Séance 9 : Le mystère de l`Eglise

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Séance 9 : Le mystère de l’Eglise
Le concile Vatican I, interrompu prématurément à cause de la guerre franco-allemande, n’avait pas
pu mener à son terme sa synthèse ecclésiologique. L’un des objectifs du concile Vatican II était de
reprendre le fil d’alors, afin de chercher une vision globale de l’Eglise. Je vous cite le point de vue de
Joseph Ratzinger quant à l’ordre qui sous-tend l’ensemble des quatre constitutions conciliaires et qui
constitue sa thèse fondamentale quant à la réception du concile, réception qui aujourd’hui fait tant
débat dans notre Eglise (citation d’une conférence de Joseph Ratzinger donnée au congrès
international d’études sur la mise en œuvre de Vatican II qui s’est tenu en février 2000) :
Vatican II a clairement voulu inscrire et subordonner le discours sur l’Eglise au discours sur Dieu : il a voulu
proposer une ecclésiologie au sens proprement « théo-logique », mais la réception du concile a jusqu’ici
négligé cette caractéristique qualificative en faveur de seules affirmations ecclésiologiques particulières.
Elle s’est jetée sur des paroles particulières qu’il était facile de rappeler et, ainsi, elle est restée en deçà des
grandes perspectives des Pères conciliaires.
On peut dire quelque chose d’analogue à propos du premier texte que Vatican II a mis au point : la
constitution sur la liturgie (Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963). Le fait qu’elle était située en
premier lieu a eu, au début, des motifs pragmatiques. Mais rétrospectivement, on doit dire que, dans
l’architecture du concile, cela a un sens précis : au commencement il y a l’adoration, et donc Dieu. Ce
commencement répond à la parole de la règle bénédictine : « Operi Dei nihil praeponatur » (« On ne
préférera rien à l’œuvre de Dieu » : règle de saint Benoît 43, 3).
La constitution sur l’Eglise (Lumen Gentium, 21 novembre 1964), qui suit comme second texte du concile,
devrait alors être vue comme intimement liée à la constitution sur la liturgie. L’Eglise se laisse conduire
par la prière, par la mission de glorifier Dieu. Par sa nature même, l’ecclésiologie a quelque chose à voir
avec la liturgie. Alors il est donc logique que la troisième constitution traite de la Parole de Dieu, qui
convoque l’Eglise et la renouvelle en tout temps (Dei Verbum, 18 novembre 1965). La quatrième
constitution (Gaudium et Spes, 7 décembre 1965) montre comment la glorification de Dieu se présente
dans la vie active, comment la lumière reçue de Dieu est portée dans le monde et montre que c’est
seulement ainsi que le monde devient totalement glorification de Dieu.
I.
Plan de la constitution Lumen Gentium (21 novembre 1964) : 8 chapitres
Quelle est la nature de l’Eglise ? D’où vient-elle, son origine ? Où va-t-elle, sa finalité ? Clef de voûte
des textes conciliaires, cette constitution a été adoptée à la quasi-unanimité. Elle se déploie en 4
temps :
-
l’Eglise comme mystère et non pas comme simple institution juridique et humaine ;
sa structure organique : la hiérarchie et le laïcat ;
sa mission essentielle : la sanctification du peuple de Dieu ;
sa dimension eschatologique avec la figure de Marie (l’eschatologie désigne la doctrine des
fins dernières de l’homme et du monde).
Entre ces 4 temps et 8 chapitres, il y a vraiment un mouvement : on part de l’Eglise née dans
le cœur de Dieu pour, au terme de son incarnation, rejoindre Dieu, comme le Christ.
1
1. Le mystère de l’Eglise (n° 1-8)
L’Eglise est dans le Christ « en quelque sorte » le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen
de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. A cet égard l’Eglise est une
servante – pour reprendre le titre de la dernière lettre pastorale du cardinal Barbarin - elle est le
prolongement du Christ qui vient servir l’humanité. L’expression « en quelque sorte » vient rappeler
que c’est Jésus-Christ sauveur qui est le sacrement primordial, et que l’Eglise ne fait que le
représenter, en attendant sa venue dans la gloire.
