Les plasmons et la transmission extraordinaire optique Quand on éclaire une plaque métallique percée d’une matrice périodique de petits trous de taille nanométrique, la quantité de lumière qui passe à travers les N trous de la matrice est bien plus importante que N fois celle qui passe à travers un trou isolé. C’est la transmission extraordinaire optique. Découvert depuis une douzaine d’années, ce phénomène a intrigué les spécialistes du monde entier et a suscité un débat passionné sur les mécanismes physiques qui sont à l’origine de la transmission, et en particulier sur le rôle joué par les plasmons de surface. L es structures métalliques sont particulièrement intéressantes lorsque leurs dimensions sont plus petites que la longueur d’onde du rayonnement. à ces échelles, elles peuvent en effet convertir efficacement une onde incidente propagative en un champ intense piégé dans un volume très réduit. En optique, de telles possibilités sont à la base des microscopies en champ proche qui reconstruisent une image optique avec une résolution sub-longueur d’onde, des techniques basées sur la diffusion Raman, et du développement des nano-antennes par exemple. On sait aujourd’hui structurer de manière précise les métaux à des échelles de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. C’est tout un domaine de l’optique qui devient alors expérimentalement accessible ; ce domaine, appelé la plasmonique, nécessite un effort théorique considérable pour comprendre et interpréter la dynamique du champ électromagnétique au niveau des nanostructures. La transmission extraordinaire optique De quoi s’agit-il ? Le phénomène de TEO s’observe à travers un film métallique complètement opaque (d’épaisseur très supérieure à l’épaisseur de peau) et perforé par une matrice périodique de trous de diamètres bien plus petits que la période et que la longueur d’onde du rayonnement incident. En 1998, Thomas Ebbesen et ses collaborateurs découvrent que le spectre de transmission de ces matrices est marqué par des résonances aiguës pour des longueurs d’onde un peu plus grandes que la période de la matrice (voir le spectre de la figure 1). Les auteurs notent immédiatement que les transmissions mesurées sur les pics, même si elles ne sont que de quelques pourcents, dépassent largement les contributions cumulées de chaque trou pris individuellement, et qualifient alors cette transmission d’« extraordinaire ». Ce fait est illustré par la courbe rouge qui représente le rapport entre la transmission par trou, mesurée à travers un réseau de trous sublongueurs d’onde (c’est-à-dire dont le diamètre est plus petit que la longueur d’onde de résonance) et la transmission à travers un trou unique de même diamètre dans le même film. Pour la seconde résonance, à l = 760 nm, ce rapport atteint la valeur élevée de 40. On sait aujourd’hui que cette valeur remarquable augmente quand le diamètre des trous diminue. La mise en réseau des trous permet donc à chacun d’eux de collecter la lumière bien plus efficacement, comme cela est illustré sur la figure 1b qui montre qu’à la résonance, chaque trou agit comme un entonnoir à photons capable de coupler la lumière dans un tout petit volume délimité par les parois métalliques du trou. C’est cet effet collectif d’amplification, complètement inédit malgré tous les travaux antérieurs initiés dans les années 60 sur des réseaux métalliques dans les domaines infrarouge et micro-onde, qui va intriguer les scientifiques et parfois même déchaîner les passions entre les fervents d’une explication classique fondée sur les plasmons de surface et les plasmon-sceptiques. Article proposé par : Philippe Lalanne, [email protected] Laboratoire Photonique, Numérique et Nanosciences, UMR 5298, CNRS / Univ. Bordeaux 1 / IOGS, Talence Cyriaque Genet, [email protected] Institut de Science et d’ingénierie supramoléculaires, UMR 7006, CNRS / Univ. Strasbourg, Strasbourg 45 Optique utilisée pour suivre avec une précision inégalée l’évolution d’une réaction chimique au voisinage d’une matrice de trous. La possibilité de réduire la divergence, de contrôler la phase et la polarisation des champs transmis, de révéler des modifications structurelles, sont autant d’exemples qui illustrent bien les richesses associées à des exaltations très localisées dans des dispositifs de petite taille (les