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Carnap, le symbolique et la philosophie
Collection Ouverture philosophique
dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions
qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y
confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle
est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils
soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines,
sociales ou naturelles, ou. .. polisseurs de verres de lunettes
astronomiques.
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et histoire, 2003.
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mathématicien chez les politiques), 2003.
(Un
Xavier VERLEY
Carnap, le symbolique et la philosophie
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRŒ
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALŒ
(Ç)L'Harmattan, 2003
ISBN: 2-7475-4436-2
SOMMAIRE
13,Avant-propos
17, CHAPITRE I, La science, le symbolique
et l'ontologie
I - 1 La métaphysique dépassée par l'alliance du symbolique et
de la science, 17
I - 2 De la représentation aux symboles ou comment la science
s'est affranchie de la métaphysique, 20
a) Le rôle des géométries non-euclidiennes, 21
b) L'arithmétique, 23
c) Les sciences physiques, 26
1-3 Le symbolique, l'épistémologie et la logique, 27
1-4 Forme et contenu dans le symbolique, 30
a) Berkeley, 31
b) Le rôle des signes, 32
c) Le symbolique comme logique: le signe écrit, 35
1-5 Le problème du contenu dans le symbolique, 36
a) L'indétermination du contenu logique et l'indicible, 36
b) Le dédoublement du contenu: le sens et la vérité, 39
I - 6 Comment le symbolique peut-il fonder une ontologie, 43
Notes, 46
49, CHAPITRE II, Le monde comme sensation
et comme relation
II -1 L'Aujbau dans une perspective ontologique, 49
II - 2 Unité du monde et unité de la science, 53
II - 3 Le monisme neutre et le primat de la sensation, 55
11-4 La métaphysique sous-jacente à la science unitaire: la
sensation comme point aveugle de la métaphysique, 60
II - 5 Le monisme neutre et la physique: la notion d'événement
comme fondement du psychique et du physique, 63
II - 6 L'accès au symboliquecomme condition de la neutralité,
67
II
- 7 Théorie de la relativité symbolique: identité du concept
et de l'objet, 70
II - 8 Logique et ontologie, 73
II - 9 La puissance universelle du symbolique, 74
II -10 Espace physique, espace sensible et espace logique:
système de coordonnées, registre et tableau, 77
Notes,80
83, CHAPITRE III, Le système logique du monde
III - 1 Construction et abstraction: la quasi-analyse, 83
III - 2 La théorie des relations et le primat de la structure, 86
III - 3 La relativité à partir du donné, 89
III - 4 Construction et intuition, 92
III - 5 Carnap et Kant, 96
III - 6 Dérivation logique et déductiontranscendantale, 102
III - 7 Comment traduire le contenu du monde, 104
III - 8 Signification logique et signification épistémique, 110
III - 9 Le système scientifique du monde, 112
a) Les basespossibles: psychologiquesouphysicalistes ? 113
b) La réductionde l'ego, le soi et l'inconscient, 115
c) Les quasi-objets, 117
Notes, 120
127, CHAPITRE IV, Certitudes et incertitudes de la
physique: le passage du positivisme au physicalisme
IV - 1 La construction logique et les rapports de la base
autopsychologique à la base hétéropsychologique, 127
IV - 2 La base autopsychologique et son rapport à la théorie de
la relativité, 131
IV - 3 La mécanique quantique et la dissociation du monde en
monde macrophysique et en monde microphysique, 135
IV - 4 Le reflux dans le symbolique comme solution aux
paradoxes, 138
IV - 5 La répercussion du débat des physiciens sur les énoncés
8
protocolaires: le physicalisme comme langage universel de la
science, 143
IV - 6 La fin des équations « absolu = subjectif» et « relatif =
obj ectif », 147
IV - 7 Le tournant physicaliste, 150
IV - 8 La recherche du sens et de la vérité à partir de règles et de
conventions, 153
IV - 9 Le dépassement de l'atomisme logique: la fin de la langue
