas pris en compte les mots répertoriés comme obsolètes. Le Longman Pronunciation Dictionary (LPD) Cette ressource est un dictionnaire de prononciation élaboré par le phonologue Daniel Jones. Dans cet ouvrage sont données, pour les variétés de l’anglais britannique standard et de l’anglais américain standard, les prononciations principales et leurs variantes. Il comprend 135 000 entrées, les catégories n’étant fournies que de façon sporadique (essentiellement en cas de mots pluricatégoriels). La version que nous avons utilisée dans notre étude est la troisième édition, publiée en mars 2008 et éditée par Wells. Le Cambridge English Pronouncing Dictionary (EPD) Au sein de ce dictionnaire, nous retrouvons le même type d’informations que dans LPD. Cet ouvrage compte 80 000 entrées et la version à laquelle nous avons eu recours est la 17ème édition. Le Macquarie Dictionary (MD) Il s’agit d’un dictionnaire d’environ 300 000 entrées qui recouvre l’ensemble des mots et expressions usités en Australie. Nous nous sommes servis de cette ressource pour compléter notre liste d’items, mais également pour approfondir notre recherche sémantique en confrontant les données de MD à celles de OED. MD nous a permis, tel OED, de pouvoir affiner nos informations en termes de catégories, systématiquement présentes dans notre relevé pour chaque entrée. 2.3. Les chiffres Notre corpus brut présentait 301 mots, 214 en -eur (-euse) et 87 mots en aire. De ce corpus nous avons retiré 4 noms propres, ce qui nous laisse dès lors 168 mots en -eur, 42 mots en -euse et 87 items en –aire, soit un total de 297 mots. Nous avons choisi de travailler à partir de sources très complètes (ie. OED), pourtant le nombre d'items relevé peut paraître relativement restreint. Il nous semble que ceci est directement lié à l'existence d'une concurrence suffixale entre la langue source et la langue cible. 2.4. La concurrence suffixale Par concurrence suffixale, nous entendons qu’il existe en anglais des suffixes équivalents aux suffixes français -eur, -euse et -aire: -er, -or, -ess, et -ary. Quelles sont les différences sémantiques marquées par l’utilisation d’une forme ou d'une autre? Le terme arbitrageur connaît un équivalent arbitrager, de même que claqueur connaît un équivalent claquer. Ces paires ne montrent pas de différences sémantiques notables. Il en est de même pour la paire pudeur / pudor. Le terme repetitor est restreint au sens de tuteur universitaire, tandis que celui de répétiteur recouvre en plus de ce dernier, le sens qu’on lui connaît en 149 français, à savoir la personne en charge des répétitions dans les domaines artistiques. A l’inverse, dans le cas de la paire poseur / poser, c’est le suffixé en -eur qui revêt un sens plus restreint: il renvoie uniquement à une personne qui prend une pose, alors que poser désigne également un examinateur. Le cas de la paire railleur/railler a retenu notre attention pour une autre raison puisque, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, c’est le terme suffixé en -er qui est tombé en désuétude. En ce qui concerne -aire, 42 cas de concurrence suffixale avec -ary sont attestés. Une recherche avancée dans OED répertorie 1791 termes qui se terminent en -ary. Cet écart démontre que la conservation du suffixe -aire en anglais correspond à des besoins sémantiques. Une différence sémantique apparaît nettement entre les emprunts et les suffixations d’origine germanique. Ainsi, militaire renvoie à un soldat français tandis que military fait référence au domaine militaire et à l’armée en général. Dans le cas de pensionnaire/pensionary, le terme en -aire renvoie soit à un étudiant de Cambridge soit à une personne versant une pension. 3. ANALYSE LEXICOGRAPHIQUE L'apparition de ces termes en anglais relève d'un doule mouvement : un phénomène d'emprunt direct et un processus de création lexicale. 3.1. Les emprunts directs 3.1.1. Les mots en -aire La majorité des termes en -aire en anglais contemporain provient d’emprunts directs au français. Sur les 87 termes attestés, 70 sont ainsi empruntés à la langue française, sans modification de la catégorie grammaticale, et avec des changements sémantiques rares et très localisés. L’estimation de la date de l’emprunt est rendue possible grâce à OED qui répertorie les dates de première occurrence des termes en anglais. La répartition des emprunts par siècle d’apparition au sein de la langue anglaise débouche sur les résultats suivants: 20ème siècle 9 19ème siècle 18ème siècle 17ème siècle autres non-précisé 4 Tableau 1: Répartition des dates de première occurrence des 70 emprunts directs en -aire selon les siècles 20ème siècle 19ème siècle acquis communautaire, claire, extraordinaire, funiculaire, luminaire, musée imaginaire, praire, protocolaire, undoctrinaire affaire, ambulacraire, beneficiaire, calcaire, celibataire, cessionaire, communautaire, concession(n)aire, cordon sanitaire, 150 18ème siècle 17ème siècle Autres doctrinaire, laissez-faire, legionnaire, milliardaire, millionaire, multimillionaire, nécessaire, numeraire, ordinaire, parlementaire, poitrinaire, questionnaire, réseau ordinaire, retardataire, revolutionaire, savoir faire, scène à faire, sepiostaire, sociétaire, solidaire, stationnaire, tout au contraire, vin ordinaire capillaire, commissaire, commissionaire, confessionnaire, maire, malade imaginaire, militaire, mousquetaire, proletaire, propriétaire, secretaire, solitaire elaire, reliquaire, valetudinaire debonnaire (1230), mainfaire (1400), notaire (1474), pensionnaire (1598) Tableau 2: Liste des 70 emprunts directs au français en -aire attestés en anglais contemporain Les emprunts au français sont principalement concentrés sur la période du 19ème siècle. Cette activité se ralentit ensuite au 20ème siècle, en raison d’un processus de reconnaissance suffixale et de création lexicale, preuve de l’autonomie du suffixe en anglais. Les emprunts directs sont principalement des suffixés en -aire renvoyant à son sens de base « qui est caractérisé par » le premier élément, en l’occurrence la base française à laquelle est accolé le suffixe -aire. Les exemples suivants sont particulièrement révélateurs: doctrinaire (doctrine), legionnaire (légion), confessionnaire (confession). Les emprunts investissent toutes les sphères sémantiques du vocabulaire anglais, avec un penchant pour les domaines artistiques, juridiques et militaires. Le cas de undoctrinaire, cité précédemment, mérite de plus amples explications. En effet, l’emprunt concerne doctrinaire, qui subit une préfixation en un-, affixe d’origine germanique. Cet adjectif illustre parfaitement le caractère hybride de la langue anglaise, avec des emprunts d’origine romane, dont l’intégration à la langue anglaise déclenche l’application des processus lexicogéniques propres à l’anglais. 3.1.2 Les mots en -eur/-euse Sur les 210 termes en -eur/-euse de notre corpus, 193 sont des emprunts directs au français. Les conclusions que nous pouvons en tirer sont sensiblement équivalentes à celles dégagées de l’observation des termes en -aire. Les emprunts sont principalement concentrés sur la période du 19ème siècle, avec un net ralentissement du processus lors du 20ème siècle. Cependant, l’emprunt ne constitue pas la principale source d’apparition des termes en -aire, -eur et -euse en anglais. Un certain nombre d’entre eux sont issus d’un phénomène de création lexicale. 3.2. Création lexicale 3.2.1 Reconnaissance suffixale et productivité lexicale Le recours à l’emprunt au cours de l’histoire de l’anglais a une conséquence non négligeable sur les processus lexicogéniques de cette langue. Le 151 terme emprunté à la langue source est incorporé de façon globale à la langue cible. En d’autres termes, la structure morphologique du terme est opaque, car régie par des mécanismes lexicogéniques propres à la langue source, en l’occurrence le français. En revanche, devant l’afflux considérable d’emprunts, la sensibilité des locuteurs anglais aux mécanismes morphologiques du français s’accroît, au point de reconnaître l’existence des suffixes -aire, -eur et -euse, tout en conservant le sémantisme issu du français. Ainsi, ces suffixes deviennent productifs en anglais, et permettent de former des substantifs ou des adjectifs. La particularité de ces suffixes est qu’ils sont concaténés à des bases d’origine romane ou germanique. Ce processus de création lexicale est particulièrement intéressant puisque la productivité des suffixes français sur des bases romanes ou germaniques voit émerger des termes non attestés en français, mais dont le sens est déductible. De plus, la concurrence intra-matricielle au sein de la suffixation implique que l’émergence de ces suffixes en anglais relève d’un choix délibéré. En effet, nous avons montré précédemment que les suffixes français ont des équivalents sémantiques en anglais (-ary et -er/-or…). Par conséquent, la productivité des suffixes d’origine française en anglais contemporain est liée à des besoins lexicosémantiques. Les sous-parties suivantes sont consacrées aux créations lexicales attestées en anglais contemporain concernant les suffixes -aire, -eur (-euse). 3.2.2 Les créations en -aire 17 termes en -aire attestés en anglais contemporain sont le fruit d’une création lexicale. En revanche, les mécanismes de formation à l’œuvre sont différents. Le premier constat au regard de ces créations est que le suffixe -aire semble peu productif en anglais. La question découlant logiquement de ce constat est la suivante: a-t-il acquis une réelle reconnaissance suffixale en anglais? Les trois adjectifs suivants semblent indiquer que c'est effectivement le cas: thousandaire (thousand + -aire) 1896 = «qui a mille livres» (monnaie anglaise) opinionnaire (opinion + -aire) 1939 = «document qui regroupe les opinions» pillionaire (pillion + -aire) 1931 = «personne qui chevauche le siège arrière d’une moto» Ces trois créations sont particulièrement intéressantes, à plus d’un titre. Tout d’abord, elles démontrent un potentiel de productivité du suffixe -aire en anglais. De plus, l’étymologie diverse des bases démontre qu’il est actif aussi bien sur des bases romanes (opinion) que sur des bases germaniques (thousand). Enfin, le potentiel humoristique de ces créations en -aire émerge de pillionaire. Ce trait humoristique est confirmé par l’observation des 14 créations restantes, qui entretiennent un lien sémantique commun: bazillionaire, bimillionaire, billionaire, demi-millionaire, gazillionaire, megamillionaire, multibillionaire, narco-billionaire, oilionaire, quadrillion(n)aire, squillionaire, trimillionaire, trillionaire, zillionaire 152 Le rapport sémantique avec l’argent est évident au vu de la liste ci-dessus. Pour être plus précis, tous ces termes se rapportent à millionaire. L’emprunt de millionaire a débouché sur la création de tout un champ sémantique en relation avec la notion de «millionaire», et dont les mécanismes de formation relèvent de processus distincts. Ainsi, millionaire subit une préfixation dans les cas de bimillionaire, mega-millionaire, trimillionaire et demi-millionaire. L’équivalent anglais billion du français milliard est aussi utilisé comme base permettant de générer billionaire et multibillionaire. En revanche, la détermination des processus lexicogéniques des autres termes est plus difficile à déterminer. Les substantifs suivants sont attestés en anglais, et supposent donc un processus de suffixation en aire: bazillion, gazillion, quadrillion, squillion, zillion. Les substantifs ci-dessus ont un sens équivalent et renvoient à une très grande quantité. Ces suffixations en -aire en anglais sont perçues comme des formations humoristiques obtenues à partir du fonctionnement morphologique de millionaire, et relatives à d'importantes sommes d’argent. La formation narcobillionaire relève elle d’un phénomène de composition et fait référence à une personne devenue riche par l’intermédiaire du trafic de stupéfiants. Cependant, le cas de oilionaire met à mal l’hypothèse de la suffixation en -aire. En effet, il s’agit d’une formation amalgamée construite de la façon suivante: oil + -ionaire (troncation antérieure de millionaire). Il s’avère en réalité que les 14 formations relatives à la notion de «millionaire» sont des amalgames formés à partir de -ionaire. Cette hypothèse semble la plus pertinente pour déterminer le processus lexicogénique à l’œuvre puisque le suffixe -aire ne peut véhiculer à lui seul le sémantisme de «millionaire». Or, rien ne renvoie non plus à ce champ sémantique dans les substantifs bazillion, gazillion, zillion… La seule possibilité est donc de les conceptualiser de la façon suivante: bazill(ion) + -ionaire gazill(ion) + -ionaire zill(ion) + -ionaire… Les créations en -aire en anglais contemporain concernent donc principalement des formations amalgamées obtenues à partir de l’interaction de la base avec -ionaire. Les termes en -eur et -euse créés en anglais mettent en évidence un fonctionnement similaire. 3.2.3 Les créations en -eur/-euse L’observation des créations lexicales en -eur et -euse est plus complexe que dans le cas de -aire. D’une part, le corpus est plus conséquent, mais d’autre part, beaucoup de termes ont un sens altéré après l’emprunt. Par conséquent, des substantifs tels que couleur, coureur et diseuse sont empruntés au français mais adoptent un sens différent en anglais. Ainsi, couleur ne renvoie qu'à la couleur rose, tandis que coureur ne concerne que les coureurs évoluant dans les bois. Enfin, diseuse fait référence, en anglais, à une actrice spécialisée dans les monologues, tandis que le terme français renvoie à une voyante. Ces phénomènes de transfert 153 sémantique vis-à-vis de la langue source constituent des voies à explorer qui feront l'objet de recherches futures. De la même façon les modifications de genre qui interviennent dans la langue réceptrice ne semblent pas prédictibles. Les 17 créations en -eur (-euse) relèvent de trois processus distincts. Le premier phénomène permettant de générer des termes en anglais est la composition: art connoisseur, delusions of grandeur, hunt saboteur, hunt saboteuse, physicianaccoucheur, pot-et-fleur, rank amateur, surgeon-masseur Ces huit composés adoptent une structure similaire. Seul pot-et-fleur est formé à partir de deux éléments d’origine française, tandis que les sept autres représentent des compositions hybrides avec un élément d’origine française associé à un élément d’origine germanique. La particularité de ces composés réside également dans le type de composition adopté: la composition de type roman (N1 de N2) est minoritaire vis-à-vis de la composition de type germanique (N2 N1). Les trois créations suivantes correspondent à des suffixations: restauranteur, strippeuse, stripteuse. Le terme restauranteur est une alternative au substantif restaurateur en anglais contemporain, mais le recours à la fréquence démontre dans la partie suivante qu’il est comparativement peu utilisé. Les substantifs strippeuse et stripteuse renvoient au sémantisme de stripteaseuse tout en se construisant à partir de bases anglaises. Enfin, le processus de création atypique repéré en anglais concerne, comme dans le cas des créations en -aire, des formes amalgamées, qui sont au nombre de six: infopreneur, intrapreneur, netpreneur, netrepreneur, shamateur, technopreneur. Le cas de shamateur est isolé puisque sa création correspond au verbe sham qui signifie «faire semblant», et à une troncation antérieure de amateur. Le terme renvoie à un sportif professionnel qui concourt dans les compétitions amateures dans le but de gagner de l’argent. La constitution morphologique des cinq autres formes amalgamées est réductible à la relation suivante: X- + (ent)(re)preneur infointranettechno- Le terme entrepreneur subit une troncation antérieure. Ces cinq substantifs correspondent à des créations basées sur l’émergence de concepts liés aux nouvelles technologies: info(rmation) + (entre)preneur intra- (préfixe) + (entre)preneur 154 (inter)net + (entre)preneur (inter)net + (ent)repreneur techno(logy) + (entre)preneur Cette analyse morphologique et lexicographique a démontré que la productivité des suffixes -aire, -eur et -euse est extrêmement réduite. La présence en anglais contemporain de suffixes concurrents, d’origine germanique et possédant un sémantisme moins marqué explique cette faible productivité. Néanmoins, la présence de formes amalgamées répond à des besoins lexicographiques précis : l’émergence de nouvelles industries et la notion d’argent dans le cas de -aire (en dehors de son caractère humoristique). Elle provoque l’apparition de formes atypiques en anglais, formes hybrides intégrant une dimension sémantique du français, alliée à des processus lexicographiques propres à l’anglais. La prochaine partie vise à apporter un éclairage phonologique à ces problèmes d’ordre lexicographique et morphologique. En effet, il convient tout d’abord d’observer la fréquence d’apparition de ces créations en anglais, afin de déterminer si ces formes amalgamées ne correspondent pas à de simples pulsions ludiques. De plus, l’accentuation de ces termes pourrait également être riche d’enseignements. Conservent-ils les propriétés phonologiques de la langue d’emprunt ou adoptent-ils les caractéristiques de la langue réceptrice? 4. ECLAIRAGE PHONOLOGIQUE Nous avons souhaité compléter notre corpus par des données fréquentielles: les dictionnaires nous ayant permis de réunir une liste d'emprunts, sinon exhaustive, tout du moins, représentative, nous avons choisi de procéder à une analyse fréquentielle permettant de mettre en évidence la relative activité de ces mots en anglais contemporain. Pour ce faire nous avons utilisé le Corpus of Contemporary American English (COCA). 4.1. Les fréquences extraites de COCA COCA est le plus grand corpus d’anglais accessible gratuitement en ligne (http://corpus.byu.edu/coca/). Il a été créé par Mark Davies en 2008 et comporte 425 millions de mots issus de textes qui se répartissent en cinq catégories: transcriptions de données orales, fictions, magazines, journaux et textes académiques. 20 millions de mots ont été inclus chaque année dans le corpus depuis 1990. COCA propose des fonctions de recherches avancées qui nous ont notamment permis de trouver, pour un item donné, une fréquence d’apparition globale, ainsi que les fréquences par catégorie. Le tableau 3 présente les effectifs par tranche de fréquences pour les 297 items concernés: 155 Tableau 3: Effectifs par classes de fréquences Il est intéressant de noter en premier lieu, que la moitié des emprunts étudiés a une fréquence nulle dans le COCA, ce que nous considérons comme un signe de leur rareté en anglais contemporain. Il s'agit des mots suivants: -en -eur/-euse (112 mots): à contre-cœur, à la chasseur, accoucheur, accoucheuse, affaire d'honneur, affaire de cœur, arpenteur, art connoisseur, balayeuse, Beaujolais Primeur, bon viveur, carillonneur, causeuse, chauffeur (v), chauffeuse, ciseleur, claqueur, commisvoyageur, cotillonneur, dame d'honneur, decoupeur, debiteuse, descendeur, diseur, dormeuse, dynamiteur, ecraseur, en cœur, en grand seigneur, extincteur, fracteur, franctireur, friseur, frotteur, gaiété de cœur, graineur, grande amoureuse, hocheur, hunt saboteur, hunt saboteuse, infopreneur, liqueur (v), lithofracteur, m'sieur, main d'accoucheur, mauvais coucheur, melangeur, meuse (n), meuse (v), milieu intérieur, mitrailleur, modérateur, netrepreneur, noceur, novateur, ouvreuse, par cœur, petroleur, petroleuse, physician-accoucheur, piqueur, pisteur, plaisanteur, plastiqueur, portebonheur, poseuse, pot-et-fleur, porteur, poudreuse, première danseuse, procureuse, proneur, prosateur, quatre-couleur, raconteuse, railleur, raisonneur (v), razeteur, receveur, rédacteur, remueur, répétiteur, rose amateur, rôtisseur, sans peur, savateur, siffleur, smeuse (n), smeuse (v), souffre-douleur, souteneur, strip-teaseuse, strippeuse, stripteuse, surgeon-masseur, Swedish masseur, technopreneur, torpilleur, traceur, trembleuse cup, tricoteuse, trotteur, veilleuse, vendangeur, vendeuse, vie d'interieur, vieux marcheur,Virgouleuse, viveur, voltigeur, voyeur, vulgarisateur, -en -aire (38 mots): ambulacraire, badelaire, beneficiaire, bimillionaire, calcaire, capillaire, celibataire, cessionnaire, confessionaire, demi-millionaire, Frimaire, funiculaire, mainfaire, narco-billionaire, nécessaire, oilionaire, pensionnaire, pillionaire, poitrinaire, proletaire, propriétaire, protocolaire, quadrillion(n)aire, reliquaire, réseau ordinaire, revolutionaire, scène à faire, sepiostaire, sociétaire, solidaire, stationnaire, thousandaire, tout au contraire, trillionaire, trimillionaire, two-bob millionaire, valetudinaire, Vendémiaire. 41,4% des items ont une fréquence comprise entre 1 et 100 sur 425 millions de mots que nous considérons comme une activité restreinte mais manifestement existante. Nous les avons classés par ordre croissant de fréquence d'utilisation: -en -eur/-euse (83 mots): beau sabreur, blagueur, chronique scandaleuse, collaborateur, diseuse, ecoteur, farceuse, micro-entrepreneur, précieuse, pro-amateur, regisseur, rondeur, sabreur, tirailleur, vin d'honneur, vive l'empéreur, coiffeuse, intrapreneur, littérateur, mitrailleuse, pasticheur, pesanteur, procureur, raisonneur, chasseur, coureur, cuisine minceur, douceur, rongeur, shamateur, soigneur, Swedish masseuse, tailleur, traiteur, 156 colporteur, migraineur, plongeur, premier danseur, primeur, animateur, longueur, merveilleuse, farceur, netpreneur, berceuse, coiffeur, droit(s) du (de) seigneur, pudeur, radio amateur, conteur, couleur, danseur, persifleur, social entrepreneur, bateleur, cœur, minceur, bricoleur, jongleur, restauranteur, danseuse, religieuse, rank amateur, sieur, monseigneur, arbitrageur, croque monsieur, cri de cœur, special rapporteur, rapporteur, charmeuse, agent provocateur, poseur, flâneur, delusions of grandeur, voyageur, seigneur, fleur, hauteur, saboteur, masseur, raconteur, chanteuse, -en -aire (40 mots): malade imaginaire, milliardaire, mousquetaire, musée imaginaire, paper millionaire, parlementaire, squillionaire, undoctrinaire, mega-millionaire, numeraire, praire, bazillionaire, commanditaire, debonnaire/debonair, retardataire, acquis communautaire, claire, Cuisenaire rods, communautaire, vin ordinaire, notaire, Brumaire, cuisenaire, gazillionaire, cordon sanitaire, luminaire, secretaire, opinionnaire, commissionaire, commissaire, ordinaire, maire, militaire, zillionaire, affaire, multibillionaire, savoir faire, legionnaire, au contraire, concession(n)aire. 8,1% des emprunts ont, quant à eux, une fréquence supérieure à 100 et nous les considérerons comme d'usage relativement courant en anglais contemporain. Il s'agit des mots suivants, classés par ordre croissant de fréquence d'apparition: -en -eur/-euse (15 mots): masseuse, provocateur, auteur, voyeur, de rig(u)eur, chartreuse, restaurateur, connoisseur, liqueur (n), derailleur, chauffeur (n), monsieur, grandeur, entrepreneur, amateur. -en -aire (9 mots): frigidaire, doctrinaire, extraordinaire, solitaire, multimillionaire, laissez-faire, billionaire, millionaire, questionnaire. 4.2. Accentuation lexicale Afin de traiter de l'accentuation lexicale nous avons relevé les accentuations attestées dans les dictionnaires suivants: LPD, EPD, MD et OED. Dans de rares cas, les dictionnaires proposaient des schémas accentuels différents et nous n'avons alors retenu que la prononciation indiquée dans LPD pour l'anglais britannique. Comme le montre le tableau 4, les dictionnaires ne proposaient aucun schéma accentuel pour 30% des items concernés. Tableau 4: Données chiffrées du «nettoyage» du corpus en vue de l'analyse de l'accentuation lexicale 157 Par ailleurs, nous remarquons que 3% des emprunts au français étudiés ici sont des monosyllabes et nous les avons donc retirés pour cette partie de l'analyse du fait que la détermination de leur schéma accentuel ne pose pas de problème. Finalement, 67,3% des items sont concernés par l'analyse du schéma accentuel, soit 200 mots. Parmi ces items nous observons une accentuation finale dans environ 90% des cas: Tableau 5: Répartition des schémas accentuels: données chiffrées Ainsi, une très grande majorité des emprunts en -eur/-euse, -aire en anglais contemporain conservent l'accent démarcatif final des groupes intonatifs du français. Il s'agit des mots suivants qui ne connaissent aucune variante (sauf accoucheur, accoucheuse, railleur, seigneur et voyeur qui ont tous les cinq une variante accentuelle sur la pénultième et colporteur une variante sur l'antépénultième): -en -eur/-euse (118 mots): à contre-cœur, accoucheur, accoucheuse, affaire d'honneur, affaire de cœur, agent provocateur, animateur, arbitrageur, arpenteur, auteur, beau sabreur, berceuse, bon viveur, bricoleur, carillonneur, chanteuse, chartreuse, chasseur, coiffeur, colporteur, connoisseur, cri de cœur, croque monsieur, cuisine minceur, danseur, danseuse, de rig(u)eur, debiteuse, decoupeur, descendeur, diseur, dormeuse, douceur, ecoteur, ecraseur, entrepreneur, farceur, farceuse, fracteur, franc-tireur, hauteur, intrapreneur, jongleur, liqueur (n), liqueur (v), littérateur, longueur, m'sieur, main d'accoucheur, masseur, masseuse, mauvais coucheur, melangeur, merveilleuse, migraineur, milieu intérieur, minceur, mitrailleur, mitrailleuse, modérateur, monseigneur, monsieur, noceur, novateur, ouvreuse, par cœur, pasticheur, pesanteur, petroleur, petroleuse, piqueur, pisteur, plaisanteur, plastiqueur, plongeur, porte-bonheur, poseur, poseuse, pot-et-fleur, poudreuse, précieuse, premier danseur, première danseuse, primeur, procureur, procureuse, proneur, prosateur, provocateur, pudeur, quatre-couleur, raconteur, raconteuse, railleur, raisonneur, raisonneur (v), rapporteur, razeteur, receveur, rédacteur, regisseur, religieuse, remueur, répétiteur, restauranteur, restaurateur, rondeur, rongeur, rôtisseur, saboteur, seigneur, smeuse, social entrepreneur, strippeuse, technopreneur, traceur, voyeur (n), voyeur (v). -en -aire (61 mots): acquis communautaire, affaire, ambulacraire, au contraire, bazillionaire, billionaire, Brumaire, calcaire, celibataire, cessionnaire, commissaire, commissionaire, communautaire, concession(n)aire, cuisenaire, Cuisenaire rods, debonnaire/debonair, doctrinaire, extraordinaire, frigidaire, Frimaire, gazillionaire, legionnaire, malade imaginaire, mega-millionaire, militaire, milliardaire, millionaire, mousquetaire, multibillionaire, multimillionaire, musée imaginaire, nécessaire, notaire, numeraire, oilionaire, ordinaire, paper millionaire, parlementaire, pensionnaire, 158 pillionaire, poitrinaire, proletaire, propriétaire, protocolaire, quadrillion(n)aire, questionnaire, reliquaire, réseau ordinaire, retardataire, revolutionaire, sepiostaire, sociétaire, solidaire, squillionaire, stationnaire, thousandaire, trillionaire, trimillionaire, Vendémiaire, zillionaire. 4.3. Les mots qui ne sont pas accentués sur la finale Les 10,5% de mots qui présentent un schéma accentuel non final sont présentés dans les tableaux 6 et 7: Tableau 6: Emprunts en -eur/-euse non accentués à la finale classés par schéma accentuel Le schéma accentuel de la plupart de ces mots peut s'analyser en utilisant les règles morphophonologiques développées dans l’Ecole de Guierre. Ainsi, la référence au dérivant permet d’expliquer une accentuation en /10/ pour charmeuse (ie. charm), derailleur (ie. derail, préfixé non substantif), grandeur (ie. grand). Il est également possible que l'existence du mot battle en anglais contemporain ait un impact sur l'accentuation du très proche bateleur; de même le morphème -port peut tout à fait être reconnu du fait de l'existence du paradigme purport, support, import, export et avoir une influence non négligeable sur la détermination du schéma accentuel de porteur. Les règles d'accentuation des dissyllabes et trisyllabes permettent de rendre compte du fait que chauffeur (n et v), chauffeuse et claqueur sont accentués à l'initiale et netpreneur, persifleur, amateur, pro-amateur et shamateur en /(-)100/. 159 Tableau 7: Emprunts en -aire non accentués à la finale classés par schéma accentuel De même, les schémas accentuels de ces 6 mots en -aire peuvent s'expliquer à l'aide des règles d'accentuation de l'anglais. La référence au dérivant est importante dans le cas de opinionnaire (ie. opinion); la reconnaissance de main dans mainfaire peut avoir un impact sur son schéma accentuel; la détermination accentuelle des mots composés explique le schéma à l'initiale de laissez-faire. Enfin, la règle normale permet de rendre compte du schéma en /100/ de badelaire, luminaire et solitaire.4 Le déplacement de l'accent vers la gauche témoigne, pour ces mots, d'une diminution de l'influence des structures suprasegmentales de la langue source dans laquelle l'accent démarcatif est final. Pour eux, la logique romane laisse place à la logique germanique présente en anglais. Si l'on s'intéresse par ailleurs à la fréquence des items concernés, on se rend compte que la plupart d'entres eux sont relativement fréquents. Ainsi, d'un point de vue global, la fréquence moyenne des 297 items pris en compte est de 95 occurrences pour 425 millions de mots tandis que la fréquence moyenne des mots dont l'accentuation est non-finale est de 407 occurrences pour 425 millions de mots. Il se pourrait donc que plus un mot est utilisé et plus il est susceptible d'intégrer les caractéristiques phonologiques de la langue qui l'accueille. 4.4. Accentuation des créations lexicales Si l'on s'intéresse de plus près aux créations lexicales, on remarque que les éléments chiffrés sont globalement semblables aux données qui concernent les 297 items étudiés: Tableau 8: Effectifs pour l'étude des schémas accentuels des créations lexicales 160 Environ 64% des items ont une accentuation attestée dans au moins une source. Parmi eux, plus de 81% connaissent une accentuation finale, témoin de la persistance de la logique romane pour ces mots dont seule la terminaison a été empruntée au français. 4 mots connaissent cependant une accentuation non finale: netpreneur, netrepreneur, shamateur et opinionnaire. 5. CONCLUSION Cette étude des emprunts au français en -eur (-euse) / -aire en anglais permet de mettre en évidence l’intégration de ces suffixes en anglais contemporain. Celle-ci est notamment caractérisée par la productivité lexicale. La fréquence d’utilisation d’un mot est souvent liée à son niveau d’intégration dans la langue et il se pourrait que celle-ci constitue un indice de son adaptation au système phonologique. Bien que les processus lexicogéniques à l’œuvre relèvent de l’anglais, les caractéristiques accentuelles du français sont conservées dans 90% des cas, également dans les cas de création. NOTES 1 Ce dialecte est parfois appelé anglo-normand (ce qui risque, à tort, de faire croire qu’il s’agit d’une variété d’anglais). Il différait du français central, mais nous désignerons globalement ces deux dialectes par le terme général de français. 2 Une langue vernaculaire est une langue parlée seulement à l’intérieur d’une communauté. Dans le contexte qui nous intéresse, ce terme en souligne également l’absence de prestige. 3 Mais il faudra attendre 1731 pour que les tribunaux cessent d'utiliser le français. 4 Pour des éléments plus précis concernant la détermination du schéma accentuel en anglais on pourra se référer à Fournier 2010. BIBLIOGRAPHIE Crépin, A. (1994): Deux mille ans de langue anglaise, Paris: Nathan Université. Crystal, D. (2002): The English Language (2nd ed.), London: Penguin. Davies M. (2008): The Corpus of Contemporary American English (COCA): 425 million words, 1990-present [En ligne]. Disponible sur: http://corpus.byu.edu/coca/ . Descloux, E./ J.-M. Fournier / P. Fournier./ I. Girard / M. Martin (2010): «Structure, variation, usage and corpora: the case of word stress assignment in disyllabic verbs», in PAC Workshop 2010, Montpellier, 13 et 14 septembre 2010, 17 diapositives. Fournier, J.-M. (2007): «From a Latin Syllable-Driven Stress System to a Romance Versus Germanic Morphology-Driven Dynamics: in Honour of Lionel Guierre», in Carr, P. / P. Honeybone (éds), English Phonology, Language Sciences 29, 218-236. Fournier, J.-M. (2010): Manuel d'anglais oral, Paris: Ophrys. 161 Guierre, L. (1975): Drills in English Stress Patterns. (3rd ed.) (Ear and Speech Training Drills and Tests for Students of English as a Foreign Language), Paris: Armand Colin / Longman. Jones, D. (2008): Cambridge English Pronouncing Dictionary (17th edition, revised by Roach, P. / J. Hartman, / J. Setter), Cambridge: Cambridge University Press. Paillard, M. (2000): Lexicologie contrastive anglais – français, Paris: Ophrys. Roach, P. (2000): English Phonetics and Phonology. Third Edition. (A Practical Course), Cambridge: Cambridge University Press. Simpson, J./ E. Weiner (1989): Oxford English Dictionary. Online Edition, Clarendon Press. Tournier, J. (1985): Introduction descriptive à la lexicogénétique de l’anglais contemporain, Genève: Champion Slatkine. Tournier, J. (1993): Précis de lexicologie anglaise (3ème édition, mise à jour et corrigée), Paris: Nathan. Wells, J.C. (2008): Longman Pronunciation Dictionary (3rd édition), London: Longman. 162 LE PROJET FROMISEM: BILAN ET PERSPECTIVES* Daniela DINCĂ Université de Craiova, Roumanie Membre FROMISEM 1. INTRODUCTION L’étude des mots empruntés à d’autres langues reflète l’évolution et la transformation de la société, en général, et de son vocabulaire, en particulier. Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout contact plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est représenté par l’emprunt lexical. Le français et le roumain illustrent avec prégnance ce phénomène, surtout dans le cas de ce qu’Alf Lombard (1969) appelle «emprunts à distance», qui, à côté des contacts directs, ont profondément modifié la physionomie lexicale de la langue roumaine. Ce qui explique en fait l’ouverture de la langue roumaine vers la réception permanente des mots d’origine française est, d’une part, la conscience de l’origine romane commune des deux peuples et de leur parenté linguistique, et d’autre part, la valorisation du prestige culturel de la France au début du XIXème siècle et des relations d’ordre politique, économique et culturel existantes entre la France et la Roumanie. En effet, il y a deux siècles, le français était considéré comme la langue universelle de l’Europe, même s’il était confiné aux cercles de l’élite. Le sigle FROMISEM représente l’abréviation d’un titre beaucoup plus généreux qui se propose de surprendre quelques aspects essentiels concernant l’étude des emprunts lexicaux: Typologie des emprunts lexicaux français en roumain. Fondements théoriques, dynamique et catégorisation sémantique. Les objectifs majeurs poursuivis par le projet ont été: 1) Définir les concepts opérationnels mobilisés dans la recherche; 2) Constituer un corpus général des emprunts lexicaux français en roumain; 3) Analyser les problèmes étymologiques posés par les emprunts lexicaux ; 4) Faire l’analyse sémantique comparative des mots roumains et de leur étymon français en vue de l’élaboration d’une typologie sémantique des emprunts français en roumain. 163 2. PRÉSENTATION DES PRINCIPAUX RÉSULTATS DE LA RECHERCHE Comme c’est l’heure de bilan pour le projet FROMISEM, cette présentation synthétique mettra en évidence les principaux résultats obtenus par l’équipe de recherche pendant le déroulement du projet (2009-2011). 2.1. Définir les principaux concepts opérationnels mobilisés dans la recherche Dans une première étape, nous avons fait la présentation critique de la terminologie roumaine en ce qui concerne la définition des concepts opérationnels mobilisés dans la recherche: emprunt, gallicisme, néologie, néologisme, néonyme, étymologie multiple, etc. Cela nous a paru nécessaire d’autant plus que les ouvrages théoriques consacrés à ces aspects ont un caractère plutôt confus. Là où la linguistique roumaine n’a pas encore opéré une délimitation claire des concepts et de leur aire d’utilisation, les membres du projet ont essayé de préciser, d’une manière argumentée, le sens dans lequel ils les ont employés. Nous voulons illustrer la démarche terminologique par l’analyse d’un seul terme, celui d’emprunt lexical. Le terme emprunt, qui comporte une certaine ambiguïté, a deux acceptions fondamentales: (i) élément emprunté à une autre langue (Dimitrescu 1994); (ii) processus d’intégration d’un élément dans une langue («l’emprunt est une forme d’expression qu’une communauté linguistique reçoit d’une autre communauté» (Deroy 1956). Vu sa deuxième acception, l’emprunt peut être considéré comme l’un des principaux mécanismes de la création néologique, étant souvent la solution la plus viable pour remplir les lacunes lexicales et, par conséquent, pour enrichir l’inventaire des éléments lexicaux d’une langue. Il est favorisé par des facteurs extralinguistiques tels que le voisinage, les rapports économiques, politiques et culturels de deux ou plusieurs communautés. Mais les emprunts ne sont pas sans poser des problèmes, dont, en particulier: a. les problèmes sociolinguistiques des différences de statut axiologique entre les langues (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252); b. l’intégration (phonologique, orthographique, morphosyntaxique, sémantique) de l’unité empruntée dans la structure de la langue réceptrice; c. l’établissement correct de l’étymologie du mot emprunté, etc. Du point de vue de l’intégration phonologique, orthographique, morphosyntaxique et sémantique des emprunts français dans la langue roumaine, nous avons identifié trois sous-classes : (i) les emprunts naturalisés, assimilés par la langue réceptrice; (ii) les xénismes – des mots étrangers considérés du point de vue des locuteurs en fonction de leur forme exotique (Chadelat 2000); 164 (iii) les pérégrinismes (Kocourek 1982: 133) - des mots voyageurs ou migrateurs considérés du point de vue linguistique en fonction d’une place hypothétique au sein du système susceptible de les adopter. Dimitrescu (1994) identifie cette dernière catégorie avec les franţuzisme et donne comme exemple: boutique (avec sa variante butică), milieu, grand-guignol, cache-radiator, coupé, voyeur, voyeurisme, café-concert, policier, café, frappé, clou. On outre, si l’on veut trouver des points communs et divergents, les xénismes sont dus à des contacts culturels et ils sont le résultat d’une attitude cosmopolite des locuteurs qui veulent utiliser des mots étrangers pour la couleur locale par rapport aux pérégrinismes, qui sont définis comme des éléments ayant une utilisation assez restreinte, des mots à la mode, ayant donc un caractère arbitraire. Sur la même ligne, Deroy ajoute que: «le pérégrinisme appartient souvent à la langue cultivée, savante, écrite » pour annoncer un peu après que « le pérégrinisme appartient souvent aux langues spéciales» (Deroy 1956: 224). Un autre terme qui a commencé à gagner du terrain les derniers temps est celui de gallicisme. Défini par le TLFi comme «emploi, tournure propre à la langue française» (Dict. XIXe et XXe s.) ou «emprunt d’une langue étrangère au français», ce terme a eu, au début, le sens de «construction française abusivement introduite dans une autre langue». Étymologiquement, il s’agit du «dérivé savant du lat. gallicus, v. gallican; suff. –isme» (TLFi), ce qui le situe dans la catégorie des mots ressentis comme étrangers dans une langue, tout comme les grécismes, les latinismes, les germanismes, les anglicismes, les italianismes et les hispanismes. Par conséquent, un emprunt est ressenti comme un étrangérisme jusqu’à sa naturalisation complète et à son intégration dans la langue réceptrice. 2.2. Constituer un corpus général des emprunts lexicaux français en roumain Pour constituer le corpus-registre des emprunts lexicaux roumains au français, nous avons pris comme point de départ le Dicţionarul explicativ al limbii române (DEX), le plus grand dictionnaire d’usage général de la langue roumaine, publié par l’Institut de Linguistique „Iorgu Iordan - Alexandru Rosetti” de l’Académie Roumaine. Sa première édition date de 1975 et les autres éditions (1996, 1998) se sont beaucoup enrichies, de sorte que son édition actuelle (1998) contient 65 000 mots. Ce corpus-registre a été publié sous la forme d’un Dicţionar de împrumuturi lexicale din franceză (DILF) qui est à même d’offrir des indications précieuses sur les divers aspects linguistiques que soulèvent les emprunts : nombre et importance, force dérivative, problèmes d’étymologie, particularités sémantiques, etc. Pour ce qui est de la structuration du Dictionnaire, celui-ci a été conçu en deux sections différentes, qui correspondent à deux catégories d’emprunts: 165 1. Emprunts à étymologie uniquement française: mots considérés comme pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire des mots venus indubitablement par filière française et seulement française. 2. Emprunts à étymologie multiple, y compris française. Ce sont des mots dont la filière de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à d’autres langues où circule le même mot. C’est grâce au DILF qu’on a pu faire une statistique sur un corpus de grandes dimensions concernant le nombre de mots à étymon français et établir ainsi leur pourcentage dans le lexique du roumain. Il faut tenir compte du fait que les statistiques faites jusqu'à présent reposent sur des dictionnaires de dimensions différentes et surtout, sur des dictionnaires généraux (Candrea, Macrea), sur des dictionnaires de néologismes (Dimitrescu) ou sur des fonds principaux (Graur, Sala), ce qui explique les grandes fluctuations concernant les chiffres obtenus. Auteur Alexandru Graur (1954) Marius Sala (1988) Ouvrage Pourcentage de mots français 1% Incercare asupra fondului principal lexical al limbii române Nombre de mots recensés: 1.419 Vocabularul reprezentativ al limbilor romanice 22,12% Nombre de mots recensés: 2.581 Dimitrie Macrea (1961) Dicţionarul enciclopedic ilustrat «Cartea Românească» d’A. Candrea (1931) Nombre de mots recensés: 43.269 Dimitrie Macrea Dicţionarul limbii române moderne (DLRM) (1961) (1958) Nombre de mots recensés: 49.649 Florica Dimitrescu Dictionar de cuvinte recente (1982) (1994) Nombre de mots recensés: 3.749 29,69% 38,42% 19,3% Pour ce qui est de la statistique faite sur le DILF, nous avons obtenus les chiffres suivants: A. Mots-bases Mots à étymologie uniquement française Total B. Mots dérivés Mots a étymologie multiple, y compris 9,04% française 39,64% Mots à étymologie uniquement française et 7,87% multiple 47, 51 % Total général 166 30,60% À juger d’après le corpus élaboré jusqu’à présent, on pourrait formuler les considérations suivantes: 1. le point de départ de notre statistique est le plus grand dictionnaire d’usage général de la langue roumaine, qui comprend 65 000 mots, faisant ainsi une large place aux néologismes; 2. la plupart des emprunts au français appartiennent à la catégorie des mots à étymologie uniquement française (30%) et si l’on ajoute les mots à étymologie multiple, y compris française, le pourcentage atteint 39% sur l’ensemble du dictionnaire, ce qui rapproche notre statistique de celle faite par Macrea sur le DLRM (39%). Cela pourrait constituer un argument que les mots d’origine française ont pénétré massivement jusqu'à la moitie du XXème siècle. Dans les dernières décennies on parle d’une invasion d’anglicismes dans le lexique de la langue roumaine; 3. le total général de 47% est assez relatif, tributaire aux indications étymologiques du dictionnaire utilisé pour cette recherche, ce qui impose une recherche étymologique minutieuse pour vérifier les étymologies présentées dans le dictionnaire de départ avec le DA, DLR et le DER; 2.3. Aspects étymologiques En ce qui concerne les aspects étymologiques, nous avons appuyé notre analyse sur la typologie suivante: 1) Emprunts à étymologie uniquement française À juger d’après le DILF, la plupart des emprunts roumains au français appartiennent à cette catégorie (30,60%) 2) Emprunts à étymologie multiple Selon le registre DILF, la première source indiquée le plus souvent dans le cas des étymologies multiples est le français. Le latin savant et l’italien suivent le français, selon la fréquence des renvois. Il y a peu de situations où l’étymologie française soit en alternative avec des langues non romanes. Il s’agit dans ce cas du néogrec, de l’allemand, du russe et, enfin, surtout ces derniers temps, de l’anglais qui est, du point de vue lexical, assez ‘romanisé’. Pourtant, les cas dans lesquels on peut établir sans aucun doute le rôle et l’importance des langues indiquées dans une étymologie multiple sont en général rares (Ivănescu 1980: 671). 3) Emprunts à étymologie incertaine ou controversée Il s’agit en premier lieu de mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt et création interne. Les cas de désaccords entre les dictionnaires ne sont pas négligeables: les mots sont considérés comme dérivés en roumain ou empruntés au français. Souvent sont prises en compte les deux hypothèses. Par exemple, ultrasonoterapie est considéré comme formé de ultrasonic + terapie (DEX) ou venant directement du fr. ultrasonothérapie (DLR). Les étymologies multiples et les mots dérivés sont donc deux points faibles qui attendent encore une tentative de solution de la part des chercheurs, au niveau de la théorie linguistique ainsi que de l’activité lexicographique. 167 2.4. Typologie sémantique des emprunts français en roumain Sur l’ensemble des ouvrages consacrés aux emprunts lexicaux, l’étude du sémantisme des mots roumains à étymon français a été, dans une certaine mesure, négligée, malgré le fait que cet aspect est fort révélateur pour le caractère réceptif et créatif du roumain. C’est pourquoi une direction de notre recherche a été l’analyse sémantique comparative des lexèmes qui appartiennent à divers microchamps et de leurs étymons français afin d’esquisser une typologie sémantique de ces emprunts. En outre, du point de vue sémantique et pragmatique, l’emprunt lexical se relève en tant que marqueur socio-culturel qui reflète les changements de nature sociale, politique et culturelle existants dans la vie d’une communauté à un certain moment donné ; c’est un indicateur d’univers mentalitaire ou bien un élément distinctif entre les langues au niveau axiologique (cf. Arrivé et al. 1986: 244-252). Les études sémantiques menées dans le cadre de ce projet ont fait relever la typologie suivante: (i) conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon français, (parfois avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français); (ii) innovations sémantiques opérées en roumain, ayant comme point de départ une signification de l’étymon français. Ces innovations se manifestent à travers divers mécanismes sémantiques : extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passages métonymiques, glissements connotatifs, etc. À noter que ces deux catégories, le plus souvent, se superposent (v. Iliescu et all. 2010). Sablayrolles considère d’ailleurs que «les deux grandes voies reconnues de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie» (Sablayrolles 2000: 155), procédés qui reposent sur la similitude entre les deux référents. 2.4.1. Conservation totale des sens de l’étymon français La conservation totale des sens de l’étymon français est une situation fréquente, surtout dans le cas des mots appartenant à un domaine scientifique et technique, à une terminologie : cenomanian (du fr. cénomanien), desherenţă (du fr. déshérence), dol (du fr. dol), galactic (du fr. galactique), imparisilabic (du fr. imparisyllabique), impunitate (du fr. impunité), juxtapoziţie (du fr. juxtaposition), macrofotografie (du fr. macrophotographie), necrobioză (du fr. nécrobiose), paleografie (du fr. paléographie), postverbal (du fr. postverbal), radiolarit (du fr. radiolarite), recriminatoriu (du fr. récriminatoire), spectrograf (du fr. spectographe), toxicoză (du fr. toxicose), etc. Quant aux signifiants, il est facile de constater leur ressemblance ou même leur identité dans les deux langues, sauf les quelques adaptations orthographiques et phonétiques imposées par la langue réceptrice. 168 2.4.2. Conservation - totale ou partielle - du sens / des sens de l’étymon français, avec le maintien en roumain d’un sens aujourd’hui disparu en français - fr. chouette / roum. şuetă Fr. chouette, s.f. 1. (Ornith.) rapace nocturne de la famille des Strigidés; 2. (Jeux) a) faire la chouette: jouer seul contre plusieurs, notamment au trictrac, au billard; b) jeu de la chouette: jeu analogue à celui de l’oie; je fais la chouette à trois personnes, signifiant «j’entretiens correspondance avec trois personnes» (Littré, 1971). Roum. şuetă, s.f. conversation légère, spirituelle et amusante entre amis. Malgré le fait que le signifiant du mot roumain prouve son origine française, le sens de «bavardage, conversation familière» ne se retrouve pas dans les dictionnaires français. C’est Littré (1971) qui vient à l’aide de l’étymologiste. Sous le deuxième sens de chouette (comme terme de jeu) on trouve l’exemple figuré je fais la chouette à trois personnes, signifiant «j’entretiens correspondance avec trois personnes». Si, en français, ni le sens de «jeu» ni le sens de «correspondance» n’ont survécu, en roumain il existe encore aujourd’hui un sens dérivé de l’expression faire la chouette, avec un petit transfert de ‘correspondance (écrite)’ à ‘conversation (orale)’ (Iliescu 1998). Ce sens est encore bien vivant, surtout dans la langue littéraire soignée. 