Coup d`oeil sur quelques structures algébriques - Cours

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MAT-3900
Évolution des idées en mathématiques
Coup d’oeil sur quelques structures algébriques
Frédéric Gourdeau et Bernard R. Hodgson
Département de mathématiques et de statistique
Université Laval
[email protected], [email protected]
1
Introduction
La notion de structure algébrique surgit du désir de classifier divers environnements
mathématiques — en particulier des systèmes de nombres — en vertu d’opérations qu’on y
exécute et de certaines propriétés satisfaites par ces opérations. Les structures algébriques
relèvent donc d’une vision axiomatique des mathématiques, les objets avec lesquels on travaille étant caractérisés par des axiomes cherchant à cerner divers aspects spécifiques à ces
objets.
Une structure algébrique S est constituée d’un ensemble E sur lequel sont définies une ou
plusieurs lois de composition soumises à certaines propriétés. On trouvera ici une description
sommaire de quelques structures algébriques fondamentales ainsi que quelques exemples
classiques.
L’étude des structures algébriques nous fournit de nombreux renseignements sur les objets
mathématiques auxquels ces notions s’appliquent. Il est en effet possible, à partir des axiomes
décrivant un type donné de structure, de déduire des faits généraux, souvent non évidents,
qui seront vrais de tout objet mathématique que l’on sait être une structure de ce type. Voici
deux exemples concrets d’une telle situation :
• si G est un groupe ayant un nombre fini d’éléments et si H est un sous-groupe de
G, alors le nombre d’éléments de H est forcément un diviseur du nombre d’éléments
de G ; 1
• si A est un anneau dont l’élément neutre additif est 0, alors, quel que soit
x ∈ A, 0 · x = 0, où · désigne la multiplication dans l’anneau.
Ainsi tout le bagage de connaissances qu’on a pu développer, dans un contexte général,
autour d’un type de structure algébrique (disons la famille des groupes ) se trouve à
notre disposition lorsqu’on fait face à une structure particulière de ce type (par exemple, le
groupe de symétrie d’une figure géométrique), que cette structure particulière nous soit
déjà familière ou pas.
1. Ce résultat est connu sous le nom de théorème de Lagrange, du nom du mathématicien français
Joseph-Louis Lagrange (1736–1813).
2
Vers les structures
La notion de base sur laquelle repose l’idée de structure algébrique est celle de loi de
composition, qui nous permet de combiner les éléments d’un ensemble donné de façon à
produire d’autres éléments.
2.1
Loi de composition
Définition 1 Étant donné un ensemble E, une loi de composition (ou opération) binaire
sur E est une fonction ∗ : E × E −→ E qui à tout couple ordonné (a, b) d’éléments de E
associe un élément c = ∗(a, b) de E.
On convient habituellement d’utiliser la notation infixe plutôt que la notation préfixe,
écrivant a ∗ b au lieu de ∗(a, b).
Exemples
1. L’addition + dans N.
On a donc
+ : N × N −→
N
(n, m) 7−→ n + m
2. + dans Z, Q ou R.
3. La multiplication · dans N.
4. La composition dans l’ensemble T de toutes les transformations géométriques du plan.
On a donc
◦ : T ×T
(f, g)
−→
T
7−→ f ◦ g,
où la transformation f ◦ g : Π −→ Π, qui va du plan dans le plan, est définie par la
règle (f ◦ g)(x) = f (g(x)).
Les lois de composition dont il est question ici seront toujours binaires, c’est-à-dire auront
deux arguments. C’est le cas notamment de l’addition et de la multiplication usuelles dans N.
Notons qu’on utilise également en mathématiques des lois de composition unaires portant sur
un seul argument (par exemple, la fonction valeur absolue | · | ou la fonction sinus dans R,
ou encore l’opération +5 dans N) ou même ternaires (trois arguments). Plus généralement,
on aurait la notion de loi de composition n-aire (on dit aussi d’arité n) sur un ensemble E :
il s’agit d’une fonction ∗ : E n −→ E qui à chaque n-uplet (x1 , x2 , . . . , xn ) ∈ E n associe un
élément unique x ∈ E. Mais de telles opérations n’entrent pas en jeu dans la définition des
structures algébriques qui suivent, les lois qu’on y rencontre étant toutes binaires.