cibles ont la taille d’un pixel de CCD) – un aspect primordial dans toutes ces applications et qui justifie l’engouement actuel pour les nanostructures métalliques. Modes plasmons de surface Figure 1 – La transmission extraordinaire optique. (a) Spectre de transmission – courbe bleue, échelle linéaire à gauche – d’un réseau carré de 40 × 40 trous de 150 nm de diamètre, perforés dans un film d’argent de 300 nm d’épaisseur. Le réseau a été fabriqué par gravure sous faisceau d’ions focalisé. La période du réseau est de 430 nm. La transmission est mesurée en éclairant l’échantillon par un faisceau collimaté de lumière blanche et en collectant avec un objectif de microscope couplé à un spectromètre la lumière transmise. La courbe rouge – échelle de droite, logarithmique – représente le rapport entre la transmission par trou mesurée à travers le réseau, et la transmission mesurée à travers un trou isolé de même diamètre, perforé dans le même film d’argent. Une image du réseau et une image du trou unique, obtenues par microscopie électronique, sont données dans la partie supérieure droite. (b) Simulation montrant l’effet d’entonnoir (schématisé sur la figure de droite) à la résonance (l = 760 nm) au voisinage d’un trou du réseau. Les flèches blanches représentent le vecteur de Poynting. L’image en couleurs (rouge pour un champ intense, bleu nuit pour un champ nul) correspond au module de la composante Hy du champ magnétique perpendiculaire au plan de la figure. Cette composante correspond également à la polarisation de l’onde plane qui éclaire le réseau en incidence normale (par le bas de la figure). D’une façon générale, le phénomène de la TEO montre qu’il est possible de modifier les propriétés optiques d’une ouverture en jouant sur son environnement structurel. Ainsi, un effet de transmission exaltée peut être également observé au niveau d’un trou unique entouré d’un réseau de sillons concentriques non débouchants. Une telle structure ayant l’allure d’une nano-cible a été réalisée dès 2002 et présente, comme un réseau, des transmissions très sélectives en fréquence (voir figure 2). Cette même cible peut également être utilisée sur la face arrière du trou pour réduire considérablement la divergence de la lumière transmise. Cet effet a été mis à profit en 2008 par une équipe d’Harvard pour obtenir un faisceau très collimaté en sortie d’une diode laser à cascade quantique (voir les Images de la physique 1998). L’état de polarisation de la lumière transmise peut également être modifié et un comportement de type biréfringent a été récemment démontré à Strasbourg avec des sillons elliptiques. Encore plus récemment, des chercheurs au Caltech ont conçu des cibles qui se comportent comme des « nanoscopes » en champ sombre, ultra-sensibles, qui ne laissent passer la lumière que quand un nano-objet se trouve dans le champ proche du trou de la cible. Sur les réseaux, l’effet de transmission exaltée a été exploité pour concevoir des sondes optiques permettant de mesurer de très faibles variations d’indice. Cette sensibilité a aussi été 46 Mais comment expliquer que la simple mise en réseau de trous aussi petits puisse engendrer des effets d’exaltation aussi importants ? Dès la découverte du phénomène, il a été noté une forte dépendance du maximum de la transmission avec le métal considéré et de la position spectrale des minima et maxima avec la période des trous et l’angle d’incidence de l’onde plane excitatrice. Cette observation a immédiatement incité les auteurs de la lettre originale de 1998 à suggérer que les plasmons de surface (figure 3a) étaient responsables de la TEO, en constatant en effet la réalisation approximative de la condition suivante Re(kSP) = kx + kR,(1) où le vecteur d’onde des plasmons de surface Re(kSP) ne diffère de la composante parallèle du vecteur d’onde de l’onde incidente kx que par un vecteur kR du réseau réciproque de la matrice de trous (figure 3b). Les plasmons de surface ont été découverts théoriquement par Rufus Ritchie en 1957 par l’étude de l’absorption d’électrons rapides traversant des films minces métalliques. Les plasmons sont des modes propres, c’est-à-dire des solutions d’un système couplé entre photons et oscillations collectives des électrons libres de la surface du métal. Dans le domaine visible, ces modes hybrides sont fortement