- HUSSERL, Edmund - L`immédiat et son reste -

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HUSSERL
L'immédiat et son reste I
La phénoménologie est la science des phénomènes, Husserl en est le fondateur. Son but est de décrire tout ce
qui présente à la conscience tel qu’il se présente à elle, en tant que pure manifestation d’un quelque chose dans
la conscience. Un phénomène n’est donc pas une chose au sens ordinaire de ce mot qui désigne à la fois un être
extérieur et un être stable, refermé sur lui-même, ce que la tradition philosophique appelait une substance. Un
phénomène n’est pas quelque chose qui se tient hors de la conscience et dont l’existence est parfaitement
indépendante de cette conscience. Il n’a pas d’être absolu mais relatif. La notion de phénomène permet de
démultiplier l’être des choses, de le faire varier, de le mettre en mouvement. Dans la vie ordinaire ou, comme la
nomme plus souvent Husserl, dans l’attitude naturelle, nous disons que nous entendons ou que nous voyons
passer une voiture dans la rue. Si nous cherchons à vérifier ce jugement (sortant par la même de l’attitude
naturelle), à le ramener à sa source intuitive, à ce que l’on a effectivement vu ou entendu, nous nous apercevons
que nous avons, en proférant ce jugement, considérablement abrégé l’expérience que nous avons faite, ou plus
exactement que nous l’avons transformée dans les mots du langage. Tout le monde comprend ces mots, mais
cette compréhension n’est pas celle à laquelle aspire le phénoménologue, fidèle en cela à l’attitude
philosophique depuis son origine. Il cherche à savoir ce qu’a exactement pensé ou senti celui qui a prononcé ce
jugement. Il est donc moins intéressé par les jugements que portent les hommes dans le cadre de l’attitude
naturelle que par ce qu’ils ont dans la tête lorsqu’ils jugent - mais aussi lorsqu’ils imaginent, veulent, aiment,
éprouvent tel ou tel sentiment. Car si la voiture est un phénomène, en est également un le fait d’avoir entendu le
vrombissement du moteur, le fait de l’avoir situé avant et après d’autres phénomènes, le fait de l’imaginer en ce
moment ailleurs, déjà loin de nous, bref le mouvement incessant des choses «dans» la conscience. N’allons pas
confondre les phénomènes auxquels nous permet d’accéder la méthode phénoménologique avec les impressions
sensibles qui sont des fantômes de choses, des sortes d’empreintes faites par les choses extérieures dans l’esprit.
Le bruit d’une voiture ne s’imprime pas dans l’esprit comme sur du papier blanc. Pour le phénoménologue,
entendre ce bruit, sentir une odeur, éprouver du plaisir sont des actes et non des impressions sensibles, des actes
parce qu’ils sont traversés et structurés par des intentionnalités spécifiques et se rapportent à des objets tout à
fait distincts.
