L`écocentrisme de Callicott - Antoine C. Dussault

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05/03/2015
Plan de la séance
Thème 3 :
L’écocentrisme
de Callicott
Les sentiments moraux et
l’évolution
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
3. Principales objections et pistes
de réponse
1.
1. Les sentiments moraux et
l’évolution
Plan de la séance
Les sentiments moraux et
l’évolution
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
3. Principales objections et pistes
de réponse
1.
Les théories éthiques dominantes dans la
philosophie moderne sont basées sur la raison.
Selon Hume : Impossible de prouver par la raison
seule que x est bien ou que y est mal.
Il faut le ressentir : L’éthique est basée sur les
sentiments. Un être n’ayant aucune émotion ne
pourrait comprendre ce que « bien » et « mal »
veulent dire.
David Hume
1711-1776
Nos préoccupations éthiques sont ancrées
psychologiquement dans un sentiment de
sympathie envers autrui.
Selon Callicott, l’éthique rationaliste présuppose
des agents moraux naturellement égoïstes à qui
il faudrait donner des raisons d’être altruistes
(extension de ma considération pour moimême).
1. Les sentiments moraux et
l’évolution
1. Les sentiments moraux et
l’évolution
Mais d’où viennent ces sentiments ?
Aldo Leopold reprend cette conception de
l’éthique et propose l’idée d’une séquence
éthique, d’une évolution culturelle de l’éthique
au fil du progrès de l’humanité.
Darwin, dans La descendance de l’homme, donne
une réponse : L’évolution
Notre espèce a pu survivre parce qu’elle a
développé des sentiments altruistes qui
produisent des comportements d’entraide.
Charles Darwin
1809-1882
L’éthique est une manière sentimentale de
réaliser une symbiose mutualiste.
Aldo Leopold
1887-1948
Nous avons besoin de ces sentiments, car notre
stratégie adaptative inclut la vie en groupe.
L’éthique a une fonction adaptative : Ne
pas détruire ce dont notre survie dépend.
L’éthique telle qu’on la connaît est donc
l’extension culturelle d’un phénomène naturel
d’altruisme se produisant chez les espèces
sociales. L’éthique n’est pas en rupture avec la
nature.
1
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1. Les sentiments moraux et
l’évolution
« Une éthique, écologiquement parlant, est
une limite imposée à la liberté d’agir dans la
lutte pour l’existence. D’un point de vue
philosophique, une éthique distingue entre
des formes sociales et asociales de conduite.
Il s’agit de deux définitions différentes d’une
même chose. Cette chose a son origine dans
la tendance des individus ou des groupes
interdépendants à mettre au point des modes
de coopération. L’écologiste les appelle
symbioses. La politique et l’économie sont
des symbioses avancées où la compétition
primitive du chacun pour soi a été remplacée,
en partie, par des mécanismes de coopération
pourvus d’un contenu éthique. » (Aldo
Leopold, 1949 [2000tr.])
1. Les sentiments moraux et
l’évolution
Plus le temps avance, plus l’humain devient
interdépendant à grande échelle :
Famille - tribu – nation – espèce (humanité)
Aldo Leopold
1887-1948
1. Les sentiments moraux et
l’évolution
Sont interdépendantes
2)
Ont la possibilité de se nuire mutuellement
La présence simultanée de ces deux conditions
implique la nécessité d’une éthique.
Aldo Leopold
1887-1948
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Les sentiments moraux et
l’évolution
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
3. Principales objections et pistes
de réponse
1.
La fonction évoluée de l’éthique est de rendre
possible la coopération (la symbiose) entre
des entités qui :
1)
Nous développons un respect moral pour les
êtres avec lesquels nous sommes en
interaction (symbiose), afin que l’interaction
soit durable.
Aldo Leopold
1887-1948
Un changement éthique est une évolution
socioculturelle (notre constitution biologique
ne change pas.
Prochaine étape : L’inclusion du monde
écologique dans la communauté morale.
Plan de la séance
Les sentiments moraux et
l’évolution
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
3. Principales objections et pistes
de réponse
1.
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
L’écologie des communautés d’Elton (1927) démontre
que les deux conditions (interdépendance,
capacité de détruire l’autre) sont remplies entre
les humains et leurs communautés biologiques.
Cf. Callicott, « Les racines conceptuelles de la ’’land ethic’’ » et
Leopold, « L’éthique de la Terre » In l’Almanach d’un comté
des sables.
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2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
L’écologie des écosystèmes de Tansley, Hutchinson, et
Odum suggère une alternative à la vision
individualiste du monde propre à l’occident
moderne. Les individus isolés n’existent pas. La
frontière que je perçois entre moi et mon
environnement écologique est une illusion.
Darwin : Démontre l’appartenance diachronique de
l’humain à la nature. L’humain vient
historiquement de la nature.
