processus de grammaticalisation dans l`acquisition

publicité
PROCESSUS DE GRAMMATICALISATION
DANS L’ACQUISITION DE LANGUES ÉTRANGÈRES :
LA MORPHOLOGIE TEMPORELLE
Colette NOYAU,
G.R.A.L.-DIR (GdR 113 C.N.R.S.
et Université de Paris X - Nanterre)
Colloque international sur l’acquisition de la syntaxe,
Université de Franche-Comté
(25-26 novembre 1995).
Paru dans : Claire MARTINOT, ed. (1997)
L’acquisition de la syntaxe. Besançon,
Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté n° 631, p. 223-252.
L’objectif du présent travail est de réexaminer certains résultats des études
translinguistiques issues du programme européen sur l'acquisition des langues par des
adultes 1 visant à décrire les itinéraires de développement de la temporalité en langue
étrangère par des adultes dans le milieu social (Bhardwaj, Dietrich & Noyau (1988), Noyau
(1990, 1992), Dietrich, Klein & Noyau (1995)), à la lumière de travaux récents sur les
processus de grammaticalisation. Quelle pertinence peuvent avoir ces propositions pour
comprendre la nature des processus cognitifs en jeu dans la mise en place des moyens
temporels grammaticalisés en LE? Dans l’ensemble de recherches ESF sur le
développement de la temporalité en LE, la morphologie ne constituait pas un objet d’étude
en soi. L’objectif principal était bien plutôt de saisir les processus acquisitionnels en tant
que tentatives pour l’apprenant de structurer son répertoire linguistique pour résoudre des
problèmes de communication, compte tenu des contraintes dûes aux limites de son
répertoire du moment et des ressources cognitives allouables à la formulation des énoncés
en LE lors des activités communicatives. Globalement, le développement linguistique dans
le domaine de la référenciation temporelle se manifeste, comme dans d'autres domaines
étudiés parallèlement (cf. Klein & Perdue 1992 pour ce qui est de l'organisation de
l'information dans l'énoncé), par des modifications du poids relatif de différents principes
de structuration du temps dans le discours: structuration pragmatique, structuration
sémantique, et structuration phrastique ou grammaticale (cf. Noyau 1991).
La grammaticalisation, d'un point de vue typologique, est définie comme le fait de
changements dans les principes de fonctionnement de moyens linguistiques menant du
choix individuel en contexte vers un fonctionnement régi par des règles (combinatoires
phrastiques ou morphologiques) cf. par exemple par Heine, Claudi & Hünnemeyer (1991).
La notion de grammaticalisation embrasse divers types de dynamique linguistique :
l’évolution diachronique, l’acquisition primaire du langage, la pidginisation/créolisation, les
variations de registres (entre registres ‘simples’ et ‘élaborés’, cf. Givón 1979), et également
l’acquisition de langues étrangères. Mais il est utile de distinguer entre des processus de
grammaticalisation créative, par lesquels une langue acquiert une nouvelle catégorie (par
exemple une catégorie aspectuelle à partir d'une construction périphrastique), et des
1
Le programme européen de la Fondation Européenne de la Science (European Science Foundation =
ESF) a étudié conjointement dans cinq pays l'acquisition initiale d'une langue étrangère (LE) chez des
adultes locuteurs de dix couples langue source (LS) - langue cible (LC). Cf. Perdue, éd. 1993.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
1
processus de grammaticalisation adaptative, par lesquels le parler d'un apprenant ou d'un
enfant acquiert une catégorie de la langue de l'environnement, ou un parler acquiert une
catégorie d'un parler avec lequel il est en contact (cf. Giacalone Ramat 1992). Les aspects
structurels peuvent être similaires entre les deux cas, mais les processus sous-jacents
s'expliqueront par des facteurs internes au système ou par des facteurs cognitifs généraux
dans un cas, par des facteurs externes dans l'autre. Cependant les choses ne sont pas
toujours aussi tranchées, nous verrons que l'acquisition linguistique peut aussi donner lieu à
des tentatives de grammaticalisation créative — rapidement découragées par
l'environnement linguistique.
Deux aspects principaux de la grammaticalisation donnent lieu à des phénomènes
d'amplitude différente :
a) Les phénomènes qui relèvent de la syntacti(ci)sation, ou passage de structures
discursives pragmatiques (liées à des facteurs situationnels) à des structures syntaxiques,
ou du discursif au phrastique (cf. Givón 1979 ‘pragmatic’ vs ‘syntactic mode’ ; en ce qui
concerne l'acquisition de langues étrangères cf. Klein 1984-89, ainsi que Dittmar (1984), et
Klein & Perdue (1992)). Ainsi, le passage d’une organisation pragmatique en topique —
focus de l’énoncé à une organisation syntaxique en sujet — prédicat, le passage de classes
purement lexicales de désignateurs d’entités vs désignateurs de procès à des classes
grammaticales N vs V relativement indépendantes des types de contenus.
b) les phénomènes qui relèvent de la morphologisation, ou passage de morphèmes d’un
statut lexical à un statut grammatical dépendant des lexèmes auxquels ils sont attachés (cf.
Bybee 1985, 1991; Bybee & Dahl 1989).
Dans les deux cas, il s’agit d’une évolution de l’expression facultative, dépendante du
contexte, librement combinée, de l’information sémantique, à son expression systématique,
obligatoire donc (plus) indépendante du contexte (et de ce fait susceptible d’être réduite et
liée) — avec une évolution parallèle du sémantisme qui, de concret et variable, tend à devenir
plus abstrait et plus stable. On a un gain en redondance et en cohésion permettant au
discours d’être plus hiérarchisé, plus précis et plus autonome (indépendant d’attentes
contextuelles et co-textuelles).
Pour ce qui est de l'acquisition d'une langue étrangère, nous caractérisons de façon
liminaire le processus de morphologisation, processus complexe associant différents sousprocessus, de la façon suivante : a) un processus de restructuration du matériel linguistique,
qui effectue la réanalyse progressive d’allomorphies dans le lexique en base lexicale +
formants, avec comme conséquence des réajustements des signifiants ; b) un processus
d’organisation du système morphologique, qui effectue le passage de listes à des
régularités organisées en règles à différents degrés de généralité (i. e. plus ou moins locales
vs globales), constituant des micro-systèmes de plus en plus larges et inter-reliés ; c)
parallèlement, un processus de différenciation sémantique, qui vise à l'attribution d'une
fonction ou d'un sens à chaque formant constitué.
Considérons dans son ensemble le domaine conceptuel de la temporalité. Il est clair
qu’entre les phases initiales de l’acquisition de moyens temporels et les étapes d'acquisition
les plus au près de la variété cible on assiste à une évolution vers plus de grammaire qui se
joue de plusieurs façons.
a) Les relations temporelles entre procès, qui sont tout d’abord exprimées par un ordre
iconique de succession des énoncés (principe de l'ordre naturel), et facultativement par la
spécification lexicale des intervalles concernés, deviennent exprimables par des connecteurs
spécialisés (spécialement des subordonnants) de relation temporelle autorisant à la fois
hiérarchisation des structures temporelles représentées et indépendance de l’ordre linéaire
du texte au regard de l’ordre chronologique des procès. Cette évolution est un exemple de
la syntactisation : la juxtaposition polyfonctionnelle cède la place à une spécification des
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
2
relations temporelles dans des structures phrastiques hiérarchisées. Un procès peut ainsi,
dans les subordonnées temporelles par exemple, faire fonction d’identificateur de
l’intervalle temporel auquel est associée la prédication d’un autre procès.
b) L’insertion dans le temps des procès prédiqués s’opère tout d’abord de façon indirecte,
par des inférences mettant à contribution des attentes sur les états de choses référés (cadres
de connaissances, scripts) et des savoirs contextuels sur le monde ou sur les situations
évoquées par le discours, à quoi s'adjoint le cas échéant la spécification lexicale des
intervalles temporels par des moyens divers (ancrage énonciatif déictique ou anaphorique,
datation), la portée de ces cadres temporels étant déterminée par les agencements discursifs.