2.4.3. Conservation partielle des sens français et création de nouveaux sens en roumain Un grand nombre de signifiés des emprunts au français ont subi des modifications plus ou moins importantes dans leur passage du français au roumain. Le plus souvent, les significations fondamentales du mot français se retrouvent aussi en roumain, mais cette langue, sur la base des processus sémantiques complexes mentionnés ci-dessus, a développé des sens nouveaux. La création d’un nouveau exige que le locuteur connaisse le sens fondamental du mot emprunté. Cela veut dire que l’adjonction d’un sens figuré vient en deuxième position, après que les locuteurs ont fait un certain usage du mot emprunté. - fr. mansarde / roum. mansardă Fr. mansarde, s.f. 1. (archit.) comble brisé à quatre pans appelé aussi comble à la Mansart, ou à la mansarde, ou en mansarde; 2. pièce aménagée sous un comble brisé; p. anal., toute pièce à plafond bas et dont un mur au moins est en pente selon l’inclinaison du toit; 3. fenêtre pratiquée dans la partie verticale d'un comble brisé. Roum. mansardă, s.f. 1. (archit.) étage situé sous le toit d’une maison; 2. chambre ou ensemble de chambres habitables situées sous le toit (ayant le plafond ou les murs obliques); (fig., dans l’expres. a fi deranjat la mansardă) être déséquilibré. Le cas du mot roumain mansardă est très intéressant puisqu’il a repris les sens fondamentaux de son étymon français, mais, en plus, par métaphore et glissements connotatifs, il est aujourd’hui employé dans toute une série d’expressions de la langue parlée 169 La mise en parallèle des significations données par les dictionnaires français et roumains montre que, à partir du sens fondamental («pièce ou ensemble de pièces sous le toit d’un bâtiment»), emprunté au français, le mot roumain mansardă est employé comme métaphore pour désigner la tête des personnes, dans un sens positif ou négatif. Le sens mélioratif se retrouve dans des expressions comme: o mansardă bine echipată (trad. litt. «une mansarde bien équipée»), ce qui veut dire «une personne compétente et intelligente» ou a-şi mobila mansarda (trad. litt. «meubler sa mansarde»), qui signifie «s’informer, se documenter, se former». Le sens péjoratif, par lequel le locuteur met en doute la santé mentale de quelqu’un, est présent dans des expressions comme: a avea păsărele / lilieci la mansardă, (trad. litt. «avoir des oiseaux / des chauves-souris à la mansarde»), a fi deranjat la mansardă (trad. litt. «être dérangé à la mansarde»), signifiant toutes «être déséquilibré». 2.4.4. Mots avec des sens métaphoriques familiers ou/ et argotiques en roumain - fr. salon / roum. salon Fr. salon s.m. I. 1. pièce aménagée avec un soin particulier où l’on reçoit les visiteurs; (p. méton.) mobilier de cette pièce; 2. demeure privée où la maîtresse de maison reçoit; (p. ext.) lieu de réunions mondaines; II. 1. pièce d’un édifice public réservée aux réceptions; 2. grande salle où on organise des expositions; (p. méton.) exposition périodique d’œuvres d’artistes vivants; (p. anal.) grande exposition, généralement annuelle où sont présentés les produits d’une branche particulière de l’industrie ou du commerce; lieu de cette exposition; 3. (arg.) dans des locutions: salon calin, salon contact, etc. (cf. ARG FAM). Roum. salon, s.m. 1. chambre d’une habitation, destinée à recevoir les invités; 2. salle pour des festivités, bals, fêtes publiques; salle pour les expositions périodiques de peinture, sculpture, etc.; (p. ext.) les expositions présentées dans cette salle; réunion à caractère culturel, artistique, mondain, etc.; 3. chambre à plusieurs lits, dans un hôpital. 4. (fam., dans l’expres.) a fi salon (trad. litt.) «être salon» avoir un comportement irréprochable. Le mot roumain salon, sauf son sens principal de «pièce aménagée avec soin particulier où l’on reçoit les visiteurs et l’on se réunit en famille et entre amis» (cf. TLFi), a acquis des connotations dans les locutions familières, presque argotiques, du type a fi salon «être de bonne qualité / se comporter d’une manière distinguée» et à l’impératif: fii salon, «comporte-toi comme il faut, d’une façon convenable». On peut employer le mot même comme adjectif épithète: Paul e un băiat salon («Paul est un type bien élevé»). 2.4.5. Emprunts roumains au français enrichis par l’anglais Une autre catégorie d’emprunts qui a fait l’objet de notre analyse sémantique contient les mots roumains d’origine française qui se sont enrichis sémantiquement sous l’influence de l’anglais grâce à leur ressemblance formelle évidente. De ce point de vue, Costăchescu (2010) a identifié les cas suivants: 170 (i) mots français du roumain enrichis sémantiquement par l’anglais; (ii) mots français repris partiellement en anglais et en roumain; (iii) mots anglais d’origine française revenus en français et repris en roumain. 2.4.5.1. Mots français du roumain enrichis sémantiquement par l’anglais Il s’agit de la re-sémantisation de beaucoup de mots roumains, en fait des emprunts au français, sous l’influence de l’anglais. - fr. appliquer / angl. apply / roum. a aplica Fr. appliquer 1. poser, mettre en contact; 2. utiliser qch. pour obtenir un certain résultat; 3. employer pour un usage déterminé, faire servir dans une situation donnée; 4. (pronom.) apporter beaucoup d’attention, faire des efforts. Angl. apply 1. poser, mettre en contact; 2. utiliser, employer; 3. faire une requête, d’habitude officielle et écrite; 4. ~ oneself travailler dur. Roum. aplica 1. mettre une chose sur une autre, la fixer, l’unir; 2. mettre quelque chose en pratique, employer; (vieilli) se dédier, étudier qch. a se aplica la algebră «s’appliquer à l’étude de l’algèbre». En roumain, les dictionnaires enregistrent pour le verbe a aplica (ayant une double étymologie possible, du français ou du latin) les sens fondamentaux du verbe français. Récemment, le verbe a aplica, accompagné souvent par la préposition la, a acquis un sens supplémentaire, celui de «requête officielle» dans des syntagmes comme a aplica la universităţi din străinătate / la un job «faire une requête pour être inscrit à des universités étrangères / pour un travail», un calque sémantique de l’anglais, le locuteur roumain ayant eu, inconsciemment, l’intuition du lien qui existe entre le mot anglais to apply et le verbe roumain a aplica, à savoir le même étymon. 2.4.5.2. Mots français repris partiellement en anglais et en roumain - fr.toupet / angl. toupee / roum. tupeu Fr. toupet n. m. I. 1. petite touffe de poils; touffe de cheveux sur le sommet du crâne; 2. (expr.) (faux) toupet postiche qui recouvre le sommet du front; 3. vieillot, ridicule; 4. touffe de crins; II. (fig.) assurance, aplomb mêlé d’effronterie: il a un sacré toupet! Angl. toupee n. 1.boucle de cheveux artificiels portée sur le sommet de la tête, portée tant par les hommes que par les femmes au 18ème siècle; (usuel) touffe de cheveux artificiels; (vieilli) personne qui porte le toupet; personne à la mode. Roum. tupeu, n.n. 1. audace qui dépasse les limites convenables; effronterie, impertinence; impudence; 2. (au théâtre) touffe de cheveux de diverses couleurs, collé à la limite des cheveux, sur le front et qu’on peigne avec ses propres cheveux. Dans le processus d’accueil des mots français, l’anglais et le roumain ont pris parfois une partie des significations de l’étymon, souvent pour des raisons historiques. Dans le cas du mot toupet, le lexème est entré en anglais avec le sens propre «mèche postiche de cheveux», puis il a connu en français un 171 développement connotatif «assurance effrontée», que l’anglais n’a pas repris. Le mot est arrivé en roumain, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le sens connotatif. Le sens du mot roumain est plus péjoratif que son correspondant français et, à présent, il y a la tendance vers un emploi plutôt positif dans des formulations du type: Invaţă engleza cu tupeu litt. «apprends l’anglais avec toupet». Cette analyse sémantique comparative met en valeur le lien entre le vocabulaire d’une langue et l’histoire de la communauté linguistique qui la parle. En anglais, l’emprunt est survenu à une époque où les coiffeurs l’employaient, tandis qu’en roumain le mot a seulement le sens figuré car il a été repris beaucoup plus tard, à la fin du XIXème siècle, quand les personnes n’utilisaient plus le toupet pour leurs coiffures. 2.4.5.3. Mots anglais d’origine française revenus en français et repris en roumain Beaucoup de mots d’origine français ont acquis en anglais des significations spéciales et sont entrés en français et en roumain avec ce nouveau sens. Pour cette catégorie de mots, les dictionnaires roumains mentionnent souvent une double étymologie, française et anglaise. - fr.corner / angl. corner / roum. corner Fr. corner n. 1. point de convergence de deux lignes, de deux surfaces; angle; 2. partie angulaire entre deux lignes ou surfaces convergentes ou la limite d’un objet ou d’un territoire; la zone d’un terrain de sport, près de l’intersection de la ligne latérale avec la ligne du but; 3. (fooball) le tir d’un angle du terrain obtenu par l’équipe à l’attaque pour punir l’équipe dont un membre a envoyé le ballon au-delà de la ligne du propre but; un des quatre angles d’un ring de boxe; 4. zone privée, secrète ou isolée; situation difficile ou embarrassante, de laquelle il est difficile ou impossible de sortir; 5. possession d’un stock suffisamment grand d’un produit pour permettre la manipulation des prix; accaparation 6. point à partir duquel apparaissent des changements significatifs. Angl. corner n. m. 1. arrangement entre spéculateurs en vue d'obtenir la maîtrise du marché d'un produit dont on provoque artificiellement la hausse en acquérant les stocks disponibles; 2. (sport) fait qu'un joueur envoie le ballon derrière sa propre ligne de but, cette faute entraînant à titre de sanction un coup de pied de remise en jeu accordé à l'équipe adverse et tiré à partir d'un coin du terrain; (p. méton.) coup de pied de remise en jeu accordé à l'équipe adverse. Roum. corner1 n. n. sanction accordée en faveur de l’équipe à l’attaque sous la forme d’un coup de pied de remise en jeu, tiré à partir d’un coin du terrain, si un défenseur a envoyé le ballon derrière sa propre ligne de but; de angl., fr. corner. Roum. corner2 forme simple d’organisation monopoliste qui consiste dans un arrangement entre spéculateurs pour acheter des marchandises et les vendre à des prix élevés; mot anglais. En anglais, le sens de «coin» a eu des développements sémantiques intéressants dans le langage du sport, puisqu’il désigne le coin de repos d’un ring de boxe ainsi que le coin d’un terrain de football ou de hockey. Par extension, le règlement de ces deux jeux sportifs désigne par le mot corner la faute commise par 172 un joueur qui a envoyé le ballon derrière la ligne de but de son équipe ainsi que le coup accordé à l'équipe adverse à la suite de cette faute et qui est exécuté de l’angle du terrain. En français le mot est revenu à la fin du XIXème siècle, pour le football, avec le même passage métonymique de «lieu» à «action exécutée dans/ de ce lieu». En roumain, la situation du mot est tout à fait similaire à celle du français, puisqu’on y retrouve les significations décrites ci-dessus. La seule différence se manifeste au niveau lexicographique: les dictionnaires considèrent qu’il s’agit de deux mots homonymes, à cause de leur étymologie: le mot avec la signification boursière provient directement de l’anglais américain, tandis que le mot appartenant au vocabulaire sportif est indiqué avec une étymologie multiple, les dictionnaires mentionnant l’anglais mais aussi le français, fait qui suggère comme filière possible du mot le trajet anglais - français - roumain. 3. EN GUISE DE CONCLUSION 1. L’influence française représente sans conteste le principal moyen d’enrichissement et de modernisation du roumain, ainsi que de redéfinition de sa physionomie néo-latine, dans l’aire de la romanité sud-est européenne. C’est un exemple unique d’influence d’un adstrat de prestige, à distance, qui s’explique aussi par le penchant que les couches intellectuelles roumaines ont toujours eu et ont encore pour la France, considérée comme une sœur aînée. 2. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mise en évidence par le fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les nombreux dictionnaires de néologismes / mots récents parus au cours des dernières années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue). 3. Les modifications sémantiques subies par les emprunts au français montrent la vivacité et l’originalité de la langue roumaine, qui a su intégrer les éléments étrangers dans son propre système lexical et sémantique, leur accordant une valeur particulière (dans l’acception saussurienne du mot). 4. Les études menées dans le cadre de ce projet se constituent dans un miroir des tendances enregistrées dans l’évolution du roumain sous l’influence du français, mettant aussi en évidence les changements culturels, sociaux et historiques des deux sociétés parlant ces deux langues. Le comparatisme linguistique a été ainsi doublé d’un comparatisme socio-historique étant donné que l’emprunt témoigne a la fois de l’idéologie elle-même d’une langue, et, conséquemment, du peuple qui la parle. 5. En fin de compte, on pourrait dire que le projet FROMISEM a frayé un chemin dans l’étude des emprunts lexicaux avec les instruments de l’analyse sémantique et lexicographique et que cette recherche a ouvert de nouvelles pistes de recherche dans les domaines de la lexicologie et de la lexicographie romanes : (i) Étude des emprunts lexicaux au français du point de vue étymologique ; 173 (ii) Dynamique des emprunts dans les principaux domaines de manifestation: vocabulaire général vs. vocabulaires spécialisés; (iii) Adaptation des emprunts aux systèmes graphique, phonétique et morphologique de la langue roumaine. NOTE * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages théoriques Arrivé, Michel / Gadet, Françoise / Galmiche, Michel (1986): La grammaire d’aujourd’hui, Paris: Flammarion. Avram, Mioara (1982): «Contacte între română şi alte limbi romanice», in : SCL 3: 253-259. 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En ce qui suit, nous présenterons quelques-uns des emprunts d’origine française entrés en roumain du domaine culinaire, comme les noms de certains gâteaux: şarlotă (du fr. charlotte, dessert nommé d'après la reine qui a vécu entre 1744 et 1818) jofră (un dessert existant seulement en Roumanie, inventé en 1920 par les frères Capşa en l'honneur du maréchal français Joffre, qui a visité la capitale roumaine, Bucarest), amandine (du fr. amandine – le roumain a importé du français seulement le sens culinaire et non pas celui de cosmétique) baiaderă (du fr. bayadère: même si le gâteau existe dans les deux langues, ce sens n’est attesté ni dans les dictionnaires français, ni dans les dictionnaires roumains), flan (du fr. flan), etc. Dans le cas des mots présentés nous avons analysé le contexte historique et social dans lequel ces termes sont entrés en roumain ainsi que les extensions ou les restrictions sémantiques et les changements d’ordre formel. 1. fr. amandine / roum. amandină FR. amandine, adj./ s.f. 1. (adj.) qui a la forme de l'amande; 2. qui contient des amandes; 3. (subst.) sorte de cosmétique dont l'amande forme la base et dont on se sert pour se laver les mains et même le visage; 4. gelée comestible où entrent des amandes ou de l'huile d'amandes; 5. globuline retirée de divers fruits (TLFi); 6. petit gâteau frais aux amandes (GR). Étymologie : dér. de amande + suff. -in; amande < lat. pop. amandula (altération du lat. amygdala) (GR, TLFi). ROUM. amandină, s. f. 1. cremă de migdale (DN); 2. prăjitură preparată din ciocolată şi cremă (de migdale) (DEX, DN, MDN); 3. bomboană în formă de 1 migdală, umplută cu cremă de ciocolată şi tăvălită în cacao (DEX). 176 En français, amandine signifie tout ce que contient de l’amande sous différentes formes, ou ce qui est en forme d'amande: tartes, crèmes, produits de beauté. Le mot est attesté en français pour la première fois dans la 19e édition du dictionnaire Larousse (1866), où il signifie «sorte de cosmétique dont l'amande forme la base et dont on se sert pour se laver les mains et même le visage» Le roumain n'a pas importé le sens cosmétique de ce terme, mais seulement celui culinaire. En roumain, amandine est un gâteau à la crème d’amandes, ou des bonbons en forme d'amande. Dans l’usage actuel, amandine (le gâteau) n'a plus rien de la signification originale, parce que rarement il contient la crème d'amandes; caractéristique pour ce gâteau est devenu le glaçage au chocolat. De même, les bonbons appelés «amandines» n’ont plus nécessairement la forme d'amande. 2. fr. entrecôte / roum. antricot FR. entrecôte s.f. 1. tranche de viande de bœuf coupée dans la région des côtes (TLFi, GR); 2. (fam.) côte (humaine) (GR). Étymologie: entre + côte; entre < lat. inter; côte < l'anc. forme coste < lat. costa (GR, TLFi). ROUM. antricot, s.n. 1. carne de vacă, de oaie sau de porc provenită din regiunea intercostală; (p. ext.) friptură din această carne; cotlet (DLRC, DEX, DN, MDN, 2 DGE); 2. (intl.) bărbat slab / costeliv / jigărit (ARGOU). A l'origine, en français ce mot a été du genre masculin (GONCOURT, Journal, 1859, p. 584-TLFi), mais aujourd’hui il est féminin. Comme son nom l'indique, entrecôte signifie en français une «tranche de viande de bœuf coupée dans la région des côtes» (TLFi). En roumain, le mot est devenu, grâce à l'adaptation phonétique, antricot. Ainsi, le mot «antricot» peut-il designer un morceau de viande de la région intercostale, provenant aussi d'autres animaux et pas seulement la viande de bœuf. Par extension, en roumain antricot se réfère aussi au rôti de cette viande. Des réminiscences de la signification française «côte» se trouvent dans l'argot roumain, ou antricot désigne un homme très maigre (Dictionnaire d'argot du roumain), qui n’a que la peau sur les os. Si maigre qu’on peut voir les côtes sous la peau. On peut clairement observer que ce sens est directement liée à l'original français (côte) et qui a peu à faire avec le sens de «rôti». 3. fr. bayadère / roum. baiaderă bayadère, s.f./ adj. 1. danseuse sacrée hindoue; 2. p. ext. danseuse professionnelle de spectacle; 3. (avec valeur d'adj. modes. drap, étoffe, tissu bayadère) étoffe en soie, en coton ou en aine à larges rayures multicolores; 4. robe bayadère (TLFi, GR). 177 Étymologie: empr. d'abord par l'intermédiaire d'un texte néerl., au port. bailadeira < vb. bailar < lat. ballare (GR, TLFi). baiaderă, s.f. 1. dansatoare indiană care execută dansuri rituale sau laice (DA, 3 DLRC, DLRM, DEX, DN, MDN). Le premier sens de ce mot en français et en roumain désigne une «danseuse sacrée hindoue (TLFi) qui exécute des danses rituelles ou laïcs (d’après les dictionnaires roumains). » Comme un sens dérivé du premier, en français apparaît aussi l’extension «danseuse professionnelle de spectacle» (TLFi); cette signification en roumain n'est attesté que dans le DA: «Dănţuitoare (de teatru, etc.). „Nobilul poet [Ienăchiţă Văcărescu] ştiuse a se înconjura, cu o rafinare adevărat orientală...de toate desfătările simţurilor. O mulţime de fete, tinere şi gingaşe nimfe şi baiadere, îmbrăcate cu cele mai luxoase veşminte, cu rochii cu şaluri...îi slujeau” (Alexandru Odobescu).»4 Ainsi, au début du XIXème siècle, le deuxième sens du français était-il encore fonctionnel en roumain. Le troisième sens en français est utilisé dans le domaine vestimentaire, désignant une «étoffe en soie, en coton ou en aine à larges rayures multicolores». Dans le dictionnaire roumain de textile on-line il y a l’explication suivante: «Ţesătură cu dungi, adesea regrupate spre bordură, dungi transversale de diferite lăţimi, în culori vii, uneori contrastante sau prost asortate. Această ţesătură este 5 adesea utilizată la confecţionarea fustelor.» Ni les dictionnaires roumains, ni les dictionnaires français n’attestent le sens culinaire de bayadère. En français, bayadère est un dessert qui peut prendre différentes formes et compositions (comme on peut le voir en consultant les sites culinaire français), par exemple: «bayadère de fruits rouges à la mousse de mascarpone » (http://www.recettes-et-terroirs.com/recette_detail-16-373.html). En roumain, il ya a une particularité du gâteau appelé « bayadère » : indépendamment de sa composition, ce gâteau doit toujours être recouvert d'une couche de chocolat, qui est caractéristique aussi pour le dessert appelé «négresse», à partir des similitudes physiques (de couleur de la peau des danseuses indiennes ou des femmes africaines) (cf. les sites culinaires roumaines). 4. fr. bistro(t), - ote / roum. bistrou FR. bistro(t), -ote, s.m./ f. 1. (fam.) petit café, petit restaurant sympathique et modeste; 2. (p. méton.) le patron de cet établissement (TLFi, GR); 3. (au fém., bistrote) femme qui tient un café (TLFi). Étymologie: orig. obsc.; à rattacher au poit. bistraud (GR, TLFi); prob. de bistouille (GR). 178 ROUM. bistrou, s.n. 1. mic local în care se servesc aperitive, băuturi (răcoritoare) 6 (DEX, DN, MDN). Le mot roumain bistrou provient du français bistro (on rencontre aussi la forme bistrot). En français, le mot bistro désigne «un petit café, un petit restaurant sympathique et modeste» et aussi «le patron de cet établissement», où l’on sert principalement des boissons et des nourritures (TLFi). En roumain, le sens de «patron d’un petit café» n’existe pas. DEX et DN considèrent le mot bistrou comme un gallicisme. En français, il n'y a pas d’unanimité sur l'étymologie du mot bistro / bistrot, donc plusieurs hypothèses sont discutées. L’une des variantes considère le mot bistrot comme un régionalisme qui, au XIXème siècle, s’été imposé partout: le poitevin bistraud ou le mot du sud de la France bistroquet. Une autre hypothèse est plus proche du mot bistrouille qui, dans le nord de la France, désignait un mélange de café et d'alcool. On constate aussi le rapprochement de l’argotique bistingo, qui signifie «cabaret» (TLFi). Une autre opinion est celle d’une étymologie populaire, qui rapproche le mot français bistrot du mot russe bîstro «vite». La légende dit que pendant l'occupation russe de Paris (1814-1818), les soldats russes entraient dans les restaurants pour boire de l’alcool. Comme ils n’avaient pas le droit d’entrer dans les restaurants et qu’ils avaient peur d’être surpris par leurs gradés, ils pressaient sur des serveurs français, en criant «bîstro». En roumain, le mot bistro connaît de nos jours une revitalisation parce que de nombreux restaurants portent ce titre, ce qui confère un certain prestige et un air de bohème. Si, en France, le bistrot signifie un petit restaurant, sans grandes prétentions, où l'atmosphère est l’élément le plus important, la tendance actuelle en Roumanie transforme le bistro dans un restaurant avec des touches de luxe, ayant comme public cible le nouveau riches. Au-delà de l'usage familier, on trouve une acception officielle du mot bistrot, dans le document intitulé Normele metodologice privind clasificarea unităţilor de alimentaţie publică «Normes pour la classification des établissements d’alimentation publique». Ici, le bistrot est considéré comme une unité de «restauration rapide» et il est défini ainsi: «Bufetul tip expres – bistrou - este o unitate cu desfacere rapidă, în care fluxul consumatorilor nu este dirijat, servirea se face de către vânzător, iar plata se face anticipat. Unitatea este dotată cu mese tip expres.» (http:// 7 rotur.ro/index.jsp%3Fpage%3 Dleg_tur%26tip%3Dalimentatie). 5. fr. flan / roum. flan FR. flan, s.m. 1. (pâtiss.) crème sucrée à base d’œufs, de lait et de farine que l'on fait prendre au four; (p. méton.) tarte garnie de cette crème. (TLFi, LITTRÉ, GR); 2. (numism.) disque de métal destiné à la frappe d'une monnaie, d'une médaille 179 (TLFi); 3. (typogr.) carton enduit d'une colle spéciale que l'on applique humide sur des caractères mobiles afin d'en prendre l'empreinte pour le clichage (TLFi, GR); 4. (loc. pop.) en être, en rester comme deux ronds de flan; en rester comme du flan (rare) être frappé de stupeur (TLFi); 5. [l'idée dominante est celle de hasard] (loc. adv.) au flan. au hasard, sans préméditation. (synon. au petit bonheur); 6. (loc. adj.) à la fla qui se laisse guider par le hasard (TLFi); 7. [l'idée dominante est une idée d'amateurisme, de manque de soin] (loc. adj). à la flan. qui ne peut être pris au sérieux. (synon. à la noix) (TLFi); 8. personne incapable (synon. imbécile) (TLFi). Étymologie: du germ. occid. flado, cf. l'a. h. all. flado (GR, TLFi). ROUM. flan, s.n. 1. un fel de prăjitură cu cremă şi fructe. (DEX, DN); DN 8 precizează că există şi varianta „flanc”. En roumain et en français, le premier sens du mot est celui de pâtisserie. Mais si en français, flan est un dessert à la crème qui peut varier, en roumain flan a évolué vers d'autres préparations: «flan au fromage», «flan aux courgettes», «flan au thon et à la sauce aux poireaux», etc. (sens identifiables sur les sites culinaires). Le roumain n’a pas pris le sens technique français du mot flan, celui typographique, ni les expressions qui mettent en évidence soit l'idée de hasard, soit le danger, la fidélité ou l'amateurisme. En roumain il existe, en revanche, le sens numismatique, en dépit du fait qu'il n'est pas attesté par les dictionnaires roumains. On trouve sur internet: „Prima dintre acestea priveşte interpretarea unei serii de groşi „fără legendă”, cu flanul mic şi greutatea redusă” (Ernst Oberländer-Târnoveanu, „Emisiunile monetare bătute pe teritoriul Moldovei în vremea lui Ştefan cel Mare (1457-1504). O analiză critică”, în Cercetări numismatice, IX-XI Bucureşti, 2003-2005, p.293399). „Era mult mai uşor, dar şi mai rapid (şi fără pierderi de metal) să se realizeze 9 flanuri pătrate, nu rotunde” (Colecţionarul Român, nr.14, 26 aprilie 2008). 6. fr. - / roum. jofră ROUM. jofră, s.f. 1. prăjitură de formă cilindrică din cremă de ciocolată acoperită 10 cu glazură (DEX, DN, MDN). Ainsi que Marius Sala l’indique, ce mot n'est pas enregistré par les dictionnaires français (Sala 2006: 128). Le nom de ce gâteau au chocolat vient du nom propre Joffre (DN). Il s’agit du maréchal français Joseph Jacques Césaire Joffre, qui, pendant la Première Guerre mondiale, a réussi à vaincre les armées allemandes dans la bataille de la Marne (1914). Le 20 août 1920, le maréchal Joffre a visité la Roumanie pour remettre la Croix de Guerre à la ville de Bucarest et la médaille militaire au roi Ferdinand Ier de Roumanie. Après la cérémonie, au Palais des Arts du Parc Carol, le maréchal a été invité par le roi Ferdinand à un banquet, où on a servi le gâteau, créé 180 exclusivement en l'honneur du maréchal. Le dessert a obtenu un énorme succès auprès des célèbres invités. Très peu connu est le fait que ceux qui ont créé ce dessert étaient les frères Capşa (Constantin et Grigore); ces restaurateurs et pâtissiers, propriétaires d’un fameux café de Bucarest, sont ceux qui ont apporté les fondantes à Bucarest et les premiers qui ont introduit la production de crème glacée en Roumanie. À côté de la version adaptée jofră, en roumain il existe aussi le nom prăjitură Joffre «gâteau Joffre»: „Nu vreţi mai bine să încercaţi o jofră?” (hot city, 07.04.2010). „Nimic nu se compară cu jofra!” (http://www.cafeneaua.com/ nodes/ show/ 24592/ amandina-amandine-amandin/1). „Aşa este tortul Joffre: blatul mic de înălţime şi cremă multă deasupra.” (http://forum.desprecopii.com/forum/recipe.asp?action=info&id=518); „Unul din preferatele sale e tortul Joffre, pe care a învăţat să-l prepare” 11 (Libertatea, 27 februarie 2009). 7. fr. patricien / roum. patrician patricien, -ienne, s.m / f ./adj. 1. (hist. rom.) personne qui appartenait, de par sa naissance, à la classe sociale la plus élevée chez les citoyens romains, qui jouissait de nombreux privilèges et qui, à l'origine, pouvait seule prétendre à une haute magistrature (TLFi, LITTRÉ, GR); 2. (p. ext.) personne issue de la noblesse, d'une classe sociale privilégiée; 3. (p. anal.) celui ou celle qui appartient à une élite (intellectuelle ou morale) (TLFi, LITTRÉ). Étymologie: dér. de patrice + suff. -ien; patrice < lat. patricius < lat. pater (GR, TLFi). patrician, -ă, s.m. şi f. 1. (în Roma antică) membru al comunităţii gentilice, iar mai târziu al aristocraţiei gentilice, care se bucura de toate drepturile şi privilegiile; patriciu (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); 2. ( p. gener.) nobil, senior, aristocrat (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); s.m. 3. cârnat preparat din carne de vită tocată, cu condimente, care se consumă fript pe grătar (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN)adj. 4. de origine nobilă; rafinat (DLRC, MDN); 5. mândru, îngâmfat 12 (DN). Le premier sens du français coïncide avec celui du roumain et se réfère à l'aristocratie (et non seulement chez les Romains de la Rome antique), aux qualités et aux défauts qui caractérisent cette catégorie sociale. En roumain il existe un sens culinaire très bien développé et largement utilisé: il s’agit de cârnat patrician «saucisse patricienne», mais un tel sens en français n’existe pas. A l'origine, le nom patricien a été utilisé pour décrire la quantité: les saucisses patriciennes étaient grandes, par opposition aux petites saucisses (cf. Vlad Nicolau, Mai pe larg, despre mici, gustos.ro; Alex Lancuzov, Nimic despre mititei, totul despre patricieni Radio România Actualităţi, 28 aprilie 2010). Du syntagme originaire saucisse patricienne l'adjectif est devenu 181 indépendant, se transformant en un nom, de sorte qu'aujourd'hui, on peut dire seulement patricien pour designer ce type de saucisses. Il semble que le célèbre humoriste N.T. Orăşanu a inventé le nom de patriciens en 1912, après avoir fait la liste ludique des plats principaux du restaurant La Iordache: «Hazosul ziarist îi numea „patricieni". În faţa acestei situaţii neprevăzute, patronului Iordache i-a venit inspiraţia să frigă patricienii pe grătar fără înveliş, dar într-o forma mai mică.» (http:// www. ziua.net/ f.php? data=2008-0913 18&thread=192061&I d=7247&zyear =2006 & nswitch= 1&kword2=Ionut04). 8. fr. charlotte / roum. şarlotă FR. charlotte, s.f. 1.(pâtiss.) entremets fait de marmelade de pommes ou de crème fouettée entourée de tranches de pain beurrées ou de biscuits. (GR, TLFi, LITTRÉ); 2. (habill.) large chapeau souple dont le bord est froncé de volants (TLFi). Étymologie: du prénom fém. Charlotte (FEW, GR, TLFi). ROUM. şarlotă, s.f. 1. amestec de marmeladă şi pâine prăjită (DLR); 2. cremă preparată din lapte, ouă, zahăr, frişcă şi gelatină (cărora li se adaugă şi fructe) şi 14 care se serveşte ca desert (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN). Charlotte est actuellement l'un des desserts les plus populaires en Roumanie et le sens du mot a dépassé le sens primaire du français, celui de «entremets fait de marmelade de pommes ou de crème fouettée entourée de tranches de pain beurrées ou de biscuits» (TLFi). Dans les deux langues, cette préparation a évolué: ainsi trouvons-nous en roumain et en français «charlotte de légumes», «charlotte de veau », «charlotte aux champignons », etc. Le dessert aurait été nommé ainsi en l'honneur de la reine Charlotte (duchesse Sophie Charlotte von Mecklenburg-Strelitz), épouse de George III (roi du Royaume-Uni et d’Irlande entre 1760 à 1801, puis roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, entre 1801 et 1820). Le TLFi ne considère pas qu'il existe des preuves suffisantes en faveur de cette hypothèse. Si l’éponyme du dessert est la reine, son moment d’apparition peut être établi avec suffisamment de précision, parce que la reine Charlotte a vécu entre 1744 et 1818. En roumain, seulement le MDN atteste la contribution des biscuits à la préparation de ce dessert; les autres dictionnaires (par exemple le DEX) proposent comme définition seulement les différentes variétés de crème. La recette originale de la charlotte a été inspirée par la crème bavaroise, qui a été inventée par les Suisses. Ce que le roumain n’a pas importé est le sens suivant: «large chapeau souple dont le bord est froncé de volants» (TLFi). C’était un chapeau de dame, populaire au XVIIIème siècle et au début du XIXème parmi les classes moyennes et inférieures. On considère que le nom vient du nom Charlotte, à savoir de la célèbre 182 Charlotte Corday, qui, le 13 Juillet 1793, a tué Jean-Paul Marat. En 1838, nous trouvons: «[...] une duchesse porte des bonnets à la Charlotte Corday, une méthodiste porte des turbans à la Juive [...]» D. de Girardin, Let. parisiennes, 258 (Charpentier). C’était un bonnet comme celui porté par Charlotte Corday. Le chapeau de type charlotte était encore connu en France au XIXème siècle comme le bonnet des laitières (on remarque le sens péjoratif). Aujourd’hui, en France, c'est aussi le nom du bonnet qui recouvre les cheveux dans certaines industries (en particulier les industries agro-alimentaires, pharmaceutiques et parfois chimiques) et en chirurgie, pour des raisons d'hygiène. 9. CONCLUSIONS L’itinéraire des mots roumains empruntés au français est parfois sinueux, car ils ont subi des extensions ou des restrictions sémantiques, des innovations sémantiques, etc. L’histoire des mots pris du français doit être poursuivie en étroite relation avec les transformations sociopolitiques et culturelles qui ont marqué l'évolution de la société roumaine. Les mots français empruntés par le roumain ont acquis d'autres sens par des relations de contiguïté avec les réalités qui les ont transformées. Dans notre article nous avons analysé plusieurs transformations subies par les mots roumains empruntés au français. On constate de l'analyse des mots ci-dessus que les termes pris du français ont évolué différemment à cause de plusieurs facteurs, dont l'action a été souvent combinée. En partant des mots d’origine française, le roumain a prouvé des valences créatives, par dérivation des sens et des formes; les mots empruntés au français ont reçu, à l’aide des éléments roumains de composition, une nouvelle vitalité. NOTES * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. 1 «amandine subst. fém. 1. crème d’amandes (DN); gâteau préparé de chocolat et de crème (d’amandes) (DEX, DN, MDN); 3. bonbon à forme d’amande, remplie de crème de chocolat et couvert de poudre de cacao (DEX)». 2 «entrecôte, subst. neutre. 1. viande de bœuf, de mouton ou de porc coupée dans la région intercostale; (par extension) rôti préparé de cette viande; côtelette (DLRC, DEX, DN, MDN, DGE); 2. (argot) personne très maigre, décharnée, efflanqué (ARGOU).» 3 «bayadère, subst. fém. 1. danseuse indienne qui exécute des danses rituelles ou laïques (DA, DLRC, DLRM, DEX, DN, MDN).» 4 «Danseuse (de théâtre, etc.) «Le noble poète [Ienăchiţă Văcărescu] a su s’entourer, avec un raffinement vraiment oriental … de tous les délices des sens. Il était servi par une foule de filles, véritable nymphes, jeunes et délicates, habillées avec des vêtements luxueux, des robes et des châles. » (Alexandru Odobesscu) » 183 5 «Tissu avec des rayures groupés souvent vers le bord ou avec des raies transversales de divers largeurs, à couleurs vives et souvent mal assorties. Ce tissu est souvent employé façonner des jupes.» 6 «bistro, subst. neutre 1. petit local où on sert des apéritifs, des boissons rafraichissantes.» 7 «Le buffet de type express - bistro - est une unité de restauration rapide, dans lequel le flux des clients est dirigé; ils sont servi par le vendeur et la paie se fait en avance. L’unité est prévue de tables de type express (où on reste debout).» 8 flan subst. neutre 1. type de gâteau à la crème, avec des fruits. (DEX, DN); le DN précise qu’il existe aussi la variante flanc. 9 «La première <remarque> regarde l’interprétation d’une série de groschen «sans légende» de flan petit et de poids réduit (Ernst Oberländer-Târnoveanu, „Emisiunile monetare bătute pe teritoriul Moldovei în vremea lui Ştefan cel Mare (1457-1504). O analiză critică”, «Les émissions monétaires frappées sur le territoire de la Moldavie à l’époque d’Étienne le Grand (1457-1504). Une analyse critique» dans Cercetări numismatice, IX-XI Bucureşti, 2003-2005, p.293-399). «C’était beaucoup plus facile et plus rapide (et sans perte de métal) de réalise des flans carrés au lieu de ronds» (Colecţionarul Român, no.14, 26 avril 2008) 10 joffre, subst. fém. 1. petit gâteau à forme cylindrique, de mousse de chocolat et recouvert d’une graçage de chocolat. (DEX. DN. MDN). 11 Ne voulez-vous pas essayer un joffre? (hot city, 07.04.2010). Rien ne peut se comparer avec un joffre (http://www. cafeneaua.com/ nodes/ show/ 24592/ amandina-amandine-amandin/1). Le gâteau Joffre est comme ça: le biscuit est très bas et il y a beaucoup de mousse au chocolat dessus (http:// forum. desprecopii.com/forum/ recipe.asp?action=info&id=518) Un de ses préférés est le gâteau Joffre, qu’il a appris à préparer (le journal Libertatea, 27 februarie 2009) 12 patricien, -nne, subst masc., fém 1. (dans la Rome antique) membre de la communauté gentilice, et plus tard de l’aristocratie gentilice (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN); 2. (par généralisation) noble, seigneur, aristocrate (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN; 3. subst. masc. saucisse de viande de bœuf hachée, assaisonnée, qu’on mange rôtie sur le gril. (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN) adjectif 4. d’origine noble, raffiné ; 5. fier, présomptueux (DN). 13 «Ce journaliste très rigolo les appelle patriciens. Devant cette situation imprévue, le restaurateur Iordache a eu l’inspiration de rôtir les patriciens directement sur le gril, mais dans une forme plus petite.» (http:// www. ziua.net/ f.php? data=2008-09-18&thread=192061&I d=7247&zyear =2006 & nswitch= 1&kword2=Ionut04). 14 «charlotte nom. fém. 1. mélange de marmelade et de pain grillé (DLR) ; 2. crème préparée de lait, d’œufs, de sucre, de crème fouettée et de gélatine (à laquelle on ajoute des fruits), servie comme dessert (DLR, DLRC, DEX, DN, MDN). BIBLIOGRAPHIE Berindei, Dan (2008): Les roumains et la France au carrefour de leur modernité. Bucureşti: Editura Academiei. Bulei, Ion (2009): „Influenţa franceză în România şi reacţia contra ei (18701900).” În Revista de Ştiinţe Politice şi Relaţii Internaţionale, VI, 3, 141150. Coteanu, Ion (1981): Structura şi evoluţia limbii române (de la origini până la 1860).Bucureşti: Editura Academiei. Craia, Sultana (1995): Francofonie şi francofilie la românii. 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Segundo, una cantidad impresionante de términos se presta de una lengua a otra, con pocas modificaciones o sin cambio alguno, ya que, gracias a las nuevas tecnologías y medios de comunicación, un vocablo extranjero se puede diseminar y acuñar fácilmente y rápidamente, mientras que el proceso de creación lingüística interna sería más largo y difícil. Aunque últimamente se habla cada vez más de la importancia del inglés y de los anglicismos para el desarrollo del lenguaje económico a nivel mundial, nuestro propósito es presentar y subrayar, en este artículo, la significante influencia del francés en el lenguaje económico del castellano y del rumano. Nuestra tesis es que en el lenguaje económico de estos dos idiomas las palabras de origen francés son fundamentales. 2. CONSIDERACIONES TEÓRICAS En primer lugar, cabe señalar que las lenguas especializadas (también llamadas lenguas especiales, microlenguajes, lenguajes sectoriales, etc.) son variaciones del sistema de la lengua común, caracterizadas por la especificidad del léxico (términos específicos, que no se suelen utilizar en otros ámbitos), de la sintaxis (combinaciones, colocaciones y estructuras sintácticas que resultarían “anormales” en el lenguaje común) y de la configuración textual. Las lenguas especializadas no se atienen a criterios geográficos (no son dialectos), ni a criterios sociológicos (pues no corresponden a niveles socioculturales) y, generalmente, para su adecuado manejo se necesitan competencias discursivas, culturales y profesionales. A diferencia del argot, las lenguas especializadas identifican un 187 determinado dominio social y de actividad y no tienen finalidad críptica (v. Rodríguez Díez 1979: 37). Dado su uso predilecto en ámbitos profesionales y para la comunicación de informaciones científicas, las lenguas especiales se manifiestan a nivel escrito, más que a nivel oral. Aunque, por lo general, es difícil establecer la frontera entre una lengua especial y la lengua común, Inmaculada Sanz (2009: 23-44) propone algunos rasgos prototípicos del lenguaje especializado, que presentaremos brevemente en las líneas siguientes. El lenguaje especializado es monosémico y utiliza un vocabulario unívoco, ya que los tecnicismos y neologismos en pocos casos toleran polisemia, sinonimia y homonimia; los neologismos se crean por composición, derivación y préstamos léxicos. El lenguaje especializado es denotativo, realizando una referencia estricta al objeto y rechazando el uso del lenguaje oblicuo. El lenguaje especializado es objetivo y recurre a definiciones, enunciaciones, descripciones, explicaciones, demostraciones y caracterizaciones sin involucrar sentimientos o posturas personales. En el lenguaje especializado se valoran la precisión y la claridad, se usan conectores para secuenciación simple, se recurre a nominalizaciones y a tiempos verbales simples; suelen faltas las perífrasis verbales y otros adornos retóricos. El lenguaje especializado está marcado por la impersonalidad, el uso del plural de modestia, de la voz pasiva y del indicativo presente (con valor gnoseológico). Finalmente, los lenguajes especializados son universales, utilizan ejemplificaciones y convenciones metodológicas. Según el ámbito profesional en y para el cual se utilizan, los lenguajes especializados pueden clasificarse en: lenguaje económico, lenguaje jurídico, lenguaje médico, lenguaje técnico, etc. Dentro de las lenguas especiales, el lenguaje económico representa un caso aparte, porque, en la actualidad, la información económica ya no queda restringida al estrecho círculo de los especialistas, sino que se difunde mediante textos que pueden ser interpretados correctamente por un conjunto de receptores mucho más amplio. Tal como observa Nevado Llopis (2011: 10), esto se debe en gran medida a la evolución y el desarrollo de la ciencia económica junto con la evolución continua del mundo de los negocios en el ámbito internacional. Los medios informativos, a través de su acción divulgadora, hacen llegar hasta el hombre de la calle un caudal de neologismos y tecnicismos que, de otra manera, seguirían limitados al ámbito de los especialistas. Esta tendencia favorece la interacción entre la terminología científico-técnica y las estructuras lingüísticas de la lengua común, por lo cual podríamos decir que el lenguaje económico es la lengua especializada más fácil de entender para los hablantes no especialistas. Al igual que todos los lenguajes especiales, el lenguaje económico presenta particularidades a nivel de léxico (lexemas específicos, que no se utilizan en la lengua común; o lexemas de la lengua común, utilizados con un sentido distinto); sintaxis (oraciones sencillas y claras, tiempos verbales simples; alto uso de la fraseología profesional y de las colocaciones); semántica y pragmática (textos denotativos, ausencia de los usos figurativos, objetividad, propósito: informativo). El léxico o vocabulario económico (que es la perspectiva que nos interesa para el análisis de los préstamos) 188 está constituido, en la economía actual, en su mayoría, por neologismos, entre los que predominan las siguientes clases: extranjerismos, préstamos naturalizados, calcos semánticos, términos formados a partir de creación neológica y términos que tienen su origen en procesos de creación metafórica. El proceso de formación de este vocabulario, que posee una estabilidad relativa, se ve sometido constantemente a una sucesión de cambios y reajustes, por lo que las voces que lo componen pueden tener una vida efímera. En ocasiones, la caída en desuso y posterior desaparición de un término se deben a la connotación peyorativa que, en un momento dado, haya llegado a alcanzar el concepto, objeto o actividad que designa esa voz o a la desaparición o al desprestigio de los conceptos u objetos para cuya denominación fueron acuñados. Resulta evidente que el nuevo vocabulario irá creándose su propio prestigio, el cual dependerá directamente de la aceptación y reconocimiento que la sociedad otorgue a cada uno de los términos. Es posible afirmar, por lo tanto, que el nacimiento y la vida de los nuevos términos económicos dependen en gran medida de factores sociolingüísticos. Este proceso de acusada creación neológica se desarrolla dentro de una lengua de grupo o metalenguaje cuyos protagonistas son tanto los especialistas (terminólogos-juristas, políticos, economistas, etc.) como los no especialistas (periodistas y comunicadores en general) y se refleja en momentos concretos que van desde la creación de términos por parte de los terminólogos hasta la vulgarización de los mismos por parte de los periodistas a través de procesos reformulativos. En castellano, concretamente, el vocabulario económico se ha desarrollado mediante varios métodos. Los préstamos son vocablos que han sufrido un proceso de naturalización mediante el cual se han acomodado a la estructura del español, pero conservan, en la medida de lo posible, el significante de la lengua de origen, con alguna adaptación fonética y gráfica (finanzas < fr. finances, contabilidad < fr. comptabilité, optimización <ingl. optimisation, maximización <ingl. maximisation). Los extranjerismos originan principalmente en Norteamérica y la mayoría son vocablos relativamente recién introducidos (broker, consulting, joint venture). Otros, en cambio, han permanecido en el vocabulario de la economía a lo largo de los años sin sufrir ningún tipo de modificación en su estructura gráfica ni fonética (marketing, holding, stand, slogan) Este último grupo de términos se emplea desde hace más de treinta años en la lengua española y ha llegado a naturalizarse hasta tal punto que estas palabras aparecen en la prensa desprovistas de marcas discursivas como podrían ser la cursiva o las comillas, pero ello no quiere decir que hayan sido aceptadas por la Real Academia Española. Entre los calcos semánticos destacan aquellos que se acuñan a partir de significantes de la lengua receptora y, por consiguiente, aportan un término nuevo. Un ejemplo de esta categoría sería fusión (ingl. merger), concepto metafórico ampliamente empleado por los economistas para referirse a la operación financiera que consiste en formar una sola empresa a partir de la unión de intereses de dos o más empresas previamente existentes. En el lenguaje económico del castellano se han forjado, además, nuevos signos a partir de los elementos formadores de palabras de los que dispone la lengua. Los neologismos así creados presentan una nueva relación entre significante y 189 significado basada en la motivación morfosemántica. Desde este punto de vista, adquieren gran importancia las palabras derivadas (compatibilizar, consensuar, operacional, desincentivar, renegociación, cofinanciar) y compuestas (acuerdo marco, mercado continuo, capital riesgo). El vocabulario económico español presenta un patente predominio de neologismos formados por derivación frente a los compuestos. El empleo de metáforas conceptuales para la formación de nuevos términos, vía metaforización, pone de manifiesto el mútuo influjo que se produce entre la lengua común y el lenguaje de la economía. En general, los procesos metafóricos característicos del español económico se centran en la identificación con diversos instrumentos que son necesarios para el hombre de nuestros días, como por ejemplo el automóvil. Este campo semántico aparece en sintagmas como ralentización de los precios, brusco frenazo de los tipos de interés, desaceleración económica. Otras veces se asocia con situaciones emocionales o afectivas del ser humano, tales como: debilitamiento de la moneda, apatía en los mercados bursátiles, temores inflacionistas, sacrificios salariales y al considerar la economía como a un ser humano, las crisis económicas se explican en los mismos términos con los que se alude a la enfermedad de las personas, hablando, por ejemplo, de convulsión en los mercados financieros, síncopes inflacionistas, o el virus amarillo (el poder de inversión de los japoneses). No podemos dejar a un lado las abreviaturas y las siglas, como método de formación de vocabulario. Las abreviaturas se leen con las palabras enteras, marcando una reducción de carácter gráfico y no fonético, como por ejemplo en el caso de mbd (millones de barriles diarios). La finalidad de la abreviatura es suprimir parte de las letras de un sintagma por una razón de economía en la escritura. Por otro lado, las siglas leen como palabras autónomas. Es evidente que la sigla en el uso corriente se ha convertido en una palabra, por ejemplo, NIF funciona en la lengua como tal palabra, puesto que al nombrarlo nos referimos al NIF y no decimos Número de Identificación Fiscal. Desde un punto de vista morfológico, el vocabulario económico presenta particularidades a nivel de: sustantivos, verbos y adjetivos (palabras semánticamente plenas), ya sea utilizando lexemas que son poco frecuentes en la lengua común, o utilizando vocablos del lenguaje general, pero cambiando su sentido. En los diccionarios especializados, predominan los sustantivos y los grupos nominales. La importancia de los grupos (sintagmas) nominales en el lenguaje económico es alta, ya que en ellos se concentra la mayor cantidad de información en un texto dado. Los sintagmas nominales en el lenguaje económico son entidades consagradas, que funcionan como una unidad fraseológica en términos de fijación y de unidad del significado. En castellano, gran parte de los sintagmas nominales del lenguaje económico no han sido creados dentro de la lengua, sino que se han prestado de lenguas como el francés o el inglés. La importancia de la lengua francesa para el lenguaje económico a nivel mundial se debe a que numerosos investigadores franceses han contribuido al desarrollo de la economía (obviamente, sus obras fueron escritas en francés y después difundidas a nivel mundial): Olivier Blanchard, François Quesnay, 190 Antoine de Montchrestien, Jean-Baptiste Say, Léon Walras, etc. Como la mayoría de las investigaciones económicas no se desarrollaban dentro de sus respectivas fronteras nacionales, la lengua española y la lengua rumana necesitaron recurrir a un método de adquirir los nuevos conceptos propuestos y las nuevas teorías. Así, se optó por el préstamo (con la correspondiente adaptación al propio sistema fonológico y gráfico) de numerosos vocablos del francés. De hecho, incluso hoy en día, en los manuales universitarios de economía, en Rumania, la mayor parte de la bibliografía sigue siendo representada por obras escritas originalmente en francés. 