Présentation de notre invité : le Prof. Yadh Ben Achour Yadh Ben Achour est un juriste tunisien, spécialiste de droit public et des théories politiques islamiques. Ancien doyen de la faculté des sciences juridiques de Tunis, membre de l'institut de droit international, il a mené une brillante carrière académique et reçu de nombreux prix et distinctions. Cet intellectuel tunisien est également un acteur engagé incontournable et un témoin privilégié de l’histoire politique tunisienne : membre du Conseil économique et social sous la présidence de H. Bourguiba et membre démissionnaire du Conseil constitutionnel sous la présidence de Z. Ben Ali, dont il est un opposant, il est amené à jouer un rôle essentiel depuis la révolution tunisienne de 2011 grâce à sa nomination à la tête de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, réunissant intellectuels, révolutionnaires et représentants de partis et d'associations tunisiens et mettant en place les institutions chargées de veiller à la transition démocratique en Tunisie. Elu membre du Comité des droits de l'homme des Nations unies le 7 mai 2012, il reçoit la même année le Prix international de la démocratie à Bonn. A partir de son livre « Aux fondements de l'orthodoxie sunnite » (2008), qui traite précisément du poids des ethos et des doctrines traditionnelles dans les sociétés à majorité musulmane, et suite à son engagement en vue d’offrir des perspectives prometteuses dans la suite des printemps arabes, il s’appuiera sur les processus sociaux de long terme, en relation aux faits d’actualité, à partir de son ancrage tunisien et au-delà, pour donner à voir et à penser les grands enjeux que soulève, en amont, la tension historique fondamentale entre pluralisme et refoulement de la dissidence dans les sociétés musulmanes: où se situent-ils et quelles sont les pratiques qui lui semblent importantes à promouvoir dans un tel contexte ? Le choix d’un orateur pour la conférence inaugurale de la Chaire s’est porté sur le professeur Ben Achour non seulement pour la très grande qualité de ses publications mais aussi suite à son engagement fort dans les dynamiques politiques contemporaines de transformations des sociétés arabes et musulmanes, qui témoignent largement de sa figure d’intellectuel engagé de 1er plan. Au-delà de la contribution importante qu’il peut offrir à un large public bruxellois et européen, nous souhaitions pouvoir également témoigner, depuis la mise en exergue de ses divers profils, en tant que juriste, politique, intellectuel et citoyen, qu’il nous est important de promouvoir dans le cadre de ces Chaires, l’émergence de personnalités fortes, responsables, susceptibles de contribuer positivement au devenir harmonieux des sociétés européennes et musulmanes. Principaux ouvrages Aux fondements de l'orthodoxie sunnite, PUF, Coll. Proche-Orient, Paris, 2008 L'islam d'aujourd'hui offre l'image d'une civilisation énigmatique, souvent jugée stagnante, archaïque ou agressive, prise dans des schémas de pensée inamovibles, vivant sur le mode tragique une contradiction fondamentale entre l'évolution du monde et une recherche éperdue d'authenticité, une rage de rester soi-même. Ce jugement des autres sur l'islam ne fait qu'aggraver les ruptures. Quelles solutions proposer ? Depuis environ deux siècles, diverses issues ont été explorées, sans succès durable. Ce débat s'instaure sur les bases de la doctrine sunnite. Les sunnites représentent aujourd'hui plus de 80% des musulmans. Le corpus doctrinal est enseigné à l'école, dans les familles et défendu par le pouvoir politique, et se fonde sur une compréhension particulière du Coran et de la prophétie, la sunna. L'objet de ce livre est l'analyse de la théorie politique sunnite, point de convergence entre penseurs et croyants, constitutif de l'orthodoxie dont la permanence résulte de la conjonction du pouvoir, du savoir et de la masse en vue d'éliminer tout groupe porteur d'une idéologie rivale. La deuxième Fatiha. L'islam et la pensée des droits de l'homme, PUF, coll. Proche-Orient, Paris, 2011 Comme toutes les autres religions, l'islam doit