2. L’Eglise peuple de Dieu (n° 9-17)
Les Pères conciliaires insistent sur l’unité de l’Eglise comme annonce de celle du genre humain
appelée à se réaliser. Voilà pourquoi c’est la notion de peuple de Dieu qui apparaît en premier lieu,
avant de regarder la distinction des ministères (clercs, laïcs, religieux). Ce peuple de Dieu est en
marche avec toute l’humanité. Il vit du sacerdoce commun des baptisés qui est participation à celui
du Christ prêtre, prophète et roi (cf. ci-dessous § 4 sur le laïcat). Ce chapitre souligne :
-
la vocation du peuple de l’Alliance (cf. extrait ci-dessous, LG n° 9) ;
le sacerdoce des baptisés et celui des ministres ordonnées (diacres, prêtres et évêques) ;
les différents modes de relation à l’Eglise : les catholiques, les chrétiens non catholiques, les
chercheurs de Dieu non-chrétiens ;
l’activité missionnaire de l’Eglise.
3. La constitution hiérarchique de l’Eglise et spécialement l’épiscopat (n° 18-29)
L’épiscopat est compris comme prolongement dans le temps de la charge des apôtres. C’est autour
de lui que s’articulent les autres ministères (prêtres et diacres). Les évêques président au nom et
place de Dieu le troupeau dont ils sont les pasteurs par le magistère doctrinal (pouvoir d’enseigner
confié par Jésus-Christ aux apôtres et détenu, dans l’Eglise catholique, par le pape et les évêques), le
sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement, ce que l’on appelle les trois munera :
l’enseignement, la sanctification, le gouvernement.
4. Les laïcs (n° 30-38)
On demande aux clercs de collaborer avec les fidèles laïcs (n° 30 et 37). Une définition du laïcat est
donnée (n° 31). Les laïcs sont invités à vivre des trois fonctions du Christ sacerdotale (offrande de
soi), prophétique (annonce de la bonne nouvelle du salut/participation à l’action évangélisatrice),
royale (service auprès des autres dans l’Esprit du Christ).
5. L’appel universel à la sainteté (n° 39-42)
L’Eglise est sainte aux yeux de la foi, puisque le Christ s’est livré pour la sanctifier. Aussi dans l’Eglise
tous sont appelés à la sainteté. Le Seigneur a enseigné à tous : « Vous donc soyez parfaits comme
votre Père céleste est parfait ». L’Esprit est donné à tous pour les pousser à aimer Dieu de tout leur
cœur, de toute leur âme, de toute leur intelligence et de toutes leurs forces, et aussi à s’aimer
mutuellement.
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6. Les religieux (n° 43-47)
C’est dans la suite de l’appel universel à l’exercice multiforme de la sainteté que va s’insérer celui de
la vie religieuse, caractérisée par la profession des conseils évangéliques de chasteté vouée à Dieu,
de pauvreté et d’obéissance. La vie consacrée est un signe pour tous les fidèles rendant visibles outre
l’imitation de la vie du Christ, le témoignage des réalités célestes.
7. Le caractère eschatologique de l’Eglise en marche et son union avec l’Eglise du ciel (4851)
L’Eglise en marche sur cette terre trouvera son accomplissement au ciel. La Trinité source de l’Eglise,
en est aussi le terme. Ce chapitre met en lumière le caractère provisoire de l’Eglise visible. Elle ne
s’identifie pas avec le Royaume, mais en constitue la forme initiale. Elle est tendue entre le don déjà
reçu et la promesse pas encore réalisée.
8. La Vierge Marie dans le mystère du Christ et de l’Eglise (n° 52-69)
Marie prend place, non pas à côté, mais au cœur du peuple des croyants, comme la parfaite
réalisation pour une créature de la communion avec Dieu, qui est le mystère même de l’Eglise, ce
pourquoi elle a été créée.
II.