3. ANÁLISIS DE UN CORPUS Para realizar un análisis aplicativo de los préstamos del francés al español y al rumano, en el ámbito de los sintagmas nominales del lenguaje económico, hemos recurrido al curso de análisis y gestión financiera de Natalie Gardes (véase la bibliografía). De este corpus, hemos extraído todos los sintagmas nominales, ateniéndonos principalmente a los criterios de unidad de significado (que el sintagma tuviera cohesión interna, que se refiriera a un concepto autónomo) y fijación (se han seleccionado términos consagrados en el lenguaje económico, para los que se pueden encontrar al menos otras tres referencias, evitándose las colocaciones que pudieran ser una creación de la autora del curso). Después, hemos buscado los equivalentes semánticos en español y rumano utilizando para este fin, principalmente dos diccionarios para cada combinación lingüística: Dicţionar juridic, economic şi de afaceri francez-român (Feneşan 2010), Dicţionar economic francez-român (Dumitrescu 2009), Diccionario jurídico-económico francésespañol (Sambola Cabrer 2011) y Diccionario para traducción económica (grupo de investigación de la Universidad Autónoma de Madrid, 2008). Para los sintagmas que no se han encontrado en estos diccionarios, se ha recurrido a manuales de análisis financiero: Analiză economico-financiară (Buşe 2005), Diagnosticul financiar al firmei (Siminică 2010), respectivamente Manual de análisis financiero (Rubio Domínguez 2007). Nos ha interesado mucho que los materiales del corpus fueran recientes, para que ilustraran de manera adecuada el vocabulario económico actual y, a partir de ellos, hemos realizado una comparación desde un punto de vista estructural, considerando que la componente semántica es la constante del análisis. Examinando las similitudes y las diferencias de índole estructural entre grupos nominales franceses y sus equivalentes semánticos del español y del rumano, observamos tres niveles de correspondencia, mencionados en el cuadro que sigue, en un orden decreciente de la frecuencia: las situaciones de correspondencia total entre el francés y el inglés por un lado y el francés y el rumano por otro lado; las situaciones de correspondencia total entre el francés y el rumano, pero correspondencia parcial entre el francés y el español; las situaciones de correspondencia parcial en ambas combinaciones lingüísticas.1 191 Categoría de correspondencia Correspondencia total F-E, correspondencia total F-R Francés Español Rumano bourse des valeurs capitaux propres résultat d'exploitation augmentation de capital bolsa de valores capital propio resultado de explotación bursă de valori capitaluri proprii rezultat de exploatare aumento de capital majorare de capital umbral de rentabilidad teoría del compromiso apalancamiento seuil de rentabilité Correspondencia parcial F-E, correspondencia total F-R Correspondencia parcial F-E, correspondencia parcial F-R théorie de l'arbitrage effet de levier tableau de financement (des flux) théorie du financement hiérarchique produit dérivé financier prag de rentabilitate teoria arbitrajului efect de levier estado de flujo de efectivo tablou de finanţare (flux) teoría de la jerarquía de preferencias teoria ierarhizării surselor de finanţare derivado financiero instrument financiar derivat Cuadro 1. Niveles de correspondencia estructural entre los grupos nominales francés y sus equivalentes semánticos en español y rumano del Hemos notado en nuestro análisis que la gran mayoría de los grupos nominales del francés (más de la mitad) tienen un equivalente semántico en español y rumano perfectamente congruente desde un punto de vista estructural. Mediante el préstamo idéntico, se perpetúan las metáforas conceptuales de una lengua a otra (seuil/umbral/prag, levier/apalancamiento). En cuanto a las divergencias estructurales entre la fuente francesa y los préstamos españoles y rumanos, éstas son más frecuentes en castellano. Finalmente, no se han encontrado casos de divergencia total entre los grupos nominales de las tres lenguas, sólo de correspondencia parcial. El segundo propósito ha sido el de extender el análisis para incluir los equivalentes semánticos ingleses, otra lengua que ha influido mucho en el lenguaje económico a nivel internacional, con las siguientes finalidades: observar si la alta congruencia de los sintagmas nominales seleccionados se debe efectivamente a su préstamo del francés, o se trata de simples coincidencias y la correspondencia con el inglés sería aun más alta; ver si la congruencia estructural inferior entre el francés y el español se debe a algún acercamiento entre el español y el inglés. Como corpus para las equivalencias inglesas se ha utilizado Glossaire bilingue des termes de la microfinance (GRET 2007). El análisis de la convergencia estructural de los grupos nominales seleccionados y el equivalente inglés lleva a la observación de cuatro niveles de correspondencia: correspondencia estructural total 192 entre las cuatro lenguas; correspondencia total entre francés, español y rumano, pero divergencia con el inglés; correspondencia parcial entre el francés y el español, pero correspondencia total entre el francés y el rumano por un lado, y el español y el inglés, por otro lado; correspondencia parcial entre todas las lenguas. Categoría de correspondencia Correspondencia estructural total entre F, E, R, I Francés Español Rumano Inglés résultat d'exploitation resultado de explotación rezultat de exploatare structure de financement estructura financiera structură financiară coste de oportunidad bolsa de valores cost de oportunitate operating result financial/ capital structure opportuni ty cost stock exchange coût d'opportunité bourse des valeurs Correspondencia total entre F, E, R; divergencia con I Correspondencia parcial F-E, correspondencia total F-R y correspondencia total E-I Correspondencia parcial entre todas las lenguas bursă de valori capitaux propres capital propio capitaluri proprii equity augmentation de capital aumento de capital majorare de capital secondary equity offering droit préférentiel de souscription derecho de suscripción preferente drept preferenţial de subscriere rights issue seuil de rentabilité umbral de rentabilidad prag de rentabilitate théorie de l'arbitrage teoría del compromiso teoria arbitrajului breakeven point trade-off theory tableau de financement (des flux) estado de flujo de efectivo tablou de finanţare (flux) cash flow statement théorie du financement hiérarchique teoría de la jerarquía de preferencias teoria ierarhizării surselor de finanţare pecking order theory Cuadro 2.Niveles de correspondencia estructural entre los grupos nominales del francés y sus equivalentes semánticos en español, rumano e inglés El análisis realizado demuestra que la mayoría de los grupos nominales del corpus son isomórficos en francés, español y rumano, y difieren en inglés, por lo cual queda clara la gran influencia del francés en el lenguaje económico del castellano y del rumano. Además, debemos mencionar que los casos de correspondencia total entre las cuatro lenguas incluyen situaciones de correspondencia superficial u homonimia interlingual. Por ejemplo, el término 193 résultat d’exploitation difiere de su equivalente inglés operating result mediante la metodología de cálculo y structure de financement corresponde al inglés financial structure sólo en los contextos macroeconómicos. Sin embargo, en los contextos microeconómicos (donde se utiliza con mucha más frecuencia), structure de financement corresponde al término inglés capital structure. Estos casos deberían ser tratados con cautela, por los traductores por ejemplo. No se han encontrado casos separados de correspondencia total entre francés y español, duplicada por una correspondencia total entre el rumano y el inglés, pero al revés, sí, lo cual nos llevaría a concluir que existe una correspondencia mórfica mayor entre el español y el inglés que entre el rumano y el inglés. ¿Será que la lengua francesa ha influido más en el lenguaje económico rumano que en el lenguaje económico español? Una explicación plausible podría encontrarse fácilmente si habláramos del español de Hispanoamérica, donde la influencia inglesa es, desde luego, mucho más poderosa, pero todas nuestras fuentes bibliográficas para el castellano se refieren al español peninsular. Nuestra opinión es que la influencia mayor del francés sobre el léxico rumano se debe a la cronología de los procesos de enseñanza de lengua extranjera, ya que en Rumania el francés empezó a enseñarse y aprenderse mucho más temprano que el inglés (a fines del siglo XIX, no sólo por razones de interacción con la civilización francesa, sino también por el gran auge del francés en la corte rusa). 4. CONCLUSIONES Para resumir los resultados de esta investigación, queremos recalcar que el léxico funciona como una componente esencial y característica del lenguaje económico. Un texto de este ámbito profesional se puede reconocer inmediatamente por los términos específicos. Dentro del léxico especializado, los nombres y los grupos nominales son los que más información aportan, constituyendo la base del vocabulario económico. La lengua francesa ha sido una fuente importante para la adquisición de nuevos términos económicos en el español y el rumano. El corpus analizado ha revelado que la mayoría de los grupos nominales del lenguaje económico francés han sido naturalizados en español y rumano con una congruencia estructural perfecta, por lo cual podemos concluir que el francés ha influido considerablemente el vocabulario económico de estas dos lenguas. Por otro lado, las divergencias son más frecuentes entre el francés y el español que entre el francés y el rumano, mientras que las convergencias son más frecuentes entre el español y el inglés que entre el rumano y el inglés. NOTAS 1 Hemos preferido presentar las categorías mediante ejemplificación, en orden decreciente de la frecuencia, pero sin hacer ningún tipo de caracterización cuantitativa (por ejemplo, distribución porcentual), porque el inventario de 65 sintagmas nominales es bastante escaso, en nuestra opinión, para merecer un análisis cuantitativo. El propósito de este artículo es exclusivamente descriptivo, pero es posible que retengamos la idea del análisis cuantitativo para futuros trabajos. 194 BIBLIOGRAFÍA Dumesnil, Pierre (2005): «Économie de la langue et langage de l'économie», in La revue internationale de systémique, 9/5: 443-459. González Rey, Mª Isabel (2009): «Les enjeux de la phraséologie en matière de traduction spécialisée», in Les Actes du Colloque International «Théorie, pratique et didactique de la traduction spécialisée», Craiova. Union Latine 05/2009: 40-46. Lerat, Pierre (1997): Las lenguas especializadas. Barcelona (España): Ariel Lingüística. Nevado Llopis, Almudena (2011): La enseñanza del lenguaje específico de la economía.http://www.facli.unibo.it/NR/rdonlyres/F784F0FD-A62D-488AAEEA-E46598826A92/16528/navadoeikonomos1.pdf, fecha de la última consulta: 16.11.2011. 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Gardes, Nathalie: Cours d’analyse financière http://gestionfin.canalblog.com/archives/cours_d_analyse_financiere/index .html fecha de la última consulta: 16.11.2011. GRET (2007): Glossaire bilingue des termes de la microfinance, http://microfinancement.cirad.fr/fr/bao/pdf/glosan_fr.pdf, fecha de la última consulta: 16.11.2011. Rubio Domínguez, Pedro (2007): Manual de análisis financiero, www.eumed.net/libros/2007a/255/, fecha de la última consulta: 16.11.2011. Sambola Cabrer, Francisco Javier (2011): Diccionario jurídico-económico francésespañol, ediciones Kolab, edición electrónica. Siminică, Marian (2010): Diagnosticul financiar al firmei. Craiova: Sitech. 195 COMMENT SE FAIT-IL QUE LES NOMS BOUCHÉE ET BAISER SE TROUVENT SUR LES MENUS ROUMAINS?* Maria ILIESCU Université d’Innsbruck, Autriche Membre FROMISEM 1. INTRODUCTION Du riche ensemble de mots que le roumain a emprunté au français, le vocabulaire de la gastronomie et de la cuisine a été très peu étudié par les linguistes. Nous avons arrêté notre attention seulement sur deux mots, les substantifs français bouchée et baiser, qui se retrouvent en roumain sous la forme buşeu et bezea. L’évolution sémantique de ces mots est particulièrement intéressante. 2. BOUCHÉE, s.f. 2.1. Les dictionnaires roumains nous informent que le mot buşeu a le sens suivant: prăjitură cu nuci, cremă, frișcă sau ciocolată. (DEX s.v.) «pâtisserie avec des noix, de la crème, de la crème fouétée ou du chocolat» ou bien, avec plus grande exactitude: mici pateuri din foitaj, umplute divers (DGE s.v.) «petites croûtes farcies de différentes manières» L’étymologie incontestable du mot roumain est le fr. bouchée. L’adaptation phonétique et morphologique du français au roumain a été faite conformément aux règles générales, c'est-à-dire que les mots français qui finissent en [e] phonétique sont prévus avec un [u] final qui forme une diphtongue descendante avec le [e] qui précède [éu], et adoptent le genre masculin ou neutre: fr. entrée n. fém. > roum. antreu n. neutre, fr. pensée n. fém. > roum. panseu n. neutre, fr. dîner n. masc. > roum. dineu n. neutre, fr. guichet n. masc. > roum. ghișeu n. neutre, etc. (Șora 2006, 1733). Le mot bușeu ne se trouve ni dans le DA (Vol. I 1917), ni dans Tiktin (début du XXème siècle), ni dans le DLRC. 196 2.2. Le sens principal du mot français bouchée est: ‘morceau, quantité d’aliment qu’on met dans la bouche en une seule fois’ (PR). Première attestation de bouchiée : 1120 Psautier Cambridge, ed. F. Michel, CXL VII 6 (TLFi s.v.). L’étymologie indiquée par les dictionnaires est BUCCATA, avec oscillation entre deux hypothèses: a) héritage du mot directement du latin, bien que BUCCATA ne soit pas attesté par les textes, mais représenté par un grand nombre de formes romanes parallèles, ou bien b) dérivation de BUCCA avec le suffixe -ée < -ATA1 (comme le supposent la plupart des dictionnaires français). En roumain la forme du mot est bucată. Le sens est presque identique à celui français, avec la différence qu’il s’agit seulement de ‘morceau (d’un tout’)’.2 Pour le choix entre les deux possibilités étymologiques, d’une grande importance est le fait que le roumain n’a pas hérité le suffixe latin -ATA. La conséquence logique est que roum. bucată ne peut provenir de BUCCA + -ATA, mais seulement du mot latin entier BUCCATA, ce qui est un indice sérieux pour abandonner la théorie de la dérivation et pour supposer que l’étymologie directe du mot latin non dérivé est valable aussi pour les autres langues romanes. (Pour encore un indice philologique de l’existence du mot déjà en latin cf. infra 2.4.). 2.3. En ce qui concerne l’évolution du sens ‘bouche’ à ‘bouchée’, il s’agit d’une métonymie, du type synecdoque: la bouchée (< BUCCATA) est un morceau, une partie d’un tout qui entre dans la bouche (< BUCCA). L’extension du mot contient donc les sèmes /partie/ et /petit/. Les sens gastronomiques du mot français bouchée, soit ‘petit vol au vent’ (attesté en 1810) ’soit ‘petit four’ (attesté en 1828) proviennent aussi d’une métonymie, comme l’explique le TLFi : «la petite taille de ces préparations permettait de les porter à la bouche en une fois et de les manger en une seule bouchée.» (TLFi s.v). Des dates des attestations françaises il s’ensuit que le mot a dû entrer en roumain pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, mais n’était pas encore assez fréquent pour être lexicalisé. 2.4. Arrivés ici, il mérite sans doute de jeter un regard sur les lexèmes qui désignent la notion de ‘bouche’ en latin: OS, ORIS, GULA et BUCCA. En ce qui concerne le dernier, BUCCA3, on constate qu’il s’agit d’une autre métonymie, car en latin le premier sens de BUCCA était ‘joue’, surtout au pluriel ‘les joues’, dont le synonyme était le diminutif BUCCULAE ‘joues’, ayant aussi le sens de ‘bouchée’. Mot familier et expressif, BUCCA a évincé le classique OS, ORIS, dont l’initiale se différentiait seulement par la quantité vocalique longue de son paronyme monosyllabique OSSUM «os», à initiale courte. OS, ORIS avait d’ailleurs 197 surtout le sens de ‘bouche en tant qu’organe de la parole’ et aussi de ‘face’, ‘expression’, ‘visage’. (DEL s.v.). Le mot BUCCA avait le grand avantage d’appartenir au registre expressif familier4, oral5, motif pour lequel il a été hérité par une grande partie des langues romanes (dont le roumain fait exception) pour désigner non pas les joues mais la ‘bouche’ (cf. REW 1357)6. Dès le latin, BUCCA avait aussi le sens de ‘morceau d’aliment introduit dans la bouche’ (ce qui gonfle les joues), peut être était-ce même une métonymie intermédiaire entre ‘joues’, et ‘bouche’, dans ce cas ‘contenu’ pour ‘contenant’ et, en latin familier oral, le sens de ‘morceau qu’on met dans la bouche en une fois’, donc le sens de ‘bouchée’. Ici il faut citer un passage illustre du Satyricon de Pétrone: buccam panis non invenire potui syntagme traduit d’habitude par «je n’ai pas pu trouver une bouchée de pain», mais qu’on pourrait mieux traduire par «je n’ai pas pu trouver un morceau de pain». Cette seconde acception expliquerait bien l’origine de BUCCATA > petit morceau (qu’on peut mettre dans la bouche c'est-à-dire ‘bouchée’). De cet usage provient probablement le sens intermédiaire de ‘morceau’, qui est le sens usuel du roumain bucată jusqu’aujourd’hui. Cette lecture semble confirmée par l’interprétation d’un copiste, qu’on trouve dans le TLL II sous Epist. imp. Aug. Suet. Aug 76: duas buccas (bucceas vulg. cum codd. deter; buccatas excerpta Heirici) manducavi. Il est donc probable que le fr. bouchée, ainsi que les autres formes cités par REW 1358 sous BUCCATA (et auxquelles se réfère aussi le TLFi cf. 2.2. supra) proviennent d’un mot qui circulait déjà en latin tardif, d’abord avec le sens de ‘morceau’. 2.5. On vient de voir que le roumain n’a pas adopté comme la majorité des langues romanes BUCCA comme lexème principal pour la notion de ‘bouche’. Il a préféré le deuxième concurrent de OS, ORIS, c'est-à-dire GULA > gură. Du point de vue du sens, GULA était plus près de OS, car il avait l’acception de ‘partie de la bouche par laquelle on avale, gosier, cou’ et seulement dans la langue populaire ‘bouche’. Le sens figuré et expressif de GULA était ‘gloutonnerie, gourmandise’ (DEL s.v.). Pourtant le roumain n’est pas le seul idiome roman qui a conservé GULA dans le sens ‘bouche’. Cette acception est largement répandue au sud et au nord de la France. Il suffit de jeter un regard sur l’entrée gole, gule, etc. de l’AND pour trouver des exemples pour tout le champ lexical de GULA avec de nombreux exemples pour la ‘bouche humaine’: 198 (anat.) mouth(-cavity): En la gule n’out nule dent E baubeout trop ledement. Jos 629; (XIIIe s.). 2.6. Si le roumain n’a pas choisi BUCCA pour désigner la ‘bouche’, il a pourtant bien conservé le mot avec l’ancien sens de bucă ‘joue’7, qui dans la langue moderne a l’acception ‘fesse’. Le sens ancien ‘joue’ est témoigné par des mots comme bucălai, bucălat ‘avec les joues rondes‘. D’ailleurs étant donné le verbe composé a îmbuca (<IN+BUCCA) pop. ‘manger, fourrer dans la bouche’ et îmbucătură ‘bouchée’ ainsi que l’existence de la forme dalmate, il n’y a aucun doute que BUCCA avec le sens ‘bouche’ a circulé aussi dans l’est de l’empire (cf. 2.2. note 2). 3. BAISER, s.m. 3.1. Le mot fr. baiser, emploi substantivé du verbe baiser, à son tour un dénominatif, provient du latin BASIUM, attesté déjà au Xème siècle: ‘action d’appliquer ses lèvres sur une partie d’un être ou d’une chose en signe d’affection, d’amour, de respect’. Le latin BASIUM est probablement d’origine celtique (cf. DEL s.v.). Aujourd’hui le mot est concurrencé dans la langue orale par bise, bisou, lorsque le contexte n’est pas érotique. Le français comme les autres langues romanes ne font pas de différenciation lexicologique entre les divers genres d’un baiser, comme le latin: […] pacem amicis, filiis osculum dari dicimus, uxoribus basium, scorto savium, item osculum caritatis est, basium blanditiae, savium voluptatis (Isidor, Differentiae, 1, 398 apud Gloss. V 401.26, Gramm.suppl. 209, in TLL s.v.BASIUM) «[…] nous disons donner la paix aux amis, des bisous aux enfants, des baisers aux épouses, des savium aux maitresses. Donc les bisous (osculum) expriment l’affection, les baisers (basium) la tendresse, et savium la volupté.» 3.2. Le mot baiser n’a pas été emprunté par le roumain avec son premier et à la fois le plus important de ses sens mais, je dirai, marginalement par une locution et un sens gastronomique. L’adaptation phonétique s’est faite probablement à partir du pluriel plus fréquemment employé, et ceci d’après le modèle d’autres mots étrangers comme par exemple perdele ‘rideaux’ pl. de perdea < turc. perde [perdé], finissant en [e] accentué8. Sous bezea on trouve dans tous les dictionnaires roumains, deux sens: 1. ‘Baiser envoyé du bout des doigts. 2. Meringue’ (cité d’après DA 1913) qui renvoie pour les deux sens au dictionnaire roumain-allemand de H. Tiktin (commencement du XXème siècle). Pour le premier sens Tiktin offre la traduction allemande Kusshand, Kusshändchen et il cite l’exemple suivant: 199 Umblă după dânsa și o curtenește. Ii face bizele. (Anton Pann Povestea Vorbei II 97, ed. 1852/53 Pann, PV II 97) «Il la poursuit et il lui fait la cour. Il lui envoie des baisers.» Pour le deuxième sens Tiktin cite un auteur de la fin du XIXème siècle, Dimitrie Xenopol (Brazi si putregai ‘Sapin et pourriture’ Buc. 1892): Fă-le cataifuri, fă-le bezele, fă-le baclavale. «Fais leur des cataïfs, des baisers, des baclavale» (substantifs qui désigne des pâtisseries, dont la première et la dernière sont turques). Intéressant pour nous est que la traduction allemande de bezele, à savoir Baiser, mot écrit avec majuscules comme tout substantif allemand. En parenthèse on trouve l’explication ‘Eiweißschaumgebäck’. 3.3. En ce qui concerne les dictionnaires roumains il est encore à remarquer que même DEX, le plus récent des dictionnaires, ne fait aucune restriction stylistique. Pourtant, le premier sens a face, a trimite cuiva bezele «faire, envoyer à quelqu’un des baisers (d’un geste de la main)» n’est plus usuel dans la langue contemporaine, comme le démontre d’ailleurs les pages de Google, qui s’occupent surtout du gâteau bezea et non pas du signe fait avec la main. Ce qui est encore beaucoup plus curieux c’est le fait qu’aucun des dictionnaires français consultés (PR 2011, Grand Robert, Le nouveau Littré, Le dictionnaire historique d’Alain Ray, enfin le TLFi) n’enregistrent les deux sens des dictionnaires roumains. Une heureuse exception est la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie Française (DAF) qui enregistre quelque locutions dont aussi «envoyer des baisers, appliquer ses lèvres sur la main, puis la tendre en direction de la personne à qui les baisers sont destinés». Bien que non enregistré par les dictionnaires consultés le sens gastronomique du substantif baiser a dû être fort répandu en France au XIXème siècle étant donné qu’il existe encore aujourd’hui non seulement en roumain mais aussi en allemand, en russe et d’autres langues européennes. Baiser avec le sens gastronomique se trouve même dans le Universalwörterbuch (Duden) (2006).9 3.4. Quant à l’évolution de sens du substantif baiser de «l’action d’appliquer ses lèvres sur une partie d’un être ou d’une chose en signe d’affection, d’amour, de respect» à un petit gâteau formé de deux parties qui s’unissent par la crème fouettée, par une crème de chocolat ou bien simplement par la superposition de deux parties d’œuf à la neige (cf. l’image infra), elle s’explique par une métaphore. 3.5. La disparition du mot baiser à sens gastronomique du français est due probablement à un tabou de vocabulaire, à cause du sens populaire du verbe homonyme, donc par la force, ici par l’évitement, de l’expressivité. En roumain et dans plusieurs langues européennes le sens du mot emprunté au français a survécu à l’original. 200 Pourtant le mot avec son sens gastronomique est encore vivant en français dans le vocabulaire ‘technique’, car on le trouve avec beaucoup d’exemples dans le Google sous l’entrée ‘recette baiser’. Dans un vieux livre de cuisine autrichien (Hess /Hess 1906) qui donne la traduction française de tous les mots allemands, le substantif allemand Baiser est traduit en français par baiser. Aujourd’hui on trouve à sa place dans les dictionnaires meringue, qui n’est pas exactement la même chose. Baisers des dames (Ajouté le 28/10/2008 11:52:21) C’est sur le blog talons et chocolat que j’ai découvert ces petites merveilles. A l’amande et au chocolat ces petites douceurs ne font qu’une bouchée! Je retranscris la recette telle quelle [...] 4. CONCLUSIONS Je finis cette petite contribution avec un bref plaidoyer en faveur de notre projet, FROMISEM, et, implicitement, en faveur de notre colloque, donc une vraie oratio pro domo. L’étude des emprunts au français non seulement du roumain, mais aussi d’autres langues européennes offre aux chercheurs des surprises intéressantes et inattendues. Nous n’avons fait qu’ébaucher un travail qui mérite d’être continué. NOTES * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. TLFi s.v. : «Dérivé de BUCCATA*, suff. -ÉE* ; le prototype *BUCCATA remonte au lat. vulg. car il est attesté dans toutes les langues romanes (REW3 , no 1358)». REW cite rum. bucată, it boccata, frz. bouchée, prov., kat., sp., pg. bocada. PR et Lexis : bouchée de bouche. 2 L’interprétation sémantique des dictionnaires roumains qui soutiennent que le premier sens est celui de toutes les langues romanes, c’est à dire ‘morceau, partie d’un tout qui entre dans la bouche’ n’est pas convaincante. Des exemples anciens ayant le sens ‘bouchée’ manquent. En roumain contemporain le sens est exclusivement ‘morceau’. Pourtant le sens ‘bouchée’ est attesté indirectement par îmbucătură «bouchée», un dérivé du verbe a îmbuca, «avaler (une bouchée)», déverbal de BUCCA. 3 DEL n’exclu pas une origine celtique du mot. 4 Väänänen 31983 §151. 5 Mais qui étaient encore employé dans l’Itala et la Vulgata (cf. Lundström 1948, 102, apud. Stefenelli 70 note 103). 1 201 6 Vegl., it., log., engad., frioul., frz., prov., cat., esp., port. (auxquelles s’ajoute l’albanais une des sources importantes du latin tardif oral). 7 Remplacé aujourd’hui par le slav. obraz. 8 Les mots finissant en [e] accentué en français s’adaptent généralement en recevant un -u final comme bușeu < fr. bouchée; (cf. supra 2.1. et Șora 2006, 1733). 9 Il n’est donc pas probable que le mot soit entré en roumain par filière grecque, comme le suppose Graur (1963, 50) qui ne cite que le grec, le bulgare et le russe, comme langue où circulait baiser. BIBLIOGRAPHIE Deroy, Louis (1956): L’emprunt linguistique. Paris: Belles Lettres. Graur, Alexandru (1950): «Etimologia multiplă». In: Studii şi cercetări lingvistice I, 1, 22-34. Graur, Alexandru (1963): Etimologii româneşti, Bucuresti. Hess, Olga / Hess, Adolf, Wiener Küche (1906): Sammlung von Kochrezepten, Wien. Iliescu, Maria (2003-2004): «Din soarta împrumuturilor româneşti din franceză». In: Analele ştiinţifice ale Universităţii Al. I. Cuza din Iaşi 49 - 50, 277-280. Iliescu, Maria / Costăchescu, Adriana / Dincă, Daniela / Popescu, Mihaela / Scurtu, Gabriela (2010): «Typologie des emprunts lexicaux français en roumain (présentation d’un projet en cours)». In: RLiR, 74, 589-604. Reinheimer-Rîpeanu, Sanda (2004): Les emprunts latins dans les langues romanes. Bucureşti: Editura Universităţii din Bucureşti. RSG = Ernst, Gerhard / Gleßgen, Martin-D. / Schmitt, Christian / Schweickard, Wolfgang (edd.) (2006-2009): Histoire linguistique de la Romania / Romanische Sprachgeschichte. Berlin / New York: Walter de Gruyter. Stoichiţoiu-Ichim, Adriana (2007): Vocabularul limbii române actuale. Dinamică, influenţe, creativitate. Bucureşti: All. Stefenelli, Arnulf (1992), Das Schicksal des lateinischen Wortschatzes in den romanischen Sprachen, Passau: Richard Rothe. Şora, Sanda (2006): «Contacts linguistiques intraromans: roman et roumain». In: RSG, 1726-1736. Thibault, André (ed.) (2009): Gallicismes et théorie de l’emprunt linguistique. Paris: L’Harmattan. 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LITTRE = Émile, Littré 1971 [1872]: Le nouveau Littré - Dictionnaire de la langue française. Monte-Carlo: Ed. du Cap. (4 voll.) (CD-ROM 1998). MDN = Florin Marcu (2000): Marele dicţionar de neologisme. Bucureşti: Editura Saeculum. PR = Robert, Paul (2011) Le Petit Robert: dictionnaire alphabétique et 203 QUELQUES CAS D’ENRICHISSEMENT SÉMANTIQUE DES MOTS D’ORIGINE FRANÇAISE DANS LE ROUMAIN ACTUEL Alice IONESCU Université de Craiova, Roumanie 1. INTRODUCTION Le vocabulaire roumain actuel se caractérise par un dynamisme exceptionnel, dû aux multiples influences externes et à une créativité interne stimulée par des besoins de communication très diversifiés, notamment dans la presse, la publicité et la communication spécialisée. Sa richesse, sa flexibilité et sa diversité sur le plan lexical et sémantique ont été remarquées par de nombreux spécialistes du domaine, qui y ont consacré des ouvrages importants (v. Zafiu, Stoichiţoiu-Ichim, Bidu-Vrânceanu e. a). Notre communication mettra en ligne de mire un phénomène intéressant d’enrichissement sémantique des mots d’origine française entrés en roumain pendant le siècle passé avec leurs sens originels et qui sous l’influence de l’anglais, en vogue dans la langue des jeunes, de la presse, de la publicité ou de l’entreprise acquièrent des sens nouveaux, pas encore attestés par les dictionnaires. 2. L’EVOLUTION SÉMANTIQUE: CAUSES EXTERNES, DÉFINITION ET FORMES DU PHÉNOMÈNE INTERNES, A côté des emprunts et des calques linguistiques, un moyen important d’innovation lexicale est représenté par l’évolution sémantique, phénomène qui affecte tant les mots autochtones que les emprunts plus anciens et qui touche les domaines référentiels les plus variés (économie, politique et législation, informatique, vie sociale et mondaine, mode et cuisine). Du point de vue étymologique, on distingue d’un côté les évolutions sémantiques obtenues sur le terrain autochtone et de l’autre coté les sens d’origine étrangère (empruntés à une autre langue). Dans une perspective stylisticofonctionnelle, on remarque que la plupart des unités prises en compte par notre étude sont employées avec une valeur dénotative. La cause des changements sémantiques présentés en ce qui suit est le passage du modèle français au modèle anglais : le sens d’un mot emprunté il y a plusieurs décennies au français s’est enrichi par l’acception qu’il a acquise en anglais. La forme roumaine ne change pas, mais les sens nouveaux entrent en concurrence avec les sens plus anciens. La condition du changement est, bien sûr, 204 que le terme anglais soit d’origine latine ou française et qu’il ait développé, par évolution interne, d’autres sens. 3. ÉTUDES DE CAS. ÉVOLUTIONS SÉMANTIQUES RÉCENTES DES MOTS EMPRUNTÉS AU FRANÇAIS AUX XIXème ET XXème SIÈCLES Nous procéderons en ce qui suit au passage en revue de quelques unités lexicales qui ont connu des enrichissements du sémantisme dû à l’influence de l’anglais, tout en précisant que les exemples sont encore plus nombreux. Le classement de ces unités sera fait en fonction de leur classe grammaticale. 3.1. Verbes A abuza < fr. abuser 1. A folosi ceva excesiv, fără măsură. 2. A comite nedreptăţi, incorectitudini profitând de o anume situaţie. (DN3) Sens récent emprunté à l’anglais to abuse (somebody): «a viola, a maltrata». Le verbe anglais to abuse (somebody) fait partie d’une terminologie de spécialité (psychologie, assistance sociale) et reflète la vision occidentale des relations humaines, ou les abus physiques et moraux se trouvent sur le même plan. Dans ses emplois courants, fait remarquer R. Zafiu, le verbe a abuza garde ce dualisme et apparait tantôt comme euphémisme pour «a viola, a maltrata», tantôt comme terme aggravant “a exploata, a umili”, pour les peines morales. Comme le roumain ne disposait par d’un verbe d’une telle couverture sémantique et en plus avec cette charge idéologique, le verbe a abuza et sa famille (le participe abuzat, le nom abuz employé surtout au pluriel) se sont imposés dans la langue de la presse. (1) Mii de bărbaţi, abuzaţi de neveste. (Gândul, 21.02.2010) [Des milliers d’hommes, maltraités par leurs femmes]. (2) Cruzime ignorată - animale abuzate pentru bani (animalutze.com) [Cruauté ignoréeanimaux exploités pour l’argent] (exemples empruntés à R. Zafiu). (3) O parte dintre copiii abuzaţi nu găsesc altă metodă de a relaţiona cu ceilalţi decât la nivel sexual. http://www.calificativ.ro/Cum_sa_recunosti_un_copil_abuzat_sexuala15913.html [une partie des enfants abusés ne trouvent pas d’autre moyen d’interagir que le sexe]. (4) Alina Budnaru, mama fetiţei care-l acuză pe Cristian Tabără că a abuzat sexual de ea, a declarat pentru ziarul Ring că fiica ei nu este singura victimă sexuală a realizatorului de televiziune. http://www.cotidianul.ro/cristi-tabara-acuzat-ca-in-trecuta-abuzat-o-alta-minora-122470/ [Alina Budnaru, la mère de la fillette qui a accusé Cristian Tabără de l’avoir violée, a déclaré pour le journal Ring que sa fille n’était pas la première victime du réalisateur TV] 205 A aplica < fr. appliquer 1. tr. A face (un lucru) să adere, să se lipească de ceva. 2. tr. A pune în practică; a folosi. ♦ A face, a administra (un tratament medical). 3. tr. A raporta un principiu general la ceva, a compara cu ceva. 4. refl. (rar) A se dedica, a se consacra. (DN3). Sens nouveau provenant de l’anglais o apply (for): «a-şi depune candidatura, a postula». Le verbe a aplica, entré depuis longtemps en roumain avec ses sens originels du français, connait depuis deux décennies un emploi nouveau, explicable par l’influence de l’anglais. Il s’agit pourtant d’un snobisme, car en roumain il existe bien des synonymes consacrés: a candida, a postula, a concura, etc. Dans notre opinion, ce terme s’est imposé au sein des communautés étudiantes anglophones, grâce aux bourses d’études et à d’autres financements offerts aux étudiants par divers organismes internationaux. (5) În această lună voi aplica la o universitate din Stockholm, în Suedia. Mi-am întocmit deja dosarul de admitere şi voi urma studii de comunicare acolo, însă sper să obţin o bursă de studii pentru a putea acoperi cheltuielile”, afirma Elena B., absolventă a Facultăţii de Litere, în cadrul Universitatii Bucuresti. http://www.wallstreet.ro/slideshow/Careers/80333/Ultima-suta-de-metri-Student-roman-caut-bursa-instrainatate.html [ce mois-ci je vais poser ma candidature pour une université de Stockholm, en Suède. J’ai déjà préparé mon dossier d’inscription et je compte y faire des études de communication, affirme Elena B., diplômée de la Faculté des Lettres]. (6) Cinci comunităţi vor primi fiecare câte un grant de aproximativ 20.000 $ (15.000 €) pentru a fi folosiţi la înscrierea şi menţinerea în grădiniţă a copiilor în anul şcolar 20102011. Aplicaţiile vor fi acceptate până la 15 august 2010. (www.edu.ro/index.php/articles/14163) [Cinq communautés recevront chacune un montant d’environ 20.000 dollars (15.000 euros) pour l’inscription et le maintien en école maternelle des enfants pendant l’année scolaire 2010-2011. Les candidatures seront reçues jusqu’au 15 août 2010]. Dans le roumain actuel, la structure sémantique du verbe a realiza s’est considérablement élargie, comme le signale Fl. Dimitrescu (1995). Parmi ces sens nouvellement acquis l’auteur mentionne «a alcătui, a elabora, a lucra, a fabrica, a produce, a efectua, a duce la capăt», etc. A côté des sens empruntés au français ou calqués, deux nouveaux sens du verbe a realiza se font remarquer dans la langue courante 1. «a ȋnţelege, a sesiza» et 2. «a-şi da seama». Ces sens appartiennent au verbe anglais to realize et ont été transmis tant au français qu’au roumain, où il est pénétré probablement par double filière. A realiza < fr. réaliser 1. A ȋnfăptui, a face ceva; 2. A crea, a plăsmui, a desăvârşi; 3. A obţine, a câştiga ceva. 206 Sens récent empruntés à l’anglais to realize: «a ȋnţelege, a-şi da seama, a conştientiza». (7) Dan Şucu: “Încă nu realizăm, în totalitate, cât de nenorocită este măsura măririi TVA”. (http://www.sfin.ro/articol_23293/dan_sucu_inca_nu_realizam_in_totalitate_cat_de_ne norocita_este_masura_maririi_tva.html#ixzz1dEVcJvAb) [Dan Şucu:”on ne realise pas encore, pleinement, la tragédie de l’augmentation de la TVA]. (8) Am realizat că nu există «momentul potrivit»... există doar teama de a acţiona şi dorinţa de a amâna… http://suflet-pierdut.blogspot.com/2011/06/am-realizat.html [J’ai compris qu’il n’y a pas de “moment opportun », il n y a que la peur d’agir et le desir de remettre a plus tard]. Un verbe qui connait un grand succès dans le parler des jeunes et des internautes ces dernières années est a rula, employé surtout à la IIIe personne de l’indicatif présent (rulează). A coté des sens plus anciens, on distingue un sens nouveau lié au domaine informatique «a merge, a functiona» et un autre qui est d’une manière évidente calqué a l’anglais to rule («a conduce», « a domina ») et a l’expression populaire et argotique (it) rules! qui signifie, selon le contexte, « merge strună! » ou « e super! ». A rula < fr. rouler 1. tranz. 1) (materiale textile, fire etc.) A înfăşura în formă de sul; a suci. 2) (corpuri, sisteme tehnice, etc.) A face să se mişte prin rostogolire. 3. (terenuri, suprafeţe) A netezi cu ajutorul unui obiect în rostogolire. 4) (fonduri băneşti) A face să circule; a pune în circulaţie. 2. intranz. 1) (despre vehicule) A se deplasa cu ajutorul roţilor sau al rotilelor. 2) (despre filme) A se proiecta pe un ecran. Un sens récemment enregistré qui appartient au domaine informatique est «a merge, a funcţiona». (9) Salut! Am observat că jocurile online... (Tot ce e legat de flash) rulează foarte greu de ex dacă mişc rapid mausu la un joc de ex atunci ia aproape o secundă pentru ca să urmeze drumul parcurs de maus adică reacţionează ft greu. http://forum.ubuntu.ro/viewtopic.php?id=9899 [Salut! J’ai constaté que les jeux en ligne (en fait tout ce qui tient du flash) roulent très lentement, par ex si je fais un mouvement rapide avec la souris ça met une seconde pour suivre le parcours requis, c'est-à-dire que ca réagit très lentement]. Un autre sens nouveau: «merge strună! e super!» est celui calqué à l’anglais to rule, it rules (used as a generalized term of praise or approval) «it’s great». (10) Muzica pop rulează. Kesha este cea mai cea! (traduction libre du titre Why pop rules sur la couverture du magazine Billboard). (11) Jersey Shore rulează! Am mai scris despre serial. E mişto de tot, la fel cum e mişto să vezi chestii gen Jackass. E un fel de “Big Brother” combinat cu “Vara Ispitelor”, cu 207 oameni mai reali şi mai amuzanţi. http://www.zoso.ro/jersey-shore-ruleaza/ [Jersey Shore roule! Ce n’est pas la première fois que je parle de cette serie. C’est tres tres cool, comme c’est cool de vois des trucs du genre Jackass. C’est une sorte de Big Brother combiné avec L’été des tentations avec des gens plus réels et plus amusants]. 3.2. Noms et adjectifs Le nom féminin «cabrioletă», emprunté au français il y a presque deux siècles avec le sens «trăsurică uşoară, cu două roţi, trasă de obicei de un singur cal» acquiert grâce à l’influence de l’anglais un sens moderne, désignant actuellement une voiture de luxe, décapotable. Cabrioletă < fr. cabriolet s.f. trăsură uşoară, cu două roti; brişcă. (DN3). Cabriolet < fr. cabriolet s.n. caroserie de maşină cu capota de ploaie, rabatabilă, din pânză. (DN3). Le sens plus récent de « maşină de lux decapotabilă » est emprunté à l’angl. cabriolet «a convertible coupe». (12) Aşadar, fetelor, acum chiar că ne putem permite o cabrioletă pe care s-o conducem, cu muzica la maxim, pe Autostrada Soarelui! [En conclusion, les filles, on peut maintenant se permettre la décapotable de nos rêves, qu’on peut conduire, la musique au maximum, sur l’Autoroute du Soleil !] http://www.feminis.ro/tehnologie/cabriolete-pentru-fete-la-preturi-decente-689 (13) Top cabriolete în România. Conform statisticilor APIA, românii s-au înghesuit în acest an să cumpere modele cabrio, în primele opt luni ale acestui an fiind vândute 474 de bucăţi, ceea ce înseamnă o creştere de 116% faţă de anul trecut. [Les décapotables le mieux vendues en Roumanie. Conformément aux classements d’APIA, les Roumains se sont empressés d’acheter cette année des modèles décapotables ; 474 unités se sont vendues pendant les huit premiers mois de l’année, soit une croissance de 116% par rapport à l’année passée.] http://www.promotor.ro/masini-noi/dosar-analize/top-cabriolete-in-romania-936541 Le nom abstrait expertiză, entré en roumain par filière française et dont les sens originels ont été bien fixés par l’usage s’enrichit grâce à l’influence anglaise récente avec un sens nouveau. Expertiză < fr. expertise 1. Cercetare cu caracter tehnic făcută de un expert, la cererea unui organ de jurisdicţie sau de urmărire penală ori a părţilor, asupra unei situaţii, probleme etc. a cărei lămurire interesează soluţionarea cauzei. ♦ (Concr.) Raport întocmit de un expert asupra cercetărilor făcute. 2. (Med.; în sintagma) Expertiză medicală a) stabilire, în urma unui examen medical, a capacităţii de muncă a unui bolnav sau a unui om sănătos în condiţiile solicitărilor fizice şi psihice din diferite profesiuni; b) consultaţie sau autopsie efectuată de medicul legist în cazuri de rănire, accident, viol, otrăvire, omor, etc. 208 Le sens récemment acquis de «competenţă» est calqué à l’angl. expertise «great skill or knowledge in a particular field» (The Concise Oxford Dictionary, 1999). (14) Să permită studenţilor care nu au posibilitatea să participe la programele de mobilităţi să beneficieze de cunoştinţele şi expertiza cadrelor didactice din instituţii de învăţământ superior şi a personalului invitat din întreprinderi din alte ţări europene; Să promoveze schimbul de expertiză şi experienţă privind metodele pedagogice; (http://www.llp-ro.ro/userfiles/fiches_ro.pdf) [...permettre aux étudiants qui ne sont pas inclus dans les programmes de mobilité de profiter des connaissances et de l’experience enseignants des universités étrangères ou des cadres des entreprises européennes invités ; promouvoir l’echange d’experience en ce concerne les methodes pedagogiques]. (15) […] bogătanii au bani cu caru, da n-au cunoştinţe, noi avem expertiză câtă vrei, da n-avem bani, rezultatul e acelaşi tată, apa sâmbetei. [les riches ont de l’argent à gogo, mais n’ont pas de connaissances, nous, nous avons des connaissances mais pas d’argent; le résultat est le même, mon vieux: zéro!] http://danieltudose79.wordpress.com/2011/10/04/expertiza/ Le prestige des termes internationaux du domaine économique (marketing) et l’image suggestive créée par la métaphore architecturale ont sans doute contribué au succès du nom nişă dans le roumain actuel. Ses nombreux dérivés attestent sa vitalité dans la langue de la presse et de l’entreprise. Nişă< fr. niche s.f. 1. Firidă. ♦ Intrând amenajat într-un perete, unde se poate aşeza o mobilă, se poate adăposti ceva etc. 2. (Geol.) Formă de relief cu aspect de firidă, creată prin eroziune la baza unei faleze, în jurul unui izvor, în malul concav al unui meandru etc. 3. Dulap cu pereţi de sticlă legat de un coş de evacuare, folosit în laboratoare împotriva gazelor vătămătoare. 4. (Anat.) Mic spaţiu în formă de intrând. 5. (Biol.) Regiune în care un organism sau o populaţie găseşte cele mai bune condiţii pentru a supravieţui şi a se reproduce. Sens spécialisés empruntés à l’anglais niche «a: a place, employment, status, or activity for which a person or thing is best fitted <finally found her niche> b: a habitat supplying the factors necessary for the existence of an organism or species c: the ecological role of an organism in a community especially in regard to food consumption d: a specialized market (Merriam-Webster). (16) Renault-Nissan vrea să intre pe nişa automobilelor electrice [Renault-Nissan veut pénétrer la niche des automobiles électriques] (Curierul Naţional, 13.05.2008), (17) Dezvoltarea bloguri de nişă, capabile să atragă un trafic atât consistent, cât şi cu un potenţial de conversie, superior altor metode. [la proliferation des blogs de niche, capables d’attirer un trafic aussi consistant qu’avec potentiel de conversion, superieir aux autre modeles] (www.webwriters.eu/bloguri-de-nisa). 209 (18) Produsele de nişă câştigă teren pe piaţa de creditare. [les produits de niche gagnent du terrain sur le marche des credits] http://www.dailybusiness.ro/stiri-finantebanci/produsele-de-nisa-castiga-teren-pe-piata-de-creditare-68690/ Nous avons également remarqué la popularité exceptionnelle du participe passé nişat: bloguri nişate, forumuri nişate, pieţe nişate, soluţii financiare nişate. (19) Din păcate, acest concurs nu ajută într-o foarte mare măsură la luarea pulsului blogosferei nişate pe turism, ci este doar o cale de a afla mai bun blog din această arie, din cele înscrise. [malheureusement ce concours n’aide pas trop la prise de contact avec la blogosphère nichée sur le tourisme] www.gtd20.ro/2011/02/sa-luam-pulsulblogosferei-nisate-pe-turism/ De même pour le participe passé du verbe a dedica, d’étymologie romane, qui connait dernièrement des emplois inhabituels qui s’expliquent toujours par l’influence de l’anglais. Dedicat, participe passé du verbe a dedica < fr. dédier, lat., it. dedicare : tr. A închina cuiva (o carte, o operă artistică sau ştiinţifică proprie) ca omagiu. ♦ A consacra, a pune toate puterile în slujba unei idei, unei acţiuni. ♦ A rezerva o parte din timp pentru a se ocupa exclusiv de cineva sau de ceva. 2. refl. A se consacra (unui studiu, unei meserii etc.) (DN3) Sens nouveau: «specializat, adresat unui public anume» de l’angl. dedicated: 2.set apart or reserved for a specific use or purpose; 3. assigned or allocated to a particular project, function, etc. (20) Un server dedicat ȋţi permite controlul deplin al prezenţei pe internet, oferindu-ţi flexibilitate maximă în ce priveşte alegerea sistemului de operare, a politicii de securitate şi a aplicaţiilor instalate. [un serveur dédié permet un contrôle total de la présence sur internet, offrant une flexibilité maximale en ce qui concerne le système d’opération, la politique de sécurité et les applications installées.] http://www.srv.ro/ (21) Site dedicat pescarilor de Crap! [site qui s’adresse aux pêcheurs de Carpe !] http://pescardecrap.ro/ (22) Panasonic Lumix GX1 - modelul dedicat profesioniştilor. [Panasonic Lumix GX1le modèle réservé aux professionnels] http://www.go4it.ro Un autre adjectif d’origine française qui a acquis des sens particuliers en anglais est dramatic, réemprunté en roumain avec ces sens nouveaux, spécialisés pour le domaine de la mode et de la cosmétique. Dramatic < fr. dramatique 1. Care ţine de dramă sau de teatru, privitor la dramă sau la teatru. Genul dramatic = gen literar care cuprinde opere scrise pentru a fi reprezentate pe scenă. ♦ (Despre vocea cântăreţilor) Care are o sonoritate amplă, intensă, capabilă să exprime situaţii zbuciumate, de tensiune. 