SHC20026.QXD 12/04/02 9:55 Page 1 Notre connaissance du réel se limite-t-elle au savoir scientifique ? Introduction 1. Non, notre connaissance du réel ne se limite pas au savoir scientifique A. Nous pouvons connaître quelque chose sans savoir scientifique Nous appréhendons le réel, la plupart du temps, de manière intuitive et immédiate et cela ne nous empêche pas de nous y retrouver. Nous connaissons des lieux, des gens, sans qu’il s’agisse pour autant de savoirs scientifiques. Il s’agit certes là de connaissances proprement subjectives et non de savoirs objectifs mais ce sont pourtant bien nos connaissances. B. Pour que le savoir scientifique s’élabore, il faut qu’il y ait au préalable une connaissance intuitive du réel Si le réel ne nous opposait aucune résistance, s’il ne faisait pas pour nous problème, on voit mal pourquoi on chercherait à en faire l’analyse scientifique. En d’autres termes, c’est parce que le réel nous est déjà présent (il est déjà d’une certaine manière connu de nous) qu’il suscite l’entreprise scientifique. Il faut donc qu’il existe en quelque sorte une pré-science pour que la science se développe. 2. Oui, notre connaissance du réel se limite au savoir scientifique A. Il n’est de connaissance que scientifique C’est à tort que nous appelons connaissance ce qui n’est qu’appréhension, intuition ou approximation du réel. La science est justement ce qui cherche exclusivement la connaissance du réel. Bachelard montre ainsi dans La Formation de l’esprit scientifique, que l’opinion, par exemple, ne constitue en rien une connaissance et qu’elle y est même opposée. B. L’exactitude contre l’approximation Le souci d’objectivité, l’exigence de définition de ses objets, la rigueur logique de l’enchaînement des propositions qui animent la constitution des savoirs scientifiques sont autant d’attributs du discours scientifique SHC20026.QXD 12/04/02 9:55 Page 2 qui caractérisent aussi la connaissance, entendue comme compréhension intégrale, exhaustive et rationnelle du réel. C. La rationalité du réel Quel sens y aurait-il à parler de connaissance non rationnelle ? La raison caractérisant l’esprit humain et la rationalité étant la principale exigence de tout savoir scientifique, comment ne pas poser que toute connaissance du réel doit être de part en part et strictement rationnelle, c’est-à-dire scientifique. 3. La science ne dit pourtant pas nécessairement ce qu’est le réel A. Certes la science, pour être scientifique, se doit d’être rationnelle de part en part, mais elle n’épuise pas pour autant le champ du rationnel Bien au contraire, la science exclut par avance, par principe et par méthode certaines questions qui se posent à la raison comme les questions d’ordre métaphysique par exemple (on peut ici se référer à Comte et aux courants positivistes du vingtième siècle, en particulier les critiques de la métaphysique menées par Carnap). Qui décide en effet de ce qui est réel ou à considérer comme tel ? Plus encore, qui décide de ce qu’est la réalité ? Ce n’est évidemment pas la science. Si le savoir scientifique constitue la seule connaissance que nous puissions avoir du réel, alors il s’agit d’une connaissance de ce que l’on ne connaît justement pas puisqu’il manque toujours au moins une définition à la science et qu’elle pose toujours, comme départ, des axiomes, ou des postulats qui sont fondamentalement et par principe indémontrables. La science ne constitue peut-être, en définitive, pas du tout une connaissance du réel. Il y a même un fondement irrationnel dans les sciences, c’est le propre de toute axiomatique. B. La manière de procéder de la science est hypothético-déductive et le réel n’est qu’une hypothèse La science part d’hypothèses, lesquelles peuvent être à leur tour interrogées, mais pas par un discours scientifique. On rejoint ici la distinction entre démarche philosophique et démarche mathématique établie par Kant dans la Critique de la raison pure. La science part de définitions d’objets dont elle cherche à étudier les propriétés et les interactions, là où la philosophie se donne pour but ultime de parvenir à des définitions. Aussi pourrait-on dire que la science s’attache avant tout à expliciter les relations entre les phénomènes sensibles, observables. Quant SHC20026.QXD 12/04/02 9:55 Page 3 à savoir ce qu’est le réel, ce que signifie, au-delà de ce que qui nous apparaît (si toutefois il est pensable d’envisager un tel au-delà), le terme de « réalité », la science n’en dit rien et ne peut rien en dire. C. La science ne pense pas le réel, elle se l’approprie Il faut alors constater que la logique même du développement scientifique n’est pas tant de connaître le réel que de le dompter, de le maîtriser, de le rendre maniable. Il n’est pas nécessaire de chercher à penser la réalité pour proposer une description scientifique du réel. On peut se référer ici à Heidegger pour montrer que le but ultime de la science est d’asservir le réel à une rationalité toute instrumentale. ■ Ouvertures LECTURES – – – – – Comte, Cours de philosophie positive, Hatier. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, PUF. Bergson, La Pensée et le Mouvant, PUF. Heidegger, Qu’appelle-t-on penser ?, PUF. Heidegger, Essais et Conférences, Gallimard.