confinés et se propagent sur la surface du métal en s’atténuant. Aux grandes longueurs d’onde, dès l’infrarouge thermique avec les métaux nobles, le mode s’étend sur environ dix longueurs d’onde dans le diélectrique et revêt un caractère presque purement photonique. Sur un film métallique plan, les plasmons de surface obéissent à une relation de dispersion précise, kSP = w/c [emed/(em + ed)]1/2, définie à partir de la pulsation w du rayonnement incident et des constantes diélectriques du métal (em) et du milieu diélectrique (ed) formant l’interface (figure 3a). Il est important de noter que le champ associé à ces modes décroît exponentiellement de part et d’autre de l’interface, avec une Les plasmons et la transmission extraordinaire optique pénétration beaucoup plus faible dans le métal que dans le diélectrique. Comme ces modes ne se propagent pas dans la direction perpendiculaire à l’interface, ils ne peuvent pas être excités directement par un faisceau lumineux incident. à la composante parallèle du vecteur d’onde incident, il faut donc pouvoir ajouter une impulsion supplémentaire (donnée ici par le vecteur du réseau réciproque) pour les exciter ; c’est exactement ce que traduit l’équation (1). Figure 2 – La cible optique. (a) Image d’une cible optique par microscopie électronique. Un trou circulaire de diamètre 170 nm, perforé à travers un film d’argent d’épaisseur 300 nm, est entouré d’une série de sillons concentriques (période p = 800 nm) non débouchants. (b) Spectres de transmission obtenus à travers des cibles de différentes périodes p (de 400 à 750 nm par pas de 50 nm). Ces spectres sont fortement résonnants et la position de la résonance est directement déterminée par la période du réseau de sillons. Il est intéressant aussi d’interpréter l’équation (1) comme une condition d’interférence constructive, considérant que chaque trou, pris au sein d’une rangée de trous du réseau, agit comme une source secondaire d’Huygens qui diffuse la lumière incidente et qui excite des plasmons de surface. En négligeant la diffusion multiple de ces plasmons avec les rangées avoisinantes, la condition (1) stipule que le plasmon lancé par une rangée de trous sur la surface métallique atteint la rangée adjacente en phase avec le champ incident excitateur. Tous les plasmons sont alors lancés en phase. C’est le point de vue pris par U. Fano dès 1941 pour interpréter les anomalies (des variations rapides dans le spectre de la réflectance des réseaux) observées au début du vingtième siècle par Wood avec des réseaux métalliques opérant en réflexion. C’est donc tout naturellement que les plasmons de surface ont été invoqués pour interpréter la TEO dès la découverte du phénomène. Le problème initial Quoique s’appuyant sur des arguments classiques en 1998, l’interprétation initiale fondée sur les plasmons de surface n’a pas totalement convaincu la communauté. à cela deux raisons. Figure 3 – Plasmon de surface. (a) À gauche, le champ électromagnétique du plasmon de surface décroît de façon exponentielle dans le métal et dans le diélectrique. À droite, la relation de dispersion du plasmon (rouge), Re(kSP) = w/c Re[emed/(em + ed)]1/2. Le trait pointillé correspond à la ligne de lumière du diélectrique. Il sépare les domaines des modes radiatifs (w/c > k(ed)–1/2) et des modes évanescents (w/c < k(ed)–1/2). A noter que pour des pulsations proches de wp/√2 (où wp est la fréquence plasma du gaz d’électrons libres du métal), la relation de dispersion s’aplatit : la vitesse de groupe du mode plasmon diminue, sa longueur de pénétration dans le diélectrique aussi. Le mode plasmon devient très confiné sur l’interface (une propriété très prisée) et revêt un caractère de moins en moins photonique. En revanche, définie par la mesure de la décroissance de son intensité le long de l’interface, la longueur de propagation du mode <SP = [2Im(kSP)]–1 décroît rapidement. (b) à gauche, réflexion d’une onde sur une interface plane ; la composante parallèle kx à l’interface du vecteur d’onde de l’onde plane est conservée (loi de Snell). à droite, réflexion sur une interface périodique de période a. Les ondes réfléchies, en nombre infini, ont des composantes parallèles à l’interface qui sont égales à kx + mkR, avec kR = 2p/a et m entier relatif (loi des réseaux). D’abord, les premières études théoriques