UNIVERSITÉ DE STRASBOURG ÉCOLE DE SAGES-FEMMES DE STRASBOURG ANNÉE UNIVERSITAIRE 2015-2016 Étude qualitative auprès des sages-femmes sur les ressources psychiques mobilisées dans l'accompagnement des morts périnatales en salle de naissance DIPLÔME D'ÉTAT DE SAGE-FEMME MÉMOIRE PRÉSENTÉ ET SOUTENU PAR HADDAD née VERGOTE Rose-Marie née le 27 décembre 1975 à Schiltigheim DIRIGÉ PAR : Madame Dominique MERG-ESSADI CO-DIRIGÉ PAR : Madame Anita BASSO Attestation d’authenticité Ce document rempli et signé par l’étudiant concerne tous documents soumis à évaluation de l’année universitaire en cours. Je, soussigné VERGOTE épouse HADDAD Rose-Marie Étudiante de 5ème année 2015-2016 Établissement : École de Sages-Femmes de Strasbourg Certifie que le document soumis ne comporte aucun texte ou son, aucune image ou vidéo copié sans qu’il soit fait explicitement référence aux sources selon les normes de citation universitaires. Fait à Strasbourg, le lundi 14 mars 2016 Signature de l’étudiant(e) Tout plagiat réalisé par un étudiant constitue une fraude au sens du décret du 13 juillet 1992 relatif à la procédure disciplinaire dans les Établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. La fraude par plagiat relève de la compétence du Conseil de discipline de l’Ecole de Sages-Femmes. En général la sanction infligée aux étudiants qui fraudent par plagiat s'élève à un an d'exclusion de tout établissement d'enseignement supérieur. Tout passage ou schéma copié sans qu’il soit fait explicitement référence aux sources, selon les normes de citation universitaires, sera considéré par le jury ou le correcteur comme plagié Merci... Aux membres du jury pour avoir accepté de juger ce travail. A Madame Dominique MERG-ESSADI, mon maître de mémoire, pour sa patience, ses idées et ses précieux conseils. A Madame Anita BASSO, ma co-directrice de mémoire, pour sa pédagogie, et ses « remises sur les rails » aux bons moments. A Madame Véronique PAQUET, sage-femme enseignante, pour son aide précieuse à chaque étape de ce travail. A toutes les sages-femmes qui ont bien voulu donner de leur temps, parfois plus, à répondre aux entretiens et sans qui ce mémoire n'aurait pas été possible. Aux différentes cadres sages-femmes qui ont accepté ma présence au seins des services, et qui ont réalisé un travail de motivation auprès de leurs équipes pour que les entretiens puissent se faire. A mon père, ce héros. Mon papa, mon univers, source d'inspiration inépuisable, tu me manques. De là où tu es, je sais que tu es fier de ta grande. A ma mère pour son soutien, et pour ces longs mois où tu faisais office de nounou pour les filles. A Tahar, le pilier de ma vie, mon mari depuis 15 ans, pour son amour, son soutien et sa patience. Pour avoir su motiver nos trois filles à « laisser maman travailler ». A mes filles, Naomie, Zina et Amel, pour leur patience et leur compréhension. Ma grande, merci pour tes petits mots d'encouragement. Pardonnez-moi les filles... A Cinthia, pour son amitié sans faille, pour son soutien continue et indéfectible. Pour ses lectures, ses corrections, ses trouvailles du mot qui manque. A tous ceux qui ont participé de près ou de loin à ce travail, et que j'oublie. « Quand se tait soudain le chant du loriot, L'espace est empli de choses qui meurent. Tombant en cascade un long filet d'eau Ouvre les rochers de la profondeur ; Le vallon s'écoule et entend l'écho D'immémoriaux battements de cœur. » François Cheng « Cinq méditations sur la mort autrement dit sur la vie » Édition : ''le livre de poche'' SOMMAIRE 1 INTRODUCTION …................................................................................................ 3 I. Préambule ….................................................................................................. 4 II. Introduction …................................................................................................ 5 III. Problématique soulevée ….......................................................................... ..9 IV. Hypothèses proposées .................................................................................... 9 V. Plan …........................................................................................................... 10 MATÉRIEL ET MÉTHODES …........................................................................... 11 I. L'Objectif de l'étude …................................................................................. 12 II. Les moyens de l'étude …............................................................................... 12 A Une revue de la littérature....................................................................... 12 B Une exploration …................................................................................... 13 C Des rencontres ........................................................................................ 14 III. Les motivation et la démarche ….................................................................. 14 A Procédure et recrutement …..................................................................... 14 B Critères d'inclusion …............................................................................. 15 C Critères d'exclusion …............................................................................. 16 D Outils ….................................................................................................... 16 IV. La grille d'entretien …........................................................................................ 17 A Première partie : les apports subjectifs …................................................ 18 B Seconde partie : les apports de l'expérience …........................................ 18 C Troisième partie : les formalités …......................................................... 18 V. Méthode d'analyse …..................................................................................... 19 RÉSULTATS …......................................................................................................... 20 I. Résultats généraux …..................................................................................... 21 II. Ce qui se dégage de nos entretiens en rapport avec nos hypothèses ….......... 22 III. Autres résultats …..............…......................................................................... 27 ANALYSE ET DISCUSSION …............................................................................. 29 I. Analyse thématique …....................................................................................30 A. Discussion autour de l'hypothèse I …...................................................... 30 B. Discussion autour de l'hypothèse II …..................................................... 33 C. Discussion autour de l'hypothèse III ….................................................... 37 D. Discussion autour des thèmes complémentaires …................................. 41 1. La difficulté de la prise en charge …................................................... 41 2. L'organisation …................................................................................. 41 II. Analyse lexicale …........................................................................................ 43 A. Les silences …......................................................................................... 43 B. L'intonation …......................................................................................... 44 C. Les mots …............................................................................................... 44 CONCLUSION …..................................................................................................... 48 RÉFÉRENCES …..................................................................................................... 56 ANNEXES 2 INTRODUCTION 3 I. Préambule Dans le dictionnaire Larousse, il n'y a pas moins de 16 définitions du mot « vie ». Un exemple « Suite de phénomènes qui font évoluer l’œuf fécondé (zygote) vers l'âge adulte, la reproduction et la mort ». Et lorsqu'il s'agit de se pencher sur ce mot, le flou persiste malgré la multitude d'éléments qui tentent en vain d'éclairer notre conscience. Certains grands penseurs en ont même fait une enquête, voire une quête de vie comme Aristote, Galien, Hippocrate, ou Descartes. Plus proche de notre ère, la vie est démystifiée, expliquée, analysée, tant sur le plan scientifique, philosophique, biologique, spirituel voire religieux. Y est opposée la mort, qui elle, est, dans notre culture, sociologiquement tue, déniée, mystifiée, exclue de notre vocabulaire autant qu'il est possible de le faire. Un fait est que la vie est et sera toujours liée à la mort et inversement. Une vérité ancrée en nous depuis le premier instant de vie (1). Selon les différents points de vue, ce premier instant de vie est défini, imaginé ou fantasmé différemment. Certains penchent pour le premier battement de cœur, d'autres pour la descente de l'âme dans le corps, d'autres encore pour le moment de la naissance. Tant de solutions pour un si petit mot (2). Il est question ici de parler simplement de durée... aussi courte soit-elle. Et quand bien même pense-t-on qu'une durée soit courte, certains adjectifs ne sont que relatifs. Appréhender la notion de mort sans passer par la vie serait dématérialiser son essence. Tout comme la sage-femme accède à ses fonctions en prenant en compte que parfois la mort fait partie de la vie, et inversement. 4 II. Introduction Au commencement des temps, il y eut Eve, Mère de l'humanité, issue d'une part d'Adam. La Bible conte les différents enfantements suivants sans pour autant préciser si ceux-ci étaient assistés ou non d'une «sage-femme». Il faudra attendre l'antiquité pour qu'enfin Agnodice, ouvre la voie de la pratique de l'obstétrique par les femmes. Et à partir de ce moment, l'accouchement est devenu « une affaire de femmes », du moins pour un temps (3). Dans la Grèce antique, on retrouve le terme de maïa, qui représentera d'abord la grand-mère, puis la nourrice, et puis l'accoucheuse. Les termes se succèdent, passant par matrone au XIIe siècle, l'obstétrice (qui plus tard donnera le mot obstétrique, du latin obstetrix qui veut dire « celle qui se tient devant l'accouchée pour recevoir l'enfant ») ou encore sage-mère, ventrière et enfin sage-femme à partir du XIVe siècle (4). La profession a depuis le moyen-âge porté le joug du secret. La sage-femme au XIIe siècle était seule témoin des accouchements des filles-mères, où les filles non mariées cachaient leur grossesse et accouchaient d'un enfant qui serait fils ou fille de sa grandmère, ceci afin de préserver la dignité et la réputation familiale. Le secret familial était ainsi préservé. La sage-femme était considérée comme seule personne de confiance dans ces affaires de famille. Mais l'histoire de la sage-femme ne s'arrête pas là. Notre profession a vécu 300 ans de persécution durant l'inquisition où les foudres de l'église se sont abattues sous l'autorité d'un ouvrage : le malleus maleficarum. « Les sages-femmes causent le plus grand dommage. Ainsi, elles tuent les enfants ou les offrent de manière sacrilège aux démons.... La plus grande blessure à la foi est commise par les sages-femmes et cela est 5 clairement mis en lumière par elles-mêmes dans les confessions qu'elles ont faites avant d'être brûlées » (5). L’ambiguïté enveloppe la profession, car la sage-femme au XVIIIe siècle s'est vue investir de « pouvoirs supplémentaires ». Puisque qu'aucun homme d'église n'avait le droit d'assister à l'accouchement, la sage-femme avait tout droit de baptiser l'enfant nouveau-né et donc possibilité de l'ondoyer. Dans certains états grecs, elle pouvait tuer les enfants « contrefaits » et décider si l'enfant était viable ou non. La mort faisait déjà partie intégrante du quotidien de la sage-femme (5). De nos jours, quand on parle du métier de sage-femme, l'image qui en est faite est plutôt positive. D'ailleurs, la définition internationale de la sage-femme, adoptée par la Fédération Internationale de Gynécologie-Obstétrique (FIGO), l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ou encore la Confédération Internationale des SagesFemmes (CISF), appuie cette représentation positive du métier : « … La sage-femme est une personne professionnelle et responsable qui travaille conjointement avec les femmes pour leur donner un appui essentiel, ainsi que des conseils et des soins nécessaires au cours de la grossesse, lors de l'accouchement et dans la période post-partum. Elle doit être en mesure de prendre toute responsabilité lors d'un accouchement, et de prodiguer les soins nécessaires au nouveau-né et au nourrisson. Ces soins incluent des mesures préventives, la promotion de l’accouchement normal, le dépistage des signes de complications, tant chez la mère que chez le bébé, le recours à l'assistance médicale ou à une assistance d’un autre ordre en cas de besoin, et l'exécution de mesures d'urgence. La sage-femme joue un rôle important comme conseillère 6 en matière de santé et d'éducation, non seulement pour les femmes mais aussi au sein de la famille et de la communauté. Son travail devrait comprendre l'éducation prénatale et la préparation au rôle de parent ; son intervention peut aussi s'étendre à la santé maternelle, à la santé sexuelle ou reproductive et aux soins aux enfants... » (6). La première phrase qui revient souvent aux lèvres des gens c'est « vous faites le plus beau