III - QUELLES PRATIQUES DECOULENT DES THEORIES A - COMPTE-RENDU D’ENTRETIENS AVEC DES PROFESSIONNEL ET DISCUSSION 1) Rencontre avec Claude VEDEILHE, psychiatre a) Son cadre de travail : Claude VEDEILHIE est psychiatre, il intervient auprès de patients toxicomanes depuis plus de 20 ans. Il dirige le Centre régional de Soins en Pharmacodépendances et Toxicomanies. L’ « Envol », où nous l’avons rencontré, est une antenne dépendant du CHS G. REGNIER de Rennes et accueille des patients toxicomanes pour des cures de sevrage, des suivis de traitements de substitution et des bilans médicaux. La durée se séjour moyenne des patients est de 3 mois, et varie d’une quinzaine de jours à 6 mois maximum. Le Centre est financé par le Ministère de L’emploi et de la Solidarité dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie, il bénéficie aussi du soutien de la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie) et du CFES (Comité Français d’Education à la Santé). Dans ce cadre, l’addiction est considérée d’après le Dr VEDEILHIE comme une dépendance pathologique à un produit, ce qui rejoint la définition que l’OMS donnait à la dépendance en 1964. b) Sa vision de l’addiction Dans sa pratique, C.VEDEILHIE distingue quatre types de comportements liés à la consommation de drogue(s) : _ l’usage épisodique. _ l’abus dangeureux. _ l’abus nocif qui à long terme entraîne des problèmes psychopathologiques et somatiques. _ la dépendance, qui est synonyme d’addiction dans ce cas. Dans ce contexte, l’addiction est en fait une « palette » de comportements plus ou moins dangereux, importants et fréquents pour l’individu, sa santé et son entourage. Notre psychiatre parle aussi de trois groupes de patients, ce qui permet de mieux comprendre les problématiques addictives : _ Un premier groupe de personnalité de type « névroticonormale », très peu représenté à l’Envol, peut bénéficier d’une prise en charge psychothérapeutique. _ Un second se compose d’adolescents et de jeunes adultes qui tentent de colmater une problématique souvent psychotique par l’usage de cannabis et d’alcool en priorité. Il constate que ces patients sont de plus en plus souvent rencontrés dans la pratique. _ Le dernier groupe est celui où les sujets ont une « problématique narcissique ou états-limite ». Ils se caractérisent par une 24 problématique identitaire (clivage, déni, dette symbolique et inversée, insécurité, tout ou rien…). L’addiction toxicomaniaque aurait alors un rôle majeur de défense. Les sujets addictés ont en effet très souvent des difficultés de symbolisation ( « Penser c’est douloureux » nous a fait remarquer le Dr VEDEILHIE) et fonctionneraient plutôt sur un registre des sensations où les réponses se situent dans l’agir ( utiliser un produit et sentir son corps en mouvement). Le produit, la drogue a alors une fonction de dynamisation, de reconnaissance pour les sujets et permet parfois, voire souvent, de masquer un autre problème : par exemple, masquer un trouble d’ordre psychotique en consommant du cannabis, de l’alcool… C.VEDEILHIE remarque également que régulièrement, plusieurs dépendances sont associées, avec selon les moments, la dominance de l’une sur l’autre : par exemple, le jeu peut être associé à l’alcool ou aux drogues. Pour ce qui est de la prise en charge, elle est de deux ordre à l’Envol : _Dans un premier temps, forger une « alliance thérapeutique », établir du lien entre le patient et l’équipe soignante. Ce travail en transferts latéraux, avec une prise en charge multidisciplinaire permet d’éviter d’éventuelles difficultés liées à des processus de séparation ou de persécution. _ Ensuite, dans le cadre de la politique d’accès aux soins, un traitement de substitution (pour les dépendances aux opiacés) est proposé (Méthadone et Subutex). De même, il est possible d’effectuer un bilan médical pour chaque patient de façon à détecter d’autres problèmes que la dépendance ( infections, VIH, hépatites, problèmes dentaires…). Pour résumer, l’approche psycho-socio-thérapeutique de ce centre ne prétend pas à une guérison totale de la problématique addictive mais elle a pour but de permettre au patient