qui ont immédiatement suivi la découverte ont été conduites, pour « simplifier », sous l’hypothèse d’un métal parfait avec conductivité infinie et ont prédit l’existence d’une transmission extraordinaire (voir figure 6d). Dans ce cas limite, la notion même de plasmon perd son sens puisque dans un métal parfait le champ électromagnétique ne pénètre pas. Cette prédiction, confirmée par des expériences de transmission dans le domaine des micro-ondes, a fait douter de nombreux « plasmon-convaincus ». Ensuite, dans la mouvance de la nanophotonique dont l’objectif est de manipuler la lumière à des échelles très sub-longueur d’onde, la c­ommunauté a voulu se doter d’une vision microscopique expliquant le phénomène de la TEO, en cherchant les ondes électromagnétiques sur la surface entre les trous qui sont 47 Optique responsables de la transmission, ces mêmes ondes que l’on devine dans l’effet d’entonnoir de la figure 1b. Or il s’avère que les théories électromagnétiques de la diffraction par les réseaux, qui ont été initiées au milieu du XXe siècle, et qui avaient déjà permis en 1998 de prédire de nombreux effets et d’améliorer la performance de nombreuses structures diffractives, ne permettaient pas de répondre à la question de savoir si les plasmons étaient ou non ces ondes en question. En effet, les travaux théoriques qui ont suivi le travail précurseur de Fano et qui ont contribué à établir les fondements de la théorie électromagnétique de la diffraction par les réseaux ont surtout consisté à développer un formalisme théorique et des outils numériques pour prédire quantitativement la fréquence exacte et la forme spectrale des anomalies des réseaux. Une première étude fondatrice, celle d’Hessel et Oliner en 1965, a été suivie par un ensemble impressionnant de travaux qui ont contribué à proposer une étude phénoménologique des anomalies des réseaux via les pôles (associés aux modes de surfaces) et les zéros des amplitudes de diffraction associées aux réseaux. Cette approche permet de décrire simplement les anomalies par un jeu minimal de paramètres. Ce faisant cependant, l’interprétation initiale, microscopique « à la Huygens-Fano » a été délaissée, au bénéfice de développements reposant sur des outils mathématiques avancés et des concepts plus abstraits et sur des quantités physiques globales associées à la structure périodique infinie, dans son ensemble. Dans l’incapacité d’identifier le type d’onde entre les trous qui est responsable de la transmission, la communauté a alors rivalisé d’imagination pour confirmer ou infirmer l’hypothèse initiale de l’intervention de plasmons à travers de nombreux travaux théoriques et expérimentaux. La suite de l’exposé se propose de montrer rapidement ce qu’il est possible de comprendre de la TEO avec les théories électromagnétiques de la diffraction par des réseaux et ce qu’une théorie microscopique « à la Huygens-Fano » du phénomène a apporté au débat d’idées. Interprétation à partir des théories électromagnétiques de la diffraction par les réseaux Le premier apport des théories réseaux est l’existence de méthodes numériques permettant de résoudre les équations de Maxwell sans approximation. En 1998, ces méthodes étaient assez stables et précises pour que les observations expérimentales initiales puissent être reproduites numériquement, éliminant au passage d’éventuels effets non linéaires dans l’expérience. Mais il y a un long chemin entre la résolution numérique des équations différentielles et l’affirmation de l’existence des plasmons entre les trous sur la surface responsables de la transmission ! Il a fallu attendre 2001 pour que le premier modèle approché de la TEO soit proposé. En s’appuyant sur des modèles avancés de la théorie électromagnétique de la 48 diffraction par des réseaux, et notamment sur des théories modales, Martin-Moreno et ses collaborateurs ont interprété la TEO comme un transfert par effet tunnel assisté par des résonances électromagnétiques sur les surfaces supérieures et inférieures du film métallique. A cette fin, ils supposent que le transport d’énergie entre les interfaces supérieure et inférieure se fait uniquement via le super-mode du réseau de trous (figure 4). Ce super-mode n’est autre que le mode formé par la juxtaposition cohérente de tous les modes fondamentaux des trous individuels (il n’y