En pratique, lorsqu’on veut vérifier qu’une opération ∗ donnée fait d’un ensemble E une
structure algébrique d’un certain type, une étape importante consiste à s’assurer qu’on a la
fermeture 2 de E par rapport à ∗, c’est-à-dire que ∗ est une fonction bien définie sur E : en
2. On dit aussi stabilité de E par rapport à ∗.
2
opérant sur des éléments quelconques de E, on retombe bien dans E ; en d’autres termes, il
faut que
a ∗ b ∈ E, quels que soient a, b ∈ E.
Exemples
1. N est fermé pour +.
2. Il en est de même de l’ensemble des nombres pairs.
3. L’ensemble des nombres impairs est fermé pour · .
4. N n’est pas fermé pour − (c’est pour régler ce problème qu’on crée Z).
5. L’ensemble des impairs n’est pas stable pour +.
6. L’ensemble I des isométries du plan est fermé pour ◦.
7. L’ensemble des isométries directes est fermé pour ◦.
8. L’ensemble des isométries indirectes n’est pas fermé pour ◦.
2.2
Propriétés d’une loi de composition
Une loi de composition (binaire) peut satisfaire diverses propriétés. Voici celles qui nous
intéressent dans la suite.
Définition 2
(a) Une loi ∗ sur E est dite associative si
(a ∗ b) ∗ c = a ∗ (b ∗ c),
quels que soient a, b, c ∈ E.
(b) Une loi ∗ sur E est dite commutative si
a ∗ b = b ∗ a,
quels que soient a, b ∈ E.
(c) Un élément e ∈ E est neutre pour ∗ si
e ∗ a = a ∗ e = a,
quel que soit a ∈ E.
(d) Supposons que e est neutre pour ∗ et soit a ∈ E ; alors un élément b ∈ E est appelé
inverse de a par rapport à ∗ si
a ∗ b = b ∗ a = e.
Une dernière propriété concerne le lien entre deux lois de composition sur un même
ensemble. On supposera donc que sont définies sur E deux opérations binaires ∗ : E × E −→
E et : E × E −→ E.
3
Définition 3
(e) Si E est muni de deux lois ∗ et , alors la loi est dite distributive par rapport à la loi
∗ si
a (b ∗ c) = (a b) ∗ (a c),
quels que soient a, b, c ∈ E.
Exemples
1. + dans N est associative, commutative et a pour élément neutre 0.
2. n ∈ N n’a pas d’inverse additif dans N, mais en aura un dans Z, à savoir − n.
3. · dans N est associative, commutative et a pour élément neutre 1.
4. n ∈ N \ {0} n’a pas d’inverse multiplicatif dans N, mais en aura un dans Q, à savoir
1/n.
5. · est distributive par rapport à + : c’est la bonne vieille égalité x(y + z) = xy + xz
qui, lue de droite à gauche, porte parfois le nom de mise en évidence.
6. + n’est pas distributive par rapport à · .
7. ◦ est associative dans T et a pour élément neutre la transformation identité id. Cependant, ◦ n’est pas commutative.
8. Lorsqu’appliquée à des translations, la composition ◦ est commutative. Il en en de
même de la composition de réflexions dont les axes sont perpendiculaires.
3
Les structures algébriques fondamentales
Nous sommes maintenant prêts à aborder les principales structures algébriques. Nous allons les présenter sous forme de hiérarchie, partant des structures les plus faibles (algébriquement parlant), c’est-à-dire de celles décrites par le moins d’axiomes possible. Présentons
d’abord l’idée générale sous forme d’une définition.
Définition 4 On appelle structure algébrique la donnée d’un ensemble E sur lequel sont
définies une ou plusieurs lois de composition.
On dira alors de l’ensemble E qu’il possède une structure algébrique d’un type donné
(spécifié par les lois de composition en cause), ou encore, avec un certain abus de langage, 3
que E est une structure algébrique de ce type. Tel qu’indiqué plus haut, les structures
algébriques dont il sera question ici sont munies d’opérations binaires. Il est d’usage de
désigner une structure algébrique en donnant le nom de l’ensemble accompagné, entre parenthèses, de sa signature , c’est-à-dire des symboles représentant les opérations qu’on
y considère. Par exemple, (N, +, · ) désigne l’ensemble des nombres naturels considéré avec les
opérations d’addition et de multiplication — c’est le contexte de l’ arithmétique élémentaire .