Les enseignements de la phénoménologie sont nombreux et importants. Mais le premier de tous est sans doute
d’avoir montré que la présence d’une chose dans la conscience ne pouvait pas être un phénomène analogue à la
présence d’une chose physique dans l’espace, qu’une chose est intentionnellement présente dans l’esprit et non
pas réellement comme dans l’espace. L’objet intentionnel n’est pas l’objet réel, ce n’est jamais celui-ci que vise
une conscience, ce n’est jamais à lui qu’elle a affaire en tant que conscience. A la différence d’une impression
toujours plus ou moins pensée comme une chose réelle dans l’esprit, le phénomène possède une unité
significative ainsi qu’une sorte d’objectivité : il a un sens, on peut le décrire et s’attacher à rendre manifestes ses
structures. Le bruit n’entre pas dans la conscience, mais celle-ci, parce que c’est une conscience c’est-à-dire une
chose dont l’être est radicalement différent de l’être des choses extérieures, entre en rapport avec une chose qui
se présente revêtue d’un sens et non avec de la matière brute. La conscience agit même lorsqu’elle est passive,
réceptive. Perceptions, souvenirs, imaginations sont des actes et non des choses, le propre d’un acte étant de
viser pendant une certaine durée quelque chose de différent de lui, cette différence étant le fait de
l’intentionnalité et non une différence réelle ou ontologique entre l’acte et l’objet qui constitue sa visée. Par
phénomène il ne faut donc pas entendre le substitut ou le représentant d’une chose c’est-à-dire une chose ajustée
à notre sensibilité et à notre pouvoir de connaître. Cette conception kantienne du phénomène, par son caractère
privatif, s’oppose à celle de Husserl, et empêche que l’on comprenne le sens nouveau qu’il reçoit en
phénoménologie. Si le phénomène kantien signifie la chose pour nous par opposition à la chose en soi, telle
qu’elle est en elle-même indépendamment de son mode de saisie, le phénomène pour Husserl désigne la façon
dont une chose se donne à la conscience et non la façon dont elle se soustrait à elle. Il n’y a à priori aucune
raison de soupçonner que l’être même des choses se refuse à la connaissance, au nom des limites de
l’entendement ou pour d’autres raisons qui ne seraient pas tirées justement des phénomènes. Le premier
mouvement de Husserl, mouvement durable d’ailleurs, est une réaction de méfiance, de refus même à l’endroit
de la métaphysique. Les constructions spéculatives de l’idéalisme allemand ne l’impressionnent pas, elles
l’agacent même plutôt. Lorsqu’il s’occupe des questions de connaissances (essentiellement d’arithmétique et de
logique), il précise qu’il ne saurait s’agir de métaphysique, qu’il se tient résolument à l’écart de cette «science».
Or la distinction kantienne entre la chose en soi et le phénomène est de nature métaphysique, même si Kant s’en
sert pour mettre un coup d’arrêt aux discussions interminables et stériles des métaphysiciens. Husserl, à
l’inverse de Kant, n’aborde pas la question de la connaissance en termes de limites, en vue de déterminer les
pouvoirs respectifs des diverses facultés de l’esprit. Le souci husserlien n’est pas de nature législatrice mais
descriptive — deux ambitions non seulement différentes mais contraires l’une à l’autre. De ce point de vue,
l’impératif phénoménologique du retour aux choses elles-mêmes s’apparente, dans son orientation
antikantienne, à la recherche des données immédiates dans la philosophie bergsonnienne, et c’est de la même
façon dans la conscience (plus encore que dans l’entendement) qu’il faut aller chercher ces choses et
ces données. Alors que dans la philosophie kantienne formes de la sensibilité et catégories de l’entendement
dressaient pour ainsi dire entre le sujet et les choses un mur de séparation, Husserl et Bergson ont cherché à
contourner l’obstacle de la relativité en se demandant non pas ce que l’on peut connaître, mais, à la manière de
Descartes, ce que l’on connaît effectivement c’est-à-dire indubitablement, immédiatement. Mais des préjugés
tenaces recouvrent ces choses et ces données et s’opposent à ce qu’elles apparaissent à la conscience pour ce
qu’elles sont. Il faut donc combattre ces préjugés - qui peuvent être aussi bien les constructions de la science
que celles de la métaphysique - afin de se frayer une voie qui mène aux choses elles-mêmes, ou aux données
immédiates c’est-à-dire véritables. Mais alors que pour Bergson ce mouvement se fait par une sorte de
conversion du regard et de l’attention de l’extérieur à l’intérieur, de la surface des choses extérieures à la
profondeur de la conscience, pour Husserl l’accès aux choses mêmes ne s’ouvre que si l’on pratique une
réduction phénoménologique, une êpokhé, qui va ou semble aller dans la direction inverse de celle de Bergson.