a presque pas de couplage entre les trous dans le métal). Avec cette hypothèse, le coefficient de transmission t du film métallique perforé prend la forme d’une transmission de type Fabry-Perot : t= t A2 exp (ik 0 nd ) 1 − rA2 exp(i2k 0 nd ) (2) formule dans laquelle d est l’épaisseur de la membrane métallique et n = kz/k0 est la constante de propagation normalisée du super-mode de la matrice de trous. Les coefficients de couplage tA et rA sont définis sur la figure 4a. Comme les trous ont des diamètres petits devant la longueur d’onde, tous leurs modes (nous parlons ici des modes classiques d’un cylindre d’air entouré de métal) sont évanescents, de sorte que le super-mode du réseau est lui-même évanescent : n comprend donc une forte partie imaginaire (il serait purement imaginaire si le métal était sans pertes). Le transfert d’énergie se fait donc essentiellement par effet tunnel. Mathématiquement, cela se traduit par le fait que les valeurs des exponentielles dans l’équation (2) sont nettement inférieures à un. Le second mérite de Martin-Moreno et de ses collaborateurs a été de montrer analytiquement que la dépendance spectrale de rA présentait une forme Lorentzienne et que, le supermode ne transportant pas d’énergie, rA pouvait prendre des valeurs bien supérieures à 1 pour certaines longueurs d’onde (figure 4b). Le dénominateur de l’équation (2) devient alors très petit (rA2 exp (i2k 0 nd ) ≈ 1) et ­compense l’amortissement introduit par l’exponentielle du numérateur. Physiquement, la TEO est donc interprétée Figure 4 – Effet tunnel résonnant. (a) Géométrie considérée dans cet article et définition des coefficients de couplage en transmission tA entre l’onde plane incidente et le super-mode de la matrice 2D de petits trous. Le coefficient rA est associé à la réflexion interne du super-mode. Il peut être supérieur à l’unité puisque le super-mode qui est évanescent ne transporte pas d’énergie. Pour des raisons de simplicité, nous ferons l’hypothèse que le film métallique est une membrane dans l’air. Ceci permet de traiter de façon identique les interfaces supérieure et inférieure. (b) Allure du spectre de rA : la forme en cloche, de type Lorentzienne, est la signature d’une résonance de surface. Les plasmons et la transmission extraordinaire optique comme un effet tunnel assisté par des résonances entre les interfaces supérieure et inférieure. De l’avis des plasmon-convaincus, cette analyse renforce indirectement l’interprétation initiale, car on est en droit de penser que la résonance des surfaces supérieure et inférieure résulte d’une interférence constructive de tous les plasmons de surface générés par les trous. Ces trous, illuminés par un champ incident, se comportent comme des sources secondaires d’Huygens pour les plasmons de surface, en accord avec l’interprétation de Fano. Mais l’analyse précédente ainsi que les travaux qui ont immédiatement suivi ou précédé passent outre rapidement à l’interprétation initiale en reposant de fait sur des quantités physiques globales, telles que les ondes planes, les super-modes du réseau de trous, etc. Ce sont ces mêmes quantités macroscopiques que l’on retrouve dès les travaux fondateurs d’Hessel et Oliner sur les théories électromagnétiques de la diffraction par des réseaux. La force principale de cette analyse est sa généralité qui lui permet de s’appliquer virtuellement à toutes les structures périodiques, cristaux photoniques, méta-matériaux... Mais bien que conceptuellement élégante et générale, elle s’éloigne de la vision microscopique du phénomène de diffraction et de notre intuition physique. Par exemple, ces théories ne sont pas directement exploitables pour concevoir des structures très proches des réseaux, comme par exemple une cible formée par un trou débouchant entouré d’un réseau de sillons concentriques non débouchants ou d’une matrice infinie de trous non-débouchants. Que dire maintenant quand le trou débouchant est entouré d’une matrice de taille 3 × 3, 5 × 5, 10 × 10 ... Dans le cadre de la TEO, ces théories ne permettent pas d’analyser la nature des ondes qui sont excitées sur les surfaces planes entre les trous et qui sont à l’origine de l’effet d’entonnoir. Elles ne peuvent expliquer la résonance de la transmission t de la membrane que par la résonance d’un autre coefficient rA. C’est en quelque