Carnap, le symbolique et la philosophie Collection Ouverture philosophique dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques. Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou. .. polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernières parutions Mahamadé SA V ADOGO, Philosophie et histoire, 2003. Roland ERNOULD, Quatre approches de la magie, 2003. Philippe MENGUE, Deleuze et la question de la démocratie, 2003. Michel ZISMAN, Voyages, Aux confins de la démocratie, mathématicien chez les politiques), 2003. (Un Xavier VERLEY Carnap, le symbolique et la philosophie L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRŒ L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALŒ (Ç)L'Harmattan, 2003 ISBN: 2-7475-4436-2 SOMMAIRE 13,Avant-propos 17, CHAPITRE I, La science, le symbolique et l'ontologie I - 1 La métaphysique dépassée par l'alliance du symbolique et de la science, 17 I - 2 De la représentation aux symboles ou comment la science s'est affranchie de la métaphysique, 20 a) Le rôle des géométries non-euclidiennes, 21 b) L'arithmétique, 23 c) Les sciences physiques, 26 1-3 Le symbolique, l'épistémologie et la logique, 27 1-4 Forme et contenu dans le symbolique, 30 a) Berkeley, 31 b) Le rôle des signes, 32 c) Le symbolique comme logique: le signe écrit, 35 1-5 Le problème du contenu dans le symbolique, 36 a) L'indétermination du contenu logique et l'indicible, 36 b) Le dédoublement du contenu: le sens et la vérité, 39 I - 6 Comment le symbolique peut-il fonder une ontologie, 43 Notes, 46 49, CHAPITRE II, Le monde comme sensation et comme relation II -1 L'Aujbau dans une perspective ontologique, 49 II - 2 Unité du monde et unité de la science, 53 II - 3 Le monisme neutre et le primat de la sensation, 55 11-4 La métaphysique sous-jacente à la science unitaire: la sensation comme point aveugle de la métaphysique, 60 II - 5 Le monisme neutre et la physique: la notion d'événement comme fondement du psychique et du physique, 63 II - 6 L'accès au symboliquecomme condition de la neutralité, 67 II - 7 Théorie de la relativité symbolique: identité du concept et de l'objet, 70 II - 8 Logique et ontologie, 73 II - 9 La puissance universelle du symbolique, 74 II -10 Espace physique, espace sensible et espace logique: système de coordonnées, registre et tableau, 77 Notes,80 83, CHAPITRE III, Le système logique du monde III - 1 Construction et abstraction: la quasi-analyse, 83 III - 2 La théorie des relations et le primat de la structure, 86 III - 3 La relativité à partir du donné, 89 III - 4 Construction et intuition, 92 III - 5 Carnap et Kant, 96 III - 6 Dérivation logique et déductiontranscendantale, 102 III - 7 Comment traduire le contenu du monde, 104 III - 8 Signification logique et signification épistémique, 110 III - 9 Le système scientifique du monde, 112 a) Les basespossibles: psychologiquesouphysicalistes ? 113 b) La réductionde l'ego, le soi et l'inconscient, 115 c) Les quasi-objets, 117 Notes, 120 127, CHAPITRE IV, Certitudes et incertitudes de la physique: le passage du positivisme au physicalisme IV - 1 La construction logique et les rapports de la base autopsychologique à la base hétéropsychologique, 127 IV - 2 La base autopsychologique et son rapport à la théorie de la relativité, 131 IV - 3 La mécanique quantique et la dissociation du monde en monde macrophysique et en monde microphysique, 135 IV - 4 Le reflux dans le symbolique comme solution aux paradoxes, 138 IV - 5 La répercussion du débat des physiciens sur les énoncés 8 protocolaires: le physicalisme comme langage universel de la science, 143 IV - 6 La fin des équations « absolu = subjectif» et « relatif = obj ectif », 147 IV - 7 Le tournant physicaliste, 150 IV - 8 La recherche du sens et de la vérité à partir de règles et de conventions, 153 IV - 9 Le dépassement de l'atomisme logique: la fin de la langue idéale, 154 IV - 10 Conséquences: le « grand miroir» ne renvoie plus que des images brouillées, 