Accès au document en ligne

publicité
Contexte
Réflexion proposée par Olivier Vanderhaegen - Fonctionnaire de Prévention à Uccle
et maître-assistant en histoire et philosophie à la Haute Ecole Paul-Henri Spaak.
Pour une approche philosophique de la notion de genre
Le concept de genre étant relativement récent, on ne peut remonter bien loin
dans l’histoire de la philosophie. On peut cependant regretter le caractère misogyne de
la philosophie, dominée par les hommes depuis l’Antiquité. Néanmoins, on peut partir
de l’expression de Simone de Beauvoir dans son ouvrage célèbre de 1949, le Deuxième
sexe : « On ne nait pas femme, on le devient », ce qui signifie que l’on nait femelle mais
qu’on devient femme comme catégorie socialement définie.
1°/ Le sexe précède le genre (comme sexe social) - Le sexe naturel et anté-social
précède le genre socialement construit
Dans la foulée de Simone de Beauvoir, on a considéré pendant longtemps que le
Genre était le sexe social, soit issu d’une construction sociale. Cette définition pose
cependant de nombreuses questions pour lesquelles les réponses sont multiples : En
quoi est-ce une construction sociale ? Qu’est ce qui est construit réellement ? Si il y a du
construit, y-a-t-il du naturel ? Est-ce l’obligation pour les hommes d’être masculins et les
femmes féminines ? Le fait qu’il y ait des hommes et des femmes et que l’on ne puisse pas
être l’un et l’autre, ou ni l’un, ni l’autre ? On le comprend donner un sens définitif au
concept de genre s’avère difficile voire impossible.
Le genre comme « sexe social » concerne les différences sociales entre hommes et
femmes qui ne sont pas directement liées à la biologie. Le genre permettrait donc
d’appréhender la différenciation des rôles sexués comme quelque chosed’autonome
c’est-à-dire comme irréductible à des lois biologiques. Le biologique et le social sont
deux domaines distincts, et l’on peut conclure que les inégalités entre hommes et
femmes n’ont rien de naturelles mais sont arbitraires car socialement construites.
Il y aurait donc d’un côté le biologique, le donné, le naturel sur lequel vient se
superposer le social, le construit et le culturel. Les deux domaines sont donc
appréhendés comme indépendants l’un de l’autre. Le sexe biologique serait un invariant,
le genre ou sexe social serait contingent, soit modifiable, transformable et variable selon
les sociétés et les cultures. En tant que construction sociale, le masculin et le féminin ne
sont pas des catégories figées, singulières et immuables. Le genre agirait donc plus
comme un processus ; processus qui permet à l’individu d’intérioriser les normes et les
codes sociaux relatifs au masculin et au féminin.
S’il existe deux sexes naturels ou biologiques, il existe également deux genres sociaux
masculin et féminin qui viennent s’y superposer.Le genre permet donc de dénaturaliser
les rapports entre les sexes et en faire l’objet d’une action politique. Cela a produit un
terrain fertile pour le féminisme qui tend à voir dans le genre comme construction
sociale, un indice de la domination masculine, du patriarcat et de la hiérarchisation des
sexes qu’il faut combattre.
Cependant l’analyse du genre comme ce qui est socialement construit dans les
différences entre les sexes permet plusieurs interprétations : à titre d’exemple, il faut
distinguer le « rôle de genre » qui désigne les comportements publics d’une personne
(une personne s’identifie socialement à un homme ou une femme) et « l’identité de
genre » qui renvoie à l’expérience privée qu’une personne à d’elle-même (Est-ce que je
me définis moi-même comme homme ou femme).
Une des questions lancinantes qui a traversé la philosophie est de savoir lorsque l’on
compare sexe et genre, est-ce que l’on compare du naturel et du social ? Penser le genre
comme la part sociale du sexe signifie qu’une fois que l’on a isolé le genre du sexe, on
atteindrait un vrai sexe biologique, purement naturel qui soit pré-social » ou « nonsocial ». On postule donc qu’il existe une nature stable et antérieure au genre, soit un
sexe qu’il faut construire socialement, qu’il existe une nature pré-culturelle susceptible
de se plier à la construction sociale.
2°/ Critique du naturel – Le genre précède le sexe car il détermine les sexes - Le
genre n’exprime pas la part sociale de la division des sexes, mais exprime la
division des sexes elle-même.
On peut remettre en cause cette idée qu’il existe une base naturelle et biologique des
sexes sur laquelle le genre viendrait se surajouter ou se superposer. On peut concevoir
que le genre (sexe social) n’est pas déterminé par le sexe et le sexe n’est plus conçu
comme une réalité naturelle. Le genre ne serait donc pas le sexe social. En réalité on
peut concevoir le sexe comme social ou déjà social : le genre serait donc un système qui
engendre la distinction entre les sexes. Le sexe en lui-même ne serait rien : il s’agit d’une
différence parmi d’autres entre les individus qui tire sa signification du genre. Le genre
serait donc un principe d’organisation sociale qui crée la différenciation des sexes : le
genre construit les sexes. Le genre est pensé comme un diviseur, un système de relations
sociales produisant deux sexes posés comme antagonistes. Le genre est le marqueur de
la division sociale qui fait exister hommes et femmes comme groupes distincts : le genre
précède le sexe car le genre crée le sexe anatomique en transformant en distinction
pertinente pour la société une différence anatomique dépourvus d’implications sociales.