idéale, 154
IV - 10 Conséquences: le « grand miroir» ne renvoie plus que
des images brouillées, 157
IV -11 Le langage comme calcul, 159
Notes, 163
167, CHAPITRE VI, La syntaxe logique et la science
unitaire
V-I De la construction logique du monde à la syntaxe logique
du langage, 167
V - 2 La syntaxe logique comme trait d'union du symbolique
et de la science, 169
a) Le langage commun et la langue parfaite, 169
b) La liaison du symbolique et de la science 172
V - 3 La syntaxe logique chez Wittgenstein et Carnap, 173
a) La question du métalangage et la syntaxe logique, 173
b) Le donné et l'usage des symboles chez Wittgentein, 175
c) Langage matériel au langageformel chez Carnap, 176
V - 4 La syntaxe logique comme théorie du fondement:
le problème de l'infini mathématique, 178
V - 5.Le principe de tolérance et les possibilités infinies
de la logique, 184
V
-
6 La construction
de deux langages
Ll et L2 ou deux manières
de calculer dans l'infini, 187
V -7 Comment concilier l'universel (physicalisme) et l'infini
(mathématique) ou le calcul comme métalangage commun à la
physique et aux mathématiques, 192
V - 8 Le problème de l'arithmétisation de la syntaxe et sa
9
signification par rapport à la science unitaire, 196
Notes, 200
203, CHAPITRE VI, Traduction
et démonstration
VI - 1 Ce que signifie fonder en partant d'un calcul: les concepts
fondamentaux, 203
VI - 2 Comment trouver pour les énoncés du calcul un critère de
validité qui soit aussi un critère de décision, 204
VI - 3 Les preuves par dérivation et par conséquence: le primat
du transfini et la « transcendance»
des infinies possibilités, 206
a) Significations d'un critère de validité, 206
b) Les dérivations, 207
c) Conséquence logique et analyticité, 208
VI
- 4 L'arithmétique traduite dans le langage de la syntaxe, 212
VI - 5 La géométrie et la physique, 215
a) Calcul et géométrie, 216
b) La physique reconstruite comme un calcul, 217
VI - 6 Les critères de signification: du positivisme au
physicalisme, 220
VI - 7 Le critère de la signification en termes de testabilité et le
problème des prédicats dispositionnels, 222
VI - 8 L'indémontrable dans la science ou peut-on éviter la
référence à l'omniscience, 226
VI - 9 Le problème de l'in-traduisible et de l'in-nommable par
rapport à la négation, 230
a) « Le néant néantise» et les ambiguïtésdu langage matériel,230
b) Le point de vue de Heidegger et la perspective de Carnap, 232
c) L'ontologie fondamentale et l'ontologie symbolique, 235
Notes, 236
241, CHAPITRE VII, L'indétermination
VII
de la sémantique
- 1 Comment définir la signification et la vérité en l'absence
de donné, 241
VII - 2 Le problème du contenu et la vérité dans les limites du
symbolique, 244
10
VII - 3.La découverte
de la sémantique comme p<?ssibilité de
définir la vérité, 245
VII - 4 Critère de validité (syntaxe) et définition de la vérité
(sémantique) : le caractère fondamental du concept de
satisfaction, 247
VII - 5 Conséquencespour Carnap: une théorie des rapports de
la forme et du contenu à l'intérieur du symbolique, 252
VII - 6 Les catégories de concepts sémantiques: concepts
primitifs, radicaux et absolus, 256
VII - 7 La déduction des concepts logiques à partir de la
sémantique, 257
VII - 8 L'écart entre contenu logique et contenu empirique ou
comment accorder la sémantique et la pragmatique, 261
VII - 9 Syntaxe et sémantiquedans la logique de la science:
calculs et interprétations, 264
VII - 10 Interprétation et explication, 266
VII -11 Extensions et intensions comme designata, 269
VII - 12 La théorie de la science unitaire comme conséquence de
l'ontologie symbolique, 272
a) L'unité par la structure, 272
b) L'unité par la symbolisation et la thèse de la résolubilité de tous
les problèmes, 274
c) L'unité de la science comme substitut de la métaphysique, 275
d) L'unité de la science comme moyen de préserver la neutralité de
la science, 276
Notes, 278
281, CHAPITRE VIII, Sémantique
logique et ontologie
- 1 Les conséquences philosophiques de l'introduction des