2. Fig. (Despre întâmplări, 210 împrejurări, situaţii, moment, etc.) Bogat în contraste şi în conflicte; zguduitor, impresionant. (DN3) Sens nouveau provenant de l’anglais dramatic: «spectaculos, uimitor, impresionant» («sensational in appearance or thrilling in effect»; «a dramatic sunset». Syn. «spectacular, striking, impressive»). (23) Vreau o mascara care să ofere un aspect dramatic genelor, să încarce. [Je cherche un mascara qui confère un aspect spectaculaire aux cils, qui les surcharge] (kudika.ro). (24) Un efect dramatic în modul de intrare în casa ta. [un aspect impressionnant au hall d’entrée de ta maison] http://www.homegdecor.com/ro/1258.html (25) Fixează linerul cu ajutorul unui fard de culoare închisă iar pentru un look dramatic îngroaşă puţin linia exterioară faţă de cea interioară. [Fixe la trace du crayon à l’aide d’une ombre à paupieres foncee et pour un look encore plus saillant renforce la ligne extérieure de l’œil] www.apropo.ro/life-style/frumusete/look-dramatic-2376522 L’adjectif roumain intrigant, -ă provient du français intriguant qui a le même sens: (despre persoane) «care ţese intrigi» (dexonline.ro). On remarque depuis quelque temps un emploi paradoxal, parfois strident, de cet adjectif, qui avait des connotations négatives en français et en roumain. Le sens nouveau «care trezeşte interesul, curiozitatea, care atrage», présent dans le cas du verbe français intriguer et roumain a intriga, mais qui n’est pas valable pour l’adjectif intrigant s’explique par le calque sémantique de l’anglais intriguing «arousing great interest or curiosity». (26) Durian, cel mai bizar, urât mirositor şi intrigant fruct exotic. [Durian, le plus bizarre, puant et curieux fruit exotique] http://www.garbo.ro/articol/Tratamentenaturiste/9594/durian-fructul-putoare-sau-regele-fructelor.html (27) Un puzzle intrigant. [Un puzzle incitant] http://hoinareala.blogspot.com/2011/08/puzzle-intrigant.html (28) Clasic şi totuşi atât de nou, elegant şi intrigant în acelaşi timp. [Classique et pourtant si nouveau, élégant et original en même temps] (intreprietene.ro/articole/black_&_white.php) Stilistic «referitor la moda, stil vestimentar». Les emplois plus récents du terme proviennent de l’anglais, ou le terme style (d’origine française), et ses dérivés (stylish, stylist) ont acquis des sens liés à la mode et à la coiffure. En tant qu’emprunts livresques du XIXème siècle, stil şi stilistic gardaient en roumain les sens originels du français, attestés comme tels par 211 les dictionnaires. Stilistic est sorti du domaine littéraire et artistique pour entrer dans le domaine de la mode, signifiant “referitor la moda, stil vestimentar”. Stilistic < fr. stylistique 1. Privitor la stil. 2. Care se referă la mijloacele de exprimare afectivă a limbii. (DN3) Le sens nouveau «referitor la modă, stil vestimentar» est calqué à l’angl. stylish «fashionable». (29) Au fost şi incidente stilistice. Într-o dimineaţă şi-a luat o bluză mulată, fără sutien, şi şi-a pus cerceii lungi. [Il ya eu aussi des incidents vestimentaires. Un matin elle a mis un top moulé, sans soutien-gorge et a mis ses boucles d’oreilles longues] (tabu.ro). (30) Matematică stilistică. Dacă iţi faci cumpărăturile cu atenţie şi iţi planifici ţinutele, poţi reuşi să recreezi look-uri de designer pe un buget rezonabil [Budget mode. Si tu fais tes achats avec attention et si tu planifies tes tenues, tu peux recréer un look haute couture à un prix raisonnable] http://www.kudika.ro/articol/tendinte-inmoda/14631/Matematica-stilistica.html Un autre adjectif dont l’influence anglaise contemporaine a modifié le sens ancien est versatil, qu’on retrouve de plus en plus souvent dans des contextes positifs inhabituels (surtout dans les publicités). Versatil < fr. versatile (livr.; despre oameni) «Care îşi schimbă cu uşurinţă părerile; nehotărât, nestatornic, schimbător, instabil» (DN 3) Sens nouveau: «flexibil, adaptabil, polivalent», calqué à l’angl. versatile «having varied uses or serving many functions». (31) Samsung NX10 - uşor de utilizat, versatil. Simpatic. [Samsung NX10- facile à utiliser, flexible. Sympa.] http://www.dandragomir.biz/drive-test/samsung-nx10-usorde-utilizat-versatil-simpatic.html (32) Fiindcă merg atât la ţinute casual, cât şi la cele formale, consider că bretelele sunt un accesoriu versatil, care nu se poartă doar pentru a susţine pantalonii, ci şi pentru a face o declaraţie cu privire la stilul vestimentar. [Parce qu’elles vont aussi bien avec des tenues sport qu’avec les tenues élégantes, les bretelles sont l’accessoire polyvalent, qui ne sert pas seulement à soutenir le pantalon, mais aussi à faire une déclaration sur le style vestimentaire.] http://www.stilmasculin.ro/2010/02/bretelele-accesoriul-versatil 4. CONCLUSION Notre communication a essayé de surprendre et d’illustrer une tendance actuelle d’enrichissement sémantique des emprunts plus anciens au français qui se manifeste en même temps que l’anglicisation accentuée du lexique de certains domaines comme celui de l’entreprise, du commerce, de la mode et de la presse, 212 surtout féminine. Quoique certains termes, employés dans de nouveaux contextes ou avec de nouvelles acceptions, soient perçus comme bizarres et même inappropriés, leur emploi semble être en train de se généraliser. BIBLIOGRAPHIE TLFi, Trésor de la langue française informatisé, atilf.atilf.fr/tlf.htm DEX, Dicţionarul explicativ al limbii române, Bucureşti, 1998. DN3, Florin Marcu / Constant Maneca (19783), Dictionar de neologisme, Editura Academiei RSR, Bucuresti MDN, Florin Marcu (2002), Marele Dicţionar de neologisme, Bucureşti. DCR2, Dimitrescu, Florica (19972), Dicţionar de cuvinte recente, Bucureşti. Dimitrescu Florica (1995): Dinamica lexicului românesc, Bucuresti : Logos Guţu-Romalo, Valeria (2005): Aspecte ale evoluţiei limbii române, Bucureşti: Humanitas Educaţional. Stoichiţoiu-Ichim, Adriana (2007): Vocabularul limbii române actuale: dinamică, influenţă, creativitate, Bucuresti: All, p. 83-111. Zafiu, Rodica (2001): Diversitate stilistica în româna actuală, Bucuresti: EUB, http://www.scribd.com/doc/9163506/Rodica-Zafiu-Diversitate-Stilisticain-Romana-Actuala Zafiu, Rodica, Păcatele limbii (archive d’articles) www.romlit.ro http://forum.softpedia.com/lofiversion/index.php/t633317.html http://www.pruteanu.ro/6atitudini/2007.09.27-limba.htm http://www.merriam-webster.com/dictionary analogique de la langue française. Paris: Le Robert. REY = Rey, Alain (éd.) (22006): Dictionnaire historique de la langue française, Paris: Le Robert. REW = Meyer-Lübke, Wilhelm (31935): Romanisches etymologisches Wörterbuch. Heidelberg: Carl Winter. TIKT / MIR = Tiktin, Hariton / Miron, Paul (1985-1989): Rumänisch-Deutsches Wörterbuch, Wiesbaden: Harrassowitz TIKTIN = Tiktin, Hariton, Rumänisch-Deutsches Wörterbuch, Wiesbaden: Harrassowitz. TLFi = Trésor de la langue française informatisé, http://atilf.atilf.fr/tlf.htm. TLL = Thesaurus Linguae Latinae. 213 UN CAS D'INTERFÉRENCE LINGUISTIQUE: L'ÉTAT DE LA LANGUE ROUMAINE COURANTE SOUS L'INFLUENCE DU FRANÇAIS À LA FIN DU XIXème SIÈCLE Ramona LEAHU Université Jean Moulin, Lyon 3, France Au XVIIIème siècle, la culture française jouissait du plus grand prestige dans toute l’Europe et implicitement dans les principautés roumaines. L’influence culturelle et linguistique du français a atteint son apogée vers la fin du XIXe siècle, quand la société roumaine a manifesté une tendance générale à imiter le modèle français. Si à l'aube du XVIIIe siècle le français était présent uniquement à la cour princière, graduellement, l'influence du français est descendue aussi parmi les autres couches de la société. Désireuses de copier les habitudes langagières des classes privilégiées, la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et même les classes populaires commencent à employer des gallicismes1 dans leurs conversations. Tout au long du XIXème siècle, le système linguistique roumain a subi un intense processus de modernisation, connaissant de profondes transformations notamment au niveau lexical. Dans ce processus d'enrichissement lexical, le français a joué un rôle considérable, car il a fourni au lexique roumain d'innombrables termes appartenant à des domaines conceptuels extrêmement divers. L'objectif de la présente contribution a été de constater dans quelle mesure le roumain parlé à la fin du XIXème siècle portait l’empreinte de l'influence française. A la base de mon corpus se trouve un texte dramatique roumain datant de la fin du XIXème siècle, plus précisément, la comédie O noapte furtunoasă 2 qui a été mise en scène pour la première fois en 1879 et représente l'un des chefsd'œuvre du grand écrivain roumain Ion Luca Caragiale. À travers cette pièce de théâtre, l'auteur offre à ses lecteurs une image lucide, souvent ironique de la société roumaine qui, au XIXème siècle, traversait une période de transition évolutive, en s'arrachant au modèle culturel ancien, dominé par des influences balkanicoorientales, pour accueillir les nouvelles valeurs culturelles véhiculées par l'Europe occidentale. Etant donné que ma recherche porte sur l'influence lexicale exercée par le français sur le roumain courant de la fin du XIXème siècle, le texte théâtral m'a donné la possibilité d'avoir un aperçu sur la langue parlée, en découvrant les 214 habitudes langagières des locuteurs de l'époque. L'élément inédit apporté par cette comédie réside en grande mesure dans la capacité de l'auteur de transmettre à travers les dialogues créés entre les personnages la façon de parler de ses contemporains. Doué d'un grand esprit d'observation, l'auteur transpose dans ses pièces la langue orale de son époque, soit la langue des personnes qu'il entendait parler autour de lui. Selon le linguiste roumain George Ivănescu, les gallicismes auraient pénétré dans le parler des classes bourgeoises entre 1830 et 1880. Si nous prenons en considération l'année de parution de la pièce, nous pensons que l'écrivain a vraisemblablement trouvé des termes français dans le parler de la bourgeoisie et qu'il n'a pas eu besoin d'innover (cf. Ivănescu 1980: 672-673). Le texte dramatique choisi dévoile donc les particularités de la langue commune, telle qu'elle était parlée à la fin du XIXème siècle. À partir de cette pièce de théâtre qui a constitué mon support de recherche, les unités lexicales de provenance française, ont été classifiées et analysées sous plusieurs aspects: dans un premier temps, les lexèmes répertoriés ont été classés selon la typologie de l'emprunt, l'origine et les champs sémantique désignés; dans un deuxième temps, les mêmes lexèmes ont été analysés du point de vue phonétique, morphologique, sémantique et sociolinguistique. Les lexèmes d'origine française, une fois repérés, ont été insérés dans un tableau qui constitue le point de départ de ma recherche. À l'intérieur de ce tableau, à chaque lexème, j'ai ajouté des indications concernant la filière étymologique, ainsi que des indications de nature phonétique, morphologique et sémantique. Par manque d’espace et de temps je me contente dans ce qui suit de brièvement les lexèmes de provenance française rencontrés dans la pièce de théâtre citée ci-dessus. I. Les unités lexicales présentant une étymologie uniquement française Les gallicismes Emprunts de luxe3 amploiat, comersant, democraţiune, fason, madamă, maşer, monşer, musiu, pasion, peripeţiune rezon, signal Autres emprunts venus du français Emprunts durables adresă, baionetă, bilet, cintiron, crimă, curaj, damă, egalitate, gardă, insultă, jurnalist, opozant, portret, refuz, reverie, suveranitate democrat, gazos, 215 afront, apel, atac, bază, colaboratore, companie, compliment, destin, entuziasm, galon, gaz, grup, listă, localitate, mandat, masă, mizerabil, modistă, , poezie, post, publicist, reacţiune, redactor, regim, sergent, situaţiune, şalon, tiradă mizericordios, perfid, Les calques lexicaux ambetat suveran, tandru, viritabil a depanda, a importa, a abandona, a (se) a manca, a prezanta amoreza, a anexa, a fredona, a parfuma, a persecuta, a profita, a recomanda, a turmenta precedent, sublim a accentua, a asasina, a ataca, a completa, a complimenta, a comprima, a comunica, a periclita, a persuada alevoa (au revoir), mersi (merci), bonsoar (bonsoir), pamplezir (par plaisir)parol (parole), sanfaso (sans façon) a combate (combattre), a compătimi (compatir), a consimţi (consentir),a distrage (distraire), a încânta (enchanter), a întrerupe (interrompre), a retrage (retirer), a subsemna (soussigner), a tresări (tressaillir) aparte (à part) II. Les unités lexicales présentant une étymologie multiple 1. Les emprunts latino-romans4 Les emprunts latino-romans à étymologie double (latin/français) Les emprunts latino-romans à étymologie triple (latin/français/italien) accent, adoraţiune, album, ambiţ, articol, onoare, prefaţiune auroră, bagabont, candoare, ceferticat, chestiune, circumscripţie, conflict, costituţiune, declaraţie, dicoraţie, domiciliu, educaţie, eternitate, existenţă, fraternitate, geniu, gest, impresie, inspiraţiune, izirciţ, libertate, liră, ministru, obscuritate, opiniune, patrie, poblic, progres, respect, satisfacţie, societate, sufragiu, ton, tragedie, trebunar, volubilitate civic, delicat, dramatic, fatal, formal, fragil, curios, radios fundamental, furios, grav, implacabil, infinit, ingenios, ingrat, judiciar, lugubru, naţional, nominal, onorabil, oribil, original, pozitiv, tenebros, universal, urgent, venerabil a adora, a chiarifica, a confunda, a considera, 216 a dedica, a informa, a inspira, a intitula, a isplica, a observa, a permite, a protege, a transporta 2. Les emprunts romans (français/italien) capriţ, ciment, dipotat, emoţie, gazetă, palpitaţie, republică misterios, pitoresc a corespunde, a maltrata, a palpita, a scuza adio, bravo(s) 3. Les emprunts mixtes Les emprunts présentant une étymologie latinoromane combinée avec l'allemand Les emprunts présentant une étymologie latinoromane combinée avec le grec moderne levorver (fr./all.), mobilă filozofie (ngr./fr.), patriot (fr./it./all.), moment (ngr./fr./all.), poet (lat./fr./it./all.), motiv (ngr./lat./it./fr.) (fr./it./all.), muzică (lat./it./fr./all.), ocaziune (fr./all./lat.), pact (fr./lat./all.), pardon (fr./all.), pauză (lat./fr./all.), perlă (fr./it./all.), persoană (lat./all./fr.), poziţiune (fr./lat./all.), reflecţie (fr./lat./all.), reglement (fr./all.), rond (fr./all.), roză (fr./it./lat./all.) sistematic (lat./fr./all.) Les emprunts présentant une étymologie mixte combinée avec le russe lampă (all./russ./fr.). liric (fr./lat./ngr), poetic (ngr./lat./it./fr.), politic (lat./ngr./fr.) a repeta (fr./ all.) Avant toute chose, nous observons que les unités lexicales insérées dans le tableau présenté ci-dessus ont été classifiées en fonction de leur origine. Cela dit, une première séparation a été effectuée entre les unités lexicales présentant une étymologie simple, uniquement française, et celles présentant une étymologie multiple - le cas où un étymon français est combiné à un étymon ou à plusieurs étymons issus d’autres langues. Il est important de préciser que l’étymologie de ces unités lexicales a été établie en consultant les dictionnaires suivants: Dicţionarul 217 explicativ al limbii române (plusieurs versions ont été utilisées: celle de 1975, celle de 1998, ainsi que la version informatisée du DEX), Dicţionarul etimologic al limbii române (dont l'auteur est Alexandru Ciorănescu) et le Dictionnaire des emprunts latins dans les langues romanes (publié sous la direction de Sanda Reinheimer-Rîpeanu). Nous constatons que la première catégorie, qui regroupe les lexèmes d’origine uniquement française, est à son tour divisée en plusieurs sections: une section dédiée aux gallicismes, une autre regroupant les emprunts français ayant un statut spécial, car ils ne peuvent pas être considérés des gallicismes et, finalement, une troisième section dédiée aux calques lexicaux. La section des gallicismes comprend tout d’abord, les unités lexicales françaises, dans une forme non assimilée au roumain, reproduit par Caragiale pour ironiser la langue des locuteurs incultes, qui veulent montrer qu’ils savent parler français. roum. alevoa <fr. au revoir, roum. bonsoar <fr. bonsoir, roum. madamă <fr. madame, roum. maşer <fr. ma chère, roum. mersi <fr. merci, roum. monşer <fr. mon cher, roum. musiu <fr. monsieur. Deuxièmement, nous appelons gallicisme, toute forme lexicale formée en français et qui ne se retrouve dans des autres langues que sous la forme d’emprunt. Cela veut dire que les lexèmes regroupés dans cette première sousdivision sont soit des créations internes à la langue française5 - obtenues notamment à travers le processus de dérivation -, soit des mots hérités du latin qui ont suivi au long des siècles une évolution phonétique propre au bloc gallo-roman septentrional ou d’origine germanique, cela dit, des lexèmes tels que: amploiat (<fr. employé), damă (<fr. dame), fason (<fr. façon), rezon (<fr. raison) ou suveran (<fr. souverain), gardă (<fr. garde), en se distinguant ainsi de leurs correspondants dans les autres langues romanes (cf. les équivalents italiens: impiegato <impiegare, donna, ragione, sovrano, guardia). Troisièmement, nous avons considéré comme étant des gallicismes, les termes qui n’étaient pas forcément spécifiques à la langue française, mais qui se présentaient sous une forme graphique et acoustique extrêmement proches de la prononciation française (voir dans ce sens les lexèmes comersant, gazos, a depanda, a prezanta). A l’intérieur de cette section consacrée aux gallicismes, nous avons dû effectuer une division complémentaire. Ainsi, les gallicismes ont été différenciés en fonction de leur parcours sémantique au fil du temps et en fonction de leur statut actuel. D’un côté, nous avons relevé les unités lexicales qui sont sorties de l’usage courant, ayant eu une existence relativement éphémère. C’est ce que la plupart des linguistes désignent sous l’appellation emprunts de luxe. La plupart de ces lexèmes d’origine française n’ont apporté presque aucune utilité pratique à la langue emprunteuse, car le roumain disposait déjà de ses propres moyens pour désigner les concepts en question. Leur brève existence dans la langue commune à un moment donné n’est que le résultat d’un effet de mode et d’un sentiment d'admiration pour 218 la culture et le savoir vivre français. Nous constatons que la plupart de ces gallicismes «de luxe» sont des termes mondains avec lesquels la bourgeoisie roumaine ornait autrefois d’une façon maladroite ses conversations quotidiennes: roum. alevoa <fr. au revoir, roum. ambetat <fr. embêté, roum. amploiat <fr. employé, roum. bonsoar <fr. bonsoir, roum. a importa <fr. importer6, roum. madamă <fr. madame, roum. a manca <fr. manquer («se soustraire à une obligation sociale et morale»), roum. maşer <fr. ma chère, roum. monşer <fr. mon cher, roum. musiu <fr. monsieur, roum. rezon <fr. raison, roum. sanfaso <fr. sans façons. A travers l'emploi de ces gallicismes ‘mondains’, le locuteur souhaitait impressionner son interlocuteur et se rapprocher d'une certaine manière des classes cultivées de la société. Cependant, bien qu'ils aient été très en vogue au XIXe et au début du XXème siècle, ces termes mondains sont disparus de l’usage courant, étant perçus aujourd'hui comme vieillis et désuets. Nous constatons toutefois l'existence de quelques gallicismes de luxe qui ont résisté au passage du temps et ont fini par s’intégrer au système linguistique roumain. Cependant, lors du processus d'adaptation, ces lexèmes ont subi une transformation et ont perdu leur aspect francisé, en donnant naissance à de nouvelles formes adaptées au roumain. De cette manière, le substantif comersant a évolué vers comerciant, les verbes a depanda et a prezanta ont évolué vers a depinde et a prezenta, alors que le substantif signal a laissé place à semnal. Il existe aussi des gallicismes mondains dont l'emploi connaît toujours un vrai succès. C'est le cas des termes mersi (<fr. merci), pardon (<fr. pardon) ou parol (<fr. parole). De nos jours, ces termes sont employés notamment en tant qu'interjections. Actuellement, le terme de remerciement mersi est tout aussi utilisé que son équivalent autochtone mulţumesc. Le terme mulţumesc semble être toutefois employé dans des situations plus formelles, alors que mersi caractérise les situations de communication plus familières (cf. Zafiu 2007). En outre, ce gallicisme s'est si bien adapté au système linguistique roumain qu’il a été même intégré dans de nouvelles tournures idiomatiques: a zice mersi / bine mersi. De son côté, le gallicisme pardon est fréquemment utilisé en tant que modalité de s’excuser, et, de plus, le terme a été intégré dans la phraséologie: a avea pardon (s’excuser, être pardonné): «Jupân Dumitrache, adică să am pardon de impresie, eu gândesc că numai ţi-ai făcut spaimă degeaba» (Caragiale 1985: 6). L’emploi de l’interjection parol a le rôle de renforcer ou de garantir la véridicité d’une affirmation. Le terme a même un dérivé sur terrain roumain, à l’aide du suffixe -ist: parolist (personne qui tient sa parole). En outre, ce serait intéressant d'évoquer que le corpus étudié nous fournit même des ‘gallicismes’ inconnus au français, car ils se sont formés au sein de la langue roumaine. C’est le cas du substantif joben (rencontré dans le texte sous la forme giuben). Le terme, désignant le haut-de-forme, continue le nom du chapelier 219 français Jobin, établi à Bucarest vers la deuxième moitié du XIXème siècle. C’est probablement grâce à lui que les bourgeois roumains ont connu ce type de chapeau et ce fut donc une bonne raison pour que le nom du chapelier soit lexicalisé. Le verbe a se amoreza ‘tomber amoureux’ représente un autre exemple de dérivation sur terrain roumain. Le verbe provient du substantif amorez, masculin de amoreză, fausse adaptation du fr. amoureuse. Amorezat(ă) sont des participes passés du verbe a (se) amoreza. «Vezi dumneata cine mi-a fost soră-mea Ziţa! D-aia se ţinea dumneei de capul meu să tot batem grădinile; era amorezată» (ibidem: 34). Un autre terme qui présente une évolution intéressante est le substantif gardist, formé par dérivation à partir du substantif d’origine française gardă. Le lexème gardist désignait dans le passé «un officier de police qui surveillait les rues d’une ville». La deuxième catégorie intitulée emprunts durables regroupe les gallicismes qui se sont maintenus au long du temps et ont fini par trouver leur place définitive dans le système lexical roumain. Il s’agit des emprunts de nécessité qui, contrairement aux emprunts de luxe énumérés ci-dessus, ont apporté une certaine utilité au système lexical roumain. Bien que, dans la plupart des cas, la langue disposait déjà d’éléments autochtones pour désigner les concepts évoqués par ces gallicismes, ces derniers ont sans doute eu le mérite d’avoir apporté un nouveau souffle à la langue roumaine, en l'enrichissant et rendant plus moderne. Ces termes sont liés à des champs sémantiques très divers. Cependant, la plupart de ces lexèmes ont trait à la terminologie militaire (apel, baionetă, cintiron, companie, galon, gardă, post, sergent, signal), administrative (adresă, a anexa, bilet, listă, mandat) et politique (democraţiune, democrat, egalitate, opozant, reacţiune, regim, suveran, suveranitate). En outre, parmi ces emprunts faits au français nous repérons aussi de nombreux termes désignant des noms de métiers: jurnalist, colaborator, publicist, redactor. Les autres emprunts regroupés dans cette catégorie sont des termes abstraits: des adjectifs qui servent à caractériser les êtres animés et inanimés (mizerabil, mizericordios, perfid, sublim, tandru, viritabil) ou des substantifs et des verbes qui sont perçus comme livresques et soutenus (afront, a comprima, entuziasm, insultă, refuz, reverie, a persecuta, a periclita, a persuada). Toujours parmi les lexèmes d’origine uniquement française, nous avons relevé une deuxième section regroupant un type différent d’emprunts faits au français. Ces emprunts ne peuvent pas être considérés des gallicismes car ils ne désignent ni un concept spécifique à la culture française, ni un terme développé à l’intérieur du français. Après avoir consulté les dictionnaires étymologiques italien et espagnol, nous avons pu remarquer que tous les termes regroupés dans cette section se retrouvaient aussi dans ces deux langues romanes. Cela s’explique soit par le fait qu’à l’origine il s’agit d’emprunts faits au latin savant, soit qu’il s’agit de formes répandues d’une langue à une autre, cela étant le cas des emprunts 220 interromans. Cette catégorie est donc consacrée aux lexèmes d’origine latinoromane qui, d'après la plupart des dictionnaires consultés, sont entrés en roumain uniquement par l’intermédiaire du français. Quelques-uns de ces termes présentent pourtant beaucoup d’irrégularités au niveau étymologique, ce qui peut soulever un grand nombre de questions. La troisième section comprend les unités lexicales obtenues par calque lexical. Il s’agit de ces situations où, à l’emprunt lexical, le roumain a eu recours au calque. Cela dit, les lexèmes français n’ont pas été empruntés tels quels, mais ils ont été découpés en plusieurs unités de sens et, ultérieurement, chaque unité a été littéralement traduite en roumain. Le lexème français est par conséquent reconstruit à l’aide des éléments autochtones correspondants. En analysant les unités lexicales formées par calque et présentes dans le corpus, nous remarquons qu’elles peuvent être facilement découpées en plusieurs morphèmes: un préfixe auquel vient s’ajouter un radical - qui peut être un verbe ou un participe passé adjectif. Grâce aux moyens autochtones, chaque préfixe et chaque radical ont reçu un équivalent roumain. De nos jours, pour les locuteurs non-avertis il est difficile de reconnaître l’origine étrangère de ces unités lexicales : a combate (<fr. combattre), a compătimi (<fr. compatir), a consimţi (<fr. consentir), a distrage (<fr. distraire), a încânta (<fr. enchanter), a întrerupe (<fr. interrompre), a retrage (<fr. retirer), a subsemna (<fr. soussigner), a tresări (<fr. tressaillir). Enfin, la deuxième grande catégorie regroupe les unités lexicales auxquelles les dictionnaires consultés attribuent une étymologie multiple. Par étymologie multiple ou collective, nous entendons la propriété d'un lexème d'avoir plusieurs étymons. Plus précisément, ce concept désigne la capacité d'un terme «x» de parvenir dans le système lexical d'une langue emprunteuse par plusieurs voies, ou, autrement dit, il montre la capacité d'une certaine langue d'emprunter un même terme à plusieurs autres langues. L'emprunt de ce terme «x» peut être effectué soit simultanément, soit à des intervalles de temps plus ou moins proches. A l’intérieur de la catégorie des emprunts à étymologie multiple, nous avons relevé l’existence de trois types différents d’étymologie collective. Premièrement, nous avons distingué les emprunts d’origine latino-romane qui, à part un étymon français, présentaient aussi un étymon latin ou, plus rarement, un étymon italien. Nous avons inclus dans cette sous-division les latinismes parvenus en roumain par l’intermédiaire du français et, dans une moindre mesure, par l’intermédiaire de l’italien. D'ailleurs, tout au long de la recherche entreprise, nous avons accordé une attention particulière aux unités lexicales présentant une double étymologie latinofrançaise. En analysant leur intégration phonétique, morphologique et sémantique au système linguistique roumain, nous avons observé que ces lexèmes présentaient un comportement extrêmement intéressant. Cela dit, nous nous sommes aperçus que du point de vue graphique et phonétique, ces unités lexicales devaient être 221 rapprochées plutôt de leurs étymons latins et que leurs formes définitives avaient été obtenues sur le modèle des correspondants latins. En vérifiant l’origine de ces emprunts dans plusieurs dictionnaires étymologiques français7, nous avons noté qu’ils sont presque tous empruntés au latin cultivé. Il s’agit des termes que le français a empruntés dès le Moyen Age au fonds latin savant. Quelques siècles plus tard, le français transmettra ces latinismes au lexique roumain. L’étymon français marque donc la source directe du néologisme, la langue fournisseuse, alors que l’étymon latin signale la source primordiale du néologisme en question. Par conséquent, c’est grâce au latin que ces lexèmes étrangers ont fini par s’installer dans le système linguistique roumain et ont trouvé leur allure définitive. Toutefois, le français n’a pas joué que le rôle de simple fournisseur. Tout au contraire, à travers notre recherche, nous avons constaté que le français a eu une contribution fondamentale dans l’intégration sémantique des lexèmes analysés. Nous avons remarqué que, du point de vue sémantique, ces latinismes arrivés probablement en roumain au XVIIIème et XIXème siècle désignaient des réalités conformes à l’époque en question. La plupart de ces néologismes sont donc parvenus en roumain avec des signifiés modernes, développés au cours des siècles sur le terrain de la langue française, et non pas avec les signifiés anciens du latin classique. Prenons l'exemple du substantif roumain candoare (<fr. candeur, <lat. CANDOREM). Le substantif semble avoir été adapté au système linguistique roumain d'après le correspondant latin CANDOREM, soit à partir de la forme d'accusatif des substantifs latins provenant de la troisième déclinaison imparisyllabique.8 Cependant, sémantiquement parlant, le terme roumain renvoie, de même qu'en français, à «la pureté morale», à «l'innocence», alors qu'en latin classique le terme désignait uniquement «une blancheur éclatante» (cf. Le Gaffiot: 253). La caractéristique fondamentale des néologismes latino-romans (ou latinofrançais) consiste donc dans une espèce de dualité, car leur forme est due au latin, alors que leur sens est dû au français, à l’italien ou à toute autre langue qui aurait pu jouer le rôle de langue intermédiaire. La deuxième sous-division de la catégorie des emprunts à étymologie multiple réunit les emprunts romans. Il s’agit des unités lexicales parvenues en roumain par le biais du français et de l’italien. A l’origine, ces unités lexicales sont soit des latinismes, soit des formations développées à l’intérieur de l’une de ces deux langues romanes: capriţ (aujourd'hui capriciu) <fr. caprice, it. capriccio (terme d'origine italienne); emoţie <fr. émotion, it. emozione (en français, le nom est formé par dérivation à partir du verbe émouvoir); gazetă <fr. gazette, it. gazzetta (terme d'origine italienne); misterios <fr. mystérieux, it. misterioso (en français, aussi bien qu'en italien, l'adjectif est dérivé de mystère, misterio) ; bravos (aujourd'hui bravo) <fr. bravo, it. bravo (terme d'origine discutable); adio <fr. adieu, it. addio (lexèmes créés par composition : à + Dieu, respectivement a + Dio). 222 Enfin, la troisième sous-division est dédiée aux unités lexicales ayant une étymologie mixte. Par étymologie mixte, nous désignons ces emprunts qui ont à la fois une origine latino-romane et une origine non-romane. Parmi les étymologies classiques (latin, français, italien), nous retrouvons aussi des origines non-romanes telles que l'allemand, le russe et le grec moderne. En analysant ces lexèmes nous pouvons facilement constater qu’à l’origine nous avons affaire à des latinismes ou à des néologismes romans. Nous pourrions supposer que ceux-là sont arrivés en roumain par le biais de l’allemand, du russe et du grec moderne. Il s’agit d’ailleurs des langues proches du point de vue géographique qui ont influencé le roumain à un moment donné de son évolution. Le corpus de recherche analysé a pu être exploité aussi du point de vue sociolinguistique, car la comédie étudiée expose une tendance linguistique typique du XIXème siècle: le jargon à la française – jargonul franţuzit. Ce type de jargon se définit comme une forme de langage typique de certaines catégories sociales, qui, par désir de se distinguer des autres locuteurs, utilisent des mots et des expressions d'origine étrangère. Ce phénomène linguistique aurait commencé à se produire au début du XIXème siècle et, dans un premier temps, il aurait caractérisé le parler de la classe des boyards. L'emploi abondant des gallicismes n'était qu'un moyen à travers lequel les locuteurs essayaient de se distinguer des autres classes de la société en imitant les habitudes occidentales. En 1879, l'année où la comédie O noapte furtunoasă a eu sa première représentation, nous constatons que ce jargon était déjà descendu parmi les autres couches de la société, étant donné que les personnages emploient un nombre considérable d'éléments spécifique à ce jargon à la française: alevoa (<fr. au revoir), ambetat,-ă (<fr. embêté, -e), amorezat, -ă (<fr. amoureux, amoureuse), amploiat (<fr. employé), bonsoar (<fr. bonsoir), comersant (<fr. commerçant), fason (<fr. façon), madam ou madamă (<fr. madame), maşer (<fr. ma chère), mersi (<fr. merci), modistă (<fr. modiste), monşer (<fr. mon cher), musiu (<fr. monsieur), pamplezir (<fr. par plaisir), pasion (<fr. pension), pardon (<fr. pardon), parol (<fr. parole), rezon (<fr. raison), sanfaso (<fr. sans façon). L'emploi ostentatoire des termes d'origine française souligne le désir des couches moyennes de la société de copier les classes sociales dites privilégiées et de paraître ainsi cultivées et instruites. Le texte dramatique sur lequel porte notre corpus de recherche a le mérite de mettre en relief le parler d'un groupe social bien défini, soit la petite bourgeoisie roumaine. Cette couche sociale est représentée par des personnes issues des milieux populaires habitant dans les faubourgs de la capitale roumaine, ayant connu une certaine aisance. Au long du XIXème siècle, nous assistons à un phénomène culturel extrêmement intéressant, car la société roumaine tourne son visage vers les nouvelles valeurs véhiculées par les pays occidentaux. Cela dit, les classes bourgeoises roumaines commencent à devenir cosmopolites, ce qui a comme résultat immédiat l'apparition des termes de provenance occidentale, notamment françaises, dans la langue courante. Il est intéressant de constater que 223 l'influence française s'est manifestée inégalement d'une classe sociale à l'autre. Autrement dit, le langage des locuteurs roumains a été différemment influencé par le français en fonction de leur appartenance sociale et de leur niveau d’instruction. Au début du présent article nous avons déjà signalé que les classes privilégiées de la société: l’aristocratie, la haute bourgeoisie et les élites intellectuelles possédaient de très bonnes connaissances de français. En outre, dans la plupart des cas, ces personnes étaient même parfaitement bilingues car le français était employé de manière quotidienne dans les conversations intimes. Les autres classes sociales accueillent différemment l’influence française. Ayant reçu moins d’éducation, les membres de la petite bourgeoisie et des classes populaires connaissaient peu ou pas du tout la langue française. Cependant, l’influence française se manifeste aussi au sein de ces milieux sociaux, car, comme nous l’avons déjà constaté, ces locuteurs utilisent assez fréquemment des gallicismes et des expressions françaises entendus ailleurs. Généralement, ce sont les gallicismes les plus «mondains», ceux qui réussissent à franchir les frontières établies entres les différentes classes de la société (cf. supra). D’habitude, ces nouveaux termes étrangers sont écorchés par la mauvaise prononciation des locuteurs. D’autres fois, leur signifié est mal compris et ils sont utilisés dans de mauvais contextes. Ce qui est certain, c’est que ces locuteurs paraient leurs conversations de gallicismes pour impressionner leurs interlocuteurs, pour se faire ainsi admirer et, le plus important, pour se rapprocher en quelque sorte des classes élitistes. NOTES 1 Dans cet article les termes ‚gallicisme‘ et ‚emprunts de luxe’ et ‘de nécessité’ sont employés dans le sens de Deroy (1956). 2 La pièce a été adaptée en français par Eugène Ionesco sous le titre d'Une nuit orageuse. 3 Il s’agit de mots d’origine française mal assimilés au roumain, qui ne se sont pas maintenus sous cette forme et qui remplacent des termes existant déjà en roumain. **** 4 Dont une partie n’ont pas (encore) été assimilée au roumain et fait partie du type qu’on trouve sous I (dicorație, ambiț, ceferticat, izirciț, poblic, trebunar, a isplica,levorver etc.). 5 Voir dans ce sens les lexèmes suivants: baïonnette, courage, ceinturon, égalité, embêter, portrait, rêverie, refus, gazeux, fredonner, tourmenter, etc. 6 Il faut noter que le verbe a importa n'a perdu que le signifié évoqué dans notre corpus, soit «être important, compter», car de nos jours il a garde encore son sens spécialisé, en désignant «l'action d'introduire dans un certain pays les produits qui viennent d'un autre pays». 7 Les principales sources consultées ont été: le Dictionnaire étymologique de la langue française (ayant comme auteurs Oscar Bloch, Walther von Wartburg), le Dictionnaire étymologique (de Jean Dubois, Henri Mitterrand et Albert Dauzat) et le Trésor de la langue française informatisé. 8 À remarquer la conservation de la voyelle atone /e/ en position finale et la diphtongaison conditionnée du ō tonique latin, traits spécifiques à l'évolution phonétique du roumain. 224 BIBLIOGRAPHIE Brunot, Ferdinand (1967): Histoire de la langue française des origines à nos jours. 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Nous avons tenu compte de plusieurs critères, dont les plus importants sont: la première attestation, l’analyse des lexèmes correspondants aux autres langues envisagées comme sources potentielles d’emprunt, les variations diachroniques, diastratiques, diaphasiques de la langue source ainsi que de la langue cible et la recherche de la filière, c'est-à-dire, de la voie de pénétration. Une telle entreprise s’avère inépuisable pour les recherches linguistiques car, en dépit de la pratique lexicographique inconséquente, incomplète ou parfois même erronée, il est aujourd’hui reconnu d’une manière unanime que, de toutes les langues romanes, le roumain a subi la plus grande influence de la part du français. La période de pénétration a été longue et les mots entrés en roumain représentent une partie nombreuse et importante du vocabulaire de la langue moderne. En même temps, il s’agit d’une démarche très compliquée, étant donné, d’un côté, les situations étymologiques diverses du roumain et, de l’autre, le caractère hétérogène des indications étymologiques données par les dictionnaires roumains surtout dans les cas, très nombreux, des mots à « étymologie multiple »1 où les critères étymologiques, linguistiques (sémantiques et formels) et extralinguistiques (d’ordre socioculturel, historique, etc.), ne sont pas toujours appliqués de manière correcte. 1.2. Sources lexicographiques Pour cette démarche nous avons pris en considération, dans un premier temps, toutes les sources lexicographiques roumaines disponibles (le DA / le DLR, le DEX, le CDER, le RDW, le DLRC et le DN - v. la bibliographie). Une telle 227 confrontation lexicographique a été nécessaire surtout pour mettre en évidence les problèmes d’attestations et d’indications étymologiques douteuses, ainsi que la distinction, très difficile à opérer, entre les mots dérivés en français et ceux créés ultérieurement en roumain (cf. Hristea 1968: 32 et suiv.; Reinheimer-Rîpeanu 1989; Popovici 1992, 1996). Les résultats étymologiques des gallicismes roumains obtenus dans un registre extrait de l’édition 1998 du DEX2, c’est-à-dire le Dicţionar de împrumuturi lexicale din limba franceză (DILF: 2009), ont été corroborés avec les données offertes surtout par le DA / DLR, le dictionnaire historique trésor de la langue roumaine3, le CDER et le RDW (1895-1925) qui, dans sa première édition, offre de bonnes étymologies bien que le nombre des mots de la deuxième moitié du XVIIIème siècle et du XIXème reste assez limité. La seconde édition réalisée par Paul Miron (1985-1989) se révèle d’une très grande importance, en indiquant la première attestation qui a été déduite en fonction de l’année de l’apparition de la première attestation écrite, mentionnée dans le DA, respectivement, dans le DLR. En principe, nous avons fait abstraction des dictionnaires parus avant 1950, date de la publication de l’article de Graur sur l’«étymologie multiple», c'est-à-dire le CDDE (1907-1914), le SDLR (1939) et le DU (1896) qui indiquent, bien que d’une manière inconséquente, ci et là, plusieurs sources étymologiques. 2. LES GALLICISMES CATÉGORISATION DU ROUMAIN: ESSAI DE Dans un premier temps, nous avons essayé d’esquisser une typologie des emprunts roumains au français du point de vue de leurs étymologie, tout en tenant compte aussi bien des critères et des taxonomies véhiculées dans la littérature de spécialité, que de leur application dans les ouvrages lexicographiques roumains. On est arrivé aux distinctions suivantes (v. Iliescu et al. 2010: 590-591): (a) la catégorie des gallicismes à étymologie uniquement française: il s’agit des mots considérés comme pénétrés du français en roumain, c’est-à-dire des mots venus indubitablement par filière française et seulement française. (b) la catégorie des gallicismes à étymologie multiple: il s’agit des mots dont la filière de pénétration peut être due non seulement au français, mais aussi à d’autres langues où circulait le même néologisme. (c) la catégorie des gallicismes à étymologie controversée: il s’agit surtout des mots où il n’y a pas moyen de faire une distinction nette entre emprunt (au français, dans notre cas) et création interne. Tel est le cas, par exemple, du mot roumain revoltat qui pourrait être soit un participe passé du verbe A REVOLTA soit un emprunt direct d’après le fr. REVOLTE. 2.1. L’étymologie uniquement française Dans le cas des mots à étymologie uniquement française, les dictionnaires roumains indiquent comme origine exclusive un mot français, hypothèse renforcée par l’aspect phonétique (y compris l’accent), plus ou moins adapté au roumain 228 (leurs signifiants se caractérisent en général par peu de changements phonétiques ou morphologiques dus au passage du français au roumain), le sens spécifique pour le français, la date de pénétration et / ou l’auteur dont provient la première attestation. Très important est aussi le canal de pénétration: écrit (par exemple, automat, certificat) ou oral (par exemple, manşetă, coşmar), les deux voies de pénétration étant parfois possibles pour le même mot (cf. Iliescu: 2003-2004). À juger d’après le registre DILF, la plupart des gallicismes du roumain font partie de cette première catégorie d’étymologies, c'est-à-dire des emprunts pénétrés en roumain directement du français, parfaitement intégrés dans le vocabulaire roumain. Dans cette catégorie entrent par exemple: fabricant, -ă du fr. FABRICANT, a fabula du fr. FABULER, fantezie du fr. FANTAISIE, frenetic du fr. FRENETIQUE mais aussi rău famat calque partiel du fr. MAL FAME ou cale ferată qui est un calque partiel du fr. VOIE FERREE ou bien des emprunts plus récents qui circulent surtout dans le langage de la presse, mais qui ne figurent pas encore dans les dictionnaires, tels : a antama (du fr. ENTAMER), a anvizaja (du fr. ENVISAGER), inubliabil (du fr. INOUBLIABLE) et dont l’origine française est évidente (cf. Şora 2006: 1728). Une sous catégorie des mots à étymologie uniquement française est constituée par ce qu’on pourrait nommer mots à «étymologie unique indirecte», c’est-à-dire les mots dont la filière est française, mais qui, en français, proviennent à leur tour d’une autre langue. Un tel exemple que le roumain doit à la filière française est interviu «interview». Il est entré en roumain par l’intermédiaire du français, où, à son tour, il vient de l’anglais, un calque sur l’ancien français entrevue (cf. TLFi, s.v.). Le même mot était déjà entré une fois en roumain, comme calque du français, sous la forme transparente întrevedere (cf. Iliescu 2007: 133). Des cas similaires sont ceux des mots qui désignent généralement des objets ou des concepts directement liés à des cultures et civilisations étrangères, tels fandango, mot d’origine espagnole, ou canoë, d’origine anglo-américaine, entrés d’abord en français et ensuite en roumain. 2. 2. L’étymologie multiple Dans le cas des gallicismes à étymologie multiple, on peut encore distinguer (v. Király 1988: 34-37; Hristea 1973 : 4) plusieurs situations : 2.2.1. L’étymologie multiple externe La catégorie des gallicismes à étymologie multiple externe apparaît explicitée dans les ouvrages lexicographiques roumains de deux manières : (a) les dictionnaires indiquent en premier lieu un étymon français, renvoyant en même temps à une autre source possible. Par exemple, le mot filtru «dispositif, appareil ou installation qui sert à débarrasser un liquide des particules solides qui s’y trouvent […]» est défini dans le DEX de la manière suivante : du fr. FILTRE, cf. l’it. FILTRO ou financiar : du fr. FINANCIER, cf. l’it. FINANZIARIO ou bien rugos (rare, médical) : du fr. RUGUEUX, cf. le lat. RUGOSUS, etc. 229 Malheureusement, les renvois manquent souvent de support scientifique, étant fort discutables. (b) les dictionnaires indiquent plusieurs langues comme étymons possibles, dont le français, le latin savant, le néogrec, l’italien, l’allemand, l’anglais. Il s’agit des emprunts qui auraient pu provenir de plusieurs langues de culture simultanément ou à distance, dans le temps et dans l’espace. Nous nous sommes intéressé(s) surtout aux mots pour lesquels le français occupe la première, la seconde ou bien la troisième place, tels que l’exemple célèbre de lampă [avec la variante (populaire) lambă] où le sens de l’étymon primaire, le néogrec λαμπάς, ne suffit pas pour expliquer les autres significations (lampă de gaz « lampe à gaz », lampă electrică « lampe électrique », lampă de radio « lampe-radio », etc.) que le mot acquiert en roumain une fois avec le développement de la technique. Par motivation d’ordre extralinguistique (qui tient de la vie culturelle et économique), ce mot aurait pu provenir sous cette forme de l’allemand LAMPE, du français LAMPE, du hongrois LAMPA ou même du russe LAMPA (Graur 1950: 23-24). En général, l’étiquette d’«étymologie multiple» apparaît: (i) par motivation d’ordre formel: - la position de l’accent: Hristea (1968: 104) cite le cas du mot roumain caractér qui, avec cette structure phonologique, renvoie au fr. CARACTERE, tandis que la variante carácter peut s’expliquer aussi bien par le lat. CHARACTER, que par l’all. CHARAKTER. Si l’on prend en charge encore deux autres variantes: haractir et haracter, alors le nombre des sources s’accroît avec le néogrec χαρακτήρ, respectivement, le rus. HARACTER. - la prise en compte des variantes graphiques: Hristea (1968: 105) mentionne que le mot roumain rasă, pour lequel on a longtemps invoqué uniquement l’étymologie française, circulait en Transylvanie, avant la réforme orthographique de 1932, avec la graphie rassă, donc avec deux s, comme en allemand. - l’adaptation formelle d’une bonne partie des emprunts au français, sous l’influence de la forme latine correspondante. Par exemple, dans le cas du mot culoare qui provient du fr. COULEUR et du lat. COLOR, COLORIS, la métaphonie de la voyelle o, inattendue ici, caractérise des mots plus anciens hérités du latin et terminés en –or, tels: floare du lat. FLOS, FLORIS. Si le critère formel favorise la source latine, il doit être corroboré avec celui morphosyntaxique, car le mot roumain est de genre féminin tout comme son correspondent français (LA COULEUR), par rapport aux autres langues romanes qui maintiennent le genre de l’étymon latin (it. il colore, esp. el color, etc.). (ii) par motivation sémantique: Il s’agit des mots qui pourraient s’expliquer, du point de vue de la forme, comme appartenant à une certaine langue, mais qui, du point de vue sémantique, pourraient provenir d’une autre langue source. Dans une telle situation se trouvent certains lexèmes dont la forme renvoie au latin savant et dont le sens correspond à celui des mots représentant la filière de pénétration. Par exemple, le mot roumain 230 stat provient, selon le critère formel, du lat. STATUS mais, puisque son sens est celui du fr. ETAT «forme de gouvernement, régime politique, etc.», il est aussi un emprunt sémantique au français (cf. Hristea 1968: 107). Dans bien d’autres cas, les filières différentes expliquent le plus souvent l’une des causes de l’apparition des variantes lexicales non littéraires, populaires, vieillies, mais avec le même sens que la forme acceptée par la langue standard: v. les variantes populaires, vieillies: şoholadă (de l’all. SCHOKOLADE) ou şoholată (du fr. CHOCOLAT) et cf. la forme littéraire ciocolată (de l’it. CIOCCOLATA)4 (v. Hristea 1968: 104) ou bien des variantes littéraires libres, telles: cofeină (de l’all. KOFFEIN) et cafeină (du fr. CAFEINE). De même, les variations formelles diastratiques / diatopiques attestées sont indispensables pour indiquer l’étymologie dans d’autres cas de figure, tels que : renglotă [variantes: renclodă, ringlotă] du fr. REINE-CLAUDE, all. RINGLOTTE, ou bien retenţie [variante : retenţiune] du fr. rétention, lat. retentio, etc. 2.2.2. L’étymologie multiple interne La catégorie des gallicismes à étymologie multiple interne prend en charge les créations internes, à la formation desquelles ont pu contribuer, en roumain même, plusieurs mots base appartenant à la même famille lexicale. C’est par exemple le cas des dérivés régressifs du type: a recepta qui pourrait provenir de plusieurs étymons: RECEPTOR, RECEPTIV et RECEPTIE ou bien a candida qui pourrait provenir de CANDIDAT et de CANDIDATURA (Groza 2004: 83), etc. 2.2.3. L’étymologie multiple mixte ou combinée Enfin, le cas des mots à étymologie multiple mixte ou combinée (Sala 1999: 67), c’est-à-dire, les situations lexicales où il peut s’agir d’emprunts et des créations internes à la fois, tels que: pastelist qui par ses sens: 1. «peintre de pastelles» et 2. «poète qui compose un certain type de poésies, appelé en roumain pastel» ne doit pas être considéré comme provenant uniquement du fr. PASTELLISTE (pour le sens 1), mais aussi du PASTEL + –IST (pour le sens 2) (v. Hristea 1973: 146-147; Sala 1999: 204-205). Il est vrai ce sont des cas plutôt rares (Ivănescu 1980: 671). 