3. L’abus de langage est ici lié au fait que E, en soi, n’est pas une structure : il s’agit d’un ensemble —
ce n’est que lorsqu’on considère cet ensemble muni de certaines opérations que la notion de structure surgit.
On pourrait au besoin introduire une notation telle S = (N, +, · ) pour bien spécifier une structure donnée.
À cet égard, la structure S 0 = (N, +) serait une autre structure définie sur le même domaine N.
4
3.1
Semi-groupe
Définition 5 Étant donné un ensemble S, on dit qu’il a une structure de semi-groupe si
est définie sur S une opération (binaire) ∗ qui est associative.
On dira habituellement, de façon plus directe, qu’un semi-groupe est un ensemble S muni
d’une loi de composition (binaire) ∗ associative. On écrit (S, ∗) pour désigner ce semi-groupe
de façon précise (c’est-à-dire l’ensemble ainsi que la loi).
Exemples
1. + fait de N un semi-groupe.
2. Voici d’autres semi-groupes numériques : (N, · ), (Z, +), (Q, · ), (R, +), (R, · ).
3. (T , ◦) est un semi-groupe.
4. L’ensemble de toutes les rotations autour d’un centre donné C est un semi-groupe.
5. (Z, −) n’est pas un semi-groupe : la soustraction n’est pas une opération associative.
3.2
Monoı̈de
Définition 6 Un monoı̈de est formé d’un ensemble M muni d’une loi de composition
(binaire) ∗ associative et possédant un élément neutre.
Exemples
1. (N, +) est un monoı̈de, le neutre étant 0.
2. (N, · ) est un monoı̈de dont le neutre est 1.
3. (T , ◦) est un monoı̈de dont le neutre est id.
4. L’ensemble de toutes les rotations autour d’un centre donné C est un monoı̈de dont le
neutre est id = rC,0 .
5. L’ensemble des entiers positifs muni de + est un semi-groupe qui n’est pas un monoı̈de.
6. L’ensemble des nombres pairs muni de · est un semi-groupe qui n’est pas un monoı̈de.
7. L’ensemble de toutes les translations de vecteur positif le long de l’axe des abscisses
d’un repère cartésien, muni de ◦, est un semi-groupe qui n’est pas un monoı̈de.
5
3.3
Groupe
La notion de groupe occupe une place importante dans l’édifice mathématique en raison
de son rôle unificateur : on en retrouve des exemples abondants et extrêmement variés dans
des domaines tels la géométrie, la théorie des nombres, la combinatoire, etc.
Définition 7 Un groupe est formé d’un ensemble G muni d’une loi de composition (binaire)
∗ satisfaisant les trois propriétés suivantes :
• ∗ est associative ;
• il existe dans G un élément e neutre pour ∗ ;
• tout élément g ∈ G admet un inverse par rapport à ∗.
Exemples
1. (N, +) n’est pas un groupe (on n’a pas les inverses additifs), mais (Z, +) l’est.
2. (Z, · ) — ou encore (Z \ {0}, · ) — n’est pas un groupe (on n’a pas les inverses multiplicatifs), mais (Q \ {0}, · ) l’est.
3. (R, +) et (R \ {0}, · ) sont des groupes.
4. L’ensemble {0, 1, 2, 3, 4, 5} avec l’addition modulo 6 est un groupe.
5. L’ensemble {1, 2, 3, 4} avec la multiplication modulo 5 est un groupe.
6. (T , ◦) est un groupe. Il en est de même, par rapport à la composition ◦, de l’ensemble
des similitudes ; de l’ensemble des isométries ; de l’ensemble des isométries directes ; de
l’ensemble des translations.
7. Les
groupes de symétrie des rosaces (Cn ou Dn ) sont. . . des groupes !
Dans le cas de (R, +) et de (R \ {0}, · ), la loi de composition est de plus commutative :
on dit alors que ce sont des groupes commutatifs ou abéliens. 4 De façon générale, les groupes
de transformations géométriques sont non abéliens. Il y a cependant certaines exceptions.
Exemples
1. Le groupe des translations est abélien.
2. Le groupe de toutes les rotations autour d’un même centre C est abélien.
3. Le groupe D2 des symétries du rectangle (groupe de Klein 5 ) est abélien.
4. Le groupe des isométries directes est non abélien.
5. L’ensemble des matrices 2 × 2
a b
,
c d
avec a, b, c, d des réels tels que ad−bc 6= 0, est un groupe par rapport à la multiplication
de matrices. C’est un groupe non abélien.