157 IV -11 Le langage comme calcul, 159 Notes, 163 167, CHAPITRE VI, La syntaxe logique et la science unitaire V-I De la construction logique du monde à la syntaxe logique du langage, 167 V - 2 La syntaxe logique comme trait d'union du symbolique et de la science, 169 a) Le langage commun et la langue parfaite, 169 b) La liaison du symbolique et de la science 172 V - 3 La syntaxe logique chez Wittgenstein et Carnap, 173 a) La question du métalangage et la syntaxe logique, 173 b) Le donné et l'usage des symboles chez Wittgentein, 175 c) Langage matériel au langageformel chez Carnap, 176 V - 4 La syntaxe logique comme théorie du fondement: le problème de l'infini mathématique, 178 V - 5.Le principe de tolérance et les possibilités infinies de la logique, 184 V - 6 La construction de deux langages Ll et L2 ou deux manières de calculer dans l'infini, 187 V -7 Comment concilier l'universel (physicalisme) et l'infini (mathématique) ou le calcul comme métalangage commun à la physique et aux mathématiques, 192 V - 8 Le problème de l'arithmétisation de la syntaxe et sa 9 signification par rapport à la science unitaire, 196 Notes, 200 203, CHAPITRE VI, Traduction et démonstration VI - 1 Ce que signifie fonder en partant d'un calcul: les concepts fondamentaux, 203 VI - 2 Comment trouver pour les énoncés du calcul un critère de validité qui soit aussi un critère de décision, 204 VI - 3 Les preuves par dérivation et par conséquence: le primat du transfini et la « transcendance» des infinies possibilités, 206 a) Significations d'un critère de validité, 206 b) Les dérivations, 207 c) Conséquence logique et analyticité, 208 VI - 4 L'arithmétique traduite dans le langage de la syntaxe, 212 VI - 5 La géométrie et la physique, 215 a) Calcul et géométrie, 216 b) La physique reconstruite comme un calcul, 217 VI - 6 Les critères de signification: du positivisme au physicalisme, 220 VI - 7 Le critère de la signification en termes de testabilité et le problème des prédicats dispositionnels, 222 VI - 8 L'indémontrable dans la science ou peut-on éviter la référence à l'omniscience, 226 VI - 9 Le problème de l'in-traduisible et de l'in-nommable par rapport à la négation, 230 a) « Le néant néantise» et les ambiguïtésdu langage matériel,230 b) Le point de vue de Heidegger et la perspective de Carnap, 232 c) L'ontologie fondamentale et l'ontologie symbolique, 235 Notes, 236 241, CHAPITRE VII, L'indétermination VII de la sémantique - 1 Comment définir la signification et la vérité en l'absence de donné, 241 VII - 2 Le problème du contenu et la vérité dans les limites du symbolique, 244 10 VII - 3.La découverte de la sémantique comme p<?ssibilité de définir la vérité, 245 VII - 4 Critère de validité (syntaxe) et définition de la vérité (sémantique) : le caractère fondamental du concept de satisfaction, 247 VII - 5 Conséquencespour Carnap: une théorie des rapports de la forme et du contenu à l'intérieur du symbolique, 252 VII - 6 Les catégories de concepts sémantiques: concepts primitifs, radicaux et absolus, 256 VII - 7 La déduction des concepts logiques à partir de la sémantique, 257 VII - 8 L'écart entre contenu logique et contenu empirique ou comment accorder la sémantique et la pragmatique, 261 VII - 9 Syntaxe et sémantiquedans la logique de la science: calculs et interprétations, 264 VII - 10 Interprétation et explication, 266 VII -11 Extensions et intensions comme designata, 269 VII - 12 La théorie de la science unitaire comme conséquence de l'ontologie symbolique, 272 a) L'unité par la structure, 272 b) L'unité par la symbolisation et la thèse de la résolubilité de tous les problèmes, 274 c) L'unité de la science comme substitut de la métaphysique, 275 d) L'unité de la science comme moyen de préserver la neutralité de la science, 276 Notes, 278 281, CHAPITRE VIII, Sémantique logique et ontologie - 1 Les conséquences philosophiques de l'introduction des extensions et des intensions, 281 VIII VIII - 