2.2.4. Analyse statistique sur les gallicismes Selon le registre DILF, la première source indiquée le plus souvent dans le cas des étymologies multiples est le français. Le latin savant et l’italien suivent le français, selon la fréquence des renvois. Pourtant, il y a de situations où l’étymologie française côtoie des étymologies non romanes. Il s’agit dans ce cas du grec moderne, de l’allemand, du russe et, enfin, surtout ces derniers temps, de l’anglais qui est, du point de vue lexical, assez romanisé». Par exemple, dans la langue parlé contemporaine, un bon nombre de néologismes d’origine française, tels que a aplica (du fr. APPLIQUER), ou oportunitate (du fr. OPPORTUNITE) acquièrent de nouveaux sens – «demander, solliciter» (pour le mot a aplica), respectivement, «chance, possibilité, occasion» (pour le mot oportunitate) – qui représentent des calques sémantique d’après l’anglais APPLAY / OPPORTUNITY (Groza 2004: 122). Mais c’est un autre type d’étymologie multiple où il y a superposition de deux emprunts successifs. 231 Une analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R du DEX démontre que pour les 288 unités lexicales à «étymologie multiple», la première alternative, abstraction faite du français, est le latin, la deuxième l’allemand et la troisième l’italien (v. infra l’Annexe no. 1). Mais, la confrontation de cette statistique avec le DLR met en évidence plusieurs divergences. Par exemple, 30 unités lexicales ne sont pas enregistrées par le DLR, plus d’une moitié (16 mots) représentant des emprunts plus récents à étymologie multiple française et anglaise, telles: relaţional, rift, robotică, rubylith, rutherford, etc. Les séries les mieux représentées dans les deux dictionnaires consultés sont celles qui visent l’étymologie double française-latine (122 vs. 83 unités lexicales), respectivement, française-allemande (63 vs. 46 unités lexicales). Pour une bonne partie des mots appartenant à ces séries le DLR préfère l’étymologie à source unique. Les séries à étymologie multiple triple et quadruple sont faiblement représentées dans le DLR qui accepte, en général, l’étymologie à double source et qui présente séparément l’origine des variantes lexicales au cas où celles-ci existent. Par exemple, pour le mot rit du ngr. RITON, lat. RITUS, fr. RITE, le DLR mentionne aussi la variante rituş dont l’origine est hongroise. 3. L’«ÉTYMOLOGIE MULTIPLE» ET LES GALLICISMES Il s’ensuit que l’étymologie multiple, un concept adopté aujourd’hui par la majorité des linguistes roumains (cf. Sala 1999: 67), s’avère d’une très grande importance et utilité pour la lexicologie roumaine, si et seulement si elle est appliquée de façon correcte (cf. Şora 2006: 1728). Mais il y a toute une série d’obstacles qui se dressent devant le lexicographe étymologiste. C’est pour cela que nous nous sommes dirigés dans un deuxième temps vers le raffinement de cette théorie, mettant en évidence tant les pratiques lexicographiques inconséquentes ou bien erronées, que les déficiences méthodologiques. Un tel approfondissement nous a permis d’esquisser une typologie des mots qui sont hautement susceptibles de provenir du français, présentant toutefois d’autres possibilités en tant que sources étymologiques. 3.1. L’étymologie multiple dans la pratique lexicographique roumaine Abstraction faite du RDW, les dictionnaires roumains ne mentionnent pas la première attestation. Ursu (1965: 55-57) cite le cas du mot clas – une variante plus ancienne de clasă «classe» – dont l’étymon ne doit pas être considéré (contrairement à l’opinion d’autres chercheurs) de provenance russe, car ses premières attestations sont enregistrées dans les textes parus en Transylvanie, en 1780, donc dans une période où l’influence russe ne s’était pas encore faite sentir. L’étymologie correcte serait: clasă [variante vieillie: clas] du fr. CLASSE, all. KLASSE (Ursu 1965: 55-57). 232 Une autre déficience est l’explication erronée ou même l’ignorance des variantes qui pourraient être une aide précieuse pour trouver la bonne étymologie, respectivement la filière de pénétration. Hristea (1968: 105) cite entre autres le cas du roumain monedă dont l’étymologie est indiquée ou bien de manière unilatérale (uniquement de provenance latine d’après le CDDE), ou bien elle est trop vague (le DN indique l’italien MONETA et renvoie en même temps au latin MONETA). En réalité, du latin et surtout de l’italien provient seulement la variante vieillie moneta, tandis que la forme roumaine littéraire monedă est d’origine néogrecque (Hristea 1968: 104-105; Graur 1936: 103). Un autre exemple illustratif nous est offert par le mot inginer que certains dictionnaires (le DU, le DLRM et le CDDE) explicitent seulement par le français INGENIEUR sans prendre en considération deux aspects très importants: (1) les formes analogiques qui indiquent l’évolution -or de la finale française -IEUR dans plusieurs autres mots comme le fr. TRIEUR > roum. trior; le fr. SKIEUR > roum. schior. L’adaptation du fr. INGENIEUR en roumain aurait donc du être à *ingeni-or ou bien à *injeni-or; (2) la variante plus ancienne (attestée en 1891 chez George Bariţiu, apud Hristea 1968: 111), ingenier, dont la forme renvoie à l’italien INGEGNERE. Dans ce cas, une solution étymologique correcte serait: inginer de l’it. INGEGNERE, d’après le fr. INGENIEUR, l’all. INGENIEUR, cf. le rus. INGENER. Le dernier exemple met en discussion un autre aspect des indications étymologiques incomplètes ou erronées des dictionnaires roumains. Il s’agit d’un nombre élevé de mots «internationaux» qui proviennent en roumain de plusieurs langues européennes simultanément ou de manière successive et qui sont fréquemment enregistrés dans les dictionnaires comme des emprunts au français. En fait, cette situation spéciale renvoie à – on pourrait déjà le dire – «un hyper topos» de la littérature de spécialité: la tendance vers l’exagération du nombre des gallicismes du vocabulaire néologique du roumain moderne et contemporain, exagération explicable d’un côté par une certaine subjectivité, et de l’autre, par une certaine commodité des chercheurs. À ce point, plusieurs cas peuvent être soumis à l’analyse: (a) les dictionnaires ne mentionnent pas que, dans certains cas, le roumain a emprunté au français seulement la forme et quelques significations et non pas toutes les significations et qu’en réalité, pour ce type d’emprunts, il s’agit d’une véritable « étymologie multiple mixte ou combinée ». Tel est, par exemple, le cas du mot roumain pastelist (discuté supra – v. § 2. 2. 3.) ou celui du mot a articula (du fr. ARTICULER, lat. ARTICULARE), dont le second sens «ajouter un article à un nom ou à un autre équivalent nominal» est une création de la langue roumaine (Hristea 1968, 111); (b) (ou bien) les dictionnaires arrivent parfois à inventer des étymons français qui, en fait, sont inexistants dans la langue parlée en France, en Belgique ou en Suisse. Par exemple, on indique comme étymologie pour frizer «coiffeur» le mot français *FRISEUR qui n’existe pas. Une analyse un peu plus poussée montre que frizer est un emprunt à l’all. FRISEUR (Hristea 1968: 112). 233 3. 2. Déficiences méthodologiques de l’étymologie multiple D’autre parte, les critères linguistiques sont encore plus difficiles à être appliqués dans bien des cas à étymologie multiple. Par exemple, le critère formel n’est pas toujours applicable dans plusieurs cas de figure, tels que: (1) L’existence de plusieurs variantes lexicales ne fait parfois qu’augmenter le nombre des langues potentielles sources de l’emprunt et, par conséquent, mettre le chercheur dans l’embarras du choix en ce qui concerne l’étymon (les étymons) primaire(s). Şora (2006: 1726) cite le cas du roumain arteră, attesté sous cette forme à partir du XIXème siècle, qui renvoie au fr. ARTERE et qui présente les variantes: artirie (du XVIIIème siècle), explicable par le néogrec ARTIRIA, respectivement, arterie (attestée vers 1850) qui pourrait être d’origine italienne, allemande ou russe. Il s’agit, dans ce cas, (a) de plusieurs formes qui ont coexisté, chacune venue par une autre filière, (b) on pourrait considérer que la variante du roumain actuel (arteră du fr. ARTERE) s’est greffée sur toutes les autres variantes ou bien (c) qu’il s’agit d’une forme empruntée une deuxième fois. (2) Au contraire, la disparition de certaines variantes formelles et la prise en charge d’un seul modèle, qui s’est imposé finalement dans la langue, pourraient conduire à une fausse étymologie qui, fréquemment, envoie à une source unique. C’est toujours Şora (2006: 1727) qui cite la situation où certaines variantes signalées au XIXème siècle, dues aux hésitations d’accentuation, se sont perdues jusqu’à l’état actuel de la langue où s’est imposé – dans la plupart des cas – le modèle français (antípod, modestie, etc.). (3) La différence assez grande entre le phonétisme français et celui roumain a conduit à une adaptation quasi générale des emprunts au français (pénétrés surtout par voie culte, écrite) à la phonétique roumaine. De là, la confusion fréquente entre ce type de néologismes et ceux pénétrés directement de l’italien. Cela pourrait être l’explication pour le petit nombre (obtenu dans notre analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R) de lexèmes (6 unités) à étymologie double française-italienne du DLR, qui explique des mots comme a restitui, rezistent, rotondă uniquement par le français, ou bien par une source triple: française, italienne et latine, dans le cas des mots tels que romanitate «romanité», republică «république». (4) D’autre part, les mots roumains pénétrés par filière française et surtout ceux à étymon italien se confondent du point de vue formel avec les cultismes (les latinismes mis en circulation vers la fin du XVIIIème siècle par la Şcoala Ardeleană5) (cf. Ursu 1962: 115). Ainsi l’adaptation formelle des gallicismes tenant compte du modèle latin pourrait-elle être le critère qui détermine le DLR à considérer certains néologismes comme provenant uniquement du latin (v. a rugi dont la source est, selon le DLR, le latin RUGIRE et pour lequel 234 le DEX mentionne: cf. le lat. RUGIRE, le fr. RUGIR), situation qui surgit dans notre analyse statistique sur les gallicismes de la lettre R. D’ailleurs, les critères linguistiques, aussi bien que les critères extralinguistiques semblent impuissants à faire la distinction entre les emprunts (qui représentent des dérivés dans la langue source) et les créations internes, réalisées parfois avec des affixes latino-romans. Un exemple classique est celui des mots roumains terminés en –bil (v. Iliescu: 1959), qui peuvent être soit des dérivés, tels acceptabil, adaptabil, calculabil, etc. provenant des verbes roumains A ACCEPTA, A ADAPTA, A CALCULA, soit des emprunts, tels accesibil du fr. ACCESSIBLE, lat. ACCESSIBILIS; solubil du fr. SOLUBLE, lat. SOLUBILIS ou bien inflamabil du fr. INFLAMABLE, etc. Mais ce dernier aspect reste de nos jours encore très difficile à résoudre (cf. Graur 1950: 32). 4. CONCLUSIONS La définition étymologique des néologismes du roumain représente encore un problème extrêmement compliqué. La notion d’étymologie multiple est une aide précieuse si elle est bien appliquée, mais elle ne peut pas, à elle-même résoudre toutes les difficultés. Dans les cas où la source immédiate d’un emprunt reste ambiguë ou lorsqu’il est possible, en principe, qu’un néologisme provienne au moins par deux filières, s’impose l’étymologie multiple (cf. Hristea 1968: 114). Au moment où l’Institut de Linguistique de Bucarest publiera le corpus auquel il travaille, en fournissant des données plus exactes sur l’attestation des mots au moins dans la langue écrite, le principe de l’étymologie multiple sera une aide encore plus concrète pour tous ceux qui se préoccupent des étymologies, surtout des néologismes roumains. NOTES * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. 1 L’«étymologie multiple» est un concept introduit dans la linguistique roumaine par Alexandru Graur (1950: 22-34) qui considère qu’un mot peut avoir à la fois un, deux ou bien n étymons possibles, surtout dans une langue comme le roumain, formée sous l’influence d’aussi nombreuses cultures étrangères. 2 Parmi les autres dictionnaires roumains plus récents qui appliquent le principe de «l’étymologie multiple» d’une manière scientifique quasi correcte on mentionne le DEX, dont les indications étymologiques (améliorées à partir de la seconde édition, publiée en 1996, grâce à la collaboration de Theodor Hristea) sont presque semblables à celles du DLR, à l’avantage d’avoir un nombre plus élevé de néologismes du roumain contemporain. 3 En ce qui concerne Le dictionnaire de la langue roumaine, paru sous l’égide de l’Académie Roumaine, il faut pourtant préciser son histoire. À partir de 1913 et jusqu’au 1949, on a fait publier trois grands volumes (A-B, C et F-I) et encore quatre fascicules (une première partie de la lettre D-De et la lettre L jusqu’au mot lojniţă) (cf. Sala 1999: 104). Mircea Seche (1966 – 1969: II, 70) attire l’attention qu’avec le DA, c’est pour la première fois qu’un dictionnaire roumain accepte deux solutions étymologiques alternatives. Étant donné la période de son élaboration, une bonne partie des néologismes du roumain moderne et contemporain y manque. Cet imposant ouvrage, connu sous le nom de DA, a été continué après 1965 avec une nouvelle série (le DLR) 235 4 5 qui contient jusqu’à présent les volumes des lettres M, N, O, P, R, S, Ş, T, Ţ, V, X, Y et Z. Le DLR, le dictionnaire historique trésor de la langue roumaine, dont les parties publiées avant la deuxième guerre mondiale n’ont pas encore étaient reprises, applique le principe de «l’étymologie multiple» non seulement aux néologismes, mais aussi aux unités lexicales plus anciennes. L’étymologie reproduite pour les mots ciocolată et sa variante şocoladă est discutable : le mot français étant masculin, il est très peu probable qu’il soit la source directe du mot roumain, qui est féminin. L’italien suffit pour expliquer l’entrée. Şcoala ardeleană («L’École transylvaine») est un mouvement de renaissance culturelle de la fin du XVIIIème siècle et du début du XIXème marqué par une prise de conscience accrue de l’origine latine du peuple roumain et de la langue roumaine. BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE Études Coteanu, Ion / Sala, Marius (1987): Etimologia şi limba română. Principii – probleme, Bucureşti: Editura Academiei. Ernst, Gerhard (1989): «Rumänisch. 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FR. – IT. 19 6 4. FR. – ANGL. 26 4 5. 6. FR. – RUSSE FR. – NÉOGREC 5 2 3 0 7. 8. FR. – ESP. FR. – LAT. – ALL. 2 13 1 5 9. FR. – LAT. – IT. 13 4 10. FR. – ALL. – IT. 5 1 11. FR. – ANGL. – ALL. 4 0 12. 13. 14. 15. 16. 17. FR. – RUS. – ALL. FR. – LAT. – NÉOGR. FR. – ESP. – ALL. FR. – LAT. – ALL. – IT. FR. – ALM. – RUS. –ANGL. FR. – LAT. – IT. – NÉOGR. 2 2 1 3 1 1 1 2 0 2 0 0 239 DLR + 4 unités non enregistrées + 20 unités du fr. + 3 unités du fr., cf. lat. + 2 unités du lat. + 6 unités du fr., lat, all. + 1 unité du fr., all., néogr. + 1 unité du fr., all. + 1 création interne + 3 unités non enregistrées + 8 unités du fr. + 2 unités de l’all. + 2 unités du fr., all., hongr. + 1 unité du fr., all., cf. l’hongr. + 1 unité du fr., all., cf. l’angl. + 2 unités non enregistrées + 5 unités du fr. + 2 unités du fr., lat. all. + 1 unité du fr., it. all. + 1 unité du fr., it., lat. + 1 unité du fr., it., lat., all. + 1 création interne + 16 unités non enregistrées + 5 unités du fr. + 1 unité de l’angl. + 2 unités du fr. + 1 unité du fr., néogr., all. + 1 unité du fr., néogr., all., lat., it. + 1 unité non enregistrée + 1 unité non enregistrée + 6 unités du fr., lat. + 1 unité du fr., it. + 1 unité non enregistrée + 6 unités du fr., lat. + 1 unité du fr., it. + 1 unité cf. lat., fr., all. + 1 unité du lat., all., fr. + 1 unité du lat., all., fr., cf. le rus. + 2 unités du fr., all. + 3 unités du fr. + 1 unité de l’angl. + 1 unité non enregistrée – + 1 unité du fr., all. + 1 unité du fr., lat., all. + 1 unité non enregistrée + 1 unité du fr., néogr., lat. FACTEURS D’USAGE DES EMPRUNTS LEXICAUX DU GREC AU FRANÇAIS FONCTIONNANT COMME FAUX AMIS: L’INFLUENCE DE LA LANGUE MATERNELLE A LA COMPETENCE DE LA LANGUE ETRANGERE Varvara PYROMALI Collège d’Antiparos, Grèce 1. CADRE THÉORIQUE 1.1. L’emprunt linguistique «Les langues vivantes ne sont pas des systèmes figés pour l’éternité, mais plutôt des systèmes mouvants en élaboration continue, qui ne cessent de se renouveler et de s’enrichir. Cet enrichissement est dû, en grande partie, au phénomène de l’emprunt, et plus spécifiquement de l’emprunt lexical, qui suppose toujours un mouvement de passage d’hommes et de choses.» (Lakhdhar 2008: 55) Humbley (1974: 51, apud Pavel 1989: 125-137), définit l’emprunt en tant que passage d'un élément d'une langue à une autre, intégré au «processus d'adoption de mots nouveaux ou néologie» et analysé selon une typologie exhaustive qui tient compte de ses manifestations à tous les niveaux de la langue emprunteuse-phonétique, graphie, morphosyntaxe ou sémantique. Haugen (Haugen: 1950) propose la définition de l’emprunt en tant que reproduction dans une langue des modèles préalablement trouvés dans une autre langue. Nous pouvons procéder à diverses catégorisations des emprunts en relation avec des paramètres différents. Pour ce qui est de la langue emprunteuse, nous pourrions distinguer l’emprunt interne à l’emprunt externe. Concernant le mode d'intégration des emprunts dans le système de la langue cible, nous en distinguons trois types selon Deroy (1956: 224): les emprunts proprement dits, les xénismes ou pérégrinismes et les occasionnalismes. Pour ce qui est de la forme des emprunts, nous pourrions les distinguer en emprunts intégraux, sémantiques, syntagmatiques, syntaxiques, phonémiques, graphémiques, réfectionnels ou emprunts de morphèmes. 240 1.2. Les faux amis Les faux amis sont les unités lexicales présentant des similitudes phonologiques, morphologiques entre deux ou plusieurs langues, mais ayant des sens différents. Le terme faux amis (false friends) a été introduit par les linguistes français Koessler et Derocquigny (Koessler / Derocquigny: 1928) pour désigner les unités lexicales appartenant à deux ou plusieurs langues sonnant de la même façon, mais ayant une signification différente. Domininguez et Nerlich nous donnent deux définitions importantes pour les faux amis: «Les faux amis accidentels (Chance false friends) partagent la même forme, mais ont une étymologie différente et des significations différentes en langues différentes. Les faux amis sémantiques (Semantic false friends), au contraire, ont la même origine étymologique, mais des significations différentes en langues différentes, ayant quand même des relations sémantiques entre eux.» (Domininguez / Nerlich: 2002) Nous pourrions aussi distinguer les faux amis stricts des faux amis partiels. Les faux amis stricts ont un sens différent malgré les apparences, alors que les faux amis partiels ont un ou plusieurs sens équivalents et un ou plusieurs sens différents. La majorité des faux amis que le grec a empruntés au français constituent des faux amis partiels. Nous nous référons à titre d’exemple au mot français garçon et au mot grec γκαρσόνι. Les deux mots partagent la signification «homme en service ou employé subalterne dans certains établissements ou administrations, généralement chargé d'accueillir et servir la clientèle» (Le Petit Robert: 1996). Pourtant, le mot garçon signifie aussi «enfant de sexe masculin», «homme de peu de poids, de peu d'expérience», «jeune homme; homme», «jeune homme non marié», «domestique, valet, ouvrier» (ibidem). 2. CADRE MÉTHODOLOGIQUE Notre étude est le produit d’une recherche réalisée en 2009 en Grèce. Les résultats se basent sur les réponses données par un échantillon de 222 locuteurs grecs francophones à un questionnaire à choix multiples examinant la pertinence et la fréquence d’utilisation des emprunts lexicaux au français fonctionnant comme faux amis, dans le but de constater l’influence de la langue maternelle à la compétence de la langue étrangère. Dans les exemples du questionnaire nous utilisons des unités lexicales parmi une liste de paires d’emprunts-faux amis que nous avons divisées en dix champs lexicaux. Tableau 1 - Champs lexicaux Mode caleçon/καλσόν collant/κολάν bracelet/μπρασελέ occasion/οκαζιόν Automobile capot/καπό garage/γκαράζ réservoir/ρεζερβουάρ bougie/μπουζί Gastronomie baguette/μπαγκέτα menu/μενού éclair/εκλέρ marmelade/μαρμελάδα 241 Domicile décor/ντεκόρ boudoir/μπουντουάρ cabinet/καμπινές salon/σαλόνι boutique/μπουτίκ serviette/σερβιέτα mousse/μους bouquet/μπουκέτο ventilateur/βεντιλατέρ levier/λεβιές Moteur/μοτέρ Sport pirouette/πιρουέτα tour/τουρ revanche/ρεβάνς tournoi/τουρνουά course/κούρσα marche/μαρς carré/καρέ Mass média vignette/βινιέτα nouvelle/νουβέλα effets/εφέ tirage/τιράζ reportage/ρεπορτάζ réclame/ρεκλάμα brochure/μπροσούρα rubrique/ρουμπρίκα Notions série/σερί clou/κλου prestige/πρεστίζ gaffe/γκάφα avantage/αβαντάζ succès/σουξέ toupet/τουπέ Équipement crayon/κραγιόν panneau/πανό carnet/καρνέ dossier/ντοσιέ emballage/αμπαλάζ chiffonnier/σιφονιέρα baladeuse/μπαλαντέζα tirebouchon/τιρμπουσόν fiche/φις tourte/τούρτα bifteck/μπιφτέκι couverture/κουβερτούα couvert/κουβέρ sauter/σοτάρω Loisirs boîte/μπουάτ rendez-vous/ραντεβού souvenir/σουβενίρ plage/πλαζ repos/ρεπό valet/βαλές atelier/ατελιέ pion/πιόνι soirée/σουαρέ pension/πανσιόν silo/σιλό dépôt/ντεπό parterre/παρτέρι Métiers & Caractéristiques de personnes chauffeur/σοφέρ chef/σεφ engagé/αγκαζέ coquette/κοκέτα garçon/γκαρσόνι réception/ρεσεψιόν excentrique/εξαντρίκ expert/εξπέρ Le questionnaire comporte des questions à choix multiple examinant dans la première partie la pertinence et dans la deuxième partie la fréquence d’utilisation des emprunts lexicaux, et aussi, une troisième partie qui porte sur les éléments personnels de l’échantillon. Les réponses données au questionnaire étudiées en relation avec tous les éléments personnels nous procurent des conclusions importantes sur les paramètres éventuels influençant le choix des mots dans le discours des locuteurs natifs d’une langue et sur l’origine de leurs erreurs. Pour l’élaboration des résultats nous avons établi des variables dépendantes et indépendantes. Pour ce qui est de la partie du questionnaire étudiant la pertinence d’utilisation des emprunts, nous signalons que pour traiter les données, qui sont dans le questionnaire sous forme de choix multiples de type a, b, c, nous avons distingué les réponses en correctes, auxquelles nous avons attribué la valeur 1, ou fautives, auxquelles nous avons attribué la valeur 0. Les réponses ont été traitées, d’abord dans leur totalité et, par la suite, divisées en champs lexicaux. Concernant la fréquence d’utilisation des emprunts, nous avons distingué les réponses de l’échantillon, données dans le questionnaire sous forme de choix multiples de type a, b, en réponses où les sujets ont préféré utiliser l’emprunt au français, auxquelles nous avons attribué la valeur 1, et en réponses où ils ont préféré utiliser l’équivalente unité lexicale grecque, auxquelles nous avons attribué la valeur 0. Nous avons étudié la fréquence d’utilisation des emprunts dans la totalité des phrases et, après, pour les phrases relatives à chacune de dix catégories lexicales. Les éléments personnels sur les sujets de la recherche ont été examinés 242 en corrélation avec les réponses aux questions concernant la pertinence et la fréquence d’utilisation des emprunts. Nous avons ainsi fixé comme variables de contrôle le sexe, l’âge, le statut, la formation, le pays d’origine, la langue maternelle, le niveau de français, d’anglais, ou d’autre langue étrangère, le contact avec l’étranger et la France, les circonstances d’utilisation des langues étrangères et du français, l’opinion des sujets de la recherche sur l’utilisation des mots étrangers dans leur discours, leur opinion concernant la facilité, l’utilité et l’intérêt des langues étrangères et du français. 3. RÉSULTATS 3.1. Statistiques descriptives Relativement au profile des sujets de la recherche, 12,2% sont hommes, alors que 87.8 % sont femmes. 24,3% ont moins de 24 ans, 35,1% ont entre 24 et 40 ans et 40,5% ont plus de 40 ans. 9,4% d’entre eux sont collégiens, 5,6% lycéens, 12,2% étudiants et 72,8% employés. Tableau 2 - Age 24.30% <24 40.50% 24-40 >40 35.10% Tableau 3 - Statut 9.40% 5.60% 12.20% collégiens lycéens étudiants 72.80% employés 57,1%des employés exercent des métiers relatifs aux sciences humaines et sociales, 31.3% ont des métiers économiques ou administratifs ou s’occupent des services, alors que 11,5% pratiquent un métier appartenant au domaine des sciences naturelles ou mathématiques. Parmi les employés, nous repérons plusieurs occupations: agriculteurs, archéologues, avocats, chimistes, employés bancaires, enseignants, entrepreneurs, fonctionnaires, ingénieurs, instituteurs, mathématiciens, médecins, psychologues, physiciens, programmeurs, secrétaires, sociologues, 243 traducteurs. Le métier dominant est celui des enseignants qui constituent 33,3% du total des employés. 15,4% du total des employés travaillent en tant que professeurs du F.L.E. ou traducteurs. Tableau 4 - Métier sciences humaines et sociales 11.50% 31.30% économie - administration services 57.10% sciences naturelles mathématiques Tableau 5 - Métier 35.00% 33.30% 30.00% 25.00% 20.00% 18.00% 14.90% 15.00% 10.00% 6.80% 5% 5.00% 2.70% 2.30% 2.30% 3.20% 0.90% 0.90% 0.90% 0.50% 0.50% 1.80% 1.40% 2.30% 1.80% 0.00% Agriculteur Archéologue Avocat Chimiste Employé Enseignant Enterpreneur Fonctionnaire Ingénieur Instituteur Mathématicien Médecin Psychologue Physicien Programmeur Secrétaire Sociologue Traducteur Concernant la formation, nous constatons que 8,6% des sujets de la recherche ont un «brevet de primaire», 5,9% ont un brevet des collèges, 10% ont un baccalauréat, 43,4% sont titulaires d’un master 1, 26,2% possèdent un master 2 et 5,9% un doctorat. 244 Tableau 6 - Formation 50.00% 43.40% 45.00% 40.00% brevet de primaire 35.00% brevet des collèges 30.00% baccalauréat 26.20% 25.00% master 1 20.00% master 2 doctorat 15.00% 10.00% 10.00% 8.60% 5.90% 5.90% 5.00% 0.00% 97,7 % de l’échantillon déclarent avoir comme pays d’origine la Grèce et comme langue maternelle la langue grecque. Pour ce qui est de la connaissance du français et des langues étrangères, nous déduisons que 8,2% ont une connaissance de français au niveau A1, 9,1% au niveau A2, 14,1% au niveau B1, 16,8% au niveau B2, 13,6% au niveau C1 et 38,2% au niveau C2. 5,4% connaît l’anglais au niveau A1, 10,7% au niveau A2, 4,9% au niveau B1, 17,1% au niveau B2, 23,9% au niveau C1, 38% au niveau C2. Parmi les sujets de la recherche, 41,9% connaît une troisième langue étrangère, dont 18,3% au niveau A1, 12,9% au niveau A2, 22,6% au niveau B1, 18,3% au niveau B2, 11,8% au niveau C1 et 16,1% au niveau C2. 245 Tableau 7 - Français Tableau 8 - Anglais 5.40% A1 8.20% 9.10% 38.20% A2 10.70% 4.90% 38.00% B1 14.10% 16.80% 13.60% A2 B1 B2 17.10% C1 C2 A1 B2 C1 23.90% C2 Tableau 9 - 3e langue 16.10% 18.30% A1 A2 B1 11.80% 12.90% B2 C1 C2 18.30% 22.60% La majorité de l’échantillon n’a pas vécu à l’étranger. Plus précisément, 32% affirme avoir vécu à l’étranger, tandis que 18,8% a vécu en France. Par contre, la majorité a voyagé à l’étranger et en France. 86,5% déclarent avoir voyagé à l’étranger et 64,3% a déjà visité la France. 87% ont des parents ou des amis à l’étranger, alors que 39,2% ont des parents ou amis en France. En ce qui concerne les circonstances d’utilisation des langues étrangères et du français, nous constatons que 74,3% utilisent les langues étrangères via courrier postal, électronique ou chat, 83,3% en raison du tourisme, 53,2% au travail, 39,6% pour des études, 32,4% en famille ou entre amis et 9,5% pour d’autres cas. En plus, nous observons que 42,3% utilise le français pour communiquer via lettres, mails ou chat, 71,6% pendant des visites touristiques, 39,2% au travail, 29,3% pour des études, 27,5% entre parents ou copains et 14% pour d’autres raisons. Nous remarquons donc que la moyenne personne utilise les langues étrangères et le français surtout en raison du tourisme. 246 Tableau 10 - Circonstances d'utilisation des langues étrangères 9.50% 32.40% 39.60% 53.20% 83.30% 74.30% 0.00% 10.00% 20.00% 30.00% 40.00% 50.00% 60.00% 70.00% 80.00% courriel tourisme travail études famille autre cas 90.00% Tableau 11 - Circonstances d'utilisation du français 14.00% 27.50% 29.30% 39.20% 71.60% 42.30% 0.00% 10.00% 20.00% 30.00% 40.00% 50.00% 60.00% 70.00% courriel tourisme travail études famille autre cas 80.00% Au sujet de l’opinion de l’échantillon sur l’utilisation des mots d’origine étrangère dans leur discours, 55,6% répondent qu’ils en utilisent quelquefois, alors que 26,9% en utilisent souvent. Seulement 11,1% affirment en utiliser rarement contre 6,5% qui disent qu’ils en utilisent toujours. 247 Tableau 12 - Fréquence d'utilisation des mots d'origine étrangère 55.60% 60.00% 50.00% rarement 40.00% quelquefois 26.90% 30.00% souvent toujours 20.00% 11.10% 10.00% 6.50% 0.00% À propos de l’opinion sur la facilité, l’utilité et l’intérêt des langues étrangères et du français, nous remarquons que 60,1% trouvent les langues étrangères de moyenne difficulté et 56,5% disent que le français est de moyenne difficulté. 28,2% croient que les langues étrangères sont faciles, alors que 6,6% les trouvent difficiles, 3,3% très faciles et 1,9% trop difficiles. Respectivement, 19% croient que le français est difficile contre 18,5% qui le trouvent facile. Seulement 4,2% disent que le français est très facile et 1,9% le trouve trop difficile. Nous déduisons donc que le français est considéré plus difficile relativement aux autres langues apprises par les locuteurs grecs. En ce qui concerne l’utilité des langues étrangères et du français, nous concluons que 54,7% considèrent les langues étrangères utiles, 24,5% très utiles, 18,9% de moyenne utilité et seulement 1,9% peu utiles. Par contre, 38,4% considèrent le français de moyenne utilité, 36,1% utile, 15,3% peu utile et seulement 10,2% très utile. Nous constatons donc que le taux de l’utilité des langues étrangères est très élevé pour les locuteurs grecs. Pourtant, le français est considéré moins utile que les autres langues étrangères. Relativement à l’intérêt pour les langues étrangères et le français nous tirons les conclusions suivantes: 57,1% trouvent les langues étrangères agréables, 40,7% les considèrent extraordinaires, 2,4% les caractérisent neutres. La tendance est pareille pour le cas du français. Plus précisément, le français est caractérisé agréable par 56,2%, extraordinaire par 36,9%, neutre par 5,5% et désagréable par 1,4%. 3.2. Statistiques descriptives pour les variables dépendantes 3.2.1. La pertinence d’utilisation des emprunts Concernant la pertinence d’utilisation des emprunts, nous constatons une tendance, chez les personnes ayant complété le questionnaire, de les utiliser plutôt correctement qu’incorrectement. La majorité des réponses correctes sont données aux catégories Notions, Domicile et Gastronomie. Suivent les catégories Métiers & 248 Caractéristiques de personnes et Sport, puis les champs lexicaux Loisirs, Mass média et Automobile, tandis que la majorité des réponses fautives se présentent aux catégories Équipement et Mode. Tableau 14 - Pertinence / champs lexicaux Tableau 13 Pertinence 1 Pertinence 0.9 0.8 0.7 0.6 0 0.5 0.5 1 Français 0.4 0.3 0.2 0.1 0 Pertinence en français Mode Automobile Gastronomie Domicile Sport Mass Média Loisirs Métiers & Caractéristiques de personnes Notions Equipement 3.2.2. La fréquence d’utilisation des emprunts Selon les tests effectués, nous déduisons que les sujets de notre recherche tendent à utiliser les emprunts plus fréquemment que les mots natifs correspondants. Plus précisément, les catégories où les emprunts sont les plus préférés sont l’Automobile et la Mode. S’ensuivent le Domicile, les Notions, les Métiers & Caractéristiques de personnes avec l’Équipement et puis succèdent les Loisirs et le Sport. Seulement aux champs Mass média et Gastronomie les locuteurs grecs francophones préfèrent utiliser plus les mots natifs aux emprunts. Tableau 16 - Fréquence / champs lexicaux Fréquence Tableau 15 Fréquence 0 0.5 1 Français 249 1 0.9 0.8 0.7 0.6 0.5 0.4 0.3 0.2 0.1 0 Fréquence en français Mode Automobile Gastronomie Domicile Sport Mass Média Loisirs Métiers & Caractéristiques de personnes Notions Equipement 3.3. Contrôle des variables indépendantes 3.3.1. La pertinence d’utilisation des emprunts En ce qui concerne le sexe des sujets de la recherche, nous remarquons que les femmes tendent à utiliser plus correctement les emprunts que les hommes dans tous les champs sémantiques. Les réponses correctes des hommes sont presque égales avec celles des femmes seulement au champ Sport. Sur ce sujet, Baylon (2008: 119) réfère que du point de vue lexical, le seuil qualitatif dans le choix du vocabulaire est plus élevé chez la femme. Pour ce qui est de l’âge, nous trouvons que les personnes âgées de plus de 40 ans donnent le plus de réponses correctes à toutes les catégories lexicales en comparaison avec celles qui ont entre 24 et 40 ans et celles qui ont moins de 24 ans, tandis que les personnes âgées de moins de 24 ans répondent moins correctement que les autres tranches d’âges. Nous pourrions considérer le fait de commettre plus d’erreurs de la part des jeunes en tant que facteur de variation linguistique et le fait de donner plus de réponses correctes chez les plus âgés comme résultat de leur attitude plus conservatrice. Relativement au statut de l’échantillon, nous concluons que les employés tendent à donner la majorité des réponses correctes, et s’ensuivent les étudiants, les collégiens et les lycéens. Cela justifie la remarque de Llamas (2007: 69-76) selon laquelle l’adulte est considéré comme participant au marché linguistique standard au cours de la période où il travaille. Les étudiants donnent la plupart des réponses correctes seulement dans la catégorie Mass média. La majorité des réponses fautives sont données par les lycéens. La plupart des réponses fausses donnent les collégiens aux champs Automobile, Gastronomie, Domicile et Notions. 250 Concernant la profession, nous voyons que les sujets de la recherche exerçant des métiers relatifs aux sciences humaines et sociales donnent plus de réponses correctes en comparaison avec ceux qui pratiquent un métier relatif à l’économie, l’administration et les services, mais aussi avec ceux qui ont un métier relatif aux sciences naturelles et mathématiques. Ceux qui s’occupent des sciences naturelles et mathématiques donnent la plupart des réponses fausses. La tendance des personnes ayant un métier relatif aux sciences humaines et sociales à donner la majorité des réponses correctes est attestée à toutes les catégories lexicales, sauf la Mode et les Métiers & Caractéristiques de personnes. Ainsi, la minorité des réponses correctes sont données par les personnes exerçant un métier sur les sciences naturelles et mathématiques dans les champs Automobile, Gastronomie, Domicile, Loisirs, et Équipement, alors que dans les champs Sport, Mass média et Notions ce sont les personnes avec un métier sur le secteur de l’économie, de l’administration et des services qui donnent la plupart des réponses fautives. Ceux qui ont un métier relatif aux sciences humaines et sociales répondent le moins correctement sur la Mode et les Métiers & Caractéristiques de personnes. Les professions relatives au F.L.E. tendent à utiliser plus correctement les emprunts au français que les autres professions dans toutes les catégories lexicales. Concernant la formation, nous déduisons que les personnes ayant un doctorat tendent à répondre le plus correctement, s’ensuivent celles ayant un master 2 et les possesseurs d’un master 1. Nous signalons que les détenteurs d’un brevet du primaire donnent plus de réponses correctes que les bacheliers. Ceux qui ont un brevet des collèges donnent la minorité des réponses correctes. Les docteurs donnent la plupart des réponses correctes à toutes les catégories, sauf l’Automobile, le Domicile et les Métiers & Caractéristiques de personnes, où avancent les diplômés d’un master 1, et les Mass média, où sont premiers les possesseurs d’un master 2. La plupart des réponses fausses sont donnés par les bacheliers pour ce qui est de la Mode, de la Gastronomie, du Domicile et des Loisirs, par les personnes possédant d’un brevet des collèges pour les champs Sport, Mass média et Équipement, et, enfin, par les détenteurs d’un brevet du primaire pour les champs lexicaux Automobile, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions. En ce qui concerne le pays d’origine et la langue maternelle, nous signalons la tendance des locuteurs grecs à utiliser plus correctement les emprunts dans tous les champs lexicaux, sauf la Gastronomie, les Mass média et l’Équipement. Quant au niveau de connaissance du français, nous voyons que les utilisateurs expérimentés (C1-C2) tendent à répondre plus correctement, s’ensuivent les utilisateurs indépendants (B1-B2) et les utilisateurs élémentaires (A1-A2). Il est remarquable de mentionner que ceux qui ont un niveau A1 se montrent en général plus compétents des personnes ayant un niveau A2. Si l’on compare les réponses données aux champs lexicaux, nous trouvons que la compétence des utilisateurs élémentaires (A1-A2) est très bonne aux champs Mode, Mass média, Loisirs et Équipement. Ainsi, les utilisateurs avancés (B2) donnent plus de réponses fautives que les utilisateurs intermédiaires (A2) aux 251 champs Mode, Mass média, Loisirs et Équipement, tandis que les utilisateurs de niveau seuil (B1) font plus d’erreurs que les utilisateurs introductifs (A1) aux champs Mass média et Équipement. Concernant l’influence de la connaissance de l’anglais sur la pertinence d’utilisation des emprunts, nous notons que les réponses ont été très dispersées. Nous remarquons que les utilisateurs élémentaires (A1, A2) en anglais tendent à utiliser plus correctement les emprunts au français. Vu que notre échantillon comprend des personnes polyglottes, nous avons ajouté le paramètre de la troisième langue pour chercher une relation éventuelle entre l’utilisation des emprunts au français et le plurilinguisme. Ainsi, les utilisateurs expérimentés (C1-C2) d’une troisième langue étrangère tendent à donner plus de réponses correctes que les utilisateurs élémentaires (A1-A2) ou les utilisateurs indépendants (B1-B2). Nous déduisons donc que le plurilinguisme influe positivement sur la compétence d’utilisation des emprunts, si elle existe à un niveau très élevé. En ce qui concerne les réponses à la question sur la fréquence avec la quelle on juge utiliser des mots d’origine étrangère, nous référons quelques constatations qui retiennent notre attention. La plupart des réponses correctes sont données par les personnes déclarant utiliser toujours des emprunts, à l’exception de la Mode et de l’Automobile. Par contre, les personnes déclarant utiliser rarement des mots d’origine étrangère donnent la plupart des réponses fausses aux catégories lexicales Mode, Gastronomie, Sport, Métiers & Caractéristiques de personnes et Équipement et elles sont presque les moins compétentes aux champs Automobile, Domicile et Notions. Concernant le séjour à l’étranger, nous observons que les personnes y ayant vécu tendent à répondre le plus correctement. Quant aux catégories sémantiques fixées, elles donnent moins de réponses correctes seulement aux champs Automobile et Domicile. Les personnes ayant vécu en France tendent à répondre plus correctement que les personnes n’ayant jamais vécu en France. Cette tendance est valide aussi pour toutes les catégories lexicales, à l’exception de l’Automobile. De plus, nous déduisons que les personnes ayant voyagé à l’étranger tendent à donner la majorité des réponses correctes. Quant aux catégories lexicales, les personnes n’ayant pas voyagé à l’étranger se montrent plus compétentes seulement à la Mode et aux Mass média. Aussi, les personnes ayant voyagé en France tendent à répondre plus correctement que celles qui n’y sont pas allées. Cette tendance est observée dans toutes les catégories lexicales. Concernant le contact avec des parents ou des amis à l’étranger, nous déduisons que les personnes ayant des parents ou des amis à l’étranger tendent à donner la minorité des réponses correctes. La même tendance est aussi observée à presque toutes les catégories lexicales: à l’Automobile, aux Mass média, aux Métiers & Caractéristiques de personnes, aux Notions et à l’Équipement. En revanche, les personnes ayant des parents ou des amis en France tendent à donner plus de réponses correctes. Elles sont plus compétentes à toutes les catégories sauf la Mode, la Gastronomie et les Loisirs. 252 Par rapport aux circonstances d’utilisation des langues étrangères et du français, nous constatons que les personnes utilisant les langues étrangères via courrier, courriel et chat tendent à répondre plus correctement que celles qui n’utilisent pas ces moyens de communication. Elles sont plus compétentes dans la plupart des catégories à l’exception du Domicile, des Loisirs et des Notions. Les personnes utilisant le français via courrier, courriel et chat tendent aussi à donner la majorité des réponses correctes. Cette tendance est observée à toutes les catégories sémantiques sauf la Mode. Par rapport au tourisme, nous signalons que les personnes utilisant les langues étrangères ou le français en tant que touristes tendent à donner plus de réponses correctes que celles qui ne communiquent pas en langues étrangères ou en français en raison du tourisme. Cette constatation est valable pour toutes les catégories lexicales considérées séparément. Par rapport à l’utilisation des langues étrangères et du français au travail, nous constatons que les personnes qui les utilisent tendent à être plus compétentes concernant l’emploi correct des emprunts. Quant aux catégories sémantiques, cette constatation est valable dans toutes les catégories lexicales pour l’utilisation du français et dans toutes les catégories lexicales sauf les Loisirs pour l’utilisation des langues étrangères. Nous déduisons donc que la profession joue un rôle très important dans la compétence d’utilisation des emprunts en français. En examinant la relation entre l’utilisation des emprunts et les études à l’étranger, nous voyons que les personnes ayant réalisé des études à l’étranger tendent à être plus compétentes. Cela va de même pour les personnes ayant effectué des études en France. Nous arrivons à la constatation contraire seulement au cas de la Mode, de l’Automobile et du Domicile pour les personnes ayant effectué des études à l’étranger et à la catégorie Métiers & Caractéristiques de personnes pour celles ayant fait des études en France. Concernant les circonstances d’utilisation des langues étrangères et du français, nous avons aussi considéré que la famille et l’entourage amical pourrait influer sur l’utilisation des emprunts. Ainsi, nous constatons que les personnes communiquant en langues étrangères ou en français avec leur famille ou leurs amis utilisent plus correctement les emprunts. Cette tendance est aussi observée à toutes les catégories lexicales examinées séparément à l’exception des champs Automobile, Mass média et Loisirs pour les langues étrangères et de l’Automobile pour le français. Nous avons voulu aussi tester s’il y a une relation entre l’utilisation des emprunts et l’utilisation des langues étrangères ou du français dans d’autres circonstances que celles mentionnées. Nous trouvons donc que ceux qui affirment utiliser les langues étrangères ou le français dans d’autres cas tendent à commettre plus de fautes dans l’utilisation des emprunts en français. Aussi, cette tendance est-elle observée dans la plupart des catégories lexicales sauf l’Automobile et les Mass média pour les langues étrangères et les Métiers & Caractéristiques de personnes et les Notions pour l’utilisation du français. Quant à l’opinion de l’échantillon sur la facilité des langues étrangères et du français, nous constatons que les personnes considérant les langues étrangères ou le français très faciles tendent à être plus compétentes dans l’utilisation des emprunts. En ce qui concerne l’opinion de l’échantillon sur l’intérêt que présentent 253 pour eux les langues étrangères et le français, nous observons que les personnes qui caractérisent les langues étrangères ou le français comme extraordinaires tendent à être plus compétentes dans l’utilisation des emprunts, alors que celles qui s’y montrent neutres tendent à faire la majorité des erreurs. Pour ce qui est de l’opinion de l’échantillon sur l’utilité des langues étrangères et du français, nous constatons que les utilisateurs trouvant les langues étrangères et le français très utiles tendent à être plus compétents dans l’utilisation des emprunts. La plupart des erreurs sont commises par les personnes trouvant les langues étrangères peu utiles et par les personnes qui caractérisent le français utile. 