Plus tard dans l’acquisition, il devient possible d’associer aux lexèmes (verbaux
normalement) des marqueurs plus ou moins fortement liés et obligatoires précisant ou
restreignant l’intervalle sur lequel porte la prédication. On a alors affaire au temps
grammatical (tense, ou Tempus); cette évolution est un exemple de morphologisation.
On peut observer par ailleurs dans la construction des moyens temporels des
phénomènes plus ponctuels de grammaticalisation - idiosyncrasique - lorsque par exemple
un lexème est affecté à l’expression d’une notion temporelle associée aux prédications, son
sémantisme devenant alors plus abstrait (ex. fertig arbeite, pour +CLO Dr2). Mais, même
dans des lectes fossilisés à une phase très élémentaire, on n’observe pas de transformation
de telles généralisations d’emploi de lexèmes, qui sont fonctionnellement des précurseurs
de catégories grammaticales, en clitiques ou auxiliaires, comme il arrive dans l’histoire des
langues — le renforcement de telles hypothèses ponctuelles idiosyncrasiques par les
données de l’entourage est insuffisant.
Dans ce qui suit, nous nous centrons sur le second cas, la morphologie temporelle,
qui constitue en effet un problème d’acquisition difficile à résoudre par les apprenants de
langue étrangère, puisque la flexion temporelle apparaît (en tant que telle, avec des fonctions
sémantiques) très tard par rapport aux autres types de moyens linguistiques de référence
temporelle.
Ce que fait le temps grammatical (la composante FIN) selon Klein 1988, 1992,
1994 (cf. la présentation de ce modèle dans Combettes, François, Noyau & Vet 1994) dans
les langues où le verbe porte une composante flexionnelle, c’est limiter l’intervalle sur
lequel porte l’assertion (le cas échéant la question, la supposition, etc.) en précisant sa
localisation par rapport au moment de l'énonciation ou à un autre moment de référence, cet
intervalle pouvant à son tour entretenir diverses relations avec l’intervalle du procès, ce qui
renvoie aux différenciations aspectuelles. Les relations entre l'information temporelle
flexionnelle et les autres types de moyens linguistiques s’organisent de façon très diverse
selon les langues (langues sans morphologie temporelle obligatoire comme le chinois, sans
morphologie aspectuelle obligatoire comme l’allemand, vs langues à morphologie
aspectuelle comme le russe, l’arabe, ou temporelle comme le turc, ce qui entraîne des
conséquences sur l’organisation du discours. Les lectes d’apprenants effectuent un
passage progressif du statut de langues sans composante FIN (selon Klein) à des langues
en possédant une.
Rappelons qu’étant donné l’approche conceptuelle privilégiée dans ce travail, cet
aspect a été convoqué comme un éclairage sur la contribution de la morphologie à la
construction du sens dans l’acquisition initiale d’une langue en milieu social. Il ne
s’agissait pas d’une étude du processus de développement morphologique en lui-même et
pour lui-même, ce qui serait un autre objectif de recherche, et nécessiterait d’autres
techniques de collecte de données et sans doute des procédures expérimentales. Le bilan
2
Les abréviations de notions temporelles utilisées ici sont les suivantes (cf. Noyau 1990) : MQ :
moment d’assertion ; MS : moment de la situation ; ±DUR : ±durée ; ±CLO : ± borné (DR, G : à droite,
à gauche) ; +DIST : procès à états distincts, ou transitionnel.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
3
des travaux des années 70-80 sur l’acquisition de la morphologie en langue étrangère,
centrés sur l’acquisition des grammèmes dans des corpus plus ou moins contraints
(morpheme order studies, cf. Krashen, Burt & Dulay et collègues) se révèle décevant. S’ils
nous montrent que l’acquisition des morphèmes est très en retrait sur d’autres aspects de la
langue — et très graduelle, puisqu’elle est prise comme critère de définition de ‘stades’ de
développement — ils ne contribuent pas à expliquer pourquoi les apprenants y sont si
rétifs, ni d'ailleurs pourquoi les grammèmes s'acquièrent dans un ordre ou un autre (cf. la
critique de ces travaux dans Klein 1984-89).
Dans une conception fonctionnelle et conceptuelle de l’acquisition, la
grammaticalisation est vue comme un processus essentiellement sous-tendu par la mise en
place des formes dans des structures discursives, la grammaire est conçue comme
‘émergente’ - émanant des configurations discursives (cf Hopper 1987. La question
cruciale est dès lors la suivante : dans l’évolution des voies par lesquelles la référenciation
(temporelle) est accomplie par les apprenants dans leurs discours narratifs, quand,
comment, pourquoi faire, des moyens morphologiques adviennent-ils dans la construction
du sens ?
Voyons dans cette perspective les conditions et modalités de l’émergence dans le
discours des apprenants de catégories temporelles (temporo-aspectuelles) flexionnelles,
dans les études disponibles, pour y rechercher les traces du processus de construction de
ces catégories, et tenter de mieux définir la morphologisation dans la dynamique des lectes
d’apprenants.
I. Résultats
Nous allons présenter quelques exemples caractéristiques des étapes successives
par lesquelles passent les apprenants pour mettre en place une morphologie verbale
temporo-aspectuelle dans leurs lectes, et plus précisément, nous attacher à examiner les
interrelations lexème X contexte discursif X inflexions en LE.
A. Hypothèses sur les paradigmes de formes et contextes : Abdelmalek3
La description de la mise en place de la morphologie verbale chez les apprenants
n’est pas aisée. En effet, les régularités sont relatives (et non à 100%), car divers facteurs
internes et externes entrent en jeu, qui limitent la portée des hypothèses sous-jacentes au
lecte et augmentent la variation inhérente :
a) facteurs internes (provenant de l’état de connaissance de la langue par l’apprenant) :
- co-existence d’une hypothèse en cours avec un état antérieur de structuration, se
manifestant par des résurgences ponctuelles (notamment lorsque les facultés cognitives
sont moins disponibles: trouble, surcharge cognitive lors de la formulation d’un message
complexe) ;
- structurations locales, éventuellement productrices de conflits ;
- restructuration en cours: plusieurs hypothèses sont directement en compétition, donnant
des alternances et hésitations ;
3
Pour ces analyses, je me suis appuyée sur les relevés et commentaires détaillés d’un vaste corpus de
récits effectués par Véronique et Houdaïfa (cf. notamment ds Bhardwaj, Dietrich & Noyau, eds. ESF
Report Vol. 5 Temporality (1988)), et j’ai procédé à des réanalyses complémentaires associant traitement
informatisé systématique de l’ensemble des corpus (index, concordances sélectives à partir d’hypothèses
locales) et analyses discursives.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
4
b) facteurs externes (tenant aux circonstances de communication, à l’interaction) :
- reprise dans le dialogue d’une forme donnée par le locuteur dominant, supposé savoir et
servant de cible, soit en écho immédiat, soit de façon médiate par l’activation de formes
normalement moins disponibles qui seront privilégiées au cours de la conversation. Le
recours à des outils de traitement informatique des formes, (index, concordances, tris de
formes ordonnés suivant le déroulement longitudinal de l’enquête) permettra de mettre en
évidence le phénomène : dans le premier cas (écho, reprise), on aura un hapax ou un
précurseur lointain de formes beaucoup plus tardivement acquises, dans le second cas une
fréquence élevée massée dans un seul texte.
Pour pouvoir prendre une vue plus globale sur les paradigmes de formes verbales et
leur fonctionnement chez les apprenants, des outils informatiques simples de comptage et
de tri appliqués aux données transcrites ‘brutes’ (sans codages additionnels) se sont
révélés utiles, moyennant quelques précautions étant donné la nature des données, comme
nous le verrons ci-dessous. Détaillons tout d'abord les étapes de la méthodologie adoptée :
a) procéder à un relevé exhaustif, sur un index de fréquence total des données de
l'apprenant, de toutes les occurrences des formes assignables à un lexème verbal donné
(lemme) ;
b) constituer l’inventaire des formes différentes pour ce vocable (‘formes’ = allomorphes
+ morphèmes liés) ;
c) examiner les relations entre les formes et les contextes sémantiques et syntaxiques où
elle apparaissent :
- rechercher les contrastes potentiellement distinctifs;
- mettre en relation chaque forme avec les éventuels facteurs de son apparition.