En préconisant d’une façon aussi solennelle que répétée de mettre le monde entre parenthèses, ou de mettre hors
circuit la thèse du monde, Husserl ne demande pas à l’apprenti-phénoménologue de fermer les yeux, de se
boucher les oreilles et de tenir pour faux tout ce qui se présente à son esprit (comme Descartes au début de la
Troisième Méditation), mais de ne pas considérer le monde comme on le fait ordinairement, comme l’ensemble
des choses qui existent objectivement, indépendamment de la conscience des hommes. La réduction du monde
veut dire la décision résolue de ne pas tenir le monde pour un existant absolu, pour un en-soi. Rien n’est changé,
l’âme n’est pas ravie par le spectacle qui s’offre à elle, elle demeure face aux mêmes choses que celles
auxquelles les hommes ont affaire, mais ces choses sont alors seulement vraiment des phénomènes. Dans
l’attitude réduite ou phénoménologique, je ne cesse pas d’entendre un bruit de voiture dans la rue, je ne cherche
pas à détourner mon esprit de ce bruit pour rester attentif à ce que je fais, mais au lieu de le situer dans le monde
objectif je le considère pour ainsi dire en lui-même, dans sa teneur propre et son extension temporelle.
L’événement objectif devient phénomène. Au lieu de dépendre du monde physique et de la causalité qui règle
les rapports des événements entre eux, le phénomène réduit appartient désormais seulement au champ de ma
conscience. Dans l’attitude naturelle, le bruit de la voiture est perçu, selon les cas, comme une gêne ou comme
une information ou encore comme un simple événement extérieur. Dans l’attitude phénoménologique, le
phénomène se donne non seulement avec son sens de phénomène (et non de chose du monde), mais ce sens
apparaît alors comme dépendant de la conscience ou constitué par elle. Seul le champ réduit, seule la réduction
phénoménologique (la réduction des choses à leur manifestation phénoménale) permettent à la conscience de se
découvrir comme source, comme seule et unique source du sens, de se découvrir, selon l’expression
husserlienne, donatrice de sens. Tel est l’axiome fondamental de la phénoménologie : la conscience, toute
conscience, a un sens. C’est sa propriété, c’est même ce qui n’appartient qu’à elle. Dans son sens de conscience
il est inclus qu’elle ne puisse avoir affaire qu’à du sens, ce qui se manifeste avec encore plus d’évidence
lorsqu’elle fait l’expérience du non-sens, de l’absurdité, de tout ce qui paraît privé ou dénué de sens. Mais à
l’inverse du subjectivisme ou du psychologisme, avoir un sens c’est, identiquement, viser un objet, se
transcender vers un objet, caractère que Husserl appelle à la suite de son maître Brentano l’intentionnalité. La
réduction du monde objectif au phénomène monde, au monde dans et pour la conscience, ne conduit donc
nullement la phénoménologie du côté d’une analyse intimiste ou de l’introspection. La conscience (notons qu’il
s’agit d’abord de conscience et non pas de moi ou d’ego) ne s’inspecte pas, comme si elle découvrait en elle un
tout autre monde que le monde commun aux hommes, la conscience ne se livre pas à une sorte d’observation
intérieure pour capter des choses qui ne ressembleraient en rien à celles du monde commun, à la manière dont
Bergson aperçoit dans le moi profond des mouvements, des modulations, des progrès et non des choses. Sur ce
point qui est capital, la phénoménologie et le bergsonisme s’engagent dans des directions de pensée très
différentes et représentent deux conceptions bien distinctes de la subjectivité en dépit de nombreux points
communs comme le retour à la conscience contre le positivisme et le scientisme, le rapprochement des
questions du temps et de la subjectivité, le recours à l’intuition contre les constructions symboliques.