de retrouver un équilibre lui assurant au mieux de ne plus être en souffrance, sans être exclu socialement et /ou psychologiquement. Dans ce contexte, C.VEDEILHIE utilise souvent une métaphore : « La prise en charge des toxicomanes n’est pas une traversée de l’Atlantique mais du cabotage. » Il sous-entend par-là, que la majorité des personnes étant demandeuses de soin ou d’aide, il est nécessaire qu’elles s’approprient cette démarche. Tout au long de leur séjour, cette première demande doit toujours se structurer pour s’affiner progressivement. Cela devrait permettre à chaque patient de se fixer, avec l’équipe soignante, des objectifs à la hauteur de ses possibilités et capacités du moment. Ainsi, la rechute auparavant tant redoutée, n’est plus liée à un échec mais à la possibilité de faire des étapes successives dans un parcours semé d’embûches. Le patient peut alors revenir au centre, si besoin, avec une demande différente et sans sentiment d’avoir échoué. 25 c) Notre point de vue Nous avons voulu mettre en avant certains aspects de l’entretien qui ont particulièrement retenu notre attention. Premièrement, les références théoriques utilisées par les professionnels de ce centre ne se cantonnent pas à une seule approche mais sont plutôt multivariées. Elles proviennent de la psychiatrie, de la psychanalyse, de la neurobiologie et d’une approche plus comportementale. Ensuite, le concept de la dette inversée nous a semblé intéressant en ce qui concerne notre démarche de recherche. Cela fait référence directe, selon nous, à la définition de « l’addiction moyenâgeuse » à une nuance près : alors que l’individu avait une dette envers autrui, il s’agit ici de la société qui est redevable à l’addicté. Un sentiment de haine et de violence apparaît chez le sujet qui veut faire payer une injustice dont il serait ou est victime. Enfin, le plus marquant pour nous relativement aux addictions ont été les buts que se fixent et se donnent les soignants dans la démarche de soins. En effet, il n’est plus question d’effacer l’addiction comme on guérirait un rhume mais au contraire de la contrôler et de « mieux vivre avec ». Supprimer une dépendance toxicomaniaque entraînerait son déplacement vers une autre dépendance, parfois plus nocive ou mortelle. L’objectif envisagé est, comme nous l’avons vu précédemment, que chaque patient parvienne à contrôler, dompter son addiction afin de trouver ou retrouver une certaine stabilité dans sa vie psychique, sociale, affective et professionnelle. 2) Rencontre avec Didier RICHARD, psychologue Nous avons également pu rencontrer M. Didier RICHARD, psychologue diplômé de l’université de RENNES II, qui exerce dans différentes structures telles que le CCAA, les Iris, l’escale, et le SPIP 35 . Il intervient aussi à l’université dans le cadre de l’option « psychologie sociale de la santé». Son activité professionnelle est surtout axée sur la prise en charge de malades alcooliques. Pour lui, il n’y a pas de définition de la dépendance qui puisse être totalement acceptable, car il pense que la dépendance ne se vérifie pas par des critères objectifs : ce serait le patient qui présente une problématique addiction qui s’identifierait ou non comme dépendant. Voilà l’une des premières limites de la théorie qui, à l’aide de critères plus ou moins observables, tente d’enfermer les sujets dans des « cases » ne leur correspondant pas forcément. Alors, comment aborder la clinique du sujet si la théorie n’apparaît pas toujours suffisante ? La première chose qui semble importante pour M. RICHARD, c’est la place que choisi le thérapeute et le sujet dans la relation qu’ils vont entretenir. En effet, face à une situation, le psychologue à plusieurs grilles de lecture possibles. Pourtant, la lecture que le professionnel va faire de son point de vu d’homme est tout aussi importante que celle qu’il peut faire avec ces grilles très structurées et très théoriques. Bien sûr, ces dernières vont 26 servir pour dépasser le stade de la première impression et vont venir étayer un diagnostique ou une proposition de travail avec le sujet. Didier RICHARD nous a appris que ce qui a influencé