EVENTRATIONS JP Bail (DES de chirurgie générale Brest) I) DEFINITION Il y a éventration lorsque les viscères de l'abdomen (grêle, côlon, épiploon), recouverts par le péritoine, font saillie à travers une déhiscence du plan musculo-aponévrotique de la paroi abdominale et sont palpés directement sous le revêtement cutané. Ceci élimine du sujet les hernies, qui apparaissent au niveau des points de faiblesse de la paroi abdominale (hernie de l'aine) et les éviscérations postopératoires ou post-traumatiques, ou les viscères s'extériorisent à travers une brèche de toute la paroi, de façon généralement brutale. II) ANATOMO PATHOLOGIE A) Rappel anatomique (Fig 1et 2) Les muscles grands droits, grands obliques (oblique externe), petits obliques (oblique interne) et transverses, et leurs aponévroses constitue le plan musculaire antérieur de la paroi abdominale. La ligne blanche est un raphé tendineux très résistant situé sur la ligne médiane xypho-pubienne, entre les muscles grands droits. Elle est aussi le siège de la plupart des éventrations postopératoires. Fig.1 : En dessus de la lignée arquée 1 Fig. 2 : En dessous de la ligne arquée Anatomiquement une éventration est formée par (schémas n°3): - un revêtement cutané avec une cicatrice souvent élargie et amincie, une peau en mauvais état, fragile, parfois ulcérée ou surinfectée ; - un plan musculo-aponévrotique soit très aminci, soit plus souvent, inexistant, formant le ou les orifices d’éventration ; - un feuillet péritonéal, le sac d’éventration, souvent complexe avec plusieurs poches; - les viscères faisant hernie, épiploon et intestin. Selon leur siège, on distingue les éventrations latérales, moins fréquentes et moins graves que les éventrations médianes. 2 Fig. 3b : Rupture des couples musculaires en cas de paroi eventrée B) Evolution Une éventration peut survenir des mois ou des années après une intervention chirurgicale. Au début elle est souvent petite, discrète, et l'on serait tenté de la négliger et de rassurer le patient; mais dès ce stade, elle est susceptible de se compliquer d'étranglement. Une fois installée, elle a tendance à s'aggraver sous l'effet de la pression abdominale, et aussi de la traction des muscles latéraux : Elle augmente lentement de volume et devient irréductible car il se crée des adhérences (sac paroi, sac viscères, viscères viscères) et les complications par étranglement sont fréquentes. 3 De plus, lorsque son volume devient très important, les viscères herniés perdent leur place dans l'enceinte abdominale et le traitement s'en trouvera compliqué. Enfin, dans ces éventrations volumineuses et anciennes, les plans musculo-aponévrotiques sont distendus, affaiblis, rétractés dans les flancs, et la réparation pariétale devra se faire à l'aide de matériel prothétique (mersilène). C) Facteurs favorisants De nombreux facteurs peuvent, seuls ou en association, favoriser l'apparition d'une éventration après une laparotomie. - Age : la guérison des plaies est plus lente et les tissus cicatrisés moins solides chez les personnes âgées. - Obésité : chez les patients obèses, la pression intra-abdominale serait plus forte, les aponévroses moins solides, la réparation plus délicate et les hématomes plus fréquents. - Les tares associées: les maladies chroniques et débilitantes telles que cirrhose et cancers, ainsi que tous les états de dénutrition, freinent les processus de guérison et de cicatrisation. De même que les états infectieux prolongés (fistules qui s'accompagnent d'un catabolisme important. - Le type d'incision utilisé : les incisions médianes sont plus susceptibles de se compliquer d'éventration que les incisions transversales ou obliques. - Les laparotomies itératives, les orifices de drainages multiples, les emplacements de colostomies +++ - Les plaies par balles et par armes blanches en raison des dégâts musculaires et de l'infection associée. - Les complications pariétales postopératoires (abcès ou hématomes) et les complications pulmonaires, avec encombrement et efforts de toux. D'où l'importance de la prévention par la kinésithérapie pré et postopératoire, notamment chez le bronchitique ou l'insuffisant respiratoire. - Utilisation de fils non résorbables mal tolérés. 