Ce travail suppose une interprétation de la valeur fonctionnelle-sémantique attribuable à
chaque forme dans chaque contexte d’apparition, et mène à d):
d) formuler des hypothèses globales et locales sur les principes de la structuration
morphologique en fonction de l’observation contextuelle et interprétative des données ; les
hypothèses sont confirmées / infirmées et affinées par ajustements progressifs ;
e) constituer éventuellement des classes de lexèmes caractérisées par un même ensemble de
schèmes formels et de comportements au regard des contextes et des valeurs de chaque
schème.
Nous avons appliqué cette démarche sur une sélection de lexèmes verbaux au corpus
d’Abdelmalek (désormais AE, apprenant arabophone de français), en voici quelques
résultats (cf. présentation détaillée dans Noyau 1995).
A partir de l’index des fréquences de toutes les formes différentes dans les données
d’AE, il nous fallait retenir, à partir de l’inventaire des formes accompagné dans certains
cas d’un rapide examen de contextes, des verbes significatifs suffisamment fréquents et
bien répartis dans les données. Puis nous avons dressé la liste de toutes les formes sous
lesquelles apparaissaient les lexèmes choisis, et effectué des concordances sélectives pour
toutes les occurrences de chacune de ces formes à travers les trois cycles de données. C’est
à partir de celles-ci, et dans quelques cas d’un retour aux transcriptions pour disposer d’un
contexte plus large d’interprétation, que s’effectuent la formulation et la vérification des
hypothèses.
Etant donné la quantité de données à prendre en compte et à traiter, et le fait que ces
traitements ne soient que partiellement automatisables, on est confronté à la necessité d’un
choix optimal des lexèmes verbaux, pour effectuer ce relevé exhaustif et en même temps
contextuel dans les données d’un locuteur. Dressons un rapide inventaire des critères de
choix (qui, pour un verbe donné, ne sont pas toujours en accord entre eux) :
a) il doit s’agit de vocables potentiellement significatifs, c'est-à-dire se manifestant sous
plus d’une forme, utilisés dans des contextes diversifiés, dans plus d’une fonction) ;
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
5
notamment, puisqu’il s’agit du domaine référentiel de la temporalité, il est bon de retenir
des lexèmes représentants prototypiques de traits de temporalité inhérente (d’aktionsarten)
différenciés ;
b) susceptibles de donner des résultats clairs étant donné les idiosyncrasies
phonologiques ;
c) suffisamment fréquents et bien répartis dans les données, c'est-à-dire apparaissant de
façon assez indépendante des thèmes, donc pour des types d’activités divers.
En ce qui concerne le choix des lexèmes verbaux, la fréquence, la répartition à travers
les différents types d’activités, la diversification des formes, la possibilité de contraster des
traits temporels inhérents (ex. marcher / aller / arriver …) nous ont orientée vers le champ
des verbes de mouvement (domaine étudié par ailleurs du point de vue sémantique chez
Abelmalek comme chez les autres apprenants de l’enquête européenne (cf. Becker &
Carroll eds., 1988, Porquier et coll. 1987, Giacobbe 1989). Un autre choix un moment
envisagé: celui des verbes de communication, a été abandonné sur un examen préliminaire
des listes de fréquence confirmant des observations sur corpus:
- du point de vue de l’éventail de formes, ‘dire’ est régi par des hypothèses locales, se
présentant chez AE principalement sous deux formes figées: (sujet 3e pers.) [madi] / (sujet
1e pers.) [ledi] (les autres formes sont [(i)(l)adi] [di]), sans diversité selon le temps;
- du point de vue des contrastes potentiels de temporalité inhérente, la distinction
sémantique n’est pas nette dans le lexique de l’apprenant entre le verbe d’action (à états
distincts) et le verbe d’activité (duratif, sans changement): ‘dire’ vs ‘parler’.
Prenons deux exemples significatifs, et plus clairement interprétables : les lexèmes
‘partir’ et ‘rester’, sur lesquels nous allons illustrer les difficultés du travail sur la
morphologie dans ces lectes d’apprenants, les apports des procédures automatisées et leurs
limites.
PARTIR
Ce vocable a un sémantisme plus large qu’en LC, il inclut des emplois correspondants à fr.
aller, maintenant toujours le trait de constitution temporelle +DIST:
(10) moi [parti] la consulat et [dœmãde] le fiche (lafae15a .1tr:521:a )
(interprétation en contexte: ‘je suis allé au consulat demander ma fiche’)
Les formes de l’index total des données de l’apprenant relevant visiblement de ce vocable
sont les suivantes (à lire phonétiquement):
(11) aparti 5, apartir 1, epar 1, eparte 1, eparti 20, ileparti 6, liparti 9, ilaparte 1, ilaparti 23, ipar 1, ipart
7, iparti 8, laparte 1, laparti 1, lapartir 1, leparti 17, liparti 9, maparti 6, mapartir 1, vapartir 1, par
472, part 6, parte 101, parti 146, partir 6
Un examen des formes en contexte montre que toutes les occurrences de ces formes
relèvent bien du vocable, sauf les formes par, pour laquelle la fréquence totale rassemblait
aussi des occurrences de la préposition ‘par’, y compris pour l'expression figée de
fréquence élevée ‘par exemple’ et le schème d’itération ‘par + (unité de temps)’, et part,
qui rassemblait aussi des occurrences du nom ‘part’. Il faut donc trier selon les contextes
les formes pertinentes à l’aide de concordances sélectives.
Nous reviendrons sur les hypothèses de différenciation temporo-aspectuelle que
l’apprenant construit successivement sur le oppositions entre ces formes.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
6
RESTER
Ce vocable possède un sémantisme plus large qu’en LC, il inclut des emplois
correspondant à fr. ‘se placer’, ‘être posé’, … donc il peut posséder des traits de
temporalité inhérente différents selon les emplois, soit +DIST, soit +DUR -CHG :
(12)
[ilmareste] la chaise tu [kas] la chaise
(= ‘il s’assoit sur la chaise il casse la chaise’)4 (AE35I)
Les formes relevant potentiellement de ce vocable dans l’index sont les suivantes:
napareste 1, eres 2, ereste 2, ilareste 1, ilres 1, ires 1, irest 4, ireste 8, lœreste 1, mares 1, mareste 3,
res 15, rest 60, reste 142, resti 1, riste 2, sereste 1, tareste 1, Zareste 1, Zepareste 1, Zereste 1,
onereste 1
L’opposition sémantique entre les deux lexèmes au regard des traits temporels n’est pas
toujours la même qu’en LC : partir = +DIST, rester = +DUR, -CHG. Comme dans (12),
parfois le lexème est associé à un procès de changement de position, rester = +DIST.