son travail et l’approche qu’il en a aujourd’hui est de trois ordres : - il cite en premier lieu les lectures de Karl RODGERS sur les différentes conduites d’entretiens, - Puis, les rencontres auprès des différents groupes et associations qui lui ont permis d’appréhender la problématique de l’alcoolisme différemment, - enfin, les théories d’orientation analytique lui permettant de mettre du sens sur tout ce qu’il a pu observer. D’après lui, il est également très important d’avoir une « lecture sociale » de la problématique que l’on va rencontrer, car s’il existe des dépendances prenant leurs origines sur la base de traumatismes dans l’enfance, il y a néanmoins beaucoup de personnes développant ces dépendances sur une base socioculturelle. C’est, semble-t-il, la majorité du public qu’il rencontre. Evoluant avec l’idée que le psychologue est garant du cadre dans lequel il évolue, Mr RICHARD pense que les structures d’accueil vieillissent et ne correspondent plus vraiment aux populations et pathologies rencontrées. En ce qui concerne le travail thérapeutique, l’objectif n’est pas la rémission totale mais il convient de créer une « bonne relation » entre le sujet et le thérapeute pour élaborer, par la suite, la meilleure stratégie d’accompagnement du « malade ». Il ne parle pas de « neutralité bienveillante »( en référence à certaines pratiques appliquées) mais compare plutôt la relation avec le patient comme un duel, un sport de combat, une opposition de deux forces qu’il faut essayer d’harmoniser pour trouver un équilibre prompt à l’évolution de chacun des protagonistes et de la thérapie. Sur la question de la rechute, Didier RICHARD parle de « claque narcissique » pour le patient et il semble que cela soit un sujet difficile à aborder avec lui. Pourtant, il ne considère pas la rechute comme un problème, mais plutôt comme une opportunité à entamer un nouveau travail : Cela serait une étape comme une autre, importante pour le sujet qui doit en faire l’expérience afin qu’il ne croie pas à une guérison trop facile. Enfin, à la question concernant la légitimité de l’utilisation du terme générique d’Addiction, il reste prudent, voire sceptique, quant à un tel regroupement de conduites ; Notamment, pour ce qui est de la pratique et de l’identité du sujet . En effet, il lui semble que cela soit trop tôt, d’un point de vue purement pratique, de faire se rejoindre des malades ayant des problématiques différentes, s’identifiant de surcroît au travers de leur maladie. Ainsi, un alcoolique se présente et va jusqu’à se revendiquer comme alcoolique : il n’est peut-être pas près à lâcher ce que l’on pourrait appeler une « identité prothèse » ? Toutefois, Mr RICHARD acquiesce quant à l’utilité que prend ce concept, d’un point de vue politique et social, permettant de rendre l’accès au soins probablement plus facile. De la même 27 manière, cela pourrait permettre de « dé diaboliser » certains produits et leurs utilisateurs ainsi que de rétablir un certain équilibre dans le financement des prises en charge. Le psychologue clinicien Robert LEBORGNE, rencontré à l’université lors d’une intervention sur la présentation de son service, intervient au CHGR, au sein du service du professeur JAGO. Il rencontre tout type de population ayant des problèmes psychiatriques. Au cours de sa pratique, il lui a été permis de faire certaines constatations qui recoupent celles que font d’autres professionnels : notamment que parmi les jeunes psychotiques, plus de 50% auraient une problématique addictive. Il observe en effet, dans cette population, une progression importante dans la consommation de produits tels que l’alcool, le cannabis et les médicaments. L’approche qu’il a vis-à-vis de ces patients, il la tient des théories psychiatriques et psychanalytiques. Ceci dit, il s’interroge beaucoup sur l’influence du cadre (du service) et parle de « lecture institutionnelle » du patient. Toutefois, même si la théorie et le cadre ont un rôle effectif dans la prise en charge du sujet, il précise que c’est aussi de par les affects que le patient est capable de mobiliser chez le psychologue, et inversement, que