3.3.2. La fréquence d’utilisation des emprunts En ce qui concerne la fréquence d’utilisation des emprunts, nous voyons que les femmes tendent à utiliser plus d’emprunts que les hommes. Concernant les catégories lexicales considérées séparément, les femmes utilisent plus d’emprunts surtout à la Mode et à la Gastronomie, mais aussi aux Loisirs et aux Notions. Les hommes devancent les femmes aux catégories Automobile, Domicile et Équipement; aussi, au Sport, aux Mass média et aux Métiers & Caractéristiques de personnes. Quant au critère de l’âge, nous constatons que les personnes ayant plus de 40 ans utilisent la majorité des emprunts au détriment des mots natifs dans tous les champs lexicaux. Les personnes ayant moins de 24 ans utilisent la majorité des mots natifs aux champs Mode, Automobile, Domicile, Mass média et Loisirs. Le groupe des âgés entre 24 et 40 utilisent les moins d’emprunts aux champs Gastronomie, Sport, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions. Dans la catégorie Équipement le taux des réponses de choix des emprunts des personnes entre 24 et 40 coïncide avec celui des personnes de moins de 24 ans. Relativement à la profession, nous constatons que les employés tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts que les autres groupes. S’ensuivent les collégiens, les lycéens et les étudiants. La fréquence la plus élevée des emprunts en français présentent les employés aux catégories Mode, Automobile, Domicile et Mass média, les lycéens à la catégorie Gastronomie, les collégiens aux champs Sport, Loisirs, Métiers & Caractéristiques de personnes et Notions, tandis que les étudiants sont premiers au champ Équipement. La majorité des choix de mots natifs font les collégiens à la Mode, au Domicile et aux Mass média, les lycéens à l’Automobile et à l’Équipement, les employés à la Gastronomie et les étudiants au Sport, aux Loisirs, aux Métiers & Caractéristiques de personnes et aux Notions. Les personnes exerçant un métier dans les sciences naturelles et mathématiques optent le plus à utiliser des emprunts au français, alors que les professions de l’économie, de l’administration et des services utilisent le moins d’emprunts. Les professions des sciences humaines et sociales utilisent la majorité des emprunts dans les catégories Mode, Automobile, Loisirs et Notions, alors qu’elles utilisent le moins d’emprunts au cas de la Gastronomie, du Domicile, du Sport et de l’Équipement (10e). Les métiers de sciences naturelles et mathématiques tendent à utiliser le plus d’emprunts à la Gastronomie, au Sport et aux Mass média, et ils utilisent le moins d’emprunts aux Métiers & Caractéristiques de personne et 254 aux Notions. Enfin, les professions sur l’économie, l’administration et les services occupent le premier rang au Domicile, aux Métiers & Caractéristiques de personnes et à l’Équipement, alors qu’ils viennent derniers aux catégories Mode, Automobile, Mass média et Loisirs. Les personnes exerçant un métier sur le F.L.E. utilisent le moins d’emprunts au français que les autres, à l’exception des champs lexicaux Automobile et Équipement. Relativement à la formation, nous déduisons que les docteurs, tendent à utiliser le plus fréquemment des emprunts. Après les docteurs, ce sont les détenteurs d’un master 1 qui optent plus pour l’utilisation des emprunts au français, suivis par les bacheliers, les personnes possédant un brevet du primaire, un brevet des collèges et celles qui ont un master 2. Les docteurs avancent dans toutes les catégories à l’exception de l’Automobile et des catégories Domicile et Équipement. Concernant les catégories lexicales, nous signalons les personnes qui tendent à éviter l’utilisation des mots empruntés: pour le Sport, les Loisirs, les Notions, ce sont les bacheliers, pour la Gastronomie et les Mass média, ce sont les détenteurs d’un master 2, pour les Métiers & Caractéristiques de personnes, ce sont les diplômés d’un master 1, pour l’Équipement, ce sont les docteurs, pour l’Automobile, ce sont les personnes ayant un brevet des collèges, et pour la Mode et le Domicile, ce sont les personnes ayant un brevet du primaire. Quant à la langue maternelle, nous notons que les locuteurs natifs du grec utilisent moins d’emprunts au français, à l’exception de la Mode, de la Gastronomie et du Domicile. Relativement au niveau du français, nous voyons que les personnes ayant un niveau C1 de connaissance du français tendent à utiliser plus de mots d’origine française que les autres groupes. Concernant la connaissance de l’anglais, nous voyons que les personnes ayant un niveau C1 tendent à utiliser plus de mots d’origine française que les autres groupes. Cette constatation est analogue à celle que nous avons déjà faite quant au niveau de français. Aussi, nous devons noter que les personnes ayant un niveau A1 en anglais tendent à utiliser le moins de mots empruntés au français. En examinant les réponses entre les personnes connaissant une troisième langue étrangère, nous observons que les personnes ayant un niveau B2 dans une troisième langue étrangère tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts que les autres groupes. En outre, les utilisateurs introductifs (A1) d’une troisième langue tendent à utiliser le moins d’emprunts au français. Il est important d’étudier la relation entre les réponses données dans la partie du questionnaire examinant la fréquence d’utilisation des emprunts et la réponse donné à la question personnelle sur la fréquence avec laquelle on croit utiliser des emprunts, dans le but de vérifier le degré de conscience qu’on a de l’utilisation des emprunts. Il est étonnant de constater dans presque toutes les catégories l’inverse tendance de celle que nous pourrions imaginer. Ainsi, à toutes les catégories, sauf l’Automobile et le Domicile, ceux qui prétendent toujours employer des mots d’origine étrangère tendent à utiliser le moins d’emprunts dans leurs réponses. Au contraire, les personnes affirmant utiliser rarement des mots d’origine étrangère tendent à utiliser la majorité des emprunts. Cette tendance n’est 255 pas observée aux champs lexicaux Automobile, Domicile et Notions, où les personnes prétendant employer toujours des mots d’origine étrangère, en effet, utilisent la majorité des emprunts au français, et celles qui déclarent utiliser rarement des mots d’origine étrangère utilisent la quasi minorité des emprunts. Concernant le séjour à l’étranger, nous signalons que les personnes ayant vécu à l’étranger choisissent plus d’emprunts dans leurs réponses que celles qui n’y ont pas vécu. Plus précisément, celles qui ont vécu à l’étranger utilisent la majorité des emprunts dans les champs lexicaux Mode, Automobile, Mass média, Loisirs et Notions. Quant au séjour en France, nous constatons que les personnes ayant vécu en France utilisent moins d’emprunts au français dans leur discours sauf aux champs lexicaux Mode et Automobile. En plus, les personnes ayant voyagé à l’étranger choisissent le plus d’emprunts dans leurs réponses. Elles tendent à utiliser la plupart des emprunts à toutes les catégories lexicales sauf la Gastronomie et le Sport. Quant aux personnes ayant voyagé en France, nous constatons qu’elles tendent à utiliser le plus d’emprunts au français dans tous les champs lexicaux sauf la Mode, l’Automobile et les Mass média. En outre, nous notons que les personnes ayant des parents ou des amis à l’étranger utilisent moins d’emprunts que celles qui n’ont pas à l’exception des catégories sémantiques Sport et Équipement. Par contre, les personnes ayant des amis ou des parents en France tendent à utiliser plus d’emprunts au français que celles qui n’y ont pas d’amis ou de parents. Si nous étudions les réponses concernant les divers champs lexicaux considérés séparément, nous constatons que les personnes ayant des parents ou des amis en France sont les plus fréquentes utilisatrices des faux amis seulement à l’Automobile et à l’Équipement. Par rapport aux circonstances d’utilisation des langues étrangères et du français, nous retenons les résultats suivants; les sujets envoyant des courriers ou courriels ou faisant du chat en langues étrangères tendent à utiliser moins de faux amis empruntés au français. La même constatation est valable pour les personnes utilisant le français via courrier, courriel ou chat. Si nous considérons séparément les réponses aux diverses catégories lexicales, nous voyons que les personnes communiquant en langues étrangères via courrier, courriel et chat utilisent plus d’emprunts à tous les champs lexicaux sauf le Domicile et les Mass média, tandis que les personnes utilisant le français via courrier, courriel et chat tendent à employer plus de faux amis seulement à l’Automobile. Les sujets utilisant les langues étrangères en raison du tourisme tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts. Cette tendance existe aussi dans tous les champs lexicaux sauf la Gastronomie, le Sport et les Loisirs. Les personnes utilisant le français en raison du tourisme utilisent aussi plus d’emprunts que celles qui ne le font pas. Concernant les catégories lexicales, nous observons la tendance inverse au Sport, aux Loisirs et aux Notions. Les sujets utilisant les langues étrangères ou le français au travail tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts. Quant aux catégories lexicales, cette constatation n’est pas valable pour l’utilisation des langues étrangères aux champs Automobile, Domicile et Équipement et pour l’utilisation du français aux champs Automobile et Équipement. Les sujets ayant fait des études à l’étranger ou 256 plus précisément en France tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts, si nous considérons la totalité des réponses données dans la partie respective du questionnaire. Si nous examinons séparément les réponses aux diverses catégories lexicales, nous arrivons à la constatation contraire pour les études à l’étranger dans l’Automobile, le Sport, les Mass média, les Loisirs, les Métiers & Caractéristiques de personnes et les Notions. Pour ce qui des catégories lexicales concernant les études en France, on utilise moins d’emprunts dans l’Automobile, les Mass média, les Notions et l’Équipement. Les sujets communiquant en langues étrangères en famille ou entre amis tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts. Cette tendance est remarquée aussi dans la plupart des catégories lexicales sauf dans la Mode, la Gastronomie, le Sport et les Loisirs. Concernant l’utilisation du français pour la communication en famille ou entre amis, nous voyons que les personnes communiquant en français utilisent moins d’emprunts que celles qui ne le font pas. La même tendance nous signalons aux catégories lexicales sauf les cas de la Mode, de l’Automobile et de l’Équipement. Les personnes déclarant utiliser les langues étrangères dans d’autres cas que celles déjà cités tendent à utiliser plus fréquemment des emprunts au français. Relativement aux catégories lexicales examinées séparément, elles tendent à être plus fréquentes utilisatrices d’emprunts aux champs Automobile, Gastronomie, Mass média, Loisirs Métiers & Caractéristiques de personnes, Notions et Équipement. Au contraire, celles qui affirment utiliser le français dans d’autres circonstances que celles déjà mentionnées, tendent à utiliser moins fréquemment des emprunts. Cette tendance n’est pas valable à l’Automobile, à la Gastronomie, aux Loisirs et aux Notions. En ce qui concerne l’opinion des sujets de la recherche sur les langues étrangères et plus précisément sur le français, nous retenons les conclusions suivantes; relativement au degré de facilité, la plupart des emprunts sont utilisés par les personnes trouvant les langues étrangères et le français de difficulté moyenne. Pour ce qui est des langues étrangères, les personnes qui les jugent difficiles utilisent le moins d’emprunts, tandis que concernant le français, celles qui le considèrent comme très facile utilisent la majorité des mots natifs. Concernant l’intérêt des langues étrangères et du français, nous constatons que plus on les aime, moins on utilise des emprunts. De cette façon, les personnes trouvant les langues étrangères neutres utilisent la majorité des emprunts, tandis que celles qui les jugent extraordinaires utilisent la minorité des emprunts. Aussi, les personnes trouvant le français désagréable utilisent le plus d’emprunts, alors que les personnes trouvant le français extraordinaire tendent à utiliser moins d’emprunts. Quant à l’utilité des langues étrangères et du français, nous constatons que ceux qui croient que les langues sont peu utiles utilisent la plupart des emprunts, tandis que ceux qui les trouvent très utiles tendent à en utiliser le moins. Concernant l’utilité du français, nous constatons que plus on croit que le français est utile moins on l’utilise. Plus précisément, ceux qui utilisent le plus d’emprunts au français sont ceux qui croient que le français est peu utile. Par contre, le moins d’emprunts utilisent ceux qui trouvent le français très utile. 257 4. COMMENTAIRES Les emprunts fonctionnant comme faux amis ne sont pas envisagés avec la régularité qui leur convient par les manuels sur l’enseignement/apprentissage de la langue française en tant que langue étrangère. En plus, on ne s’y réfère pas dans les dictionnaires destinés à public non natif du français. Par contre, on propose souvent comme synonymes des faux amis des unités lexicales ayant des significations différentes ou sans contexte d’utilisation. De cette façon, les locuteurs natifs de la langue grecque, au cours de l’apprentissage de la langue étrangère sont conduits à des erreurs sémantiques et stylistiques dans leur discours. La création d’un dictionnaire thématique sur les faux amis français-grecs serait un outil essentiel qui pourrait aider les apprenants de la langue française à utiliser ces unités lexicales correctement selon les différentes situations de communication. En outre, dans les manuels didactiques destinés au public grec francophone, il serait utile d’ajouter dans chaque unité thématique les faux amis les plus souvent attestés appartenant au champ lexical à étudier. De plus, on devrait attribuer une importance particulière à l’explication des différences de signification entre les mots natifs et les mots d’origine étrangère considérés comme synonymes. Via cette recherche nous avons essayé de toucher plusieurs champs de recherche. Il y a quand même plusieurs questions à traiter dans le futur. Dans notre recherche nous avons abordé certains aspects fondamentaux pour ce qui est des emprunts lexicaux fonctionnant comme faux amis. Les résultats pourront servir donc d’initiation à une problématique concernant les facteurs d’usage, en français, des faux amis empruntés au français par les locuteurs grecs francophones, démontrant donc l’influence de la langue maternelle à la compétence de la langue étrangère. BIBLIOGRAPHIE Baylon, Christian (2008): Sociolinguistique: société, langue et discours [1ère édition 1996], Paris: Armand Collin. Deroy, Louis (1980): L'emprunt linguistique [1ère édition 1956], Paris: Les Belles Lettres. Dominguez, Pedro J. Chamizo / Brigitte Nerlich (2002): «False friends: their origin and semantics in some selected languages», in Journal of Pragmatics 34, 12: 1833-1849. Haugen, Einar (1950): «The Analysis of Linguistic Borrowing», in Language 26, 2: 210-231. Humbley, John (1974) : «Vers une typologie de l'emprunt linguistique», in Cahiers de lexicologie, Paris: Didier / Larousse, 2, 25: 46 - 70. Koessler, Maxime / Derocquigny, Jules (1928): Les Faux Amis ou les Trahisons du Vocabulaire Anglais: Conseils aux Traducteurs, Paris. Lakhdhar, Amira (2008): «Mots migrateurs de retour», in Synergies Italie 4: 55-62. 258 Llamas, Carmen / Louise Mullany / Peter Stockwell (2007): The Routledge companion to sociolinguistics, New York: Routledge. Pavel, Sylvia (1989): «Néologie lexicale: transfert, adaptation, innovation», in Traduction, terminologie, rédaction 2, 1: 125 - 137. Rey-Debove, Josette / Rey, Alain (1996): Le Petit Robert Dictionnaire analogique et alphabétique de la langue française, Nouvelle édition. Paris: Dictionnaires le Robert. 259 EMPRUNTS ROUMAINS DES TERMES FRANÇAIS DU VOCABULAIRE SPÉCIALISÉ: HÔTELLERIE ET TOURISME Anda RĂDULESCU Université de Craiova, Roumanie 1. PRÉLIMINAIRES Ayant comme point de départ l’affirmation de Maillot (1970: 41) qui estimait que «Chaque langue a naturellement tendance à former des termes techniques en puisant dans son vocabulaire général, mais elle peut aussi recourir à une langue classique, latin ou grec ou encore les emprunter, en plus ou moins grande quantité à une autre langue vivante, notamment lorsqu’il s’agit d’une technique en voie de développement dans le pays considéré» nous nous proposons d’examiner l’évolution de quelques emprunts lexicaux du domaine particulier de l’hôtellerie et du tourisme, deux branches en plein essor, qui se caractérisent par l’existence d’un grand nombre de termes implantés en roumain par filière française. Même si notre corpus est formé d’environ 427 mots d’un vocabulaire spécialisé particulier, inventoriés par le Dictionnaire de géotourisme en ligne (http://geotourweb.com), nous n’en avons retenu que 6 (hôtellerie, collation, restauration, taxe, tourisme, voyage), parce qu’ils nous ont semblé représentatifs pour illustrer le phénomène de l’enrichissement d’une langue, de l’acclimatation d’un mot étranger dans un nouvel espace, avec sa forme d’origine (le calque) ou en subissant des transformations graphiques, phonétiques et sémantiques. Certains de ces emprunts constituent des néologismes1, dans le sens le plus restreint du terme, à savoir des termes créés dans les années 1980, tels que corem Fr. chorème, geoturism Fr. géotourisme, ecoturism Fr. écotourisme, agroturism Fr. agrotourisme. D’autres sont des calques (tourisme gastronomic Fr. tourisme gastronomique; turism de masă Fr. tourisme de masse; caiet de sarcini Fr. cahier de charges) ou des barbarismes (hotelărie Fr. hôtellerie; colaţiune Fr. collation). 260 2. PROBLÈMES DE TERMINOLOGIE: EMPRUNTS, CALQUES, GALLICISMES, BARBARISMES 2.1. Emprunts L’emprunt fait partie des moyens dont disposent les locuteurs pour accroître leur lexique, au même titre que la catachrèse2 ou la dérivation. Dans les vocabulaires spécialisés, l’emprunt s’avère être nécessaire, parce qu’en général, lorsqu’on crée une terminologie dans une langue et on dénomme un outil, son fonctionnement, son entretien, on transfère en totalité le mot emprunté (signifiant et signifié). Un terme peut être emprunté directement (firmă de catering3 Angl. catering, terme à peu près synonyme du mot français restauration légère et qui désigne toute activité de fabrication et de service des repas et des boissons). En roumain on utilise le mot dans le sens restreint, de livraison sur commande et des services de boissons et des plats ou de l’organisation d’événements sociaux – mariages, fêtes, anniversaires, etc. Dans la plupart des cas, l’emprunt est indirect, c’est-à-dire qu’un terme passe par une ou plusieurs autres langues pour s’implanter finalement dans un nouveau territoire. Dans le cas particulier du vocabulaire du tourisme et de l’hôtellerie, la langue-vecteur qui sert d’intermédiaire pour l’implantation des mots d’origine latine, grecque ou anglaise est le français. Ainsi, par exemple, le mot roumain restauraţie est un emprunt au mot français restauration, qui, a son tour, provient du latin restauratio4 qui signifiait «renouvellement». Dans d’autres langues de spécialité, comme l’informatique, ce terme constitue un néologisme, parce qu’à partir de 1981 il désigne une «opération qui consiste à rétablir le contexte d’une instruction ou d’une séquence de programme» (cf. TLFI). Donc, l’informatique l’a utilisé dans un sens plus proche du sens latin, parce que le verbe qui se trouvait à la base du nom était restauro, qui signifiait «rebâtir, réparer, refaire». De même, colaţiune provient du mot latin collatio, qui passe en roumain par la filière française (collation), dans le sens gastronomique de «goûter, repas léger». Le mot corem, emprunt au mot français chorème, est un néologisme, car il est une création récente du géographe Roger Brunet, en 1980. Il provient du grec chora qui signifie «tendue, lien, contrée». Le sens que Brunet donne au terme est de «représentation schématique d’un espace donné». Parfois, l’emprunt fait partie d’un phénomène de mode plus général. Il n’est qu’une des manifestations de la volonté d’imiter une culture sentie, à un certain moment, comme ayant plus de prestige. Même si l’on dispose d’un terme recouvrant à peu près la même aire, on ressent le besoin d’emprunter un mot étranger, parce que «les peuples en contact ne s’échangent pas seulement des biens ou des idées. Des mots étrangers sont reproduits parce qu’ils peuvent être entendus plus souvent que les mots vernaculaires» (http.wikipedia.org/wiki/Emprunt). En ce sens, nous estimons que c’est dans la dernière décennie du XXème siècle, lorsque les 261 Roumains, une fois délivrés du communisme, se sont mis à voyager, qu’on a commencé à utiliser le terme hotelărie, à la place du syntagme industria hotelieră / industrie hôtelière, sous l’influence du mot français hôtellerie, un mot dérivé de hôte Lat. hospes. Le français ne représente pas pour le roumain la langue d’un pays dominant du point de vue culturel, économique ou politique, mais on lui accorde à juste titre le statut de langue de prestige, qui a fréquemment constitué une donneuse de mots, notamment dans les domaines de pointe, dont le tourisme et l’hôtellerie. Les emprunts sont intéressants aussi du point de vue de l’évolution du sens d’un mot (aspect diachronique). Dans nombre de cas, on constate soit des rétrécissements sémantiques, soit des extensions du sens d’un terme qui, au cours de son histoire, passe sous forme d’emprunt dans une autre langue. Ainsi, par exemple, le mot voyage5 signifiait en ancien français «pèlerinage», «croisade». Le sens moderne du mot apparaît, conformément à Dauzat, Dubois, Mitterand (1971: 800) à la fin du XVème siècle, du latin viāticum, «argent pour un voyage» puis «provisions de voyage», qui, par extension, a donné voyage, du mot latin via «chemin». Le roumain a emprunté le terme français avec ce sens précis, de déplacement d’un endroit à l’autre, et pas avec les sens antérieurs. 2.2. Calques Le Petit Robert (1991: 240) définit le calque linguistique comme une «traduction littérale d’un mot composé sans en changer ni le sens, ni la désignation», alors que les stylisticiens Vinay et Darbelnet (1958: 47) considèrent le calque comme une sorte «d’emprunt d’un genre particulier», parce qu’on «emprunte à la langue étrangère le syntagme, mais on traduit littéralement les éléments qui le composent». Ainsi, par exemple, le roumain a calqué les structures turism rural, asociativ, sportiv, de afaceri, cultural, de proximitate, internaţional etc. sur les structures françaises tourisme6 rural (=activités d’accueil, d’hébergement, de restauration, et de loisirs dont le siège est une exploitation agricole); tourisme associatif (=ensemble d’associations de tourisme ayant pour vocation des activités touristiques, réceptives ou émettrices); tourisme sportif (=ensemble des produits et des services qui utilise le sport à des fins touristiques); tourisme d’affaires (=ensemble des voyages déterminés par l'activité économique, qui comprend déplacements individuels à but professionnel, réunions, congrès, colloques et séminaires, participation à des salons comme exposant ou comme visiteur, voyages d'études et voyages de stimulation); tourisme culturel (=déplacement dont la motivation principale est d'élargir ses horizons intellectuels en accroissant ses connaissances et en satisfaisant sa curiosité à travers la découverte des biens culturels matériels: monuments, musées, sites, etc., ou immatériels : traditions, événements festifs, etc.); tourisme de proximité (=voyages ou séjours à une distance relativement courte du domicile, généralement pour de courtes durées, d’habitude à la fin de la semaine); tourisme international (=ensemble des flux et des consommations touristiques entre un pays et d’autres 262 pays voisins ou éloignés). De même, les touristes doivent payer toutes sortes de taxes ( Lat. méd. taxa), dont taxă de sejur ou taxă de staţiune, expressions calquées sur les syntagmes français taxe de séjour ou taxe touristique (=taxe décidée par la municipalité de la ville où se situe un hôtel, appliquée surtout dans les villes où le tourisme a un caractère saisonnier); taxă de mediu ou taxă verde du syntagme taxe environnement ou taxe verte (=taxe qui a pour but de diminuer la pollution de l’environnement due aux gaz à effet de serre par la taxation des émissions de dioxyde de carbone), etc. 2.3. Gallicismes Les gallicismes sont soit des emprunts faits au français par une autre langue, soit des «tournures ou constructions du français qu’il est impossible de traduire littéralement dans une autre langue» (Dubois 1992: 243). Ainsi, dans cette catégorie entrent des syntagmes comme: tourisme de rencontre et de partage, tourisme doux, sites-écrin, sites néo-géniques, etc. constructions difficile à transférer en roumain, justement parce qu’elles sont spécifiques au français. Les traducteurs se servent de périphrases plus ou moins longues pour les rendre en roumain: turism prin reţele de socializare / prin schimburi culturale, turism verde / ecologic, situri de patrimoniu / patrimoniale, situri nou apărute / de curând apărute. Parfois un gallicisme peut avoir plusieurs variantes de traduction en roumain, qui dépendent d’une option du traducteur plutôt que de l’usage qui a fixé l’une ou l’autre des variantes. Ainsi, par exemple, une chaîne hôtelière franchisée peut avoir en roumain des équivalents comme lanţ hôtelier în sistem de franciză [chaîne hôtelière en système de franchise], lanţ hotelier sub / de franciză [chaîne hôtelière sous / en franchise], ou simplement hotel în franciză [hôtel en franchise]. 2.4. Barbarismes Selon les grammairiens, les barbarismes ou solécismes sont des fautes de langue dues à un emploi de mots forgés, déformés ou résultés de l’utilisation d’un mot dans un sens qu’il n’a pas. Sont également traités de barbarismes les mots impropres ou les expressions étrangères à une langue. Ainsi, selon cette définition, on pourrait considérer comme barbarismes les mots roumains hotelărie (Fr. hôtellerie) et colaţiune (Fr. collation). Si le premier n’est pas enregistré par les dictionnaires roumains en usage (DEX, DOM, MDA), mais figure dans de nombreux sites internet comme mot appartenant à une langue de spécialité (les sites mentionnent: diplome de hotelărie / Fr. diplômes en hôtellerie; tehnician hotelărie / Fr. technicien en hôtellerie; recepţioner hotelărie / Fr. réceptionniste en hôtellerie; turism şi hotelărie / Fr. tourisme et hôtellerie et font fortune dans la presse écrite: «Ungurii fac turism, românii doar hotelărie 7» cf. Adevărul, 17. 10.2010), le second y apparaît et il est employé même dans des œuvres littéraires roumaines (Călinescu, Enigma Otiliei: «O astfel de colaţiune la ora mesei, într-o casă în care se gătise şi in care gazda putea organiza o cină în regulă, miră pe 263 Felix»8.) ou dans les traductions des œuvres étrangères (Joyce, Ulysses, traduction de Mircea Ivănescu: «O mâncare bună, o colaţiune, de frică să nu-i vină rău de foame pe treptele altarului»9.) 3. CARACTÉRISTIQUES DES TERMES EMPRUNTÉS Les termes du vocabulaire de l’hôtellerie et du tourisme que le roumain a empruntés au français se sont très bien acclimatés en roumain. La preuve en est qu’ils sont devenus des bases de dérivation pour former d’autres noms, des verbes ou des adjectifs, ce qui démontre leur contribution importante à l’enrichissement du vocabulaire roumain. Les syntagmes et les collocations où ils figurent comme termes-noyaux constituent également des moyens d’implantation de nouveaux concepts véhiculés par cette branche d’activité. Le roumain s’est avéré être une langue accueillante pour tous ces mots, étant donné que maintenant ils ne sont presque plus ressentis comme mots étrangers, surtout parce qu’ils utilisent les marques autochtones de formation du pluriel (-uri, -e) et qu’ils ont développé même deux formes différentes en roumain (restauraţie et restaurare Fr. restauration; colaţiune et colaţionare Fr. collation). 3.1. Dérivation et composition Beaucoup de mots empruntés au français sont devenus des bases de dérivation par préfixation pour d’autres mots. Ils ont également formé des mots composés, notamment avec des éléments grecs (geo-, agro-, oikos-10) ou latins (agri-). Les mots composés et dérivés peuvent venir aussi directement du français, dans beaucoup de cas les linguistes ne pouvant pas déceler la véritable source d’un mot dérivé en roumain: emprunt tel quel ou création interne. Ainsi, par exemple, le terme voiaj ( Fr. voyage) aurait pu former le nom et l’adjectif voiajor et le verbe a voiaja, synonyme livresque du verbe a călători (Fr. se déplacer d’un endroit à l’autre). Mais, ces mots peuvent également venir directement du français: voyageur, voyager. Ce qui est intéressant c’est que le mot voyagiste du français qui désigne un tour-opérateur ( Angl. tour operator) ne figure pas en roumain, qui a préféré emprunter dans ce cas le mot anglais, voilà pourquoi on se sert du syntagme tur operator pour désigner un opérateur de tourisme. On enregistre la même situation dans le cas du nom turism (emprunt au français tourisme et à l’italien turismo servant de langues-vecteur pour le mot anglais tourism) qui présente de nombreux dérivés, dont: turist (Fr. touriste), turistic (Fr. touristique), turistificare (Fr. touristification), turisticitate (Fr. touristiticé) et le verbe a turistifica (Fr. touristifier). Les trois derniers mots sont des néologismes même pour le français, qui les a empruntés à l’anglais. Par ailleurs, les dictionnaires français d’usage général (Le Petit Robert, Le Grand Larousse, Le Trésor de la Langue française) ne les ont pas encore enregistrés, mais ils figurent dans des ouvrages de spécialité (voir Lozato & Balfet 2007: 29-38) et sur des sites internet (par ex. Comment se touristifier sans perdre son âme? Ou 264 comment le développement touristique peut-il s'accommoder des identités locales, sans les altérer? cf. www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no). Si la touristicité est une analyse et une évaluation des potentialités attractives d’une région / d’un pays, la touristification «désigne l’intensité du phénomène touristique sur le territoire d’accueil» (Lozato / Balfet 2007: 36). En roumain, on constate que les termes sont fréquemment utilisés par les spécialistes du domaine, qu’ils figurent également sur les sites internet (par ex: Procesul de turistificare a spaţiului dans facultate.regielive.ro/.../analiza_sistemelor_turistice_mijloace_si_metode168855.ht ml et Superlative şi turisticitate www.epix.ro/jurnal/2010/06/superlative-situristicitate.html), mais qu’ils ne figurent pas encore dans les dictionnaires roumains. Ce terme s’avère être une base de dérivation non seulement suffixale, mais il constitue également le noyau de quelques mots-composés. Ainsi, on parle de quelques néologismes, créés dans les années 1980, comme: - géotoursime, terme ayant deux significations complémentaires: 1) tourisme qui soutient et met en valeur le caractère géographique d’un lieu, son environnement, sa culture, son esthétisme, son patrimoine et le bien de ses habitants (définition de la National Geographic Society, cf. geotourweb); 2) ensemble de pratiques, d’infrastructures et de produits visant à promouvoir les sciences de la Terre par le tourisme; activité spécialisée qui consiste à s’intéresser aux aspects géologiques et géomorphologiques des paysages et régions visitées (définition de E. Reynald, cf. geotourweb); - agritourisme, qui comprend «les activités d'accueil, d'hébergement, de restauration et de loisirs dont le siège est une exploitation agricole» (cf. geotourweb); - écotourisme11 «déplacement à caractère touristique dans la Nature qui contribue à la conservation de dernière» (cf. geotourweb). 3.2. Formation du pluriel Beaucoup de mots du vocabulaire du tourisme et de l’hôtellerie sont du genre neutre en roumain (hotel / hôtel, voiaj / voyage, mediu / environnement, flux / flux, centru / foyer). Certains présentent la particularité d’avoir développé en roumain deux formes de pluriel, en -uri et en –e. Le premier type de pluriel est la forme normée, caractéristique des mots mono et bisyllabiques: hoteluri / hôtels, voiajuri / voyages, alors que le pluriel en –e est courant notamment avec les mots plurisyllabiques qui présentent aussi une alternance phonétique12. Le pluriel hotele est sorti d’usage, mais voiaje représente une variante libre de voiajuri. 3.3. Polysémie et synonymie Il y a un grand nombre de termes qui figurent dans le corpus de notre analyse qui sont polysémiques et qui ne sont pas réservés uniquement au domaine 265 de l’hôtellerie et du tourisme. Parfois ces mots présentent deux formes différentes en roumain, fait qui facilite le décodage correct du sens, même sans un contexte minimal. Par exemple, le mot collation a eu plusieurs sens en français (cf. TLFI): 1) (vx.) action de conférer avec quelqu'un; petite conférence qui avait lieu au cours de la soirée chez les moines et, par extension, léger repas que prenaient les moines après cette conférence; 2) (usuel) repas léger, que l'on prend à tout moment de la journée, mais le plus souvent dans l'après-midi ou la soirée; 3) action de comparer des copies avec l'original afin de s'assurer de leur conformité avec celui-ci; 4) action de conférer qqch. (un grade universitaire, un titre de capacité) à qqn. En roumain on n’a pas emprunté le premier et le dernier sens du français, on s’est limité aux deux autres (2 et 3). En plus, le roumain utilise deux mots différents, colaţiune et colaţionare. Si colaţiune est employé dans le sens de confrontation entre un original et sa copie ou sa reproduction pour établir les ressemblances et les différences (syn. comparaison, confrontation), et dans le sens de repas léger et rapide (syn. goûter), le mot colaţionare est réservé uniquement au premier sens, celui de confrontation de la copie / de la reproduction avec l’original (cf. MDA, vol I, 2010: 458). De même, le mot restauration a développé en français quatre sens différents13 (Cf. TLFI): 1) action de remettre en bon état une chose dégradée (syn. réfection, rénovation, réparation); 2) action de remettre en activité, en vigueur, de rétablir au pouvoir une dynastie qui avait été écartée (syn. rétablissement, réhabilitation); 3) branche d’activité qui consiste dans la fabrication et / ou le service des repas et des boissons; 4) (vieilli) en Suisse auberge, restaurant; (rég). Allemagne restaurant; mets servi dans un restaurant. En roumain on dispose de deux termes différents, restaurare et restauraţie (avec la variante plus ancienne restauraţiune, à présent sortie d’usage). Restaurare et restauraţie commutent dans tous les contextes, sauf dans le domaine de la gastronomie, où le seul terme utilisé en roumain est restauraţie. Dans les autres cas, l’emploi de l’un ou de l’autre est juste une option du locuteur. Ainsi, on peut faire restaurarea ou restauraţia unei case [la restauration d’une maison], restaurarea ou restauraţia unui regim politic [la restauration d’un régime politique], mais on n’est jamais invité à une restaurare uşoară la vagonulrestaurant [restauration légère au wagon-restaurant]. Dans le MDA, vol II, 2010: 697 parmi les sens que restauraţie a empruntés au français figure aussi celui de restaurant / restaurant14, cârciumă / taverne et sală de aşteptare / salle d’attente. Quant à la synonymie que certains termes présentent, il faut préciser que dans la plupart des cas elle n’est que partielle (agri / agrotourisme et tourisme rural), rarement totale (par ex. écotourisme et tourisme vert). Ainsi, le tourisme rural est l’hypéronyme de l’agritourisme, qui est l’une de ses formes de manifestation, à côté du tourisme vert, du tourisme de randonnée, des activités de pleine nature, etc. De même, pour les non spécialistes, les termes écotourisme, tourisme rural et tourisme vert pourraient sembler être des synonymes totaux. En 266 fait, ils ne le sont pas et les définitions que les dictionnaires en donnent offrent des précisions qui constituent des traits distinctifs pour les différencier. Si l’écotourisme se définit comme «voyage responsable dans des environnements naturels où les ressources et le bien-être des populations sont préservés» (définition donnée par la Société Internationale de l’Écotourisme en 1991, cf. Wikipedia), le tourisme vert est une forme de tourisme qui vise à la fois la protection de la nature et la rentabilisation des investissements en terme d'infrastructures (www.intelligenceverte.org), alors que le tourisme rural est une activité touristique qui a lieu en milieu rural15 notamment chez les agriculteurs, mais aussi chez des gens du pays qui ne vivent pas de l'agriculture; dans le cadre de ce type de tourisme l’accent est mis sur la qualité de la vie à la campagne et sur les bienfaits des produits locaux. Donc, si tous les trois représentent des formes du tourisme alternatif, ayant pour objet les environnements naturels et leur préservation, le tourisme rural se fait notamment à la campagne, alors que le tourisme vert et l’écotourisme peuvent se faire aussi dans des zones urbaines non polluées, caractérisées par une petite densité de la population et par des industries «propres». 4. CONCLUSIONS L’étude de l’emprunt, de quelque point de vue qu’elle soit faite – étymologique, sémantique, traductologique, etc. – s’avère être particulièrement intéressante, d’un côté parce qu’elle offre des informations précieuses sur l’état d’une langue à un certain moment de son évolution, et, de l’autre côté, parce qu’elle constitue une source importante de l’enrichissement du vocabulaire de toute langue. Le roumain a beaucoup emprunté au français, non seulement des mots du vocabulaire général, mais notamment des mots appartenant aux vocabulaires de spécialité (mode, architecture, gastronomie, hôtellerie, tourisme, sports, etc.). Le grand nombre de mots entrés en roumain du français ou par filière française se sont parfaitement adaptés au système linguistique roumain, de sorte qu’à présent on ne se rend plus compte que ce ne sont pas des créations autochtones. Dans la plupart des cas, ces emprunts sont parfaitement justifiés, compte tenu du fait qu’ils appartiennent aux domaines techniques, scientifiques ou des métiers qui ont créé non seulement le concept, mais également l’appareillage nécessaire à l’étude de ces domaines. Nous estimons que la terminologie précise et sans équivoque que le roumain a empruntée au français dans le domaine de l’hôtellerie et du tourisme ouvre la possibilité à tout le monde, non seulement aux spécialistes, de comprendre et d’utiliser correctement des termes d’un domaine particulier. NOTES 1 Le néologisme est une unité lexicale (nouveau signifiant ou nouveau rapport signifiant-signifié) fonctionnant dans un modèle de communication déterminé, et qui n’était pas réalisé antérieurement. […] Selon le modèle choisi, on distinguera des néologismes en synchronie large et étroite, des néologismes pour la langue dans son ensemble ou pour des usages particuliers (ex : les technolectes). Il s’agit donc d’un concept relatif et opératoire. (Dubois 1992: 322) 267 2 Figure de rhétorique qui consiste à détourner un mot de son sens propre, à en éteindre la signification (cf. www.mediadico.com) 3 Traiteur-rétisseur. 4 cf. TLFI, qui précise que le mot restauratio existait en bas latin. 5 Dauzat, Dubois, Mitterand 1971: 800 attestent la forme veiage en 1080 dans La chanson de Roland. 6 Le mot français tourisme est un emprunt du mot anglais tourism. Le mot tour dans faire un tour est synonyme de voyage et l'anglais l'a emprunté au français au XVII-ème. Le suffixe –isme existe en français. Le mot anglais tourism était péjoratif au début de sa fabrication (fin du XVIII-ème), lorsque les Anglais passent de traveller à tourist. Le français n'a donc emprunté que le dérivé, tour + isme / iste. 7 Trad. fr: Les Hongrois font du tourisme, alors que les Roumains font de l’hôtellerie. 8 Trad. équiv. Une telle collation à l’heure du repas surprit Félix, surtout dans une maison où l’on avait cuisiné et dans laquelle l’hôtesse pouvait organiser un dîner approprié. 9 Trad. équiv. De la bonne nourriture, une collation, de peur de ne s’évanouir de faim sur les marches de l’autel. 10 Il a donné éco- en passant par l'allemand (1874 selon le Robert étymologique) et donc emprunt du français à l'allemand. 11 Le concept d'écotourisme a été forgé dans les années 1980 par la World Wildlife Fund, la plus puissante O.N.G. conservationniste mondiale. (cf. geotourweb) 12 Type telefon – telefoane. 13 Dans d’autres domaines spécialisés, le mot a des sens particuliers. Par ex: ARCHIT. style dans l’art français caractérisé par formes arrondies et ornements gracieux; ARBORIC. Réparation et conservation des arbres d'ornement; CHIR. Réparation chirurgicale d'un élément du corps, en particulier des os; ECOL., PEDOL, SYLV. technique de conservation des sols; INFORM. opération de rétablissement du contexte d’une instruction. 14 Le MDA précise que c’est un sens vieilli du mot restaurant, alors que pour les deux autres, taverne et sale d’attente, il indique le caractère régional. 15 Ou «agricole», ajout qui justifie la différence entre agri- / agro-. BIBLIOGRAPHIE Ouvrages théoriques Baider, Fabienne / Marilena Karyolemou / Christoph Schroeder / Marc Sourdo (2007): Emprunts linguistiques, emprunts culturels. Actes de la rencontre internationale de Nicosie du 4 déc. 2004, Paris: L’Harmattan. Cabré, Maria Teresa (1992 version catalane, 1998 version française): La terminologie. Théorie, méthode et applications (1998 traduction du catalan par Monique Cornier et John Humbley), Paris: Armand Colin. Ciolan, Alexandru (2010): «Restaurare, restauraţie», in Ziarul Financiar, 12.12.2010. 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Chacune des langues romanes a eu une contribution spécifique à l’enrichissement des langues sœurs et, dans cet ensemble, les emprunts au français (ci-dessous gallicismes), se présentent comme un ensemble à part. C’est ce qui nous semble indiquer d’ailleurs le 7e volume du Lexikon der romanistischen Linguistik, Tübingen, Niemeyer, 1998, où les articles dédiés aux relations interromanes ont une structure différente: si les sections consacrées à l’italien, espagnol, etc., s’occupent de l’enrichissement du vocabulaire de ces langues par des emprunts aux langues sœurs, seule la section consacrée au français développe une perspective différente, en s’occupant de la diffusion des termes français dans les autres langues romanes (Bouvier, 1998). Ces gallicismes, dont le nombre peut s’élever de quelques milliers de mots (dans les langues de l’Europe de l’ouest) à quelques dizaines de milliers (en roumain) font preuve d’une grande diversité: les différences d’ordre quantitatif nous indiquent sans conteste qu’ils ne figurent pas dans les vocabulaires de toutes 1 nos langues; à part cela, ils y sont entrés à différentes époques , ils ne sont pas 2 utilisés d’une manière similaire dans différentes variétés diastratiques , ils présentent des sémantismes plus ou moins distincts, etc. Malgré cette diversité, il existe, dans cet ensemble d’emprunts au français, 3 une série de mots dont la diffusion peut être considérée comme «panromane». Pour l’instant nous envisageons seulement les langues romanes pour lesquelles il existe une variété littéraire et cultivée à évolution continue (roumain, italien, catalan, espagnol, portugais), mais certains de ces gallicismes connaissent sans 4 conteste une diffusion au-delà de ces langues. En jetant un coup d’œil sur les gallicismes panromans, nous nous sommes imposé une restriction, qui concerne les étymons français pris en considération: nous avons exclu de notre inventaire les étymons français qui sont des emprunts au 5 6 latin : la diffusion des «latinismes» dans les langues romanes (de l’ouest), d’une part, et en roumain, de l’autre, par emprunt direct ou par intermédiaire, pose des problèmes qui réclameraient une approche spécifique. Ainsi, les mots qui forment l’objet de cet aperçu sont des mots français à étymologie variée: ce sont des mots hérités du latin sous une forme qui est propre au français, formés (par dérivation ou composition) en français ou empruntés par le français à toute autre langue que le latin. Ils acquièrent le statut de «gallicismes panromans» dans la mesure où ils ont 270 été empruntés par les langues romanes citées ci-dessus et figurent (ou ont figuré) 7 dans des dictionnaires explicatifs de ces langues. 2. Si l’on envisage ces mots du point de vue de leurs référents, il est évident qu’il faut identifier d’abord les objets qui sont liés au territoire francophone et qui ont connu une expansion au-delà des frontières de la France: 8 a) des objets dont l’origine française est unanimement connue ; il s’agit en général d’appellations d’origine contrôlée, qui sont parfois utilisées également pour des objets similaires, fabriqués ailleurs: FR ROUM champagne şampanie cognac coniac IT CAT sciampagna, sciampagne, champagne cognac xampany ESP PTG champaña, champanha, champán champanhe conyac coñá, conhaque coñac camembert camembert camember, camembert camembert camembert camembert Même si ce sont des toponymes, il est très probable que la diffusion des termes s’explique plutôt par l’expansion des objets et moins par les connaissances géographiques des locuteurs des autres pays (pour lesquels, d’ailleurs, les toponymes apparaissent dans l’écriture sans adaptation graphique). (b) des objets apparus dans l’ambiance francophone9: FR ROUM IT CAT ESP PTG brioche 10 baïonnette11 cancan ‘danse’12 cabaret13 bidet 14 châssis 15 brioşă baionetă cancan cabaret bideu şasiu brioche, brioscia baionetta cancan cabaret, cabarè bidè, bidet châssis brioix baioneta cancan cabaret bidet xassís brioche bayoneta cancán cabaré bidé chasis brioche baioneta cancã cabaret, cabaré bidé, brés. bidê chassi Ce sont en général des mots à référent concret, mais pas seulement; parmi les mots à référent abstrait, qui ont trouvé en français leur première désignation, on peut mentionner: FR ROUM IT CAT ESP PTG chauvinisme şovinism sciovinismo xovinisme chovinismo, chauvinismo chauvinismo 3. La grande majorité de ces mots désignent des objets dont une origine dans l’ambiance francophone n’est pas évidente : des recherches approfondies seraient nécessaires pour expliquer la manière dont ces mots, qui font référence à des objets concrets, utiles, ont eu la chance d’une telle expansion: 271 FR ROUM IT CAT ESP bielle16 bistouri 17 biberon 18 bidon19 bobine20 buffet21 bielă bisturiu biberon bidon bobină bufet biella bisturi biberon bidone bobina buffet, buffè, buffetto biela bisturí biberó bidó bobina bufet biela bisturí biberón bidón bobina bufé PTG biela bisturi biberão bidão bobina, bobine bufete, bufê, buffet, Certains d’entre eux (bielle, bistouri) sont des objets singuliers, uniques si l’on pense à leur destination précise, appartenant même à des domaines spécialisés. Et on peut se demander si la diffusion de tous les mots de ce type ne s’expliquerait pas par l’emploi unique auquel ils étaient destinés au début; il s’agit, par exemple, de bidon, bobine, noms qui se seraient rapportés au moment de leur pénétration dans la langue cible à un emploi précis de l’objet en question; ils seraient entrés par la suite en concurrence avec des noms d’objets similaires existants dans la langue et auraient perdu la spécialisation initiale. L’emprunt serait entré en concurrence avec les noms de ces objets (noms génériques ou cohyponymes du gallicisme) et c’est parfois par rapport à cette concurrence que s’établit finalement le sens du nouveau venu (qui conserve ou non sa place de terme spécialisé, suit l’évolution du terme français dont il provient, connaît des élargissements nouveaux de sens, etc.22). Par exemple: - les mots en provenance de bidon désignent dans toutes les langues un ‘récipient (en métal ou d’autres matières) servant à contenir des liquides’; les définitions données par quelques dictionnaires inventorient certaines caractéristiques de l’objet concernant soit sa fermeture étanche (en espagnol), soit sa capacité (ptg. ‘de grande capacidade’ ; it. ‘di media capacità’ ; esp. ‘de regular tamaño’ ; en roumain même un récipient ‘de mică capacitate’), soit l’usage que l’on en fait (par exemple, le dictionnaire roumain explicatif de 1908 spécifie son emploi dans le domaine militaire: ‘cană de apă, vin, uleiu – mai ales la militari’, DULR; en italien, bidone a aussi le sens de ‘[mar.] recipiente metallico di forma troncoconica per contenere il vino del rancio per l’equipaggio’; en catalan, il est repéré comme terme de manutention); - les emprunts au fr. buffet n’ont pas partout le même sémantisme. Leurs premiers emplois semblent s’être maintenus dans le domaine de l’ameublement. Le sens de ‘table’ est récupéré de façons distinctes: soit comme (i) ‘table pour écrire’ (bufete, uniquement en espagnol : ‘mesa de escribir con cajones’, sens qui apparaît enregistré dans le DRAE en 1770 et continue à y figurer, d’où se développe le sens de ‘estudio o despacho de un abogado’, sens présent aussi en catalan), (ii) ‘table(s) où sont disposés les mets, la pâtisserie, les boissons, dans une réunion de société’ (toutes les langues), mais aussi comme (iii) ‘meuble de rangement’ (roumain, italien, catalan et portugais; ce dernier sens disparaît dans l’espagnol péninsulaire, pour lequel il est attesté uniquement en 1726, mais est conservé au Nicaragua); les élargissements sémantiques par métonymie à partir du second sens (ii) sont 272 enregistrés par les dictionnaires avec une certaine variation (cat. ‘taula assortida de menges preparades, dolces o salades, fredes o calentes, amb begudes o sense, que se serveix en una festa o en un restaurant’; esp. bufé − dans le DRAE à partir de 1983, doublet étymologique de bufete − ‘comida, por lo general nocturna, compuesta de platos calientes y fríos, con que se cubre de una vez la mesa’ ; mais aussi it. ‘il rinfresco stesso’). Dans toutes les langues figure ‘restaurant de la gare’ (l’italien y ajoute ‘aeroporti, teatri’, le roumain ‘instituţie’, et même ‘mâncăruri care se servesc într-un asemenea local’), etc. On peut être assez sûr que les dictionnaires n’enregistrent pas toutes les utilisations actuelles de l’emprunt et que, sauf pour le premier sens, les langues se comportent d’une façon similaire. 4. Les mots que nous avons pris en considération ci-dessus sont surtout des substantifs, désignant des objets appartenant à différents domaines, ceux auxquels on attribue généralement le rôle d’avoir diffusé une terminologie spécifique du français (mode et vêtement, meubles et logement, technique, art culinaire, vie militaire, etc.). Mais l’influence «panromane» du français ne s’y arrête pas: (a) des termes appartenant au domaine de la suprastructure, du vocabulaire de l’administration, des relations sociales, politiques, etc., avec des référents abstraits: FR ROUM IT CAT ESP charade arriviste bureaucratie bureaucrate şaradă arivist birocraţie birocrat sciarada arrivista burocrazia burocrata xarada arribista burocràcia buròcrata charada arribista burocracia burócrata PTG charada arrivista burocracia burocrata (b) s’y ajoutent autres termes abstraits, adjectifs et verbes: FR ROUM IT CAT ESP PTG complot contrôle banal coquet abandonner arranger complot control banal cochet abandona aranja complotto controllo banale coquette abbandonare arrangiare complot control banal coquet abandonar arranjar complot control banal coqueto abandonar arranchar complô, complot controlo, controle banal coquete abandonar arranjar 5. Atelier, bagage, bébé, batterie, beige, blinder, blouse, brevet, bricolage, bureau, cabine, camion, chauffeur, chef, chic, cliché, convoi, coupon, etc.23 − autant de mots français qui figurent avec le statut d’emprunt dans les dictionnaires des langues romanes ! Même s’ils ont connu une diffusion panromane, la plupart d’entre eux n’ont pas été accueillis avec bienveillance dans aucune de ces langues; la critique de leur emploi n’a rien d’original, si l’on pense à l’histoire de l’acceptation des mots étrangers dans différents parlers en commençant par les italianismes dans le français de la Renaissance et en finissant par les anglicismes dans toutes les langues de nos jours. Voici quelques exemples: 273 - en 1926, par exemple, G. Cappuccini in Aggiunte a G. Rigutini, I neologismi buoni e cattivi più frequenti nell’uso odierno, Firenze, traite le mot bidone de «voce popolare francese, che noi abbiamo preso solo dicendo bidone di petrolio, di benzina »; sa prévision, selon laquelle le mot, qui « ora [en 1925, n.n.] ha perduto terreno, sostituito da latta col suo nuovo significato» (apud DELI, s.v. bidone), disparaîtra complètement de l’usage, ne s’est pas accomplie! - on propose le remplacement des emprunts par des mots « autochtones » : « caballete debe ocupar el papel de bidet »24 ; - les emprunts font leur entrée dans les dictionnaires accompagnés d’un indice qui marque leur appartenance à cette catégorie (la première entrée de bidón dans le dictionnaire de l’Académie, présente le mot comme «galicismo25 por lata, bote» ; le mot n’est plus qualifié de « galicismo » en 1970 et acquiert une définition qui ne renvoie plus à une synonymie avec lata26). Ce serait le premier volet d’une recherche concernant les gallicismes panromans: apprendre des détails sur les premiers emplois des emprunts (domaine, motivation, réception, mots avec lesquels il entre en concurrence, etc.). Un deuxième volet supposerait une perspective synchronique sur la langue contemporaine à un moment où il est possible d’évaluer les effets de l’influence française (résultat de la concurrence entre les mots, diffusion des emprunts dans les variétés diastratiques des langues cible, identification du degré d’adaptation27 dans les différentes langues, sémantisme actuel). Une telle perspective permettrait d’établir des paramètres pour la comparaison du statut actuel des termes empruntés. Entre les deux volets? L’histoire de la destinée de quelques centaines de mots, dont la diffusion panromane devrait nous dévoiler d’autres aspects sur l’évolution de nos langues: enrichissement du vocabulaire dans le contexte d’un enrichissement culturel, d’une part, et rayonnement d’une culture vu dans l’expansion du vocabulaire28, de l’autre. NOTES 1 Voir, par ex., pour la chronologie des emprunts italiens au français: Bezzola (1925), Dardi (1992), Hope (1971). 