L’écologie des écosystèmes : Démontre
l’appartenance synchronique de l’humain à la
nature. Ici et maintenant, je suis en interaction
avec l’écosystème dont je dépends. Ma santé
dépend de celle de mon écosystème.
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
« Un siècle a passé depuis que Darwin nous livra
les premières lueurs sur l’origine des espèces.
Nous savons à présent ce qu’ignorait avant nous
toute la caravane des générations : que l’homme
n’est qu’un compagnon voyageur des autres
espèces dans l’odyssée de l’évolution. Cette
découverte aurait dû nous donner, depuis le
temps, un sentiment de fraternité avec les autres
créatures ; un désir de vivre et laisser vivre ; un
émerveillement devant la grandeur et la durée de
l’entreprise biotique. » (Aldo Leopold, 1949
[2000tr.])
Valeur intrinsèque et
instrumentale
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
Valeur instrumentale : Parce que la survie
de notre propre espèce en dépend.
Il est impossible pour l’humain de comprendre
assez bien le système complexe de la nature
pour juger si une modification qu’il lui
apporte est (ou n’est pas) dangereuse pour
lui. Il est donc plus prudent de modifier la
nature le moins possible.
Cas du loup et du cerf… (penser comme la
montagne)
Anthropocentrisme + prudence
Valeur intrinsèque et instrumentale
Implications pour les actions humaines
Valeur intrinsèque : Des sentiments de souci et de respect
moral pour les écosystèmes suite à l’appréciation de leur
impressionnante complexité, que nous donne la science
écologique.
Sentiment de faire partie d’un tout qui nous dépasse.
L’écocentrisme permet de tenir compte du fait que l’humain fait
partie de la nature, tout en distinguant les modifications de la
nature qui sont mauvaises de celles qui sont acceptables.
L’éducation à la science écologique et le contact avec le monde
écologique devrait susciter un changement de notre
sensibilité.
Le principe SIB : « [u]ne chose est juste quand elle conserve la
stabilité, l’intégrité et la beauté de la communauté biotique. Elle
est mauvaise lorsqu’elle agit autrement. » (Aldo Leopold, 1949
[2000tr.])
La nature ne nous est pas seulement utile, elle est la condition
sine qua non de notre existence.
Souci et respect de la nature = attitude de valorisation
intrinsèque.
Cheminement qui ne relève pas uniquement de la
démonstration logique.
Pas limitée aux zones désignées de préservation de la nature.
Changements naturels : Lents, doux, à petite échelle.
Changements humains problématiques : Rapides, violents, à
grande échelle.
Imiter la nature (l’échelle de ses changements) pour s’harmoniser
avec elle.
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2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
Réponse à Norton
Convergence avec l’éthique animale
Norton objecte à Callicott que la notion de valeur
intrinsèque n’est pas pertinente parce qu’elle n’a
aucune portée pratique.
Réponse 1 : La vérité morale n’a pas à être utile pour être
pertinente. Ex. : Qu’il soit possible de convaincre un
esclavagiste qu’il a intérêt à libérer ses esclaves et en
faire des salariés n’implique pas qu’il soit impertinent de
lui mentionner qu’il est moralement inacceptable de
réduire des humains à des moyens.
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
Réponse 2 : La reconnaissance d’une valeur intrinsèque à la
nature a bel et bien une portée pratique. Elle renverse le
fardeau de la preuve.
Réponse 2 : La reconnaissance d’une valeur intrinsèque à
la nature a bel et bien une portée pratique. Elle renverse
le fardeau de la preuve.
Sans valeur intrinsèque de la nature : Les protecteurs de la
nature doivent démontrer qu’un projet poursuivi par un exploitant
est assez préjudiciable pour justifier une limitation à leur libre
entreprise.
Au plan juridique, une telle approche suggère la
reconnaissance de droits à la nature.
Avec la valeur intrinsèque de la nature : Les exploitants doivent
démontrer que le projet apporte assez de bénéfices pour justifier
le sacrifice de quelque chose qui a une valeur intrinsèque.
-
L’équateur : Les droits de la « patcha mama » sont
inscrits dans la nouvelle constitution de 2008, adoptée
par référendum.
-
La bolivie.
Renverser un fardeau de preuve n’est pas pragmatiquement inerte !
Deux pays l’ont fait :
Cf. Callicott, « La valeur intrinsèque dans la nature : Une analyse
métaéthique », In Éthique de l’environnement, Vrin.
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
http://www.hisal.
org/revue/article/
MonjeanDecaudin2010-1
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humains-écosystèmes
3. Principales objections et pistes
de réponse
1.
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Plan de la séance
Les sentiments moraux et
l’évolution
2. Une éthique de la symbiose
humains-écosystèmes
3. Principales objections et
pistes de réponse
1.