Certaines formes sont massées à un moment donné de l’acquisition, et dans certaines
activités langagières : ainsi en est-il des distributions de [liparti] (lafae13a à lafae16a = entre
16 et 20 mois de séjour, dans les conversations) et de [maparti] (lafae35i = à 43 mois de
séjour, dans le récit des Temps Modernes) :
======================== < liparti > ========================
lafae13a .3tr:98:a <# paskø #> moi <# liparti #> / + non <# jãna #> pas rien
lafae13a .4tr:48:a <# paskø #> <# liparti #> la : la /
lafae13a .4tr:176:a lundi + lundi <# liparti #>
lafae13a .5tr:32:a < ( xxx ) > <# jãna #> deux :ans jamais <# liparti #> le maroc
lafae13a .5tr:46:a oui même V<# liparti #> <# jãna #> pas des sous V +
lafae13a .5tr:124:a ah + je <# krwa #> moi <# liparti #> / <# le #> comment <# sapel #>
lafae15a .1tr:491:a après <# liparti #> la <# kis #> euh / + <# parti #> la <# kis #>
lafae15a .2tr:355:a après <# liparti #> la <# kis #> euh / + <# parti #> la <# kis #>
lafae16a .2tr:366:a ++ je <# parte #> jusqu à huit †heures + le gardien <# liparti #>
======================== < maparti > ========================
lafae35i .1tr:101:a il <# maparti #> la pri†son ++ <# jana #> quelqu un <# ilma + fe #>
lafae35i .1tr:340:a il <# maparti #> \
lafae35i .1tr:348:a il <# maparti #> à la mai <> / à la mai†son
lafae35i .1tr:375:a l autre + <# maparti #> VV †ah ouais ++ après le + / pardon
lafae35i .1tr:409:a bon + le †elle il <# mares:te #> + après il <# maparti #> + le
lafae35i .1tr:463:a <# meprã#> le planche le bateau il <# maparti #> + il
======================== < mapartir > ========================
lafae35i .1tr:257:a police + il <# mapartir #> l autre VV comme la <* biro *> de
Un relevé des autres formes verbales commençant par ma- permet de confirmer l’hypothèse
que la liste ci-dessus suggère: ce préfixe n’est pas un pronom oblique mais une flexion
verbale, et de vérifier
a) que les formes de ce schème ma-V-e sont utilisées non seulement dans du récit de fiction,
mais aussi dans des passages narratifs des conversations, à ancrage déictique, comme
schème de passé,
b) que ce schème est utilisé pour des verbes transitionnels (situations à états distincts), pour
des événements singuliers révolus, et non pour des verbes comportant le trait duratif non
transitionnel.
4 Ceci
est une glose de l’interprétation contextuelle, rappelons-le. L’énoncé est extrait d’un récit de film,
sans ancrage déictique.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
7
La seule exception apparente est: magard(e) (cf. ‘regarder’), mais les occurrences de cette
forme concernent des actions à statut d’événement narratif (interprétation: ‘jeter un regard’),
donc +CHG, +DIST également :
======================== < magard > ========================
lafae39s .1tr:122:a le chef de service de la douane++ il <# magard #> comme ça là +
lafae39s .1tr:519:a <# marete #> en face d un bâtiment + il <# magard #> comme ça
======================== < magarde > ========================
lafae39s .1tr:692:a <> oui + eh il <# magarde #> le feuille comme ça ( xxxx ) il
Ainsi, la dispersion morphologique se modifie au fil de l’acquisition, par l’apparition ou la
disparition de certains schèmes pour un verbe donné et leur spécialisation selon certains
contextes sémantiques, ce qui permet de mettre en évidence l’évolution des hypothèses
globales sous-jacentes à la structuration de la morphologie chez l’apprenant.
De l’hypothèse lexicale à l’hypothèse aspectuelle puis à l’hypothèse temporelle
Les différentes hypothèses envisageables de structuration de la morphologie temporelle
sous-jacentes aux lectes des apprenants sont les suivantes :
HØ = hypothèse nulle : pas de variation morphologique des verbes (un lexème - une
forme), ou variation inhérente, non reliée à des hypothèses de structuration (cf. infra).
Hi = hypothèse fondée sur la temporalité inhérente des situations : les variations formelles
des verbes peuvent être reliées à la variation concomitante de traits temporels inhérents aux
situations prédiquées (i.e. le verbe et son environnement actanciel).
Ha = hypothèse aspectuelle : les variations formelles des verbes peuvent être reliées à la
variation concomitante de l’aspect sous lequel la situation est présentée (relations entre TT
(ou MQ) et TSit (ou MS) cf. Klein 1988, 1994; Noyau 1991) ;
Ht = hypothèse temporelle : les variations formelles des verbes peuvent être reliées à la
variation concomitante de localisation de l’intervalle temporel associé à la situation.
Envisagée à partir du traitement des données du corpus exposé ci-dessus, l’évolution de la
morphologie verbale chez AE peut être retracée en pas successifs de la façon suivante :
HØ —> Hi —> Ha —> Ht
AE1 (+14)5 : lecte de base
le lexique verbal est déjà riche, la variation formelle des lexèmes verbaux est importante
(avec une grande variété d’affixes antéposés et postposés), mais aucun principe contextuel
de distribution, aucune opposition temporo-aspectuelle ne sous-tendent cette variation, qui
revêt un caractère pré-systématique (HØ).
AE2 (+21) : premières tentatives de structuration morphologique du verbe
La préfixation ne joue encore aucun rôle dans la morphologie verbale ; seuls quelques
lexèmes verbaux sont différenciés en personne par une marque personnelle de sujet clitique,
mais le composant Aux n’est pas encore isolé. Les schèmes de suffixation -V-e et -V-Ø se
répartissent le plus souvent selon des traits de temporalité inhérente des situations (Hi) —
mis à part l’utilisation modale de V-Ø pour l’injonction. A la fin de cette période, on
assiste à l’émergence d’une hypothèse aspecto-temporelle (Ha/t), contrastant le schème Ve pour le passé et/ou l’accompli et le schème V-Ø (on manque malheureusement de
contextes qui auraient permis de départager les deux hypothèses).
AE3 (+24) : la morphologie pour la mise en perspective
5 La
formule (+nn) spécifie la durée de séjour de l’apprenant dans le pays de langue cible. Ex. AE (+21) =
Abdelmalek, après 21 mois de séjour en France.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
8
Les schèmes V-e vs V-Ø commencent à se répartir en fonction d’une nouvelle hypothèse
aspectuelle Ha : V-e pour le perfectif et l’accompli / V-Ø pour l’imperfectif avec une valeur
dérivée d’irrealis, hypothèse qui entre en compétition avec les deux antérieures Hi et Ha/t
sans parvenir à s’y substituer.
AE4 (+33) : différenciation aspectuelle et cohésion narrative
L’hypothèse aspectuelle Ha se stabilise, et se donne à voir de façon nette dans le discours
narratif, où V-e apparaît pour les événements singuliers de la trame et V-Ø pour des
situations itératives ou habituelles dans l’arrière-plan.
AE5 (+40) : vers une morphologie temporo-aspectuelle
L’identification du composant Aux qui se différencie des pronoms pré-clitiques devant le
verbe permet le marquage plus consistant de l’hypothèse temporo-aspectuelle Ha/t
antérieure. Cette phase est prometteuse de restructurations futures plutôt que
sémantiquement et fonctionnellement novatrice. Le complexe verbal dans l’énoncé a été
segmenté en composants fonctionnels conformément à la LC : (Pro1) (Pro2) (Aux) V
(Flex), qui devraient permettre des restructurations fonctionnelles subséquentes. La lenteur
avec laquelle ces évolutions se sont fait jour, et notamment l'importance d'une phase
présystématique avec foisonnement allomorphique préverbal, ne sont sans doute pas sans
relation avec des traits sémantiques (dominance de l'aspect) et morphologiques (marquage
préverbal de l'imperfectif vs postverbal du perfectif) du système aspecto-temporel en arabe
dialectal (Véronique, comm. personnelle, von Stutterheim 1996 sur l'arabe algérien). Il reste
que le processus de morphologisation a été initié pas à pas par l'apprenant, à travers des
tentatives de structuration selon différents principes, sémantiques et discursifs.