2 Les principes gouvernant la méthode de dénomination, 282 VIII - 3 Les cas d'échec au principe de substitution: l'isomorphisme intensionnel, 286 VIII - 4 Comment préserver la vérité logique des descriptions d'état: les postulats de signification, 289 VIII - 5 La vérité logique en termes de nécessité: Il la quantification et les contextes modaux, 291 VIII - 6 Description d'état et monde possible: Carnap et Hintikka, 295 a) Description d'état et ensemble modèle, 295 b) Les fonctions d'individuation et les lignes d'univers, 297 VIII - 7 La question de l'engagement ontologique: questions externes et questions internes, 298 VIII - 8 Neutralité ontologique et nominalisme, 301 Notes, 303 307, CHAPITRE IX, Carnap, le symbolique et le transcendantal IX - 1 Carnap et la philosophie, 307 IX - 2 Carnap et la logique, 309 IX - 3 Le symbolique et le transcendantal? 311 a) Carnap et Kant ou l'opposition de l'analyse et de la synthèse? 312 b) La réduction du symbolique à la représentation; symbole et intuition, 313 IX - 4 La connaissance symbolique comme connaissance par substitution, 317 a) Les mathématiques b) L'extension comme modèle du symbolique, du symbolique aux sciences physiques, 317 321 IX - 5 Le rapport du langage à la réalité chez Carnap, 324 IX - 6 L'ordre et l'ontologie, 327 IX - 7 L'ordre symbolique des nombres et l'ordre transcendantal du temps: le degré zéro de l'ontologie, 328 Notes, 332 335, BIBLIOGRAPHIE 12 Avant-propos La plupart des études sur Carnap s'en tiennent à une œuvre, l'Aujbau, The logical Syntax of Language par exemple, sans se poser la question de savoir s'il y a bien une continuité de pensée. Une telle approche permet sans doute une étude plus précise des textes mais elle a aussi l'inconvénient d'isoler les œuvres et de perdre de vue la question de la cohérence et de l'unité d'une pensée. De plus elle facilite des filiations avec d'autres pensées qu'on ne pourrait admettre si on considérait l'ensemble de l'œuvre. Carnap a soutenu deux conceptions antagonistes (positiviste et physicaliste) concernant le langage de la science; en matière de logique il a d'abord réduit le concept de vérité à celui d'analyticité et sous l'influence des travaux de Tarski il l'a réintroduit à partir de ce qu'on appelle le concept sémantique de vérité. Une des difficultés de l'interprétation de son travail vient de ce qu'il présente dans un même ouvrage des thèses relevant de domaines distincts: ainsi non seulement The logical Syntax of Language fait état des discussions sur les travaux logiques concernant les fondements des mathématiques mais ce livre développe aussi une théorie du langage unitaire de la science qui relèverait plutôt de ce qu'on appelle l'épistémologie. Outre la question des calculs possibles pour traduire les différentes conceptions des mathématiques, il se préoccupe de comprendre le rapport des calculs mathématiques aux calculs géométriques et physiques. Plus tard il cherchera à comprendre comment associer la composante syntaxique (calculs) et sémantique (interprétations) pour comprendre comment une théorie (un langage) peut rendre compte du contenu de l'expérience. Notre travail adopte le parti pris d'étudier l'ensemble de l' œuvre1 pour montrer que par delà le changement du domaine des recherches, tel le va et vient de la logique à l'épistémologie, des recherches syntaxiques aux recherches sémantiques, il y a bien une pensée philosophique sous-jacente. Sinon il faudrait admettre que chaque œuvre serait le résultat d'un concours de circonstances: l'Aujbau aurait été inspiré par la théorie logique des relations; The logical Syntax of Language par le débat sur le fondement des mathématiques qui opposait Hilbert à Brouwer et Heyting; l'Introduction to Semantics et The Formalization of Logic par la sémantique de Tarski et Meaning and Necessity par la possibilité d'introduire la quantification dans les contextes modaux2 en logique. On pourrait avoir l'impression d'un