ÉDITORIAL IlliS mldecine/sciences 1987 ; 3 : 66-7 e problème mondial posé par la résistance des bactéries aux antibioti­ ques est devenu une évidence, mais demeure mal cerné. En effet, l'appro­ che du phénomène s'est développée au cours des quinze dernières années Professeur de microbio­ dans des disciplines différentes qui, malgré quelques tentatives de biogie médicale, université synthèse, restent malheureusement très éloignées les unes des autres. Pierre et Marie-Curie, Pour le médecin, le cas individuel ou l'épidémie meurtrière dus à l'absence d'effet Paris. thérapeutique d'antibiotiques éprouvés sont la preuve que la résistance des bac­ téries pathogènes aux antibiotiques est une réalité qui appelle une solution. Les exemples en sont maintenant très nombreux, aussi bien dans des infections hos­ pitalières que dans des infections « de ville » . D e telles observations sont toutefois, pour différentes raisons, plus fréquentes RÉFÉRENCES ---- dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Les pays développés disposent toujours de nos jours d'un antibiotique actif pour traiter 1 . APUA Newsletter. Alliance un ou plusieurs cas, pour éventuellement contrôler l'extension d'une épidémie for the Prudent Use of Antibio­ due aux germes les plus multirésistants. En revanche, dans les pays en voie tics. P.O. Box 1372. Boston, de développement, le retard au diagnostic bactériologique et les difficultés d'appro­ MA 021 1 7- 1 3 72 USA. visionnement en produits actifs permettent au phénomène d'atteindre une ampleur 2. OMS. Surveillance of antimi­ et une gravité parfois dramatiques. Il faut ajouter à cela que, pour des raisons crobial resistance. Rapport 1982. mal connues, les variétés résistantes des bactéries pathogènes communes (pneu­ Who, BV1 , Pha, Ant, 82.2. mocoques, gonocoques, Salmonella typhi, Shigella . . . ) se sont souvent et d'abord sélectionnées dans les pays en voie de développement. Les différences selon les 3 . OMS. Antimicrobial resis­ tance. Rapport 198 1 . Who, pays dans la gravité, voire le caractère spectaculaire des problèmes médicaux, BV1 , Pha, Ant, 82. 1 . occultent d'une certaine façon la similitude des phénomènes bactériologiques. De plus, la dimension clinique réelle de la résistance bactérienne n'est perçue 4 . O'Brien TF, Acar JF. Anti­ que de façon très indirecte. En effet, il n'existe aucun suivi régulier de l'effica­ biotic resistance worldwide. ln : The Antimi&TObial Agents AnnuaV2. cité thérapeutique d'un antibiotique . La preuve de l'activité clinique d'un anti­ Amsterdam : Elsevier Science biotique n'est requise que pour sa commercialisation. Une fois celle-ci effectuée, Publishers BV, 1986 (à paraître). le médecin prescripteur ne suit l'évolution de l'activité du produit qu'à travers des données parcellaires : observations isolées d'échecs thérapeutiques, souvent ADRESSE ---- anecdotiques ; épidémies survenant en pays lointain et qui sont attribuées à la résistance à un antibiotique donné ; relevés bactériologiques dont l'échantillon­ J . -F. Acar : laboratoire de nage est souvent biaisé et ne témoignant évidemment que de manière indirecte microbiologie médicale, hôpital du résultat clinique. Cette absence de suivi clinique du bien-fondé de la pres­ Saint-Joseph, 7, rue PierreLarousse, 75674 Paris Cedex 14-. cription antibiotique est responsable de l'apparence « d'accident » que la résis- Jacques F . Acar - 66 RÉSISTANCE DES BA CTÉRIES, PROBLÈME MONDIAL L m/s n• 2 vol. 3, flvrier 87 tance bactérienne prend pour le ries animales et de l'environne­ clinicien. En fait, la résistance au ment, leur rôle éventuel de réser­ traitement habituel d'une espèce voir de plasmides, les mécanismes bactérienne responsable d'infection de résistance dans les microorga­ commune passe inaperÇue jusqu'à nismes producteurs d'antibioti­ quinze pour cent environ de sou­ ques, le transfert des bactéries ches résistantes ; au-delà, à moins animales à l'homme, le rôle sélec­ d'une extension épidémique des teur des antibiotiques et leur souches, des observations isolées impact écologique. peuvent attirer l'attention mais ne es voies de passage entre rendent évidemment pas compte ces différentes façons de 1' ampleur du phénomène et d'appréhender les problè­ mes bactériologiques sont contribuent rarement à modifier les habitudes de prescription. La en fait du domaine de résistance bactérienne est perçue 1' épidémiologiste. L'épidémiologie par le médecin comme « acciden­ devrait être la discipline par telle » et, de ce fait, ne le motive laquelle s ' ordonne la masse que par à-coups selon l'événement énorme d'informations accumulées observé en temps et lieu. maintenant dans le monde. Bien l'opposé, pour le bio­ des problèmes en bactériologie logiste moléculaire, la exigeraient que puissent être inté­ dimension du phéno­ grées les données médicales, vété­ mène est autre . Il rinaires et biologiques. s'agit d'un phénomène Les exemples des investigations complexe et mouvant, sans dis­ qui bénéficieraient d'une telle continuité, qui intéresse toutes les approche multi-disciplinaire sont bactéries dans le monde entier. nombreux : le suivi des résistan­ Ses travaux portent sur tel déter­ ces bactériennes simples ou com­ minant génétique de la résistance, binées ; l 'appréciation de l'impor­ son origine, son devenir parmi les tance respective des sélecteurs, de autres cellules bactériennes, sa dis­ la dynamique de la dispersion et tribution, voire son épidémiologie. de la parenté des gènes de résis­ Ses résultats sur la circulation de tance ; l'analyse des interrelations l'information génétique, les limi­ microbiennes conduisant à 1' émer­ tes de sa stabilité, son expression gence de microorganismes résis­ chez différents hôtes et sa diver­ tants et des facteurs qui gouver­ sité pour un même phénotype nent l 'accroissement des souches dépassent le champ de la résis­ résistantes, puis leur stabilisation tance aux antibiotiques pour ou leur diminution ; l'évaluation, mieux explorer la génétique cel­ enfin, de la compatibilité entre le pourcentage de résistance aux lulaire dans son ensemble. Cette différence de nature dans antibiotiques et les besoins théra­ 1'appréhension des mêmes phéno­ peutiques d'un hôpital ou d'un mènes entre cliniciens et biologis­ pays. tes explique les difficultés ou les Quelques réalisations parcellaires malentendus dans leurs demandes démontrent que de tels travaux ne respectives. L'un voudrait que sont pas utopiques. Il y a toute­ l'on sache prévoir et contrôler fois encore beaucoup d'aspects l'émergence du prochain .caractère techniques et humains à résoudre, de résistance, l 'autre voudrait et beaucoup de motivations à sou­ que, par un abord plus complet tenir en reconnaissant que la des bactéries pathogènes ou non, résistance aux antibiotiques existe on lui permette de mieux cerner partout et dans tout le règne bac­ les espèces qui pourraient appor­ . térien, que ses conséquences sur ter la clef de l'origine des résis­ la santé publique se mesurent et tances et de leur dispersion. . . Il que son contrôle passe par s'adresse aussi aux vétérinaires et l 'analyse des situations particuliè­ aux agronomes dont le champ res, sans place pour un retour d'exploration ajoute des informa­ paradisiaque vers un monde sans tions sur la . résistance des bacté­ antibiotiques et sans résistance • L A m/s n • 2 vol. 3, flvrier 87 67