B. Hypothèses sur les liens formes-valeurs : Mari
Pour ce deuxième aspect, notre illustration portera sur les données d’acquisition du
suédois par une apprenante finnoise: Mari. 6
Nous avons voulu prendre une vue exhaustive d’un paradigme verbal sur un verbe
fréquent, susceptible de faire partie de trames narratives (trait temporel +DIST) et commode
du point de vue de l’identification des formes. Après examen de l’index de fréquence des
données de Mari, notre choix s’est porté sur le verbe ‘ta’ (= prendre), qui apparaissait avec
un nombre d’occurrences suffisant pour tous les schèmes flexionnels, et semblait donner
lieu à des occurrences de Parfait. Voici le tableau de répartition des formes :
6 Rappelons
que le suédois a l’avantage pour notre thème de présenter, comparativement au français, des
paradigmes morphologiques plus clairs: une seule forme par tiroir verbal (pas d’accord en personne ou
nombre) ; assez forte transparence des flexions, qui réduisent la phase préliminaire de tentatives de
segmentation.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
9
‘PRENDRE’
ta
tag + tåg (LC tog = Ø)
tar
tagit + tågit + tagi
valeur
en LC
Infinitif
Prétérit
Présent
Participe Passé
______________________________________________________
Nombre d’occurrences
a) dans l’ensemble des données
Total =
116
116
3 + 23
26
11
11
14 + 8 + 1
23
b) dans les récits des Temps Modernes (TM)
TM I (+15)
TM II (+25)
TM III (+30)
11
9
1
–
2
20
–
–
–
1
13
5
Total TM =
21
22
–
19
Tableau 1
Les occurrences du verbe ta (prendre) dans les données de Mari
On voit que si la fréquence cumulée d’une forme n’est pas très informative, la
répartition selon les cycles dans une activité très homogène menée à trois reprises (à 19, 25,
et 30 mois de séjour) montre clairement l’investissement successif de différents schèmes
morphologiques comme temps de base du récit de fiction : d’abord celui de l’Infinitif,
forme minimale du verbe (TM I), puis celui du Participe Passé (Parfait avec ou sans
auxiliaire : TM II), enfin celui du Prétérit, qui a d’abord été acquis pour le passé déictique
(il apparaît dès le cycle antérieur dans les conversations avec cette valeur), et qui assume une
nouvelle fonction, celle de temps narratif de la fiction, dans la version la plus tardive de la
tâche (cf. Noyau 1991, 1995).
Examinons de plus près à cette lumière les relations entre morphologie temporelle et
structure discursive dans les récits de cette apprenante.
• Le premier récit de film (TMI, +19) est structuré de façon très claire: événements de la
trame liés implicitement par le principe de l’ordre naturel, ou reliés par un connecteur
‘après’ (å sen) après des ruptures référentielles (énoncés d’arrière-plan, commentaires
métadiscursifs, recherches lexicales…). Dans ce cadre, la distribution des formes verbales
est extrêmement régulière : une forme courte constitue la forme de base du récit pour les
événements de la trame (V-a (=infinitif de la LC) ou V-Ø). Quant aux formes marquées :
ha(r) V-t (le Perfekt = accompli de la LC) apparaît dans l’arrière-plan pour des retours en
arrière (interprétables aspectuellement comme des accomplis) ; le schème de Prétérit
Vde/te est utilisé pour des situations duratives d’arrière-plan (och dom pratade … ‘et ils
parlaient’ (assis sous un arbre) ; enfin le schème marqué de Présent V-r accompagne des
verbes de position ou de mouvement duratifs, pour des activités localisées dans le “passé”
fictif de l’histoire.
• Dans le second récit de film (TMII, +25), à côté du schème V-a toujours prédominant
pour les événements de la trame, le schème de Parfait ha(r) V-t ajoute aux emplois du récit
précédent des occurrences dans la trame où les événements sont présentés dans une
perspective aspectuelle d’accompli: l’événement narratif consistant à ce que le protagoniste
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
10
se trouve alors dans une situation nouvelle non bornée à droite résultant d’un procès
accompli, et qui requiert action ou réaction. Enfin le schème marqué de Prétérit apparaît,
surtout pour des verbes irréguliers fréquents, surtout dans l’arrière-plan, comme dans les
subordonnées temporelles où il entre en compétition avec Présent et Parfait; ainsi que dans
certains énoncés de la trame, en compétition avec le schème non marqué. La nouvelle forme
doit lutter pour se construire un espace fonctionnel.
• Dans un long récit biographique (+28), on trouve la plupart des énoncés marqués comme
passé avec le Prétérit — qui en suédois comme en anglais ou allemand est neutre
aspectuellement, compatible avec le perfectif comme l’imperfectif — et ce pour des
événements singuliers comme pour diverses situations d’arrière-plan. Le récit comprend
maintenant chez cette apprenante de nombreuses prédications d’événements
psychologiques ou états mentaux qui entretiennent des relations, temporelles et autres,
variées et complexes avec les événements factuels. Le répertoire de moyens explicites
s’étant enrichi pour toutes les notions temporelles, le discours a gagné en flexibilité et en
indépendance du contexte.
• Enfin, dans le dernier récit de film (TMIII, +30), la restructuration fonctionnelle de la
morphologie est nette : le Prétérit remplace les autres schèmes dans quasiment toutes les
fonctions (avec des conflits manifestés par des auto-corrections et des sur-généralisations).
Il est vraisemblable que le schème court V-a des verbes de la classe I soit réinterprété
maintenant comme un Prétérit tronqué du registre familier. Le schème de Parfait régresse, et
se cantonne à des emplois de passé antérieur ou d’accompli du passé. Le Prétérit est
vraiment devenu le temps de base du récit ancré déictiquement comme du récit de fiction.
C. Morphologie temporelle et structure discursive
Voyons en comparaison avec l'évolution dégagée chez Mari ce qui se dégage dans
l'acquisition du suédois chez d’autres apprenants de ce même point de vue.
Chez l’Uruguayenne Nora, chez qui la différenciation de la morphologie verbale fut
relativement lente, on remarque une évolution similaire des fonctions discursives des
schèmes morphologiques au cours de leur appropriation.
• Dans le récit de film du deuxième cycle de données (TMI, +32), les événements de la
trame sont à la forme de base non marquée (V-a) ou à la forme du Présent (V-r), alors que
le Prétérit n’apparaît que dans l’arrière-plan, pour des situations statiques, et pour des
retours en arrière (valeur de passé antérieur).
• Un an après, dans le dernier récit de film (TMII, +43), le développement formel des
paradigmes verbaux a entraîné une augmentation sensible de la proportion et de la variété
des formes fléchies de passé : le Prétérit marqué affecte maintenant de nombreux
événements de la trame, d’autres étant au Parfait. Mais cette apparence plus conforme à la
LC du lecte est obtenue aux dépens de la systématicité de distribution discursive : les
événements narrés, de la trame comme de l’arrière-plan, peuvent apparaître à toutes les
formes fléchies comme à la forme de base non-marquée, qui n’est pas encore réanalysée en
Prétérit réduit. La mise en relief n’est plus marquée dans la morphologie verbale.
Chez un autre Hispano-américain, l’Argentin Fernando, au moment du premier récit
de film (TMI, +18) les verbes ne sont pas encore fléchis, sauf une occurrence dans un
discours rapporté, pour un procès à valeur résultative7 :
7
Cette distribution est un exemple parmi beaucoup du statut spécifique du discours rapporté dans les
lectes d'apprenants : y apparaissent des innovations au regard du lecte qui ne seront étendues aux énoncés
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
11
(13)
å sen flicka träffa Chaplin å säga “ja träffade en drömmehus”
‘et après fille rencontr- Chaplin et di- “j’ai-trouvé une maison de rêve” ’
et pour la situation finale du film, qui est, elle, imperfective:
(14) å sen eh dom gick på gatan + där sluta + film
‘et après euh ils marchaient dans la rue + là fini- le film’
• Dans TMII (+26), les événements de la trame sont parfois au Présent marqué V-r , et le
schème de Prétérit marqué intervient dans l’arrière-plan (états psychologiques, actions
d’actants secondaires).
• Dans TMIII (+33), les procès de la trame sont davantage traités au Présent marqué, alors
que le Prétérit se multiplie dans l’arrière-plan, pour des procès duratifs, et pour des actants
secondaires :
(15) å sen vaknar Chaplin + Chaplin vaknar + å sen vaknade polis
‘et après se réveille Chaplin Chaplin se réveille + et après s’est-réveillé le policier’
• Enfin dans un récit biographique de la dernière époque (+35), les procès de la trame sont
généralement à la forme non-marquée, mais le Prétérit marqué entre en compétition avec
celle-ci pour la même fonction, conflit mis en évidence par des auto-corrections, en même
temps qu’il est en compétition avec forme non-marquée et Présent dans la trame : c’est là
une phase instable de restructuration.
