Publicité lumineuse en Europe - Encyclopédie pour une Histoire

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Publicité lumineuse en Europe
Langue Français
Les publicités lumineuses apparaissent au tournant du XXe siècle. Constituées de lampes
à incandescence puis de tubes luminescents au néon, leur émergence s’effectue au
rythme de circulations transatlantiques. Après le blackout de la Seconde Guerre
mondiale, toutes les villes ne connaissent pas la même renaissance de ces lumières
commerciales. La méfiance ancienne des pouvoirs publics s’accroît au moment des
chocs pétroliers et cette remise en question est encore largement perceptible
aujourd’hui, donnant à la ville européenne un visage publicitaire singulier.
Paris, vers la fin des années 1950.
Source : avec l'aimable autorisation de
© JCDecaux
La publicité lumineuse naît à la fin du XIXe siècle dans les métropoles occidentales, à une époque
où l’électricité est encore rare et chère. Son avènement est porté par l’industrialisation et
l’urbanisation rapides, le développement de nouvelles technologies d’éclairage et l’appropriation
nocturne de la ville par les foules. Ces villes en pleine croissance, concentrant souvent pouvoir
politique et puissance économique, incarnent la modernité.
New York est le berceau de cette nouvelle forme de publicité et les premiers dispositifs réalisés en
Europe à partir de lampes à incandescence s’en inspirent très largement. L’avènement des tubes
luminescents au néon inverse le sens de ces flux transatlantiques et renouvelle les paysages
métropolitains. Ces tubes sont mis au point par le chimiste Georges Claude qui s’associe en 1912
à une entreprise parisienne de publicité lumineuse, les Établissements Paz et Silva. Le premier
dispositif fut ainsi installé sur la toiture d’un immeuble du boulevard Haussmann à Paris. Ensuite,
Georges Claude promut leur expansion et, dès 1915, il commença à exploiter ses brevets à
travers le monde et en particulier aux États-Unis où il usa de la même stratégie que dans la
capitale française. Il commença par fonder la Neon Claude Light Inc. en 1924, puis collabora avec
la société Strauss pour installer une publicité au croisement de la 45e Rue et de Broadway.
En Europe, la mutation fut rapide. Les métropoles du Nord furent les premières ciblées. Des néons
s’installèrent en Belgique, puis firent une entrée discrète en Hollande à partir de 1922. Trois ans
plus tard, Odol, les cigarettes Clyama et Philips figuraient parmi les principaux annonceurs. Dans
les lieux les plus animés, le néon trouva sa place aux côtés des traditionnelles publicités à
incandescence comme en témoignent des photographies de l’époque. D’autres sources encore
attestent du développement du néon en Europe du Nord et de la circulation des analyses sur le
néon dans l’aire européenne. Ainsi, les archives du London County Council révèlent que, en 1925,
les pompiers de Londres organisèrent une mission à Amsterdam pour étudier ses dispositifs et les
mesures mises en place pour éviter les incendies.
L’expansion du néon atteignit également le sud du continent. En décembre 1923, les premières
publicités furent installées à Lisbonne pour Colgate, les machines à écrire Royal et les automobiles
Fiat. En Italie, le néon apparut pour la première fois à Turin, pour vanter l’apéritif Cinzano. Par
ailleurs, en 1935, la société de Georges Claude conclut une convention en vue de l’exploitation de
ses licences par la société madrilène Electrodo et l’année suivante avec la société milanaise
Fabbriche Neon.
Cette période de l’entre-deux-guerres représente l’apogée de la publicité lumineuse européenne.
Il n’était pas de capitale qui ne possédât sa place ou son boulevard dédié à cette nouvelle forme
de communication. Piccadilly Circus à Londres, la place de Brouckère à Bruxelles ou encore la
Potsdamer Platz à Berlin brillaient dès la nuit tombée du nom des marques de secteurs aussi
variés que le luxe, les alcools ou l’alimentation. Les publicités étaient alors considérées comme
une manifestation de la modernité. Ainsi, lors de son festival d’octobre 1928 consacré à la
lumière, Berlin se lança dans une célébration tant matérielle que métaphorique de tout ce qui liait
lumière et progrès : illuminations de vitrines, éclairage des bâtiments publics et bien sûr publicités
lumineuses furent mis à l’honneur. La publicité Citroën sur la tour Eiffel entre 1925 et 1934
constitua l’acmé de cet enthousiasme, bien qu’elle suscitât quelques protestations. Lancée à
l’occasion de l’exposition des Arts décoratifs, cette publicité aux 650 000 lampes à incandescence
était alors la plus grande du monde. Emblématique d’une certaine vision de la modernité, elle
témoigne d’une époque aujourd’hui révolue où la publicité lumineuse était encore acceptée en
Europe.
