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l’invité du mois
FRANCIS
CARNOY
Directeur général de
la CCW (Confédération
Construction Wallonne) ALAIN DEPRET SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
On le sait, les collectivités locales représentent la moitié des investissements publics totaux du
pays, et jusqu’à 60 % à l’approche des élections communales. En cette période de crise, les
investissements locaux ont donc un rôle de relance économique essentiel à remplir. Dans ce
cadre, la CCW, la Confédération Construction Wallonne, veut aujourd’hui lancer un large appel
aux candidats aux élections d’octobre 2012. Le Mouvement communal ouvre aujourd’hui ses
colonnes à Francis Carnoy, Directeur général de la CCW. Pour lui, les communes disposent ainsi
de nombreux leviers pour un partenariat gagnant-gagnant avec le secteur de la construction.
Monsieur Carnoy, pouvez-vous rappeler à nos lecteurs quelles
sont les missions de la CCW ?
La CCW est le partenaire professionnel des entreprises de
construction wallonnes. Elle est représentée dans diverses
6 MOUVEMENT COMMUNAL N°869 JUINJUILLET 2012
organisations publiques et privées pour défendre les intérêts des
entreprises affiliées, petites, moyennes ou grandes. Notre mission
est d’être le porte-parole du secteur, mais aussi de le promouvoir
et de donner des conseils sur les matières régionalisées. Pour
répondre au quotidien aux besoins des entrepreneurs, la CCW
a créé des services performants : énergie, emploi, formation,
environnement, droit, urbanisme, aspects socio-économiques
et financiers, gestion de la qualité, sécurité et communication.
L’asbl regroupe une vingtaine de fédérations de métiers et une
dizaine de chambres syndicales de la construction. Au total, cela
représente donc 15 000 entreprises affiliées dont 5 000 en Wallonie. Cela fait de la CCW la principale organisation patronale
wallonne en termes de nombre d’affiliés. Nous représentons 1/10
de l’économie en quelque sorte… Le secteur de la construction
occupe 65 000 salariés et 12 000 indépendants. D’innombrables activités
économiques sont liées en amont et
en aval à la construction. Au total, la
filière représente en Wallonie 10 %
du PIB, 100 000 emplois salariés et
20 000 indépendants.
Concernant les communes, je suppose que le domaine des marchés publics vous intéresse plus
particulièrement…
Le domaine des marchés publics est
en effet très important pour nous,
parce que cela représente environ
25 % du chiffre d’affaires du secteur de la construction. Et, dans ces
25 %, les pouvoirs locaux sont les principaux donneurs d’ordres.
On sait aussi que, au niveau de l’ensemble de la Belgique, la moitié
des investissements publics émane des communes. La loi sur les
marchés publics est très complexe et les communes ont parfois un
peu de mal à en respecter toutes les finesses. Ainsi, nous dénonçons régulièrement un certain nombre de défauts de gestion de
la part des communes… C’est évidemment, dans la plupart des
cas, involontaire, mais nous pensons cependant qu’il y a parfois
un manque de volonté de se conformer strictement à la loi. Ainsi,
le receveur communal ne paiera les factures que lorsqu’il sera sûr
que toutes les conditions légales seront réunies. Et cela concerne
également l’incontestablement dû. Cela met des centaines de
PME en difficulté de trésorerie.
Les manquements ne sont que du côté des communes, vous
pensez ?
Je suis le premier à dire qu’il y a aussi des manquements au niveau
des entreprises. Ainsi, nous formons régulièrement les PME
et les entreprises à la bonne gestion des marchés publics. Nous
sommes d’ailleurs tout à fait à l’écoute des communes si elles ont
des reproches à faire. Nous devons travailler ensemble pour une
bonne gestion collective et bien utiliser l’outil des marchés publics
au bénéfice de l’ensemble de l’économie wallonne.
Vous venez de publier un mémorandum à l’attention des élus
communaux. Quelles en sont les grandes revendications ?