Plusieurs constantes se dégagent de tout ceci — et de données convergentes
d’autres apprenants de suédois (cf. Noyau 1991 chap. VIII - XI, et chap. 7 in Dietrich,
Klein & Noyau 1994), en ce qui concerne les aspects discursifs du passage du stade de
l’organisation de l’énoncé à verbe lexical au stade du verbe fléchi (cf. IUO —> FUO in
Klein & Perdue 1992) :
- dans ces récits, les formes marquées de passé apparaissent d’abord pour des procès
d’arrière-plan, dans des énoncés qui ne sont soumis à aucune contrainte du point de vue
des relations temporelles et de l’aspectualisation, et où cette information n’est donc pas
redondante ;
- ce ne sont pas les procès transitionnels, téliques, qui sont marqués en premier, mais des
procès duratifs homogènes, contrairement à ce qui semble le cas dans l’acquisition
enfantine ;
- l’évolution du marquage temporel, de contextes discursifs spécifiques (dans l’arrière-plan
vs la trame) vers une généralisation, illustre bien la conception de la grammaire comme
émergente (cf. Hopper 1987).
D. Acquisition de la morphologie temporelle et structures discursives chez les
enfants
Dans l’acquisition de la langue première, l’étude transversale de Hickmann &
Roland (1992) sur le marquage temporo-aspectuel dans des récits chez des enfants de
différentes tranches d’âge à partir de 4 ans et chez des adultes apporte des résultats
significatifs. Dans toutes ces données, les catégories flexionnelles sont déjà en place, les
pris en charge par le locuteur lui-même que plus tardivement : ces innovations sont donc captées et
traitées, mais comme des faits de langue propres à autrui : l'appropriation ne s'est pas encore faite. On doit
donc évoquer ici aussi un facteur sociolinguistique reliant évolution du lecte et sentiment d'identité —
voire de propriété (cf. Deulofeu 1981, Dubois, Noyau, Perdue et Porquier 1981, Klein 1984-89 …).
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
12
formes sont toutes reconnaissables et classables, avec peu de cas idiosyncrasiques non
assignables clairement à un paradigme temporel. Il ne s’agit plus de la construction initiale
des catégories. Mais l’on peut considérer que le processus de grammaticalisation s’est
poursuivi entre les enfants de 4 ans et les plus âgés, et entre enfants et adultes, dans deux
directions :
a) l’assouplissement d’une association initiale forte entre sémantique lexicale et marquage
du passé (4;x), vestige potentiel de phases où la catégorie du passé perfectif s’était installée
d’abord dans des cas prototypiques de procès bornés ;
b) une flexibilité accrue des choix flexionnels chez les adultes, dans la mesure où
l’interaction sémantisme du lexème X flexion est plus faible, et où les changements par
rapport à une stratégie lexicale sont disponibles pour des fonctions discursives de mise en
relief, d’aspectualisation de la trame.
Si la maîtrise de la mise en relief par les enfants est tardive, malgré la disponibilité
de la morphologie verbale, chez les apprenants adultes c’est cette capacité d’organiser leurs
textes en plans (en LM) qui fournit un cadre structurant à l’émergence d’oppositions
aspectuelles.
E. Le développement de la morphologie temporelle dans l’acquisition enfantine
d’une langue étrangère
Voyons ce qui ressort de travaux longitudinaux sur l’acquisition enfantine de la
morphologie verbale en LE, comme celui de Devitt (1992) sur l’acquisition du français en
milieu social par des enfants anglophones de 10 à 13 ans (acquisition rapide, avec des
prises au moins deux fois par mois sur une durée de 3 à 5 mois).8 Le travail de Devitt, à
partir d’interactions en situation et de conversations avec enquêteur, examine
minutieusement les formes verbales et leur contexte sémantique de temporalité immédiat
plutôt que leur insertion dans la structure discursive.
Une tendance se dégage nettement pour les phases initiales : le marquage de chaque
temps est très dépendant du lexique; il se développe initialement avec des verbes (ou des
prédications …) qui leur correspondent bien du point de vue de la temporalité inhérente :
passé avec des verbes ou des prédications téliques, présent avec des verbes ou prédications
duratifs non bornés à droite (+DUR, -CLO Dr : procès d’ “activité” dans la terminologie
de Vendler). On peut en conclure à l’origine lexicale de la morphologie, dans le sens des
hypothèses de Bybee (1991).
Devitt interprète ces résultats dans le cadre de la problématique : “aspect ou temps
d’abord?” (cf. les débats autour de la 'defective tense hypothesis', Weist (1986), Schlyter
(1990). Les débats sur cette question sont marqués par une certaine confusion entre aspect
stricto sensu et constitution temporelle (interne) des procès (désignée souvent comme
“aspect lexical”). Si certaines marques émergent électivement avec certains ensembles de
lexèmes verbaux, on ne peut en conclure qu’il s’agisse de la construction (flexionnelle) de
la catégorie aspect, il s'agit bien plutôt du marquage du temps pour un ensemble limité de
lexèmes verbaux possédant certains traits de temporalité inhérente.
On peut par ailleurs se demander si les traits temporels invoqués comme variable
indépendante sont liés au sémantisme du lexique verbal, ou bien aux caractéristiques
temporelles inhérentes des situations. Dans la majorité des cas, les deux marchent
ensemble, on a un effet de prototypicité, mais l’environnement actanciel notamment peut
inverser les valeurs (ex. casser un verre : +CLO Dr, -DUR / casser du bois : +DUR, -CLO
8 Cf.
aussi celui de Schlyter (1991) sur l’acquisition enfantine du français et de l’allemand.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
13
(‘activité’ selon Vendler); de même lire la lettre / lire des livres / lire Ø ; Pierre est parti : DUR ou momentané / les invités sont partis : +DUR, +CHG, ±CLO).
Pour pouvoir départager l'hypothèse lexicale de l'hypothèse fondée sur la
constitution temporelle des situations énoncées, il faudrait trouver dans les données
suffisamment de contextes discriminants pour établir si le marquage temporo-aspectuel est
associé à des lexèmes comportant un certain trait temporel, y compris lorsqu'ils renvoient
contextuellement à des situations dont les traits de constitution temporelle sont inversés, ou
bien à des situations (en contexte) dotées de certains traits temporels, même exprimées au
moyen de lexèmes verbaux dont l’emploi prototypique ne possède pas ce trait. La
comparabilité entre études fait souvent défaut étant donné les méthodes divergentes utilisées
pour catégoriser les données (notamment la caractérisation sémantique concerne-t-elle les
verbes ou les prédications).
II. Aperçus sur le processus de morphologisation
On évoque souvent une série de facteurs susceptibles d’expliquer (ensemble ou
séparément) le retard du développement des marques flexionnelles par rapport au
développement des autres moyens temporels dans l’acquisition de langues étrangères.
A. dans l’activité de réception/compréhension
• facteurs liés à la perception des marques :
- saillance faible (marques liées, réduites, cliticisées donc atones) ;
- amalgamées (information de temps, ou de temps + aspect, + personne, nombre…) ;
- amalgames radical + flexion, irrégularités des paradigmes pour les lexèmes les plus
fréquents ;
• facteurs liés à leur interprétation sémantique :
- caractère concret vs abstrait du sémantisme ;
• facteurs liés au fonctionnement grammatical des marques :
- les marques obligatoires sont souvent redondantes: leur sémantisme est annulable, elles
apparaissent pour une part dans des contextes très éloignés de leur valeur première ou
prototypique (ainsi pour le Présent, marquant le présent déictique, mais aussi l’atemporel, le
présent de narration, l’irrealis).
En résumé, le lien forme-fonction est opaque et peu stable pour une série de raisons
convergentes.
B. dans l’activité de production/construction du discours
- la priorité chez l’apprenant va à la mise en place du matériel lexical, plus porteur
d’information ;
- le cadre global de la structure textuelle et discursive constitue un appui sûr pour les
locuteurs adultes, qui se fondent davantage sur un niveau global que local.
De ce point de vue, les limitations (lenteur, imperfections) de l’acquisition tardive
d’une langue par rapport à son acquisition précoce au regard de l’acquisition
morphologique laissent inférer des stratégies de traitement significativement différentes
chez les jeunes enfants et les adultes.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
14
En conclusion
Les phénomènes de restructuration du lecte pour y faire place à la morphologie que
nous avons examinés — manifestations du processus de morphologisation — peuvent être
réévalués à la lumière d’apports de la linguistique cognitive.