3. Principales objections et pistes
de réponse
3.1 L’objection de l’écofascisme
Faire primer le bien du tout (de l’écosystème) sur le bien de ses
composantes équivaut à faire ce que font les pires régimes
totalitaires.
Si on doit laisser les prédateurs accomplir leur travail de régulation
des écosystèmes, qu’en est-il lorsque la proie est un être
humain?
Selon Callicott : Nos devoirs écocentristes ne remplacent pas ni
n’annulent nos devoirs envers les autres humains, ils s’ajoutent
à ces devoirs. Les devoirs plus anciens priment.
Pour plus de détails :
Callicott, « Le problème de l’écofascisme » in L’éthique de la terre.
Dussault, « L’écocentrisme et ses appels normatifs à la nature,
sont-ils nécessairement fallacieux ? » in Les Cahiers d’Ithaque
(http://acdussault.profweb.ca/wpcontent/uploads/2010/11/Dussault-2013L%C3%A9cocentrisme-et-ses-appels-normatifs-%C3%A0-lanature-sont-ils-n%C3%A9cessairement-fallacieux.pdf).
3. Principales objections et pistes
de réponse
3. Principales objections et pistes
de réponse
3.2 L’objection de la psychologie morale
impossible
3.2 L’objection de la psychologie morale
impossible
Peut-on sympathiser avec un écosystème ?
Selon Callicott, on ne peut pas sympathiser avec les
communautés et les écosystèmes.
Élargissement de nos sentiments à l’égard de notre société
d’appartenance :
- Patriotisme
-
Fierté d’appartenir au groupe
Conduisent à voir la persistance de son groupe (famille,
groupe culturel, nation, humanité, communauté biotique)
comme une fin en soi.
Voir aussi : Cafaro, « Patriotism as an environmental virtue ».
3. Principales objections et pistes
de réponse
3. Principales objections et pistes
de réponse
3.2 L’objection de la psychologie morale
impossible
3.3 L’objection de l’impuissance du
subjectivisme moral
Ma propre contribution à ce débat (Dussault 2013) :
En attribuant un fondement émotionnel à l’éthique, Callicott
souscrit à un subjectivisme moral qui l’empêche de
démontrer que l’on doit adopter son éthique. Il ne peut
que décrire la possibilité psychologique qu’on l’adopte.
Il ne faut pas faire reposer la psychologie morale de
l’écocentrisme trop fortement sur l’analogie
communautaire eltonnienne.
Plutôt : Le sentiment
d’émerveillement (awe and
wonder) suscité par le monde
écologique, qui appelle une
attitude de respect.
Parfois aussi appelé le sentiment
du sublime.
Critique standard du subjectivisme moral.
Cf. Fox, W. 1985. "A Postscript on Deep Ecology and Intrinsic
Value." Trumpeter 2, no. 4:2023 ; Shrader-Frechette. 1990.
"Biological Holism and the Evolution of Ethics." Between the
Species 6:18592.
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3. Principales objections et pistes
de réponse
3. Principales objections et pistes
de réponse
3.3 L’objection de l’impuissance du
subjectivisme moral
3.4 L’objection de l’écologie « anti-équilibre »
Réponse de Callicott :
La notion d’équilibre de la nature remonte à très loin dans la culture
occidentale. Elle a été reprise par l’écologie scientifique.
Callicott, « Can a theory of moral sentiments support a
genuinely normative environmental ethic? », Inquiry 35
(2):183 – 198 (1992).
Une discussion en français :
Parfois aussi appelée « écologie des perturbations »
D’où l’idée selon laquelle les activités industrielles humaines
perturbent l’équilibre.
Mais certains écologues ont fortement critiqué cette idée.
Dussault, Le rôle de la science dans l'écocentrisme humien
de Callicott, Phares 10:103-123 (2010)
(http://revuephares.com/wp-content/uploads/2013/09/PHARES_VOL10_10-05-04_a_BR-le-bon.pdf)
Une piste novatrice :
McShane, « Neosentimentalism and Environmental Ethics »
Environmental Ethics Volume 33, Issue 1, Spring 2011.
3. Principales objections et pistes
de réponse
3. Principales objections et pistes
de réponse
3.4 L’objection de l’écologie « antiéquilibres »
3.4 L’objection de l’écologie « antiéquilibres »
Répondre à cette objection requiert tout un
travail de philosophie de l’écologie.
3)
Le critère n’est pas l’équilibre de la nature, mais plutôt la
« santé écosystémique ».
On trouve quatre types de réponse :
4)
La « wildness » des
écosystèmes
1)
Les écosystèmes ne sont peut-être pas en
équilibre, et les perturbations sont peut-être
normales dans la nature, mais ils ont néanmoins
une certaines forme de stabilité (résilience). Tout
dépend de l’échelle spatio-temporelle adoptée.
2)
Ce n’est pas l’équilibre qui compte, mais la
protection de la biodiversité (que les perturbations
favorisent souvent).
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