La filière s’approvisionne à 80 % sur le marché local. S’appuyer
sur la construction constitue un choix stratégique soutenu par
les organisations patronales et syndicales du secteur. Pour nous,
malgré la crise, les communes doivent impérativement maintenir leur rythme d’investissement. Comme tous les six ans, un pic
d’investissements locaux était attendu dès 2010, mais il s’avère
moins élevé que prévu car les communes restent prudentes suite
à la crise bancaire et financière, à l’assainissement des finances
publiques et aux transferts de charges. La prudence financière
des communes se répercute évidemment sur le volume de commandes aux entreprises. Mais il y a une deuxième conséquence
qui pénalise les entreprises : le lancement d’adjudications dont
le financement n’est pas assuré, ce qui perturbe le planning des
soumissionnaires ou engendre des frais d’étude. Des adjudications sont en effet lancées par les communes, l’entreprise lance
les études, fait ses devis alors que l’ordre de lancer les travaux n’est
jamais donné. Une véritable perte d’énergie. Le lancement d’adjudications devrait être lié à la disponibilité des crédits budgétaires.
Y-a-t-il, selon vous, des solutions qui
soient à la portée des communes ?
Les solutions sont, me semble-t-il, à
trouver dans la gestion financière et le
choix des priorités. Il s’agit également
de maintenir le dialogue entre les
communes et l’État fédéral, et entre
les communes et la Région wallonne,
pour maintenir une capacité d’investissement local suffisante. On touche
là à une responsabilité politique globale qui ne dépend pas uniquement
que des pouvoirs locaux. C’est la responsabilité politique de l’ensemble
des décideurs belges que d’assurer un niveau de services adéquat.
Les besoins sociétaux se multiplient : logements, crèches, maisons de repos, infrastructures sportives, écoles, voiries, friches,
rénovation énergétique des bâtiments publics… Pour rencontrer
tous ces besoins, les communes doivent impérativement continuer à investir et obtenir des autorités fédérales et régionales de
préserver leur capacité d’investissement. Il est important de continuer à investir parce qu’un entretien reporté décuple son coût à
terme. Il importe que les communes établissent rigoureusement
leurs besoins en entretien structurel et programment les travaux
sur plusieurs années. La formule du « droit de tirage » peut s’avérer
stimulante en ce sens.
Vous êtes donc pour le droit de tirage ?
Le droit de tirage serait en effet une nouvelle forme de financement adéquate. Une nouvelle forme qui a d’ailleurs déjà fait ses
preuves en matière de voirie. Le droit de tirage accélère en effet la
procédure, sans contestation aucune. Sur ce point, nous sommes
parfaitement en phase avec l’UVCW.
Excluez-vous certains modes de financement alternatif comme
les PPP ?
Les financements classiques doivent certes rester la règle. Une
norme d’investissement public de 3 % du PIB est d’ailleurs
recommandée par les autorités européennes. Cependant, les
financements alternatifs et les partenariats public/privé peuvent
offrir une alternative, mais celle-ci ne pourra être que partielle
et devra être bien balisée, notamment pour rester accessible aux
acteurs de différente taille. Je suis le premier à dire que les PPP
ne sont pas la solution universelle, que ce sont des marchés plus
lourds à passer où il faut être spécialement prudent parce qu’on
est à la limite entre les marchés publics et une forme de négociation plus ouverte. Nous plaidons donc pour un décret PPP, qui
rassurerait les acteurs de taille moyenne, et des contrats-types
PPP standards.
LA RESPONSABILITÉ
DES DÉCIDEURS EST
D’ASSURER UN NIVEAU
DE SERVICES ADÉQUAT
JUINJUILLET 2012 N°869 MOUVEMENT COMMUNAL 7
l’invité du mois
Jusque-là, j’ai plutôt l’impression que vous êtes d’accord avec les
revendications de l’UVCW… Selon vous, comment pourrait-on
rendre les marchés publics communaux plus attractifs pour les
entreprises ?