1• La morphologisation comme lieu de conflit entre niveaux de contraintes
L’acquisition de la morphologie est un processus lent et progressif, non exempt
d’apparents retours en arrière, et de zones de turbulence. L’apprenant a été vu comme
oscillant entre différents principes de variation des formes verbales :
- le niveau lexical : une unité - une forme (éventuellement complexe) ;
- le niveau sémantique : temporalité inhérente des procès ou aspectualité lexicale ;
- le niveau textuel : trame vs structures secondaires ;
- le niveau grammatical : paradigmes gouvernés par des règles catégoriques.
On pourrait y ajouter, selon cette vision classique de la morphologie :
- le niveau des conventions : les normes restreignant la portée des règles. Il est clair que
l’apprenant ne peut accéder à ce niveau que lorsqu’il a pu effectuer des généralisations
suffisantes : maîtriser le niveau des règles. De ce point de vue, une phase de surgénéralisation est la condition sine qua non à la maitrise du système achevé avec ses
contraintes locales.
Cependant, il est possible de réenvisager de façon cognitivement plus adéquate la
morphologie flexionnelle, en suivant les propositions de Bybee (1991 notamment). Pour cet
auteur, on doit remettre en question la conception de type ‘combinatoire et paradigmesexceptions’ de la morphologie flexionnelle qui prend le morphème comme unité de base.
On doit lui préférer une conception lexicale prenant le mot comme unité de base:
‘morphological patterns emerge through the comparison of words within and across
paradigms’ (‘les schèmes morphologiques émergent par la comparaison entre mots à
l’intérieur des paradigmes et entre ceux-ci’). Le lexique doit être vu non comme une liste
d’entrées ou un dictionnaire à seulement 2 dimensions, mais ‘rather as a highly structured
and organized network in which entries are interconnected and form relationships of
various sorts’ (‘plutôt comme un réseau hautement structuré et organisé où les entrées sont
interreliées et entrent dans des relations diverses’). De plus, le lexique mental est
dynamique, et tous les mots n’ont pas le même statut : la force des représentations lexicales
varie en fonction de l’usage ou du non-usage des unités lexicales ; et toutes les formes
lexicales ne sont pas forcément stockées: de même que les mots complexes dérivables
d’autres mots, surtout lorsqu’ils sont peu fréquents, les formes fléchies peu fréquentes
pour un sujet ne sont pas stockées en mémoire mais sont construites lors de leur activation.
Chez l’apprenant, la complémentarité entre unités constituant des entrées lexicales et
complexes résultant d’une combinatoire est évolutive et fluctuante. Après la phase initiale
de collection d’unités lexicales en tant que segments non analysés, chaque expérience de la
langue introduit de nouvelles unités lexicales pouvant entrer dans divers types de relations
et constituer / modifier des paradigmes locaux, des micro-systèmes, susceptibles de
réanalyses ultérieures et de liens évolutifs avec d’autres éléments.
2• La morphologisation comme composante de la grammaticalisation
interactions entre domaines de la grammaire dans la restructuration des lectes
:
La morphologisation n’est par ailleurs pas indépendante d’autres aspects de la
grammaticalisation dans l’acquisition. Ainsi, en allemand, Klein et Dittmar (1979) et Klein
(1984) ont décrit comment l’acquisition des règles de placement du verbe dans la phrase,
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
15
manifestation de la construction d’une distinction verbe fléchi / non-fléchi, précède et
conditionne l’acquisition de la flexion verbale. De même, l’étude de Suzanne Schlyter
(dans ce volume) sur le développement parallèle de la flexion et des pronoms clitiques
suggère de s’interroger sur l’éventuelle interaction dans l’acquisition entre ces deux
domaines de la grammaire.
3• La morphologisation dans la diachronie propre aux lectes d’apprenants
Le processus acquisitionnel va du développement du lexique aux phases initiales à
la diversification des formes des lexèmes puis à l’investissement fonctionnel des schèmes
formels. L’acquisition des marqueurs morphologiques est un processus graduel et lent.
Elle ne peut être envisagée en ‘tout ou rien’ (ou, selon une variante fréquente dans la
littérature, en termes de pourcentage minimal d’emplois corrects en contexte par rapport à la
LC). Cette conception souvent représentée dans les travaux issus de la problématique de
Krashen des ‘morpheme order studies’ fait l’impasse sur le caractère multiple des niveaux
de contrainte qui pèsent sur l’émergence et le fonctionnement des formes, et constitue une
négation du caractère construit — donc potentiellement idiosyncrasique — des liens
formes-valeurs dans les lectes d’apprenants (cf. déjà Andersen 1977).
4• Dynamiques linguistiques : les processus de grammaticalisation dans la
diachronie et dans l’acquisition
Dans la diachronie, la tension vient de l’intérieur : l’érosion de la fonctionnalité de
moyens existants, par exemple à la suite d’un changement phonologique, ayant pour
conséquence le glissement d’autres éléments vers une fonction de suppléance, par
glissement sémantique (métaphore, abstractisation). C’est le processus sous-jacent au
passage, fréquent dans les langues du monde, d’un verbe de mouvement à l’expression
d’une valeur temporelle, comme:
aller —> imminence venir (de) —> rétrospection proximale
Des phénomènes de ce type peuvent dans une faible mesure se retrouver dans l’acquisition
de langue étrangère, et relever des mêmes processus conceptuels.
Dans la diachronie, la tension peut parfois venir de l’extérieur, en cas de contact
prolongé d’un idiome avec un autre, structurellement distant. Dans l’acquisition, les
tensions peuvent être internes (ainsi, c’est sur les zones de tension d’un système cible que
se produisent des perturbations: instabilités, difficultés d’acquisition), mais aussi externes:
la tension entre le lecte d’un apprenant et le système cible avec lequel il est en
communication, dans la mesure où l’apprenant a) perçoit d’une façon ou d’autre cette
tension ; b) y est sensible en tant que locuteur dans un environnement social. Et c’est en
définitive davantage cette tension externe que constitue le souci d’accomodation en termes
sociolinguistiques, plutôt que le gain en termes de capacités communicatives, qui constitue
le moteur de la poursuite de l’acquisition morphologique au-delà des étapes initiales de la
construction de la LE.
Remarques finales
Comme on l’aura compris aux pièces du dossier ici rassemblées sur la mise en
place de la morphologie temporelle en LE chez des adultes, des progrès dans ce domaine
requièrent d’abord une approche résolument discursive de l’émergence des formes et de
leurs fonctions dans les discours d’apprenants, reconnaissant comme Hopper (1987) que la
grammaire émerge à partir de la structuration discursive. L’exemple de Mari est clair de ce
point de vue.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
16
Mais cette approche fonctionnelle du texte aux formes, nécessaire pour les
premières étapes de la mise en place, s’avère insuffisante lorsqu’il s’agit de traiter les
étapes plus avancées de l’acquisition, celles où l’apprenant doit s’approprier les aspects
conventionnels de la variété cible (pour cette distinction entre principe de contraste et
principe de conventionalité, cf. Clark 1990). Ces phases plus tardives — comme, pour des
raisons différentes, les phases initiales — appellent une conception plus lexicaliste de la
morphologie. Le processus de morphologisation peut difficilement être traité à partir d’un
modèle de la morphologie comme combinaison de morphèmes minimaux, il appelle un
modèle de la morphologie comme acquisition lexicale, l’unité de base étant la forme
lexicale, qui se trouve saisie et intégrée dans le répertoire de l’apprenant (cf Bybee 1985,
1991, Matthews 1992, Vandeloise 1990).
