SUJETS SERIE TECHNOLOGIQUES QUESTION DE CORPUS 1 Quelles sont les caractéristiques du tyran dans les trois textes du corpus ? 2 En quoi l’humour et la légèreté du personnage tyrannique accentuent-ils l’horreur de sa cruauté ? Souvent associé au théâtre et à l'univers tragique, le tyran est ici incarné par trois personnages distincts: Alfred de Musset, dans Lorenzaccio (1834) reprend la figure historique d'Alexandre de Médicis, régnant sur la ville de Florence au XVI ème siècle, tandis qu'Albert Camus, avec Caligula (1944), choisit aussi un personnage réel, à travers la figure d'un empereur romain. Dans Ubu roi (1896), Alfred Jarry invente le Père Ubu, mais le situe dans un pays réel, la Pologne. 1 Quelles sont les caractéristiques du tyran dans les trois textes du corpus ? Les trois textes mettent en évidence la toute-puissance du tyran qui agit en fonction de son caprice : Ubu change le gouvernement et modifie le code des impôts en sa faveur, le duc tue sans savoir qui, ni pourquoi. Quant à Caligula, il s’empare aussi bien des fortunes que des vies de ces sujets. L’avidité et la cruauté caractérisent ainsi le tyran : comme le dit le père Ubu, « avec ce système j’aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m’en irai ». Le tyran s’impose par la force dont il fait preuve: celle du duc est réelle, mais elle est appuyée aussi par ses hommes de main, dont Giomo. Ubu fait entrer les « messieurs des finances » pour mâter les rebelles, Caligula appelle ses gardes qui conduisent Cassius à la mort. Caprice, avidité, cruauté, ces éléments instaurent autour du tyran un climat de terreur : Tebaldeo « tremble » en entendant la discussion entre le duc et Giomo, et les patriciens rivalisent de flatteries pour amadouer Caligula, quitte à se laisser prendre à leurs propres paroles. Seuls les paysans se révoltent au final contre Ubu, mais ils sont aussitôt écrasés. 2 En quoi l’humour et la légèreté du personnage tyrannique accentuent-ils l’horreur de sa cruauté ? Les trois textes s’inscrivent dans une tonalité légère voire comique qui accentue l’horreur: les jeux de mots du père Ubu, son vocabulaire enfantin (« Ji vous mets dans ma poche », « les oneilles ») ou obscène (« cornegidouille », « salopins de finance ») contraste avec le cynisme dont il fait preuve, en avouant vouloir faire fortune, tuer tout le monde et s’en aller. Caligula, lui, s’amuse, il joue la comédie, comme en témoignent les nombreuses didascalies manifestant une pseudo-affection pour Cassius : « il va vers le troisième patricien et l’embrasse », « un silence et tendrement », « l’embrassant encore ». Ce contraste avec le moment où il l’envoie à la mort, insensible à ses hurlements, suggère que la mort des autres est un jeu auquel il prend plaisir. Quant à la scène de Musset, elle ne donne pas à voir la violence, mais dans un contexte intime et familier, le meurtre est envisagé comme habituel et banal, un sujet de bonne plaisanterie « Tu crois ! J’étais donc gris ? ». Le duc s’étonne même de la réaction de Tebaldeo : « Qu’as-tu donc, petit ? Est-ce que la main te tremble ? ». Ses paroles, inconscientes ou peut-être implicitement menaçantes rendent le personnage plus terrifiant. Travaux d’écriture : I Commentaire Vous ferez le commentaire du texte d'Alfred Jarry en vous aidant du parcours de lecture suivant: 1 Montrez d'abord que la bêtise et la vulgarité du Père Ubu en font un personnage ridicule 2 Analysez ensuite comment son avidité et sa cruauté le rendent pourtant inquiétant, faisant de lui l'image même de la tyrannie. 1 Commentaire rédigé : Représentée en 1888, la pièce Ubu-roi provoqua un véritable scandale : son outrance et sa grossièreté furent violemment critiquée. Elle mettait en scène une Pologne imaginaire, mais à résonances très réelles : un monde où chacun ne recherche que son propre intérêt, et veut s’imposer par la force. (Rappelons que la Pologne a toujours été revendiquée soit par l’Allemagne, soit par la Russie : à ce titre, elle a connu invasions et guerres nombreuses). Un monde où règne la loi du plus fort, ce que le père Ubu avoue avec un cynisme tranquille : car si Alfred Jarry ridiculise le pouvoir en accentuant la bêtise et la vulgarité du père Ubu, il