Pigeard de Gurbert 1 Colles Première Supérieure Gay-Lussac Cours commun / Oral 2012-2013 REVER Nietzsche, Aurore (§ 173) « Le travail constitue la meilleure des polices, qu'il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l'on travaille dur en permanence, conclut Nietzsche, aura davantage de sécurité : et l'on adore aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême » Diderot dans Le rêve de d’Alembert oppose à l’édifice conceptuel échafaudé autour du vivant par les philosophes un simple œuf comme figure emblématique du vivant puisque c’est une « chose » sans essence qui est en puissance ce qu’elle n’est pas (une poule). Un œuf a un devenir mais pas d’être, il n’a pas d’état, il est tout entier tendance : « Voyez-vous cet œuf ? demande Diderot. C’est avec cela qu’on renverse toutes les écoles de théologie, et tous les temples de la terre. Qu’est-ce que cet œuf ? […] D’abord c’est un point qui oscille ; un filet qui s’étend et qui se colore »… Chose remarquable sous la plume malicieuse de Diderot, l’étendue n’est plus comme dans la conception mécaniste de Descartes une substance, c’est un processus, un devenir qui se dit non pas par un substantif (l’étendue) mais par un verbe (« s’étend »). Le vivant n’est pas une essence mais un flux de diversité changeante. « Et vous parlez d’essences, pauvres philosophes ? laissez-là vos essences », lance Diderot. Et Diderot de conclure « qu’il n’y a aucune différence entre un médecin qui veille et un philosophe qui rêve. » Pigeard de Gurbert 2 Colles Le rêve libère l’imagination de d’Alembert qui échappe alors au contrôle de la raison mathématique et peut enfin s’ouvrir au vivant, c’est-à-dire au réel qui déjoue les catégories métaphysiques de la raison. Cependant que la raison nous enferme dans l’abstraction, et « toute abstraction n’est qu’un signe vide d’idée », prévient Diderot dans Le rêve de d’Alembert, l’imagination onirique lance la philosophie dans une excursion qui « ferait un beau charivari en Sorbonne. » 3) Rousseau imagine dans les Rêveries du promeneur solitaire un état post-social dans lequel il pourrait dire : « je n’ai plus en ce monde ni prochain, ni semblable, ni frère » (1ère Promenade). Mais qu’il conçoive l’homme naturel d’avant les autres ou qu’il se rêve en homme d’après la société, il s’agit ou bien d’une hypothèse sans référence dans le réel, ou bien d’une rêverie. Du reste, cette retraite solitaire elle-même n’est pas le fait d’une libre décision mais bien l’effet d’un dépit causé par les autres. Ce rêve de liberté solitaire n’est donc pas une action libre mais une passion, une réaction incoercible, à savoir un dégoût des autres. Comme le dit Cyrano de Bergerac dans la pièce éponyme d’Edmond Rostand, c’est tout un que de « Rêver, rire, passer, être seul, être libre » (Acte II, scène 7).