n° 153 novembre 2012 Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat avec le Nouveau Théâtre d’Angers. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris. Texte d’Anton Tchekhov Mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia La Mouette Avant de voir le spectacle : la représentation en appétit ! Le choix de la traduction [page 2] Les personnages ou la confrontation… [page 3] Les costumes de La Mouette [page 5] L’espace de La Mouette, une scénographie… [page 6] Le sous-texte ou le courant souterrain [page 7] Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Au Nouveau Théâtre d’Angers du 14 au 24 novembre 2012 Édito Après un échec à Saint-Pétersbourg en 1896, La Mouette de Tchekhov connaît un immense succès lorsque Stanislavski la met en scène au théâtre d’Art de Moscou. Lors de la première, le 17 décembre 1898, le public est tellement ému qu’à la fin de la représentation un long silence précède un tonnerre d’applaudissements. Les spectateurs ont l’impression d’assister à une nouvelle forme de théâtre qui les touche profondément. Cette révolution tient à l’écriture de Tchekhov qui, sous l’apparente banalité des répliques, raconte si bien l’âme humaine mais aussi à Stanislavski qui est en train d’inventer l’art de la mise en scène. Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau Théâtre d’Angers depuis 2007, a mis en scène beaucoup de textes contemporains, entre autres les comédies grinçantes d’Hanokh Levin, mais peu de pièces classiques. Avec La Mouette, il aborde Tchekhov pour la première fois (annexe 1). Quand on essaie de comprendre quel parti pris sera le sien, on entend dire que « ce ne sera pas russe » ou « peu dix-neuvième ». Il souhaite surtout que le spectateur d’aujourd’hui puisse se reconnaître dans des personnages que « le rêve est prêt à emporter vers le meilleur mais qui, comme de grands oiseaux incapables de voler, demeurent dans ce décor, dans ce théâtre qui flétrit en eux au fil des actes et des années ». Le parcours suivant permet aux élèves de pénétrer dans les coulisses de la création par des recherches proposées au fil des rencontres avec les artistes de La Mouette. À noter que deux visions de La Mouette s’offrent cette année dans la collection Pièce (Dé)montée, celle de Frédéric Bélier-Garcia et celle d’Arthur Nauzyciel, consultable en ligne à l’adresse : http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=la-mouette Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée » L’affiche, premier regard sur la représentation [page 8] Après la représentation : pistes de travail Les souvenirs de la représentation… [page 10] Le jeu amoureux [page 11] Le jeu choral [page 11] La bande sonore [page 13] La fonction des objets[page 14] La scénographie : une mise en abîme du théâtre [page 15] L’évolution du personnage à travers le costume [page 16] La construction du personnage par l’acteur [page 17] Annexes [page 19] 2 Avant de voir le spectacle La représentation en appétit ! n° 153 novembre 2012 Le choix de la traduction © Photo d’équipe NTA Frédéric Bélier-Garcia, metteur en scène de La Mouette, opte pour la traduction d’Antoine Vitez 1 plutôt que pour celle d’André Markowicz qu’a choisie Arthur Nauzyciel dans sa mise en scène pour la cour d’honneur du festival ­d’Avignon (2012). Pourquoi ? Frédéric Bélier-Garcia : « La traduction de Vitez est plus simple. Tchekhov a un grand Maquette souci de la simplicité de la langue. La magie de son théâtre ne vient pas d’une complexité de la langue comme chez Shakespeare, Claudel ou Racine mais elle est dans l’aller-retour entre texte et sous-texte, elle vient d’une sorte de quotidienneté qui est toujours un peu symbolique. Et Vitez retranscrit bien cette simplicité de la langue présente dans le théâtre comme dans les nouvelles de Tchekhov ». Activité Comparer les deux traductions de La Mouette Objectif : faire prendre conscience de la singularité de la traduction choisie. b À la lumière de cette réflexion sur la langue de Tchekhov et sur la traduction de Vitez, l’enseignant demande aux élèves d’observer les deux traductions d’un passage de l’acte III (annexe 2) où Arkadina essaie de convaincre Trigorine de rester avec elle alors qu’elle sent qu’il lui échappe. Sans préciser quelle version est de Markowicz ou de Vitez, le professeur demande à deux élèves de se mettre debout, chacun ayant en main une traduction différente et de l’adresser à un camarade de la classe : à chaque signe de ponctuation, l’élève lecteur s’arrête puis écoute l’autre élève dire le même texte dans la deuxième traduction. Ils ne doivent pas spécialement mettre d’intention mais faire simplement entendre les mots et laisser du silence entre chaque signe de ponctuation. À la fin, la classe entière se prononce sur le vocabulaire, la construction des phrases qui ont semblé « plus simples ». Traduction d’Antoine Vitez « Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, tête folle, tu veux faire des bêtises, mais je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et ces yeux à moi, et ces beaux cheveux de soie sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant de talent, d’intelligence, tu es le meilleur de tous les écrivains d’aujourd’hui, tu es l’unique espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour sain… » Traduction d’André Markowicz 1. Toutes les citations du texte, sauf mention contraire, sont issues de la traduction d’Antoine Vitez : La Mouette, Anton Tchekhov, et sont © Actes Sud, 1984. La pagination se réfère à l’édition au Livre de poche de ce texte. Les disdascalies sont en italique. « Tant mieux je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, ma tête brûlée, tu veux faire des folies, mais moi, je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… à moi… Et ce front, il est à moi, et ces yeux, ils sont à moi, et ces cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si intelligent, le plus grand des écrivains de notre temps, tu es le seul espoir de la Russie. Tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour salubre… » 3 On peut remarquer par exemple que l’adjectif « sain » qui définit l’humour dans la traduction de Vitez est moins recherché que « salubre », étonnant adjectif accolé à « humour » dans la traduction de Markowicz. La mise en valeur emphatique du sujet, systématique chez Markowicz, crée aussi une insistance sur les différentes parties du corps de Trigorine absente de la traduction de Vitez. n° 153 novembre 2012 Les personnages ou la confrontation de deux générations Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Comment Frédéric Bélier-Garcia choisit-il des acteurs pour jouer des personnages appartenant à deux générations différentes ? À la question du choix d’une actrice comme Nicole Garcia pour jouer Arkadina, Frédéric Bélier-Garcia répond : « Je ne veux pas jouer sur la notoriété, plutôt sur l’âge et l’appartenance à des générations différentes. La génération « du dessus », celle des acteurs que j’ai choisis pour jouer Arkadina, Paulina et Sorine est une génération qui a commencé au théâtre, et dans Activité Lire à haute voix la liste des personnages un théâtre d’avant-garde, il y a quarante ans dans les années 1970 et qui progressivement a eu une notoriété au cinéma. La génération « du dessous », celle des acteurs jouant Medvedenko, Macha, Nina, Treplev est composée d’acteurs sortis en même temps des conservatoires et qui font des recherches dans le domaine théâtral surtout. Or l’histoire de La Mouette est une histoire de générations : le triomphe des parents sur les enfants, des parents qui refusent de passer la main, la victoire d’une génération passée sur la génération présente ». faisant sonner les noms russes, à la manière d’un majordome, pour se familiariser avec le nom des personnages (annexe 3). Objectif : se familiariser avec les noms russes­ des personnages et comprendre leurs rela- b En s’appuyant sur la définition qu’en tions (générations différentes). fait Tchekhov, demander aux élèves quels b Lire à voix haute avec onze voix (nombre de personnages) la didascalie initiale en personnages seront joués par les acteurs plus âgés et par les acteurs plus jeunes. 4 n° 153 novembre 2012 Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Activité Jouer une scène de conflit entre deux générations Objectif : comprendre que la parole au théâtre est action et pas simple conversation. À propos du fonctionnement de la parole au théâtre, le dramaturge Michel Vinaver 2 parle d’un « duel » quand les personnages entrent dans un conflit et précise que quatre figures sont alors utilisées : l’attaque, la défense, la riposte et l’esquive. Il parle en revanche d’un « duo » quand domine dans la parole la figure du « mouvement vers » l’autre. On peut rappeler à l’occasion de la lecture de cette scène que « La Mouette est une vaste paraphrase d’Hamlet », comme le dit Antoine Vitez. Dans cet extrait, la jalousie incestueuse de Treplev à propos de Trigorine, amant de sa mère Arkadina, rappelle des scènes entre Hamlet et sa mère Gertrude. b On demande aux élèves d’analyser dans cet extrait les deux causes du conflit entre la mère et son fils : la jalousie de Treplev envers Trigorine, mais aussi une conception différente du théâtre. b Après avoir défini ces mots avec les élèves (attaque, défense…), l’enseignant peut demander de repérer ces figures dans l’extrait entre Arkadina et Treplev (annexe 4) et de voir comment le duo initial entre mère et fils se transforme en duel pour s’achever à nouveau en duo. b Une fois les figures repérées, l’enseignant peut demander à sept élèves de dire chacun une réplique de Treplev à tour de rôle (idem pour Arkadina) en traduisant les figures repérées par la manière de dire. Par exemple, dire avec beaucoup de douceur les « mouvements vers », avec violence les « attaques » et avec fermeté les « défenses ». Il faut veiller à ne jamais précipiter la parole et respecter vraiment les silences marqués par les signes de ponctuation. Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE 2. Vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993. 5 Les costumes de La Mouette n° 153 novembre 2012 Frédéric Bélier-Garcia s’est entouré de deux costumières (Catherine et Sarah Leterrier, mère et fille) pour créer les costumes de La Mouette (entretien avec Catherine Leterrier, annexe 5). Pour cette création, les costumières ont créé plus d’une vingtaine de costumes car certains ­personnages changent plusieurs fois de tenue durant les quatre actes. Le costumier et le peintre Catherine Leterrier révèle une source d’inspiration importante pour la création des costumes, le peintre Vuillard : « Dans La Mouette, les personnages sont au début pleins d’espoir, ils seront dans les couleurs et tissus unis. Puis petit à petit, comme la vie ne leur permet pas de réaliser leurs rêves, les imprimés des costumes deviendront de plus en plus présents voire surdimensionnés et donneront l’impression de faire rentrer les personnages dans le décor comme s’ils étaient enserrés dans leur espace ». Activité Observer un tableau b L’enseignant Objectif : prendre conscience des sources d’inspiration des costumiers. peut proposer l’étude d’un tableau d’Édouard Vuillard (Intérieur à la table à ouvrage, 1893) qui a inspiré les costumières et demander aux élèves d’analyser la manière dont le peintre crée cette confusion entre personnages et décor. Costume et personnage Activité Observer des maquettes de costume Objectif : découvrir comment un costume révèle un personnage. b L’enseignant interroge les élèves sur les codes vestimentaires en général et sur la façon dont tel ou tel vêtement traduit à la fois l’appartenance sociale d’un individu et sa psychologie. © DANY PORCHÉ © DANY PORCHÉ À partir de maquettes de costumes dessinées par Sarah Leterrier (annexe 6), les élèves réfléchissent à la manière dont ces costumes révèlent socialement et psychologiquement un personnage. Dans un premier temps, les élèves mènent cette réflexion sans référence aux personnages de La Mouette. Puis ils essaient d’imaginer, à partir des maquettes et de quelques répliques, à quel personnage de La Mouette correspond tel ou tel costume. Dix élèves lisent chacun une réplique caractérisant un personnage (annexe 7). Chacun des dix élèves choisit auparavant sa place dans la classe (debout ou assis), lit silencieusement sa réplique, fixe son regard sur une personne (proche ou lointaine dans l’espace de la classe) et adresse sa réplique. Les répliques sont dites dans l’ordre, avec le plus de sincérité possible et en respectant la ponctuation par un vrai silence de quelques secondes. On rappelle aux élèves qu’ils ont à leur disposition quatre émotions majeures : la peur, la colère, la tristesse et la joie. Ils choisissent l’émotion qu’ils veulent pour dire leur réplique après avoir annoncé le nom de leur personnage. 6 L’espace de La Mouette, une scénographie entre intérieur et extérieur n° 153 Interrogée sur ses choix scénographiques, Sophie Perez répond (annexe 8) : « La Mouette parle de la mise en abîme du théâtre. À partir de là, la scénographie est réversible : la maison, dont l’intérieur est très réaliste, est représentée par des châssis qui, une fois retournés, évoqueront des châssis de théâtre. Tout peut se moduler. Une pièce de maison peut devenir un bout d’île, l’île un intérieur. Il faut que la scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre ». novembre 2012 Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Activité Lire les quatre didascalies initiales des quatre actes Objectif : repérer les espaces intérieurs et extérieurs. Les didascalies initiales des quatre actes sont écrites à la manière d’un romancier naturaliste (Tchekhov a lu Maupassant et Flaubert : Arkadina lit d’ailleurs un texte de Maupassant au début de l’acte II, Sur l’eau). Elles décrivent l’espace où évoluent les personnages mais sont aussi à interpréter de façon symbolique. Ainsi de l’acte I à l’acte IV un espace semble triompher de l’autre : l’espace intérieur ou l’espace extérieur ? (annexe 9) b On invite les élèves à se demander ce que cette évolution de l’espace révèle du destin des personnages. L’enseignant peut trouver des éléments de réponses chez Georges Banu 3, auteur de nombreuses recherches sur le théâtre de Tchekhov. Il dit à propos de l’espace de La Mouette : « une action extérieure s’enferme progressivement dans une maison, jusqu’à aboutir à une chambre barricadée ». © Photo d’équipe NTA Activité Dessiner la première image de La Mouette (comment représenter le théâtre dans le théâtre) Objectif : s’initier à la scénographie b L’enseignant 3. Banu Georges, « Rupture dans l’espace de La Mouette », Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978. demande aux élèves (par groupe de quatre) d’imaginer, à partir de la didascalie initiale de l’acte I et des deux premières répliques de la pièce, quelle serait, selon eux, la première image du spectacle. L’enseignant rappelle que dans ce premier acte Treplev va jouer sa nouvelle pièce devant sa mère et les autres personnages, ce qui explique la présence de l’estrade et du rideau. Il précise aussi que le théâtre n’est pas le cinéma, qu’il ne peut tout montrer et fait appel à l’imagination du spectateur (un arbre suggère une forêt…). Les élèves dessinent sur une feuille de dessin avec des crayons de couleurs cette première image à partir de leurs réponses aux questions suivantes : 7 n° 153 novembre 2012 Quel cadre de scène choisir parmi les six proposés (annexe 10) ? carrés ou rectangles aux formes plus ou moins allongées et aux points de fuite plus ou moins centrés ? Ces six cadres sont proposés par le scénographe Yannis Kokkos pour une initiation à la scénographie 4. Ils permettent de préciser les différents choix de dimensions et de perspec- © Photo d’équipe NTA tives scéniques (scène réduite ou profonde, cadre de scène bas ou élevé…) Quels éléments semblent essentiels parmi tous ceux évoqués par Tchekhov (parc ? allée ? estrade ? buissons ? rideau ?). Qu’est-ce qui est au premier ou au second plan ? Enfin, où se trouvent dans cette scénographie les deux personnages qui parlent au début ? (Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? » Macha : « C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse. ») Sont-ils au centre ? sur le côté cour ou côté jardin ? au lointain ? en avantscène ? et pourquoi les rêver là ? b L’enseignant propose de dessiner les deux personnages à l’endroit souhaité sous formes de simples silhouettes pour figurer l’échelle humaine. Puis chaque groupe présente sa proposition argumentée et ses choix. b Pour aller plus loin, on peut demander à certains élèves (seuls ou en groupes) de choisir quatre cadres identiques ou différents pour les quatre actes et de voir comment la scénographie évolue de l’acte I à IV et comment l’intérieur envahit petit à petit l’extérieur. Le sous-texte ou le courant souterrain « Cette dramaturgie sans action [celle de Tchekhov] repose, souligne Peter Stein, non sur ce qui est dit mais sur la manière de le dire. Ce qui change, ce ne sont pas les mots, mais le moyen ou la manière de les dire, de les prononcer. Tel est le fameux sous-texte ou “courant souterrain”. Les acteurs du théâtre de Tchekhov, grâce au sous-texte, ont reçu des rôles tout à fait nouveaux. Puisque ce qui importait n’était plus le contenu du texte mais bien davantage la manière de le dire — l’interprétation, le jeu ont pris une telle importance que l’acteur est devenu un coauteur. Tchekhov a laissé tellement d’espace, de liberté entre les propositions, les bouts de propositions et même entre les mots, que l’acteur peut remplir ces vides de son état psychologique, de son moi. C’est le plus grand cadeau que Tchekhov a fait aux acteurs. Mais cela ne signifie pas qu’il soit facile de le jouer. » Activité Jouer une scène selon deux hypothèses de lecture en imaginant un sous-texte différent Objectif : mesurer l’importance des choix du metteur en scène et de l’acteur. 4. Cités et présentés par D. Porché dans 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005, p. 81. Frédéric Bélier-Garcia présente la difficulté d’interpréter cette scène : « On ne sait, dit-il, si Trigorine revient dans la maison vraiment pour voir Nina et donne le prétexte de la canne à pêche ou s’il vient effectivement rechercher sa canne à pêche et a déjà oublié le rendez-vous avec Nina ». b L’enseignant propose de lire cet extrait (annexe 11) selon deux hypothèses de lecture : – ou Trigorine revient pour voir Nina sous le prétexte de la canne à pêche. – ou Trigorine revient pour chercher la canne à pêche et a déjà oublié Nina. Dans les deux hypothèses, le sous-texte est bien différent : les points de suspension, ponctuation très fréquente chez Tchekhov, sont à lire différemment. Quatre élèves (deux garçons et deux filles si possible) joueront les deux versions de ce duo selon les deux hypothèses. Pendant que les élèves joueurs apprennent le texte, le reste de la classe imagine et écrit ce 8 n° 153 novembre 2012 qui n’est pas dit dans les points de suspension. Si on écoutait le monologue intérieur de Nina et de Trigorine dans la première et dans la deuxième hypothèse, qu’entendrions-nous ? L’enseignant crée un espace scénique en dégageant une diagonale 5 qui va d’une porte de la classe au coin opposé. Un bâton censé représenter la canne à pêche est placé près de la porte. Celui qui joue Trigorine entre par cette porte et l’actrice qui joue Nina est assise à l’opposé de cette entrée. Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE Les deux interprétations de la scène sont jouées successivement : les élèves proposent des mouvements sur cette diagonale qui traduisent leurs émotions. Au début, ils doivent être aux extrémités de la diagonale et à la fin, très proches mais ils ne se déplacent que sur cette diagonale : qui avance vers l’autre ? Le font-ils ensemble ou non ? Éviter le piétinement : ils se déplacent ou ils sont immobiles. Les regards doivent aussi être précis : que fixent-ils ? l’autre ? ou un ailleurs qui peut être menaçant, l’arrivée d’Arkadina par exemple ou de quelqu’un d’autre ? Les silences doivent être longs et révéler ce qui se passe en eux, le fameux sous-texte. Puis la classe se prononce sur l’interprétation qui lui semble la plus juste et pourquoi. Pour finir, quelques élèves peuvent faire entendre les pensées intérieures qu’ils ont imaginées sous les points de suspension, en précisant quelle hypothèse ils ont retenue. L’affiche, premier regard sur la représentation Activité Analyser l’affiche de La Mouette Objectif : découvrir la portée symbolique de l’affiche. b L’enseignant demande aux élèves d’observer l’affiche du spectacle de La Mouette (annexe 12). Relever les informations textuelles (titre, auteur, équipe artistique, producteurs, tournée), le choix des polices et des couleurs. Analyser la photo (Nicole Garcia jouant Arkadina) et la position du corps. 5. La diagonale est une ligne dont le metteur en scène Antoine Vitez dit qu’elle est « dramatique », c’est-à-dire qu’elle crée une tension : « Une ligne est dramatique dans la mesure où elle est biaise. Les dialogues peuvent être diagonaux mais jamais latéraux », cité par Dany Porché, op. cit., p. 75. Que peut raconter à un spectateur qui n’a pas lu la pièce cette photo de l’actrice Nicole Garcia ? Analyser le mouvement des bras, le corsage porté, les franges plumetées au poignet et au col. L’enseignant aide les élèves à découvrir la portée symbolique de la photo à partir de leur interprétation des différentes occurrences du mot « mouette » dans les répliques de la pièce (annexe 12). N’y a-t-il pas ressemblance entre une mouette et le cliché de l’actrice ? Quels sont les éléments de cette analogie ? Mais alors que dans le texte de Tchekhov, c’est Nina (jouée par Ophélia Kolb) qui est continuellement associée à une mouette, sur l’affiche c’est Nicole Garcia jouant Arkadina qui apparaît de profil. Que peut nous révéler ce choix : simple volonté de mettre sur l’affiche une actrice connue du public ? Ou plus profondément désir de représenter les rêves de Nina, devenir une actrice connue comme Arkadina, quitte à se brûler les ailes ? Ou intention de montrer le pouvoir de l’ancienne génération qui occupe l’espace visuel et empêche la jeune génération d’être visible ? Ou encore souhait de Frédéric Bélier-Garcia de montrer qu’il met en scène sa mère, Nicole Garcia, dans une pièce qui traite d’un conflit violent entre une mère actrice et son fils auteur de pièces d’avant-garde ? Autant d’interprétations qui ouvrent les portes de l’imaginaire et rendent sensible au choix de mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia (annexes 13 et 14). 9 affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1 novembre 2012 de Anton Tchekhov mise en scène Frédéric Bélier-Garcia tion duc Pro avec Nicole Garcia Ophelia Kolb Agnès Pontier Brigitte Roüan Eric Berger Magne-Håvard Brekke Jan Hammenecker Michel Hermon Manuel Le Lièvre Stéphane Roger production Nouveau Théâtre d’Angers Centre Dramatique National Pays de la Loire LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTS du mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012 GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENT du jeudi 14 au lundi 18 février 2013 ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVER NANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE… TOURS… LA ROCHELLE… MARSEILLE… LYON renseignements / réservations 02 41 22 20 20 www.lequai-angers.eu © VINCENT FLOURET Conception et impression : Setig Palussière, Angers. 10/2012. Photographie © Vincent Flouret. n° 153 10 Après la représentation Pistes de travail n° 153 novembre 2012 Les souvenirs de la représentation de La Mouette Yannick Mancel, dramaturge du théâtre du Nord, dit à propos du partage des regards entre spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes.1 » Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de reconstituer au plus près le souvenir de la représentation. Activité Écrire le souvenir d’une image de la représentation Objectif : mener une description scrupuleuse du spectacle avant toute appréciation. b Pour 1. Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique » dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189. Yannick Mancel revient sur ces éléments dans Théâtre Aujourd’hui n°13 : la scénographie, SCÉRÉN, 2012. que la description « clinique » devienne ludique, chaque élève © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS prend un papier et, à la manière de Georges Perec, écrit une phrase La représentation commence par l’expression qui commence par « je me souviens » en de la douleur de Macha adressée à Medvedenko décrivant très précisément un souvenir visuel sous les arbres par une nuit sombre. Elle se (lié à l’espace, au mouvement des corps, termine par une image chorale à l’intérieur aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux d’une maison obscure. Seules quelques lumières bruits, aux chants, à la musique enregistrée) venant de lampes rouges sont disséminées sur de la représentation de La Mouette. le plateau, quatre bougies sont allumées par Par exemple : « Je me souviens des sons d’oi- Paulina, éclairage pour une catastrophe annonseaux au début quand Macha et Medvedenko cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale, se parlent sous les arbres et que la lumière les le rideau de scène presque invisible tombe très éclaire à peine ». lentement au-dessus de Macha et Medvedenko qui se trouvent dans le décor du feuillage et b Puis chacun lit à haute voix son souvenir, du rocher factice. Ce rideau immense annonce ou celui d’un autre élève, et la classe écoute la pièce de Treplev. À la fin il réapparaît en l’ensemble des souvenirs sans commentaire. descendant à chaque extrémité du plateau côté jardin sur le bureau vide de Treplev, côté Pour mesurer la portée symbolique des images cour sur le canapé méridienne, comme une construites par le metteur en scène et son dernière apparition fantomatique de Treplev. équipe, on peut questionner ensuite les élèves C’est Frédéric Bélier-Garcia et non Tchekhov sur leur souvenir de la première et dernière qui propose ce retour du rideau de théâtre de image de la représentation. C’est une façon Treplev à la fin de la représentation. À partir de concrète de raconter l’histoire qu’ils ont com- ces images (initiale et finale), on comprend que prise. L’enseignant leur demande d’être sen- Tchekhov nous raconte le destin d’hommes et sibles aux points communs et aux variations de de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient ces deux images et de les interpréter. Chacun leurs idéaux se briser. Mais si les hommes se contribue à les reconstruire par un échange tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au oral. bout. 11 Le jeu amoureux n° 153 novembre 2012 « Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de l’existence, dit Frédéric Bélier-Garcia. Chaque personnage est introduit dans un duo (Macha/Medvedenko, Paulina/Dorn…) puis y va de son numéro. Chacun essaie d’être aimable… tandis qu’au plus profond de lui ahane la panique d’exister » (annexe 14). Activité Rejouer un instant de duo amoureux Objectif : développer le regard du spectateur sur le jeu physique des acteurs dirigés par Frédéric Bélier-Garcia. b Dans un premier temps, l’enseignant demande aux élèves d’écrire, sous forme d’un schéma, la chaîne des amours : Medvedenko aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine qui aime… ? Paulina aime Dorn qui aime… ? Comme pour l’Andromaque de Racine, tous aiment sans être aimés en retour. Puis en s’appuyant sur la mémoire du spectacle, les élèves préparent par deux la reconstitution d’un duo amoureux sous forme d’images fixes. L’enseignant rappelle que le dessin des corps, la gestuelle, les attitudes, la physionomie, les regards doivent être précis : – Arkadina allongée au pied de Trigorine lorsque ce dernier lui avoue son attirance pour Nina (acte III) ; – Macha qui frappe avec violence le dos de Medvedenko quand ce dernier veut la ramener dans leur maison (acte IV) ; – Nina qui serre dans ses bras Treplev tout en lui avouant son amour pour Trigorine (acte IV) ; – Macha qui se refuse à Medvedenko et se débat dans ses bras (acte IV) ; © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS – Paulina qui dégrafe son corsage pour attirer Dorn… (acte II). b L’enseignant, pendant ce bref temps de préparation, dessine au sol une aire de jeu de 3 x 3 m à l’aide d’un scotch blanc et demande aux duos à tour de rôle de se placer à l’endroit du plateau où se tenait l’image dans leur souvenir. Ils