présente cependant une figure de tyran exemplaire, qui allie cupidité, cruauté et cynisme. I Le père Ubu : un personnage grotesque et vulgaire 1 Le choix du nom Le nom même d’Ubu s’inscrit en rupture avec celui des autres personnages : Venceslas, Stanislas Leczinski, personnages sérieux (On met à part le nom de Bougrelas, dont le comique évoque le même type de personnage qu’Ubu) s’opposent au « Père Ubu ». On sait que le personnage est inspiré d’une plaisanterie de lycéens se moquant de leur professeur de physique, Félix Hébert (le père Ebé), mais le nom va plus loin : il fait penser au « père Fouettard », relève d’un langage familier. Il donne au personnage un aspect complètement ridicule. 2 La vulgarité de l’expression La vulgarité du père Ubu est également très manifeste : Cornegidouille, son juron préféré, revient deux fois dans la scène, et renvoie au comique le plus trivial (Corne, connotation sexuelle ; gidouille, le ventre, la « bedaine »). N’oublions pas qu’Ubu est un sagouin, c’est à dire un petit singe, à l’origine, et par extension une personne « malpropre » (dans tous les sens du terme selon la définition du petit Robert) Même vulgarité avec une expression comme « Ji vous mets dans ma poche », « Je m’en fiche ». Certaines de ces expressions renvoient aussi à un vocabulaire enfantin : « les oneilles » pour les oreilles. D’autres formules, comme « mettre dans le journal » montrent, par leur familiarité assez naïve la grossièreté et la bêtise d’Ubu. 3 La bêtise du personnage La bêtise du personnage éclate en effet à de nombreuses reprises : ainsi lorsqu’il se met en colère : « Mais vas-tu m’écouter enfin ? », alors que comme le note le paysan « Votre excellence n’a encore rien dit » , « Je suis le roi peut-être ! » ou lorsqu’il multiplie les répétitions qu’il imagine sans doute convenir à sa dignité royale : « Je viens donc te dire, t’ordonner et te signifier », « Voiturez ici le voiturin à phynances » Jarry s’amuse ici avec les néologismes « ubuesques ». Cependant s’il est effectivement vulgaire et bête, s’il prête à rire, il ne faut pas oublier que c’est aussi un tyran, désireux avant tout de s’enrichir, et prêt à massacrer tout le monde. II Un tyran exemplaire 1 La cupidité 2 La première caractéristique du tyran, tel que nous le présente Jarry à travers le personnage d’Ubu semble être sa cupidité : Ubu ne s’intéresse qu’à l’argent, cet intérêt se manifeste dès son arrivée même : « Je viens chercher les impôts », et la multiplication de ses ordres : « Payez ». Tout l’arbitraire du pouvoir tyrannique se traduit dans cette simplicité avec laquelle Ubu multiplie les impôts à son gré : « On paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourraient être désignés ultérieurement ». Ainsi il peut avouer avec un tranquille cynisme « Avec ce système, j’aurai vite fait fortune ». Cette avidité est soulignée par la fantaisie verbale que Jarry déploie pour désigner ce qui a trait à l’argent : « Messeigneurs, les salopins de finances » pour désigner les percepteurs d’impôts (salopin, comme variante inventée par Jarry, rappelant les termes familiers de « saloperie », « salaud », « salope », voire aussi en référence à des créations verbales, du type « galopin »). C’est la même terminaison que l’on retrouve avec le « voiturin à phynances », Jarry s’amusant ici avec l’orthographe elle-même. On retrouve ici le même type de comique verbal que chez Rabelais. 2 La violence et la cruauté Mais ce qui fait du père Ubu un personnage particulièrement inquiétant, c’est que cette avidité s’associe à la cruauté : comme il le dit très simplement, de manière presque enfantine « Alors je tuerai tout le monde et je n’en irai ». De fait, il y a dans le texte une sorte de jubilation à accumuler les termes qui évoquent la violence et la mort, jubilation qui fait penser à une sorte de discours d’enfant totalement inconscient de l’horreur de ce qu’il peut raconter. Ainsi Ubu menace de mort les paysans plusieurs fois avec une surenchère de plus en plus manifeste dans la cruauté : « Sinon ces messieurs te couperont les oneilles », « sinon tu seras massacré », « ji vous mets dans ma poche avec supplice et décollation du cou et de la tête ! ». Ces menace