extensions et des intensions, 281
VIII
VIII
- 2 Les principes gouvernant la méthode de dénomination,
282
VIII - 3 Les cas d'échec au principe de substitution:
l'isomorphisme intensionnel, 286
VIII - 4 Comment préserver la vérité logique des descriptions
d'état: les postulats de signification, 289
VIII - 5 La vérité logique en termes de nécessité:
Il
la quantification et les contextes modaux, 291
VIII - 6 Description d'état et monde possible: Carnap
et Hintikka, 295
a) Description d'état et ensemble modèle, 295
b) Les fonctions d'individuation et les lignes d'univers, 297
VIII - 7 La question de l'engagement ontologique: questions
externes et questions internes, 298
VIII - 8 Neutralité ontologique et nominalisme, 301
Notes, 303
307, CHAPITRE IX, Carnap, le symbolique
et le transcendantal
IX - 1 Carnap et la philosophie, 307
IX - 2 Carnap et la logique, 309
IX - 3 Le symbolique et le transcendantal? 311
a) Carnap et Kant ou l'opposition de l'analyse et de la
synthèse? 312
b) La réduction du symbolique à la représentation; symbole et
intuition, 313
IX - 4 La connaissance symbolique comme connaissance par
substitution, 317
a) Les mathématiques
b) L'extension
comme modèle du symbolique,
du symbolique
aux sciences physiques,
317
321
IX - 5 Le rapport du langage à la réalité chez Carnap, 324
IX - 6 L'ordre et l'ontologie, 327
IX - 7 L'ordre symbolique des nombres et l'ordre transcendantal
du temps: le degré zéro de l'ontologie, 328
Notes, 332
335, BIBLIOGRAPHIE
12
Avant-propos
La plupart des études sur Carnap s'en tiennent à une œuvre,
l'Aujbau, The logical Syntax of Language par exemple, sans se poser
la question de savoir s'il y a bien une continuité de pensée. Une telle
approche permet sans doute une étude plus précise des textes mais
elle a aussi l'inconvénient d'isoler les œuvres et de perdre de vue la
question de la cohérence et de l'unité d'une pensée. De plus elle
facilite des filiations avec d'autres pensées qu'on ne pourrait admettre
si on considérait l'ensemble de l'œuvre. Carnap a soutenu deux
conceptions antagonistes (positiviste et physicaliste) concernant le
langage de la science; en matière de logique il a d'abord réduit le
concept de vérité à celui d'analyticité et sous l'influence des travaux
de Tarski il l'a réintroduit à partir de ce qu'on appelle le concept
sémantique de vérité. Une des difficultés de l'interprétation de son
travail vient de ce qu'il présente dans un même ouvrage des thèses
relevant de domaines distincts: ainsi non seulement The logical
Syntax of Language fait état des discussions sur les travaux logiques
concernant les fondements des mathématiques mais ce livre
développe aussi une théorie du langage unitaire de la science qui
relèverait plutôt de ce qu'on appelle l'épistémologie. Outre la
question des calculs possibles pour traduire les différentes
conceptions des mathématiques, il se préoccupe de comprendre le
rapport des calculs mathématiques aux calculs géométriques et
physiques. Plus tard il cherchera à comprendre comment associer la
composante syntaxique (calculs) et sémantique (interprétations) pour
comprendre comment une théorie (un langage) peut rendre compte du
contenu de l'expérience.
Notre travail adopte le parti pris d'étudier l'ensemble de
l' œuvre1 pour montrer que par delà le changement du domaine des
recherches, tel le va et vient de la logique à l'épistémologie, des
recherches syntaxiques aux recherches sémantiques, il y a bien une
pensée philosophique sous-jacente. Sinon il faudrait admettre que
chaque œuvre serait le résultat d'un concours de circonstances:
l'Aujbau aurait été inspiré par la théorie logique des relations; The
logical Syntax of Language par le débat sur le fondement des
mathématiques qui opposait Hilbert à Brouwer et Heyting;
l'Introduction to Semantics et The Formalization of Logic par la
sémantique de Tarski et Meaning and Necessity par la possibilité
d'introduire la quantification dans les contextes modaux2 en logique.