A travers son mémorandum, la CCW réitère son appel aux communes pour améliorer leur gouvernance en marchés publics. Il
s’agit d’appliquer les dispositifs de simplification administrative
mis à la disposition des communes, d’effectuer les paiements
aux entreprises dans les délais légaux, d’accorder aux entrepreneurs des formules de révision en conformité avec la réalité
économique et de libérer rapidement les cautionnements sur
les travaux réalisés. Malgré la création du portail électronique
des marchés publics et la sensibilisation des communes par les
autorités régionales et l’UVCW, la situation ne s’améliore que
trop lentement, selon nous. Ce qui dissuade un grand nombre de
PME de soumissionner. La CCW espère que le Plan « Ensemble
Simplifions », le « Small Business Act » wallon et le Plan d’action
« industrie » contribueront à résoudre les problèmes, et invite les
communes à s’inspirer des progrès de l’administration régionale.
Ces trois plans se regroupent, se recoupent et comprennent une
série de recommandations en termes de marchés publics que
nous rejoignons totalement et desquelles nous invitons les communes à s’inspirer.
Quoi d’autre ?
D’autres mesures sont à l’étude avec les autorités régionales : simplification de la tutelle, instauration d’un guichet unique, adaptation du statut du receveur communal, instauration d’un « coffrefort électronique »… Le cahier de charges type Qualiroutes et le
futur CCT-BW, cahier de charges type bâtiment wallon, amélioreront la relation maître d’ouvrage/entrepreneur et la qualité des
travaux et participeront à la simplification administrative. La CCW
espère que leur application sera généralisée et sans dérogation, y
compris au niveau local. Nous appelons fortement les communes
à les utiliser, ce sont de bons outils qui vont améliorer la relation
donneurs d’ordres et exécutants, qui seront de bons outils de promotion de la qualité durable, de l’innovation dans la construction.
Nous savons que plusieurs communes restent attachées à leurs
anciens cahiers de charge et il va falloir donc faire un effort de
formation.
Quel est votre avis quant aux règles actuelles en matière d’urbanisme ? Comment dynamiser l’économie, selon vous, en ce
domaine ?
Les multiples réformes du Cwatupe ont alourdi le texte et complexifié sa mise en œuvre par les fonctionnaires, architectes et
constructeurs. La CCW soutient le travail officiel d’évaluation du
Cwatupe pour le rendre plus lisible et plus souple. Un Cwatupe
ainsi révisé permettra de répondre aux nombreux besoins en
construction résidentielle et non résidentielle pour créer 200 000
nouveaux logements avant 2026, aménager de nouveaux zonings
et densifier les zonings existants. Déjà aujourd’hui, les communes pourraient fluidifier le rythme de délivrance des permis.
La CCW insiste sur l’urgence d’instruire les demandes de permis
avec pragmatisme, ce qui contribuera à la reprise économique.
Vous évoquez ici la crise du logement… Quel est votre avis à ce
propos ?
La population wallonne augmentera de 333 000 habitants d’ici
2026. En outre, la taille moyenne des ménages diminue, ce qui
accroit d’autant plus le nombre de ménages à loger, et donc de
logements à créer. 201 000 nouveaux ménages devront être logés
d’ici 2026. Depuis 2007, le nombre de logements produits annuellement a diminué de 35 %. L’offre de logements ne rencontre plus
la demande, d’où la pénurie. Les prix de l’immobilier grimpent
plus vite que l’inflation et des milliers de ménages n’arrivent plus
à se loger décemment. En moyenne, chaque commune wallonne
devra accueillir 800 nouveaux logements, publics et privés, d’ici
quinze ans. La demande s’oriente vers des logements plus petits et
moins chers, avec une proportion importante de logements adaptables en fonction de l’évolution familiale ou de l’état de santé de
ses occupants. La nouvelle programmation régionale va dans la
bonne direction, mais l’effort devra être poursuivi dans le temps.
Pour investir davantage, les SLSP et les pouvoirs publics locaux
devront pouvoir disposer de financements classiques adéquats,
mais des financements alternatifs peuvent être considérés comme
un complément utile.
Il faut adapter l’urbanisme pour aider le secteur privé à produire
des logements, selon vous ?