4 III) CLINIQUE A). La petite éventration La douleur au niveau de la cicatrice est le principal symptôme. La palpation permet de repérer une petite tuméfaction sous-cutanée sensible, qui augmente à l'effort et à la toux. Par une pression douce on peut refouler cette petite masse dans l'abdomen et palper les berges de l'orifice d'éventration. B). L'éventration volumineuse Elle ne pose pas de problème diagnostique. -Il existe une importante voussure déformant la paroi abdominale, au niveau de la cicatrice de la laparotomie. Cette tuméfaction est irrégulière, arrondie, polylobée, donnant parfois l'impression de plusieurs hernies de taille variable juxtaposées, comme étalées sous la peau. La palpation permet de réduire partiellement cette hernie et de palper les contours tranchants des berges musculo-aponévrotiques, d'en mesurer la taille et d'en apprécier la solidité. Ces volumineuses éventrations s'accompagnent de troubles fonctionnels multiples : -Troubles digestifs surtout: douleurs, gène post-prandiale, météorisme, troubles du transit, constipation. - Troubles respiratoires, dyspnée, dus au mauvais jeu respiratoire des muscles de la paroi abdominale. C). Complications 1) L'étranglement représente le principal danger. Très souvent c'est un fragment d'épiploon qui est incarcéré. La tuméfaction devient alors exquisément douloureuse et irréductible. Lorsqu'il s'agit d'un étranglement du grêle ou du côlon, les signes cliniques sont ceux d'une occlusion mécanique avec vomissements et arrêt du transit, nécessitant une intervention en urgence. 5 Le diagnostic de ces étranglements est souvent difficile chez ce patient habitué aux phénomènes d'engouement douloureux et chez qui l'éventration est depuis longtemps irréductible. 2) Les complications cutanées, ulcérations et surinfections, sont provoquées par la compression et la macération au niveau des plis. IV)TRAITEMENT A). Le bilan préopératoire analyse tout particulièrement : Les antécédents chirurgicaux : nature, date, protocoles des opérations chirurgicales subies. Éventuelles complications postopératoires. Le Terrain : Age, poids, tares associées, en particulier insuffisance respiratoire, qui va nécessiter une kinésithérapie préopératoire (apprendre à respirer, à tousser et cracher, arrêt du tabac) ou un amaigrissement chez l'obèse. Des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) sont indispensables avant d’envisager tout traitement chirurgical d’une éventration importante. État de la peau qui peut aussi nécessiter un traitement: assèchement des lésions suintantes et surinfectées (éosine aqueuse, bétadine diluée), traitement d'une mycose des plis. Bilan des troubles du transit Afin d’apprécier au mieux les lésions digestives et la taille de l’éventration une TDM est souhaitable en préopératoire +++. B). Méthodes Si le patient est opérable, le traitement sera si possible chirurgical et doit être aussi précoce que possible dès que le diagnostic a été posé. Les méthodes non chirurgicales, comme la contention par bandage élastique sur mesure ne sont que palliatives, temporaires et réservées aux patients présentant une contre-indication chirurgicale absolue. En effet elles ne préviennent pas vraiment du risque d'étranglement. 6 1). Les petites éventrations . Elles peuvent être traitées par une intervention chirurgicale simple qui comprend les temps suivants (figure 4) : - reprise de l'ancienne incision, - dissection du sac herniaire, - réduction du contenu du sac et libération d'éventuelles adhérences, - réparation pariétale minutieuse en paletot et plan par plan au fil à résorption lente ou non résorbable 7 2. Les volumineuses éventrations a) La préparation préopératoire : Lorsque le volume de l’éventration est tel que l'on craint des difficultés de réintégration (impossibilité mécanique, gêne respiratoire), - - On peut exceptionnellement réaliser une série de pneumopéritoines préopératoires de façon à augmenter l'espace intra péritonéal et à élever le diaphragme (un à deux litres d'air stérilisé à la flamme, tous les deux jours, introduits par une aiguille de Palmer au niveau de la fosse iliaque gauche). La préparation par kinésithérapie respiratoire est ici particulièrement nécessaire. Le plus souvent on envisage un séjour post opératoire en