On pourrait avoir l'impression d'un auteur qui n'hésite pas à changer
de perspective et finit par admettre ce qu'il rejetait précédemment.
Bien que Carnap ait le souci de s'informer des dernières
recherches dans le domaine de la logique et de l'épistémologie, on ne
peut le réduire à un épistémologue logicien car sa pensée répond à la
même préoccupation: il ne s'agit pas comme le disent beaucoup
d'interprètes de la recherche du transcendantal3 mais de la conviction
que la pensée commence quand on substitue au vécu (solipsisme) ou à
l'intuition (synthèses de l'habitude) non pas des synthèses a priori
mais des symboles sans lesquels on n'atteindrait pas la généralité
indispensable à la connaissance. Voilà pourquoi nous avons choisi
d'associer Carnap à l'idée de symbolique et pas simplement à l'idée
de langage. Son idée du langage inclut aussi bien le langage verbal
qu'écrit de sorte qu'une photographie pourrait être considérée comme
un langage (voir Fondements philosophiques de la physique). Ce
travail vise essentiellement à montrer que la conception du
symbolique est liée à une philosophie qui ne doit rien à Kant, ni
même à Cassirer. L'intérêt porté à la logique et à l'épistémologie
dissimule une conception philosophique qu'on ne peut réduire au
nominalisme bien qu'elle accorde une place prééminente au rôle du
langage dans la science.
Nous nous attachons à montrer que Carnap est un philosophe
14
qui a mesuré l'importance du symbolique autant pour la pensée
philosophique que scientifique. Cela nous a permis de mieux
comprendre le projet de la syntaxe logique qui reste énigmatique
quand elle est réduite à sa seule dimension logique. Liée à la théorie
de la science unitaire, la syntaxe logique permet de comprendre le
rôle essentiel d'une langue et d'un calcul pour unifier la science et
penser la vérité analytique ou synthétique d'un contenu cognitif.
Il nous a semblé qu'il s'agissait d'abord d'une philosophie car
les différentes thèses qui la constituent s'enchaînent l'une à l'autre.
Pour comprendre la théorie du rejet de la métaphysique, il faut savoir
que les conditions de la signification et de la vérité ne peuvent plus
être posées à partir de la représentation ou de l'intuition. Le rôle des
conventions est essentiel mais la notion de convention n'implique pas
l'arbitraire car le plus souvent elles ne sont pas posées mais imposées.
Le contenu de la science ne peut plus être compris en partant de l'idée
kantienne d'un entendement législateur et les lois ne dépendent plus
d'un sujet mais de la signification de concepts donnés dans les
énoncés qui les symbolisent et les formalisent. La logique de la
science permet de substituer à une connaissance immédiate et finie
issue de la représentation, une science unitaire, seul rempart contre la
métaphysique, dont Carnap n'a jamais renoncé à faire la théorie.
Notes
1
J. Bouveresse a également abordé, de manière plus condensée, une telle étude
reposant sur l'ensemble de l' œuvre de Carnap dans le chapitre VI ( Carnap, le
langage et la philosophie, p. 247-97 ) de La parole malheureuse, Les éditions de
minuit, Collection « critique », 1971.
2 C.I. Lewis and C. H. Langford, Symbolic Logic Ruth
3 Nous discuterons longuement ces interprétations qui se caractérisent par une
conception très floue du transcendantal qui ne recoupe ni la conception kantienne, ni
la conception husserlienne.
15
Chapitre 1
LA SCIENCE, LE SYMBOLIQUE
ET L'ONTOLOGIE
I 1 LA METAPHYSIQUE DEPASSEE PAR L'ALLIANCE DU
SYMBOLIQUE ET DE LA SCIENCE
De Carnap, on retient le plus souvent la doctrine du
dépassement (Überwindung) de la métaphysique et on l'attribue
généralement au fait qu'il serait épistémologue et logicien. La
métaphysique repose sur la croyance que l'intuition constitue un
mode de connaissance spécifique, radicalement différent de celui de
la science et de celui de la vie de tous les jours. Elle reposerait sur une
connaissance immédiate de l'intérieur tandis que la science en serait
réduite à une connaissance extérieure de la réalité. Mais la distinction
intérieur/extérieur ne joue plus quand on a affaire à la science car ici
il n'y a pas de profondeursl : tout ce qui est, est symbole et celui-ci
est appréhendé à partir d'une perception sensible d'où provient la
différenciation d'une forme et d'un contenu, d'un concept et d'un objet.