sont suivies d’effet, puisqu’une seule didascalie voit le triomphe d’Ubu : « La maison est détruite…Ubu reste à ramasser la finance ». Ainsi on voit qu’Ubu apparaît comme un personnage des plus inquiétants : le comique est féroce et grinçant : la formule finale « Messieurs des Finances, faites votre devoir » résonne comme une parodie de ce que pouvait effectivement dire un personnage « sérieux », dans une circonstance grave. Quant à l’avenir, même si l’on pressent qu’Ubu pourrait être attaqué et vaincu à son tour, il semble peu radieux, car le nom même de Bougrelas n’est guère encourageant (le terme à l’origine relève de l’injure à connotation sexuelle. Par extension, on parle d’un mauvais ou d’un bon bougre pour désigner soit un individu vulgaire et malhonnête, soit un brave type). Conclusion Imaginée au départ comme une plaisanterie de lycéens, la pièce Ubu-roi, en référence à l’Oedipe-Roi de Sophocle a valu à Jarry une célébrité telle qu’il a lui-même fini par s’identifier au personnage qu’il avait crée. Le comique verbal allié à un cynisme incroyable lui assure un succès constant : bêtise, vulgarité, cupidité et cruauté constituent ainsi le père Ubu, image du tyran qui s’appuie sur l’égoïsme et la lâcheté des hommes. II Dissertation 3 Pourquoi, selon vous, le théâtre met-il si souvent en scène des figures de pouvoir, rois, empereurs ou tyrans ? Analyse du sujet : le devoir ne demande pas un plan dialectique, mais un plan thématique : il s’agit de s’interroger sur les liens qui peuvent exister entre le théâtre et les figures de pouvoir. 1 Le théâtre possède des liens étroits avec les figures du pouvoir 1) Empereurs, rois ou tyrans donnent souvent à leur puissance une dimension théâtrale : le pouvoir se met souvent en scène, lors de cérémonies, ou de célébrations. Louis XIV par exemple n’a pas hésité à glorifier son règne par l’organisation à Versailles de fêtes et de spectacles, qu’ont pris en charge Molière et Lully (1664, Les Plaisirs de l’île enchantée ; Divertissements de Versailles, 1674). La salle de théâtre dite à l’italienne, qui s’impose en Europe à partir du XVIIIème accorde la première place au Prince, et le placement du public traduit la hiérarchie sociale. On va souvent plus au théâtre pour être vu soi-même que pour voir un spectacle. 2) La tragédie met en scène des rois, des empereurs ou des tyrans. Ces figures de pouvoir s’inscrivent dans une grandeur dont l’outrance fascine l’imagination du public, ce qui permet au dramaturge de mettre en œuvre les ressorts de la tragédie tels que les définit le philosophe grec Aristote : terreur et pitié. Ainsi, dans Œdipe-roi, Œdipe présenté dans toute sa gloire à la première scène, roi et sauveur de la ville de Thèbes, finit rejeté par tous, aveugle, reconnu désormais comme parricide et incestueux. Il incarne une figure tragique par excellence. 3) Le théâtre de fait s’intéresse au pouvoir dans la mesure où il est en lien étroit avec le politique: il est né avec la tragédie et la comédie grecque dans un contexte où se débattaient les grandes questions apparues avec la démocratie athénienne : l’instauration de la justice en opposition à la vengeance dans Les Euménides d’Eschyle ou la difficile conciliation entre droits de la famille et des dieux et intérêt de la cité dans Antigone de Sophocle. 2 Le théâtre donne à voir les rouages du pouvoir 1) Le théâtre met en scène les conflits que fait naître l’exercice du pouvoir, en opposant plus particulièrement sphère publique et sphère privée : ainsi dans Iphigénie de Racine, pour accéder au rang de chef de l’expédition grecque à Troie, Agamemnon est contraint de sacrifier sa fille Iphigénie. De la même manière, dans Bérénice du même Racine, l’empereur Titus annonce à Bérénice qu’il renonce à elle car Rome ne veut pas qu’un empereur épouse une reine. La tragédie met ainsi à jour les exigences propres au pouvoir et les oppose à la liberté des individus. 