Le monde réduit qui se tient désormais dans la conscience parce qu’il apparaît alors que c’est seulement en elle
qu’il prend son sens, ce monde ne comporte rien de plus que celui auquel chacun a affaire dans l’attitude
courante, non philosophique. Les vécus de conscience libérés par la réduction ne sont pas des êtres sortis du
fond de l’âme et imbibés de mystère. Ils sont «matériellement» identiques aux multiples perceptions et pensées
que nous avons à tout instant. Le changement porte ici sur la modalité, sur le sens : ainsi, au lieu de regarder
l’arbre derrière la fenêtre comme un arbre situé à quelques mètres de moi, dehors, dans l’espace objectif, je
porte mon attention phénoménologique sur l’arbre en tant que perçu et qui, en tant que tel, ne peut se trouver
ailleurs que dans ma conscience. La perception d’une chose réelle s’est convertie en attention portée à la chose
perçue. C’est pour cela qu’il s’agit d’un vécu de perception et non d’une perception réelle, d’une chose réelle. Il
faut saluer l’audace de Husserl quand il déclare alors, à contre-courant de l’objectivisme et du scientisme en
général, que « les phénomènes de la phénoménologie transcendantale seront caractérisés comme irréels », que
ces phénomènes, à la différence de ceux du monde, « ont subi les réductions transcendantales », que « la
phénoménologie consiste précisément à explorer cet irréel »[1]. Loin d’être une provocation futile, la
détermination de l’objet de la phénoménologie comme irréel constitue l’essentiel de la phénoménologie, à la
fois en donnant la mesure de sa fécondité et en en traçant les limites, pour ne pas dire les insuffisances. La
phrase souvent citée de Husserl d’après laquelle « la «fiction» constitue l’élément vital de la
phénoménologie »[2] s’inscrit dans cette décision, la plus radicale de la phénoménologie, de promouvoir l’irréel
au rang d’objet unique de cette science nouvelle, science que Husserl n’a cessé de revendiquer comme la
première de toutes les sciences (comme l’est la métaphysique pour Aristote), la phénoménologie.
Par irréel il faut entendre tout ce qui se trouve dans la conscience, ses données immanentes, par opposition avec
les objets transcendants, pensés comme extérieurs, situés dans l’espace objectif et reliés par des relations de
causalité. L’extension de ce concept est donc extrêmement large : il recouvre tous les vécus psychiques dont le
caractère immanent fait qu’ils se présentent en personne et en totalité à la conscience qui les découvre dans son
champ réduit, mais aussi les essences et toutes les relations idéales entre les catégories mathématiques, logiques,
grammaticales. Le contraire d’irréel est moins le réel que le fait ou le factuel dont la détermination essentielle
est celle de l’existence ici et maintenant. Contre les sciences de fait la phénoménologie se définit donc comme
une science et même la science des essences. De là vient l’habitude de qualifier de platonicienne cette
orientation vers les essences surtout sensible au moment des Recherches logiques. La position «essentialiste» de
Husserl s’explique sans doute en partie par sa volonté de résister et de s’opposer au psychologisme et à
l’empirisme qui, à l’époque de ses travaux sur la logique, occupent le devant de la scène philosophique. Mais,
plus profondément, le problème posé par l’orientation résolue de la phénoménologie vers les essences est celui
de l’extériorité, ou de la transcendance, et il semble bien que d’un bout à l’autre de sa longue et féconde carrière
de penseur ce problème n’a cessé de se poser à Husserl qui, soit a cherché à le résoudre, soit a essayé de le
contourner, soit s’en est détourné. Cela n’a rien de surprenant. En de tout autres termes, avec des concepts bien
différents et dans une perspective métaphysique plus qu’épistémologique, le problème rencontré par Husserl est
celui que Descartes s’était posé à lui-même et avait cherché à résoudre dans ses Méditations Métaphysiques, au
moment où il commence la troisième de ces méditations. L’existence du monde extérieur ayant été niée par
Descartes au moyen du doute et par l’artifice du malin génie (alors que Husserl suspend seulement la thèse du
monde), Descartes découvre en lui ses pensées comme les seules «choses» auxquelles il a désormais affaire.
Ces modes de la pensée que sont les idées pour Descartes recouvrent exactement ce que Husserl appelle les
données immanentes qu’il tient comme Descartes pour les seules qui soient vraiment indubitables, absolues.