métier du monde ». Puis, passé ce leitmotiv utopique, vient l'interrogation suivante : « Avez-vous déjà vu des bébés morts ? ». Même dans la conscience générale, la mort côtoie quelque-part la vie avec cette pudeur, pour le professionnel qui y répond, de ne pas trop s'étaler sur le sujet. En effet, même si tout ce qui se rapporte au mot « sage-femme » dans l'idéologie commune nous pousse de nous tourner vers la naissance d'un enfant vivant et en bonne santé, parfois la vérité est toute autre. Même si, en grande majorité, le rôle de la sagefemme est d'accompagner la femme à devenir mère d'un enfant vivant, il arrive qu'elle soit également confrontée à la mort. Sa fonction est donc ponctuée d'instants morbides sans qu'elle en ait le choix, et ceci depuis sa formation initiale. Que ce soit une mort fœtale in-utéro (MFIU) ou interruption médicale de grossesse (IMG), cette mort périnatale laisse une empreinte dans le vécu de la sage-femme. Empreinte plus ou moins profonde certes, mais certaines situations marquent la sagefemme à vie (7, 8). S'il existe de nombreux articles sur le sujet du deuil périnatal vécu par les mères ou les couples, peu d'auteurs se sont intéressés à l'impact de ces situations sur les sagesfemmes. Pourtant amenée à être le professionnel aux premières loges de ce moment tragique, la sage-femme a peu de recours pour préserver son psychisme. L'OMS décrit parfaitement les éléments qui sont impliqués dans la réaction de chaque 7 parent face à une situation d'urgence mais n'apporte que peu d'éléments aux professionnels pour anticiper leurs propres réactions face à ce même événement. La priorité légitime est faite pour les parents en deuil. Et la sage-femme se doit de les accompagner au mieux, y compris psychologiquement (9). La mort qui côtoie la vie lors de la naissance est une réalité encore taboue. Les mères en deuil taisent leur vécu. On parle de « conspiration du silence ». L'expérience de cette perte précoce laisse à coup sûr une trace indélébile dans le psychisme du couple. Parfois jusqu'à la destruction familiale, famille construite à la base par le désir d'un être en devenir. Cet être qui au final ne sera pas à la hauteur de toutes les attentes. Les bases du couple prennent alors une décharge légitime, issue d'une détresse très souvent incomprise par les proches de ce même couple qui traverse un deuil. Pour preuve, les paroles des mères et des pères qui sont souvent murmurées, voire non dites en lien avec la souffrance vécue sur le coup. Plus tard, parfois, et pour enfin accéder à la suite de leur deuil, les parents utiliseront des termes violents témoins de la colère qui les animent (10, 11). Et tout au long du cheminement que le couple traverse lors de la naissance de leur enfant mort, la sage-femme est à leurs côtés. Parfois depuis la découverte d'un cœur qui n'est plus en mouvement, jusqu'à son retour à domicile. Parce que même si le cœur du fœtus ne bat plus, la femme doit passer par l'étape « accouchement », et par la même occasion devenir mère aussi. La sage-femme devient alors pour ce couple parfois l'unique témoin de leur statut de parent de cet enfant, la plaçant au cœur de l’événement. Malgré les appréhensions et les peurs à manipuler ce petit corps sans vie, la sagefemme s'attache à le traiter avec respect, le laver, l'habiller, parfois même lui parler. Le but étant de réaliser des souvenirs destinés aux parents qui le souhaitent (empreintes de pieds, de mains, photos etc...). Le droit au respect du corps est ici largement respecté lorsque la sage-femme tient cet être sans vie entre ses doigts, depuis le premier toucher pendant l'accouchement, jusqu'à la relève bien rodée des suites de la prise en charge du cadavre. Également, la présentation aux parents de leur enfant qui 8 est une étape redoutée autant par les parents que par le soignant. Ce moment, en accord avec le couple, laisse une souvenir indélébile à ce trio parents-soignant où les larmes sont parfois difficiles à retenir. Pourtant, ce rituel aide le couple à faire son travail de deuil, et ça, la sage-femme le sait. Il est évident que l'accompagnement global que ces professionnels de la naissance assurent auprès des parents endeuillés, n'est pas sans répercussion (12, 13). En s'intéressant à l'impact psychique de ces instants chez les sages-femmes, sur ce vécu particulier où la mort fœtale se substitue à la vie d'un enfant, Diane de WaillyGalembert a parfaitement cerné l’ambiguïté de cet état psychique à l'instant « T » où les sages-femmes « se retrouvent prises entre leur devoir professionnel et leur positionnement éthique » Il existe bien un conflit intérieur, avec des ressentis parfois violents en situation de décès en post-partum, et où un sentiment de solitude prédomine lors de situations d'interruptions médicales de grossesses par exemple (12, 14). Nous nous sommes intéressés à la sage-femme, à son vécu durant les situations répétées de mort périnatale en salle de naissance et aux moyens parfois subtils de se préserver des difficultés psychiques que ces instants provoquent. Comment fait-elle ? Comment les institutions jouent-elles leur rôle de prévention auprès des professionnels ? Est-il perfectible ? III. Problématique soulevée Quels peuvent être les supports institutionnels et environnementaux qui aident les sages-femmes à mieux appréhender le vécu négatif lors des situations de mort périnatale en salle de naissance ? IV. Hypothèses proposées Hypothèse 1 : La possibilité de ré-aborder, par la parole, l'expérience de mort périnatale en salle de naissance, au sein d'un groupe ou auprès d'un(e) psychologue, 9 d'un(e) cadre ou d'un(e) référent(e), participe à métaboliser l'effet traumatique de cette expérience chez les sages-femmes. Hypothèse 2 : Une formation spécifique en deuil périnatal contribue à aider les professionnels durant leur travail d'accompagnement d'un décès périnatal en salle de naissance. Hypothèse 3 : La présence d'un autre professionnel auprès de la sage-femme pendant l'accouchement et/ou les soins à l'enfant mort, aide la sage-femme à préserver son psychisme. V. Plan Dans un premier temps, nous nous sommes intéressés aux éléments environnementaux de la sage-femme pour l'aider dans sa pratique quotidienne. Pour cela, nous avons reporté le contenu de dix entretiens auprès des sages-femmes qui étaient confrontées régulièrement aux situations de mort périnatale. Nous avons ensuite confrontés nos résultats à une revue de la littérature scientifique. Celle-ci a permis d'asseoir le risque psychique auprès des professionnels, et a assuré la nécessité d'éléments protecteurs pour la sage-femme. Enfin, nous avons mené notre discussion autour des différents thèmes abordés lors des interviews, comme la formation ou l'aide entre collègues, ce qui correspond aux hypothèses proposées ci-dessus. 10 MATÉRIEL ET MÉTHODE 11 MATÉRIEL ET MÉTHODES Pour plus de clarté, sous le terme « mort périnatale » nous avons choisi les situations de MFIU ou d'IMG, et avons exclu les échecs de réanimation ou encore la mortalité périnatale précoce qui correspond à la mort d'un nouveau-né dans les 7 premiers jours de vie. I. L'objectif de l'étude L'objectif de notre étude est double. D'une part, il est de démontrer l'importance des supports institutionnels mis en place pour les professionnels en salle de naissance pour se préserver au mieux des répercussions des situations de mort périnatale. D'autre part, de comprendre quels sont les éléments complémentaires qui peuvent être nécessaire à la sage-femme afin de prévenir les difficultés psychiques qu'elle pourrait rencontrer durant cette prise en charge. II. Les moyens de l'étude Pour répondre à nos hypothèses, la méthodologie employée est basée sur trois grands moyens : A. Une revue de la littérature Ce temps bibliographique vise à étudier le vécu des sages-femmes qui sont confrontées aux situations de mort périnatale en salle de naissance. Il a été effectué sur les bases de données du SUDOC, du CAIRN et sur EM PREMIUM. Nous choisissons les articles en anglais ou en français. Pour sélectionner nos articles, les mots clés que nous utilisons sont « deuil périnatal », « vécu des sages-femmes », « MFIU», « formation au deuil », « deuil des soignants ». 12 Pour chaque mot clé, une première sélection des articles se fait par rapport à son titre et à la pertinence du document. Les articles de la base de données (EM PREMIUM) ont une pertinence supérieure à 49%. Nous éliminons les articles dont le titre parle essentiellement des parents, des couples qui vivent le deuil périnatal. La sélection se fait ainsi autour des articles qui parlent de la sage-femme et de son vécu mais également de leur formation sur le même sujet. Pour certains articles dont le titre est ambigu, une lecture du résumé ou de survol nous permet ou non de sélectionner l'article. Un second tri se fait sur son accessibilité, sa gratuité ou sa disponibilité. Nous sélectionnons les articles publiés entre 2006 et 2015. Nous sélectionnons ainsi vingt-huit références d'articles ou de travaux originaux en français ou anglais, englobant notre sujet, les thèmes de notre discussion, et l'introduction à notre problématique (Annexe I). Nous intégrons à notre bibliographie six références littéraires qui nous ont été recommandées par nos contacts ou cités en références dans certains articles sélectionnés. Ceci afin d'élargir nos connaissance sur le sujet du deuil périnatal. B. Une exploration Elle passe par : La création d'un outil ''une grille d'entretien », afin de permettre la réalisation d'entretiens semi-dirigés. Après avoir réalisé un ajustement de cette grille avec l'aide d'un entretien test, celle-ci a permis la réalisation de 10 entretiens d'une durée de 15 minutes en moyenne chacun, auprès de sages-femmes de salle de naissance en niveau II et III (Annexe 2). La réalisation des entretiens a eu lieu entre juillet 2015 et août 2015. 13 C. Des rencontres L'échange d'idées sur le thème auprès d'une psychologue confrontée à la situation en Centre Périnatal de Proximité (CPP). La participation à deux journées de sensibilisation au deuil périnatal, pour alimenter notre introduction et notre discussion. La participation à une revue de morbi-mortalité (RMM) en février 2016 La rencontre de parents endeuillés lors de réunions ou par échanges de mails. III. Les motivations et la démarche Nous avons choisi d'aborder un sujet qui touche une part méconnue du métier de sagefemme : la mort en salle de naissance. S'ajoute à cela l''envie de réaliser un travail qualitatif, impliquant la sage-femme. Au fil de nos premières lectures sur le sujet initial (le deuil périnatal), en juin 2014, nous remarquons le peu de littérature concernant le vécu de la sage-femme, et les éléments environnementaux qui permettraient une protection contre le stress intense vécu durant les prises en charge de ces couples, et contre ses risques à long terme. La problématique s'est construite sur ce constat. Ensuite, deux premières hypothèses découlent d'une recherche plus approfondie, et se sont progressivement affinées (février 2015). Une troisième hypothèse se dégage de notre réflexion lors du travail d'analyse des premiers entretiens (juillet 2015). Les entretiens ont eu lieu entre juillet 2015 et août 2015. La transcription de chaque entretien s'est faite au fur et à mesure. L'analyse a commencé à l'issu des quatre premiers entretiens (juillet 2015). La sélection des verbatims s'est faite progressivement jusqu'en novembre 2015. 