Entrons plus dans le détail : On peut objecter qu’affirmer que si le genre précède et
détermine le sexe, qu’en est-il du corps physique et de sa matérialité biologique ? Nous
avons tous un corps, certes, il s’agit d’une réalité insurmontable. Mais identifier le sexe
de quelqu’un n’est pas toujours si évident et l’on peut même dire que les critères pour
expertiser/identifier le sexe varie selon les cultures et l’histoire (hormones, anatomie,
ADN, gonades…). La question est pertinente pour les individus qui sont sexuellement
indéterminés (intersexes). Lorsqu’un médecin doit définir le sexe d’un enfant intersexe
ou qu’il doit pratiquer une opération chirurgicale, le choix du sexe est souvent
déterminé par plusieurs critères liés à la nécessité sociale de distinguer les hommes et
les femmes. (capacité à uriner, tailles des organes génitaux, capacité à avoir des
enfants…). On peut donc conclure que le sexe, jusque dans sa matérialité est construit
par le genre. En effet le sexe est un ensemble de données et ne se limite pas à un seul
élément. Il existe donc plusieurs données dont la matérialité biologique est
incontestable mais qui ne suffisent pas à déterminer le sexe en tant que tel. Le sexe est
donc quelque chose de complexe car si les éléments qui le composent sont d’ordre
biologique, le travail par lequel ces éléments sont reliés est social. Le sexe est donc un
ensemble de données hétérogènes qui sont unifiées et réduite à une seule donnée ellemême transformée en réalité binaire (homme-femme). Les différences anatomiques
homme – femme indépendantes l’une de l’autre sont constituée en réalité pertinente et
appréhendable par le genre.
Le genre divise donc l’humanité en deux groupes distincts (hommes et femmes) etla
différence des sexes peut ainsi être définie comme un phénomène « biosocial ».
3°/ Déconstruction du genre
Le problème est que lorsque l’on parle de sexe, on ne se limite pas à la réalité
anatomique mais nous identifions ou nous faisons correspondre un groupe de
personnes à leurs attributs génitaux (groupe des femmes / groupes des hommes).
Ce qui est socialement construit, c’est l’obligation sociale de se voir assigner un sexe à la
naissance. Pour être cohérent, la société nous impose de posséder un sexe stable
exprimé parun genre stable. De même, ce qui est socialement construitc’est de faire
correspondre un sexe donné à des stéréotypes de genre : il n’y a pas là de nécessité
biologique à cette correspondance mais une obligation sociale. Sexe et genre sont donc
liés par une convention sociale.C’est ce qu’on appelle le continuum physico-social.
Appartenir à l’humanité signifie donc appartenir à l’une des deux classes d’être naturels
qui la composent : les hommes ou les femmes. Nous définir comme homme ou femme,
implique donc de nous classer dans l’humanité. La question est de savoir quel est le
statut de toute une série d’individus tels les transsexuels, les transgenres, les intersexes,
les travestis, les hommes efféminés ou les femmes masculines…ou toutes les personnes en
questionnement par rapport à leur sexe ou leur sexualité. Faut-il les exclure de
l’humanité étant donné qu’ils n’entrent pas dans lescatégories de sexes socialement
définies ? (ex. des transsexuels nés dans un « mauvais corps » et pour lesquels on fait
tout pour les rendre normaux soit faire correspondre via une opération chirurgicale leur
sexe biologique à leur genre).Que faire donc de tous les individus qui ne répondent pas
aux normes de genre ?
Certains mouvements ont ainsi tenté de remettre en cause l’idée d’une relation naturelle
entre sexe et genre. Ils visent à travailler l’identité sexuelle et à troubler les
représentations sociales en rompant la bi-catégorisation qui ne tolère que deux sexes et
rompt la nécessité sociale entre sexe et genre, le continuum physico-social entrer sexe et
genre. L’objectif est de ne pas enfermer des minorités dans des catégorisations
définitives ou des essences qui les oppriment. L’objectif est donc de déconstruire la
notion de genre pour subvertir les normes sociales qui s’y attachent.
Bibliographie
Pour la réalisation de ce résumé, les ouvrages suivants ont été utilisés :
-
Isabelle CLAIR, Sociologie du Genre, Paris, 2012
E. NEVEU et C. GUIONET, Féminin/Masculin, Sociologie du Genre, Paris, 2009
(2eme éd)
J. BUTLER, Trouble dans le genre, Paris, 2006 (Trad de l’américain Gender
Trouble)
S. CHAUVIN, A. JAUNART, A. REVILLARD, Introduction au Gender Studies,
Bruxelles, 2008 (1ere éd.)
E. DORLIN, Sexe, genre et sexualités, Paris, 2008
Téléchargement