la relation débute et s’enrichie. Pour lui, tout cadre, quel qu’il soit, à ses limites . Cependant, même si un cadre institutionnel ou une pratique ne répond pas à la demande d’un sujet, cela n’est pas un échec en soi dès lors qu’il puisse être orienté vers une autre structure, pratique, plus adaptées. Robert LEBORGNE se pose le problème d’un manque de retour quant à sa pratique dans le cadre hospitalier, qui n’a pas en charge le suivi des patients sur l’extérieur. Le seul retour qu’il a c’est lorsqu’un patient revient et, c’est en général signe d’échec de la thérapie précédente. Ce qui semble important de retenir de ces deux entretiens, c’est qu’il n’existe pas une seule façon d’appréhender le sujet, ni un seul cadre disposé à le prendre en charge. Ainsi, pour Robert LEBORGNE, il semble très important que le psychologue ne soit pas le seul référant thérapeutique d’un sujet mais qu’il se créé autour de celui-ci un réseau pluridisciplinaire. De même que pour Claude VEDHEILLE, Didier RICHARD ne conçoit pas la guérison comme un objectif majeur de la thérapie, du fait de la complexité de la problématique abordée. La thérapie serait plus à considérer comme un accompagnement dans « la reconstruction identitaire » du sujet, donc dans la recherche d’un équilibre. B - LES PRATIQUES A L’EGARD DE L’ADDICTION Etant donné le grand nombre d’approches des addictions, nous avons choisi de nous intéresser aux pratiques les plus représentatives nous permettant d’appréhender une certaine identité spécifique de « l’addict ». Du malade au défenseur d’un mode de vie minoritaire, en passant par 28 l’individu en souffrance qui exprime son symptôme…l’identité du sujet sera dès lors très différente face à l’objet de l’addiction. On peut ainsi distinguer deux grands champs au sein de ces pratiques : _ Une addictologie clinique, centrée sur l’accompagnement et le soin aux personnes dépendantes. Elle propose une importante variété de pratiques. _ Une addictologie de santé publique, essentiellement axée sur la prévention et dont l’objet n’est pas l’addict lui-même mais une recherche d’évitement destiné à la population quant au passage de l’usage à l’abus puis de l’abus à ma dépendance ; c’est-à-dire, l’objet de l’addiction. 1) L’addictologie clinique a) Les groupes d’entraide Au sein des traitement de conversion, ces groupes d’inspiration religieuse ont une place de choix. Citons les « Alcooliques Anonymes », un des premiers qui n’est pas d’inspiration catholique (contrairement aux tous premiers groupes) mais qui dit agir au nom d’une puissance supérieure non définie à laquelle peuvent se référer les membres du groupe. Dans ce contexte, l’entraide est selon l’alcoologue P. FOUQUET a relier au terme grec « Néphalisme » qui rappelle que certains groupes de l’Antiquité célébraient l’abstinence par des fêtes appelées Néphalides. Le traitement proposé se compose de douze étapes successives que les membres doivent atteindre et dépasser. La première étant d’admettre son impuissance face à l’objet d’addiction, l’abstinence devient le moyen de guérison de la dépendance. En complément, sont apparus des groupes de « codépendance » basé sur l’idée que vivre avec une personne dépendante constituait aussi une maladie. Citons ALANON et ALATEEN( groupes de conjoints et d’enfants d’alcooliques), NARANON ( groupes de parents de toxicomanes). Le succès de ce type de groupe semble tenir à plusieurs facteurs : _ Le caractère religieux paraît favoriser le maintien de l’abstinence par l’abandon de l’objet d’addiction en se référant à une puissance supérieure. _ La notion de groupe, de par ses réunions régulières, semble être u support affectif suffisant, une proximité affective s’y jouant. Souvent, l’encouragement à l’abstinence et surtout les renforcements positifs associés (anniversaires de l’abstinence) incitent certains à qualifier ces groupes de comportementalistes. Cependant, la philosophie semble plus spirituelle que comportementale ou behavioriste. De même, les risques de (trop) forte dépendance aux autres peuvent laisser penser à une « prothèse de socialisation de sujets infantilisés » (M. VALLEUR & C. MARTYSIAK). On