L’ecclésiologie de Vatican II
Depuis le Concile Vatican II et sa constitution dogmatique Lumen Gentium, le Magistère de l’Eglise
cherche à scruter l’intention de Dieu sur le mystère de l’Eglise et non pas à regarder uniquement
l’Eglise visible, dans son exécution. Il s’agit d’entrer dans une recherche sapientielle, d’entreprendre
une « ecclésiologie d’en haut » qui saisit le mystère de l’Eglise dans son jaillissement premier, dans sa
source. Regardons brièvement ce que nous dit cette constitution sur l’Eglise comme « mystère » et
sur ses images.
1. L’Eglise comme mystère
L’Eglise nous vient de Dieu, elle descend d’en-haut, œuvre des trois personnes divines (l’Eglise,
œuvre trinitaire). Prolongement du Christ sur la terre elle est à la fois divine et humaine, « sainte et
faite de pécheurs » pour reprendre une expression du cardinal Journet (l’Eglise, une réalité humanodivine). Elle est donc comme un sacrement, le signe efficace et visible d’une réalité invisible (l’Eglise,
sacrement).
Une œuvre trinitaire : à l’origine de l’Eglise, il y a « la disposition absolument libre et mystérieuse de
la sagesse et de la bonté « du Père éternel qui, après avoir créé le monde, « a décidé d’élever les
hommes à la communion de sa vie divine » (LG 2). Ce dessein, réalisé à travers l’œuvre rédemptrice
du Christ, s’accomplit dans l’Eglise : « Tous ceux qui croient au Christ, il a voulu les appeler à former
3
la sainte Eglise qui, annoncée en figure dès l’origine du monde, merveilleusement préparée dans
l’histoire et dans l’Ancienne Alliance, établie enfin dans ces temps qui sont les derniers, s’est
manifestée grâce à l’effusion du Saint-Esprit et, au terme des siècles, se consommera dans la gloire »
(LG 2). Le CEC a repris toutes ces affirmations.
L’Eglise est bien un peuple convoqué, appelé, rassemblé pour devenir fils adoptifs dans le Fils Eternel
et, à leur tour et au nom de Dieu, convoquer, appeler les hommes à la communion pour laquelle ils
sont faits (le mot même d’ « ekklesia » signifie « convocation »). L’Eglise n’est donc pas la simple
résultante de désirs ou de projets qu’ont des hommes et des femmes de se réunir ou de coordonner
leurs ressources pour un but déterminé. Les membres de l’Eglise ne se choisissent pas les uns les
autres. Ils se reçoivent plutôt comme frères et sœurs des mains de Dieu, dans leurs diversités de
condition, de culture, d’opinions…
L’initiative du Père a trouvé sa réalisation dans l’œuvre du Fils qui est venu « rassembler dans l’unité
les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Le Christ a constitué le corps ecclésial des douze disciples,
les associant à son mystère pascal, leur confiant l’Eucharistie, « source et sommet de la vie de
l’Eglise », et leur demandant de prolonger son œuvre de réconciliation : « De même que le Père m’a
envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21). Cette œuvre du Christ, initiée par le Père, a trouvé
son accomplissement dans le don de l’Esprit. Au jour de la Pentecôte, cet Esprit communiqué par le
Christ à ses apôtres manifeste sa présence et son action. La constitution conciliaire Lumen Gentium
(n° 4) nous dit que l’Esprit Saint ne devait plus cesser de « sanctifier l’Eglise en permanence », de « la
rajeunir » et de « la renouveler sans cesse, l’acheminant à l’union parfaite à son Epoux ».
En conclusion l’Eglise est née dans le cœur du Père ; elle a trouvé sa réalisation dans l’œuvre du Fils ;
elle a trouvé son accomplissement dans le don de l’Esprit.