14 A. Procédure et recrutement Dans un souci de proximité géographique, et pour concilier notre planning avec la tenue de notre échéancier, les maternités étaient choisies dans la région Alsace, sur le département du Bas-Rhin. Ainsi, deux maternités ont été sélectionnées : – La maternité de Haguenau (quatre sages-femmes) – La maternité de Hautepierre (six sages-femmes) Avant de réaliser nos entretiens, nous avons fait une demande orale puis écrite par mail (juin 2015) auprès des cadres de service, leur demandant l'autorisation de réaliser les entretiens dans les locaux de l'hôpital et auprès des sages-femmes exerçant en salle de naissance. Nous avons abordé, sans rendez-vous, les sages-femmes sur leur lieu d'exercice, c'est à dire en salle de naissance directement, dans un bureau de consultation ou au service des grossesses à risques. Chaque sage-femme interrogée a été sélectionnée après une rapide prise de contact qui visait à savoir : – Si elle accompagnait les couples en salle de naissance lors d'une MFIU ou d'une IMG. – Si elle acceptait d'être interviewée à ce sujet – Si elle avait 15 à 20 minutes à nous accorder pour réaliser l'entretien. Toutes les sages-femmes répondaient à nos critères (cf critères d'inclusion et d'exclusion plus bas). Afin de tester notre outil (grille d'entretien), nous avons choisi de sélectionner des sages-femmes ayant vécu au moins une expérience de mort périnatale en salle de naissance d'un établissement de niveau II b du Bas-Rhin. B. Critères d'inclusion – Les sages-femmes ayant déjà pris en charge au moins une femme ou un couple en salle de naissance pour une IMG ou une MFIU. 15 – Les sages-femmes qui acceptent de répondre à l'entretien sur la base du volontariat. C. Critères d'exclusion – Les sages-femmes n'exerçant pas en salle de naissance. – Les sages-femmes exerçant en maternité niveau I. – Les sages femmes n'ayant pas vécu d'expérience de suivi d'un travail d'une mort périnatale. – Les étudiantes sages-femmes. – Les sages-femmes qui refusent l'entretien. D. Outils Dans un souci de fidélité du discours, toutes les interviews ont été enregistrées sur un dictaphone, déposé entre la sage-femme et le meneur d'entretien, après accord des personnes interrogées. La grande majorité de ces entretiens ont eu lieu dans une pièce isolée, à l'écart de l'équipe. Ils se sont tous déroulés sur leur lieu de travail et la quasi-totalité des entretiens a été réalisé durant leur temps de travail. Cette étude n'a pas été soumise à un comité d'éthique, et aucun formulaire de consentement ne leur a été soumis. Le consentement se faisait oralement, après la demande. Chaque entretien a débuté par quelques éléments d'explications sur le sujet, le déroulé de l'interview, la durée approximative et la possibilité à tout moment de ne pas répondre à l'une ou l'autre des questions ou de quitter l'entretien. C'est durant ce moment que l'information d'anonymat de l'entretien a également été formulé (Annexe III). Pour éviter que la personne interviewée ne réponde directement à nos hypothèses, 16 nous avons choisi de ne pas les divulguer en introduction et de débuter les entretiens par une question de départ suffisamment large, ouvrant à la discussion. La suite de l'entretien se fait selon la grille réalisée, que nous détaillerons plus loin (Annexe II). A l'issue de chaque entretien, nous concluions par des remerciements et d'éventuelles remarques sur le déroulé de la rencontre (Annexe III). IV. La grille d'entretien (Annexe II et IV) Puisque nous sommes amenés à démontrer l'importance des supports institutionnels destinés aux sages-femmes afin de les aider à mieux se préparer lors des situations de mort périnatale en salle de naissance, il s'avère donc qu'une étude qualitative est ici la plus appropriée à cette problématique. Pour satisfaire aux exigences du critère qualitatif de notre étude, nous avons opté pour la réalisation d'entretiens semi-structurés en présence du professionnel. Le choix de l'entretien a été fait pour réduire le nombre de non réponses, pour avoir un contact de qualité et des réponses plus orientées vers l'aspect qualitatif de notre sujet. Cela nous permettait d'interroger la sage-femme par des questions approfondies sur certains sujets, tout en gardant une trame sous les yeux pour ne pas perdre le fil. Une première grille d'entretien a été réalisée début juillet 2015 et a été testée auprès d'une sage-femme. Le test réalisé a permis de vérifier si les questions étaient compréhensibles et si l'exploitation des réponses données permettait de répondre à notre problématique et à nos hypothèses. A l'issu de cet entretien test, quelques questions ont été supprimées, et une reformulation a été faite dans un souci de compréhension. L'entretien test et les réponses données ont été exclus de l'analyse finale de notre travail. La richesse des réponses nous oriente spontanément vers des sujets annexes que nous 17 exploiterons également dans notre discussion. Venons-en à la grille d'entretien proprement dite. Elle a été réalisée sur la base des deux premières hypothèses (cf plus haut) (Annexe II). Pour éviter d'orienter le professionnel interviewé dans ses réponses, nous choisissons délibérément d'élaborer notre grille en trois parties. Chaque partie regroupe des questions répondant à au moins deux de nos hypothèses. Détaillons ces trois parties : A. Première partie : les apports subjectifs La première partie apporte des éléments subjectifs. Elle se compose de cinq questions. Elles visent à faire parler l'interlocuteur de sa pratique, de son ressenti, des difficultés rencontrées durant son travail d'accompagnement du couple en salle de naissance. Ce sont des questions ouvertes sur leurs émotions. Les questions explorent l'environnement professionnel de l'interviewé et nous aident à déterminer s'il est conforme à l'aide psychique nécessaire pour la sage-femme confrontée à la mort en salle de naissance. Ce premier temps correspond à la partie exploratoire de l'entretien et donne lieu à la naissance de la troisième hypothèse. B. Seconde partie : les apports de l'expérience Le second apport concerne son expérience de la situation, professionnelle ou personnelle. Quelles sont les différentes formations auxquelles elle a participé sur le sujet, si la formation a eu des répercussions sur sa pratique, quelle est sa pratique habituelle. Les questions sont plus affinées, moins subjectives, et font d'avantage appel à l'expérience et à la formation de la sage-femme. C. Troisième partie : les formalités Le troisième et dernier apport est plus formel, plus factuel, avec des questions courtes, fermées qui appellent des réponses courtes comme l'âge de la personne interrogée, le nombre d'année d'expérience qu'elle a, la présence d'un cadre ou d'un psychologue sur 18 place, les possibilités de soutien professionnel ou personnel. Ces questions apportent également une notion de l'environnement professionnel direct de la sage-femme. L’intérêt de commencer l'entretien par des questions larges et plus ouvertes, et de terminer par des questions plus fermées est double. D'une part, l'interrogé appréciera le temps d'écoute qui lui est accordé dans un but de faciliter la mise en confiance. D'autre part, l'attention accordée à ses émotions et ressentis lui assurera la liberté d'expression. Au fur et à mesure de l'avancée de l'entretien, les questions seront plus précises et la personne mise en confiance donnera des réponses qui auront une meilleure validité. V. Méthode d'analyse Malgré la justesse du temps que nous sommes susceptible d'offrir quant à la réalisation de ce travail, nous avons estimé primordial de retranscrire les entretiens. D'une part, cela permet de passer outre l'aspect émotionnel qui s'est installé entre celui qui interroge et l'interrogé. Chaque élément passé inaperçu lors de l'entretien sera mis en vue. D'autre part, cela permettra d'obtenir des citations fidèles avec les mots exacts de l'interrogé, et non une interprétation immédiate faite lors de la prise de note. Lors de cette retranscription, il sera alors possible d'y apporter chaque élément satellite à l'entretien, comme les pauses, les soupirs, l’intonation de la voix, les rires. L'utilisation de la grille d'analyse des entretiens (Annexe IV) permet de classer les réponses obtenues par hypothèses. La discussion s'articule autour de ces dernières reprenant les résultats. Corrélation est faite entre les informations obtenues et les données de la littérature. Certains éléments apportés compléteront la discussion. Il en découlera une proposition de réponse à la problématique de notre travail. 19 RÉSULTATS 20 Chaque phrase exprimée en italique est issu des entretiens que nous avons réalisés. Ce sont les mots ou phrases employés à l'identique par la sage-femme interrogée. I. RÉSULTATS GÉNÉRAUX Il y a au total 10 entretiens. Quatre entretiens ont eu lieu au Centre Hospitalier de Haguenau et six ont eu lieu au Centre Hospitalier Universitaire de Hautepierre. Il y a eu un refus d'entretien. Il y a eu aucune non réponse aux questions posées durant les entretiens. La durée moyenne des entretiens est d'environ 18 minutes. La moyenne d'âge des sages-femmes interrogées est de 34 ans, avec des extrêmes à 23 ans et 46 ans. La série est bimodale puisque les valeurs « âge » les plus souvent représentées sont 24 ans et 46 ans. Tableau I : Âge des sages-femmes interrogées Âge 23 24 28 29 37 39 45 46 Fréquence 1 2 1 1 1 1 1 2 Concernant le nombre d'année d'expérience, il varie d'une à 24 années avec une moyenne de 10 années d'expérience. La médiane étant de 8,5 années d'expérience. Le mode est de 1 an d'expérience. Tableau II : Années d'expérience Année d'expérienc e 1 2 5 12 14 21 24 Fréquence 3 1 1 1 1 2 1 21 • La moitié des sages femmes ont moins de 6 ans d'expérience. Trois d’entre-elles ont un an d'expérience. • L'autre moitié des sages-femmes ont plus de 11 ans d'expérience dont trois qui ont plus de 20 ans d'expérience. En termes de fréquence de rencontre des situations de mort périnatale en salle de naissance au courant de leur vie professionnelle : • trois sages-femmes en ont rencontré entre 1 et 5 • une sage-femme a répondu entre 5 et 15 • les six autres ont répondus plus de 15 Quasiment toutes les sages-femmes interrogées trouvent la prise en charge du couple qui vit une expérience de mort périnatale plus difficile que lors d'une prise en charge d'un couple dont l'enfant naît vivant. « C'est forcément plus difficile qu'une naissance heureuse d'un enfant vivant. » ; « C'est peut-être difficile, mais je suis quand même contente de le faire parce que ça fait partie de mon travail » ; « ...par rapport à une situation où l'enfant naît vivant, c'est plus difficile. Parce qu'il y a la mort au bout du compte. Les parents vont pas rentrer avec un enfant en bonne santé... » ; Une sagefemme choisit de répondre : « ni facile, ni difficile, je trouve ça différent ». Aucune personne interrogée n'a vécu une situation personnelle de mort périnatale. II. Ce qui se dégage des entretiens en rapport avec nos hypothèses HYPOTHÈSE 1 La possibilité de ré-aborder, par la parole, l'expérience de mort périnatale en salle de naissance, au sein d'un groupe ou auprès d'un(e) psychologue, d'un(e) cadre ou d'un(e) référent(e), participe à métaboliser l'effet traumatique de cette expérience chez les sages-femmes. Concernant la présence d'un psychologue ou d'une personne référente, quasiment toutes les sages-femmes interrogées savent qu'il y a une référente, et une 22 psychologue pour rediscuter de la situation. Une seule ne savait pas pour la psychologue : « pour les patientes oui, mais pour nous non, à moins que l'on n'ait pas l'info ». La personne référente citée est dans la quasi-totalité des cas un cadre hospitalier. Une seule fois a été citée la présence de plusieurs cadres référents. A la question « avez-vous la possibilité de reparler de ces situations facilement ? », six sages-femmes répondent que oui. ➢ Lorsque la question est axée sur la possibilité de reparler de la situation auprès d'un psychologue, 9/10 interviewés disent ne pas en éprouver le besoin, pourtant … ➢ La quasi totalité des sages-femmes affirme que reparler de la situation auprès de leurs collègues, les aident. « Il y a la collègue qui est là, parfois, quand c'est trop fort » ; « J'ai toujours fonctionné avec les collègues, quand j'en ai gros sur la patate, c'est avec les collègues que j'en discute » ; « j'arrive à en reparler avec les collègues, c'est comme ça que j'y arrive. En même temps, il faudrait qu'elles comprennent. Enfin, je n'ai pas besoin d'aller voir un psychologue. » ➢ Lorsque la question est axée sur la possibilité d'en reparler auprès d'un référent, un tiers répondent qu'elles y ont déjà eu recours. « la cadre c'est plus pour les papiers, pas pour le réconfort ». « Elles sont très présentes... c'est elles qui gèrent tout ce qui est administratif, pour savoir s'ils (les parents) ont décidés d'un prénom, s'ils veulent une autopsie etc. au moment de l'accouchement tu ne le fais pas parce que les parents ne sont pas prêts... » ➢ Une fois a été cité la présence d'un médecin gynécologue pour en reparler : « Sinon dans l'équipe, les gens qui étaient présents, les gynécologues, avec qui on en reparle après, pour reprendre et échanger sur le déroulement, ce qu'on avait fait. ». A la question : « où trouvez-vous du réconfort ? » la totalité des sages- femmes ont répondu « les collègues ». Quatre sages-femmes disent trouver du réconfort auprès de leur famille. A la question concernant la possibilité de poser par écrit son expérience dans 23 un recueil par exemple, presque toute ont répondu que non « on nous l'a pas proposé, je ne vois pas l'utilité » ; « j'aurais du mal à mettre par écrit, enfin pour moi personnellement ». ➢ Une personne a cité le protocole de la prise en charge « on a un grand protocole, très détaillé de la prise en charge de la patiente, du bébé, de tout ce qui est paperasse, en fonction tu terme, des circonstances... » ➢ Une sage-femme a répondu avoir utilisé l'écrit : « j'ai par expérience personnelle de situations difficiles, appris que je ne peux compter que sur moi. J'écrivais, et je jetais après ce que j'avais écrit ». A la question concernant leur implication dans un groupe de discussion, toutes les sages-femmes ont répondus que non. HYPOTHÈSE 2 : Une formation spécifique en deuil périnatal contribue à aider les professionnels durant leur travail d'accompagnement d'un décès périnatal en salle de naissance. Parmi les sages-femmes interrogées, seulement deux sur dix avaient une formation spécifique dans le domaine de la mort périnatale. « ce qui m'a aidé, c'est qu'au courant de cette formation on parlait entre nous aussi de tout ça. Je reconnaît que je ne me suis pas forcément sentie plus armée après. » ; « il y a eu des petits plus, des petites choses oui, mais je gérais déjà avant, mais oui des petites choses qui ont été dites et qui peuvent se rajouter, sur la présentation de l'enfant par exemple, et qu'on faisait déjà petit à petit spontanément. » Sept sages-femmes sur dix répondent être suffisamment formées. A la question « êtes-vous en demande d'une formation spécifique » : ➢ La moitié des sages-femmes interrogées sont en demande d'une formation ou accepterait d'y participer s'il y en avait une de proposée. « Bien sûr, les formations sont très importantes parce que connaître, et par l'avis des psychologues, du devenir des corps, bon médicalement ce qu'on