Carnap croit, comme Schlick, que la connaissance du monde
n'est possible que par la science. Lorsque la métaphysique croit saisir
par intuition une réalité transcendante (le vouloir vivre, l'élan vital par
exemple), elle confond vivre et connaître. Tout ce qui est, ne devient
un contenu de connaissance que par la science qui s'en tient à la
clarification du contenu et ne se pose pas de question insoluble
comme celle de savoir si le contenu est créé ou découvert. Le vécu ne
peut être introduit dans la connaissance que s'il est symbolisé et si
c'est le cas, il peut être ensuite formalisé et devient ainsi
connaissable : «Toute connaissance de l'étant peut par principe être
obtenue par la méthode des sciences particulières; toute autre
ontologie débite des sornettes. Tous les mots que la philosophe aura
17
beau chercher pour exprimer l'expérience vécue ne lui en rendront
jamais que les propriétés formelles
-
le contenu lui échappe
toujours; y aurait-il une « connaissance intuitive» dans ce sens-là, elle
ne laisserait rien au métaphysicien, que le silence. »2 Dépendant de
l'appréhension du vécu, le contenu de la métaphysique est
incommunicable, attendu que le vécu appartient à un sujet qui est
unique et irremplaçable. Il est donc impensable tant qu'il n'est pas
réduit à des symboles. Au contraire, le contenu de la science se prête
à la symbolisation et à la formalisation et peut par suite devenir
pensable.
La question fondamentale n'est plus de savoir si la
métaphysique est possible mais si elle a un sens. La thèse du non-sens
de la métaphysique n'est provocante que pour ceux qui sont attachés à
une conception désuète de la connaissance. Pourtant la philosophie
moderne semble vivre de cette crise interne de la métaphysique:
depuis Kant, Hume, le positivisme, Nietzsche et Heidegger lui-même,
on a souvent discuté le problème de sa légitimité et de son sens. Tous
ont insisté, avec des motivations diverses, sur ses difficultés et sur la
nécessité de la dépasser.
Mais chez Carnap et certains membres du Cercle de Vienne, il
s'agit d'un rejet qui vient de ce qu'elle s'oppose aux conditions
primordiales de la signification. Littéralement elle perd le sens
d'abord parce que, n'ayant pas encore élucidé le rôle du langage dans
la pensée, elle en subit encore plus fortement les lois, s'imaginant
saisir un contenu transcendant en dehors du symbolique. Elle
détermine le contenu à partir de concepts ou de formes détachés de
leur support verbal sans se soucier des formes ou règles inhérentes au
langage. Elle néglige le fait que son contenu dépend de formes
linguistiques irrégulières et en conclut à la vanité de toute analyse
logique. Les seules formes qu'elle reconnaisse sont celles qui viennent
des idées, car dans l'idée, forme et contenu forment une unité. Elle
ignore donc le rapport aux symboles parce qu'elle se forge une idée
tronquée de l'expérience3. Une telle expérience comme rapport aux
symboles n'a rien à voir avec l'expérience vécue saisie par intuition.
La métaphysique s'apparenterait à l'art si elle parvenait seulement à
s'élever, comme la poésie, à l'expression du sentiment de la vie4.
18
Carnap est certainement le philosophe qui est allé le plus loin
dans la réduction de la connaissance à ses composants linguistiques5.