auteur qui n'hésite pas à changer de perspective et finit par admettre ce qu'il rejetait précédemment. Bien que Carnap ait le souci de s'informer des dernières recherches dans le domaine de la logique et de l'épistémologie, on ne peut le réduire à un épistémologue logicien car sa pensée répond à la même préoccupation: il ne s'agit pas comme le disent beaucoup d'interprètes de la recherche du transcendantal3 mais de la conviction que la pensée commence quand on substitue au vécu (solipsisme) ou à l'intuition (synthèses de l'habitude) non pas des synthèses a priori mais des symboles sans lesquels on n'atteindrait pas la généralité indispensable à la connaissance. Voilà pourquoi nous avons choisi d'associer Carnap à l'idée de symbolique et pas simplement à l'idée de langage. Son idée du langage inclut aussi bien le langage verbal qu'écrit de sorte qu'une photographie pourrait être considérée comme un langage (voir Fondements philosophiques de la physique). Ce travail vise essentiellement à montrer que la conception du symbolique est liée à une philosophie qui ne doit rien à Kant, ni même à Cassirer. L'intérêt porté à la logique et à l'épistémologie dissimule une conception philosophique qu'on ne peut réduire au nominalisme bien qu'elle accorde une place prééminente au rôle du langage dans la science. Nous nous attachons à montrer que Carnap est un philosophe 14 qui a mesuré l'importance du symbolique autant pour la pensée philosophique que scientifique. Cela nous a permis de mieux comprendre le projet de la syntaxe logique qui reste énigmatique quand elle est réduite à sa seule dimension logique. Liée à la théorie de la science unitaire, la syntaxe logique permet de comprendre le rôle essentiel d'une langue et d'un calcul pour unifier la science et penser la vérité analytique ou synthétique d'un contenu cognitif. Il nous a semblé qu'il s'agissait d'abord d'une philosophie car les différentes thèses qui la constituent s'enchaînent l'une à l'autre. Pour comprendre la théorie du rejet de la métaphysique, il faut savoir que les conditions de la signification et de la vérité ne peuvent plus être posées à partir de la représentation ou de l'intuition. Le rôle des conventions est essentiel mais la notion de convention n'implique pas l'arbitraire car le plus souvent elles ne sont pas posées mais imposées. Le contenu de la science ne peut plus être compris en partant de l'idée kantienne d'un entendement législateur et les lois ne dépendent plus d'un sujet mais de la signification de concepts donnés dans les énoncés qui les symbolisent et les formalisent. La logique de la science permet de substituer à une connaissance immédiate et finie issue de la représentation, une science unitaire, seul rempart contre la métaphysique, dont Carnap n'a jamais renoncé à faire la théorie. Notes 1 J. Bouveresse a également abordé, de manière plus condensée, une telle étude reposant sur l'ensemble de l' œuvre de Carnap dans le chapitre VI ( Carnap, le langage et la philosophie, p. 247-97 ) de La parole malheureuse, Les éditions de minuit, Collection « critique », 1971. 2 C.I. Lewis and C. H. Langford, Symbolic Logic Ruth 3 Nous discuterons longuement ces interprétations qui se caractérisent par une conception très floue du transcendantal qui ne recoupe ni la conception kantienne, ni la conception husserlienne. 15 Chapitre 1 LA SCIENCE, LE SYMBOLIQUE ET L'ONTOLOGIE I 1 LA METAPHYSIQUE DEPASSEE PAR L'ALLIANCE DU SYMBOLIQUE ET DE LA SCIENCE De Carnap, on retient le plus souvent la doctrine du dépassement (Überwindung) de la métaphysique et on l'attribue généralement au fait qu'il serait épistémologue et logicien. La métaphysique repose sur la croyance que l'intuition constitue un mode de connaissance spécifique, radicalement différent de celui de la science et de celui de la vie de tous les jours. Elle reposerait sur une connaissance immédiate de l'intérieur tandis que la science en serait réduite à une connaissance