4. En l’honneur du mathématicien norvégien Niels Henrik Abel (1802–1829).
5. Du nom du mathématicien allemand Felix Klein (1849–1925)
6
3.4
Anneau
Les structures qui suivent sont définies en fonction de deux lois de composition.
Définition 8 Soit un ensemble A muni de deux lois de composition (binaires) ∗ et . On
dit que (A, ∗, ) est un anneau si ces lois sont assujetties aux propriétés suivantes :
• (A, ∗) est un groupe abélien ;
• (A, ) est un monoı̈de ; 6
• l’opération est distributive sur ∗.
Si, de plus, la loi est elle aussi commutative, on parle alors d’un anneau commutatif . Appelant e l’élément neutre pour ∗, l’anneau est dit intègre 7 s’il s’agit d’un anneau commutatif
dans lequel l’élément associé par la loi à deux éléments différents de e n’est jamais e.
Exemples
1. L’exemple typique d’anneau est la structure (Z, +, · ). Nous indiquons en détails ce
que cela signifie. Pour x, y, z ∈ Z, on a toujours
• (Z, +) est un groupe abélien :
–
–
–
–
associativité de + : (x + y) + z = x + (y + z),
0 neutre additif : x + 0 = 0 + x = x,
inverse additif : x + − x = − x + x = 0,
commutativité de + : x + y = y + x.
• (Z, · ) est un monoı̈de :
– associativité de · : (x · y) · z = x · (y · z),
– 1 neutre multiplicatif : x · 1 = 1 · x = x.
• · se distribue sur + : x · (y + z) = (x · y) + (x · z).
De plus, l’anneau (Z, +, · ) est
– commutatif, car x · y = y · x ;
– intègre, car le produit de deux entiers non nuls n’est jamais nul : si x · y = 0,
on a x = 0 ou y = 0 (ou les deux).
2. On vérifie de même que Q, R et C, munis des lois habituelles d’addition et de multiplication, sont des anneaux commutatifs et intègres.
3. L’ensemble {0, 1, 2, 3, 4, 5}, muni de l’addition et de la multiplication modulo 6, est un
anneau commutatif. Il n’est cependant pas intègre, car 2 · 3 ≡ 0 (mod 6).
6. Certains auteurs réservent le mot anneau au cas où la structure (A, ) est un semi-groupe et
parlent d’anneau unitaire lorsque la loi admet de plus un élément neutre.
7. On dit aussi qu’un tel anneau est un domaine d’intégrité.
7
4. Un autre exemple important d’anneau est ce qu’on appelle un anneau de polynômes,
tel l’ensemble P de tous les polynômes à coefficients entiers et à une variable x. On a
par exemple p ∈ P , où p(x) = 5 − 3x + 42x2 − 8x4 . On définit sur P deux opérations
+ : P × P −→ P et · : P × P −→ P par les méthodes de calcul usuelles, l’addition
de polynômes se faisant terme à terme et la multiplication consistant à effectuer le
produit de l’un des polynômes par chacun des termes de l’autre. Ainsi pour p ∈ P
comme ci-haut et q ∈ P défini par q(x) = 7x − 9x2 , on obtient les polynômes p + q ∈ P
et p · q ∈ P suivants :
(p + q)(x) = 5 + 4x + 33x2 − 8x4
et
(p · q)(x) = 35x − 66x2 + 321x3 − 378x4 − 56x5 + 72x6 .
Dans la littérature, on désigne habituellement cet anneau P par la notation Z[x].
3.5
Corps
Définition 9 Soit un ensemble C muni de deux lois de composition (binaires) ∗ et .
Appelons e l’élément neutre pour ∗ et u l’élément neutre pour . On dit que (C, ∗, ) est un
corps si ces lois satisfont les propriétés suivantes :
• (C, ∗) est un groupe abélien ;
• (C \ {e}, ) est un groupe abélien ;
• l’opération est distributive sur ∗.
En d’autres termes, à la différence d’un anneau, tout élément d’un corps autre que e (le
neutre pour l’opération ∗) admet un inverse pour l’opération .
Exemples
Q, R et C, munis des lois habituelles d’addition et de multiplication, sont des corps.
Voici ce que cela signifie dans le cas de (R, +, · ). Soit donc x, y, z ∈ R.