Une réalité humano-divine : l’Eglise est une réalité humaine, historique, visible, qui comme toute
chose humaine présente des limites, des imperfections, la « tendance à pécher » appartenant à tous
les niveaux de sa structure institutionnelle. Mais sa pérennité depuis 2000 ans manifeste son
caractère essentiellement divin. La constitution conciliaire Lumen Gentium rappelle cette double
dimension : « L’Eglise terrestre et l’Eglise enrichie des biens célestes constituent (…) une seule réalité
complexe, faite d’un double élément humain et divin. C’est là l’unique Eglise du Christ que nous
professons dans le Symbole »1.
Il est opportun d’établir une analogie entre le mystère du Christ, à la fois vrai Dieu et vrai homme, et
l’Eglise, signe visible, en même temps que réalité de grâce. « Cette réalité divine et humaine de
l’Eglise est organiquement liée à la réalité divine et humaine du Christ. L’Eglise est en quelque sorte
la continuation du mystère de l’Incarnation »2. Le Christ, dans sa mission messianique, a institué
l’Eglise comme instrument de salut, permettant aux hommes de se réconcilier avec Dieu. En effet,
l’homme en proie au péché ne cesse de se séparer de Dieu, en même temps qu’il aspire à se tourner
vers son créateur. L’Eglise offre à l’homme les moyens de la réconciliation avec Dieu. En son sein,
l’homme peut y puiser les nourritures de sa vie divine : les sacrements, la Parole de Dieu gardée, la
vie de prière… L’Eglise apparaît comme une « servante » et le pape Pie XI déclarait : « Les hommes ne
1
2
L.G n°8
Catéchèse sur le mystère de l’Eglise Oui à l’Eglise §1
4
sont pas créés pour l’Eglise, mais l’Eglise est créée pour les hommes »3. Elle est là pour « diviniser »
l’humanité.
Un sacrement : la constitution conciliaire Lumen Gentium enseigne que l’Eglise est « dans le Christ,
en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu
et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Autrement dit, c’est dans l’Eglise que se réalise le salut,
sous la forme de cette alliance que Dieu a, dans son Fils, scellée avec les hommes 4. Dire que l’Eglise
est comme un sacrement, c’est affirmer sa totale subordination à Dieu qui se révèle dans le Christ.
L’Eglise, qui est comme un sacrement, n’est pas une société close sur elle-même. Elle a mission
universelle. Missionnaire :
-
elle s’associe au travail du sauveur en poursuivant son œuvre de réconciliation ;
elle collabore activement aux efforts humains de justice, d’amour et de paix, et en se faisant
messagère de la charité de Dieu ;
En définitive entrer dans l’Eglise, en accueillant la Bonne Nouvelle dont elle est porteuse, c’est avoir
accès aux sources même du salut.
2. Les images de l’Eglise
Le mystère de l’Eglise ne peut pas se laisser enfermer dans une seule définition. Aussi est-ce « sous
des images variées que la nature intime de l’Eglise nous est montrée » (LG 6). Certaines de ces
images son empruntées à la vie pastorale : l’Eglise est alors le bercail, dont le Christ est la porte, ou
encore le troupeau dont le Christ est le vrai pasteur 5. D’autres images sont empruntées à la vie des
champs : l’Eglise est alors le terrain dans lequel est déposée la semence, le champ cultivé de Dieu (cf.
1 Co 3, 9) ou encore la vigne qu’il a plantée (cf. LG 6 ; Mt 21, 33-43). Plusieurs images tournent
autour de l’idée de construction ou d’habitation. L’Eglise est appelée l’édifice de Dieu (cf. 1 Co 3, 9)
la maison de Dieu (cf. 1 Tm 3, 15) ou le temple saint (cf. Ep 2, 21). De cet édifice le Christ est la pierre
de fondation, les croyants, temples de l’Esprit, y sont intégrés comme des pierres vivantes. Enfin
l’Eglise peut être dite également la famille de Dieu (cf. Ep 2, 19) ; elle est décrite comme l’épouse
immaculée (LG 6) et bien aimée du Christ (cf. Ap 21, 2 ; Ep 5, 26). Marie, parfaite épouse du Dieu
vivant, est mère de l’Eglise.
