Le mouvement existentialiste Intervention 19-26 mai 2016 Lycée Classique Barbara Wahl Pourquoi l’existentialisme s’affirme au XX° siècle? Après les deux guerres mondiales, dans les années ‘50, un nouvel esprit s’installe: plus de confiance démesurée dans l’humanité, capable de s’autodétruire, (extermination et bombes atomiques). (Paul Valéry: «Nous, les civilisations, nous avons compris que nous sommes mortelles») Un sentiment général de non-sens s’étend dans la littérature, les arts, la philosophie. Et il s’agira d’assumer le fait que notre existence n’a aucun sens ou, au contraire , de trouver le moyen de lui donner du sens. Pour vivre, il ne convient pas de donner un sens à ce qui n‘en a pas, mais de comprendre que c'est ce non-sens qui caractérise la vie humaine. Les philosophies de l'existence • De nombreux mouvements de pensée peuvent être regroupés sous cette étiquette mais aucune "école" particulière. Si nous voulons nommer des existentialistes (Kierkegaard, Heidegger, Sartre, Camus, de Beauvoir, Marcel..) un seul accepterait ce nom: Sartre, et encore, à certaines conditions. • Alors, quels sont les éléments qui convergent dans ce que l’on peut regrouper sous ce nom? Avant tout, la notion d’homme comme sujet appelé à s’interroger sur sa propre expérience d’existant, son sujet de réflexion étant lui-même et son insaisissabilité. Une pensée ancienne et nouvelle • La pensée de l’existence remonte à l’origine de la philosophie: Socrate, SaintAugustin, Montaigne, Pascal, sont certainement des philosophes de l’existence. • Le fondateur de cette philosophie, Kierkegaard, est celui qui pose sous un signe positif le penseur subjectif (moins je pense plus je suis et plus je pense moins je suis)(≠le cogito cartésien) • Heidegger en est le théoricien «L’homme n’a pas d’essence car son essence est dans son existence» • Sartre, reprenant Heidegger, va jusqu’à dire: «L’existence précède l’essence», renversant les termes du problème. Une philosophie? Une mode? Une manière de penser? • L'existentialisme est souvent confondu avec la mode qui est née vers les années ´50, à Paris, dans les caves et les cafés de Saint-Germain….le mélange entre musiciens, philosophes, chanteurs, poètes, peintres… crée une légende qui ne correspond que partiellement à la philosophie de l’existence. Mais l’état d’esprit est partagé: inquiétude, angoisse, mais aussi libération et désir de se tourner vers de nouvelles valeurs. • Les «intellectuels» écrivains ou poètes comme Queneau, Prévert, Vian ou même Sartre écrivent des textes pour les chanteurs, la pensée circule, se manifeste au jour. Sartre, Simone de Beauvoir et Boris Vian, Sartre écrivant au café, Sartre; Camus, Picasso, Lacan, Reverdy…le mélange des arts. Qu’ est ce que l'existence? • La notion classique de l'essence (ou Idée platonicienne, substance aristotélicienne, noumène kantien, esprit absolu hégélien) qui précéderait l'existence est contestée: l'existence est pleinement suffisante à elle-même et ne renvoie à aucune autre étape préalable. Ce qui est ici et maintenant, humainement vécu est la seule réalité philosophique à assumer. (Ex-sistere: être hors de soi, c’est être dans le monde.) L’existentialisme va permettre d’expliquer l’homme sans recourir à des catégories religieuses ou métaphysiques. Tout ce qui arrive est contingent, ne dépend alors que de mes choix. Sans essence? S’il n’y a pas d’essence première, supérieure à l’existence, alors il n’y a pas de loi, pas destin, nous sommes jetés dans le monde sans connaitre la raison de notre être-au-monde, sans que notre existence ait une finalité. L’idée fondamentale du monde classique – le destin - qui nous persécute peutêtre (mythe d’Oedipe) mais qui doit s’accomplir et que nous ne pouvons qu’accepter disparait- la nécessité laisse sa place à la contingence. Nous avons à créer nos propres valeurs, dans l’«ici et maintenant» sans avoir la boussole des valeurs morales ou religieuses ou classiques; le changeant, le devenir, l’unique et l’éphémère sont à la base de notre existence, et ce sur quoi il faudra construire. Deux directions possibles C’est ainsi que naissent les premières philosophies dites existentielles, celles qui fondent leur recherche sur la donnée qui nous est la plus immédiate et la plus difficile à connaitre: notre propre existence, indubitable mais aussi inconnaissable, personnelle, individuelle, mouvante, en changement perpétuel. L’existence est connaissable seulement en tant que vécue. Elles partent soit de la foi en Dieu et c’est • l’existentialisme des croyants tels que Kierkegaard, Pascal, G. Marcel, J. Maritain, Martin Buber et Lévinas, Paul Ricoeur… la foi, ici et maintenant mais aussi ailleurs et après la mort, qui donne son sens à l’existence soit • L’existentialisme athée* qui est celui qui nous intéresse car, ne posant pas Dieu, il pose le fait que l’existence n’a pas de sens ultime. L’existence est donc absurde. L’existentialisme athée de Sartre Dostoïevski avait écrit : “Si Dieu n'existait pas, tout serait permis.” C'est là le point de départ de l'existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n'existe pas, et par conséquent l'homme est délaissé, parce qu'il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses. Si, en effet, l'existence précède l'essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n'y a pas de déterminisme, l'homme est libre, l'homme est liberté. Si, d'autre part, Dieu n'existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. Ainsi, nous n'avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C'est ce que j'exprimerai en disant que l'homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu'il ne s'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. L'existentialiste ne croit pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement l'homme à certains actes, et qui, par conséquent, est une excuse. Il pense que l'homme est responsable de sa passion. L'existentialiste ne pensera pas non plus que l'homme peut trouver un secours dans un signe donné, sur terre, qui l'orientera; car il pense que l'homme déchiffre lui-même le signe comme il lui plaît. Il pense donc que l'homme, sans aucun appui et sans aucun secours, est condamné à chaque instant à inventer l'homme. Ponge a dit, dans un très bel article : “L’homme est l’avenir de l’homme.” C'est parfaitement exact. [J.P. Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1946]