réanimation, le patient restant curarisé et sous ventilation assistée durant quelques jours. b) L'anesthésie: Si possible, en fonction du siège de l'éventration, on fera une anesthésie locorégionale (rachianesthésie ou péridurale) qui donne un bon relâchement musculaire, et est très sûre. Si l'on a recours à l'anesthésie générale, il faut prévoir une intubation trachéale avec un bon relâchement musculaire per et post opératoire. c) Technique chirurgicale est au mieux la combinaison d’une « plastie » et d’une « raphie »: L'ancienne cicatrice et les tissus sous-jacents sont réséqués. Le sac péritonéal est disséqué minutieusement des plans aponévrotiques et musculaires. Ce temps peut être très long si l'éventration est complexe et faite de multiples sacs herniaires qui doivent tous être enlevés. Le sac est ensuite ouvert et les adhérences intra péritonéales sont libérées minutieusement et complètement et les viscères sont replacés dans la cavité abdominale. Le sac péritonéal est réséqué en gardant suffisamment de tissu pour la fermeture Les berges musculo-aponévrotiques sont parfaitement repérées et disséquées de façon à présenter de chaque côté des tissus sains et solides. L'hémostase doit être méticuleuse pour éviter les hématomes postopératoires. Lorsque l'éventration n'est pas trop importante, il est possible de suturer les berges aponévrotiques soit bord à bord, soit en "paletot" pour renforcer le plan aponévrotique superficiel. Si les plans musculo-aponévrotiques paraissent trop faibles ou s'ils ne peuvent être rapprochés sans tension, il faut utiliser une prothèse de tissu synthétique (mersilène) dont les mailles finiront par être habitées de la fibrose. -Ce mince filet de dacron, est placé pour certains entre le plan péritonéal et le plan aponévrotique lorsque toutes les conditions d'asepsie sont réunies (pas d'abcès de paroi). Il est nécessaire de dégager le sac péritonéal en un seul bloc et d'aller fixer le filet très latéralement sur l'aponévrose postérieure des muscles larges de l'abdomen (fig. 5). Le filet est fixé à la paroi par des points trans pariétaux en U que l’on enfouit sous la peau ou que l’on serre sur des bourdonnets en tissu. 8 - La plaque peut aussi être placée en intra péritonéal et fixé à la paroi par des agrafes (en 8 ou en spirales) ou par des points. Dans ce cas, l’infection serait moindre. Pour limiter les adhérences, on interpose le grand épiploon entre la plaque et les anses digestives et on replie « en ourlet » les bords de fixation de la plaque. Il existe actuellement des plaques « bi faces » comportant un treillis coté paroi et un film anti-adhérence, coté viscéral. Fig. 5 : fixation très latéralement sur l'aponévrose postérieure des muscles larges - La plastie pariétale est complétée si possible par une remise en tension des muscles droits et en un étalement des muscles larges : plusieurs techniques sont possibles (aponévrotomie latérales, aponévrotomies antérieures multiples « en banc de poisson »), l’objectif étant d’avoir suffisamment de d’étoffe pour une suture sans tension. L'intervention se termine le plus souvent par un drainage aspiratif des décollements sous cutanés (drain de Redon). La voie laparoscopique est utilisée par certain pour le positionnement d’une plaque intra péritonéale et pour la fermeture « par l’intérieur » du ou des orifices d’éventration. Cette technique mini invasive n’est encore pas validée pour des éventrations importantes. C). Les suites opératoires Dans les suites, il faut encourager le lever précoce le lendemain de l'opération, la kinésithérapie respiratoire. De strictes précautions d'asepsie sont nécessaires au niveau des drains et des pansements, surtout si une prothèse a été posée. Les drains sont retirés dès qu'ils ne donnent plus. Un traitement antibiotique bref est entrepris au début de l'intervention et pour 24 ou 48 heures. CONCLUSION : L'éventration représente une complication fréquente de la chirurgie abdominale et de la traumatologie abdominale. C'est une affection invalidante et dangereuse dont le traitement est chirurgical. La réussite de celui-ci repose sur : - une intervention précoce, - une préparation méticuleuse, - un geste chirurgical complet utilisant si nécessaire une prothèse synthétique. 9 10