sorte déplacer le problème, puisque les causes véritables de la résonance ne sont pas explicitées. contribution plasmonique, significative dans le visible, devient négligeable dans l’infrarouge. Les processus élémentaires de diffraction des plasmons de surface utilisés dans le modèle plasmonique sont représentés sur la figure 5. Le plus important pour la suite est celui de la figure 5a. Suite à leur interaction avec une chaîne (rangée linéique) de trous, les plasmons de surface sont en partie transmis (tSP), réfléchis (rSP), diffractés dans le super-mode de la chaîne (aSP) ou dans le continuum des modes radiatifs du demi-espace supérieur (b(kx)). A partir de ces processus élémentaires et des coefficients de diffusion associés, il est possible de formuler un modèle donnant une expression analytique de la TEO. Par exemple, le coefficient de réflexion rA du super-mode fondamental de la matrice 2D de trous, une grandeur physique très importante du phénomène de la TEO, se met sous la forme rA = ρ + 2 2αSP u −1 − (ρSP + τ SP ) (3) expression dans laquelle u = exp(i kSPa) correspond au retard de phase accumulé par le plasmon quand il se propage entre deux rangées de trous. Il est important de constater qu’aucun des coefficients de diffusion qui apparaissent dans l’équation (3) n’est lié à la périodicité de la structure (figure 5). En particulier, ils sont non résonnants et la résonance de rA de la figure 4b s’explique par le zéro du dénominateur. Mathématiquement, ce dernier résulte d’une série géométrique qui permet de passer des processus individuels de la figure 5 au comportement collectif dicté par la périodicité. La résonance des surfaces supérieure ou inférieure s’explique alors comme la superposition cohérente d’un grand nombre de plasmons, qui une fois engendrés par les chaînes de trous, se propagent sur la surface par diffusions successives. La question suivante est bien de savoir dans quelle mesure ce modèle purement plasmonique est capable de prédire le phénomène de la TEO. La réponse est donnée sur la figure 6, par la comparaison des prédictions du En effet, une analyse du phénomène de la TEO (au travers d’un réseau ou d’une cible) nécessite de considérer explicitement l’excitation locale des ondes de surface entre les trous et les diffusions successives de ces ondes par les trous voisins. Avec cette approche, on se replonge dans l’intuition de Rayleigh et Fano pour expliquer les anomalies de Wood. Un éclairage probablement décisif dans cette direction vient d’être apporté grâce à un modèle microscopique. Pour définir sans ambiguïté le rôle des plasmons dans le phénomène de la TEO, Haitao Liu et l’un des auteurs du présent article ont développé un modèle purement plasmonique de la TEO, en supposant que les plasmons de surface, seuls, véhiculent l’énergie électromagnétique sur la surface métallique entre les trous. En comparant les prédictions de ce modèle avec des calculs numériques rigoureux, il devient alors possible de différentier les contributions plasmonique et radiative impliquées dans le processus de la TEO. Comme nous allons le voir, la Figure 5 – Processus élémentaires liés à la diffraction par une chaîne linéique de trous. La chaîne est éclairée par un plasmon de surface (a), par le supermode fondamental évanescent de la chaîne de trous (b), et par une onde plane de vecteur d’onde dans le plan kx (c). Les flèches rouges et vertes se réfèrent aux ondes incidentes et diffractées. Les processus de diffraction définissent six coefficients de diffusion indépendants, rSP (rétro-diffusion des plasmons), tSP (transmission des plasmons), aSP (génération des plasmons à partir du mode de la chaîne et réciproquement), b(kx) (diffusion des plasmons dans le continuum des modes radiatifs), t(kx) (excitation du super-mode de la chaîne de trous par une onde plane) et r (réflexion du super-mode de la chaîne). 