2) Le théâtre donne à voir la fascination du pouvoir et la corruption qu’il peut engendrer. Dans Richard III, Shakespeare présente un personnage que sa laideur a mis à l’écart et dont la soif de pouvoir est insatiable. Pour devenir roi, il n’hésite pas à mettre à mort son frère ou ses neveux, ses amis et ses alliés. Le succès de cette pièce visible par les très nombreuses mises en scène qu’elle suscite encore actuellement montre l’intérêt que le public continue de porter à ses figures tyranniques monstrueuses. On pourrait pareillement évoquer le personnage de Néron, avec la tragédie Britannicus de Racine. 3 Le théâtre dénonce les figures du pouvoir 1) Le théâtre montre la chute des tyrans et à cet égard il fait office de dénonciation : Lorenzaccio s’achève par le meurtre d’Alexandre de Médicis, et même si un autre duc tyrannique lui succède, la 4 fragilité du pouvoir est ainsi révélée. De même, Caligula est tué à la fin de l’acte IV. La haine qu’il a fait naître chez les patriciens lui est fatale. Ainsi, en mettant à jour les comportements caractéristiques de ces figures dictatoriales et en montrant que leur fin est toujours violente, le théâtre devient une arme de contestation. 2) Par le comique, il peut aussi ridiculiser ses mêmes figures de pouvoir : ainsi dans Ubu roi, la bêtise et la vulgarité du personnage contribue à nier au tyran, au roi et à l’empereur toute légitimité. Le pouvoir est lié à la force, à la violence, il m’implique aucune qualité de part de celui qui s’en est emparé. 3) Le théâtre et sa représentation peuvent ainsi jouer un rôle clairement politique: ainsi en 1969, un an après l'écrasement du printemps de Prague par les forces soviétiques, le metteur en scène Otomar Krejca monte à Prague, Lorenzaccio, une pièce dans laquelle un duc tyrannique est maintenu au pouvoir grâce à l'aide d'une garnison étrangère envoyée par l'empereur. Nul doute que dans le contexte politique de la Tchékoslovaquie d'alors, les résonnances contempraines étaient particulièrement fortes. III Invention: Sortant du palais, le jeune peintre Tebaldeo retrouve l'un de ses amis. Il lui raconte la scène qu'il vient de vivre et se demande s'il doit continuer ou non à travailler pour un tyran si violent. Les deux amis discutent et argumentent à ce propos. Rédigez la scène, en incluant des didascalies afin d'orienter le jeu des comédiens et la mise en scène. Analyse du sujet : Le dialogue entre Tebaldeo et son ami implique une argumentation : le jeune peintre doit-il continuer à travailler pour le duc ou on ? On suppose que chacun des personnages soutiendra une position précise et que la scène aboutira à une décision. Le caractère proprement théâtral de la scène s’appuiera sur l’implication des deux jeunes gens dans la discussion, sachant qu’il s’agit vraisemblablement d’amis de longue date, partageant souvenirs d’enfance, rêves d’avenir et nombreuses discussions d’idées. Leur jeunesse mutuelle suppose la véhémence du ton, voire l’emportement ou la mauvaise foi. Arguments en faveur de la poursuite auprès du duc : 1) L’impossibilité de s’opposer au duc et de revenir en arrière (le duc, personnage puissant qui règne par la force et qu’on ne peut contrarier sans risque d’y laisser sa vie). 2) Les nécessités matérielles : le portrait du duc est une commande qui lui permet de vivre et de faire vivre sa famille (La peinture est le seul métier qu’il connaisse, l’argent de ce portrait est une aubaine inespérée pour un jeune homme pauvre qui veut s’établir). 3) L’espérance de la gloire : le portrait du duc est le point de départ d’une carrière éventuelle. Tebaldeo peut ainsi faire connaître son talent, obtenir de nouvelles commandes, développer et perfectionner son art. A terme, il lui sera possible de quitter Florence et de s’imposer comme un artiste majeur à travers toute l’Europe. Arguments contre la poursuite du travail de Tebaldeo à la cour du duc 5 1) Le danger représenté par la fréquentation d’un tyran. Par définition versatile, le tyran peut soudainement s’attaquer au jeune peintre pour des raisons futiles, ou bien ne pas être satisfait du portrait et se venger sur l’artiste. 2) Travailler pour le duc, c’est être complice de la tyrannie : D’abord en l’acceptant et en en tirant des avantages (l’argent reçu est celui volé aux bannis et aux exilés républicains). Ensuite en la glorifiant : le portrait du duc relève de la propagande. Il est en valeur le tyran luimême et le présente comme un personnage attaché aux arts et à leur développement. 6