3
Henri de Lubac Méditations sur l’Eglise p. 53
Comment comprendre la formule « Hors de l’Eglise point de salut » ? Elle ne préjuge pas de la situation de
ceux qui, sans faute de leur part, mais par suite des circonstances ou pour quelque raison (cf. LG 16), ne sont
pas parvenus à reconnaitre dans l’Eglise ce lieu unique du salut de Dieu. Le salut n’est pas impossible pour un
non-chrétien. Mais il est vrai que, pour les hommes que Dieu aime, l’Eglise est signe efficace de cet amour.
L’homme sauvé l’est toujours, en définitive, par la passion et la résurrection du Christ, c’est-à-dire par le
mystère pascal dont l’Eglise est le témoin et auquel l’Esprit Saint l’associe d’une façon mystérieuse mais réelle
(cf. GS 22).
5
Cette image permet à Jésus de parler d’autres brebis qu’il possède et qui ne sont pas encore de cet enclos : il
faut qu’il les mène elles aussi (cf. Jn 10, 1-16). L’actualité nous donne un bel exemple de ce rassemblement de
la diversité dans l’unité au travers du ministère de Benoît XVI qui cherche à se rapprocher des adeptes de Mgr
Lefebvre.
4
5
L’Eglise, Peuple de Dieu : le concile a remis en valeur cette dénomination ; « Il a plu à Dieu que les
hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu
au contraire en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté » (LG
9) :
-
-
Si l’on emploie le même mot pour désigner Israël et l’Eglise du Christ c’est pour marquer à la
fois la continuité et la radicale nouveauté de cette dernière par rapport au peuple d’Israël :
continuité et nouveauté qui sont exactement celles de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance.
On n’est plus là dans la théologie de la substitution qui a prévalu durant des siècles dans la
théologie catholique, mais dans celle de l’accomplissement ;
L’expression « peuple de Dieu » exprime aussi l’égale dignité de tous les baptisés dans le
sacerdoce commun ;
Elle indique enfin que l’Eglise est appelée à vivre son histoire à travers les siècles en étant
tout à la fois fidèle à l’Evangile et mêlée à tous les peuples de la terre. Le peuple assemblé
dans l’Eglise est ouvert à tous ceux qui « regardent avec la foi vers Jésus, auteur du salut » et
« constitue pour tout l’ensemble du genre humain le germe le plus fort d’unité, d’espérance
et de salut » (LG 9).
L’Eglise, Corps du Christ : le concile Vatican II accorde une place de choix à l’image paulinienne de
l’Eglise comme Corps du Christ :
-
-
Cette image permet d’exprimer l’incorporation de chaque membre de l’Eglise au Christ Jésus
telle qu’elle se réalise par le baptême et l’eucharistie. C’est par le baptême que les croyants
sont incorporés au Christ, c’est en recevant le corps eucharistique du Seigneur qu’ils
deviennent son corps ecclésial selon la formule du cardinal de Lubac : « L’eucharistie fait
l’Eglise » ;
L’image du corps et de ses membres permet aussi de rendre compte de la diversité des
grâces et des responsabilités représentées dans l’Eglise. Entre le Christ, qui est la tête du
corps, et ceux qu’il anime de son Esprit, existe une véritable union organique (communion) ;
L’Eglise, Temple de l’Esprit : l’Esprit Saint, qui est donné à tout baptisé (cf. GS 22), vivifie, anime et
sanctifie l’Eglise, peuple de fidèles qui ont reçu la dignité et la liberté des fils de Dieu. Dans leur cœur
« habite, comme dans un temple, l’Esprit Saint » (LG 9). L’Eglise est le lieu d’habitation de l’Esprit
Saint dans ce monde. Elle en est le « temple » (PO 1 ; AG 7). Ce temple, dans lequel officie une
« nation sainte » (1 P 2, 9), est constitué de « pierres vivantes » (1 P 2, 5). Certes l’Esprit est présent
dans le monde entier et à l’œuvre dans toute la création, mais de façon discrète et difficile à
reconnaître bien souvent. Il est présent et agissant dans l’Eglise de façon certaine et assurée, ce qui
ne veut pas dire évidente.