2 VRR, 517-518, indique les pourcentages des emprunts au français qui figurent dans le vocabulaire représentatif de nos langues: 7.37% pour le roumain, 4.00 % pour l’italien, 1.51 pour le catalan, 2.45 pour l’espagnol et 2.98 pour le portugais. 3 Le terme est utilisé surtout pour désigner les mots latins hérités dans l’ensemble du territoire roman 4 Directement ou par intermédiaire. 5 Des mots romans qui, selon leur aspect extérieur, peuvent être considérés comme des emprunts au latin, figurent comme emprunts au français dans les dictionnaires étymologiques (par ex. des mots qui, d’après leur forme, pourraient être des emprunts au lat. DEMISSIO, INCANDESCENS sont entrés en italien et en portugais (probablement) par l’intermédiaire du français. 6 Voir Reinheimer Rîpeanu, 2004. 7 Nous avons pris en considération des mots français commençant seulement par les lettres A, B, C, et nous avons prêté peu d’attention aux emprunts en roumain; pour évaluer la place des emprunts roumains au français dans une perspective romane, voir Reinheimer Rîpeanu, 2007. 8 Il y en a qui ne connaissent aucune adaptation graphique et/ou phonétique : par ex. chartreuse. 9 Pour avoir des renseignements rapides sur l’origine des objets, nous avons eu recours à Wikipedia, même si on ne doit pas faire toujours confiance aux informations qui s’y trouvent. 274 10 «La brioche serait née en Normandie au 16e siècle. La pâte à brioche remonte au Moyen Âge, où l’on aurait fabriqué des pâtisseries ressemblant aux brioches actuelles.» «Brioche is a highly enriched French pastry.» 11 «Dérivé de Bayonne, sous-préfecture du département des Pyrénées-Atlantiques, ville qui possédait aux 16e et 17e s. des fabriques d'armes et de coutellerie » (TLFi). 12 «The cancan first appeared in the working-class ballrooms of Montparnasse in Paris in around 1830.» 13 Le premier cabaret apparaît à Montmartre en 1881 ; en 1885, aux Pays Bas ; en 1901, en Allemagne. 14 ‘Meuble de toilette’, inventé vers 1710; diffusé dans toute l’Europe, surtout dans les pays méridionaux. 15 «Durante años el chasis [...] fue el único sistema constructivo para todos los vehículos. Sin embargo, a partir de los años 30 (Citroën "Traction") y sobre todo los 50, en los automóviles de turismo se empezó a integrar en la carrocería, pasando ésta de cumplir una función meramente protectora a ser estructural ». L’emprunt en question (s’il s’agit, par exemple, du châssis de l’automobile, apparaît dans les explications des dictionnaires comme hyponyme d’un mot générique existent dans la langue : esp. chasis ‘armazón, bastidor (del coche)’ ; it. châssis ‘telaio di un autoveicolo’. 16 Attesté en français en 1684, ‘tige de fer rigide qui sert à communiquer le mouvement entre deux pièces écartées’ ; en italien en 1876 ; 1899, dans le DRAE. 17 Attesté en 1564 en tant que mot féminin en médecine, bistorie chez Ambroise Paré; en catalan en 1839. 18 ‘Petit vase qui a un bec ou tuyau par lequel on fait boire un petit enfant’ (Dictionnaire de l’Académie, 1835; déjà employé en 1777 comme mot « de spécialiste »). It. biberoni (pl.) attesté dans une publicité en 1868; le mot espagnol est enregistré par le DA en 1884. En italien et en portugais, le mot a des synonymes : it. biberone − poppatoio (qui renvoie dans le GRADIT à biberone); ptg. biberão − mamadeira (DPLPi), dont l’origine pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’objets destinés à des bébés. 19 Attesté en 1523 ‘petit récipient portatif et fermé, fait de bois ou de métal’; auj. ‘récipient avec fermeture étudié pour le transport et le stockage de liquides à moindre coût’ ; réutilisable ou jetable ; réalisé en métal ou en matière plastique. 20 Attesté dès 1410 avec des sens techniques; 1865, vocabulaire de l’électricité; 1896 ‘rouleau de pellicule’. 21 Les attestations des sens, les plus significatives, offertes par TLFi: 1268 ‘table, dressoir, comptoir’ ; 1547 ‘meuble de rangement’; 1690 ‘table longue, où on met la vaisselle d’argent, les verres et les bouteilles pour le service de la table’; 1832 ‘(dans une réunion) table où sont présentés mets et boissons’; 1863 ‘buffet de gare’. 22 Pour les modifications sémantiques des emprunts au français en roumain, voir un inventaire schématique dans Reinheimer Rîpeanu, 1985. 23 Dont certains figurent dans le vocabulaire représentatif des langues romanes et ont été empruntés aussi par des langues non-romanes. 24 Ramón Franquelo y Romero, Frases impropias, barbarismos, solecismos y extranjerismos de uso más frecuente en la prensa y en la conversación, Málaga, Tip. El Progreso, 1911, apud Montero Curiel, 1992). 25 Signalons le sens que pouvait avoir le mot galicismo en espagnol à la fin du 19e s. et au début du 20e : « giros, locuciones y modos de decir que desfiguran y vician radicalmente la lengua en que se admiten» (Rafael Ma Baralt, Diccionario de galicismos, Madrid, 1885, apud Montero Curiel, 1992). 26 Même si dans les dictionnaires français-espagnol fr. bidon continue d’être expliqué non seulement par ‘bidón’, mais aussi par ‘lata’. 275 27 28 Aspect sur lequel nous ne nous sommes pas arrêtés ci-dessus. Aussi comme intermédiaire pour des mots appartenant à d’autres langues romanes; voir dans ce sens Reinheimer Rîpeanu, 2008. BIBLIOGRAPHIE Bezzola, Reto R. (1925): Abozzo di una storia dei gallicismi italiani nei primi secoli (730-1300). 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TLFi Trésor de la langue française informatisé, ATILF / CNRS. 277 LES EMPRUNTS AU FRANÇAIS EN LANGUE SLOVÈNE DES NOMS COMMUNS AUX MOTS DÉSIGNANT DES SPÉCIFICITÉS CULTURELLES FRANÇAISES Mojca SCHLAMBERGER BREZAR Université de Ljubljana, Slovénie 1. UN APERÇU HISTORIQUE DE L’ATTITUDE NORMATIVE CONCERNANT LES EMPRUNTS Le slovène, une langue slave du sud, possède un certain nombre d’emprunts au français. Historiquement et culturellement conditionnés, ces mots sont entrés dans la langue slovène à différentes époques et n’étaient pas considérés, contrairement aux emprunts à l’allemand, nuisibles à la pureté de la langue slovène. Nous proposons, dans la suite, une recherche transversale interdisciplinaire s’inspirant tantôt de la traductologie et de la sociolinguistique, tout en mentionnant quelques faits historiques. La Slovénie, avant son indépendance à partir de 1991, a fait partie d’États multinationaux, notamment de l’empire Autrichien (et puis Austro-Hongrois) jusqu’en 1918, puis de la Yougoslavie, ancienne (1918–1941) et nouvelle, à partir de la fin de la 2e guerre mondiale jusqu’en 1991. Les langues majeures d’État, l’allemand et le serbo-croate, ont influencé partiellement la terminologie et le lexique du slovène. Entre-temps, il y a eu aussi différents modes de création des mots nouveaux, par exemple, à la fin du 19ème siècle, on cherchait dans le trésor des mots slaves pour les suppléer aux mots d’origine germanique. Le mouvement panslaviste avait, entre autres activités, lutté pour l’inclusion de plus de termes slaves dans le lexique slovène et contre la germanisation, même dans le vocabulaire. De ce temps, le slovène possède un deuxième verbe pour «lire». Il y a brati qui est calqué sur l’allemand lesen – les deux veulent dire aussi bien cueillir (brati jagode, die (Erd)Beeren lesen – cueillir les baies (les fraises)) que lire (brati knjigo, Das Buch lesen - lire le livre), et čitati d’origine slave. Seul le verbe brati est neutre aujourd’hui, čitati ayant été banni du lexique contemporain avec la désignation «archaique, désuet», puisque, dans les années 70 et 80 du siècle précédent, en revanche, il était à la mode de lutter contre les emprunts venus du serbo-croate, la langue dominante du territoire yougoslave. Ces mouvements ont été influencés par a lutte pour la normativité et pour la préservation, même artificielle, d’un slovène pur. Il faut savoir que ces efforts ont aussi garanti, dans les yeux du peuple, la survie du slovène, aujourd’hui parlé par 2 millions d’habitants, pendant les siècles où il a fait partie des Etats 278 multinationaux. Aujourd’hui, cette lutte se retourne contre l’anglais, langue de la mondialisation. 1.1. Histoire des contacts entre le français et le slovène La France et la Slovénie sont deux Etats situés à une distance de plus de mille kilomètres. Les contacts directs n’ont été vécus que pendant la période de Napoléon. La première entrée de Napoléon sur le territoire slovène se situe en 1797 quand il a assiégé la région de Gorizia (Goriška pokrajina). La deuxième fois, ce fut en 1805, et la troisième fois, entre 1809 et 1813 quand la Slovénie faisait partie intégrante de l’Empire avec la législation française. Son territoire était alors nommé les Provinces Illyriennes. Quant aux emprunts dus à l’Empire, il faut surtout mentionner les noms propres. De cette époque datent les dénominations de nombreux ponts : Pont Napoléon (Napoleonov most), par exemple dans la ville d’Idrija et dans la région de l’Ouest de la Slovénie sur la rivière l’Isonzo (Soča), ainsi que quelques allées (Napoleonov drevored - allée de Napoléon), par exemple à Logatec. Il persiste aussi quelques noms de famille français, venus avec les soldats qui restaient en Slovénie et se mariaient avec les femmes du pays, parmi lesquels sont souvent mentionnés: Žibert, Valant, Ferle, Tibaut, Šertel, Sluga, ce dernier est présumé être la traduction slovène de «servant». Dans le dictionnaire des noms français, nous avons trouvé les origines des noms Žibert, Valant, Tibaut, Ferle et Serva(i)n(t) (http://jeantosti.com/noms/a.htm) que nous présentons dans la suite: Žibert, écrit en français, viendrait du nom Gibert: Gibert Nom porté en Catalogne. C'est un nom de personne d'origine germanique, sans doute Giliberht (gili = ardent + berht = brillant), qui est aussi à l'origine de Gilbert. Valant est un vaillant slovénisé: Vaillant - On peut hésiter entre un surnom (signifiant évidemment «vaillant», mais aussi «fort») et un nom de personne d'origine latine, Valentius, dont le sens initial est de toute façon le même. Le nom est fréquent dans toute la France, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais, la Loire-Atlantique et la région RhôneAlpes. Variantes: Vailland (44, 69), Vaillen (84), Vaillend, Vailent (74). Diminutifs: Vaillandet (70), Vaillendet (59). Tibaut présente deux variétés dans le dictionnaire des noms français, Tibaut et Thibault: Tibaut Voir Thibault pour le sens. Le nom est surtout porté dans les PyrénéesOrientales, les Alpes-Maritimes et l'Indre. Variantes: Tibau (66), Tibaud (06, 85), Tibault (79, 23, 54), Tibaux (59, 62, 51), Tibbaut (59), Tibeau (82, 59). Formes italiennes: Tibaldo, Tibaldi. Diminutif: Tibaudeau (85). 279 Thibault Nom de personne d'origine germanique, Theodbald (theod = peuple + bald = audacieux), très fréquent en France, surtout porté dans la Vienne et dans l'Indre. Variantes: Thibau (33), Thibaud (85, 44, 16), Thibaut (59, 80, 60). Ferle s’écrivait Ferlay en français: Ferlay Nom assez répandu dans la région lyonnaise (69, 42, 26 notamment). Désigne celui qui est originaire d'un lieu-dit (le) Ferlay ou qui y habite. Il s'agit d'une terre où pousse la férule (occitan ferla), plante herbacée aux racines énormes. Pour Sluga¸comme traduction du nom de famille français, il y a les possibilités Serban, Servain, Servan, Servant: Serban Nom dont l'origine géographique est difficile à localiser (on le rencontre aujourd'hui en Martinique). C'est une variante de Servan, ancien nom de baptême (latin Servanus) popularisé par un saint qui évangélisa les îles Orcades, près de l'Ecosse. Servain Le nom est surtout porté en Normandie. Le sens paraît identique à celui de Servan (voir ce nom), c'est de toute façon un ancien nom de baptême. La forme voisine Servin est également portée en Normandie, mais on la rencontre aussi en Bourgogne et en Franche-Comté. A noter l'existence d'un lieu-dit Saint-Servin à Boz (01). Servan Patronyme porté à la fois dans le Bordelais et aux confins de la Bretagne. C'est un ancien nom de baptême. Dans le Sud-Ouest, il devrait s'agir d'une variante de Silvain (latin Silvanus). Vers la Bretagne, on a affaire au latin Servanus: saint Servan fut l'évangélisateur des îles Orcades (Ecosse). Une commune de l'Ille-etVilaine porte son nom. Servant Fréquent en Poitou-Charentes, correspond normalement à l'ancien français servant (= serviteur). On peut cependant penser parfois à un prénom, variante de Servan (voir ce nom). Il en est de même avec la forme Servans (15). Il est intéressant que Janez Keber (1988) ne tient pas compte de ces noms dans ses ouvrages (à comparer Keber 1988). Ces noms de famille sont pourtant assez fréquents aujourd’hui: dans l’annuaire slovène (http://www.itis.si) il y a 297 abonnés qui s’appellent Sluga, 427 avec le nom Ferle, 75 Tibaut, 160 Valant, 469 Žibert et 14 Šertel. Pour comparer avec la fréquence des autres noms d’origine slovène, il y a dans l’annuaire 488 personnes qui s’appellent Novak, ce mot étant considéré comme le nom de famille le plus fréquent en slovène. Il est vrai aussi que le procédé de chercher l’origine étrangère et les racines «nobles» est à la mode et fait souvent partie des étymologies populaires. Ainsi a été créée une légende datant de cette époque concernant un certain vin blanc slovène. Le vin qui était «si bon» pour Napoléon et ses soldats est nommé en slovène šipon, 280 ce qui pourrait s’expliquer par le développement phonétique. Malheureusement, selon le dictionnaire étymologique de M. Snoj (1997) ceci ne serait qu’une étymologie populaire. L’origine de ce mot ne serait pas expliquée mais concerne plusieurs domaines du vin du territoire slave: les crus de la Styrie (ošip, pošipon, šipolina, šipina), Vipava (ošip) et Kaïkavie (šipon, šipel, šipelnjak, šipelj) ainsi que de la Dalmatie (pošip). 1.2. Histoire des emprunts au français après la période du contact culturel direct Les mots français sont entrés en slovène aussi à d’autres époques. Après la défaite de Napoléon, c’est l’Autriche qui l’emporte et revient sur le territoire slovène. Dans un tel État multinational qu’était l’empire autrichien, les nouveautés n’étaient pas générées sur le territoire slovène mais venaient du centre, qui était Vienne. Le slovène a puisé la plupart des mots-emprunts au français toujours par le biais de l’allemand (Snoj 1997). De là le double aspect sous lequel ces mots sont entrés en slovène, par exemple: éventuel est entré en slovène comme eventualen ou evenutelen. Seule l’orthographe du premier est normative, mais en effet on préfère l’équivalence slovène možen, mogoč. Les mots qui entrés en allemand et en slovène étaient surtout les mots désignant les nouveautés ou les particularités venant de la France, c’est-à-dire les «spécificités culturelles» dans la cuisine, l’art, l’architecture, les finances et la politique. 2. QU’EST-CE QU’UNE «SPÉCIFICITÉ CULTURELLE» ? Comment définir une spécificité culturelle? Parmi de nombreuses définitions, nous nous sommes inspiré chez Paur Newmark (1988) qui affirme que (nous paraphrasons) la plupart des termes culturels sont facilement perceptibles puisqu’ils sont liés à une langue spécifique et ne peuvent être traduits directement. Les catégories culturelles chez Newmark sont établies selon le modèle de E. Nida et comprennent l’écologie où l’on trouve les sous-ensembles suivants: plantes, animaux, vents, montagnes (les exemples peuvent être mousson ou mistral, steppe); culture matérielle où sont énumérés la nourriture, les vêtements, les maisons, les lieux, les transports (sake, anorak, métro), la civilisation générale avec le travail et le loisir, par exemple rap, rock; organisation, coutumes, activités avec les grands sous-ensembles politique, administration, religion, art, par exemple démocratie, christianisme, théocratie; les gestes et les mœurs. Les exemples de Newmark concernent surtout les mondes lointains; il ne faut pas oublier que l’Angleterre était une force colonisatrice qui se heurtait à des différences culturelles et civilisationnelles que les colonisateurs ne pouvaient pas décrire avec des mots d’équivalence mais prenaient tout simplement les mots qui étaient déjà créés. Dans le contexte européen, la France a joué un rôle de moteur du développement surtout dans le champ culturel. 281 Et quels sont les mots d’origine française marquant les spécificités culturelles qui viennent le plus vite à l’esprit d’un Slovène ? Dans le domaine de la cuisine on trouve du tout: šalotka («échalotte»), šampinjon (pour champignon de Paris), notons que le même procédé a été adopté en allemand et en hongrois où le mot champignon, en français l’hypéronyme, désigne une variété, le champignon de Paris). Le pain allongé à la française s’appelle bageta («baguette»), on peut boire šampanjec («du champagne») et manger le pomfrit («les pommes frites») ou pir, adapté à la prononciation slovène («de la purée des pommes de terre»), il existe même le verbe pirirati. Le mot kompot, au masculin, a subi un glissement de sens, probablement aussi sous l’influence allemande–autrichienne et ne veut pas dire «compote», comme en français (on a un mot slave čežana), mais «fruits au sirop». Dans le vocabulaire vestimentaire, il y a šal – de l’allemand Schal du français châle (étant venu en France du perse). Le mot kostim venu de l’allemand Kostüm (pour le français costume) a subi un glissement de sens et désigne le tailleur. Dans le cadre de la culture de fabrication, nous pouvons mentionner le mot keramika (Keramik de l’allemand, venu de la céramique en français), dans le cadre du divertissement, le mot pornografija («pornographie»), dans le monde des animaux, c’est kolibri de l’allemand Kolibri puisé du français colibri), pour n’en mentionner que quelques-uns. Le mot slovène apartma, venu du français appartement par l’allemand Appartmenet a subi un glissement de sens; le mot s’emploie en slovène pour un appartement des vacances, dans d’autres contextes on emploie le mot slovène stanovanje. Ces étymologies sont parfois dubitatives car il est très difficile de trancher entre le français et le latin, surtout quand il s’agit de mots savants qui sont venus comme néologismes même en français. Il faudrait aussi vérifier, ce que le dictionnaire étymologique de Snoj (1997) ne le permet pas (c’est d’ailleurs la remarque très pertinente orale de Mme Maria Iliescu lors du colloque de Craiova pour laquelle nous la remercions). En slovène, il existe quelques mots où français se présente comme épithète, désignant l’origine présumée française du mot. Ainsi, nous avons un plat qui s’appelle francoska solata («salade française» et désignant une macédoine des légumes). Le mot français montre bien que ce n’est pas un emprunt au français mais à une autre langue, probablement à l’allemand, et qu’on a voulu souligner par cet adjectif la différence. Il en va de même avec la clé anglaise qui, en slovène, s’appelle francoz (le Français) et francoski poljub désignant une manière particulière de s’embrasser. 282 2.1. Possibilités de l’intégration des emprunts en slovène Les emprunts, pour qu’ils puissent fonctionner, doivent s’intégrer à la langue dans laquelle ils sont entrés. En slovène, il existe deux possibilités (Slovenski pravopis 2004): a) prendre le mot français en tant que citation qui ne change pas d’orthographe et reste invariable (comme il faut, jour fixe, au contraire – ce qui se fait et se traduit comme marque de la culture de celui qui parle). Exemple: Igral je «comme il faut», kot se spodobi ... Il a joué comme il faut, comme il sied. (www.fidaplus.com) Nous pouvons voir que le mot d’origine française comme il faut est paraphrasé dans la suite pour les locuteurs slovènes qui ne comprennent pas forcément le français. b) écrire le mot avec la prononciation slovène et adapter l’orthographe selon les règles d’orthographe valables pour le slovène. Normalement une lettre représente un son (un phonème). En ce qui concerne les sons qui n’existent pas en slovène, ils sont adaptés à la prononciation slovène. Ainsi, le [y] est prononcé [i], la prononciation des nasales est adaptée à la prononciation slovène [an], [en] et [in], avec la possibilité de la chute de n final (amendement – amandma, mais Rostand, prononcé [rostan]. Pour les noms propres, l’orthographe est conservée, c’est la prononciation qui s’adapte. Ces mots entrent dans le système morphologique slovène et se déclinent ou conjuguent selon le cas (noms ou verbes). Ainsi, ces mots ne diffèrent en rien au premier coup d’œil des mots slovènes (voir l’exemple ci-dessous) : Exemple: Amandmaja k družinskemu zakonu niso sprejeli. L’amendement à la loi concernant la famille n’a pas été adopté. Nous pouvons voir que le mot amandma (venu du français amendement) se décline comme tout autre nom d’origine slovène. Les verbes en –iser sont passés, avant d’entrer en slovène, d’abord par l’allemand qui présente la terminaison –isieren, visible aussi en slovène aujourd’hui. Prenons l’exemple du verbe finaliser, écrit en slovène comme finalizirati (dokončati) qui a passé par le verbe allemand finalisieren: Exemple: Finalizirali so fasado. La façade a été finalisée. 283 Nous pouvons constater que le verbe d’origine française se conjugue comme tout autre verbe slovène. La politique des emprunts dans la norme slovène est assez stricte; si l’on emprunte une image, le tamis par lequel sont passés les emprunts est muni des trous les plus petits possibles. Ainsi, selon les recommandations de la grammaire (Toporišič 2000) et les manuels d’orthographe (cf. Slovenski pravopis 1963, 1991, 2004) il serait à éviter d’employer les mots d’emprunt dans les cas de la langue écrite et il est de règle de les remplacer, en fonction des possibilités, par les mots d’origine slovène s’il ne s’agit pas de termes techniques très précis. En ce qui concerne ces derniers, il existe les mots d’emprunt français qui se sont frayé le chemin parmi les termes techniques et sont de ce point de vue devenus irremplaçables. C’est le cas de quelques termes de l’architecture (gargojli pour gargouilles), de finances (portfelj pour portefeuille etc.), de l’archéologie (abbévillien – de l’époque des grottes trouvées à Abbéville) entre autres. Dans les domaines de spécialité, nous pouvons remarquer aussi le procédé inverse; quelques mots du slovène sont entrés en vocabulaire des français pour désigner les notions de la carstologie (doline, uvala, poljé) (www.atilf.atilf). Les noms communs ont conservé leur orthographe originale pour un public restreint d’experts (à propos, au contraire) sinon ils sont adaptés à la tradition morpho-syntaxique du système slovène (pommes frites – pomfrit). Les noms propres s’écrivent comme dans la langue d’origine sauf s’il s’agit de lieux bien connus ou communs à la culture slovène (Pariz à la place de Paris; Alzacija, Bretanja, Šampanja – mais rien pour Dordogne, moins connue en Slovénie; Rona pour Rhone, etc.) Parfois on a le nom d’origine et sa traduction: par exemple Les champs Elysées – Elizejske poljane qu’on peut employer indifféremment, selon l’effet stylistique voulu (Slovenski pravopis 1963, 1991, 2004). Dans ce cas-là, il faut aussi tenir compte de la mode; aujourd’hui le monde est devenu plus petit grâce aux échanges d’informations rapides, les moyens de transport à la portée de tous et la mondialisation qui efface peu à peu les différences culturelles. Alors on favorise l’écriture des noms propres de leur manière d’origine et une introduction plus rapide des termes spécifiquement culturels qu’avant, quand on avait plus tendance à chercher l’équivalence concernant l’italien et non pas le français (Schlamberger Brezar 2009). Récemment la rouquette est devenue très à la mode dans les restaurants italiens en Slovénie et on a pris le nom rukola tandis qu’il existait déjà en slovène le nom rukvica mais qui était moins attrayant car trop commun (www.fidaplus.net). Pour les noms communs, la tendance générale est à l’adaptation au système du slovène; il en va de même avec les emprunts de l’anglais: džins, luk, kul pour jeans, look, cool (Slovenski pravopis 1991, 2004). Le français se présente aujourd’hui surtout comme langue de culture et les mots désignant les spécificités culturelles, liées à la France, s’emploient quotidiennement. Les domaines de manifestation des emprunts sont surtout la cuisine, la mode, l’architecture et les arts plastiques. Mais les emprunts 284 commencent à vivre leur propre vie dès qu’ils sont entrés dans la langue quotidienne. Comme tels, ils ne sont plus repérables à l’œil dans les textes écrits mais, étant donné leur intégration au système slovène, cachés aux locuteurs. 3. LES EMPRUNTS FRANÇAIS EN SLOVÈNE COMMENÇANT PAR A Pour l’illustration quantitative des emprunts au français en slovène, nous avons entamé une courte recherche concernant les emprunts commençant par la lettre a. Nous avons commencé dans le dictionnaire des emprunts (Tavzes et al. 2007) pour trouver tous les mots auxquels l’annotation «frc.» signifiant «du français» a été attribuée. Ensuite, nous avons cherché l’étymologie de ces mots dans le dictionnaire étymologique (Snoj 1997) et le nombre d’occurrences des emprunts dans le corpus monolingue slovène Fidaplus (www.fidaplus.com). Sur les 3400 mots-emprunts recensés commençant par a (96 pages, environ 35 mots par page) il y en a 114 que le dictionnaire des emprunts traite comme étant venus du français (avec la mention frc.). À partir des 114 mots identifiés, nous avons adopté deux démarches: il a fallu alors vérifier leur origine dans le dictionnaire étymologique (Snoj 1997) et voir quelle est leur fréquence dans le corpus monolingue pour le slovène Fidaplus. La vérification dans le dictionnaire étymologique (Snoj, 1997) a donné les résultats suivants: nous n’avons pas pu trouver d’indications étymologiques pour tous les mots du dictionnaire des emprunts, mais seulement pour 32, apparemment les plus fréquents, ce qui a resulté après l’épluchement du corpus Fidaplus. Nous avons pu vérifier l’origine française des mots suivants: Abonma, abonent (et le verbe abonirati et le participe passif aboniran) dans le sens français «abonner»; avec l’indication emprunt au français étant venu en slovène par le verbe allemand abonieren. Les mots absolutist, absolutizem sont expliqués avec la même remarque. Pour akord, M. Snoj n’a pas pu trancher entre le nom d’origine française ou italienne qui, lui aussi serait venu en slovène de l’allemand. Il en va de même pour akt et akter ainsi que akvarel (all. Aquarell du français aquarelle), alarm et alarmirati (du français alarmer; all. alarmieren). Par contre, pour aleja, il présume que ce nom est venu du français par la filière de l’italien ou de l’allemand, les deux langues géographiquement proches du slovène. Alkalija, amater, arkada, artikel, artist et ambulanta auraient suivi le même chemin du français vers l’allemand et puis vers le slovène. Il est intéressant de remarquer que le mot ambulanta, venant du français ambulant et l’allemand Ambulanz, signifie en slovène contemporain «cabinet de médecin». Selon Snoj (1997), seuls les mots anketa, angažma, ansambel, apartma, aranžirati, aspik, atašé et avenija sont estimés venir en slovène directement du français. 285 Il est intéressant que le mot arbitraža, très employé ces derniers temps, ne s’y trouve pas. Sur les 114 mots estimés être d’origine française, les fréquences et les contextes d’apparition sont très variés. Nous les avons vérifiés dans le corpus du slovène monolingue, accessible sur l’internet Fidaplus (www.fidaplus.com). Les résultats seront énumérés, des plus fréquents aux moins fréquents. Quatre catégories ont été ainsi établies: a) plus de 1000 occurrences; b) entre 100 et 1000 occurrences; c) moins de 100 occurrences; d) les mots qui n’apparaissent que dans les mots croisés ou dans des contextes étroitement spécialisés. Dans la catégorie des mots les plus fréquents, le champion est ansambel (au sens de «ensemble musical»), mais dans la plupart des contextes on voit que c’est l’ensemble musical populaire qui joue la musique ethnique des Alpes) avec 12.980 occurrences, suivi de près de anketa (au sens de «sondage»), avec 11.955 occurrences. Suit le mot amandma avec 7278 occurrences (d’amendement ou modification au sens politique et administratif, www.evroterm.gov.si, akt (le nu dans le contexte de la peinture ou l’acte) avec 6239 occurrences (le mot de la même famille aktant n’atteint que 2 occurrences). Il y a encore ambulanta avec 3673 occurrences (au sens de «cabinet médical»). Le nombre d’occurrences du mot arbitraža, 3.521, au sens politique et diplomatique, est partiellement dû à la situation politique. Il est intéressant que dans le corpus il n’y a aucune occurrence d’arbitre - arbiter. Le dernier mot qui atteint plus de 1000 occurrences est aranžma (au sens musical) avec 1069 occurrences. Entre 1000 et 100 se trouvent akord (de l’accord en musique, mais aussi fonctionnant comme nom propre), avec 662 occurrences, angažma (engagement) avec 742 occurrences, artikel 799, akter 691 (de l’acteur en français mais comme personne qui entre en jeu dans la situation, pas dans le sens de «comédien»), aliansa (aliance) avec 327 occurrences, art déco 476, art nouveau (301), avantgarda (567), artist (599). Ce dernier mot vient bien sûr du français artiste mais a subi un glissement de sens et désigne surtout les artistes de moindre valeur comme par exemple ceux qui performent au cirque. Moins de 100 occurrences sont enregistrés pour artilerija (94), apoen (66), pour appoint dans le sens des finances), aliteracija (15), arteški (artésien) (20), agrema (agréement en diplomatie) 40, aspik (pour aspic) 46, altruist (40) et armagnac (26); ces dernières occurrences apparaissent exclusivement dans des recettes de cuisine. Les mots qui n’apparaissent que dans les mots croisés sont par exemple arkebuza, alkova, alonža, akolada, apanaža, c’est-à-dire tous les mots devenus en slovène les termes d’un domaine spécialisé. Il y a aussi plusieurs citations, parmi lesquelles au contraire (avec 49 occurrences), au naturel (22 occurrences) et au pair (162 occurrences) et art déco (476 occurrences). Mais en général, les citations sont beaucoup plus rares que les adaptations au système phono-morpho-syntaxique du slovène. 286 4. EN GUISE DE CONCLUSION Avant de conclure, nous nous devons encore de polémiser avec le seul ouvrage français qui traite des emprunts au français dans plusieurs langues européennes. C’est le livre Mots migrateurs (les «tribulations» du français) de Marie Treps (2009) et le slovène y apparait comme une des langues représentées. Comme il n’y a aucun ouvrage scientifique traitant du slovène dans la bibliographie, nous présumons que Mme Treps a été mal informée, déjà en ce qui concerne les frontières de la Slovénie. Il est vrai que l’irruption des Hongrois a coupé les Slovènes des Slovaques mais il reste une longue frontière slovène et croate. A côté de quelques remarques pertinentes, il y a bien des explications erronées sur la non-existence de quelques emprunts pourtant très fréquents. Comme nous venons de l’expliquer, champignon (šampinjon) et costume (kostim) existent aussi en slovène, ainsi que lampe (lampa, utilisation populaire) et bérét (sous une forme slovénisée baretka, n. f.). Mais il est vrai que ces mots ne sont pas facilement reconnaissables pour un Français parce qu’ils sont complètement adaptés à l’orthographe slovène. Pour faire le point sur notre recherche, l’approche quantitative a rendu possible l’observation de la fréquence des emprunts. L’approche qualitative des emprunts, qui n’a été que partiellement entamée dans cette communication, pourra identifier les glissements de sens des emprunts par rapport au français, leur spécialisation dans les domaines du slovène technique et leur inclusion dans la morpho-syntaxe du slovène ainsi que les contextes particuliers où apparaissent les emprunts. Ce qui justifie les emprunts dans le cadre du slovène, tellement soucieux de la norme, c’est leur côté culturellement spécifique: les mots qui déterminent les entités ou les notions qui ne peuvent pas être nommées différemment se sont maintenus dans la langue, étant donné qu’ils se sont adaptés à l’orthographe de la langue d’arrivée. Le slovène est d’ailleurs moins enclin à puiser dans la langue française. Vu le matériel présenté, une recherche s’impose qui traiterait tous les emprunts au français de manière approfondie, prenant en compte aussi bien leur étymologie que la vie nouvelle que ces emprunts ont commencé en leur langue d’arrivée. BIBLIOGRAPHIE 4 Keber, Janez (2008 ): Leksikon imen: onomastični kompendij, Celje: Celjska Mohorjeva družba: Društvo Mohorjeva družba Newmark, Peter (1988): A Textbook of Translation, London: Longman. Schlamberger Brezar, Mojca (2009) : «Odgovori sodobnih slovenskih jezikovnih virov na vprašanja prevajanja francoskih lastnih imen in kulturnospecifičnih izrazov v slovenščino», in Stabej, Marko (éd.) Infrastruktura 287 slovenščine in slovenistike, (Obdobja, Simpozij = Symposium, 28). Ljubljana: Znanstvena založba Filozofske fakultete: 355-340. Schlamberger Brezar Mojca (2010) : «Des théories pragmatiques aux spécificités culturalles entre le français et le slovène», in Alao, George (éd). 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Trésor de la langue française informatisé www.atilf.atilf accès novembre 2011. 288 UN CAS DE CONTACT LINGUISTIQUE FRANÇAISROUMAIN: LE DOMAINE DU MOBILIER* Gabriela SCURTU Université de Craiova, Roumanie Membre FROMISEM 1. INTRODUCTION 1.1. L’influence française sur le lexique du roumain Les linguistes sont généralement unanimes pour reconnaître que tout contact plus ou moins prolongé entre deux ou plusieurs langues entraîne inévitablement des interférences linguistiques dont le degré le plus élevé est représenté par l’emprunt lexical. L’emprunt mais aussi le calque représentent un moyen privilégié de diversification et d’enrichissement du fonds lexical de toutes les langues naturelles. Dans le cadre de cette problématique, il a été souligné, à maintes reprises, le rôle qu’a joué l’influence française pour l’achèvement du caractère moderne du roumain littéraire, sans doute dans une mesure plus grande que dans aucune autre langue européenne (la plus forte influence qu’une langue de culture ait exercée sur une autre). L’appréciation du grand linguiste suédois Alf Lombard à cet égard est relevante: il considère la reromanisation due à l’influence française comme «unique au monde, en ce qui concerne ‘les emprunts à distance’» (1969: 646). Nous voulons souligner que pour le roumain, le français a représenté beaucoup plus qu’une influence culturelle due au prestige de la langue prêteuse, mais bien un facteur responsable d’une restructuration profonde de toute la structure lexicale – et non seulement lexicale (c’est ce qu’on appelle reromanisation), réalisée beaucoup plus tard que la relatinisation des langues romanes occidentales, et ce, à cause des facteurs historiques, socioculturels et linguistiques particuliers qui ont marqué le développement de notre langue. 1.2. Domaines de manifestation L’insertion des termes néologiques d’origine française dans le lexique du roumain a été faite dans les domaines les plus variés de l’activité humaine. La terminologie scientifique et technique, sociale, politique, administrative, juridique, économique, artistique n’est plus à concevoir aujourd’hui sans l’apport quantitatif, 289 mais aussi qualitatif, des mots d’origine française. Sauf le domaine de la technique, (selon Dimitrie Macrea 1982, plus de 70% de la terminologie scientifique et technique est représenté par des emprunts au français et les mots à étymologie multiple, y compris française), celui de la mode ou de la cuisine seraient aujourd’hui parmi les plus actifs en ce qui concerne les emprunts au français, la France ayant toujours constitué un repère et un étalon de raffinement dans ce sens (Dragoste 2011). 1.3. Études sur le sémantisme des emprunts au français Vu leur présence massive en roumain, les emprunts au français ont fait l’objet de nombreuses études portant sur des aspects variés tels que dynamique, domaines de manifestation, adaptation et, bien sûr, aspects sémantiques. Puisque nous avons constaté que sur l’ensemble des ouvrages consacrés aux emprunts lexicaux, l’étude du sémantisme des mots roumains à étymon français (donc des gallicismes du roumain, pour employer la terminologie proposée par A. Thibault, 2004, 2009) a été, dans une certaine mesure, négligée, le projet de recherche dans le cadre duquel nous faisons cette étude (v. www.fromisem.ro), a envisagé comme objectif majeur de réaliser une typologie sémantique de ces gallicismes. Ainsi dans Iliescu et al. (2010) on propose une telle typologie, concernant: la conservation (totale ou partielle) des sens de l’étymon et les innovations sémantiques opérées en roumain. Une autre direction d’étude a visé, plus récemment, l’appréhension de quelques domaines et champs sémantiques tels que: (i) l’espace; (ii) la mode vestimentaire; (iii) l’art culinaire; (iv) le mobilier, tout en vérifiant de la sorte comment fonctionnent dans des zones plus restreintes les mécanismes généraux énoncés supra. 1.4. Le domaine du mobilier L’objet de cette communication est constitué par des remarques autour de quelques lexèmes appartenant au domaine du mobilier. Un simple coup d’œil sur la terminologie du domaine nous fait voir que les mots qui désignent les meubles ‘fondamentaux’: pat «lit», masă «table», scaun «chaise», dulap «armoire» ne sont pas des emprunts au français, mais des mots appartenant au fonds héréditaire (masă < lat. MENSA et scaun < lat. SCAMNUM), ou bien des mots représentant des emprunts anciens (pat, avec une origine obscure – du néogrec, mais on a proposé aussi une étymologie latine, et dulap, emprunté au turc). Les autres mots désignant des pièces de meuble sont, pour la plupart, des emprunts au français: balansoar (du fr. balançoire), bibliotecă (du fr. bibliothèque), birou (du fr. bureau), bufet (du fr. buffet), canapea (du fr. canapé), comodă (du fr. commode), dormeză (du fr. dormeuse), etajeră (du fr. étagère), fotoliu (du fr. fauteuil), garderob (du fr. garde-robe), gheridon (du fr. guéridon), 290 servantă (du fr. servante), şezlong (du fr. chaise longue), şifonier (du fr. chiffonnier), taburet (du fr. tabouret), vitrină (du fr. vitrine), etc. 1.5. Objectifs visés Dans cette communication, nous allons nous référer à deux micro-champs qu’on peut établir à l’intérieur du domaine envisagé: 1. le micro-champ des meubles de rangement (avec l’archisémème «petite armoire»); 2. le micro-champ des «sièges», définis comme «objet(s) fabriqué(s), meuble(s) disposé(s) pour qu’on puisse s’y asseoir» (NPR), formé à son tour de microsystèmes, en fonction des traits définitoires considérés: (i) [pour s’asseoir] / [pour dormir]; (ii) [pour une personne] / [pour plusieurs personnes]. L’analyse que nous avons effectuée a porté sur quatre points principaux: 1) la description lexicographique des lexèmes qui appartiennent aux microchamps précisés; 2) l’analyse sémantique comparative de ces lexèmes; 3) la comparaison lexico-sémantique des gallicismes du roumain et de leurs étymons; 4) la corrélation entre la description linguistique et la réalité extralinguistique (par l’analyse de l’évolution des référents à travers le temps). Dans le micro-champ des meubles de rangement nous avons analysé les lexèmes: fr. buffet / roum. bufet, fr. commode / roum. comodă, fr. servante / roum. servantă. Dans celui des «sièges»2, nous avons traité uniquement du champ sémantique (lexical et conceptuel) des lexèmes marqués par le trait définitoire [pour s’asseoir]: fr. banc / roum. bancă3, fr. banquette / roum. banchetă, fr. chaise longue / roum. şezlong, fr. fauteuil / roum. fotoliu, fr. pouf / roum. puf, fr. strapontin / roum. strapontină, fr. tabouret / roum. taburet. 2. REMARQUES SUR LES GALLICISMES ROUMAINS DANS LE DOMAINE DU MOBILIER Cette communication se propose de présenter les principales conclusions qui se sont dégagées à la suite d’une analyse entreprise sur les deux micro-champs (v. Scurtu / Dincă 2011). Elles se rapportent à des aspects que nous avons considérés comme pertinents pour ce qui est de la configuration de ces microchamps en roumain, par rapport au français, et, de façon plus générale, pour caractériser le contact entre les deux langues. En nous arrêtant sur les termes mentionnés sous 1.5. et en envisageant, comparativement, les sens des étymons, leur transmission dans la langue réceptrice et les changements sémantiques qui caractérisent ces emprunts, nous avons retenu 291 quelques aspects essentiels, à l’intérieur desquels se dessinent d’autres possibles remarques et autant de pistes à suivre. 2.1. Conservation partielle des sens des étymons La première constatation majeure: les étymons étant pour la plupart des mots polysémiques, le roumain en a emprunté l’acception fondamentale, celle de «pièce de meuble», qu’il s’agisse des [meubles de rangement] ou des [sièges]. Notons à cet égard que dans l’aire des changements sémantiques subis par les emprunts au français, la sélection des sémèmes de l’étymon est le phénomène le plus fréquent: «cette sélection dépend entièrement du cadre extra linguistique» (Thibault 2004: 104). Dans le cas pris en compte, le principal facteur extra linguistique responsable des différences relevées dans les deux langues, au niveau de la configuration sémique des lexèmes analysés, est représenté, à notre avis, par le décalage temporel entre les dates d’attestation des acceptions des étymons et l’époque où se sont produits les emprunts. 1) Ainsi, tous ces mots n’entrent en roumain qu’au cours du XIXème siècle. Les dates exactes, comme on le sait bien, manquent le plus souvent dans les dictionnaires de cette langue (seuls DA, DLR et RDW l’indiquent parfois), par exemple: - bufet, attesté en 1835 (au sens de «petite unité de restauration» et celui de «petite armoire», presque à la même époque (selon les exemples littéraires cités); - ou bien bancă, attesté en 1830, dans l’expression a sta pe băncile şcolii («être sur les bancs de l’école»). Les référents eux-mêmes apparaissent plus tard dans l’espace civilisationnel roumain (jouissant de faveur en tant que meubles, parfois de style, surtout au cours du XIXème siècle ou dans la première moitié du XXe. 2) En français ces mots sont attestés bien des siècles avant, avec des sens relevant du domaine du mobilier, pas nécessairement le sens actuel, souvent à côté de sens vieillis et sortis de l’usage, par exemple: - buffet est attesté dès 1150 avec le sens de «escabeau», puis il a évolué vers le sens de «table, dressoir, comptoir» (1268), pour acquérir en 1547 l’acception de «meuble de rangement». Les premiers sens sont donc liés à l’idée de mobilier de différents types; - servante circule dès la première moitié du XIVème siècle avec le sens de «femme employée comme domestique» et, quatre siècles plus tard, en 1746, avec celui de «petit meuble de salle à manger»; - tabouret est attesté en 1525, déjà avec son sens actuel: «siège pour une personne, à trois ou quatre pieds, sans bras ni dossier»; - la première acception de strapontin, en tant que type spécial de siège, repliable, date de 1666; 292 - que dire de banc, mot ancien, dont le sens fondamental «siège» est déjà attesté au XIème siècle, alors que celui de «étal d’un marchand» au XIIème? Ce décalage temporel explique nombre de phénomènes d’ordre sémantique. Il s’agit, comme déjà précisé, d’une conservation partielle des sens des étymons, car le roumain ne garde que l’acception fondamentale: «un certain type de meuble», les sens vieillis du français étant déjà sortis de l’usage au moment où le mot a été emprunté. Quelques exemples: - le sens ancien de commode: «sorte de coiffure» (comme dans l’exemple de Saint-Simon: «On portait dans ce temps-là des coiffures qu’on appelait des commodes, qui ne s’attachaient point», in Littré) ne se retrouve pas en roumain; - strapontin a dans les deux langues la même acception: «siège d’appoint servant à augmenter le nombre de places assises dans les véhicules et les salles de spectacles)». Le roumain n’a pas pris les acceptions de l’étymon, aujourd’hui disparues de l’usage, dans le domaine de la marine: «matelas placé sur une couchette de bord et maintenu par une planche à coulisse et qui, serré le jour dans un caisson, était un lit d’appoint» ni dans celui de la mode: «coussinet que les femmes attachaient au bas du dos pour faire bouffer leur robe, suivant la mode des années 1883 à 1889» (in TLFi); - tout comme dans le cas de strapontin, pouf a été employé comme terme de mode, signifiant «tournure qui faisait bouffer la jupe ou la robe», selon l’analogie entre un coussinet et la tournure de la jupe, bouffée par derrière, sens inexistant en roumain; - banquette est attesté en 1417 au sens de «selle», sens absent du roumain, pour des raisons objectives, et ainsi de suite. Ces gallicismes illustrent donc une certaine étape d’évolution de la société, ce qui veut dire que, dans le domaine du mobilier, les mots sont entrés en roumain avec leurs référents, par nécessite de dénomination4. Des nuances s’imposent, évidemment, par exemple le banc, en tant qu’objet de mobilier, était sans doute connu avant 1830, mais son utilisation n’était pas encore tellement répandue dans l’espace civilisationnel roumain5. 2.2. Évolutions sémantiques Un deuxième point d’intérêt porte sur les évolutions sémantiques survenues dans les deux langues. 2.2.1. Le cas du français Les termes analysés ont connu en français des évolutions sémantiques, sinon spectaculaires, au moins dignes d’être enregistrées: (i) D’une part, du sens étymologique à celui de «meuble», par exemple: - commode représente la substantivation de l’adjectif commode, en raison du caractère éminemment pratique de ce meuble; 293 - servante vient du participe présent du verbe servir, substantivé au féminin; - tabouret vient de ta(m)bour, par analogie de forme; - pouf est à l’origine une onomatopée; - strapontin est lié à strapunto «matelas», etc.6 Les mots que nous utilisons peuvent donc paraître bizarres, ils voyagent dans le temps et à travers le monde, se métamorphosent, se modifient, tant au niveau du signifiant, bien sûr, mais aussi à celui du signifié, aspect qui nous préoccupe dans cette présentation. (ii) D’autre part sont à noter des modifications à l’intérieur du champ même de «meuble», par exemple: a) l’apparition de trais sémiques nouveaux - dans le cas du mot tabouret, le trait [+haut], pour les tabourets de bar (www.leguide.com/tabourets_de_bar.htm), pour que les consommateurs soient assis au niveau du bar; cf. les expressions monter, grimper, être juché sur un tabouret), le différencie des tabourets ‘ordinaires’ (surtout les tabourets de cuisine); - en outre, le tabouret de bar, pour raisons de commodité, est parfois pourvu d’un dossier, ce qui l’oppose au tabouret, pris dans l’acception courante, et qui est celle de «siège sans dossier»; b) la modification de la fonctionnalité de l’objet Un phénomène qui nous semble encore plus intéressant réside dans le fait que ces changements vont jusqu’à la modification de la fonctionnalité de l’objet, par exemple: - tabouret de pieds («petit support où l’on pose les pieds, lorsqu’on est assis», in GRLF), où l’on enregistre le changement du sème générique: [pour s’asseoir] [pour reposer les pieds]; - ou banc, qui illustre, dans un de ses emplois, le glissement vers une autre catégorie de mobilier: il s’agit de son emploi actuel en tant que meuble de rangement pour les chaussures, pour les chaussettes, etc. Cette acception n’est enregistrée par aucun des dictionnaires consultés, mais elle est détectable dans les offres présentées dans les catalogues de mobilier (par exemple www.touslesprix.com/achat,banc-achaussure.html). Évidemment, ces divers changements sont parallèles aux modifications survenues dans la sphère de la référence, car ces objets de mobilier ont connu de grands changements à travers le temps, sous l’effet de la mode et des nouvelles fonctions qui leur incombent; ils voient donc modifier leur forme, les parties composantes et la fonctionnalité7. (iii) Enfin, nous avons identifié des extensions à partir de «siège» vers des sens spécialisés dans divers domaines: marine, géologie, mines, technologie, ou vie courante. Ainsi, à partir de certains traits physiques ou fonctionnels des objets de mobilier en discussion, on peut enregistrer des glissements connotatifs, des passages métonymiques ou des analogies métaphorisantes, par exemple banc de 294 gazon, de neige, etc., qui reposent sur une telle analogie, bancs de l’école, qui signifie, par métonymie, l’école elle-même, banquette, qui désigne divers objets [+allongé], [+étroit], [pour soutenir qch.], etc. 2.2.2. Le cas du roumain a) En roumain, par contre, ces mots, entrés avec le sens de «meuble», n’ont pas donné lieu à des métasémies importantes. C’est ainsi que le roumain a emprunté la majorité des sens des lexèmes relevant des champ des meubles (de rangement ou des sièges), maintenant, dans la plupart des cas, les traits sémiques des étymons français; pour des raisons objectives, il y a, comme déjà précisé, des sens absents en roumain (dans la plupart des cas, les sens antérieurs à leur emprunt), le tout en dépendance étroite des évolutions qu’ont connues les référents, dans le cadre de l’évolution de la société. b) Mais on enregistre aussi des innovations sémantiques opérées en roumain: - banchetă, à coté du sens de «siège», présente une multitude d’acceptions spécialisées, qui ne correspondent pas toujours à celles de l’étymon, ce qui signifie que ce mot a donné lieu en roumain à des glissements dénotatifs: (équitation) «obstacle naturel formé d’un talus couvert d’herbe»; «bande horizontale, en forme de marches, le long d’un terrassement», etc.; - le cas le plus saillant est sans doute celui du mot servantă. Dans l’acception de «meuble», servante signifie en français «petit meuble de salle à manger (table, étagère) servant de desserte ou placé à côté d’un convive» (GRLF), sens considéré comme vieilli, et n’a pas le sens de «petite armoire». En roumain, le mot servantă signifie «meuble d’appoint servant de desserte», sens emprunté au français (qui l’a abandonné), et a développé le sens de «armoire où l’on garde la vaisselle, les couverts pour le service de la table» (cf. fr. buffet). C’est un sens qui a été créé en roumain. Le mot roumain représente un cas particulier, car il a développé un sens nouveau, à partir de «meuble d’appoint» (de l’étymon français servante) à «meuble de rangement», qui n’est pas attesté en français. 