• (R, +) est un groupe abélien :
–
–
–
–
associativité de + : (x + y) + z = x + (y + z),
0 neutre additif : x + 0 = 0 + x = x,
inverse additif : x + − x = − x + x = 0,
commutativité de + : x + y = y + x.
• (R \ {0}, · ) est groupe abélien :
– associativité de · : (x · y) · z = x · (y · z),
– 1 neutre multiplicatif : x · 1 = 1 · x = x,
– inverse multiplicatif : x · x−1 = x−1 · x = 1 pour x 6= 0,
8
– commutativité de · : x · y = y · x.
• · se distribue sur + : x · (y + z) = (x · y) + (x · z).
En particulier on observera que tout élément non nul de R est multiplicativement
inversible dans R.
4
Une structure particulière
Nous présentons une dernière catégorie de structure algébrique. Le point de vue est
maintenant un peu différent car on considère un ensemble muni de deux lois de composition,
mais dont l’une est externe .
Les lois de composition (binaires) rencontrées jusqu’ici sont ce qu’on appelle des lois
internes , car elles opèrent toutes sur deux éléments appartenant à un même ensemble.
Elles sont donc de la forme ∗ : E × E −→ E. Nous allons maintenant permettre d’opérer sur
des éléments provenant de deux ensembles différents. Même si une telle idée peut sembler un
peu farfelue à prime abord, nous verrons un peu plus bas qu’elle correspond à des situations
familières importantes.
Dans ce qui suit, nous fixons un corps donné. Pour notre discussion, ce sera R, mais on
pourrait tout aussi bien utiliser Q ou C.
Définition 10 Une loi de composition externe sur un ensemble E (par rapport au corps
R) est une fonction † : R × E −→ E.
Exemples
1. La multiplication d’un vecteur par un réel est une loi de composition externe sur
l’ensemble des vecteurs géométriques du plan.
2. La multiplication d’une matrice par un réel est une loi de composition externe sur
l’ensemble des matrices réelles de dimensions m × n.
Soit donc un ensemble V muni de deux lois de composition, l’une interne, ∗ : V ×V −→ V ,
et l’autre externe, † : R × V −→ V . Il est d’usage, dans notre contexte, d’appeler vecteurs 8
les éléments de V et scalaires 9 les éléments de R.
8. Du latin vector, ‘qui transporte’. Introduit par le mathématicien irlandais William R. Hamilton (1805–
1865) vers le milieu du xixe siècle, ce terme trouve son origine dans la notion de vecteur géométrique de R2
ou de R3 , c’est-à-dire de segment de droite caractérisé par sa longueur, sa direction et son orientation. Le mot
vecteur en est venu à désigner tout être mathématique qui se comporte comme un vecteur géométrique
d’un point de vue algébrique, c’est-à-dire un élément d’un espace vectoriel .
9. Du latin scala, scalae, ‘échelle, escalier’. Le terme scalaire a été introduit en mathématiques au
cours de la deuxième moitié du xixe siècle pour désigner une grandeur, un nombre, en analogie avec les
entiers qui sont comme les degrés d’une échelle. Il est employé par opposition au mot vecteur qui, à
l’origine, désigne un objet mathématique mettant en jeu à la fois une idée de grandeur et d’orientation.
9
Définition 11 On dit que V est un espace vectoriel sur le corps R si les deux opérations
∗ et † satisfont les propriétés suivantes, où v et w sont des vecteurs quelconques et r et s,
des scalaires quelconques.
• (V, ∗) est un groupe abélien ;
• les opérations ∗ et † sont reliées par les propriétés que voici : 10
– r † (v ∗ w) = (r † v) ∗ (r † w),
– (r + s) † v = (r † v) ∗ (s † v),
– (r · s) † v = r † (s † v),
– 1 † v = v.
Exemple
L’archétype d’espace vectoriel est l’ensemble
o
n
2
R = [x, y] x, y ∈ R
des vecteurs géométriques dans le plan muni des deux opérations
[x1 , x2 ] ⊕ [y1 , y2 ] = [x1 + y1 , x2 + y2 ]
et
r[x1 , x2 ] = [rx1 , rx2 ]
(addition de deux vecteurs)
(multiplication d’un vecteur par un scalaire).
(Autrement dit, on additionne les vecteurs composante à composante, et la multiplication d’un vecteur par un scalaire revient à multiplier chacune de ses composantes.)