6
III.
Les notes de l’Eglise
Le symbole de Nicée-Constantinople parle de l’Eglise « une, sainte, catholique et apostolique ». C’est
ce qu’on appelle traditionnellement les « notes » de l’Eglise, ou ses qualifications principales (en latin
nota=signe). Ces qualifications ne relèvent pas d’une observation extérieure, mais procèdent d’un
regard de foi sur l’Eglise.
1. L’unité6
Cette qualification de l’Eglise ne saute pas aux yeux : on pense d’abord aux divisions entre Eglises qui
contredisent directement cette affirmation. On peut aussi mentionner les tensions internes à l’Eglise,
ou dans nos diverses communautés qui portent également atteinte à cette unité. Pourtant, nous le
savons, l’unité de l’Eglise est un vœu exprimé par le Christ (Jn 17, 21-23). La source de l’unité de
l’Eglise se trouve dans la lettre de Paul aux Ephésiens :
Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il n’y a qu’un seul Corps
et un seul Esprit. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de
tous, qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous (Ep 4, 1-6).
Ainsi l’Eglise affirme qu’elle ne tire pas son unité d’elle-même. Elle la reçoit comme un don de l’Esprit
Saint.
Cette unité est visible et, selon la promesse du Christ (cf. Mt 16, 18), elle ne peut jamais être perdue.
Elle s’exprime dans la profession d’une seule et même foi, formulée par un même Credo. Elle est
fondée dans l’unique baptême qui fait de tous les disciples du Christ un seul peuple. L’eucharistie,
sacrement de l’unité, fortifie, construit et renouvelle sans cesse cette communion des croyants, les
gardant unis par « les liens de la charité ». Le ministère apostolique, le service des évêques, des
prêtres et des diacres, est service de la communion ecclésiale. Car l’unité de l’Eglise n’est pas
seulement celle d’une bonne organisation ou d’une ferme discipline. Elle est de l’ordre de la
communion. Cette communion est communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ, dans
l’Esprit (cf. 1 Jn 1, 3), et communion des disciples entre eux dans la charité. Cette unité se manifeste
de façon privilégiée dans la communion des évêques entre eux et avec le successeur de Pierre, à qui
est confiée l’autorité sur l’Eglise universelle.
On le voit donc, l’unité repose sur trois piliers : la profession de foi, les sacrements, les ministères
(cf. LG 14, 2). En référence à ces trois éléments on comprend tout de suite que la division des Eglises
n’est pas totale puisque, comme le reconnaît le concile lui-même, de nombreux éléments sont
présents chez les autres chrétiens (LG 15), si bien qu’on peut dire avec le père Sesboüé qu’il n’y a pas
séparation complète, mais unité blessée : « Les relations entre Eglises peuvent se comprendre
6
Unité dans :
- La foi : tous les croyants croient aux mêmes vérités ;
- L’espérance : tous les croyants ont été affermis dans la même espérance de parvenir à la vie
éternelle ;
- La charité : tous les chrétiens sont unis dans l’amour de Dieu et l’amour mutuel qui les lie les uns aux
autres ;
7
comme des relations de communion partielle entre des Eglises qui cheminent vers la pleine
reconnaissance mutuelle et la pleine communion.
Terminons en disant que l’unité n’est pas l’uniformité, mais qu’elle fait place à la diversité, aussi bien
dans la vie actuelle de l’Eglise catholique (diversité des vocations, des charismes qui correspond à la
diversité des dons de Dieu, mais aussi des points de vue, des spiritualités…) que dans la perspective
de réunification des Eglises qui ne saurait être un pur ralliement des Eglises séparées à un seul
modèle.
2. La sainteté
La sainteté est un qualificatif que beaucoup peuvent avoir du mal à accorder à l’Eglise. Son histoire
n’est-elle pas entachée de médiocrités, de crimes et de violences ? Les chrétiens sont-ils meilleurs
que les autres ? Quand on regarde l’Eglise telle qu’elle est, son péché saute aux yeux ! Et pourtant le
Credo dit : « Je crois à la sainte Eglise catholique ». Comment concilier ces deux affirmations ? La foi
demanderait-elle de fermer les yeux sur la réalité ? Evidemment non !