3. CONCLUSIONS Il n’y a pas de reconfiguration sémique importante dans le passage des lexèmes qui ont fait l’objet de cette étude du français vers le roumain: les termes analysés ont été empruntés par nécessité de dénomination, avec le sens de «pièce de meuble»8. Mais, une fois assimilés par la langue d’accueil, ces mots connaissent la même évolution qu’en français, alors que les référents subissent les mêmes types de transformations, suite au contact serré entre les deux espaces de civilisation et de culture et, sans nul doute, suite au processus de globalisation. 295 Tous les mots discutés enregistrent aujourd’hui des extensions de sens, désignant des pièces de meubles de différentes formes et dimensions, en devenant des objets polyfonctionnels9. Disons, pour finir, que l’étude de chaque microsystème de la langue, pris en soi ou en vision comparative, en synchronie ou en diachronie, est à même d’apporter des éclaircissements importants sur: (i) l’originalité, la spécificité, le génie créateur de chaque langue; (ii) les relations entre les langues; (iii) la dépendance étroite entre la langue et la société. NOTES * L’article est publié dans le cadre du projet de recherche FROMISEM (PN II – IDEI 383/2008), financé par le CNCS–UEFISCDI. 1. Qu’il nous soit permis d’ouvrir une brève parenthèse pour rappeler que dans le cas de l’anglais, les emprunts faits au français relèvent de quatre champs notionnels privilégiés que sont: 1) les vêtements, les tissus, la mode; 2) les beaux arts, la littérature et la critique; 3) la cuisine; 4) la «galanterie» (Tournier 1985: 331), alors que Chadelat (2000: 209) montre aussi que l’anglais a emprunté beaucoup de termes français relatifs à la distinction, aux manières, à l’esprit et au langage. 2. Notons toutefois qu’il n’y a pas unanimité en ce qui concerne la délimitation précise du microchamp des sièges: par exemple Schwischay (2002) inclut dans cette classe les meubles [pour dormir], alors que Sanfourche (1997) la limite aux meubles [pour s’asseoir]. 3. Le mot banc a une étymologie multiple controversée, liée à ses différentes acceptions (les dictionnaires roumains indiquent comme sources le fr. banc, l’it. banca, l’all. Bank). 4. Une des motivations de l’emprunt est, comme on le sait bien, d’ordre linguistique: «En effet, un emprunt peut répondre, au moins au départ, au besoin de combler un vide lexical, correspondant à l’absence, dans la langue d’arrivée, de l’objet, de la technique ou du phénomène auquel renvoie le terme», rappelle Corinne Wecksteen (2009: 139). Tel est le cas de nombreux gallicismes du roumain, dont ceux qui ont fait l’objet de la présente communication. 5. Les copistes écrivaient debout, devant un pupitre; dans les maisons paysannes il y avait une sorte de bancs de bois rangés le long des murs, qui s’appelaient laviţă (du bg. lavica), mais nous ne nous sommes pas proposé de faire des études de civilisation concernant l’histoire du mobilier dans les principautés roumaines. 6. Et que dire du sémantisme du mot canapé, qui offre une évolution tellement intéressante, à partir de l’étymon latin conopeum, conopiun qui signifiait «moustiquaire» (sens pris au grec, dont le mot latin est issu par emprunt), d’où, suite à un processus de type métonymique, il arrive à désigner une «sorte de lit entouré d’une moustiquaire» (cf. TLFi). Par extension, en perdant les sèmes «protection contre les moustiques» (le mot grec kônôpeion est d’ailleurs dérivé d’un mot signifiant «moustique»!) canapé signifie aujourd’hui «siège à dossier, pourvu d’accoudoirs, où plusieurs personnes peuvent s’asseoir, pouvant aussi servir de lit de repos pour une personne». 7. Qui reconnaitrait un ‘vrai’ fauteuil, en conformité avec la définition ‘traditionnelle’ («siège à dossier, généralement à bras, pour une personne, et dans lequel on est assis confortablement», in TLFi), dans les fauteuils conçus par les designers contemporains et qui ne ressemblent point à leurs ancêtres: vifs en couleurs, de formes bizarres (en œuf, en boule, en cocon, en coquille, etc.)? (v. par exemple, www.leblogdeco.fr/tag-deco/fauteuil) 8. Cette conclusion ne s’applique pas dans le cas d’autres nombreux gallicismes du roumain, caractérisés, au contraire, par des innovations sémantiques manifestées à travers des mécanismes divers (extensions analogiques et restrictions de sens, métaphorisations, passage métonymiques, glissements connotatifs, etc.), opérées dans la langue d’accueil et ayant comme point de départ une signification de l’étymon français (v. Iliescu et al. 2010). 9. Un exemple suggestif nous est offert aussi par l’objet appelé en fr. guéridon, en roum. gheridon, qui, d’un meuble à vocation plutôt esthétique qu’utilitaire, est arrivé à désigner des meubles ou 296 objets qui ont très peu à voir avec la petite table initiale, ronde, à un ou à trois pieds. Les guéridons s’étant spécialisés dans divers domaines: restauration, médical, musical, ils se présentent aujourd’hui sous des formes diverses, telles que tables roulantes, chariots, coffres à anses, etc. BIBLIOGRAPHIE Études Chadelat, Jean-Marc (2000): Valeur et fonctions des mots français en anglais à l’époque contemporaine, Paris: L’Harmattan, coll. «Langue & Parole». Costăchescu, Adriana (2009): «Le vocabulaire français et roumain de l’espace: les mots lieu et loc», in Analele Universităţii din Craiova. Seria Langues et Litteratures romanes, 13, 1: 160-173. 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Il s’agit moins d’un phénomène d’«emprunt» au sens classique du mot, que d’un processus d’hybridisation et de fusion de deux lexiques qui en 1066 étaient étymologiquement et sans doute socialement séparés. La manière dont les mots anglo-normands se sont établis en moyen anglais est donc à distinguer rigoureusement des transferts de vocables du français d’outre-Manche, au Moyen Âge et plus tard. Il peut être résumé par le schéma suivant (cf. Trotter 2009b: 155): * très ancien français anglo-normand =========== ancien français de France moyen anglais Mais comment identifier les mots qui ont suivi cette voie – somme toute, la plus logique – vers l’anglais? La première édition de l’OED a eu beaucoup de difficultés dans ce domaine, surtout parce que le seul dictionnaire de l’ancien français à la disposition des rédacteurs à l’époque, Godefroy, ne signale pas qu’une source est anglo-normande (Trotter 2009b); la nouvelle version de l’OED en ligne (www.oed.com) est à cet égard beaucoup plus fiable et elle retravaille, de manière très sérieuse, les étymologies de tous les mots, pour la première fois donc depuis la première édition de la fin du XIXème siècle (cf. Durkin 1999; Rothwell 2002). L’Anglo-Norman Dictionary (première édition 1977-1992) est depuis 1989 en pleine révision, ayant atteint la lettre L pour une deuxième édition, entièrement refondue et au moins trois fois plus volumineuse que la première (www.anglonorman.net). Le Dictionary of Medieval Latin from British Sources (DMLBS) avance allègrement vers la fin de l’alphabet et se montre de plus en plus hospitalier aux mots vernaculaires, fournissant ainsi la preuve de la réalité de la continuation sur le sol des Îles britanniques d’un monde latin manifestement plurilingue (Adams 299 2003; 2007; pour l’OED, Durkin 2002). Le Dictionnaire du Moyen Français (www. http://www.atilf.fr/dmf/) et le DEAF (www.deaf-page.de) fournissent des éléments essentiels pour l’examen de l’anglo-normand face au français de France. C’est ainsi que, grâce aux outils actuellement disponibles sous forme des dictionnaires de l’anglais, du français et du latin du Moyen Âge, nous sommes en mesure de reprendre l’étude du phénomène quand même très connu de l’influence du français sur l’anglais du Moyen Âge. L’approche traditionnelle de la question de l’influence du français sur l’anglais part de deux présupposés, parfois explicites, mais souvent implicites. La première se trahit par la terminologie dont on se sert pour décrire le processus: essentiellement, on parle de l’emprunt. Ainsi, exemple récent dans un ouvrage grand public mais qui fait néanmoins autorité, dans la Cambridge Encyclopedia of the English Language (Crystal 2003), se trouve (p. 47) une petite liste de «Some French loans in Middle English». L’idée même d’«emprunt» a été mise en question il y a trente ans par William Rothwell (Rothwell 1980) et ne correspond visiblement pas à la situation de l’Angleterre trilingue, beaucoup plus proche d’une triglossie que d’un contexte d’emprunt classique. En tant que langues vernaculaires, le français et l’anglais se côtoyaient, étaient écrits par les mêmes copistes (forcément plurilingues du moins pour l’écrit), et se fusionnaient souvent dans des documents de langue mixte (Wright 1996). Le modèle classique d’emprunt ne convient guère à cette situation qui, par l’hybridisation lexicale, allait faire naître la langue anglaise moderne, mélange du roman et du germanique (Trotter à paraître a; à paraître d). Deuxième point de départ, c’est que dans la mesure où l’on prend la peine de distinguer «français» et «anglo-normand», la distinction se fera suivant des critères dits phonétiques – mais en réalité, trop souvent (ortho)graphiques. C’est l’approche classique de la morpho-phonologie (cf. Diensberg 1985). L’on repère les mots anglais provenant de l’anglo-normand par leur forme (graphies dites «anglo-normandes»), mais cela implique une régularité graphique qui nous semble fort peu assurée. Dans la même Cambridge Encyclopedia (p. 46), David Crystal dresse une liste de formes provenant du «Norman French» et de celles, plus tardives, dont la graphie révèle qu’elles proviennent par contre du «Parisian French» (laissons de côté l’imprécision voire l’inexactitude de ces désignations). Les traits distinctifs sont connus: /k/ latin non palatalisé, par exemple: calange ~ challenge; w- dit “germanique” (mais voir Möhren 2000) en face de g- (warden ~ guardian, wile ~ guile), etc. L’explication (qui remonte à Burnley 1992) n’est pas dénuée de valeur – il n’y a pas de doute que les mots français de forme anglonormande font partie d’une vague plus ancienne que les gallicismes à l’air plus continental et souvent, leurs formes les trahissent – mais l’argument reste trop souvent confiné à une discussion de la forme, sans que le sens soit discuté ou même, mentionné, et comme si les formes graphiques étaient régulières, stables, et fiables. L’ouvrage de vulgarisation de Melvyn Bragg, The Adventure of English, déclare: 300 «In the first century after the Conquest, most imported words came from Normandy and Picardy. But in Henry II’s reign (1154-89), other dialects, especially Central French or Francien, contributed to the speech of the country. So ‘catch’, ‘real’, ‘reward’, wage’, ‘warden’ and ‘warrant’ from Norman French sat alongside ‘chase’, ‘royal’, ‘regard’, gauge’, ‘guardian’ and ‘guarantee’ from Francien.» (Bragg 2003: 45). Exemple plus récent et plus scientifique, Mark Chambers, dans une étude tout à fait remarquable sur le lexique du vêtement en Angleterre médiévale (Chambers 2010), traitant du mot canevas en anglais: «We can conclude with some confidence, then, that as with many words beginning ca-, the Middle English word canevas has made its way through AngloNorman, rather than having been borrowed from a central French variety.» (Chambers 2010: 69-70; renvoie à Baugh / Cable 1993: 171). Sont cités à l’appui de l’hypothèse générale: caitif ~ chétif, cauldron ~ chauderon (n. 21). Laissant provisoirement de côté le problème – surtout dans le monde du tissu – de la Picardie, dont les villes ont fourni des mots anglais pour les tissus (arras, cambric2 < Kamerijk [nom flamand de Cambrai], lisle < Lille, ou de la Champagne: chalon, les hésitations des copistes devant ca- ~ ch- devraient inspirer de la caution. Car pour tout ce qui relève de la forme (de l’orthographe), on le sait, l’anglo-normand était très variable (voir les variantes fournies par l’AND). À cet égard, c’est peut-être le dialecte le plus chaotique de l’ancien français. Même dans le cas de certaines graphies typiquement anglo-normandes, au point où leur présence permet à elle seule de coller l’étiquette «anglo-normand» à un document, comme -aun- qui en est l’exemple le plus notoire (Kristol 1989; Trotter, à paraître b),3 ce ne sont pas des formes majoritaires en anglo-normand où, grosso modo, elles ne dépassent pas les 25% des occurrences. De surcroît, certaines des formes que l’on tient pour «anglo-normandes» sont également attestées sur une grande partie de la région d’oïl, et notamment en Picardie et en Normandie (pour les éléments picards en anglo-normand, voir Roques 1997, 2007). C’est notamment le cas pour les graphies w- ~ g-, et ca- ~ che-. Enfin, les copistes du Moyen Âge, en France comme en Angleterre, étaient souvent conscients de la valeur régionale et aussi politique de certaines graphies révélatrices, qu’ils étaient capables de modifier en fonction surtout du destinataire (Lusignan 2004; Trotter 2009b). En fait, pour canevas, la situation graphique semble relativement (et anormalement) claire: l’anglo-normand et le moyen anglais utilisent systématiquement la graphie ca-. Dans TL 2,217 par contre, sub chanevaz, glosé «Hanfleinwand» [?], plusieurs graphies sont possibles: chanevas, canevas, canevaç, chenevaus. Si les formes en ca- proviennent de textes soit picards (Les Merveilles de Rigomer [RigomerF],4 picard, du XIIIème siècle), soit anglonormands (Manières de langage [ManLangK]) ou normands (Le Bon Berger de Jean de Brie (en Normandie?), 1379 [BonBergL], cf. Möhren 1985: 133 et la 301 discussion, 141-142), l’on retrouve aussi la graphie chenevaus dans une citation d’un recueil de trouvères belges (TrouvBelg1). Godefroy (GdfC 9,67a) ajoute nombre de graphies tirées notamment de documents d’archives, et qui confirment la «régularité» des graphies palatalisées et non-palatalisées, sauf pour un chenevas rouennais de 1315. Malgré ces exceptions, la stabilité des formes anglo-normandes et continentales tend à confirmer la position de Chambers (cf. Chambers 2010: 69 n.11), tout en incitant à la prudence avant d’en tirer des conclusions trop générales.5 En dépit donc de l’exemple de canevas, j’ai abouti à la conclusion inévitable que les graphies ne sont pas – ou ne sont pas à elles seules – fiables. Pour retracer l’histoire des mots français absorbés par l’anglais, et surtout pour distinguer des mots «anglo-normands» des mots transmis par le français continental, il faudra d’autres méthodes. D’une part, il faut faire appel à la sémantique historique et d’autre part, il faut se pencher sur l’anglo-normand mais aussi sur le français continental, pour établir une chronologie convaincante; et celle-ci doit aussi inclure le latin médiéval, source fréquent de renseignements précieux au sujet des langues vernaculaires.6 Dans le présent article, il ne saurait bien entendu être question de dresser un catalogue de tous les mots concernés. Je viserai par contre l’élaboration d’une méthodologie pour traquer les transferts lexicaux en anglais. Pour chaque cas, je discuterai de manière plus approfondie d’un exemple précis. Pour prouver qu’un mot anglais d’origine «française» a bien été transmis par l’anglo-normand – somme toute, l’explication la plus plausible – il faut envisager plusieurs cas de figure qui peuvent étayer l’hypothèse de «l’anglonormandicité» du mot-source: a) mot qui n’est attesté qu’en anglo-normand (absent du français continental ou présent en tant que lexème repris de l’anglo-normand) par ex.: buket (Trotter 2009b: 160-161; Roques 2007: 287); b) mot qui existe en français comme en anglo-normand, mais dont le sémantisme anglo-normand (et par la suite: le sémantisme anglais) est spécifique: son dérivé anglais ne se comprend que s’il provient de l’anglo-normand, par ex.: dungeon (Rothwell 1998: 162) ou encore, montrant le même phénomène, motte > moat en anglais (dans les deux cas, un mot désignant une construction au-dessus de la surface est devenu le nom d’une construction souterrain);7 apareil (Rothwell 1991: 175; Chambers 2010: 64); liner/lineure (Rothwell 1992: 35; Chambers 2010: 66); c) mot qui existe en anglais, qui est apparemment d’origine française, mais pour lequel la documentation manque: par exemple, mommet en anglais dialectal (Trotter à paraître c); pour la refonte de l’OED, qui recouvre un tiers du dictionnaire, une centaine de mots d’origine apparemment française, mais pour lesquels il n’existe par – en tout cas pour l’instant – d’attestation anglo-normande, ont été identifiés (Durkin à paraître; cf. Trotter 2003). Il y a aussi bien entendu une quantité importante de mots qui ont survécu en anglais/anglo-normand tout en étant sortis d’usage en français (remembrer; 302 reherser), ou qui ont en anglais – souvent grâce à une évolution sémantique en anglo-normand – un sens inconnu sur le continent, mais cela (la question des fameux ‘faux amis’: Rothwell 1993) nous entraînerait trop loin de notre propos. Pour chaque mot, en principe, il faut une chronologie du transfert aussi exacte que possible – il faut faire de l’étymologie au sens plein du mot – mais on sait aussi que la documentation médiévale est souvent lacunaire.8 Le *très ancien français de mon schéma est souvent exclusivement documenté en Angleterre. Les mots du type (a), entièrement absents du français continental, sont assez rares – sauf pour les mots tirés de l’anglais, bien sûr – et leur identification est problématique, ne serait-ce que parce que la précocité des textes anglo-normands rend difficile toute comparaison avant environ 1200. Et il faut toujours avoir présent à l’esprit le problème des sources incomplètes. Il existe néanmoins des exemples de cette même exclusivité anglonormande, par exemple dans le cas de motley, peut-être en rapport avec medley. Motlé est attesté en anglo-normand, assez tardivement il est vrai (les seules citations connues de l’AND1 sont du registre de Henry Chichele, archevêque de Cantorbéry [RegChichJ] au début du XVème siècle, et des Rotuli Parliamentorum [RotParl1M] de la fin du XIVe siècle et du XVe aussi, auquel on ajoutera celles de LiberDonati (XVe s.) et ManLangK de 1415) avec le sens (adjectival) «variegated», depuis le XIVème siècle (AND motlé). Les attestations du mot anglais remontent à 1371 (OED). L’OED avoue que l’origine est incertaine, signale un rapport possible avec medley; et renvoie au mōtlē du MED qui, lui, propose l’étymon anglo-saxon mōt n. (1), c’est-à-dire «speck, particle, bit of dirt or foreign matter». L’OED compare motley à l’anglo-normand motlé, «although the direction of borrowing is unclear». L’OED mentionne aussi l’adjectif mottled, qui viendrait du verbe mottle, lui-même provenant du substantif et du verbe … motley, «to impart or give to (something) a particoloured or patchwork appearance; to make diverse in character; to mix incongruously». Il est difficile de croire qu’on n’a pas affaire à un dérivé de medlee (graphie qui préserve la dentale) qui existe en anglonormand depuis le XIIIe siècle, avec une gamme de sens où celui de l’anglais (cf. OED3 medley) est un élément parmi d’autres. Medley en anglais a, de surcroît, parmi ses sens celui de «of a mixed colour; variegated, motley» depuis c1350, sens également présent en anglo-normand («drap medlee» Corr Lond [ChappleLond] 210.485, lettre de 1354; «xiiij draps longez et dys doszeyns de mellez d’Oxenford» Rom 32.55 = DialFr1415K de 1415, cf. aussi ManLangK 5.36, de 1396). Meslee est bien attesté en français continental, et avec le sens «de couleur mixte» (TL 5,1651: «gemischt, mittler (Farbe); bunt, aus verschiedenen Farben»; 5,1653, part. passé comme subst.: «Stoff von gemischter Farbe»; Gdf 5,287a meslé adj.; FEW 62,159a), motlé est absent. L’existence en français continental (normand) d’une attestation de motelé (TL 6.362) «klümperig», dans la Chirurgie de Mondeville («Les causes, pour quoi les incisions sont compétentes es apostumes, si sont: [...] aucune fois que ces autres superfluités soient traites hors, si com sanc coagulé et char motelee (=caro globosa)» HMondB 2154, n’est 303 apparemment pas du même mot; et Mondeville est la seule source pour TL. Dans le glossaire, on explique le mot ainsi: «Char motelee signifie peut-être ici excroissances, fongosités au fond des abcès, à cause de 9 leur surface irrégulière, ayant l’aspect de grumeaux» (HMondB 2,303a). Du point de vue sémantique, les sens du mot anglais motley sont inclus parmi ceux de medley (OED) et il semble probable que les deux mots se sont influencés, ou encore, ne sont que des variantes d’un seul et même mot. TL meslee (5,2639) ne révèle pas cette confusion et motley est sans doute une variante essentiellement anglo-normande. Il semble en tout cas que la confusion ait eu lieu en anglo-normand. Un autre mot de la même partie de l’alphabet – choisie parce que c’est là où l’OED est partie pour la troisième édition, et c’est en même temps le point où est arrivé l’AND dans sa révision. Le mot en question est OED3 mangle v.1, lui aussi problématique à plusieurs niveaux. Le dictionnaire d’Oxford propose une étymologie anglo-normande mangler, mahangler, «to mutilate» en expliquant que le mot serait une forme de mahaignier, éventuellement influencée («reinforced») par le mnd. mangelen «to mingle». On renvoit à anglais maim < agn. mahaigner. Le dictionnaire de Joseph Wright (English Dialect Dictionary) signale l’existence de la forme manghangle dans le Northamptonshire et dans le sud-ouest de l’Angleterre,10 citant à l’appui de l’hypothèse d’un étymon anglo-normand mahangler «langtoft». Vérification faite, l’attestation en question est probablement la suivante (ChronPLangW2 1,254): Il joure la mort Oswald serra ben vengé; Il pense a destrure tay e tun regné. Donez may la cure, e je pur verité, A ws le meneray ou mort u mahanglé (vars. mahaigné, maygné). À mon avis, les variantes confirment la parenté entre mahaigner (forme bien attestée en anglo-normand et sur le continent: TL 5,777; Gdf 5,284a; FEW 16,500b) et notre ma(ha)ngler qui, lui, aura sans doute subi l’influence soit de mangoner, soit du moyen néerlandais mangelen (mais comment cette deuxième influence se serait introduite, l’OED n’explique pas). L’AND1 n’a aucune citation pour mangler (cf. par contre demangler, qui connaît aussi les formes dénasalisées (?) demagler et desmagler); mais c’est une omission, car les attestations de mangler dans TL 5,1053 (les mêmes déjà dans Gdf 5,145a) «verwunden, verstümmeln» se basent sur des citations du texte anglonormand Du Bon William Longespee (JubNRec 2,353 = maintenant [GuillLongH 360; 446]) avec un renvoi à DC mangulare (lettre de rémission de 1361, attestation glosée «vulnerare, mutilare»; cité par l’OED; le mot est absent du DMLBS), et à demangler, également JubNRec 2,341 et 3,351. Malgré l’apparition du mot dans deux dictionnaires de l’ancien français, il s’agit d’un mot irrémédiablement anglo-normand. Mais voici où tout se complique. Le FEW 304 (61,199a) propose une étymologie totalement différente et à mon sens moins probable, à savoir mánganon (gr.), «zaubermittel; werkzeug», la forme la plus pertinente en ancien français étant mangonel, «engin de guerre, catapulte». Mangler serait donc une variante de mangoner (attesté dans TL, Gdf, DMF), «Mit altem suffixtausch (-eler statt -onner) und unter semantischer anlehnung an 1 MANCUS [MANCUS «verkrüppelt» FEW 6 ,138b] ist in der französischen nordweste die gruppe b [= notre mangler] entstanden». Cette conclusion dans la «sauce» est basée sur la partie documentaire de l’article où l’on lit qu’en dehors d’estre manglé (hapax agn.) «être mutilé, estropié», il y a aussi «apik. mangler» et «estre demanglé» (tous les deux des hapax), avec en plus des attestations picardes dialectales modernes (c’est-à-dire: du XIXe) avec le même sens. Or, si la source de la documentation anglo-normande est claire (Godefroy), celle des attestations picardes (anciennes ou modernes) ne l’est pas. Résumons: si l’étymologie proposée par l’OED semble plus convaincante, le FEW (s’il a raison de proposer un élément picard) introduit un élément supplémentaire dont il faudra rendre compte et qu’il faut expliquer.11 Pour l’instant en tout cas, les attestations vérifiables sont clairement anglo-normandes et quelle que soit l’étymologie, on peut affirmer que le mot mangler et son dérivé anglais mangle, sont bien des formes provenant de l’anglo-normand, et donc transmis in situ en Angleterre. Quelles sont les conclusions à tirer de cette analyse? Premièrement et surtout: il faut revoir les occurrences dans les trois langues de l’Angleterre mais aussi, en français de France. Négliger un de ces éléments, c’est s’exposer à l’erreur. Deuxièmement, que la méthode sémantique, si elle exige plus de travail, est sans aucun doute plus fiable que le recours aux graphies variables et peu sûres. Troisième conclusion: chaque mot, comme on dit, a son histoire; dans les cas de l’anglais ou de l’anglo-normand, cette histoire sera très probablement plurilingue. Quatrième et dernière conclusion: la chasse aux voies de transmission et aux origines montre, paradoxalement peut-être, dans quelle mesure les langues de l’Angleterre médiévale sont liées les unes aux autres, et pourquoi une approche globale – onomasiologique et non pas sémasiologique? – pourrait s’avérer 12 fructueuse. **** NOTES 1 Pour une vue d’ensemble, voir Trotter à paraître a. 2 Cambric n’est attesté en anglais qu’au XVe siècle selon l’OED, et ne semble pas avoir d’équivalent (anglo-)français. L’AND sub cambre1 propose une glose «linen, cambric» («Mostrent les covrechief de seye e de kaunbre» NicBozCharV 262) mais le sens de base («hemp») semble plus probable, et l’allusion à cambric est sans doute incorrecte; voir aussi chanvre, auquel renvoie l’article cambre1. D’ailleurs le mot kaunbre chez Bozon semble être là pour la rime et peut-être pour créer un jeu de mots sur les homophones: «Des braz font la joie quant entrent la chambre / Mostrent les covrechef de seye et de kaunbre, / Attachent les boutouns de coral et de l’ambre, / Ne sessent de jangler taunt com sont en chaunbre». La base de données du projet Lexis of Cloth (cf. Chambers 2010) reprend la glose de l’AND mais avec des points d’interrogation, et relève dans le DMLBS/MED une citation «Duae tuaillae de cambric» de 1385. Je remercie Mark Chambers de m’avoir aimablement communiqué ces renseignements précieux. 3 Également attesté sur les îles anglo-normandes au Moyen Âge, cf. Goebl 1970: 263. 305 4 Les sigles entre crochets sont ceux du DEAF, voir www.deaf-page.de. 5 Cf. cependant Brüll 1913: 46: (Chenevaz) «Gebl. im Engl. unter der pik. Forme canvas ‘toile et canevas’, me. canevas». Cf. FEW 21,212a chenevas, «grosse toile de chanvre»: «mfr. nfr. canevas (seit 16 jh.)» (chronologie évidemment à revoir!). 6 Le phénomène n’est pas unique au Moyen Âge tardif. Pour une époque antérieure (variabilite occitan-latin) voir Carles 2011: 378 et n. 173, qui cite notamment Lazard. 7 De même, l’anglais dyke/ditch: dyke (et dans une certaine mesure ditch aussi) peut/peuvent désigner une construction élévée (haie, mur, banc) mais également, le fossé (OED s.v.); et éventuellement, fosse dans le toponyme Fosse Way (route romaine allant du sud-ouest au nordest de l’Angleterre), à moins que l’on ne retienne l’explication de l’OED: «perhaps so-called with reference to a defensive ditch associated with the road». 8 Un exemple classique est fourni par les surnoms qui assez souvent, sont attestés avant les noms communs qui (en bonne logique) antidatent dans la langue parlée les surnoms. Par ex.: makerellus, surnom 1115-1118, bien avant le nom commun en latin britannique (c. 1159); attesté en agn. 1140. Cf. OED3 mackerel n. 2. Tout cela est improbable et ne s’explique que par les insuffisances de la documentation qui a survécu – ou qui a été dépouillée. 9 Brüll (1913: 175) signale motley sub motel: «später motteau Cotgr.: ‘little clod; clot of congealed moisture’; Dim. von afr. mote, nfr. motte ‘petite masse de terre compacte’, dessen Herkunft unbekannt ist. Dazu ? engl. motley ‘buntscheckig’» et renvoie à mattelé (Brüll 1913: 170), «‘clotted, curdled’ bei Cotgr. Daher wird gewöhnlich [...] engl. motley abgeleitet.» 10 Wright (1898-1905), sub «MANGHANGLE, v., sb. and adj. Nhp. Dor. Som. Dev. Also in form manangle Dev. [maenae’nl.] 1. v. To mangle; to mix in a wild and confused manner. Dor. Grose (1790) MS. add. (M.) Dev. The shot ‘ad manangled ’is ’hupper leg somethin’ shocking Phillpotts Dartmoor (1896) 229. 11 Commentaire intéressant de Gilles Roques au sujet des picardismes en anglo-normand: «je suis persuadé, et de de plus en plus persuadé, qu’en avançant, et en n’établissant pas de barrières, des correspondances picard-anglo-normand se trouveront plus souvent. Il ne faut pas dire, par exemple: «c’est anglo-normand et picard, donc c’est français en général». Anglo-normand et picard représentent ensemble plus de la moitié des textes de l’ancien français; aussi le réflexe d’un chercheur est-il actuellement de dire: le mot est picard et anglo-normand, il s’agit donc forcément de français général» (Roques 2007: 293 [discussion]). 12 Pour deux tentatives dans ce sens, outre l’article de Chambers (2010), voir Trotter 2006 et Trotter 2010, pour bonnet et mazer respectivement. BIBLIOGRAPHIE Adams, J.N. (2003): Bilingualism and the Latin language, Cambridge: Cambridge University Press. Adams, J.N. 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Wright, Laura (1996): Sources of London English: Medieval Thames Vocabulary. Oxford: Clarendon Press 309 FRENCH BORROWINGS – LOGONOMIC RULES AND TRANSLATORIAL EGO IN ACTION Titela VILCEANU Université de Craiova, Roumanie 1. TRAINING HISTORICAL AWARENESS. ETYMOLOGY AND BEYOND Yallop (2004: 30) quotes Warburg (1968: 351-2) who tells the story of a lawyer’s etymological arguing about a witness's use of the word hysterical. The witness had described a young man's condition as 'hysterical'. In response, the lawyer claimed that the word came from the Greek hystera, meaning 'uterus' or 'womb'. Consequently, the young man didn't have a uterus, so he couldn't possibly be 'hysterical'. First of all, this is an example of etymological fallacy – it is out of the question that the lawyer was not aware of the word change of meaning (the original meaning is still preserved in English medical terms such as hysterectomy and hysteroscopy), he provides the explanation in order to mislead. The point is that the etymological look is indicative of a lexeme semantic evolution. Secondly, the example supports the existence of logonomic rules governing linguistic behavior as evidence of macro- and micro-context sensitivity in communication. In this respect, Crystal (1995: 170) considers that the English lexicon “is a particularly sensitive index of historical, social and technical change”, containing multilayered information: historical data, structural dimension, regional dimension, social dimension and occupational dimension. There is a long history of interest in etymology, in 'where words have come from', and many large dictionaries of English include etymological information. For much of the nineteenth and twentieth centuries, most dictionaries gave considerable prominence to historical information. The first complete edition of what is now commonly referred to as the 'Oxford dictionary' was entitled A New English Dictionary on Historical Principles, and it set out to record the history of words, not just their current meanings. 2. SOME USEFUL TERMINOLOGICAL DISTINCTIONS We shall start from Crystal’s comments (1995: 126): “When one language takes lexemes from another, the new items are usually called loan words or 310 borrowings – though neither term is really appropriate, as the receiving language does not give them back.”. Literature distinguishes between borrowing, loan, foreign word. Within this triad, borrowing is a blanket term covering all types of cross-linguistic influences, which more often than not, fill in a cultural and linguistic gap. A loan word displays a narrower sense as opposed to a foreign word and overlapping borrowing – it indicates lexicalization, i.e. assimilation at the phonological, graphemic and morphosyntactic levels. In its broader sense, a loan word is inclusive of both foreign word (non-assimilated item) and loan word. Bussmann (1996: 420ff) draws our attention to the fact that these terminological distinctions are often fuzzy and that “and foreign-word status is particularly questionable in lexicalized hybrids like anti-aircraft, regretful, megabuck”. Admittedly, the author establishes a set of criteria against which to assign the status of a lexical import: - the integral presence of the ‘foreign’ structure (which we equate to total transfer); - frequency of occurrences, irrespective of the ‘life’ of the foreign word (stability) being irrelevant: influenza (in use since the mid eighteenth century) would more likely be characterized as ‘foreign’ than, for instance, diskette, in currency only in the 20th century; - the orthographic representation. Obviously, it all depends on geopolitical factors and the cultural stance of speech communities. 3. FRENCH BORROWINGS INTO ENGLISH. THE REMOTE AND LESS REMOTE PAST Once again, we consider Crystal’s statement (1995: 126) far-reaching: “English, perhaps more than any other language, is an insatiable borrower”. Similarly, Mugglestone (2006: 73) points out that the size of the English lexicon as a whole has grown steadily over the course of time: estimates place the size of the Old English lexicon at c 50–60,000 words, and that of Middle English at 100– 125,000 (that of modern English is placed at over half a million). This expansion has occurred overwhelmingly through the transfer of words from source languages, rather than through the formation of new words out of native resources. Furthermore, according to Crystal, the French influence represents “the most significant change of direction in the history of English vocabulary” and that “by 1400 about 10,000 new lexemes had entered the English vocabulary from French and several thousand more from Latin. By the end of the Middle English period, the surviving Old English lexicon was in the minority”. In fact, a wealth of numerical data is provided: the French influx after the Norman Conquest almost doubled the lexicon to over 100,000 items, a phenomenon that the British scholar labels “the lexical conquest” (p.125). 311 It is also worth mentioning that except a few early loans in Old English, the French loans in Middle English are traditionally subdivided into two groups: an earlier group from Norman French dialect, and a later group from central French (reflecting the shift in power and influence from Normandy to Paris and the Ile de France from the thirteenth century onwards). 4. TRANSLATORIAL ACTION: A CASE OF LOGOMONIC RULES OBSERVANCE OR TRANSLATOR’S CHOICE? The analysis underpins a corpus-based approach of 176 synonymic series, more precisely it investigates French borrowings in 3 translations of Le rouge et le noir in English. The purpose is twofold: on the one hand, we aim to highlight language policies and translation ideology as controlling factors shaping translation performance (fitness for purpose) and evaluation; on the other hand, we shall prove that in some cases, French borrowings seem to be motivated by the translator’s ego, roughly equated to his/her high profile that s/he asserts in order to guide, if not to force, the readership to go beyond aesthetic pleasure. We shall exemplify in what follows: 4.1. Change at the level of denotation involving single meaning lexemes Sample 1- [1830] 1990: .. petits intérêts d’argent. (p. 23) vs. [1927] 1938: .. small financial interests. (p.11) vs. [1953] 1976: …petty financial interests. (p.24) vs. 1991: petty financial intrigue. (p.5) petite - [dans l'ordre quantitatif] qui est d'une taille inférieure à la moyenne. - [dans l'ordre qualitatif] qui implique un trait minoratif. small – comparatively less than another or than a standard OE smael. petty - having little worth, importance, position, or rank; trifling; inferior. The term is a French borrowing in Middle English < OF petit, strictly referring to quality. The two synonyms differ in point of denotation, small including both quantity and quality. Under the circumstances, petty is the optimal equivalent of petit. Sample 2- [1830] 1990. ... est un des ceux qui étonnent de plus. (p.22) vs. [1927] 1938: … is one of the industries that most astonish. (p. 10) vs. [1953] 1976: But what most amazes ... (p. 23) vs. 1991: …which … finds most surprising. (p. 4) étonner - surprendre par quelque chose d'extraordinaire ou d'inattendu. to astonish - to affect with wonder and surprise; amaze; confound. The term started to be widely circulated since the 16th century, coming from Old French < OF estoner < Lat. ex+tonare. to amaze – to overwhelm, as by wonder or surprise; astonish greatly. The term is of of Anglo-Saxon origin, being recorded in OE (< OE veche āmasian). to surprise - to cause to feel wonder or astonishment because unusual or unexpected. The term is a French borrowing in late ME < Fr. surprendre. 312 The 3 synonyms differ at the denotative level, where surprise is characterised by [+unusual or unexpected] and amaze indicates intensity. The heteronym of étonner is to surprise. Sample 3 -[1830] 1990: ... voyageur parisien est choqué .... (p.22) vs. [1927] 1938: … the visitor from Paris is annoyed …. (p.10) vs. [1953] 1976: … a visitor from the larger world of Paris would quickly note, and be repelled … (p. 24) vs. 1991: … the traveller from Paris is shocked ... (p. 4) voyageur - personne voyageant seule ou en groupe par goût de l'aventure, du dépaysement et dans un but de détente et de loisir. traveller – one who travels or journeys from place to place. The term, on record in ME, originates in the verb to travel, a borrowing from French < Fr. Travail. In this case, we witness a shift in meaning. visitor - one who visits, as for reasons of friendship, courtesy, on business, etc. It is a French borrowing in late ME < Fr. visiteor. Traveller and visitor differ denotatively: visitor has the trait [+reasons of friendship, courtesy, on business]. The heteronym of voyageur is traveller. Sample 4 -[1830] 1990 : .. à ce qu’on prétend, établi dans le pays.... (p. 23) vs. [1927] 1938: …or claims to have been established in the country ... (p.11) vs. [1953] 1976: … so it is said ..established… before this province ... (p.24) vs. 1991: … it is said …in the region... (p.5) prétendre - revendiquer, poursuivre quelque chose comme un dû, comme la rétribution nécessaire d'une certaine activité, position ou qualité. to claim - to demand on the ground or The term comes from French < OF clamer < Lat. clamare. Most likely, the connotation associated with the original term has integrated to the denotation. to say - to pronounce or utter; speak. The term is of Anglo-Saxon origin < OE secganthe former being characterised by [+on the ground or right]. To claim is the heteronym of prétendre. Sample 5 - [1830] 1990 : ... un immense mur de soutènement ... (p.26) vs. [1927] 1938: …, a huge retaining wall … (p. 14) vs. [1953] 1976: … a huge supporting wall … (p.27) vs. 1991: …a massive retaining-wall … (p.7) immense – dont les dimensions sont si vastes qu'elles semblent illimitées. huge – having great bulk; vast. The ME term comes from French < Fr. ahuge. massive – constituting a large mass; ponderous; large. The French borrowing dates back to ME < Fr. massif. The two synonyms differ denotatively, huge showing higher intensity. The heteronym of immense is huge. Sample 6 - [1927] 1938: … a sound in the corridor… (p. 156) vs. [1953] 1976: … a noise in the corridor …. (p. 135) vs. 1991: … a noise in the corridor... (p. 125) bruit - ensemble de sons, d'intensité variable, dépourvus d'harmonie, résultant de vibrations irrégulières. sound – noise of any specified quality. The ME term was borrowed from Latin via French: < OF son. < Lat. sonus. noise - a sound of any kind, especially a loud or disturbing sound. The ME term is a French borrowing < OF noyse. 313 The two lexemes differ denotatively, noise being marked by [+loud or disturbing]. The heteronym of bruit is noise. 4.2. Change at the level of denotation involving multiple meaning lexemes Sample 4 pays - division territoriale habitée par une collectivité, et constituant une entité géographique et humaine. country - a land under a particular sovereignity or government, inhabited by a certain people, or within definite geographical limits.. The term was borrowed from French in ME < OF contree < Lat. contrata. province – any large administrative division of a country with a permanentt local government. The transfer from Latin in ME is mediated by French < Lat. provincia. region - a portion of territory or space; a country or district. The term, a ME borrowing, is of French origin < Fr. veche regiun < Lat. regio. It is worth mentioning that province is a multiple meaning lexeme, also entering the synonymic series of field, domain. Country is the hyperonym of province and region, while province and region are differentiated through [+permanent local government]. The heteronym of pays is country. 4.3. Change at the level of connotation involving single meaning lexemes Sample 3 choquer – fig. [avec l'idée de blesser moralement, de déplaire ou de scandaliser] offenser en heurtant les idées, les habitudes. to shock – fig. to disturb the emotions or mind of; horrify, disgust. The term was borrowed in late ME < Fr. choquer (meaning donner un choc, faire se heurter des choses, this primary meaning is obsolete in E). to annoy - to be troublesome to; bother; irritate. The term dates back to 12501300: < OF anoier, anuier < Lat. in odio (French mediated the transfer from Latin). to repel - to cause distaste or aversion. The term originates in ME from < Lat. repellere. It is also a specialised item preserving the original meaning. The three synonyms differ denotatively: to shock and to repel are featured by [+ disgust/aversion], as well as connotatively, differing in point of register (fieldrelated variation). Moreover, at the denotative level, to shock indicates higher intensity. The heteronym of choquer is to shock. Sample 7 - [1830] 1990 : .. mon affreuse aventure fera le plus extrême plaisir.(p. 151) vs. [1927] 1938: … “my appalling misfortune will give the most intense pleasure. (p. 160) vs. [1953] 1976: …every one will be intensely gratified by my frightful misadventure. (p. 140) vs. 1991: … “will get the greatest enjoyment from my frightful misadventure.” (p. 130) affreuse - qui inspire ou est propre à inspirer tous les degrés de l'horreur ou de l'angoisse douloureuse. 314 appaling – causing or apt to cause dismay or terror. The term was borrowed in ME from French < OF apallir. frightful – apt to induce terror; shocking. This obsolete item is of Anglo- Saxon origin, deriving from the noun fright in ME. The synonyms differ denotatively - appaling seems to express a higher degree, and connotatively – at the diachronic level. The heteronym of affreuse is frightful. 4.4. Change at the level of denotation and connotation involving single meaning lexemes Sample 8 - [1830] 1990 : Une voix douce prononçait ... (p.27) vs. [1927] 1938: A gentle voice then uttered ... (p. 16) vs. [1953] 1976: … a gentle voice called out …. (p.29) vs. 1991: A gentle voice was then heard calling... (p.9) prononcer - énoncer un propos par la parole physiquement articulée avec l'intention de le communiquer et d'appeler éventuellement une réponse ou une réaction. to utter – to give out or send forth with audible sound; express; say. The lexeme has been circulated since Middle Ages, and derives from < Fr. outre. To utter is marked for the formal style. to call out- to call with the fullest volume of sustained voice. to call – to send out the voice in order to attract another’s attention, either by word or by inarticulate utterance. The term is of Scandinavian origin and it is recorded in OE. The lexemes differ denotatively (to call out indicates higher intensity) and connotatively (register-related variation). The heteronym of prononcer is to utter. Sample 9 - [1927] 1938: …to make him angry … (p. 156) vs. [1953] 1976: … just to vex him… (p. 136) vs. 1991: … to annoy him ... (p. 126) irriter – mettre dans un état d'énervement pouvant aller jusqu'à la colère. to make angry - v made up of the copulative verb make and the adjective angry. to vex – to provoke to anger or displeasure by small irritations; irritate, annoy. The term, recorded in ME, was borrowed from Latin via French: < OF vexer < Lat. vexare. Vex is obsolete. to annoy – to be troublesome to; bother; irritate. It is transferred from Latin via French: < OF anuier, anoier < Lat. in odio. The lexemes have different denotations, to vex indicating a smaller degree, and connotatively, they belong to different time spans (diachronic variation). The heteronym of irriter is to annoy. Sample 7 plaisir– état affectif agréable et durable. pleasure – an agreeable sensation or emotion, gratification; enjoyment. It was transferred from French in ME < OF plaisir. gratification – the act of gratifying; a satisfying or pleasing. The lexeme, dating back to ME, was borrowed from Latin via French < Fr. gratifier < Lat. gratificari. It belongs to the formal style. enjoyment – the act or state of enjoying; pleasure. It is a French borrowing, recorded in ME < Fr. veche enjoir. 315 The three terms display different connotations – in point of level of formality.The heteronym of plaisir is pleasure. 4.5. Change at the level of denotation and connotation involving multiple meaning lexemes Sample 10 - [1830] 1990 : ... il ne rapporte pas de revenu. (p.26) vs. [1927] 1938: … it yields a return.” (p. 15) vs. [1953] 1976: … it doesn’t bring in money. (p. 28) vs. 1991: … it doesn’t bring in money.” (p. 8) revenu – profit en nature ou en argent qui revient à un individu, à un groupe d'individus, à une institution, pour une période déterminée, à titre de rente ou de rémunération de son activité. return – that which accrues, as from investments, labor, or use, profit. The item is recorded in ME, coming from French < Fr. returner. Furthermore, return is a technical term belonging to the economic vocabulary and to the formal style. It is also a multiple meaning term, its primary meaning being coming back, reapparance. money – anything that serves as a common medium of exchange in trade, as coin or notes. The term is a dictionary entry for ME, its transfer from Latin being mediated by French: <OF veche moneie < Lat. moneta. Return and money differ at the level of denotation - money is shaped by [+medium of exchange], and connotatively – return belons to the formal style and is a specialised term (field-related variation). The heteronym of revenu is return. 5. CONCLUSIONS The problem of synonymy in the translation of Le Rouge et le Noir in English is basically a problem of heteronyms (considered as optimal equivalents) and of potential equivalents. Obviously, in the series of synonyms, only one of the synonyms in the series is the heteronym of the French term. Therefore, the question of the translators’ motivation in choosing the equivalents arises. Statistically, the largest number of heteronyms appears in the first translation, and the second translation has the fewest. The first and the third variants show similar preferences for the choice of optimal equivalents while in the second one, optimal equivalents are met in cases when potential equivalents appear in the other two translations. Most of the terms of the synonymic series were borrowed from French or Latin in Middle English, and French mediated the transfer in many cases. Furthermore, the heteronyms are largely of French origin. In some instances, both synonyms are of French origin, but one of them has acquired a different connotation. We should also note that there are cases when the term which was borrowed from French narrowed its meaning. Contrary to the widespread belief that connotative synonyms are most frequent, the majority of the analysed lexemes differ at the denotative level. To put it in a nutshell, meaning is not isomorphic across languages. 316 NOTE 1. Logonomic rules are defined as “very high-level rules governing discourse in a particular setting”, and failure to observe them will provide “evidence of your inadequate communicative competence” (Trask 1999: 118) BIBLIOGRAPHY Bussmann, Hadumod (1996): Routledge Dictionary of Language and Linguistics (translated and edited by Trauth, G. and Kazzazi, K.), London and New York: Routledge. Crystal, David (1995): The Cambridge Encyclopedia of the English Language, Cambridge: CUP. 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