sait des étiologies c'est vital et 24 indispensable pour aussi accompagner la patiente et gérer la situation... j'ai certainement encore beaucoup à apprendre côté psychologique oui parce que je n'ai rien eu sur ce sujet, aucune formation ou rien depuis mes études » ; « c'est surtout aussi pour toutes les démarches administratives » ➢ L'autre moitié des sages-femmes n'est pas en demande : « ben non, parce que je trouve qu'il faut s'adapter à la situation qui se présente. » ; « Je n'ai pas l'impression qu'il faille réellement une formation. Je ne sais pas, c'est mon sentiment personnel. La meilleure des formations c'est l'expérience et le fait de multiplier les expériences avec les gens qui te forment. » ; Quasiment toutes les sages-femmes parlent spontanément de l'expérience personnelle et/ou professionnelle qui est le principal formateur dans ce domaine. « mes armes, je me les suis faites toute seule avec l'expérience de vie. Expérience personnelle et professionnelle. Les deux jouent. » ; «... je pense aussi que c'est plus par rapport à mon expérience personnelle. J'ai déjà accompagné quelqu'un en fin de vie, et je pense que ça, ça joue beaucoup. » ; C'est l'expérience qui va apporter, et heureusement l'expérience, il n'y en a pas tant que ça ! » ; « J'ai l'impression que je suis plus formée par la formation de la vie que le boulot » ; « Je n'ai pas peur de parler aux gens de la mort, j'ai une expérience personnelle avec la mort, je sais à peu près ce qu'il faut dire et ne pas dire ». Quelques sages-femmes partagent leurs idées de formation : ➢ « On devrait avoir plus de pratique à l'école, parce qu'on n'en a pas forcément beaucoup. Par rapport à la manière d'aborder les gens, de discuter avec eux, les mots à dire ou ne pas dire. Et d'avoir un retour sur la prise en charge qu'on a faite, parce que ça, on n'a pas. Savoir comment ils ont vécu ça... Un groupe de parole entre parents et soignants... ce serait intéressant pour la prise en charge oui. » ➢ « Ce qui pourrait être intéressant, c'est d'être dans des groupes où les patientes parlent de leur vécu. J'aimerais bien savoir comment elles ont vécu les choses elles... Et qu'est-ce qu'à pu leur apporter ou pas justement la sage-femme présente. Savoir qu'est-ce qui a pu leur être bénéfique ou ce qui leur a manqué de la sage-femme. » 25 ➢ « ... en apprendre plus sur le devenir des corps, comment bien prendre les photos pour avoir un bon souvenir et tout ça... » ➢ « Je n'ai jamais eu de retour non plus, car ces familles là repartent très vite, on n'a pas l'occasion de les revoir. Peut être que c'est ça qui pourrait me manquer. Ça doit apporter beaucoup. C'est ce que les parents retransmettent qui est précieux. Eux seuls peuvent nous aider à avoir les mots justes et les gestes adéquats pour eux » ➢ « Je pense que les formations ce serait plus pour connaître les prises en charge administratives, c'est ça qui nous bloque... » ➢ Participer à des groupes de discussions entre sages-femmes pour partager leurs expériences de prises en charge des mamans qui sont en situation de mort périnatale en salle de naissance. HYPOTHÈSE 3 : La présence d'un autre professionnel auprès de la sage-femme pendant l'accouchement et/ou les soins à l'enfant mort, aide la sage-femme à préserver son psychisme. Les deux tiers des sages-femmes interrogées se sentent entourées. « On s'entraide quand même beaucoup, donc je trouve que c'est bien, que ça aide ». « Je trouve qu'on a une bonne entraide en salle de naissance... qu'on se soutient mutuellement. Après c'est sûr qu'on va voir la patiente toute seule dans la majorité des cas, mais tout ce qui est prise en charge du bébé par la suite on se soutient bien entre collègues je trouve. On est en général plusieurs, pour les empreintes pareil, et ça ne pose de problème à personne. » ; « tes collègues sont là... s'il y a besoin, je sais qu'il y a du monde autour » ; A la question « estimez-vous avoir le besoin d'être entourée pendant les soins à l'enfant ? » presque la totalité des sages-femmes préfèrent être entourées mais disent ne pas en ressentir le besoin. « j'ai besoin d'être accompagnée quand il faut les accompagner à mourir et que les parents ne veulent pas être présents » ; « je trouve que c'est plus agréable pour nous. Après, besoin, j'en ai pas forcément besoin à 100%, mais je préfère » ; « ah oui, là j'aime bien avoir une collègue » ; « c'est plus simple 26 par exemple pour prendre les photos, mais j'en n'éprouve pas le besoin » ; ➢ Huit sages-femmes acceptent volontiers la présence de leurs collègues pour les soins de l'enfant ou pour l'aide administrative. ➢ Deux sages-femmes sur dix préfèrent être seules. « Je préfère être seule... de manière spontanée, on est quasiment toujours seules. J'ai l'impression que c'est dans les mœurs. Parce qu'on essaye de pas avoir trop de personne différente avec la patiente » ; « j'arrive à gérer toute seule. J'arrive à faire abstraction du décès. Je m'en occupe, je pense que je suis assez froide quand je suis seule avec l'enfant » III. Autres résultats Les entretiens commençaient tous par la question « comment vous sentez- vous par rapport à ces situations ? ». Les réponses étaient : « ce sont des situations difficiles au niveau émotionnel... d'essayer de trouver sa juste place. On est quand même habituées à des situations qui vont bien » ; « Ce ne sont jamais des situations agréables » ; « c'est difficile... je le fais, il n'y a pas de souci, mais c'est après coup, une fois que j'ai fini que je me relate tout ce qu'il s'est passé... mais ça va, je gère » ; « le premier mot qui me vient à l'esprit c'est ''douloureux'' … de l'annoncer à la patiente » ; « Quand j'ai commencé à travailler... c'est un peu le passage obligatoire en salle de naissance... c'est un passage rituel » ; « plutôt entourée » ; « je trouve qu'on a une bonne entraide en salle de naissance » ; « C'est toujours plus délicat que de mettre au monde un bébé vivant » ; « c'est une situation qui ne me dérange pas. On est là pour les encadrer et les accompagner » ; « je ne l'ai jamais mal vécu » . Durant l'entretien, la question d'accepter ou non la présence d'élèves sages- femmes durant ces moments en salle de naissance a été abordée. Seulement deux sages-femmes acceptent facilement en répondant oui. Toutes les autres personnes interrogées sont dans une réponse ambivalente en répondant d'abord oui, mais en complétant leur réponse par un « non » non formulé clairement. Par exemple : «... je trouve que ces couples là faut un peu les préserver. Je dis pas non aux élèves, mais il faut quant même qu'elle ait l'attitude adéquate face au couple » ; « J'accepte, mais pas forcément facilement... Dans une situation difficile, d'être plus nombreux que 27 deux, c'est pas forcément une aide pour le couple. » ; « Elles peuvent venir si elles le veulent, mais c'est vrai qu'en général elles sont plus ou moins écartées dans la mesure où c'est un moment difficile pour le couple, et ils ne veulent peut-être pas s'étaler sur leur douleur et ne veulent pas forcément d'autres personnes autour d'eux pour ça... maintenant si l'étudiante veut venir voir les soins que je fais à l'enfant, après, quand les parents ne sont pas là, elle peut venir voir... » ; « C'est là que c'est ambivalent car autant au début tu te dis qu'on est pas formé à ça, et qu'au début on se dit qu'on aurait aimé en prendre en charge avant, autant maintenant non, c'est pas quelque chose que je fais avec les élèves... c'est pas que je n'accepterais pas une étudiante, peut être en dernière année. J'ai pas envie de mettre l'étudiante en difficulté émotionnelle... je préfère préserver l'élève. » ; « Non, sauf si elle insiste oui ». A la question du déroulé de la répartition en salle de naissance lorsqu'une telle patiente arrive, les réponses sont : « c'est un peu au choix de chacune. Chacun choisi ses patientes. » ; «C'est plutôt spontané » ; « il y en a une qui se dévoue » ; « on s'arrange entre nous » ; « C'est plutôt en discussion quand on est en garde. Quand il y en a une qui arrive, on se dit ''qui veut la prendre en charge ?'' après, il y en a qui vont dire qu'elles n'en veulent pas parce qu'elles en ont eu toute leur dernière garde et qu'elles n'ont pas envie. C'est compréhensif... t'as pas envie d'avoir que ça tout le temps non plus. » ; « en général en début de garde, il y en a qui disent clairement si elles veulent s'en occuper ou pas » ; « C'est un peu au choix de chacune » . Au cours de plus de la moitié des entretiens, le critère temps revient. Par exemple : « Elles ont besoin d'être plus accompagnées... Enfin moi je passe plus de temps avec ces dames » ; « Forcément à chaque étape ils ont besoin d'un peu plus d'explications, de présence, si à un moment le dialogue se déclenche, je reste plus volontiers... souvent je reste plus longtemps » ; 28 ANALYSE ET DISCUSSION 29 Dans un premier temps, nous effectuerons une analyse thématique en reprenant les idées principales qui ressortent des résultats pour chacune de nos hypothèses. Puis nous discuterons des résultats complémentaires ouvrant à la discussion. Enfin, nous terminerons notre discussion par une analyse lexicale sommaire des entretiens. I. ANALYSE THÉMATIQUE A. Discussion autour de l'hypothèse 1 : Reparler de la situation Lors de nos entretiens, nous avons constaté que la quasi-totalité des sages-femmes estime ne pas éprouver le besoin de reparler des situations vécues auprès d'un psychologue, pourtant quasiment toutes expriment le bienfait de le faire auprès de leurs collègues. La recherche de soutien auprès des collègues a été mise en évidence dans deux études que nous avons lues. Celle menée par E. Fontaine et J. Wendland, auprès de puéricultrices confrontées au deuil périnatal en néonatologie, et celle réalisée par Charlotte Morin auprès de 123 sages-femmes. En parler permet de « relativiser », de « partager l'émotion forte qui subsiste après le départ de la parturiente ». D'ailleurs, toutes les sages-femmes citent leurs collègues comme soutien durant ces moments intenses : « les collègues, quand j'en ai gros sur la patate » ou « les collègues, c'est comme ça que j'y arrive » (8, 15). Le recours au psychologue n'est pas spontané pour les sages-femmes. Au cours de nos entretiens, elles affirmaient ne pas solliciter le psychologue ou le psychanalyste. Or toutes celles interrogées, à l'exception d'une, ont pourtant affirmé savoir que la psychologue était disponible. Nous supposons ici que la culture du « besoin » d'être écouté par un psychologue est plus une affaire de deuil vécu par les parents. Le professionnel n'aurait pas ce statut d'ayant-droit au deuil, et ainsi, estime ne pas nécessiter l'aide d'un professionnel de la psyché. Diane de Wailly-Galembert parle de « pudeur, crainte de passer pour faible, se dévoiler devant les autres, perdre son temps... » (16). 30 Et pourtant, le deuil de soignant est quelque chose de concevable, car au-delà de l'empathie pour la mère qui pleure son enfant, elle est également confrontée à ce même enfant durant les premiers soins et peut s'attacher à lui. Par-delà les mots, l'empathie éprouvée pour cet enfant qui n'est plus vivant est bien réelle. Preuve en est, durant nos échanges avec les sages-femmes qui nous ont dit parler aux bébés morts pendant les soins, ou qui leur chante une chanson. La sage-femme est avant tout un être humain qui lui offre une partie d'elle-même, son humanité. Pourquoi ne pourrait-elle donc pas prétendre à devoir vivre un deuil également ? Il serait important qu'elle puisse vivre les émotions qui la touche, tout en rappelant que le deuil est un processus qui n'est pas pathologique. Nous avons partager ce constat avec une psychologue confrontée à ces situations. Elle émet la supposition que face à un psychologue, la sage-femme s'exposerait, serait confrontée à elle-même, alors que d'en parler entre collègues, cela se rapprocherait plutôt d'un partage d'expérience. Y. Quiniou précise que des échanges avec un psychanalyste pourraient contribuer à maintenir des barrières psychiques. Dans ce même objectif, il propose également de faciliter l'échange entre soignants. Et c'est donc ce que nous retrouvons, puisque instinctivement, les sages-femmes se permettent une auto-protection de leur psyché par la parole auprès de leur pairs (17). Deux propositions peuvent alors être faites. La première consiste à faciliter les échanges entre soignants. Cette action pourrait permettre d'aider les soignants à protéger leur psyché d'une non-métabolisation de ces éléments violents répétitifs. La seconde est de réaliser en amont un travail de présence continue par la psychologue car les sages-femmes ne se tournent pas spontanément vers la psychologue à posteriori. Diane de Wailly-Galembert parle d'une « présence discrète dans la durée. L'écoute bienveillante et la disponibilité psychique du psychologue finissent par être entendues et permettent de recevoir les angoisses, les projections des soignants pour les transformer en quelque chose de pensable ». Cela permettrait une anticipation de l'angoisse (16). 