Mais il ne fait que tirer les conséquences de tout un processus de
déconstruction du système de concepts de la métaphysique commencé
bien avant lui. La prééminence des problèmes de langage, la croyance
que le contenu de la science est accessible à l'analyse logique et
l'inanité de la métaphysique qui en découle, résultent d'une
redistribution
progressive
des
composants
qu'on
croyait
indispensables pour fonder toute connaissance. Tant qu'on croit
nécessaire l'intuition pour relier une forme à un contenu, non
seulement on sous-estime le rôle du langage, mais en outre, on
comprend mal comment le contenu s'ajuste à la forme. De plus, en
posant l'intuition comme condition préalable du savoir, on est dans
l'obligation d'introduire des distinctions entre sujet et objet, a priori et
a posteriori et des relations immédiates telles la relation de causalité
sans lesquelles la métaphysique ne peut prétendre être une science.
On pourrait dire que la thèse du dépassement de la
métaphysique provient d'une pensée qui a pris conscience de son
enracinement linguistique et qui a compris la nécessité de dépasser les
dualismes inutiles, générateurs d'antinomies. Comme la plupart des
philosophes non hégéliens, Carnap ne peut s'accommoder des
antinomies comme idéalisme et réalisme, monde sensible et monde
intelligible, matière et esprit, .. .etc. : «Le verdict de non-sens atteint
finalement tous les courants métaphysiques qu'on désigne
improprement comme relevant de la théorie de la connaissance à
savoir le réalisme (dès qu'il veut en dire plus que la constatation
empirique selon laquelle les événements manifestent une certaine
régularité, autorisant l'application de la méthode inductive) et ses
adversaires: l'idéalisme subjectif, le solipsisme, le phénoménisme, le
positivisme (au sens ancien). »6 Il semble même que ce soit l'essence
de la métaphysique que d'introduire des divisions qui engendrent des
antinomies et paralysent la pensée.
Lorsque Carnap entreprend d'examiner la métaphysique, il
n'y voit plus qu'un système d'énoncés dont le contenu est dépourvu
d'intérêt du point de vue de la science mais non du point de vue de la
vie: «On n'attend pas des (simili)-énoncés de la métaphysique qu'ils
exposent des états de choses (Darstellung von Sachverhalten)
19
existants (car il s'agirait alors d'énoncés vrais) ou non existants
(auquel cas ces énoncés seraient au moins faux) mais qu'ils expriment
le sentiment de la vie (Lebengefühl). »7 Si la métaphysique a perdu
toute fonction cognitive, elle n'est pas dépourvue de valeur expressive
puisqu'à l'instar de l'art, elle exprime la vie à sa manière. Elle est
devenue une simple Weltanschauung, une vision du monde dans
laquelle l'étant est mis en relation avec la vie ou plutôt le vécu.
I - 2 DE LA REPRESENTATION
COMMENT LA SCIENCE S'EST
METAPHYSIQUE
AUX SYMBOLES OU
AFFRANCIDE
DE LA
Quand on reproche à Carnap de dire que la métaphysique
n'est que non-sens, on oublie qu'il ne fait que constater sa faillite. Elle
s'est déconstruite d'elle-même parce qu'elle n'était plus compatible
avec les différentes sciences qu'elle prétendait fonder. Dans la
représentation cartésienne de l'arbre de la connaissance, elle était
censée diffuser la vérité des principes, provenant de la toute puissance
de Dieu, vers les différentes sciences. Mais ceux-ci, telle principe de
causalité, apparaissent de plus en plus problématiques. Ou bien il n'a
qu'une nécessité psychologique (Hume) ou bien il est tributaire d'une
doctrine de la substance (Descartes, Spinoza) dont se désintéresse la
science. Entre la science des métaphysiciens et la science
mathématique et physique se creuse un écart qui rend la première
anachronique. Kant a apporté une contribution importante à cette
tâche mais, parti de l'idée que la science implique des concepts, des
jugements et des principes fondés sur la faculté de représentation, son
épistémologie s'est trouvée en difficulté quand il est devenu
manifeste, dans le développement des mathématiques et de la
physique, qu'il pouvait y avoir un contenu et une forme de la pensée
sans qu'il y ait représentation.
Une nouvelle idée de la science qui ne doit plus rien à la
métaphysique se fait jour dans les mathématiques et la physique.
L'objet de la pensée scientifique n'est plus subordonné à une intuition
20
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