tiennent ce tableau vivant puis l’animent brièvement. Ils peuvent alors émettre un son ou une parole. b Après chaque reconstitution sans parole, les élèves spectateurs disent de quels personnages il s’agit et par quel traitement du corps le metteur en scène a montré le désir ou la douleur des personnages. L’enseignant aide les élèves joueurs à être précis dans la reconstitution de la relation amoureuse et les élèves spectateurs à analyser toutes les variétés physiques de l’expression de la douleur d’aimer. Le jeu choral « La difficulté des scènes chorales, dit Frédéric Bélier-Garcia, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur scène. Il faut absolument veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice dans le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains pour que la scène ne relève pas de la simple conversation » (annexe 14). Activité Reconstituer un tableau collectif par le jeu et analyser deux photos de groupe Objectif : être sensible à ce qui les rend vivantes. b L’enseignant peut proposer aux élèves de se souvenir d’une scène chorale et de la reconstituer devant les autres. Par groupe de dix, ils préparent ce tableau après avoir choisi une scène collective où chacun s’attribue un rôle. Chaque groupe présente son image dans l’aire de jeu. L’enseignant demande 12 n° 153 novembre 2012 aux élèves d’être précis dans l’attitude, les regards, la place de chacun dans l’espace et de tenir l’image muette quelques secondes. Les spectateurs disent ensuite de quelle scène il s’agit et comment « les enjeux humains » sont visibles. b Deux photos de la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia peuvent être observées afin de voir comment le metteur en scène réussit à rendre vivant ce grand groupe (annexe 15). Les élèves observent avec précision les regards et attitudes qui rendent vivant l’individu au milieu du groupe. Les expressions des visages et des corps permettent de comprendre les enjeux de la scène pour chaque personnage. © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS Acte I : scène du début, le groupe assiste à la pièce de Treplev mais quelques uns n’ont pas les yeux rivés sur le spectacle. Chamraiev (côté jardin) regarde vers la salle, signe d’ennui face à cette pièce d’avant-garde, lui qui aime le vieux théâtre et les acteurs d’« avant le déluge », comme le lui dit Arkadina. Sorine s’inquiète des réactions de sa sœur qu’il voit lever les bras en signe de désapprobation, Paulina n’a d’yeux que pour Dorn côté cour. Quant aux autres, leurs yeux convergent vers Nina et le spectacle. © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS Fin de l’acte IV : tous sont regroupés autour du jeu de loto mais seuls Trigorine et Chamraiev regardent le jeu. Arkadina, la mère, et Macha, l’amoureuse, regardent Treplev. Paulina adresse un regard noir de jalousie à Arkadina. Quant à Dorn, il semble regarder de façon nonchalante le duo Treplev-Arkadina ou… dormir comme Sorine qui se trouve sur le canapé à l’arrière. L’enseignant peut aussi rendre les élèves sensibles à l’équilibre du plateau visible dans ces deux photos, équilibre dont tout metteur en scène connaît les lois et qu’il doit particulièrement rechercher dans les scènes collectives. 13 La bande sonore n° 153 novembre 2012 André Serré est le concepteur son de La Mouette et a commencé avec Patrice Chéreau dans les années 1970. Ils ont été les premiers à proposer des sons venant du décor : « Avant La Dispute mise en scène par Chéreau, le son venait exclusivement de la salle. Avec Chéreau on a inventé le son du décor. Dans La Dispute, le rideau s’ouvrait sur une forêt et on a mis le bruit de la forêt. Cela a été une révolution. Au théâtre l’œil guide l’oreille. Si l’image est sur scène, le son est sur scène. Ce sera aussi le cas dans la mise en scène de La Mouette.2 » À la question du choix des bruits réalistes et des musiques suggérés par Tchekhov dans les didascalies, André Serré répond : « Il y a des sons inscrits dans le texte : les musiques de l’autre côté du lac, des gens qui jouent du piano… la tempête sur le lac… Mais le son est subjectif et je ne vais pas tout faire entendre : je sais par exemple qu’il y aura des aboiements des chiens car ils énervent Sorine et doivent aussi énerver le spectateur. Quant aux musiques, elles viendront de toutes les époques, antérieures ou postérieures à Tchekhov mais rien de russe… Ce que j’aime dans une bande-son c’est que, même si elle est faite de plein de petits bouts, elle ait une cohérence et que le public ait l’impression qu’elle a été écrite pour le spectacle. » Activité Écrire une liste de souvenirs sonores Objectif : comprendre la fonction du son. b L’enseignant demande aux élèves de faire une liste de tous les sons dont ils se souviennent et de préciser leur intensité (fort au 1er plan ou plus lointain au 2e plan). Il peut ensuite relire avec eux les didascalies initiales de Tchekhov (annexe 9 et repérer les sons qui relèvent de l’auteur et ceux qui ont été choisis par l’équipe artistique. Enfin il leur demande de se questionner sur la fonction des sons entendus et d’en choisir un pour chacune des trois fonctions ci-dessous, en sachant bien que le bruit réaliste a souvent une portée symbolique pour Tchekhov. – Créer un effet de réel Ainsi les bruits d’oiseaux du début créent un effet de réel et, comme le dit André Serré, correspondent à ce que le spectateur a sous les yeux : deux êtres sous les arbres, près de rochers, un soir. – Accroître la tension dramatique La musique enregistrée (Variations Enigma d’Elgar)­ accompagne à chaque fois le déplacement du décor mais aussi la grande tension 2. Propos recueillis par l’auteur. dramatique à la fin de chaque acte. Tchekhov le disait lui-même : « Je termine chaque acte comme mes récits : je le conduis doucement, paisiblement et, à la fin, pan ! sur la gueule du spectateur. » Ainsi Macha avoue à Dorn son amour pour Treplev à la fin de l’acte I. L’acte III se clôt sur le premier baiser entre Trigorine et Nina. Le choix d’Elgar, musique très lyrique et quasi cinématographique, est une traduction sonore puissante de l’émotion voulue par Tchekhov à ces moments-là et rappelle les formes opératiques et cinématographiques que connaît bien Frédéric Bélier-Garcia. – Apporter une lecture symbolique de la pièce Le bruit du vent (voulu par Tchekhov au début de l’acte IV) crée évidemment un effet de réel mais a surtout une portée symbolique. C’est à une violente et dernière tempête dans les cœurs que nous assistons. Le drame s ‘achève. Macha essaie d’échapper à l’étreinte brutale de son mari et, dans une valse de plus en plus rapide avec sa mère, dit son souhait d’« arracher » de son « cœur » l’amour pour Treplev. Nina, entre rire et larmes, serre une dernière fois Treplev tout en lui disant son amour pour Trigorine. Sorine attend la mort allongé sur la méridienne et, à l’image de Firs dans La Cerisaie, semble déjà oublié de tous. Quant à Treplev, il se suicide. Finie la tempête. Silence sur le plateau. 14 La fonction des objets n° 153 novembre 2012 « Il ne faut pas mettre sur scène un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir », dit Tchekhov. Dans la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, il y a un nombre considérable d’objets qui servent le jeu et contribuent à recréer de façon authentique une époque révolue. Mais l’abondance d’objets sur scène est peut-être aussi un signe d’ironie face à l’esthétique réaliste. © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS Activité Suivre la vie d’un objet sur scène Objectif : apprécier la fonction des objets au théâtre. b L’enseignant rappelle que, dans les didascalies de Tchekhov (annexe 6), un certain nombre d’objets sont présents, objets dont ne tient pas toujours compte le metteur en scène. Ainsi des objets datés : le croquet (jeu de l’époque de Tchekhov) disparaît, la tabatière de Macha est remplacée par la cigarette… Les élèves écrivent sur un papier le nom d’un objet dont ils se souviennent. L’enseignant rappelle au préalable le sens de l’objet : devient objet au théâtre tout élément manipulé par l’acteur (objet certes, mais aussi accessoire du personnage, élément de décor ou morceau de costume). Chacun place dans un chapeau le nom de son objet puis les élèves à tour de rôle sortent un papier, lisent le nom de l’objet, le décrivent rapidement disent par qui et de quelle manière il est manipulé. Enfin, ils émettent une hypothèse sur sa fonction. Les élèves peuvent aussi découvrir combien la mise en scène de Frédéric Bélier Garcia est proche de l’esprit tchekhovien avec une forte présence d’objets réalistes qui ont une fonction symbolique. Très souvent l’élément le plus banal révèle, par l’usage qu’en font les acteurs, désir et souffrance des personnages. Quelques exemples : – la corde au milieu du plateau avec laquelle joue Macha et qui est aussi manipulée par Paulina dans une sorte d’autoflagellation ; – le verre d’alcool partagé par Macha avec Trigorine, signe de sa souffrance de ne pas être aimée par Treplev ; – les feuilles mortes cueillies puis jetées une à une par Treplev quand il parle de l’amour filial de sa mère dont il doute ; – la mouette jetée au pied de Nina par Treplev comme symbole de sa douleur et qui reparaît empaillée à la fin comme une image de la mort symbolique de Nina ; – le col du costume de Paulina qu’elle dégrafe violemment pour séduire Dorn ; – la fleur donnée par Nina à Dorn et détruite par la jalouse Paulina. Pour prolonger cette recherche, on peut, à titre de comparaison, regarder quelques photos de la mise en scène d’Arthur Nauzyciel (Pièce (dé) montée n° 148) d’où toute trace d’objet a disparu. L’enseignant questionne les élèves sur cette opposition entre les deux mises en scène : d’un côté chez Frédéric Bélier-Garcia une pléthore d’objets réalistes, de l’autre chez Arthur Nauzyciel une disparition totale des objets qui évoque plutôt un monde de morts que de vivants. 