31 Le choix de la personne vers qui la sage-femme se tourne lorsqu'elle a besoin d'en parler est dans la « logique sécuritaire », avec pour priorité de se faire comprendre par « celles qui savent », celles qui comprennent ce qu'elles vivent. Lors des entretiens nous relevons à ce propos ces termes qui s'accordent avec cette idée : « en même temps, il faudrait qu'elle comprenne ». Les collègues ou amies sages-femmes sont leurs interlocuteurs privilégiés. En second lieu vient la famille, celle qui peut comprendre qu'une journée a été difficile, « sans rentrer dans les détails » précise une sage-femme. Rappelons que la sage-femme a un devoir de réserve lié au secret professionnel. John Bowlby parle de besoins primaires de l'attachement que sont le besoin de proximité et le besoin de sécurité (18). Nous voulions explorer les différents moyens d'échange. Nous avons donc exploité l'écriture comme méthode d'expression, comme un registre d'expérience par exemple. Cet élément a également été abordé par Charlotte Morin lors d'enquête auprès de 123 sages-femmes. Toutes nos sages-femmes interrogées semblaient étonnées par la question. Nous avions à ce propos relevé une seule sage-femme qui utilise l'écriture à titre personnel, et jette ensuite son récit. Freud explique que l'écriture « ouvre les portes d'un accès de l'inconscient à la conscience ». La mise à disposition d'un recueil d'expérience pour les sages-femmes serait un moyen d'expression supplémentaire au sein de leur maternité. (8, 19) Au vu des éléments que nous venons d'analyser, l'hypothèse 1 est en partie vérifiée, mais pas entièrement. En effet, la possibilité de ré-aborder l'expérience de mort périnatale en salle de naissance, au sein d'un groupe ou auprès d'un psychologue, participe à métaboliser l'effet traumatique de cette expérience chez les sages-femmes. Cependant, la cadre référente apporte son aide dans les démarches administratives. Un peu comme si chacun avait son rôle. La sage-femme pour la proximité, et la référente pour l'aide administrative. 32 B. Discussion autour de l'hypothèse 2 : La formation La formation continue Dans un article que nous avons lu, Engler et Al sont d'accord pour affirmer qu'une formation approfondie sur le sujet du deuil périnatal est nécessaire. Ils précisent que « cela permettrait de relever le challenge émotionnel de l'accompagnement du deuil périnatal » (20). Un second article de E. Fontaine et J. Wendland nous indique que « les formations continues permettent de rationaliser l'instant et ainsi d'éloigner l'affect » (15). Nous constatons durant notre étude que seulement deux sages-femmes sur les dix interrogées ont suivi une formation spécialisée dans ce domaine. Y compris pour les sages-femmes qui cumulent plus de 11 ans d'ancienneté dans le métier, et qui représentent la moitié de notre échantillonnage. Ce constat nous amène à suggérer que c'est une faible proportion. Un constat similaire est fait lors d'une enquête menée auprès de sages-femmes confrontées à l'IMG par Delphine Esplat en 2012. Il semblerait que « la formation semble insuffisante et nécessiterait un apport supplémentaire en psychologie et en connaissance administrative relative à l'IMG ». Elle propose qu'au sein des équipes médicales soit mis en place un développement de la formation continue dans ce domaine (21). Nous notons lors de notre étude, que la moitié des sages-femmes interviewées sont en demande d'une formation complémentaire, y compris celles qui ont déjà bénéficié d'une session de formation. Ceci malgré le fait que sept sages-femmes sur dix se sentent suffisamment formées. L’interprétation de ces résultats est difficile. L'ambivalence soulevée ici s'avère être une limite à l'analyse de ce sujet. Au cours des entretiens, nous avons appris que les deux établissements qui nous ont accueilli proposent des formations continues sur le sujet, et que les inscriptions à ces formations soient en cours. Lors des entretiens, les sages-femmes proposent que ces 33 formations soient également ouvertes à d'autres professionnels impliqués, notamment les aides-soignantes et les auxiliaires de puériculture. La formation personnelle Certaines associations impliquées dans le deuil périnatal organisent des journées de sensibilisation. La participation à ces journées permettrait aux professionnels d'échanger leur point de vue face aux parents ou aux autres professionnels présents. Ils seraient d'autant plus sensibilisés aux demandes, parfois silencieuses, des parents. Notre présence à l'une de ces journées a permis de voir une mère qui remerciait la sage-femme « d'avoir tant insisté pour qu'elle voit son enfant » alors qu'elle avait plusieurs fois refusé. Un père parlait de « regretter que la sage-femme ne lui ait pas proposé une mèche de cheveux, avant que le corps ne disparaisse ». Des éléments qui, pour les parents, sont nécessaires dans la démarche du deuil. Indirectement, ces éléments pourraient être nécessaire également à la sage-femme pour approfondir, comprendre, et proposer certaines idées abordées, lors de la prise en charge des couples qu'elle croisera. D'ailleurs, durant nos entretiens, les sages-femmes interrogées sont demandeuses de ce genre de rencontre. Nous sommes amenés à penser que cela augmenterait le poids des outils fondamentaux à l'investissement psychique que la prise en charge particulière de la mort périnatale demande. L'adhésion à des associations de parents ayant perdu un enfant pourrait être proposée aux sagesfemmes, comme « Petite Émilie », « Nos Touts Petits d'Alsace », ou encore « Une Étoile Dans le Cœur ». (22) (23) (24) L'expérience est un mot souvent cité au cours de nos entretiens. Ainsi, l'expérience professionnelle, mais également personnelle est mise en avant. Donc, la mort rencontrée en salle de naissance est directement confrontée avec la vie « personnelle » de la sage-femme. Quel autre moment de sa pratique professionnelle bénéficie d'un tel investissement de soi que celui de l'« expérience personnelle de la vie » ? L'expérience permet de « prendre de la distance », c'est ce qui ressort comme bénéfice de l'expérience lors de l'étude réalisée par E. Fontaine et J. Wendland. Cet élément 34 apporte une pierre positive à l'édifice de l'autoprotection (15). Lors de cette même étude, on y retrouve la notion de « détachement de la relation à l'autre ». Une volonté consciente ou pas de se désinvestir de ses affects. Sorte de « dépersonnalisation de la relation », impliquant une « modification du regard de soi vers l'autre de telle manière qu'il en devienne un objet ». Cette manière d'être est une des composantes du « burn-out » détaillée par Freudenberger, et qui pour lui, marque le « signal d'alarme » d'un professionnel en danger (15, 25). Parallèlement, nous avons sollicité l'avis d'un collègue psychologue exerçant en maternité sur la théorie des composantes du burn-out, croisée avec l'âge des sagesfemmes. Ce professionnel explique que l'expérience permet à la personne de pouvoir plus facilement laisser les affects entrer, sans désordonner l'équilibre initial. En effet, lors de nos entretiens, nous avons observé que les sages-femmes ayant plusieurs années d'ancienneté témoignent largement de leur état émotionnel, tandis que les jeunes sont plus rationnelles. Il semble qu'au delà de l'expérience, la « structure psychique » dont parle ce professionnel, aide à prendre en charge la patiente sans se laisser déborder. A contrario, une sage femme plus jeune aura une modalité de défense consistant à retenir ses émotions. Il semble que les sages-femmes diplômées depuis moins de 5 ans (limite de la maîtrise d'un métier) sont plus « fragilisées » du fait d'une structure psychique moins solide. La formation initiale Abordons l'ambivalence de la formation des étudiantes au sein des salles de naissance sur la mort périnatale. Les sages-femmes interrogées acceptaient les étudiantes durant la prise en charge de ces mamans, mais préféraient qu'elles ne soient pas présentes auprès des couples. Plusieurs arguments étaient mis en avant, notamment le fait de préserver le couple des maladresses éventuelles de l'étudiant, « je trouve que ces couples-là, faut un peu les préserver », ou préfère « préserver l'élève ». Préserver, c'est protéger, sauver d'un mal. Quel mal y a-t-il à confronter l'étudiant à ce qu'il rencontrera de toute manière dans sa pratique ? La première situation se vivra alors 35 seule, vécue comme « un passage rituel », plutôt qu'avec un pair à ses côtés pour tamponner la souffrance réceptionnée. Peut-être est-ce aussi un moyen d'éviter à la sage-femme présente, d'avoir à affronter la tâche supplémentaire de former l'étudiante à quelque chose qu'elle-même a du mal à maîtriser. La mort touche aux limites de soi, à son propre combat face à sa propre mort. S'investir lors de cette prise en charge nécessite une ouverture qui serait probablement biaisée s'il y avait la présence d'une étudiante à ses côtés. On touche aussi peut-être à « l'empreinte narcissique de la fonction de soignant », qui est formé à donner la vie, à soigner, et non à faire naître la mort. Ainsi ce professionnel désirera seul, et lui seulement, affronter son impuissante toute-puissance (12, 14). Durant les études de sage-femme, et malgré la fréquence non négligeable de la rencontre entre la sage-femme et la mort en salle de naissance, peu d'opportunités s'offrent aux étudiants quant au suivi et à l'accouchement de ces parturientes. Dans une étude menée par Chloé Renouf en 2014, « les étudiantes sages-femmes sont globalement satisfaites de leur formation théorique, mais souhaiteraient d'avantage de tables rondes, et une implication plus importante dans le suivi des patientes sur leur lieu de stage durant leur formation » (26). Sur le même registre, Anne-Laure Toromanoff en 2011 révèle qu'une majorité d'étudiants sages-femmes ne se sent pas suffisamment préparées à suivre ces couples. L'étude de Charlotte Morin, retrouve à ce titre plus de 80% des sages-femmes interrogées qui expriment ne pas se sentir aptes à prendre en charge ces couples à l'issue de leur formation initiale. Elle propose « une formation plus poussée, notamment en psychologie, en législation et un meilleur accompagnement lors des stages en milieu hospitalier » (8, 27). D'un point de vue sociologique, la formation actuelle évite le sujet de l'impact que peut avoir l'empathie émotionnelle, et l'implication des affects dans la prise en charge d'une naissance, qui plus est d'un enfant mort. Comme si institutionnellement, se faisait l'apprentissage d'une fonction à l'aspect viril de « gérer la situation » en toutes 36 circonstances. « Ça fait partie du boulot.... », « j'arrive à gérer toute seule », nous diton lors des entretiens. Donc pourquoi s'en plaindre ? Au moment de choisir la voie de cette profession, qui peut prétendre y avoir songé avant d'y être véritablement et entièrement confronté ? Nous sommes encore une fois en plein dans le déni de la mort, déni des émotions. Les consciences ont encore du chemin à faire, et cela pourrait passer par exemple par la mise en lumière lors de la pratique, des difficultés que toute sage-femme jeune diplômée rencontre lorsqu'elle est confrontée à la mort. Au vu des éléments que nous avons abordés lors de notre discussion, l'hypothèse 2 est en partie vérifiée, car la formation institutionnelle qui leur est proposée ne leur suffisent pas. Il faudrait veiller à ce que durant ces formations leur soient proposer des rencontres avec les parents. Les sages-femmes proposent effectivement de rencontrer les parents et souhaitent partager l'expérience de leur pairs. Gardons à l'esprit que cette formation spécifique devrait s'accompagner d'une formation initiale permettant aux sages-femmes de se sentir plus l'aise dans leurs premières prises en charge à l'issue de leur formation, ainsi qu'une formation personnelle qui leur permettrait d'asseoir leurs bases psychiques et leurs connaissances des besoins de ces couples, dont la prise en charge est particulière. C. Discussion autour de l'hypothèse 3 : Présence d'un autre professionnel Au cours de notre étude, nous constatons que les deux tiers des sages-femmes interrogées se sentent entourées. L'entraide et le soutien au cœur de la salle de naissance durant la prise en charge d'un couple sont deux éléments importants et qui, de manière consciente, aident la sage-femme psychiquement à réaliser chaque étape du protocole. Elles savent « qu'il y a du monde autour ». Elles acceptent d'ailleurs volontiers, pour la grande majorité d'entre-elles, la présence et l'aide d'un collègue durant les soins à l'enfant ou pour « la paperasse ». Ainsi, nous soulevons ici un point-clé de l'apport protecteur psychique qu'est la cohésion du groupe. Groupe qui soutient, qui vérifie que chaque point administratif du 37 protocole est accomplit, groupe qui contribue à la réalisation des empreintes, ou photos. Groupe qui comprend et compatit, pour la patiente certes, mais pour la sagefemme aussi. Comme si l'affect pour la situation était divisé par autant de participants. Ce même constat est fait dans une étude menée auprès de 25 sages-femmes par Diane de Wailly-Galembert, notamment lors des soins réservés à l'enfant mort (14). Il est intéressant ici de faire une distinction entre la situation d'IMG et la MFIU. Certaines sages-femmes ont d'ailleurs cerné la différence de détresse entre, d'un côté, une maman à qui l'ont vient à peine d'apprendre que le cœur de son fœtus ne bat plus (MFIU), et où le choc psychique est encore perceptible ; et de l'autre, la détresse plus travaillée chez une maman qui a recours à une IMG, et qui a eu plus de temps pour « digérer ». Du côté soignant, Diane de Wailly-Galembert explique que la MFIU est porteuse d'un sentiment plus fort de solitude chez le soignant alors que la décision d'IMG est portée par toute une équipe pluridisciplinaire (16). Les groupes de discussion Lors de notre recherche, les sages-femmes proposaient d'instaurer des groupes de discussion soignants – soignants pour « en parler », partager des expériences, des pratiques, des mots. Se pourrait-il qu'ils puissent même être ouverts à d'autres établissements, voire d'autres départements ? Un échange de pratique pourrait être enrichissant. Et pour aller plus loin dans la réflexion, puisque nous parlons des groupes de parole entre professionnels, action qui se solde selon Schoenenburg par une difficulté de recrutement lors de la mise en œuvre de ces groupes, une alternative serait de leur proposer des groupes d'échanges de pratiques professionnelles. Ce qui leur permettrait malgré tout de se réunir, d'aborder le sujet de la mort périnatale et d'y laisser le « tropplein de tension émotionnelle » que chaque participant aurait à partager (28). 