LNA#71 / chroniques d'économie politique Mieux comprendre la crise grecque Par Vincent DUWICQUET Maître de conférences en économie, Clersé, Université de Lille, Sciences et Technologies L a crise grecque, débutée au printemps 2010, a pris une nouvelle tournure à l’été 2015 avec l’acceptation par le gouvernement grec d’un troisième plan d’aide proposé par la commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI). L’objet de cet article est de présenter les mécanismes à l’œuvre dans la crise grecque et le rôle prépondérant du cadre institutionnel de la zone euro. Dans une première partie, nous insisterons sur la nature extérieure de la dette grecque qui a considérablement augmenté dans les années 2000. La montée de cet endettement extérieur s’est avérée insoutenable compte tenu du cadre institutionnel de la zone euro, basé sur l’indépendance de la BCE, les règles budgétaires nationales et l’absence d’un véritable budget fédéral européen. Dans une seconde partie, nous analyserons les conséquences économiques et sociales de la crise grecque, débutée en mai 2010, en soulignant les mécanismes sous-jacents à la résorption du déficit extérieur. La dernière partie de cet article s’intéressera au problème du poids de la dette extérieure grecque et aux politiques alternatives que pourraient mener les pays européens afin de limiter les déséquilibres entre les pays de la zone euro. Les origines de la crise : la Grèce pénalisée par un euro surévalué et par le cadre institutionnel de la zone euro La perte de souveraineté monétaire, consécutive à l’adoption de l’euro, a été préjudiciable à l’économie grecque dont la monnaie (l’euro) s’est retrouvée rapidement fortement surévaluée 1. L’euro est apparu « trop fort » pour la Grèce, ce qui a eu des incidences importantes sur le commerce extérieur. Les exportations ont été ralenties, en particulier pendant les périodes de forte appréciation de l’euro (entre 2002 et 2008, l’euro s’est apprécié de 70 % par rapport au dollar). Dans le même temps, les importations ont fortement augmenté, suite à la hausse du pouvoir d’achat international de l’euro. Le déficit extérieur grec s’est donc accru et s’est autoentretenu par l’appréciation de l’euro. La dégradation de la position extérieure nette de la Grèce 2 a été spectacu- Une monnaie est surévaluée lorsque sa valeur est trop élevée par rapport à une valeur de référence qui prend en compte les caractéristiques structurelles du pays (démographie, spécialisation productive, dépenses de recherche et développement, degré d’ouverture). En moyenne, depuis l’entrée de la Grèce dans l’union monétaire, l’euro est surévalué de 30 % en Grèce. 1 La position extérieure nette d’un pays représente le patrimoine net des résidents vis-à-vis du reste du monde. Lorsqu’elle est négative, comme dans le cas de la laire. Entre 2000 et 2015, la position extérieure nette est passée de - 10 % du PIB à - 120% du PIB. La surévaluation de l’euro a donc accru le besoin de financement de l’économie grecque vis-à-vis du reste du monde. Cette situation est devenue insoutenable lorsque les marchés financiers internationaux sont devenus réticents à financer la Grèce. Les taux d’intérêt sur la dette publique ont donc augmenté de façon exponentielle et la Grèce, afin d’éviter un défaut de paiement, a été contrainte à demander l’aide de la troïka (commission européenne, BCE, FMI) en mai 2010. Le statut d’indépendance de la BCE vis-à-vis des États de la zone euro lui interdisait d’acheter les titres publics grecs. Elle n’est donc pas intervenue sur les marchés financiers et n’a donc pas évité la montée des taux d’intérêt. Cette absence de soutien financier de la BCE place les budgets nationaux des États de la zone euro sous la contrainte des marchés financiers : tout endettement public supplémentaire peut entraîner une hausse des taux d’intérêt qui peut devenir insoutenable. Depuis mars 2015, la BCE a débuté un programme de rachats de titres publics. Ce soutien financier, qui avait fait défaut à la Grèce en 2010, s’avère cependant peu efficace. L’injection de liquidités dans la sphère financière permet de résoudre les problèmes financiers (taux d’intérêt trop élevé, non remboursement de la dette), mais pas les problèmes économiques et sociaux, étant donné sa faible diffusion à l’économie réelle. La participation à la zone euro impliquant le respect de règles budgétaires, dont le but est de réduire la dette publique et le déficit public, les États de la zone euro n’ont plus de marge de manœuvre pour relancer l’économie réelle. En accordant un financement plus avantageux à des États dont l’objectif principal est de réduire l’endettement public, la politique monétaire de la BCE apparaît donc peu efficace pour créer des emplois et faire diminuer le chômage. Les réponses apportées à la crise grecque : austérité budgétaire et flexibilité des salaires L’ajustement du déficit extérieur grec fut brutal entre 2011, où le déficit extérieur atteignait 10 % du PIB, et 2013, où le solde extérieur est devenu