15 La scénographie : une mise en abîme du théÂtre n° 153 novembre 2012 « La Mouette parle d’une mise en abîme du théâtre, dit Sophie Perez. Entre l’histoire de la mère et du fils, ça ne parle que de réinventer le théâtre. Il faut que la scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité » (annexe 8). Certes les meubles, les objets sont authentiques et relèvent d’une esthétique réaliste que le travail de l’éclairagiste accentue. Ainsi le clair-obscur du dernier acte semble vraiment venir des objets lumineux du décor, appliques, lampes, bougies. Mais la scénographie, elle, est bien une machine de théâtre qui éloigne le spectateur de toute illusion. © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS Activité Reconstruire les éléments et mouvements du décor Objectif : comprendre l’évolution et le fonctionnement de la scénographie. b Par groupe de cinq, l’enseignant demande aux élèves de reconstituer avec des croquis l’évolution de la scénographie au cours des quatre actes. Quelques groupes présentent l’évolution du décor. Un sol noir suggère la brillance d’un lac ou d’un parquet, délimite l’aire de jeu et est entouré de feuilles mortes rougeoyantes. Le décor est composé d’un immense rideau de scène et de cinq éléments mobiles qui sont déplacés pour se joindre ou se disjoindre dans l’espace. Trois d’entre eux glissent sur le sol : le décor de feuillages et rochers et les deux éléments qui ressemblent à des parties de pièces (salon et bureau). Deux autres éléments descendent des cintres : une porte (avec des dorures et deux appliques rouges) et un élément composé de trois cadres-fenêtres en bois brut. Les acteurs se déplacent de façon © STÉPHANE TASSE très libre et non réaliste d’un élément à l’autre. L’espace change quatre fois. Le décor de feuillages et rochers de la pièce de Treplev, fermé par un rideau qui disparaît dans les cintres, est retourné à la fin de l’acte et placé côté jardin (acte I). Le spectateur voit alors une sorte de déjeuner sur l’herbe avec corde, balançoire, nappe recouverte de coussins et de bouteilles, fermé au lointain par les trois cadres-fenêtres (acte II). Puis les deux parties de pièces de la maison avancent ainsi que la porte et viennent créer un angle côté cour. Une table et des chaises occupent le côté jardin. Avant la rencontre entre Treplev et sa mère, le décor change à nouveau et les deux pièces de la maison se disjoignent : le salon côté jardin légèrement en arrière et le bureau côté cour plus proche de l’avant-scène. La porte aux appliques disparaît au lointain (acte III). Enfin l’espace est totalement fermé sous forme rectangulaire : le salon glisse côté cour, le bureau côté jardin (parallèles aux coulisses), la porte aux appliques rouges au centre et les trois cadres-fenêtres légèrement au lointain. Le rideau de la pièce de Treplev tombe. Les personnages sont totalement enfermés, la maison a avancé 16 progressivement et emprisonné ceux qui voulaient partir (acte IV). b L’enseignant n° 153 novembre 2012 demande ensuite aux élèves de chercher un argument qui révèle que toute la scénographie est une mise en abîme du théâtre (et pas seulement quand il est question de jouer la pièce de Treplev). Au préalable l’enseignant peut lire et commenter avec les élèves l’extrait de l’entretien de Sophie Perez. Voici quelques arguments : – l’importance du rideau qui est inspiré de l’histoire du théâtre russe et de la mise en scène de Stanislavski ; – le décor factice de la pièce de Treplev (arbres et rochers) ; – les murs de la maison qui évoquent aussi des châssis de théâtre ; – le jeu avec les nombreux cadres vides qui trouent les cinq éléments mobiles et qui peuvent être des portes, des fenêtres mais aussi des cadres de scène. À travers eux, les personnages espionnent, regardent des scènes qu’ils ne devraient pas voir ; – le déplacement à vue des meubles et des objets par des machinistes qui sont aussi ponctuellement acteurs (ils viennent d’ailleurs saluer) et des acteurs qui sont machinistes ; – le décor qui s’avoue décor de théâtre puisqu’il est déplacé, déconstruit et reconstruit à vue et que le spectateur ne voit que des murs coupés ou des pièces tronquées. Si les objets, les beaux meubles d’époque mis en lumière par Roberto Venturi entraînent le spectacle vers ce que Vitez appelait « un réalisme enchanté », la scénographie en revanche repose sur un jeu de construction et de déconstruction qui éloigne du réalisme et affirme la modernité. Ce mélange radical d’esthétiques fait bien résonner le propos de Tchekhov sur l’opposition entre formes anciennes et formes nouvelles. L’évolution du personnage à travers le costume « Nina a quatre costumes, dit Catherine Leterrier. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe : elle est devenue une femme marquée par la vie. » © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS Si l’espace évolue, les costumes aussi, signe du temps qui passe. Nina passe de « l’amour sororal » pour Treplev à un « amour événement » pour Trigorine, selon une distinction de Roland Barthes citée par Georges Banu 3. De l’espace de son enfance (les bords du lac) Nina part dans les grandes villes, prend le train… Nina est le seul personnage dont on peut dire qu’elle change vraiment : la toute jeune fille du début, rêvant d’amour et de théâtre, devient une femme qui part tenter sa chance sur les scènes de théâtre, a un enfant de Trigorine, enfant qui meurt, puis est abandonnée par son amant. 3. Banu Georges, op.cit. 17 Activité Observer deux costumes de Nina (annexe 16) n° 153 novembre 2012 Objectif : être sensible à l’évolution d’un personnage à travers ses costumes. b L’enseignant demande aux élèves d’ana­ lyser l’évolution de Nina à travers deux de ses costumes : costumes de l’acte I et de l’acte IV pour qu’ils mesurent l’évolution du personnage en l’espace de deux ans. Si à l’acte I elle est encore une toute jeune fille (costume aux couleurs claires, robe courte, sans manche et légère qui laisse voir beaucoup de chair), le costume de l’acte IV est long, plus sombre, recouvre le corps, sauf la poitrine et le cou entouré d’un foulard rouge, signe de sensualité. La robe a des rayures qui rappellent celles des costumes de l’actrice admirée de Nina, Arkadina. Un corset invisible soutient et enferme le corps moins libre qu’à l’acte I. Le manteau semi-long est recouvert de taches blanches qui peuvent évoquer la mouette à laquelle Nina s’identifie. La chevelure et le maquillage viennent accentuer cette transformation : les cheveux assez libres du début sont tirés et tenus par un chignon à la fin et les yeux non maquillés finissent charbonneux. La construction du personnage par l’acteur À la question : « Comment avez-vous construit le personnage de Macha ? » Agnès Pontier répond : « Je pense toujours à Macha comme si j’étais elle. Je regarde dans la rue les filles habillées en noir et qui cultivent cette façon de se vêtir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’évolution de Macha qui apparaît toujours en début et fin d’acte et ponctue la pièce. Sous son costume noir je cherche la vie, le pétillement, la ferveur. Certes elle se morfond mais, si je vais dans le sens du texte, cela peut devenir linéaire. Je l’imagine au contraire exaltée, lisant la poésie amoureuse de Louise Labbé. Sous le costume noir, serré et couvrant tout le corps brûle un feu intérieur. Je joue contre le costume qui pourrait évoquer une femme asexuée. » Activité Écrire la lettre de l’acteur à son personnage Objectif : comprendre le lien entre l’écriture de Tchekhov, la psychanalyse et la direction d’acteurs de Frédéric Bélier-Garcia. b L’enseignant demande aux élèves d’écrire la lettre de l’acteur à son personnage et de choisir l’un des quatre jeunes : Éric Berger écrivant à Medvedenko, Agnès Pontier à Macha, Manuel Le Lièvre à Treplev, Ophélia Kolb à Nina. La lettre doit révéler les choix de l’acteur dirigé par Frédéric Bélier-Garcia pour incarner son personnage et s’appuyer sur des souvenirs précis du jeu de l’acteur. Comme s’il était son double conscient, l’acteur écrit au personnage peu conscient de ses actes et paroles et lui révèle pour quelles raisons il l’incarne ainsi (actions, manières de parler, pensées intérieures, passage d’une émotion à l’autre sans transition, évolution, mouvements dans l’espace). L’enseignant précise que la psychanalyse est née à la même époque que La Mouette et que Tchekhov se tient constamment informé des travaux de Freud. Il n’est pas surprenant alors qu’il crée des personnages aussi peu maîtres de leurs paroles et de leurs gestes et dont nous nous sentons si proches aujourd’hui. Pour analyser cette écriture du non-dit et voir comment Frédéric Bélier-Garcia traduit cette inconscience du personnage, l’enseignant demande aux élèves de se souvenir de moments où un personnage agit sans savoir ce qu’il fait (Arkadina dit « Pourquoi ai-je blessé mon pauvre petit garçon ? ») ou parle à une personne et pense complètement à quelqu’un d’autre (l’actrice Ophélia Kolb — Nina — se jette dans les bras de Manuel Le Lièvre — Treplev — à l’instant même où elle dit aimer toujours Trigorine). Tchekhov, lui, proposait cette étreinte seulement à la fin de leur échange. La cruauté inconsciente de Nina est mise en valeur par la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia : Nina ne voit pas que ses mots et gestes sont en train de précipiter le suicide de Treplev. b Les élèves font entendre au reste de la classe un extrait de leur lettre. Celles-ci circulent enfin dans la classe pour être lues par tous. 18 Bibliographie n° 153 novembre 2012 Banu Georges, « Ruptures dans l’espace de La Mouette », dans Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978. La scénographie, Théâtre Aujourd’hui n° 13, SCÉRÉN, 2012. Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique », dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002. Nabokov Vladimir, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Stock, 1999. Nemirovski Irène, La vie de Tchekhov, Albin Michel, 1989. Pastoureau Michel, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Éd. du Seuil, 2003. Porché Dany, 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005 Stanislavski Constantin, Ma vie dans l’art, Éditions l’Âge d’Homme, 1980. Stein Peter, Mon Tchekhov, Actes Sud, 2002. Tchekhov Anton, La Mouette, préface de Patrice Pavis, traduction de Antoine Vitez, Actes Sud/ Librairie Générale Française, 1999. —, La Mouette, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud/Labor/Lemeac, 1996. « Stanislavski/Tchekhov », Alternatives théâtrales, numéro 87, octobre 2005. Vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993. Filmographie La petite Lili, Claude Miller, adaptation de La Mouette avec Nicole Garcia et Bernard Giraudeau, 2002. Partition inachevée pour piano mécanique, Nikita Mikhalkov, adaptation à l’écran de Platonov, 1977. La Mouette, Youli Karassik, Russie, Potemkine K, 1972. Ce dossier a été élaboré dans le cadre du PRÉAC (Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle Théâtre Angers-Nantes) Nos chaleureux remerciements à Frédéric Bélier-Garcia, directeur du NTA et metteur en scène, ainsi qu’à ses collaborateurs, qui ont permis la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions. Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur. La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite. Comité de pilotage Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Patrick LAUDET, IGEN Lettres-Théâtre Cécile MAURIN, chargée de mission Lettres, CNDP Marie-Lucile MILHAUD, IA-IPR honoraire Lettres-Théâtre Responsable de la collection Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Auteur de ce dossier Dany PORCHÉ, professeure de Lettres, formatrice Directeur de la publication Florence CABRESIN, directrice du CRDP de l’académie de Nantes Responsabilité éditoriale Cyril ROY Secrétariat d’édition Sandrine BERCIER Maquette et mise en page Lydia BOILEAU, d’après une création d’Éric GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris © CRDP académie de Nantes, novembre 2012 ISSN : 2102-6556 ISBN : 978-2-86628-461-1 Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée » 19 Annexes Annexe 1 : fiche technique n° 153 novembre 2012 Dates des représentations de La Mouette ANGERS : Le Quai du 14 au 24 novembre 2012 et au Grand Théâtre du 14 au 18 février 2013 NANTES : Le Grand T du 27 novembre au 5 décembre 2012 LA ROCHE-SUR-YON : Le Grand R les 10 et 11 décembre 2012 SAINT-NAZAIRE : Le Théâtre les 13 et 14 décembre 2012 TOURS : Le Nouvel Olympia du 17 au 21 décembre 2012 LA ROCHELLE : La Coursive les 15 et 16 janvier 2013 MARSEILLE : Le Théâtre du Gymnase du 22 au 26 janvier 2013 LYON : Théâtre des Célestins du 30 janvier au 10 février 2013 Durée estimée : 2 h 30 Distribution Avec : Nicole Garcia, Ophélia Kolb, Agnès Pontier, Brigitte Roüan, Éric Berger, Magne-Hävard Brekke, Jan Hammenecker, Michel Hermon, Manuel Le Lièvre, Stéphane Roger. Scénographie : Sophie Perez et Xavier Boussiron Costumes : Catherine Leterrier et Sarah Leterrier Lumières : Roberto Venturi Son : André Serré Collaboratrice du metteur en scène : Valérie Nègre Traduction : Antoine Vitez (Éditions Actes Sud/Le livre de Poche) Affiche : Vincent Flouret 20 Annexe 2 : Acte III (extraits) n° 153 novembre 2012 « Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, tête folle, tu veux faire des bêtises, mais je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et ces yeux à moi, et ces beaux cheveux de soie sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant de talent, d’intelligence, tu es le meilleur de tous les écrivains d’aujourd’hui, tu es l’unique espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour sain… » La Mouette © Actes Sud, 1984, p. 86. « Tant mieux je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor, ma tête brûlée, tu veux faire des folies, mais moi, je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… À moi… Et ce front, il est à moi, et ces yeux, ils sont à moi, et ces cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si intelligent, le plus grand des écrivains de notre temps, tu es le seul espoir de la Russie. Tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur, d’humour salubre… » La Mouette © Actes Sud / Labor / Lemeac, 1996, p. 90. Annexe 3 : Les personnages Irina Nikolaievna Arkadina, Mme Treplev par mariage actrice Constantin Gavrilovitch Treplev son fils, jeune homme Piotr Nikolaievitch Sorine son frère Nina Mikhailovna Zaretchnaia jeune fille, fille d’un riche propriétaire terrien Ilia Afanassievitch Chamraiev lieutenant à la retraite, intendant chez Sorine Paulina Andreievna sa femme Macha sa fille Boris Alexeievitch Trigorine homme de lettres Evgueni Sergueievitch Dorn médecin Semion Semionovitch Medvedenko instituteur Iakov homme de peine 21 Annexe 4 : Acte III (extraits) n° 153 novembre 2012 Treplev : Ces derniers temps, ces jours-ci, je t’aime aussi tendrement et totalement que dans mon enfance. À part toi, il ne me reste personne. Mais pourquoi cet homme s’est-il mis entre toi et moi ? [ndlr : il parle de Trigorine] Arkadina : Tu ne le comprends pas, Constantin. C’est une personnalité très noble… Treplev : Pourtant, quand on lui a fait savoir que j’avais l’intention de le provoquer en duel, sa noblesse ne l’a pas empêché d’être un lâche. Il s’en va. Il fuit honteusement. Arkadina : Quelle absurdité ! C’est moi qui lui demande de partir. Notre relation, évidemment, ne peut pas te faire plaisir, mais tu es intelligent et cultivé, j’ai le droit d’attendre de toi que tu respectes ma liberté. Treplev : Je respecte ta liberté, mais permets-moi aussi d’être libre et de me comporter envers cet homme comme je veux. Une personnalité très noble ! Nous voilà presque à nous disputer tous les deux à cause de lui, et pendant ce temps-là il est quelque part au salon ou dans le jardin en train de se moquer de nous… il fait l’éducation de Nina, il essaie de la persuader définitivement qu’il est un génie. Arkadina : Tu te délectes à me dire des choses désagréables. J’estime cet homme et je te prie de ne pas dire du mal de lui en ma présence. Treplev : Moi, je ne l’estime pas. Tu veux que je le considère moi aussi comme un génie, mais pardonne-moi, je ne sais pas mentir, ses œuvres me donnent la nausée. Arkadina : C’est de la jalousie. Les gens sans talent mais prétentieux n’ont pas d’autre ressource que de nier les talents véritables. Rien à dire, c’est une consolation ! Treplev ironique : Les talents véritables ! (Avec colère). Si on en est là, alors j’ai plus de talent que vous tous ! (Il arrache son bandeau). C’est vous, les routiniers, qui avez accaparé la première place dans l’art, et vous ne tenez pour légitime et véritable que ce que vous faites vous-mêmes, le reste vous l’opprimez, vous l’étouffez. Je ne vous reconnais pas. Je ne reconnais ni toi ni lui. Arkadina : Décadent !... Treplev : Retourne à ton théâtre bien-aimé, va-t’en jouer tes pièces misérables, dérisoires. Arkadina : Je n’ai jamais joué de pièces comme ça. Laisse-moi ! Toi, le moindre vaudeville tu n’es pas capable de l’écrire. Bourgeois de Kiev ! Parasite ! Treplev : Avare ! Arkadina : Loqueteux ! (Treplev s’assied et pleure doucement). Nullité. (Allant et venant avec agitation). Ne pleure pas. Il ne faut pas pleurer… (Elle pleure). Il ne faut pas… (Elle lui baise le front, les joues, la tête) Mon enfant chéri, pardon… Pardonne à ta mère coupable. Pardonne-moi, je suis malheureuse. La Mouette, traduction d’Antoine Vitez © Actes Sud, 1984, p. 82-83 22 Annexe 5 : Entretien avec Catherine Leterrier, costumière n° 153 novembre 2012 Est-ce que Frédéric Bélier-Garcia vous a proposé une époque pour les costumes de La Mouette ? Catherine Leterrier : Frédéric n’aime pas les faux culs, les tournures, les cols durs, les manches gonflées car il ne veut pas gêner les acteurs dans leur jeu physique et souhaite que le public s’identifie facilement aux personnages. Donc on ne respecte pas l’époque. On est plutôt dans un mélange d’époques. Frédéric ne voulait pas non plus que ces costumes évoquent la Russie. Apparemment vous vous êtes inspirée du peintre Vuillard ? C. L. – Oui, Frédéric a été très intéressé par Vuillard. Dans La Mouette les personnages sont au début pleins d’espoir, ils sont plutôt dans des couleurs et tissus unis. Puis petit à petit, comme la vie ne leur permet pas de réaliser leurs rêves, on a trouvé intéressant que les imprimés des costumes deviennent de plus en plus présents et donnent l’illusion d’entrer dans les imprimés du décor. Comme si les personnages s’effaçaient dans le décor ? C. L. – Oui, comme chez Vuillard où l’on voit émerger des gens qui sont enserrés dans un décor aux impressions fortes. Il fallait qu’entre le décor et les imprimés des costumes ça coince, ça s’agresse : les personnages semblent coincés entre les impressions du décor et ceux de leurs costumes. Dans La Mouette il y a des personnages de la campagne comme Chamraiev, Medvedenko et ceux de la ville comme Arkadina et Trigorine. À quoi le voit-on dans votre création de costumes ? C. L. – Pour Arkadina et Trigorine, Frédéric nous a dit de « faire nouveaux riches » surtout à l’acte IV. Les costumes de Chamraiev et de Medvedenko seront en revanche assez ravaudés. Mais même avec Arkadina on est resté dans la simplicité car Frédéric n’aime pas les détails. On a cherché plutôt une ligne. Pas de bouillonné ni de nœuds. On a aussi fait des liens entre des personnages comme Arkadina et Nina qui l’admire et voudrait lui ressembler : on a créé un costume avec de grosses rayures pour Arkadina (les rayures étant la marque des personnages hors de la société, bagnards comme acteurs) et à l’acte IV Nina, devenue une petite actrice ratée, porte aussi des rayures. Certains personnages ont plusieurs costumes : par exemple Nina qui change beaucoup entre le I et le IV. C. L. – Nina a quatre costumes. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe, elle est devenue une femme marquée par la vie. Vous vous occupez aussi des dessous ? C. L. – Oui, les silhouettes avec corsets semblent plus anciennes et coincées que les silhouettes avec soutien-gorge. Et les accessoires ? C. L. – Quelques réticules, le panama de Dorn mais pas de chapeaux de femmes. Frédéric ne veut pas trop marquer l’époque. 23 Annexe 6 : PHOTOS DE quelques COSTUMES n° 153 1 2 3 4 5 6 7 8 9 novembre 2012 10 Photos des costumes de La Mouette © dany porché 24 Suite de l’annexe 6 noms des personnages associés aux costumes n° 153 1 2 3 novembre 2012 Nina Chamraïev 4 5 6 Medvedenko Macha 7 8 Sorine 10 Dorn Treplev Paulina 9 Trigorine Arkadina 25 Annexe 7 : Les personnages et leurs costumes n° 153 novembre 2012 Macha [qui répond à la question de Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? »] « C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse… Ce n’est pas une question d’argent. Un pauvre peut être heureux. » Medvedenko à Macha « Je ne gagne que vingt-trois roubles par mois, et on me retient encore là-dessus pour la Caisse de retraite, pourtant je ne porte pas le deuil. » Sorine à Arkadina « Ce serait si bien de s’arracher, ne fût-ce qu’une heure ou deux, à cette existence de goujon. » Arkadina à son frère Sorine « Si, j’ai de l’argent, mais je suis actrice ; rien que les toilettes, c’est une ruine. » Paulina à Dorn « Evgueni, mon très cher, mon chéri, prenez-moi avec vous… Notre temps passe, nous ne sommes plus jeunes, et au moins à la fin de notre vie ne plus nous cacher, ne plus mentir… » Dorn à Paulina « J’ai cinquante-cinq ans, c’est trop tard pour changer de vie. » Treplev à Nina « Je suis solitaire, je n’ai pour me réchauffer aucune affection, j’ai froid comme dans un souterrain. » Trigorine à Nina « Quand je serai mort, mes amis, en passant devant ma tombe, diront : - Ici repose Trigorine. C’était un bon écrivain, mais il écrivait moins bien que Tourgueniev. » Nina à Trigorine « J’ai pris une décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. » Chamraïev à Arkadina « Chère madame, vous ne savez pas ce que c’est qu’une exploitation agricole. » 26 Annexe 8 : Entretien avec Sophie Perez scénographe n° 153 novembre 2012 Vous avez conçu une scénographie qui fait cohabiter intérieur et extérieur, un intérieur qui phagocyte petit à petit l’extérieur : un lac idéalisé, lieu d’une enfance merveilleuse, extérieur qui va être progressivement avalé par la maison… Sophie Perez : La Mouette parle de la mise en abîme du théâtre. Entre l’histoire de la mère, l’actrice Arkadina, du fils, Treplev, jeune auteur de théâtre qui a l’idée d’un théâtre moderne, ça ne fait que parler de réinventer le théâtre. À partir de là, la scénographie proposée est réversible : la maison est représentée par des châssis mais les châssis seront aussi des châssis de théâtre quand ils seront retournés. Il n’y a pas le lac mais il y a l’île. Tout est induit et tout est réversible. On a vraiment travaillé sur ce qui constitue le théâtre d’un point de vue archaïque, d’un point de vue scénographique aussi. Il y a un intérieur qui est très réaliste mais en même temps on voit les châssis qui sont apparents. Tout peut se moduler : ce qui est une pièce de la maison peut devenir un bout d’île. L’île peut devenir la moquette d’un intérieur. Il faut que cette scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité… Aucune époque précise ne se dégage de cette scénographie ? S. P. – Non, mais il y a des notions esthétiques, il y a l’histoire de la Russie et du théâtre russe de l’époque. Par exemple, je me suis inspirée, pour le grand rideau de scène, de la première mise de scène de La Mouette où Stanislavski utilisait des toiles peintes avec des arbres et, dans notre scénographie, il y a un rideau avec de la marqueterie de tissus. En fait notre scénographie s’inspire de l’histoire du théâtre et de l’histoire de La Mouette et de toutes ses représentations dont la première, celle de Stanislavski. Comment avez-vous traité le sol ? S. P. – Les îlots sont recouverts de moquette mais ils vont être jonchés de feuilles mortes (toujours la confusion entre intérieur et extérieur et la réversibilité possible). Il y a comme une histoire des saisons complètement inversée, renversée puisque la végétation est assez luxuriante, mais il y a des feuilles mortes qui jonchent le sol, et le sol qui pourrait être de la moquette d’intérieur. Tous les thèmes esthétiques sont comme chamboulés ou inversés. Le sol est composé d’îlots qui peuvent changer de place comme dans un puzzle ? S. P. – Oui, ces changements rendent compte des époques où les personnages se retrouvent (deux ans s’écoulent entre l’acte III et l’acte IV), de la manière dont les choses changent sans vraiment changer d’ailleurs. On sent dans La Mouette un héritage, un poids : un héritage terrible et magnifique, qu’on porte tous. La Mouette parle de la manière dont les choses se modulent tout en restant malheureusement ou heureusement identiques. Est-ce vous qui pensez les costumes ? S. P. – Quand je travaille avec Frédéric, je fais les costumes car j’aime penser à tout mais là c’est quelqu’un d’autre qui s’est occupé des costumes, quelqu’un de plus traditionnel. Les costumes évoqueront probablement la fin du xixe, le début du xxe. Et comme ce parti pris daté était là pour les costumes c’était bien d’être plutôt sur une évocation générale du théâtre dans la scénographie. Quelles seront les couleurs dominantes de la scénographie ? S. P. – L’intérieur de la maison ressemble à des casemates avec du papier peint. C’est vraiment la Russie, la datcha avec une accumulation de rideaux, de peintures, de tapisseries, de guéridons. L’intérieur est très chargé, très réaliste. Je voulais que l’intérieur des maisons soit réaliste comme au cinéma puisqu’on a une abstraction de l’espace. 27 Annexe 9 : Didascalies initiales des quatre actes Didascalie initiale de l’acte I n° 153 novembre 2012 Coin de parc dans la propriété de Sorine. Une large allée partant du public et traversant le parc jusqu’à un lac est barrée par une estrade hâtivement dressée pour un spectacle d’amateurs, si bien que le lac est entièrement invisible. À droite et à gauche de l’estrade, des buissons. Quelques chaises, une petite table. Le soleil vient de se coucher. Sur l’estrade, derrière le rideau baissé, Iakov, avec d’autres ouvriers ; on entend tousser, frapper des coups de marteau. Macha et Medvedenko arrivent sur la gauche, revenant de promenade. Medvedeno : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? Macha : C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse » Didascalie initiale de l’acte II Un terrain de croquet. Au fond, à droite, la maison, avec une grande terrasse ; à gauche on voit le lac, dans lequel un soleil étincelant se reflète. Parterres de fleurs. Midi. Il fait chaud. A côté du terrain, dans l’ombre d’un vieux tilleul, Arkadina, Dorn et Macha sont assis sur un banc. Dorn tient sur ses genoux un livre ouvert. Didascalie initiale l’acte III La salle à manger dans la maison de Sorine. Portes à droite et à gauche. Un buffet. Une armoire à pharmacie. Au milieu de la pièce, une table. Une valise et des cartons ; préparatifs de départ. Trigorine déjeune. Macha est debout à la table. Didascalie initiale l’acte IV Un salon dans la maison de Sorine, transformé par Constantin Treplev en cabinet de travail. À droite et à gauche, des portes donnant sur les pièces intérieures. En face, une porte vitrée donnant sur la terrasse. Outre le mobilier habituel d’un salon, il y a un bureau dans le coin à droite, un divan turc près de la porte de gauche, une bibliothèque, des livres sur les rebords de fenêtres, sur les chaises. C’est le soir. Le salon n’est éclairé que par une lampe à abat-jour. Pénombre. On entend le bruit des arbres et le hurlement du vent dans la cheminée. Le gardien de nuit frappe ses palettes de bois. Entrent Medvedenko et Macha. Annexe 10 : CADRES de scènes 28 Annexe 11 : Acte III (extraits) n° 153 novembre 2012 « Trigorine (rentrant) : J’ai oublié ma canne. Elle doit être là-bas, sur la terrasse. (Il se dirige vers la porte de gauche et rencontre Nina qui entre). C’est vous ? Nous partons. Nina : Je sentais que nous nous reverrions (Émue). Boris Alexéiévitch, j’ai pris une décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. Demain, je ne serai plus ici, je quitte mon père, j’abandonne tout, je commence une nouvelle vie… Je m’en vais, comme vous… à Moscou. Nous nous verrons là-bas. Trigorine, (après un regard autour de lui). Descendez « au bazar slave »… Prévenezmoi tout de suite… Rue Moltchanovka, maison Grokholski… Je me dépêche… Un temps Nina : Non, encore une minute… Trigorine : à mi-voix. Vous êtes si belle… Oh ! quel bonheur de penser que nous nous verrons bientôt ! (elle se penche sur sa poitrine). Je verrai encore ces yeux merveilleux, ce sourire inexprimablement beau et tendre… ces traits si doux, l’expression de la pureté angélique… Ma chérie… » Baiser prolongé La Mouette, traduction d’Antoine Vitez © Actes Sud, 1984, p. 88-89. 