Descartes (1596 – 1650) Ou la dictée de la raison La philosophie cartésienne : La vraie philosophie consiste à se placer sous la dictée de la raison, c’est-à-dire à l’écoute d’un ordre où « les choses qui sont proposées les premières doivent être connues sans l’aide des suivantes, et où les suivantes doivent être disposées de telle façon, qu’elles soient démontrées par les seules choses qui les précèdent ». L’enfance est la source de nos difficultés. On peut dire qu’elle nous brouille avec le monde et avec le savoir. L’enfance est le théâtre d’une multitude de maîtres où les savoirs rationnels et empiriques s’accumulent sans ordre ni nécessité, au fils d’une éducation incertaine. Elle est caractéristique d’un état où les facultés ne s’exercent pas vraiment et elle condamne ainsi à une perception déficiente du monde. La méthode prétend se réduire à quelques préceptes seulement. Elle possède presque une dimension éthique, par l’engagement proclamé de respecter quoiqu’il arrive les préceptes retenus. Ses 4 préceptes sont : « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. » Ces règles sont justement célèbres, elles sont simples et faciles tant à retenir qu’à exécuter et c’est là la vertu même de la méthode. Il convient d’abord de se former une morale. Puis on étudiera la logique et ses quelques règles afin de s’exercer ensuite à les pratiquer en commençant par des questions faciles. C’est alors seulement qu’on pourra songer à aborder la vraie philosophie qui contient elle-même deux parties : d’abord la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance, puis la physique qui précise alors seulement ces connaissances. La métaphysique cartésienne : La recherche des principes de la connaissance est laborieuse, incertaine et vertigineuse. Vouloir tout reprendre dès les fondements afin « d’établir quelque chose de ferme et constant dans les sciences » apparaît bien vite comme une entreprise redoutable dont la difficulté contraste avec l’optimisme des règles pour la direction de l’esprit. Il forge luimême l’hypothèse d’un malin génie qui le tromperait à chaque affirmation. Une telle hypothèse relance le doute qui devient pleinement volontaire, hyperbolique. Cette fiction de pure méthode en généralisant l’incertitude permet en effet de suspendre toute velléité d’affirmation. Est principe ce que la pensée ne parvient pas à dissoudre. C’est une entreprise, mais c’est mon entreprise, ce que j’ai su m’imposer malgré tout. Ce principe, c’est le fameux « je pense donc je suis » dans le Discours de la méthode qui devient dans les Méditations plus simplement « je suis, j’existe ». En vérité, on obtient une hiérarchie des certitudes : je suis une chose qui pense. Mais comme carrefour de facultés je m’apparais comme identité permanente, j’ai le sentiment de mon unité. Mon identité personnelle s’affirme donc bien par cette permanence de l’initiative propulsant l’être comme sujet d’activités. J’existe comme puissance de jugement. Pour confirmer la valeur de ses analyses, Descartes prend l’exemple d’un morceau de cire. Le simple passage de l’état solide à l’état liquide m’offre un objet qui à vrai dire est totalement différent. Mais, la même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il est clair que si je me tenais à ce que je vois, je ne pourrais jamais conclure à la permanence de la cire ? La perception est contemporaine de ce qu’elle perçoit. Pourtant, personne n’hésitera un seul instant à affirmer la permanence de la cire et avec raison. Ainsi, dans nos expériences les plus rudimentaires, ce n’est déjà plus notre perception qui est à l’œuvre, mais bien une « inspection de l’esprit », c’est-à-dire notre jugement. Ce n’est donc pas la philosophie qui se méfie de la perception, ou de nos sens, mais plutôt chacun d’entre nous qui ne cesse à chaque instant de dépasser la perception, la récusant par elle-même, pour affirmer une permanence que nous ne voyons jamais. Dans cette activité de substantialisation du monde, notre erreur vient simplement de notre ignorance des principes de nos affirmations. La certitude quant à l’existence de Dieu permet de garantir la valeur d’une règle essentielle dans le cartésianisme : « je puis établir comme règle générale que toutes les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies ». La part de l’homme : Au fond, le vertige sceptique ne menace jamais sérieusement une entreprise philosophique digne de ce nom, car la question sceptique n’est jamais susceptible d’une réponse simple, n’étant pas elle-même une question simple. L’objection sceptique ignore la possibilité de la vérification. Face au scepticisme, l’esprit ne trouve rien sur quoi il puisse s’appliquer attentivement, ce scepticisme ravageur est en fait un scepticisme sans terrain. Tout le travail des Méditations aura été de définir un terrain, de fixer des bornes, de configurer la sphère des investigations possibles. Le domaine de l’homme par excellence est celui du jugement. La part de l’homme, c’est justement l’effectuation de son jugement. C’est par l’entendement que je conçois les idées des choses, que j’examine le degré de clarté et de distinction d’une idée. En tant que tel, l’entendement est une faculté parfaite, c’est-à-dire incapable de se tromper bien que son domaine d’investigation soit fini. Alors l’erreur provient de ce que l’homme méconnaît son essence, c’est-à-dire sa liberté. Être libre, c’est vouloir actualiser la dimension humaine qui est en moi, c’est-à-dire la clarté de l’entendement contre les suggestions molles des passions les plus inconsistantes. Se tromper, c’est donc se prononcer malgré le silence de l’entendement. L’erreur est toujours un préjugé, une précipitation dans le jugement. L’erreur, c’est vouloir parler à tout prix. Une philosophie de l’action : Non seulement la métaphysique n’achève pas l’esquisse d’une morale, mais elle y renvoie et à une morale toujours nécessairement précaire. Il n’y a pas de morale définitive chez Descartes et cela n’aurait aucun sens. Cette morale provisoire comprend trois ou quatre maximes : - « La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays » - « ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les pus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. » - « Ma troisième était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde. » - « Enfin pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’on les hommes en cette vie pour tâcher à faire choix de la meilleure… Je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais ». La 1ère maxime prône un certain conformisme que dans le but d’avoir la paix, car ce n’est qu’au prix d’un oubli de moi par les autres que je pourrais mener à bien ma tâche, qui demande du temps et de la sérénité. Elle est renforcée par la 3 ème maxime. La 2nde maxime est la plus importante. La morale prétend régler le domaine de la pratique, de l’action humaine. Pour que ce voyageur égaré dans une forêt puisse en sortir il faut marcher le plus droit, toujours, dans une même direction. L’irrésolution mérite d’être combattue en ce qu’elle empoisonne l’action et le confiance en son propre pouvoir. Le temps n’est qu’une façon de parler, une fiction inutile et dangereuse. La croyance au temps devient ici la mesure de nos inconséquences, une certaine façon de croire au définitif. Croire au temps, c’est aller contre la 2nde maxime de la morale, c’est croire en ce qui est fait, et par là-même achevé. Or, ce qui est fait reste à faire et le choix n’existe que dans sa réactivation. Estimer que le temps de fait rien à l’affaire, c’est revendiquer l’initiative absolue du cogito.