La sainteté ne signifie pas d’abord la perfection morale (rêve qui resurgit périodiquement), mais le
fait d’être mis à part et d’appartenir à Dieu. On sait depuis le début que l’Eglise est composée de
pécheurs, à commencer par Pierre. Le Credo affirme la puissance de sanctification que Dieu exerce
dans l’Eglise, malgré le péché des hommes, en particulier par le canal des sacrements. Comme le dit
le Catéchisme pour adultes des évêques de France : « l’Eglise est sainte parce qu’elle prend sa source
en Dieu qui est saint. Elle est sainte parce qu’elle est étroitement liée au Christ et qu’elle est animée
par l’Esprit qui ne lui fait pas défaut » (n° 308). Il y a donc un visage paradoxal de l’Eglise, où le divin
se présente dans des mains indignes. Comme l’histoire d’Israël, celle de l’Eglise est faite à la fois de la
fidélité inlassable de Dieu à son peuple et des infidélités répétées de ce peuple. Ainsi le bon grain et
l’ivraie sont inextricablement mêlés dans l’Eglise, le péché accompagne l’histoire de l’Eglise comme
son ombre. La constitution sur l’Eglise Lumen Gentium ne dit-elle pas que « l’Eglise est en même
temps sainte et toujours à purifier » (LG 8) ?
La sainteté de l’Eglise suscite la sainteté de ses membres. L’Eglise manifeste dans le monde que la foi
qu’elle professe est capable de produire d’authentiques fruits de sainteté. Ceux-ci se reconnaissent
dans l’innombrable cortège des saints illustres qui jalonnent l’histoire, et dont nous portons les
noms. Le concile Vatican II, dans la constitution sur l’Eglise, consacre un chapitre entier (chapitre 5) à
l’appel universel à la sainteté (LG 39-42). Le baptême implique cette vocation, commune à tous les
membres du peuple de Dieu (cf. LG 40), qu’ils soient laïcs ou ministres ordonnés, qu’ils vivent dans le
monde ou dans une communauté religieuse, qu’ils soient mariés ou célibataires. Quelle que soit sa
condition physique, culturelle, intellectuelle ou sociale, qu’il soit homme ou femme, enfant ou
vieillard, tout baptisé travaille à faire rayonner le royaume de Dieu par la sainteté de sa vie. Cette
sainteté se déploie en charité, don de Dieu qui est Amour. Souvenons-nous de la citation de Jean de
La Croix : « Au terme de notre vie c’est sur l’amour que nous serons jugés ».
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3. La catholicité
Le mot n’est pas dans le Nouveau Testament. C’est saint Ignace d’Antioche qui, le premier, au début
du IIème siècle, emploie le mot « catholique » pour désigner l’Eglise : « Là où est le Christ Jésus, là est
l’Eglise catholique » (Lettre aux chrétiens de Smyrne, 2). « Catholique » est souvent pris dans un sens
confessionnel pour désigner exclusivement l’ensemble des chrétiens unis au pape. La « catholicité »
signifie littéralement « l’universalité » :
-
-
universalité quant au lieu : l’Eglise est répandue dans le monde entier et elle a vocation à
s’étendre à toutes les nations ;
universalité quant à la condition des hommes qui la composent : personne n’est rejeté dans
l’Eglise (cf. Ga 3, 28) et elle a la capacité d’accueillir dans leur diversité les aspirations et les
situations des hommes ; de réunir dans l’unité, et sans les réduire, l’infinie variété des
cultures et des réalités humaines, tant individuelles que sociales ;
universalité quant au temps : cette Eglise a commencé dans le cœur de Dieu et elle demeura
dans le ciel éternellement, puisqu’elle est la communion des hommes avec Dieu ;
universalité quant au contenu de la foi : la véritable Eglise est dite « catholique » par
opposition aux communautés qui ne recueillent qu’une partie de la vérité, ou bien qui ne
veulent être l’Eglise que d’un peuple, d’une culture, d’une classe… ; ou, pour le dire
autrement, « en affirmant que la véritable Eglise est "catholique", on veut dire qu’elle
proclame la foi sans rien omettre de celle-ci, et qu’elle procure le salut à l’homme tout entier
et à l’humanité toute entière »7.