Un développement dans cette direction lexicaliste de la recherche sur la
morphologisation entraînerait certaines conséquences méthodologiques : les données de
production contextualisées des études de cas longitudinales devraient alors être complétées
par des données plus expérimentales sur des groupes plus importants d’apprenants,
permettant de manipuler séparément les hypothèses (formulées à partir des analyses de
données longitudinales et à partir des caractéristiques des langues en présence) sur les
différents principes de structuration en jeu dans la morphologisation du lexique verbal, pour
évaluer leurs poids relatifs et les évolutions de ces dominances (cf. Bates & MacWhinney,
1987) au cours de l’acquisition.
RÉFÉRENCES
ANDERSEN, Roger (1977): The impoverished state of cross-sectional morpheme acquisition/
accuracy methodology (or: the leftovers are more nourishing than the main course).
Working Papers on Bilingualism 14, 47-82.
ANDERSEN, Roger (1991): Developmental sequences: the emergence of aspect marking in
second language acquisition. In : HUEBNER & C. FERGUSON, eds. Cross-currents in
second language acquisition and linguistic theories. Amsterdam: Benjamins, 305-324
BATES, E.& B. MACWHINNEY (1987): Competition, variation, and language learning. In
B. MACWHINNEY, ed. : Mechanisms of language acquisition. Hillsdale, NJ: Erlbaum.
BECKER A., CARROLL M. & A. KELLY, eds. (1988): Second Language Acquisition by
Adult Immigrants, Final Report Vol. 4 Reference to space. Strasbourg, E.S.F.
BERNINI Giuliano & Anna GIACALONE RAMAT, eds. (1990):
nell’acquisizione di lingue seconde. Milano : Franco Angeli.
La temporalità
BHARDWAJ Mangat, DIETRICH Rainer & Colette NOYAU, eds. (1988): Second Language
Acquisition by Adult Immigrants, Final Report Vol. 5 : Temporality. Strasbourg, E.S.F.,
540 p.
BYBEE, Joan L. (1985): Morphology. Amsterdam: Benjamins.
BYBEE, Joan L. (1991): Natural morphology: the organization of paradigms and language
acquisition. In : HUEBNER & C. FERGUSON, eds. Cross-currents in second language
acquisition and linguistic theories. Amsterdam: Benjamins, 67-92.
BYBEE, J. & DAHL, Östen (1989): The creation of tense and apect systems in the languages
of the world. Studies in Languages 13/1, 51-103.
CLARK Eve (1987): The principle of contrast: a constraint on language acquisition. In MAC
WHINNEY, Brian, ed. : Mechanisms of language learning. Hillsdale, Erlbaum: 1-33.
COMBETTES J., FRANÇOIS J., NOYAU C. & C. Vet : Introduction à l’étude des aspects
dans le discours narratif.‘Les aspects dans le discours narratif’Verbum N° 4/1993, 5-48.
DEULOFEU José (1981): Y a-t-il un dialecte propre aux enfants de migrants ? Champs
Éducatifs 1, pp. 25-31.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
17
DEVITT Sean (1992) : Form and function in the developing verb system of five learners of
French as a second language. Thèse de doctorat, Trinity College, Dublin.
DIETRICH Rainer, KLEIN Wolfgang & Colette NOYAU (1995): The acquisition of
temporality in a second language. Amterdam, Benjamins, coll. ‘Studies in Bilingualism’
7.
DITTMAR, Norbert (1984): Semantic features of pidginized learner varieties of German. In
ANDERSEN, R. , éd. Second languages, a cross-linguistic perspective. Rowley (Mass.),
Newbury House, pp. 243-270.
DUBOIS Catherine, NOYAU Colette, PERDUE Clive & Rémy PORQUIER (1981): A propos
d'une pré-enquête sur l'acquisition du français langue étrangère en milieu naturel par des
hispanophones. In C. NOYAU, ed., Les travailleurs étrangers et la langue, Paris, GRECO
13 C.N.R.S. / Presses Universitaires de Vincennes, p. 57-78.
GIACALONE RAMAT Anna (1992): Grammaticalisation processes in the area of temporal
and modal relations. Studies in Second language Acquisition 14, 297-322.
GIVÓN, Talmy (1979): From discourse to syntax : grammar as a processing strategy. In
Syntax and Semantics, Vol 12 Discourse and syntax. New York, Academic Press, 81-112.
HEINE Berndt, Ulrike CLAUDI & Friederike HÜNNEMEYER (1991): Grammaticalization,
a conceptual framework. Chicago and London, Univ. of Chicago Press, 318 p.
HICKMANN Maya & Françoise ROLAND (1992): Développement du temps et de l’aspect
dans des récits d’enfants. Communication à la 5e Table Ronde du Réseau Européen sur
l’Acquisition des Langues, Lyon-L’Arbresle, septembre.
HOPPER Paul (1987): Emergent grammar and the a priori grammar postulate. In D.
TANNEN, ed. : Linguistics in context: connecting observation and understanding.
‘Advances in discourse processes’ XXIX, Norwood NJ, Ablex: 117-134.
KLEIN, Wolfgang (1984): Zweitspracherwerb. Eine Einführung. Königstein/Ts., Athenäum,
206 p.Trad. angl. Second language acquisition, Cambridge Univ. Press 1986. Trad. fr.
L'acquisition de langue étrangère, Armand Colin, 1989.
KLEIN Wolfgang (1988): Chap. 2 Frame of analysis. In: BHARDWAJ Mangat, DIETRICH
Rainer & Colette NOYAU, eds.
KLEIN, Wolfgang (1992): Tempus, Aspekt und Zeitadverbien. Kognitionswissenschaft 2,
107-118.
KLEIN, Wolfgang (1994): Time in language. London, Routledge.
KLEIN Wolfgang, DIETRICH Rainer & Colette NOYAU (1993) : The acquisition of
temporality. Chap. 3 de : C. Perdue, ed. Adult language acquisition : cross-linguistic
perspectives. Vol. II The results. Cambridge University Press, 73-118.
KLEIN, Wolfgang & Norbert DITTMAR (1979): Developing grammars. Berlin, Springer.
KLEIN Wolfgang & Clive PERDUE (1992): Utterance structure. Developing grammars
again. Amsterdam, Benjamins, coll. ‘Studies in Bilingualism’ 5.
MATTHEWS P.H. (1974, 19922 ): Morphology. An introduction to the theory of wordstructure. Cambridge University Press, 244p.
NOYAU Colette (1990): “Structure conceptuelle, mise en texte et acquisition d’une langue
étrangère”. In J. FRANÇOIS & G. DENHIÈRE, éds. : Cognition et langage Langages
100, décembre, p. 101-114.
NOYAU Colette (1991): Construction du récit, construction de la langue. La temporalité dans
le discours narratif. Thèse pour le diplôme national d’habilitation à diriger des
recherches, 2 vol. thématiques + 2 vol. Université de Paris VIII.
NOYAU Colette (1995): Chapitres Acquisition of French, Acquisition of Swedish, de :
DIETRICH, KLEIN & NOYAU.
NOYAU COLETTE (1995): Référenciation temporelle et structuration du discours narratif
en langue non-maternelle.. Communication à la VIe table-Ronde du Réseau Européen de
laboratoires sur l’Acquisition des Langues, Barcelone, mars. A paraître.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
18
PERDUE, Clive, ed. (1993): Adult language acquisition: cross-linguistic perspectives.
Volume I : Field methods, 253 p. Volume II: The results., 284 p. Cambridge University
Press.
SCHLYTER Suzanne (1990): The acquisition of French temporal morphemes in adults and
in bilingual children. Dans G. BERNINI & A. GIACALONE RAMAT, éds. La
temporalità nell'acquisizione di lingue seconde. Milano, Franco Angeli.
STUTTERHEIM Christiane von (1996): Weitere Aspekte. Zum Ausdruck von Aspekten im
Algerischen. Papier de travail, Université de Heidelberg.
VANDELOISE Claude (1990): Règles ou listes: l’arbitrage de la morphologie. Le Français
Moderne 3/4, 224-234.
WEIST, R. M. (1986): Tense and aspect. . In: P. FLETCHER & M. GARMAN, eds.
Language acquisition: studies in first language development. 2e éd. Cambridge,
Cambridge University Press, 356-374.
C. NOYAU / Processus de grammaticalisation en langue étrangère
19
Téléchargement