38 Nous pouvons émettre ici l'idée des groupes de parole type groupe Balint1, qui leur permettrait de constater que leurs collègues ont également des ressentis, des conduites similaires, des réactions semblables face à un cas clinique présenté. Ce groupe pourrait être mené par un cadre, un référent, un psychologue ou psychanalyste voire même un intervenant extérieur soumis au secret médical. Une sorte de guide pour le groupe en présentant des cas cliniques ou des sujets précis tels que la prise en charge de l'enfant, la manière d'aborder la rencontre entre le couple et leur enfant mort etc. L'apport dans la cohésion du groupe permettrait peut-être d'éclairer des émotions partagées mais encore masquées. Idée également soutenue par Diane de Wailly-Galembert (14). Non seulement le renforcement du groupe se ferait, mais cela permettrait également aux sages-femmes présentes d'acquérir « des qualités psychothérapeutiques individuelles » (29). Les sages-femmes sont en demande d'un travail en équipe. Une équipe multidisciplinaire où pédiatres, anesthésistes et gynécologues sont présents si besoin. Un reproche ici a été formulé par une minorité, celui d'une trop forte absence de spécialistes lorsque la sage-femme a besoin d'une aide médicale. Sur ce sujet, précision est faite lors de la prise en charge des naissances d'enfant en limite de viabilité, ou d'IMG faite sans fœticide préalable, notamment pour les enfants entre 22 – 26 semaines. Le fœticide est pratiqué à partir de 24 voire 25 SA, mais peut aussi être refusé par la patiente. Les sages-femmes interrogées expriment leurs difficultés face aux gasps que cet enfant pourrait avoir. Se représentant un enfant souffrant, elles regrettent le manque d'investissement des pédiatres et/ou des gynécologues en salle de naissance à ce moment-là, se retrouvant alors seule face à leur impuissance, confrontant les limites de leurs fonctions à la réalité. Cette « agonie post-natale » vécue par les sages-femmes a été explorée par Jean-Christophe Weber qui apporte également l'élément de solitude ressentie par la sage-femme qui se retrouvent en présence de cette situation (30). 1 Groupe de discussion réunissant une dizaine de médecins, praticiens de médecine générale le plus souvent, sous la conduite d'un psychanalyste, afin que chaque participant prenne conscience des processus psychiques qui interviennent dans sa relation avec ses propres patients. (Dictionnaire de français Larousse) 39 Une étude réalisée par Dr. Grelet-Dessioux indique que dans certaines structures, les néonatologistes proposent un protocole de prise en charge pédiatrique des MFIU d'âge gestationnel inférieur à 26SA. Les auteurs de cet article affirment qu'en cas de naissance vivante en salle de naissance, le pédiatre a un rôle important, notamment en pré-partum dans l'apport, auprès des parents, d'explications et d'informations concernant l'enfant et la possibilité d'une naissance vivante, mais d'une absence de prise en charge active en raison du pronostic trop péjoratif. Il a également pour rôle d'accompagner le nouveau-né trop immature et également de soutenir le couple. Cette disponibilité, demandée par les sages-femmes au cours de notre travail, serait une valeur ajoutée à leur pratique dans les cas de MFIU sans fœticide, avec ce risque de naissance d'un enfant qui gaspe durant quelques minutes à plusieurs heures, et durant lequel, la sage-femme se retrouve complètement démunie (31). Une évolution dans ce sens pourrait peut-être être envisagée. Un apport multidisciplinaire accentué dans ces cas où le fœticide n'est pas réalisé. Un élément de soutien autant pour la sage-femme, que pour les parents qui sont accompagnés à ce moment-là. Une autre suggestion ressortait des entrevues : celle de la mise en œuvre de groupe de discussion entre parents et soignants. A la limite du registre de la formation, ces « groupes de discussion » existent par les journées de sensibilisation au deuil périnatal. Organisées par les associations de parents endeuillés, se pourrait-il que les institutions hospitalières ouvrent leurs portes afin d'accueillir ces deux pans d'un même sujet qu'est la mort périnatale ? Les sages-femmes rencontrées durant notre étude sont conscientes du fait que le meilleur des formateurs sur le sujet, ce sont les parents, « C'est ce que les parents retransmettent qui est précieux. Eux seuls peuvent nous aider à avoir les mots justes et les gestes adéquats pour eux » nous explique-t-on. Au vu des éléments que nous venons d'aborder, l'hypothèse 3 est validée. En effet, la présence d'un autre professionnel auprès de la sage-femme pendant l'accouchement pourrait lui être profitable par le fait que la souffrance absorbée par l'empathie puisse 40 être partagée, pour peu que cette présence soit acceptée autant par le couple que par la sage-femme elle-même. Est-elle prête à « partager » sa douleur ? Avec qui ? Là encore, les réponses seront en fonction du vécu de chacune. En outre, pendant les soins à l'enfant mort, la sage-femme accepte plus volontiers le soutien proposé par ses pairs, et cela, nous l'avons vu plus haut, l'aide effectivement à préserver son psychisme. D. Discussion autour des thèmes complémentaires 1. La difficulté de la prise en charge Nous avons observé qu'une majorité de sage-femme interrogée affirmait que la prise en charge est plus difficile. Ce point se retrouve également dans une enquête menée par Delphine Esplat qui aboutit au résultat que l'accompagnement est considéré comme difficile pour la majorité des sages-femmes. Cette observation est également validée lors de l'enquête réalisée par Charlotte Morin auprès de 123 sages-femmes (8, 21). Ce constat nous amène à supposer que la surcharge émotionnelle présente lors de la prise en charge d'un tel moment, accentue la difficulté « parce qu'il y a la mort au bout du compte », d'autant plus si cette expérience est fréquente chez la sage-femme. Les sujets interrogés exercent dans deux établissements réalisant des IMG, et où les décès in-utéro sont relativement fréquents. Or il est indéniable que la répétition de ces actes violents créent une souffrance traumatique pour la sage-femme. Il s'agit, comme le cite Y. Quiniou, d'une « intrusion dans l'intime de soi face à la mort » (17). 2. L'organisation L'existence d'un protocole dédié à la prise en charge d'une naissance d'un enfant mort est mis en place en salle de naissance. Il s'avère être à la fois une aide pour le soignant, mais également une lourdeur administrative contraignante. Une constatation similaire 41 a été fait durant l'étude de Diane de Wailly-Galembert, avec en précision un décalage avec la temporalité de la patiente, comme de faire signer l'autorisation d'autopsie ou la demande d’obsèques, qui sont des documents difficiles à proposer durant le travail (14). Lors de nos entretiens sur ce sujet, nous avons relevé à ce niveau l'aide précieuse du référent en amont. Lorsque cela est possible, la sage-femme cadre avance nettement la prise en charge du couple. Notamment lorsqu'il est question d'autorisation d'autopsie, de donner un prénom à l'enfant, ou de proposer un soutien psychologique. Même si le protocole médical est vécu comme « une véritable épreuve » pour les parents, il va de soi que le soutien apporté par la référente, auprès du couple, s'avère être également un soutien précieux pour la sage-femme en charge de l'accouchement (12). En explorant les pratiques de prise en charge des patientes dans un autre établissement, nous avons trouvé intéressant l'idée du « projet de vie ». C'est un document réalisé par les parents, et destiné aux professionnels. Cet écrit, similaire à un projet de naissance, comporte chaque étape de la venue au monde de l'enfant sans vie. La prévisualisation de chaque étape qui se déroule en salle de naissance, permet au couple de réfléchir à la manière dont ils souhaiteraient être accompagnés. Tout peut y être consigné : la manière de réaliser le fœticide, les personnes présentes, le désir ou non pour le père de couper le cordon au moment de l'accouchement, d'assister à l'habillage, le désir de laver l'enfant, les photos, une musique dédiée, ou pourquoi pas ce qu'elle attend de la sage-femme qui les prendra en charge, elle et son bébé. Nous supposons que cette trame rassurante du déroulement qui est actée par la femme, le couple, qui plus est de manière écrite, rassure le professionnel tout en ayant déjà permis un cheminement dans le psychisme de la mère. Tout au long de nos entretiens, ressortait également la notion de « temps » que consacre la sage-femme au couple qui vit la situation en salle de naissance. Toutes celles qui parlaient spontanément de ce temps, précisaient qu'elle en passaient plus avec ces parturientes qu'avec celles qui allaient mettre au monde un enfant vivant. D'ailleurs, Charlotte Morin retrouve des résultats similaires lorsqu'elle interroge les 42 sages-femmes qui confirment « se sentir disponibles pour pouvoir écouter les couples » (8). Nous regrettons ici de ne pas avoir approfondi cette thématique pourtant abordée dès les premiers entretiens. Le temps pris lors de la prise en charge de ces patientes est, sans conteste, un sujet qui aurait mérité d'être développé et probablement à corréler avec l'organisation. En effet, la charge de travail au sein d'un niveau III pour une sagefemme est non négligeable. Y adjoindre la charge émotionnelle d'une mort périnatale peut déstabiliser le reste de l'équipe. D'autant plus que le temps supplémentaire que les sages-femmes passent spontanément auprès de ces femmes leur est nécessaire à elles également « elles ont besoin d'être plus accompagnées », ou « si à un moment le dialogue se déclenche, je reste plus volontiers », comme si le lien devait être plus fort, le soutien psychique plus présent. II. ANALYSE LEXICALE L'enregistrement des conversations a permis d'éliminer les risques de segmentation des idées. La richesse du vocabulaire et l'exactitude des mots utilisés sont ainsi préservés. L'analyse lexicale a permis une seconde lecture des entretiens, et nous a éclairé sur quelques notions complémentaires non abordées lors de l'analyse thématique. A. Les silences Au cours des entretiens, certaines sages-femmes ne terminaient pas leurs phrases, ou effectuaient des pauses pour chercher leurs mots. Par exemple : « ça dépend des couples je trouve, de comment eux vivent leur... comment eux vivent l'étape ». « Ils (les couples) ont besoin de quelqu'un qui les accompagnent, et même s'ils comprennent que... quand même je suis triste pour eux... c'est pas à moi d'être triste ». Ou encore : «J'ai envie de lui (l'enfant) apporter de la douceur, je suis émue, c'est sur, mais du respect tu vois. C'est pas une peur, c'est... au moins que ce petit être soit manipulé avec délicatesse ». Cette constatation nous amène à penser que le silence, lors de 43 certains moments de l'entretien, pourraient s'apparenter à une « autocensure ». Cette notion est abordée en psychanalyse, pour laquelle le silence est « une des expressions de la résistance inconsciente de l'analysant à l'évolution thérapeutique, et éventuellement une manifestation du déni » (32). La notion de silence est également citée, notamment lorsqu'une sage-femme exprime la différence de prise en charge entre un accouchement où l'enfant naît vivant, et celui d'un enfant qui naît mort. Elle précise qu'il y a d'abord le silence par l'absence de bruits du cœur, silence aussi parce que la sage femme a « du mal à trouver les mots ». Quoi qu'il en soit, si le besoin de rompre ce silence devait se faire sentir, insistons sur la nécessité d'accompagner les actes par leurs explications. Une sage-femme nous le fait d'ailleurs remarquer : « Question : Et c'est quoi ton secret pour ne pas être atteint ? Réponse : C'est de mettre des mots sur chaque chose ». La sage-femme qui doit prendre en charge une patiente, quelle qu'elle soit, cherchera toujours un lien avec elle, et de joindre la parole à l'acte pour en expliquer la raison et le but, permet de tisser ce lien. Lien qui est presque indispensable autant pour la mère que pour la sage-femme. B. L’intonation Lors de nos entretiens, nous avons relevé plusieurs fois l'ambiance feutrée que la sagefemme imposait dans certaines de ces réponses, notamment lorsqu'il s'agissait d'aborder le sujet du nouveau-né mort. Les souvenirs réalisés, la présentation de l'enfant à ses parents, sont des thèmes abordés avec pudeur, en diminuant souvent le volume de la voix, comme pour partager une confidence. Une sorte de maintient du « secret », alimentant la « conspiration du silence » dont parle