Le secteur privé devra assumer l’essentiel de la production de
logements. Il faut donc le soutenir en ce sens. Les communes
doivent d’urgence fluidifier la délivrance des permis d’urbanisme et permettre de densifier et renouveler les noyaux d’habitat. Les outils existants ne trouveront leur pleine efficacité que
si leurs procédures sont simplifiées et accélérées. Il sera cependant inévitable d’affecter de nouvelles zones au logement de
manière réfléchie. Enfin, la réaffectation du patrimoine architectural en logements peut aussi soutenir sa revalorisation. À
la suite des transferts de compétences du Fédéral, une réforme
de la fiscalité immobilière wallonne, y compris au niveau local,
sera donc nécessaire afin d’encourager non seulement la rénovation durable du bâti, mais également l’accès à la propriété des
jeunes ménages et la production de logements par le secteur
privé. La TVA réduite à 6 % sur la démolition-reconstruction devrait être étendue
à toutes les communes du pays. Enfin, la
croissance démographique dans toutes
les classes d’âge impactera d’autres politiques régionales et communales. Des
efforts budgétaires devront être consentis dans le domaine des crèches, des
écoles, des infrastructures culturelles et
sportives, des réseaux de transport…
Que prévoit votre mémorandum en
matière d’énergie et de déchets ?
POUVOIRS LOCAUX ET
ENTREPRISES DE CONSTRUCTION
SONT DANS LE MÊME BATEAU
8 MOUVEMENT COMMUNAL N°869 JUINJUILLET 2012
Les communes ont un rôle crucial à jouer dans la performance
énergétique des bâtiments, l’utilisation rationnelle de l’énergie et la promotion des énergies renouvelables. Elles sont le
moteur de l’action locale et ont un rôle d’exemple. Un bâtiment
communal sur trois doit être rénové énergétiquement. L’installation de systèmes de production d’énergie verte accroitra
encore l’efficacité énergétique locale. La présence d’experts
énergie sensibilisera les habitants et fournira une information
en matière d’économies d’énergie, de primes disponibles, de
nouvelles règles en matière de PEB… En matière de déchets,
2012 verra une forte augmentation des taxes de mise en CET
de certains déchets de construction. Les communes ont donc
intérêt à participer activement à la gestion et à la maîtrise du
coût des déchets de leurs travaux, en définissant dans le cahier
spécial des charges la quantité et la nature des déchets. Pour
les petites quantités de déchets issus des PME, une accessibilité
aux parcs à conteneurs offrirait des solutions moins onéreuses
et un meilleur contrôle des flux. Pour les terres de déblais, vu
la difficulté de trouver des sites de remblayage conformes à la
réglementation urbanistique, la CCW encourage les communes
à mettre des terrains à la disposition des entrepreneurs en vue
du dépôt définitif de leurs terres saines.
Une dernière chose ?
La sécurité des travaux liés aux impétrants vis-à-vis des ouvriers
et des riverains est essentielle. Le décret « impétrants » qui clarifiera les responsabilités respectives, bien que voté en 2009,
n’est toujours pas entré en vigueur. La Charte « impétrants »
proposée en 2011 aux concessionnaires par le Ministre des Pouvoirs locaux, pallie temporairement ce vide juridique. La CCW
demande aux communes de responsabiliser les gestionnaires de
réseau en vue d’adhérer à la Charte, s’affilier à la plateforme CICC
qui concerne l’indication des impétrants présents à l’endroit du
chantier, communiquer des plans exacts et précis aux entreprises
de voirie, enlever et remplacer leurs installations vétustes.
Quel serait, en conclusion, votre message général auprès des pouvoirs locaux ?
Pouvoirs locaux et entreprises de construction sont dans le même
bateau. Nous devons absolument parvenir à redresser ensemble
l’économie wallonne, à œuvrer à un redéploiement économique
wallon pour 2022. Nous y sommes d’ailleurs contraints par la nouvelle loi de financement. Nous sommes, avec le plan Marshall 2.
Vert et l’ouverture au dialogue de l’UVCW que j’appelle à poursuivre et à renforcer, sur la bonne voie, je pense… Ce sont en effet
des signaux très positifs.
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