prendre conscience d'un fait capital : pour survivre dignement dans le monde moderne, il doit se justifier, d'un point de vue universel. Seul ce point de vue rend une idée ou une proposition acceptable par tous, en tant que moralement supérieure. Ali ibn Abî Tâlib, le quatrième Calife, aurait affirmé dans l'un de ses discours que ce ne sont pas les adeptes, fussent-ils majoritaires, qui justifient le droit, mais ce dernier qui donne aux adeptes leur légitimité, fussent-ils minoritaires. L'idée fut reprise par Ghazâlî, le théologien et philosophe musulman en ces termes, en ces termes : « Qui sonde le droit à travers ses partisans sombre dans l'erreur. Sache le droit, tu connaîtras ses hommes ». Cette démarche peut-elle permettre à l'islam de s'approprier une philosophie des droits de l'homme digne des temps modernes ? Présentation du Prof. Y. Ben Achour par le Prof. S. Zemni à la séance inaugurale : Dames en Heren, Aangezien onze centrale gast het Nederlands niet machtig is, zal ik hem in het Frans inleiden. Mesdames et Monsieurs J’ai l’immense plaisir de vous présenter notre invité central à cette inauguration des Chaires académiques « Islams contemporains ». C’est avec un grand honneur et une grande fierté que je vous présente le Professeur Yadh Ben Achour. La tâche n’est néanmoins pas facile car la carrière du Professeur Ben Achour jalonne toute l’histoire de la Tunisie indépendante. Le Professeur Ben Achour est juriste de formation. Il est spécialiste de droit public et des théories politiques islamiques. Tout comme son père, Mohammed Fadhel Ben Achour, théologien, syndicaliste et patriote tunisien, le Professeur Ben Achour a connu un parcours exceptionnel. En tant que juriste, enseignant et intellectuel de la vie publique, il n’a jamais trahi ses principes démocratiques. Professeur à l’université de Tunis, puis, plus tard, doyen de la faculté des sciences juridiques, il a construit une œuvre impressionnante. Il a publié une douzaine d’ouvrages et des dizaines d’articles académiques sans compter les nombreuses interventions journalistiques. Cette production intellectuelle aborde en particulier le thème des rapports entre l’islam et la pratique politique. Signalons dans ce cadre deux ouvrages : « Aux fondements de l’orthodoxie sunnite » et « La deuxième fatiha, l’islam et la pensée des droits de l’homme », deux ouvrages que n’ont rien perdu de leur actualité. Le Professeur Ben Achour a été aussi membre de nombreuses associations tunisiennes et internationales ou l’amour du droit et surtout le respect des droits de l’homme ont toujours prévalu. Il n’a jamais hésité à aider dans la construction de la Tunisie moderne. Il a été membre, par exemple, du Conseil Economique et Social ; et a intégré le Conseil Constitutionnel sur nomination de l’ancien président Ben Ali. Lorsque sa conscience avait été heurté par les choix politiques président déchu, le professeur Ben Achour a démissionné du Conseil Constitutionnel. La lettre de démission qu’il publia fera de lui un paria, un quasi-exilé à l’intérieur du pays. Mais, la Tunisie, ne l’oubliera pas. Le 15 janvier 2011, le jour après le départ du président Ben Ali, il fut contacté par le premier ministre pour présider la commission des réformes politiques. Quand il accepta la présidence de cette commission technique ; il ne savait pas que deux mois plus tard il allait présider une toute autre organisation, une organisation qui a joué un rôle cruciale dans la transition tunisienne. En effet, le Professeur Ben Achour, présidera la « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » ; Instance qui en quelques mois a emmené la Tunisie à organiser ses premières élections libres en donnant à la Tunisie un nouveau code électorale, une nouvelle loi sur la liberté de réunion, une nouvelle loi sur les partis politiques,… Sans aucun doute le travail fondamental de cette instance a aidé la Tunisie dans sa transition vers la démocratie. Il est impossible de surestimer le rôle du Professeur Ben Achour dans l’édification d’une Tunisie nouvelle et Tunisie démocratique. Les livres d’histoire en témoignerons.