positif (+ 0,5 % du PIB). Cet ajustement s’est en grande partie effectué par une baisse de la masse salariale et des revenus sociaux. Entre 2009 et 2014, l’État grec a réduit ses dépenses de 35 %, ce qui 2 18 Grèce, cela signifie que les résidents grecs sont endettés vis-à-vis du reste du monde. chroniques d'économie politique / LNA#71 constitue un effort d’une ampleur exceptionnelle. À titre comparatif, l’Irlande et le Portugal – qui ont également demandé l’aide de la troïka – ont baissé leurs dépenses publiques respectivement de « seulement » 11 % et 4 %. Au niveau macroéconomique, cette forte baisse des dépenses publiques grecques a plombé l’activité privée (la consommation et l’investissement ont chuté) et a plongé l’économie dans une récession comparable à la crise des années 1930. Le PIB ayant diminué suite à l’austérité budgétaire imposée par la troïka, les dépenses publiques en pourcentage du PIB n’ont diminué que de 14 % entre 2009 et 2014, soit 2,5 fois moins que l’effort fourni ex ante. Au niveau social, la pauvreté, la précarité et le chômage ont explosé et restent aujourd’hui à des niveaux exorbitants (en septembre 2015, le taux de chômage est de plus de 25 % et dépasse les 50 % pour les jeunes de moins de 25 ans). L’ajustement du déficit extérieur s’est effectué par une chute des importations induite par la baisse des revenus réels, en particulier des plus pauvres, au prix de conséquences sociales catastrophiques. La hausse du chômage a fait pression sur les salaires, qui ont été freinés, ce qui a permis une baisse du coût du travail. Cependant, cette baisse ne s’est pas répercutée sur les prix des exportations, les entreprises en difficulté cherchant à se désendetter et à augmenter leurs marges plutôt qu’à regagner en compétitivité-prix et à investir. La baisse du coût du travail, par son effet négatif sur le pouvoir d’achat, tout comme la baisse des dépenses publiques, a accentué la récession. L’absence d’alternatives ? Suite aux politiques d’austérité, le solde public primaire (sans les intérêts à payer) et le solde extérieur sont devenus excédentaires. Malgré la brutalité de l’ajustement, la dette extérieure à rembourser et les intérêts y afférents constituent le fardeau principal pour l’économie grecque. Cette dette vis-à-vis du reste du monde s’étant accumulée sur plus d’une décennie, le désendettement de la Grèce ne peut être que progressif. L’économie grecque reste aujourd’hui enlisée dans une faible croissance et une position extérieure nette très dégradée et doit rembourser ses créanciers avec l’aide de financements extérieurs provenant de l’Union Européenne et du FMI. Afin d’améliorer la situation économique et sociale de la Grèce, plusieurs alternatives peuvent être proposées. Une annulation conséquente de la dette serait sans doute bénéfique pour l’économie grecque, qui pourrait consacrer davantage de dépenses à son économie réelle plu- tôt qu’au remboursement de la dette. Cependant, une amélioration substantielle de l’architecture institutionnelle de la zone euro paraît indispensable pour éviter la montée des déséquilibres à l’intérieur de la zone euro. Ces déséquilibres intra-zone euro doivent être limités et gérés par un mécanisme d’impôts, de transferts et d’endettement au niveau européen, comme cela est le cas entre les États américains ou entre les régions françaises. La mise en place d’une solidarité budgétaire entre les pays de la zone euro permettrait à la Grèce de bénéficier de transferts de revenus et d’investissements dans les secteurs d’avenir (éducation, recherche, infrastructures pour le développement durable, lutte contre l’oligarchie, amélioration du système d’imposition). Cette solution, qui apparaît de loin la plus efficace sur le papier, se heurte à des difficultés considérables et qui doivent être reconnues. À court terme, les pays du Nord, dont l’Allemagne au premier rang, devraient accepter de perdre leurs excédents extérieurs qui sont aujourd’hui énormes (l’excédent allemand pourrait atteindre 9 % du PIB allemand en 2015) et qui sont au cœur de leur modèle de croissance. Le scénario le plus probable est qu’après une longue période de récession et de baisse d’investissement (la baisse de l’investissement en Grèce a été de près de 70 % entre 2007 et 2015) une baisse du chômage très lente et incomplète se produise en Grèce, comme le montrent les exemples des pays baltes, de l’Irlande ou plus récemment de l’Espagne. Ce scénario d’enlisement durable ne peut être satisfaisant socialement, mais apparaît viable si la situation relative de la Grèce s’améliore, même faiblement. Références - Jacques Mazier, Pascal Petit, Dominique Plihon, L’ économie mondiale en 2030 : ruptures et continuités, éd. Economica, 2013. - Vincent Duwicquet, Jacques Mazier et Jamel Saadaoui, Désajustements de change, fédéralisme budgétaire et redistribution : comment s’ajuster en union monétaire, Revue de l’OFCE n° 127, La zone euro en crise, 2013, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/127/revue-127.pdf. 19