extérieure de la réalité. Mais la distinction intérieur/extérieur ne joue plus quand on a affaire à la science car ici il n'y a pas de profondeursl : tout ce qui est, est symbole et celui-ci est appréhendé à partir d'une perception sensible d'où provient la différenciation d'une forme et d'un contenu, d'un concept et d'un objet. Carnap croit, comme Schlick, que la connaissance du monde n'est possible que par la science. Lorsque la métaphysique croit saisir par intuition une réalité transcendante (le vouloir vivre, l'élan vital par exemple), elle confond vivre et connaître. Tout ce qui est, ne devient un contenu de connaissance que par la science qui s'en tient à la clarification du contenu et ne se pose pas de question insoluble comme celle de savoir si le contenu est créé ou découvert. Le vécu ne peut être introduit dans la connaissance que s'il est symbolisé et si c'est le cas, il peut être ensuite formalisé et devient ainsi connaissable : «Toute connaissance de l'étant peut par principe être obtenue par la méthode des sciences particulières; toute autre ontologie débite des sornettes. Tous les mots que la philosophe aura 17 beau chercher pour exprimer l'expérience vécue ne lui en rendront jamais que les propriétés formelles - le contenu lui échappe toujours; y aurait-il une « connaissance intuitive» dans ce sens-là, elle ne laisserait rien au métaphysicien, que le silence. »2 Dépendant de l'appréhension du vécu, le contenu de la métaphysique est incommunicable, attendu que le vécu appartient à un sujet qui est unique et irremplaçable. Il est donc impensable tant qu'il n'est pas réduit à des symboles. Au contraire, le contenu de la science se prête à la symbolisation et à la formalisation et peut par suite devenir pensable. La question fondamentale n'est plus de savoir si la métaphysique est possible mais si elle a un sens. La thèse du non-sens de la métaphysique n'est provocante que pour ceux qui sont attachés à une conception désuète de la connaissance. Pourtant la philosophie moderne semble vivre de cette crise interne de la métaphysique: depuis Kant, Hume, le positivisme, Nietzsche et Heidegger lui-même, on a souvent discuté le problème de sa légitimité et de son sens. Tous ont insisté, avec des motivations diverses, sur ses difficultés et sur la nécessité de la dépasser. Mais chez Carnap et certains membres du Cercle de Vienne, il s'agit d'un rejet qui vient de ce qu'elle s'oppose aux conditions primordiales de la signification. Littéralement elle perd le sens d'abord parce que, n'ayant pas encore élucidé le rôle du langage dans la pensée, elle en subit encore plus fortement les lois, s'imaginant saisir un contenu transcendant en dehors du symbolique. Elle détermine le contenu à partir de concepts ou de formes détachés de leur support verbal sans se soucier des formes ou règles inhérentes au langage. Elle néglige le fait que son contenu dépend de formes linguistiques irrégulières et en conclut à la vanité de toute analyse logique. Les seules formes qu'elle reconnaisse sont celles qui viennent des idées, car dans l'idée, forme et contenu forment une unité. Elle ignore donc le rapport aux symboles parce qu'elle se forge une idée tronquée de l'expérience3. Une telle expérience comme rapport aux symboles n'a rien à voir avec l'expérience vécue saisie par intuition. La métaphysique s'apparenterait à l'art si elle parvenait seulement à s'élever, comme la poésie, à l'expression du sentiment de la vie4. 