Mais les idées sont aussi des représentations ou des images des choses, toute idée étant l’idée de quelque chose,
de même que pour Husserl la conscience est toujours conscience de quelque chose. En termes plus
phénoménologiques que métaphysiques ou ontologiques, l’idée qui est un vécu psychique peut être définie
comme une visée intentionnelle, ce qui revient à dire qu’elle est l’idée de quelque chose qui n’est pas une idée
mais une réalité. Jusque là les démarches de Husserl et de Descartes sont assez semblables et l’on comprend
bien que Husserl n’ait eu d’autre ambition philosophique qu’être plus radical que Descartes, d’être plus
radicalement cartésien que ne l’était Descartes lui-même. Mais les chemins des deux penseurs bifurquent, plus
nettement qu’on ne le croit, lorsque Descartes s’engage dans la recherche de la cause des idées qui sont en lui et
qu’au lieu de demeurer sur le plan des essences ou de la description des essences, il parvient à trouver dans
l’idée de Dieu la marque certaine d’un être ou d’une existence, celle de Dieu, dont la véracité garantit la
croyance en l’existence des choses extérieures, ou du monde. Husserl, il l’a dit, ne peut bien sûr pas recourir à
cette « solution de détresse » qu’est la véracité divine dans la métaphysique cartésienne. L’installation du
phénoménologue dans la réduction est donc définitive, et non provisoire, transitoire, comme l’est le doute
cartésien. Mais de réduction en réduction (car il y en a de plusieurs types), finira-t-on par trouver autre chose
que ce que l’on a découvert pour la première fois en ouvrant un champ réduit, en faisant du monde un
phénomène qui, comme tout phénomène, implique la présence de celui à qui il apparaît et n’a qu’une existence
relative à la sienne ?
En des termes sans doute un peu trop tranchés, nous demandons donc si la phénoménologie ne s’est pas, dès son
point de départ, privée des moyens de rejoindre la réalité, de retrouver les choses mêmes et non les données
immanentes de ces choses dans la conscience sous la forme de vécus. La phénoménologie n’est-elle pas
«condamnée» à l’irréalité, condamnée à être la phénoménologie de l’irréel sous toutes ses formes, depuis les
idéalités logiques jusqu’à l’imaginaire ? Husserl a pourtant soutenu dans l’un de ses derniers grands écrits qu’
« il ne peut pas y avoir de réalisme plus fort »[3] que celui de la phénoménologie. Comment concilier cette
affirmation avec le travail effectif de la phénoménologie qui porte sur la sphère illimitée des vécus
intentionnels, qui se situe donc entièrement à l’intérieur de la réduction ?
La thèse que nous allons chercher à justifier dans cette étude est que la réduction, que l’on peut à bon droit tenir
pour l’opération à la fois la plus originaire et la plus profonde de la méthode phénoménologique, s’oppose à ce
que cette méthode débouche sur une authentique philosophie qui n’est certes pas une «vision du monde» (à bon
droit critiquée par Husserl[4]) mais qui implique, à nos yeux, une activité qui ne se borne pas à décrire des
structures ou à élucider des significations, mais qui porte des jugements fondés sur ce qui est vrai, sur ce qui est
bien ou bon. La même question peut être posée sous une forme a posteriori ou de façon factuelle. Pourquoi la
phénoménologie husserlienne, en dépit de l’incomparable richesse des investigations menées sur les terrains les
plus variés, ne peut être aujourd’hui considérée ni pratiquée comme une philosophie, à la différence, par
exemple, de celle de Bergson, ou, paradoxalement, de celles des «disciples» de Husserl comme Heidegger,
Sartre, Lévinas ? Pourquoi ceux-ci, et sans doute aussi bien d’autres penseurs, tous plus ou moins « à l’école de
la phénoménologie », selon l’expression de Ricoeur, ont-ils été contraints de s’en séparer dès lors qu’ils ont
cherché à faire œuvre philosophique, c’est-à-dire à fonder la phénoménologie sur une ontologie, ou sur une
éthique conçue comme « plus fondamentale » que l’ontologie ?