29 Annexe 12 : L’Affiche du spectacle affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1 novembre 2012 de Anton Tchekhov mise en scène Frédéric Bélier-Garcia tion duc Pro avec Nicole Garcia Ophelia Kolb Agnès Pontier Brigitte Roüan Eric Berger Magne-Håvard Brekke Jan Hammenecker Michel Hermon Manuel Le Lièvre Stéphane Roger production Nouveau Théâtre d’Angers Centre Dramatique National Pays de la Loire LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTS du mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012 GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENT du jeudi 14 au lundi 18 février 2013 ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVER NANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE… TOURS… LA ROCHELLE… MARSEILLE… LYON renseignements / réservations 02 41 22 20 20 www.lequai-angers.eu © VINCENT FLOURET Conception et impression : Setig Palussière, Angers. 10/2012. Photographie © Vincent Flouret. n° 153 30 n° 153 novembre 2012 Répliques dans lesquelles figure le mot « mouette » Nina à Treplev (acte I) « Mon père et ma mère ne veulent pas que je vienne ici. Ils disent que c’est la bohème ici… ils ont peur que je devienne actrice… Mais je suis attirée par ce lac comme une mouette… Mon cœur est plein de vous. » Treplev à Nina (acte II) « J’ai eu la bassesse de tuer cette mouette aujourd’hui. Je la dépose à vos pieds… C’est comme ça bientôt que je me tuerai moi-même. » Trigorine à Nina (acte II) « Un sujet m’est venu à l’esprit… : au bord d’un lac, depuis son enfance vit une jeune fille, comme vous ; elle aime le lac comme une mouette, elle est heureuse et libre comme une mouette. Mais par hasard un homme est passé, l’a vue et, par désœuvrement, il la fait périr comme une mouette. » Trigorine à Nina (acte III) « Il y a huit jours, vous portiez une robe claire… Nous avions parlé… il y avait une mouette blanche sur le banc. » Treplev à Dorn (acte IV) « Elle (Nina) signait la Mouette… dans ses lettres, elle répétait sans cesse qu’elle était une mouette. » Chamraïev à Trigorine (acte IV) « Un jour, Constantin Gavrilovitch avait tué une mouette et vous m’aviez chargé de la faire empailler. » Nina à Treplev (acte IV) « Je suis une mouette… Non ce n’est pas ce que je veux dire. » 31 Annexe 13 : Note d’intention de Frédéric Bélier-Garcia n° 153 novembre 2012 Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de l’existence, chaque personnage est introduit dans un duo (Macha-Medvedenko, Treplev-Sorine, Dorn-Paulina…) puis y va de son numéro. Chacun essaie d’être aimable, de faire l’aimable tandis qu’au plus profond de lui ahane la panique d’exister, qu’on essaie de faire taire en babillant, braillant, chantant. Comme cet enfant qui, obligé d’aller chercher quelque chose à la cave, chante de plus en plus fort pour disperser les fantômes et les peurs. Qu’as-tu fait de ta vie ? Et des promesses premières ? La question est toujours effroyable, aussi imparable qu’un matin blême. Ici chacun y est convoqué, la fuit, la contourne, s’y fracture, s’étouffe dans l’anorexie progressive du présent, s’exaspère à attendre alors qu’il sait qu’il n’y a rien à patienter, et sort de scène en espérant que les autres « ne garderont pas un mauvais souvenir ». Raconter La Mouette, c’est mettre en acte cette grande bataille immobile qu’est la vie, où tout est déjà « trop tard ». Chacun poursuit un amour, une ambition, une chimère qui se dérobe quand il croit la tenir. Dans La Mouette, le rêve est toujours au plus proche, prêt à emporter chaque être vers le meilleur, mais les personnages, comme de grands oiseaux incapables de voler, demeurent dans ce décor, dans ce théâtre, qui se flétrit sur eux, en eux au fil des actes et des années. Et en bout de piste, les personnages semblent attendre une fête qui n’a pas eu lieu. Pour finir comme les silhouettes de Vuillard par s’effacer dans le motif mural. Mettre en scène Tchekhov, c’est s’éprouver à l’humilité de Tchekhov, comme un pianiste joue les variations Goldberg. Une humilité foisonnante de ressources, de détails, de couleurs. La vérité y est tant dans les mots que dans l’infime variation météorologique, le reflet d’un lac, un courant d’air, la couleur d’un tissu. La modestie de Tchekhov tient dans son inquiétude de l’entre-deux : tenir en même temps la voie symbolique (le lac, le théâtre, la mouette, le noir de Macha…) et la veine naturaliste, comme si l’affaire humaine se tenait dans cette gravité subtile des choses et des êtres pris entre leur poids matériel et leur destination poétique. La Mouette, plus que toutes ses autres pièces, porte cette ambiguïté à sa quintessence. 32 Annexe 14 : Entretien avec Frédéric Bélier-Garcia metteur en scène n° 153 novembre 2012 Tchekhov est un des rares auteurs qui a su rendre vivante une communauté de personnages (une dizaine en l’occurrence pour La Mouette), communauté familiale où chaque personnage a sa place très définie. Mais ces scènes chorales sont particulièrement délicates à mettre en jeu. Frédéric Bélier-Garcia : La difficulté de ces scènes chorales, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur le plateau. Il faut alors veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice, que chacun se trouve une implication dans le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains dans le dialogue, que ce ne soit pas de l’ordre de la conversation. Ainsi au début de l’acte II, il y a les deux êtres faibles de la pièce, Medvedenko et Macha, qui sont rabroués dans le dialogue et, pour que leur vexation soit plus forte, il faut qu’elle ait lieu en public. Mais chaque personnage du chœur doit réagir à cette humiliation de manière vivante. L’autre question posée par l’écriture de Tchekhov, c’est ce qu’on appelle le sous-texte, ce qui n’est pas dit mais que doivent imaginer l’acteur et le metteur en scène pour faire comprendre ce qui est dit. Dans la scène entre Trigorine et Nina (fin de l’acte III) par exemple où les points de suspension sont nombreux, comme très souvent chez Tchekhov, vous semblez imaginer que, derrière cette hésitation de Trigorine, il faut voir une gêne de retrouver Nina à la fin de l’acte III qu’il a finalement assez vite oubliée. F. B.-G. – Dans la pièce, tout n’est pas écrit. L’histoire de Trigorine et de Nina se décompose en trois scènes. La nature de leur amour est en grande partie laissée à l’interprétation des acteurs et du metteur en scène. On sait que ces trois scènes se terminent par un baiser (fin de l’acte III) et on sait ce qu’il advient à Nina (par Treplev à l’acte IV). Mais qu’aime Nina en Trigorine ? Est-ce lui qu’elle aime ou la gloire qu’il représente ou ce mode de vie mondain et moscovite. Du point de vue de Trigorine aussi il y a des doutes sur l’importance qu’il accorde à cet amour pour Nina. Tchekhov n’appréciait pas l’interprétation de Trigorine par Stanislavski qu’il trouvait trop élégant, trop « dragueur ». Il ne voulait pas d’un Trigorine « homme à femmes » mais plutôt pris dans ses problèmes littéraires. Tchekhov proposait que Trigorine ait des chaussures trouées et un pantalon à carreaux. Trigorine est effectivement un terrien, qui aime manger (début acte III), pêcher… Pour revenir au passage que vous évoquez, on ne sait si Trigorine revient dans la maison vraiment pour voir Nina et donne le prétexte de la canne à pêche oubliée ou s’il vient effectivement rechercher sa canne à pêche et a déjà oublié le rendez-vous avec Nina. La deuxième hypothèse est sans doute plus intéressante car elle crée une grande tension entre Nina qui ne rêve que de Trigorine et Trigorine qui l’a déjà oubliée. Revenons à votre distribution : vous choisissez, pour jouer l’actrice Arkadina, votre mère Nicole Garcia très connue aussi dans le monde du cinéma. La notoriété de l’actrice Nicole Garcia vous permetelle de suggérer la célébrité dont le personnage Arkadina dit connaître ? F. B.-G. – Je ne veux pas jouer sur la notoriété mais plutôt sur des générations d’acteurs. J’ai choisi deux générations d’acteurs : l’une qui a commencé dans un théâtre d’avant-garde dans les années 1970 et a eu progressivement une notoriété au cinéma (ceux qui jouent Arkadina, Sorine, Paulina) et la génération plus jeune (ceux qui jouent Medvedenko, Treplev, Nina et Macha) composée d’acteurs sortis des conservatoires en même temps et qui font des recherches surtout dans le domaine théâtral. L’histoire de la Mouette est une histoire de générations : le triomphe des parents qui refusent de passer la main, la victoire d’une génération passée sur la génération présente. 33 Annexe 15 : Le jeu choral n° 153 novembre 2012 © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS 34 Annexe 16 : L’évolution du costume de Nina n° 153 novembre 2012 © DANY PORCHÉ © DANY PORCHÉ © STÉPHANE TASSE © STÉPHANE TASSE © STÉPHANE TASSE