Rousseau, pour limiter inconsciemment au maximum la divulgation de l'existence de la mort en salle de naissance (33). C. Les mots Au cours de notre travail, nous avons observer les mots employés pour désigner la mort. Le mot « mort » est ainsi très souvent remplacé par le mot « vie » ou une 44 expression empruntant ce même mot. Les sages-femmes interrogées parlent « d'expérience de vie » pour parler d'expérience de mort, ou encore « la fin de vie » pour désigner la mort. En parlant d'expérience, l'une d'entre-elles parle de « la formation de la vie ». D'un point de vue sociologique, nous retrouvons ici l'emblématique « déni de la mort » de Louis-Vincent Thomas. Nous relevons également que le mot « cadavre » n'est jamais cité. Le mort « corps » est souvent accompagné d'un adjectif « petit corps », comme pour minimiser l'image d'un corps sans vie, comme pour nous permettre de s'attacher au mot « petit » plutôt qu'à celui de « corps ». « Le déni de la mort » est encrée dans l'inconscient des gens au point où les consciences ne font plus attention à appeler les éléments par leurs noms (34). Nous relevons également l'utilisation d'articles démonstratifs (ce, le, la) pour désigner la mort, « ces choses-là ». Comme nous l'avons vu plus haut, d'un point de vue sociologique la mort est exclue au maximum de notre société. Nos coutumes, nos habitudes, la société en général chosifie l'enfant, le mort, le cadavre comme étant en partie exclue de la société « vivante ». Outre la notion de « déni de la mort », nous pourrions suggérer également la volonté de « chosifier » la mort dans un but de « dépersonnalisation », notion dont parle Freudenberger dans la brûlure interne. Le but de cette attitude serait alors de « rendre l'affect obsolète et inébranlable face à la mort du coup désigné comme objet ». Le recul de l'affect à ce niveau serait les prémices du burn-out, comme le suggère Freudenberger (25). Dans une étude menée auprès des professionnels de santé de deux maternités de niveau III, le terme « expulsion » au lieu de « accouchement » est relevé. Ce terme est également utilisé par les sages-femmes au cours de nos entretiens (35). Le mot « naissance » est rarement cité lorsqu'il fait référence à la mise au monde de l'enfant sans vie. Il est, par contre, employé pour désigner la naissance d'un enfant vivant lors de la comparaison que choisi de faire la sage-femme dans la différence de prise en charge. Diane de Wailly-Galembert a étudié auprès de sage-femme, quels 45 termes étaient employés pour parler de « la naissance » de l'enfant mort. Elle fait référence à « l'embarras » parfois exprimé de certaines professionnelles face au couple lorsque ce mot doit être dit. Notre étude manque ici d'éléments complémentaires nous permettant d'approfondir. Il aurait été intéressant de demander aux sages-femmes les raisons pour lesquelles ce mot est rarement employé, et si elles avaient des idées sur des termes spécifiques à employer pour désigner la naissance (14). Nous retrouvons un mot intéressant durant nos entretiens. Le mot « armes » : « mes armes, je me les suis faite moi-même ». Une « verbalisation militaire », notion évoquée par Diane de Wailly-Galembert, comme si la sage-femme livrait un combat face à la mort. Cependant, il est important de préciser que ce mot est également utilisé lorsque l'interrogateur pose la question à la sage-femme : « vous sentez-vous suffisamment armée ? ». Cette notion dans notre grille d'entretien laisse à penser que les a priori de combat face à la mort sont également présents lors de l'interrogatoire, et pourraient, de ce fait, influencer la sage-femme au cours de l'entretien. Si nous devions effectuer un second travail sur le même sujet, il conviendrait de tenir compte de la connotation de certains mots lors de l'élaboration des questions (14). Nous avions choisis d'aborder l'entretien par une première question sur leurs ressentis face aux situations de mort périnatale. Cette question avait pour but de laisser libre court à l'expression de la sage-femme sur le sujet. A ce moment là, peu de sagesfemmes s'expriment spontanément sur l'enfant mort. Elles détournent le sujet en s'exprimant sur le contact avec la future mère, les parents. Par exemple : « question : Est-ce que vous avez besoin d'être entourée lorsque vous faites les soins à l'enfant ? Réponse : Non. Je préfère le faire entourée, mais ce n'est pas un besoin. Mais pour le couple, moins on est nombreuse, mieux c'est. Éventuellement une aide soignante avec nous comme on fait pour un accouchement physiologique, pour qu'il y ait aussi quelqu'un qui puisse sortir et appeler si besoin. » D'ailleurs, lorsque les questions portent sur l'enfant, les réponses sont souvent concises, exempt de détails, et lorsque les questions portent sur la maman, les sages-femmes parlent plus ouvertement des raisons qui les poussent à passer plus de temps auprès de la patiente « ton attitude face à la dame est différente, et qu'elles ont besoin de beaucoup beaucoup d'attention tu 46 vois, et parfois c'est difficile de partir de la pièce quoi.. ». Autre supposition ici où l'expérience permet un acquis du « savoir-être une bonne sage-femme ». Un savoir-être qui évolue au fil des années et qui est d'ailleurs souvent « moulé » sur les images que se fait la société de la profession. C'est à dire un « beau » métier où aider à donner la vie est une chose quotidienne, et où aider à faire naître un enfant mort n'est pas socialement aussi « beau », ni honorifique. Alors le vocabulaire est choisis en ce sens, maquiller le monstrueux avec de belles paroles moins inquiétantes que sont la mort, le cadavre, la putréfaction, l'agonie. Pour aller plus loin, il aurait été intéressant d'interroger les sages-femmes sur leur manière d'aborder l'autopsie et l'inhumation, voire la crémation. Quels artifices, conscients ou inconscients, s'imposent à la sage-femme lorsqu'il faut aborder des notions socialement déniées ? Lors de nos entretiens, nous avons veillé à ne pas poser de question directe sur la répercussion psychique que ces situations pouvaient avoir sur la sage-femme interrogée. Il était intéressant d'analyser les mots employés pour suggérer l'impact psychique que les situations de mort périnatale provoquait chez elle. Nous avons relevé par exemple cette phrase : « il faut essayer d'être atteint le moins possible pour prendre en charge ces personnes », l'utilisation de l'expression « le moins » tente de minimiser l'atteinte. Le but retenu ici, n'est donc pas de ne pas être atteint, mais de minimiser l'impact, comme si de toute manière « l'atteinte » se fait quoiqu'il se passe. Une autre sage-femme exprimait cet impact par cette phrase : « sur le coup je n'avais pas l'impression que ça me faisait quelque chose, et puis finalement si ». Nous sommes amenés à suggérer que l'atteinte n'est pas forcément consciente chez la sagefemme, du moins au début. Le déni de cette atteinte psychique est donc parfois présent chez les sages-femmes. 47 CONCLUSION 48 Pour des parents, et dans notre culture, perdre un enfant est source d'une profonde souffrance, probablement indélébile. Cette perte est à l'origine d'un processus psychologique nécessaire à l'équilibre psychique d'un couple : le deuil. Même si le deuil d'un enfant qui n'est pas né à la vie est particulier, il semble similaire à celui de la perte d'un être cher, à cela de près que comme l'explique Elisabeth Glatigny-Dalay, « la perte d'un mort adulte, c'est faire le deuil d'un passé, alors que la perte d'un nouveau-né, c'est faire le deuil d'un avenir ». Ce deuil présente différentes étapes, notamment l'état de choc, l'état de manque, la phase d'abattement et la phase de réorganisation (10). Afin d'accompagner au mieux le processus initial du deuil, la sage-femme fait partie des professionnels de santé apte à guider ces couples en proposant une alternative aux rituels funèbres effectués pour nos morts adultes. Par exemple, la prise des empreintes, les photos souvenirs, la mèche de cheveux. Certaines sages-femmes peuvent être compréhensives, sans pour autant ouvrir la salle au passage de toute la famille, ceci pour des raisons diverses : hygiène, sécurité, confort des autres patientes. Parfois, elle pourra organiser le passage en salle de naissance d'une cinquantaine d'adultes, représentants de toute une communauté, intégrant ainsi l'enfant au sein de la « famille ». Acte qui est nécessaire au deuil familial pour certaines cultures, en exemple, celle des gens du voyage. Les rituels de ce deuil particulier du nouveau-né mort, prouvent que les consciences sont en mouvement. Preuve en est le fleurissement des forums dédiés à ces mères en deuil qui se font appeler « mamanges », ou « paranges ». Et lorsque la sage-femme accompagne cette femme pour accoucher, comme le dit si bien A.M. Simonet, ce n'est pas un accouchement où « donner naissance ne rime pas avec donner la vie, mais consiste à accoucher d'une vie qui s'est déroulée et achevée in-utéro ». Cette étape, souvent redoutée par la patiente, est indispensable à l'ouverture de son deuil (36). Le devoir pour la sage-femme, dans ces situations particulières, est de permettre cette ouverture du deuil. Aider la future mère à accoucher, et favoriser l'attachement pour 49 permettre le détachement. Cela peut passer par des larmes certes, mais pour D. Meurois et A. Givaudan, « qu'ils (les témoins) ne s'étonnent pas de ses pleurs. Ce sont des larmes de lucidité, elles appellent de l'amour et de la compréhension. Ce sera leur seul et unique baume » (2). Il nous a semblé important de nous pencher sur le vécu de cette sage-femme, car avant tout, elle reste le professionnel médical en première ligne durant la naissance de ces enfants qui naissent morts. C'est la sage-femme de la salle de naissance qui a pour rôle d'investir le couple à son rôle de parents malgré tout. L'étendu des besoins, qui est variable d'un couple à l'autre, nécessite une grande souplesse psychique et une adaptabilité sans jugement de la part de ce soignant. L'investissement personnel de la sage-femme lors du déroulé du travail et de l'accouchement est pour la majorité d'entre-elles une lourde tâche. Outre l'engagement du professionnel dans un rôle de guide à la parentalité, il endosse également le rôle de soutien au couple, par son écoute et son empathie. Afin de compléter le schéma du don de soi, la sage-femme offre à l'enfant les soins humanisant et humanistes, endossant la part « parentale » due le plus souvent à une sidération de la mère et du père présent. Un moyen que l'institution hospitalière des grands centres accepte d'offrir pour atténuer la douleur et la souffrance des couples qui vivent cette naissance-décès. Ainsi, au-delà de la responsabilité qu'impose son titre au moment de la prise en charge d'un couple qui vit une MFIU ou une IMG, c'est cette sage-femme qui supporte de plein fouet la souffrance d'une mère, ou d'un père, qui perd son enfant. Comme si elle vivait la souffrance des « paranges » par procuration. Elle a donc besoin d'éléments lui permettant de se protéger contre les effets de la douleur d'autrui. Durant notre travail, nous avons retracé les dispositifs institutionnels qui sont mis en place en commençant par la possibilité de reparler de la situation. Différence est faite entre les collègues, qui sont porteurs de la notion « d'esprit d'équipe », la psychologue, qui comme nous l'avons vu, a une place à prendre en amont et en continu, et la personne référente, souvent un personnel d'encadrement, garante d'une cohésion 50 d'équipe sur les pratiques et également guide dans l'orientation du personnel. Trois éléments humains primordiaux à l'apport et au maintien de barrières psychiques, et tous les trois présents au sein même de l'institution. À cela s'ajoute la famille ou l'entourage proche de la sage-femme, sphère protectrice intime qui joue alors parfaitement son rôle. Les propositions qui en découlent seraient le travail de présence continue du psychologue, afin de permettre une accessibilité rapprochée, mais également un encouragement à faciliter les échanges entre soignants. Un important dispositif protecteur de l'impact psychique des situations de MFIU ou d'IMG a également été abordé, c'est la formation. En débutant par une formation initiale complète, tant théorique que pratique, avec la nécessité peut-être, d'un accès plus ouvert à la prise en charge des mamans en salle de naissances. Le malaise que la sage-femme responsable rencontre lorsqu'elle se retrouve face à une étudiante qui souhaite prendre part à la prise en charge de la parturiente, démontre bien l'accessibilité ambiguë des étudiantes sages-femmes à ces cas. L'initiation à la pratique se fait donc seul, car « c'est un passage obligatoire... un passage rituel », où la solitude est de mise, et avec pour seule formation, celle d'une théorie qui selon A. L. Toromanoff ne suffit pas. L'importance de l'implication des affects et ses répercussions devraient être abordées afin de mettre en garde ces jeunes diplômées sur ce qui les attende (27). A l'appui de cette étape « rituelle », vient la formation continue, qui est un autre élément institutionnel mis en place, et non négligeable dans l'apport protecteur de la sage-femme. Les formations continues sur le sujet du deuil périnatal sont nécessaires, voire indispensables selon D. Esplat. D'ailleurs, la grande majorité de nos sagesfemmes interviewées sont demandeuses de formation, offrant même quelques idées intéressantes et