Concrètement il y a trois manières pour l’Eglise d’être catholique :
-
être envoyée à toutes les nations et toutes les cultures (cf. Mc 16, 15 ; Mt 28, 19-20) ;
que les diverses Eglises locales rendent présente en elles l’Eglise universelle (autrement dit
qu’elles ne se ferment pas sur elles-mêmes) ;
qu’il y ait dans les Eglises locales, et l’Eglise dans son ensemble, la diversité des dons,
ministères et états de vie ;
Il est évident que là aussi « les divisions entre les chrétiens empêchent l’Eglise de réaliser la plénitude
de la catholicité qui lui est propre » (Décret sur l’œcuménisme, 4, 10) et que l’œcuménisme est une
manière de travailler à la pleine catholicité de l’Eglise. D’ailleurs au concile l’Eglise catholique a refusé
d’affirmer qu’elle s’identifiait à l’unique Eglise du Christ, en disant seulement qu’elle "existe en" elle
(LG 8, 2).
4. L’apostolicité
Cette expression veut dire deux choses complémentaires qu’il ne faut pas dissocier :
-
7
l’Eglise est apostolique parce que sa foi elle-même est apostolique, c’est-à-dire reçue des
apôtres, et qu’elle lui est conforme ;
Evêques allemands, La foi de l’Eglise, p. 278.
9
-
l’Eglise est apostolique parce qu’elle est rassemblée et gouvernée par les successeurs des
apôtres comme membres du collège épiscopal qui succède lui-même au collège apostolique ;
Ainsi cela veut dire que l’Eglise repose sur le fondement des apôtres : ils ont été envoyés par le
Christ, qui a lui-même été envoyé par son Père (cf. Mt 28, 18-20 ; Lc 10, 16 ; Jn 20, 21). Eux-mêmes
ont pourvu à leur succession et chargé leurs successeurs de transmettre à leur tour la mission reçue
(cf. le discours de Paul en Ac 20, 28-32). Les épîtres pastorales évoquent ce processus de
transmission à la fois doctrinal (le dépôt de la foi : 1 Tm 4, 16 et 6, 20 ; 2 Tm 1, 14 ; 4, 2-3) et juridique
ou ministériel (1 Tm 4, 14 ; 2 Tm 1, 6 ; 2, 2 ; Tt 1, 5). Précisons que c’est l’Eglise tout entière qui est
apostolique (et pas seulement les « successeurs des apôtres ») : elle vit de la foi reçue des apôtres et
la succession apostolique est au service de toute l’Eglise. La foi apostolique est un bien et une
responsabilité, partagés par l’ensemble des membres du peuple de Dieu.
En conclusion, ces quatre « notes » se complètent en se renvoyant l’une à l’autre : « Confesser
l’Eglise une, c’est la regarder plutôt en elle-même comme communion. La dire sainte, c’est la voir
dans sa source et dans le projet définitif de Dieu. La dire catholique c’est la situer dans la diversité du
monde où elle prend corps. Affirmer qu’elle est apostolique, c’est la contempler dans l’histoire en
continuité avec ses origines »8.
Eléments bibliographiques
Jean-Paul II, Les grands mystères de la foi, Centurion, 1991
Jean-Paul II, Catéchèses sur le mystère de l’Eglise
Christoph Schönborn, Aimer l’Eglise, Saint Augustin/Cerf, Saint Maurice/Paris, 1998
Les évêques de France, Catéchisme pour adultes, Centurion, 1991
Benoît-Dominique de La Soujeole, Eléments pour une spiritualité de l’Eglise, Parole et silence, 2006
8
Catéchisme pour adultes, n° 326.
10
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