18 Carnap est certainement le philosophe qui est allé le plus loin dans la réduction de la connaissance à ses composants linguistiques5. Mais il ne fait que tirer les conséquences de tout un processus de déconstruction du système de concepts de la métaphysique commencé bien avant lui. La prééminence des problèmes de langage, la croyance que le contenu de la science est accessible à l'analyse logique et l'inanité de la métaphysique qui en découle, résultent d'une redistribution progressive des composants qu'on croyait indispensables pour fonder toute connaissance. Tant qu'on croit nécessaire l'intuition pour relier une forme à un contenu, non seulement on sous-estime le rôle du langage, mais en outre, on comprend mal comment le contenu s'ajuste à la forme. De plus, en posant l'intuition comme condition préalable du savoir, on est dans l'obligation d'introduire des distinctions entre sujet et objet, a priori et a posteriori et des relations immédiates telles la relation de causalité sans lesquelles la métaphysique ne peut prétendre être une science. On pourrait dire que la thèse du dépassement de la métaphysique provient d'une pensée qui a pris conscience de son enracinement linguistique et qui a compris la nécessité de dépasser les dualismes inutiles, générateurs d'antinomies. Comme la plupart des philosophes non hégéliens, Carnap ne peut s'accommoder des antinomies comme idéalisme et réalisme, monde sensible et monde intelligible, matière et esprit, .. .etc. : «Le verdict de non-sens atteint finalement tous les courants métaphysiques qu'on désigne improprement comme relevant de la théorie de la connaissance à savoir le réalisme (dès qu'il veut en dire plus que la constatation empirique selon laquelle les événements manifestent une certaine régularité, autorisant l'application de la méthode inductive) et ses adversaires: l'idéalisme subjectif, le solipsisme, le phénoménisme, le positivisme (au sens ancien). »6 Il semble même que ce soit l'essence de la métaphysique que d'introduire des divisions qui engendrent des antinomies et paralysent la pensée. Lorsque Carnap entreprend d'examiner la métaphysique, il n'y voit plus qu'un système d'énoncés dont le contenu est dépourvu d'intérêt du point de vue de la science mais non du point de vue de la vie: «On n'attend pas des (simili)-énoncés de la métaphysique qu'ils exposent des états de choses (Darstellung von Sachverhalten) 19 existants (car il s'agirait alors d'énoncés vrais) ou non existants (auquel cas ces énoncés seraient au moins faux) mais qu'ils expriment le sentiment de la vie (Lebengefühl). »7 Si la métaphysique a perdu toute fonction cognitive, elle n'est pas dépourvue de valeur expressive puisqu'à l'instar de l'art, elle exprime la vie à sa manière. Elle est devenue une simple Weltanschauung, une vision du monde dans laquelle l'étant est mis en relation avec la vie ou plutôt le vécu. I - 2 DE LA REPRESENTATION COMMENT LA SCIENCE S'EST METAPHYSIQUE AUX SYMBOLES OU AFFRANCIDE DE LA Quand on reproche à Carnap de dire que la métaphysique n'est que non-sens, on oublie qu'il ne fait que constater sa faillite. Elle s'est déconstruite d'elle-même parce qu'elle n'était plus compatible avec les différentes sciences qu'elle prétendait fonder. Dans la représentation cartésienne de l'arbre de la connaissance, elle était censée diffuser la vérité des principes, provenant de la toute puissance de Dieu, vers les différentes sciences. Mais ceux-ci, telle principe de causalité, apparaissent de plus en plus problématiques. Ou bien il n'a qu'une nécessité psychologique (Hume) ou bien il est tributaire d'une doctrine de la substance (Descartes, Spinoza) dont se désintéresse la science. Entre la science des métaphysiciens et la science mathématique et physique se creuse un écart qui rend la première anachronique. Kant a apporté une contribution importante à cette tâche mais, parti de l'idée que la science implique des concepts, des jugements et des principes fondés sur la faculté de représentation, son épistémologie s'est trouvée en difficulté quand il est devenu manifeste, dans le développement des mathématiques et de la physique, qu'il pouvait y avoir un contenu et une forme de la pensée sans qu'il y ait représentation. Une nouvelle idée de la science qui ne doit plus rien à la métaphysique se fait jour dans les mathématiques et la physique. L'objet de la pensée scientifique n'est plus subordonné à une intuition 20