49 Optique le montre la courbe bleue confondue avec l’axe des abscisses, le mode « plasmon » à basse énergie de la figure 3b n’est en rien responsable de la transmission. Dans le régime du métal parfait, l’onde quasi-cylindrique ne pénètre pas dans le métal et la transmission extraordinaire ne revêt alors aucun caractère plasmonique. Conclusion L’image bicéphale mode plasmonique/ onde photonique qui émane du modèle microscopique est au cœur de nombreux problèmes de diffraction par les structures métalliques et en particulier de la transmission extraordinaire optique. Elle n’apparaît pas clairement dans l’histoire des théories Figure 6 – Rôle des plasmons dans la transmission extraordinaire. Trois gammes de fréquences électromagnétiques de la diffraction par les sont considérées pour les périodes a = 0,68 µm (a), a = 0,94 µm (b) et a = 2,92 µm (c). Les courbes en rouge représentent des données obtenues par un calcul vectoriel tandis que les courbes bleues réseaux ; elle est par exemple complètement sont obtenues avec le modèle plasmonique. La figure (d) correspond au métal parfait (conductivité absente des travaux précurseurs de Fano. infinie). L’échelle des abscisses y est différente de celle des autres courbes. Les transmissions sont obtenues pour une membrane en or d’épaisseur d = 0,21a perforée par un réseau de trous carrés de Elle est pourtant nécessaire pour réconcoté 0,28a et éclairée en incidence normale. cilier des points de vue antagonistes sur le rôle des plasmons dans la transmission modèle plasmonique (courbes bleues) avec des résultats extraordinaire, en nuançant certaines vertus souvent trop obtenus par une méthode numérique qui résout les équarapidement attribuées aux seuls plasmons, et explique tions de Maxwell sans approximation. La comparaison pourquoi des phénomènes importants rencontrés à des est effectuée pour trois intervalles spectraux, du visible fréquences visibles avec les plasmons peuvent égale(a = 0,68 µm) à l’infrarouge (a = 2,92 µm). ment se produire sous des formes similaires à des longueurs d’onde beaucoup plus grandes avec d’autres types Qualitativement, on s’aperçoit que le modèle plasmod’ondes. A l’heure actuelle, les recherches visent à préciser nique prédit les principales caractéristiques de la TEO et comment les ondes quasi-cylindriques diffractent, à défien particulier le profil spectral avec une antirésonance nir des coefficients de diffusion pour ces ondes, à com(le zéro) suivie par un pic (le pôle). Quantitativement, la prendre les phénomènes de conversion croisée entre elles réponse à la question précédente doit être nuancée selon et les plasmons de surface... Il s’agit de parvenir à élaborer l’intervalle spectral considéré. Dans le visible, les plasun modèle microscopique quantitatif de la diffraction par mons contribuent à hauteur de moitié à la TEO, mais cette des surfaces métalliques sub-longueur d’onde couvrant contribution diminue rapidement quand la période du tout le spectre électromagnétique. Cette approche apparéseau augmente. Dans la bande II de l’infrarouge autour raît comme un passage obligé pour la nanophotonique de 3 µm, la contribution plasmonique devient négligeable. des surfaces métalliques, si l’on veut imbriquer intuition, En réalité, on sait maintenant que chaque trou de chaque concept, théorie et outil numérique. chaîne génère sur la surface, outre le plasmon, une onde électromagnétique, appelée onde quasi-cylindrique, qui n’est pas un mode mais qui, comme les plasmons, se propage parallèlement à la surface, diffracte sur les chaînes adjacentes, excite les trous... Bien qu’elle pénètre légèrement dans le métal et que son atténuation varie avec la permittivité du métal et donc avec le domaine spectral considéré, l’onde quasi-cylindrique a un caractère photonique très marqué, comme en témoigne sa constante de propagation, pratiquement égale à celle des ondes planes dans le diélectrique ( εd ω/c) et indépendante de em. C’est elle et elle seule qui est à l’origine du phénomène de transmission extraordinaire aux grandes longueurs d’onde, figure 6d, observée expérimentalement dans les domaines micro-onde, THz ou Hertzien. A ces longueurs d’onde, le métal peut être considéré comme parfait (infiniment conducteur). Comme 50 Pour en savoir plus [1] T.W. Ebbesen, H.J. Lezec, H.F. Ghaemi, T. Thio and P.A. Wolff, « Extraordinary optical transmission through sub-wavelength hole arrays », Nature, 391, 667-669 (1998). [2] L. Martin-Moreno, F.J. Garcia-Vidal, H.J. Lezec, K.M. Pellerin, T. Thio, J.B. Pendry and T.W. Ebbesen, « Theory of extraordinary optical transmission through subwavelength hole arrays », Phys. Rev. Lett., 86, 1114 (2001). [3] H.T. Liu and P. Lalanne, « Microscopic model for the extraordinary optical transmission », Nature, 452, 728731 (2008).