Si Husserl avait purement et simplement mis de côté la question du monde afin de considérer dans leur
indépendance les idéalités logiques et mathématiques, s’il s’était tenu au projet d’une «ontologie formelle» en
rapport avec les objets logiques ou mathématiques, nous ne serions pas en droit de lui demander des comptes
sur le statut que le monde réel, celui dans lequel les hommes vivent, c’est-à-dire agissent et pâtissent, a en
définitive dans sa pensée. Mais il a voulu, prenant en marche le train de la tradition philosophique, conduire un
projet de fondation radicale du monde et de toutes les connaissances objectives portant sur les différentes
régions du monde. Husserl a souvent dit que l’ego transcendantal, ultime et unique fondement de toute
objectivité possible, «possède» le monde en lui. Que la conscience par sa propriété constitutive de
l’intentionnalité soit toujours dirigée vers un objet et donc qu’elle n’ait pas de «dedans» n’implique nullement la
reconnaissance d’une extériorité radicale, bien au contraire, car les objets visés étant des objets intentionnels[5],
la conscience ne rencontre jamais que des choses déjà éclairées ou constituées par elle. La conscience n’a pas
plus de dehors que de dedans ; comme l’âme selon Aristote elle est tous les étants, à ceci près - mais c’est
considérable - que la conscience n’est pas une âme ni les objets intentionnels des étants. On sait que la question
de la transcendance n’a cessé de préoccuper, de tenailler même Husserl qui n’a jamais sans doute exorcisé
définitivement pour son propre compte le doute sceptique concernant l’existence des choses extérieures :
« Comment l’immanence peut être connue, est compréhensible ; comment la transcendance peut l’être, est
incompréhensible »[6]. Il est inévitable qu’en faisant du monde la possession de l’ego, on ne puisse être certain
que le monde, tel que l’ego le pense c’est-à-dire comme existant, existe effectivement. Il faudrait en quelque
sorte sauter par-dessus l’ego pour s’assurer de la conformité entre l’idée que l’ego a du monde et le monde luimême. Mais fallait-il pour défendre une cause juste, à savoir qu’il n’y a de signification que pour une
conscience et que la conscience ne peut rencontrer que des choses qui ont un sens (ou qui en sont privées),
fallait-il donc recourir à la solution idéaliste du monde comme ma représentation et s’enfermer dans ce que
Heidegger a eu beau jeu de dénoncer comme « la prison de la conscience » ? L’échec de la phénoménologie
husserlienne qui n’est jamais parvenue à accoster sur la terre ferme de la philosophie aura servi à montrer que
sans la reconnaissance, l’acceptation et la justification de l’altérité, quelle que soit la façon dont elle est
déterminée, la philosophie ne peut pas faire un seul pas en avant. Il n’est pas hasardeux que la recherche
prioritaire des trois philosophes «disciples» de Husserl nommés plus haut ait été celle de l’altérité : altérité ou
transcendance du monde (Heidegger), de l’autre homme (Lévinas), et même celle du moi ou de l’ego par
rapport à la conscience (Sartre, du moins celui de l’essai sur La transcendance de l’ego). L’évidence rendue a
contrario possible par la phénoménologie est celle de l’irréductibilité (au sens strict de réduction impossible) de
l’altérité au moi ou à l’ego, fût-il pur et transcendantal. Car l’autre présent à la conscience avec son sens d’autre
pour la conscience n’est pas encore, n’est peut-être même pas essentiellement l’autre avec son caractère
d’altérité, dans son existence et sa facticité brute, sauvage ou radicalement contingente.
[1] Idées directrices pour une phénoménologie, I, traduction française P. Ricoeur, éd. Gallimard, 1950, p. 7
et 8, (désormais cité: Idées directrices).
[2] id., § 70, p. 227.
[3] La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, traduction française G.
Granel, éd. Gallimard, 1976.
[4] Voir La philosophie comme science rigoureuse, traduction française M. B. de Launay, PUF, 1989.
[5] Voir les Méditations cartésiennes, traduction française Peiffer et Lévinas, Vrin, § 28 (« toute
transcendance se constitue uniquement dans la vie de la conscience... (qui) porte en elle-même l’unité de
sens constituant «ce monde» »).
[6] L’idée de la phénoménologie, traduction française A. Lowit, PUF, p. 124.
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