On vérifie en effet facilement que si [x1 , x2 ], [y1 , y2 ] et [z1 , z2 ] sont des vecteurs de R2
et r, s des scalaires (dans R), on a 11
• ([x1 , x2 ] ⊕ [y1 , y2 ]) ⊕ [z1 , z2 ] = [x1 , x2 ] ⊕ ([y1 , y2 ] ⊕ [z1 , z2 ])
• [x1 , x2 ] ⊕ [0, 0] = [0, 0] ⊕ [x1 , x2 ] = [x1 , x2 ]
• [x1 , x2 ] ⊕ [− x1 , − x2 ] = [0, 0]
• [x1 , x2 ] ⊕ [y1 , y2 ] = [y1 , y2 ] ⊕ [x1 , x2 ]
10. +, · et 1 désignent ici respectivement l’addition dans le corps R de scalaires, la multiplication dans
R et le neutre multiplicatif de R. On pourrait voir les deux premières propriétés comme décrivant des
phénomènes de distributivité et la troisième, une sorte d’associativité ; la dernière propriété montre l’effet
du scalaire neutre.
11. Récrits en utilisant les notations vectorielles usuelles ~x = [x1 , x2 ], ~y = [y1 , y2 ] et ~z = [z1 , z2 ], les huit
axiomes d’espace vectoriel pour R2 deviennent :
–
–
–
–
(~x ⊕ ~y ) ⊕ ~z = ~x ⊕ (~y ⊕ ~z)
~x ⊕ ~0 = ~0 ⊕ ~x = ~x
~x ⊕ − ~x = ~0
~x ⊕ ~y = ~y ⊕ ~x
–
–
–
–
10
r(~x ⊕ ~y ) = r~x ⊕ r~y
(r + s)~x = r~x ⊕ s~x
(rs)~x = r(s~x)
1~x = ~x
• r([x1 , x2 ] ⊕ [y1 , y2 ]) = r[x1 , x2 ] ⊕ r[y1 , y2 ]
• (r + s)[x1 , x2 ] = r[x1 , x2 ] ⊕ s[x1 , x2 ]
• (rs)[x1 , x2 ] = r(s[x1 , x2 ])
• 1[x1 , x2 ] = [x1 , x2 ]
Cet exemple géométrique fournit d’ailleurs la motivation principale pour tout le vocabulaire entourant la notion d’espace vectoriel. On vérifie de même que R3 est un espace vectoriel,
et plus généralement que Rn , quel que soit n, est un espace vectoriel. Mais on rencontre de
nombreux espaces vectoriels dont les vecteurs ne sont plus des objets géométriques de
R2 ou R3 .
Exemples
1. L’ensemble P2 de tous les polynômes de degré 2 ou moins et à coefficients réels forme
un espace vectoriel pour les opérations suivantes :
• l’addition de polynômes se fait terme à terme (voir la section 3.4) ;
• le produit du polynôme p par le scalaire r est le polynôme rp obtenu en multipliant
chaque coefficient de p par r.
Par exemple, si p(x) = 5 − 7x + 11x3 , on a (2p)(x) = 10 − 14x + 22x3 .
2. L’ensemble M4 des matrices réelles 4 × 4 est un espace vectoriel, l’addition de matrices
et la multiplication d’une matrice par un scalaire étant définies de la façon usuelle.
3. L’ensemble F de toutes les fonctions f : R −→ R est aussi un espace vectoriel, la
somme f + g de deux fonctions étant définie par (f + g)(x) = f (x) + g(x) tandis que
le produit de la fonction f par le scalaire r est définie par (rf )(x) = r(f (x)).
À chaque espace vectoriel, on peut associer une dimension, qui décrit en quelque sorte
le degré de liberté dont on dispose dans cet espace. Ainsi l’espace R2 des vecteurs
géométriques du plan est de dimension 2, tout vecteur pouvant se décomposer selon deux
directions non colinéaires (dit autrement, il est possible de recréer tout R2 en prenant des
n
combinaisons linéaires de deux vecteurs arbitraires non colinéaires). De même, R
est
de dimension n. Les espaces P2 et M4 sont aussi des espaces vectoriels de dimension finie :
P2 est de dimension 3 et M4 de dimension 16. L’espace F de toutes les fonctions réelles est,
quant à lui, un espace de dimension infinie : il est impossible de le recréer à partir d’un
nombre fini de fonctions réelles.
11
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