enrichissantes. S'ajoute à cela, la formation individuelle, personnelle, aboutissant à un enrichissement protecteur et soutenant, que ce soit par l'accès à des associations, ou de manière spontanée vers des journées de sensibilisation où les professionnels peuvent rencontrer les parents endeuillés. Ainsi, les parents apportent 51 avec leur vécu, la part parentale formatrice. Car, comme le dit si justement une « mamange » qu'il nous a été donné de croiser, A. Renard, « chacun avance grâce à l'autre » (21). Puis venait la thématique de l'entraide, du soutien formulé par les sages-femmes en citant leur collègues. Ces collègues, présents pour « en parler » mais également pour « aider à la paperasse » ou même « pour les photos, les empreintes ». Pourrait-on aller ici jusqu'à dire que la présence en salle d'accouchement, d'une maman qui est sur le point de donner naissance à son enfant mort, et ce n'est pas l'apanage d'une seule sagefemme finalement ? Car au delà des sentiments de solitude et de tristesse vécus par la sage-femme et dont C. Morin fait référence à l'issu de son travail, la solidarité est bien présente, réconfortante, enveloppante au point que le « besoin d'être aidé » ne se fait pas ressentir (8). En ce qui concerne les groupes, et nous l'avons vu, que ce soit groupe de discussion ou d'échanges de pratique professionnelle, ou encore groupe Balint, le bénéfice est triple. Cela permettrait d’accroître la cohésion du groupe, mais également de permettre une décharge émotionnelle sur des éléments particulièrement traumatisants, éléments qui seraient alors discutés, travaillés, et permettraient aux sages-femmes présentes d'acquérir des éléments psychothérapeutiques supplémentaires. Se pourrait-il que l'instauration de ces groupes puissent intégrer le profil formateur du sujet ? D'ailleurs, quelque soit l'intitulé du groupe de discussion mis en œuvre, autant soignant – soignant que soignant – parents, nous abordons le registre de « soutien social », qui lui fait partie des critères de prévention du « burn-out » (37). Puisque le travail en équipe est également un point souhaité par les sages-femmes, le recours à l'obstétricien, au pédiatre ou à l'anesthésiste serait également un élément non négligeable dans l'apport psychique protecteur. Si tant est que l'accessibilité soit à la hauteur de la proposition. Car, et nous en avons discuté plus haut, un malaise est ressenti par nos sages-femmes, lorsque la prise en charge d'un nouveau-né se corse. Là aussi, l'apport multidisciplinaire doit être une ressource bienfaitrice, quel qu’en soit la difficulté. 52 Nous avons également abordé la part écrite que sont les protocoles de prise en charge en salle de naissance. Nous avons effectivement vu que ce protocole est certes nécessaire, mais insuffisant pour aider le soignant. Pour compléter cette prise en charge, un ou une référente, souvent le cadre soignant, s'investit pleinement pour soutenir le couple, l'aiguiller également sur le chemin du deuil à venir, voire même à commencer avant la naissance. Ce deuil débuté avant est alors un deuil psychique, en attendant que le deuil physique puisse se faire, celui qui débute par la naissance de l'enfant mort. L'analyse lexicale de nos entretiens a permis de comprendre que les mots dits peuvent être porteurs de l'inconscient, et ainsi masquer à la connaissance de chacun, l'état de l'être profond. L'atteinte psychique de ces situations à répétition auprès des sagesfemmes, est parfois sous-estimé, y compris par elle-même. Cette partie de l'analyse montre également a quel point le « déni de la mort » et encore présent dans notre culture (34). Chaque élément illustre la difficulté de la prise en charge de ces couples, que ce soit le temps d'écoute et de partage qui est plus long, la lourdeur administrative également citée, l'impuissance ressentie lors du déni, ou la pression institutionnelle qui appuie le masque de « la conspiration du silence », silence sur la souffrance du soignant, silence parce que le soignant est issu d'un monde où il guérit, et qui plus est la sage-femme qui, elle, aide à donner la vie. Un formatage sociétal à nier la mort, et qui impose le « silence ». Silence que l'on retrouve d'ailleurs dans ces salles d'accouchement où la mère est en attente de donner naissance à un enfant qui naîtra mort (33). Le risque à terme, pour ces professionnels, est d'accéder aux portes du « burn-out ». Notion étudiée par H. J. Freudenberger qui le définit ainsi : « En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe leurs 53 ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte » (25). Ainsi, lors de ces moments à haut risque émotionnel pour les soignants en salle de naissance, les affects doivent être métabolisés, digérés, afin de permettre à la psyché de maintenir ses barrières. Les éléments que nous venons de citer peuvent être des outils pour épauler la sage-femme dans sa pratique quotidienne, d'autant plus lors des éléments traumatisants, dont la mort en salle de naissance fait partie. Mais cela passe aussi par prendre soin de soi. Comme le dit si justement Monique Prieur-Bertrand, nous pourrons «“être là” sans en pâtir, le temps de ces moments d’accompagnement de la mort qui n’en restent pas moins des moments de vie » (38). Durant notre travail de recherche bibliographique, peu de littérature parle du vécu des sages-femmes. Les seuls travaux effectués sur le sujet, sont élaborés sur une petite échelle, par des entretiens ou questionnaires, souvent le fait de travaux de fin d'études, en maïeutique, ou le fait de quelques psychanalystes ou psychologues qui osent parler du sujet. Nous avons retrouvé également des confessions de sages-femmes qui bravent la «conspiration du silence », en mettant à profit leur expérience de vie intérieure, pour ceux qui daignent s'y intéresser. Encore une fois, cette ambiance bordée d'un halo de dignité tue, subsiste, et est largement retrouvée auprès de toutes nos sages-femmes interrogées, qui ont bien voulu ouvrir une porte de leur ressenti (33). Nous nous sommes penchés sur un sujet riche en émotion, et malheureusement, riche en silences aussi. Le fait est que, depuis quelques petites dizaines d'années, les consciences sont en mouvance. La reconnaissance de l'enfant né sans vie sur le livret de famille, l'ouverture vers les soins palliatifs néonataux, les associations de parents endeuillés qui se multiplient. Tous ces éléments bravent l'interdit, la fameuse « conspiration du silence » de P. Rousseau, et font, de ce fait, remonter timidement à la surface, les ombres d'un pan du métier de sage-femme. Cependant, il y a tellement à 54 faire encore ! (33) Chaque proposition faite au cours de notre discussion est destinés à soutenir la sagefemme dans un travail protecteur durant ces moments à haut risque émotionnel. Augmenter les facteurs protecteurs est une stratégie qui débute dès la formation initiale et passe par les apports institutionnels en place, autant que les moyens matériels (formations, protocoles) que les moyens humains (cadres, psychologues, collègues). S'y ajoute l'élément central à ce sujet : les parents endeuillés. Ceux qui sont à la fois « source » de l'émotion et aussi destinataire de ce « mieux-être ». Ils sont autant nos guides que nous pourrions l'être pour eux. Et puis, il y a l'après, autant pour toutes ces mamans en deuil, que pour ces sagesfemmes porteuses du secret, celui qui est l'accueil et la prise en charge de ces mères qui ont vécu un deuil périnatal, et qui souvent souhaiteraient que ce soit la même sagefemme qui donne naissance à leur enfant vivant. Un si bon geste de reconnaissance de la mère pour la seule personne qui l'aura vu être la mère de cet enfant qui n'est plus. Pour la sage-femme aussi, une manière peut-être différente d'aider cette mère en deuil à accueillir en son sein, un enfant qui naîtra en poussant son premier cri, le cri de la vie. 55 RÉFÉRENCES 56 1. Dictionnaire de français Larousse. Mot « vie ». 2. Meurois D et Givaudan A. Les neuf Marches. Paris : Flammarion S.O.I.S; 2000, 219p. 3. legeneraliste.fr. Agnodice choisit d’être gynécologue [En ligne]. Le Généraliste. consulté le 22 octobre 2015. Lien : http://media4.legeneraliste.fr/actualites/article/2014/07/13/agnodice-choisit-detregynecologue_247561 4. Cornellier H. Créer une nouvelle profession... vieille comme le monde, la sage-femme professionnelle de la santé au Québec, en comparaison avec la situation de la sagefemme au Canada et à l’étranger. Essai de Maîtrise en droit de la santé. Université de Sherbrooke ; 1993, 181p. 5. Brau JL. Quand le saint guérisseur est une sainte. In : Malleus Maleficarum. Les cahiers de Fontenay. La sorcellerie. 2E édition. Fontenay/Saint-Cloud : E.N.S ; 1978. P. 132. 6. International Confederation of Midwives. Définition internationale de la sage-femme de l'ICM. Révision Juin 2011. [En ligne]. Disponible sur http://www.internationalmidwives.org/assets/uploads/documents/CoreDocuments/Defini tion%20of%20the%20Midwife%20FRE-2011-%20updated%20August%202011.pdf 7. Garel M, Etienne E, Blondel B, Dommergues M. Le vécu de l’IMG par les sagesfemmes en salle de naissance – La revue sage-femme. Juillet 2008 ; 7(3): 113-117. 8. Morin C. Le vécu des sages-femmes face à la mort en périnatalité : enquête auprès de 123 sages-femmes. Mémoire de sage-femme. Université de Rouen ; 2010, 73p. 9. Organisation Mondiale de la Santé. Prise en charge des complications de la grossesse et de l'accouchement. Département santé et recherche génésique. Genève (Suisse) : OMS ; 2004. 10. Dallay ÉG. 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(H3) B : Apport de l'expérience – Êtes-vous impliqué dans un groupe de discussion ? (H1) – Avez-vous une formation spécialisée dans ce domaine ? Quel type de formation ? (H2) – Situation personnel de deuil périnatal ? (H2) – Vous sentez-vous suffisamment formées ? (H2) – Les formations vous aident-elles ? (H2) – Idées de formation ? (H2) C : Formalités – Age ? Année d’expérience ? – Présence d’un psychologue ? D’une personne référente ? (H1) – Fréquence de ces situations rencontrées (au cours de la carrière professionnelle) ? 1 à 5, 5- 15, +15 – Possibilité d’en reparler facilement ? Recueil d’expériences écrites ? (H1) – Temps de parole possible ? (H1) – Acceptez-vous la présence des élèves sages-femmes ? (H2) – Où trouvez du réconfort ? Collègues, Amis, Famille, Psy, Cadre, Religion (H1) – Comment se passe la répartition en salle lorsqu'une telle patiente arrive ? ANNEXE III Proposition d'introduction de l'entretien : – Présentation du sujet principal de notre étude : le deuil périnatal et les sages-femmes en salle de naissance. – Présentation de l'estimation de la durée de l'entretien : 15 à 20 minutes. – Présenter l'entretien comme étant semi-directif, sur la base du volontariat et anonyme. – Demande d'accord d'enregistrement auprès de l'interviewée dans un soucis de clarté lors de la retranscription de l'entretien. – Possibilité de ne pas répondre à l'une ou l'autre des questions – Possibilité d'interrompre ou de cesser la rencontre à tout moment. – Lancement de la question de départ (A1-H1) Proposition de conclusion de l'entretien : – Demande si envie de partager une expérience particulière sur le sujet ? – Avez-vous un avis ou des suggestions à apporter sur la manière dont s'est déroulé l'entretien ? – Remerciements pour le temps accordé ANNEXE IV RÉSUMÉ Objectif : La situation de mort périnatale en salle de naissance est certes une épreuve difficile pour le couple, mais elle a également des répercussions sur la sage-femme. L'objectif de notre étude est double : Identifier l'importance des supports institutionnels mis en place pour les professionnels de la salle de naissance, et les éléments complémentaires qui peuvent aider la sage-femme à se protéger des répercussions psychiques que ces situations peuvent provoquer. Méthode : Nous avons effectué une étude qualitative en réalisant des entretiens semistructurés auprès des sages-femmes. Nous avons confronté nos résultats à la littérature publiée entre 2006 et 2015. Des ressources complémentaires ont été mobilisées (psychologue, rencontre avec des parents endeuillés, participation à une journée de sensibilisation au deuil périnatal et à une RMM). Résultats : L'analyse des entretiens a montré que la prise en charge d'un couple vivant une situation de mort périnatale en salle de naissance est difficile. Les sages-femmes interrogées expriment la nécessité de reparler de leur expérience auprès de leurs collègues. Elles sont également en demande de formations spécifiques centrées sur la rencontre avec des parents endeuillés et l'échange de pratiques professionnelles. Les entretiens ont également révélé que la présence de leurs collègues, lors des soins aux mort-nés, leur est bénéfique. Conclusion : Le soutien des collègues lors de chaque prise en charge d'un couple qui vit une mort périnatale est aidant pour la sage-femme. La formation initiale ciblée est nécessaire, mais des formations continues spécifiques compléteraient le dispositif protecteur des sagesfemmes. Ces formations pourraient intégrer la présence d'un couple formateur ayant vécu une expérience de mort périnatale. La participation à des groupes de paroles soignantspatients, le dialogue autour d'un « projet de vie » pourraient être des pistes d'amélioration de l'accompagnement des professionnels. Mots clés : « Mort périnatale », « vécu des sages-femmes », « MFIU », « IMG », « deuil des soignants ».