La Seconde Guerre mondiale introduisit à cet égard des divergences entre les métropoles. Après
le blackout imposé par la guerre, des villes comme Londres virent très vite le réveil des lumières
commerciales, contrairement à Paris où ce retour fut plus progressif du fait d’une nouvelle
réglementation plus restrictive. Quant à l’est du continent, sous influence soviétique, les publicités
lumineuses, interprétées comme une forme d’américanisation, y furent interdites. En dépit de
cette diversité, une même dynamique traversa l’Europe : la méfiance des pouvoirs publics envers
les néons. Déjà fort ancienne, elle connut un regain au moment des chocs pétroliers puisque la
plupart des pays s’accordèrent à réduire la durée d’allumage des publicités. Pierre Messmer,
Premier ministre français, annonça ainsi en novembre 1973 dans une allocution télévisée sa
décision d’interdire la publicité lumineuse, l’éclairage des vitrines et des bureaux inoccupés entre
22 heures et 7 heures du matin. En Suède, les mesures furent encore plus radicales puisque,
durant trois mois, les enseignes lumineuses durent rester éteintes. Cette crise, couplée à
l’émergence des préoccupations écologiques, touchait l’ensemble des pays et fut l’occasion d’unir
plus concrètement les membres de la Fédération européenne de l’enseigne et de la publicité
lumineuse, créée en 1966. Celle-ci était née de la volonté de diverses associations nationales qui,
bien qu’exposées à des réglementations locales et nationales variées, partageaient une même
inquiétude face à la montée des restrictions.
Cette remise en question de la publicité lumineuse est encore perceptible aujourd’hui où l’on
observe un net décalage entre des métropoles du Golfe et de l’Extrême-Orient, qui en font des
signes de leur modernité et des capitales européennes caractérisées par un profond
désengagement. Les publicités de Piccadilly Circus, aujourd’hui au nombre de six, étaient trois fois
plus nombreuses quelques décennies auparavant, couvrant trois pans de la place et s’étendant à
l’est jusqu’à la façade du London Pavillion. Sur la place de Brouckère à Bruxelles, seul un écran
pour Coca-Cola évoque les années 1970, lorsque la place était constellée de publicités
multicolores et clignotantes. À Paris également, les publicités lumineuses ont quitté les grands
boulevards et les Champs-Élysées pour rejoindre les abords du boulevard périphérique,
notamment entre la porte Maillot au nord-ouest et la porte de la Chapelle au nord, de part et
d’autre de ce que les professionnels ont surnommé la « Voie des Présidents » en référence aux
directeurs d’entreprises étrangers qui l’empruntent pour rejoindre l’aéroport de Roissy.
Ainsi, tandis que Times Square est désormais sanctuarisé – d’aucuns parlent de « disneyfication »
– l’Europe se caractérise par le déclin de ses publicités du fait d’une réglementation
volontairement restrictive. Celles-ci sont perçues comme préjudiciables pour la ville et son image,
source de gaspillage énergétique et de pollution. Ces lumières, jugées agressives, ont été
remplacées par la douceur des illuminations parant les rues et les monuments de leurs plus beaux
attraits. La patrimonialisation de la ville et de son architecture s’est assortie d’un bannissement
progressif de la publicité lumineuse hors de la cité. La publicité lumineuse en Europe a donc vécu.
Des entreprises européennes restent néanmoins leader sur ce marché devenu désormais mondial.
C’est le cas en particulier de DÉFI-group, fondé en France en 1977, qui fut parmi les premiers à
s’installer à Moscou et à Pékin.
Auteur-e-s
Stéphanie LE GALLIC
Bibliographie
NEUMANN, Dietrich, Architecture of the Night : the Illuminated Building, Munich, Prestel, 2002.
e
SCHIVELBUSCH, Wolfgang, La nuit désenchantée. À propos de l’histoire de l’éclairage artificiel au XIX siècle,
Paris, Le Promeneur, 1993.
STERN, Rudi, The New Let There Be Neon, New York, Harry N. Abrams, Inc., Publishers, 1988.
Titre
La publicité lumineuse en Europe
URL source:
http://ehne.fr/article/civilisation-materielle/modernites-materielles-reflet-dune-europe-en-croissance/la-publi
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