parle ici d’un déplacement d’une addiction vers une autre. En pratique, la majorité des sujets ne sont pas hors société mais bien plutôt intégrés dans une vie affective et sociale indépendante. La question de la dérive sectaire peut aussi se poser et est 29 illustrée malheureusement par SYNANON, une communauté américaine pour toxicomanes. Ce groupe thérapeutique totalitaire et maltraitant était en fait une secte paramilitaire. Ceci dit, une certaine garantie chez les vrais groupes d’entraide consiste en l’adoption de « traditions » où tout échange d’argent est prohibé, une hiérarchisation du groupe est respectée, etc. b) Les groupes d’auto-support Nés d’un contexte politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues illicites, ce modèle apparaît aux Pays Bac en 1980. La création des « junkie bonds », associations voire syndicats de « drogués » se défendent d’être des minorités à cause de leur choix de vie différent de celui de la majorité de la population. La réduction des risques, la lutte contre le SIDA, les préventions, etc. vont être leur cheval de bataille ; leur but étant d’encadrer, d’informer et de former les plus jeunes ou novices et de leur éviter les pièges menant à l’addiction. c) La psychothérapie Guidée par les approches psychanalytiques, cette approche considère les addictions comme des symptômes de difficultés plus profondes et dont il convient de trouver la source. Proposées sous de multiples formes et contextes (cabinet individuel, centre de post-cure, hospitalisation…), elle peut aussi s’adresser à la famille. Ainsi sur le modèle systémique, la thérapie familiale pourra déceler un dysfonctionnement dû au patient désigné, la personne addictée. d) La chimiothérapie Dans des centres spécialisés, les traitements de substitution (Méthadone et Subutex) sont un accès au soin(des médicaments)et non un produit pour un produit. Préconisée pour la dépendance aux opiacés, la Méthadone agit comme l’héroïne mais sur une duré beaucoup plus importante (24 heures). Le Subutex (Buprémorphine), pris par voie orale, agit de façon antagoniste car plus la dose augmente et plus les récepteurs opioïdes sont saturés, ce qui limite les risques d’overdose. Son inconvénient en pratique est qu’il est « shootable » et peut donc être détourné de son utilisation. L’intérêt de ces traitements ne tient pas seulement à la substitution d’un produit illicite par un médicament délivré sur ordonnance mais bien plus encore, au lien qui s’établit entre le consommateur et son médecin. La démarche de soin est complémentaire à une réduction des risques : pour la société ( délinquance, contamination par le VIH…), pour le sujet (course au produit, souffrance psychique et physique…). Ce moyen n’est il donc pas l’espoir d’une socialisation ou d’une démarche d’une resocialisation ? 30 e) Le sevrage Remis en question par certains, valorisé par d’autres, le sevrage apparaît comme une étape capitale pour le sujet. Possible en cure ambulatoire, les « puristes » pensent qu’il s’agit d’un moment d’expériences qui va permettre à l’individu de prendre du recul sur sa pratique addictive. En hospitalisation ou en post-cure, le sujet peut s’évaluer à distance. Il mesure ainsi la place prise dans son existence ainsi que ses enjeux. Ceci dit, une limite reste tout de même que le changement de contexte est rarement définitif, un retour à la vie non hospitalière arrivera et le risque de rechute reste présent. f) La question de la rechute Selon le Petit Larousse de Médecine (Hachette), la rechute est « une nouvelle poussée évolutive d’une maladie chez un sujet qui en avait déjà été atteint et qui n’était pas bien guéri ». Etymologiquement, ce terme vient de l’ancien verbe « rechoir » signifiant retomber. Dans le sens médical comme dans l’esprit populaire, la rechute n’apparaît pas souhaitable pour le sujet et, est même connotée plutôt négativement, renvoyant à un retour à zéro. La question qu’on pourrait se poser est de savoir à partir de quel moment il est question de rechute ? Pour un alcoolique, est-ce d’avoir reconsommé de l’alcool ou bien seulement d’avoir fortement pensé le faire ? Cela sous-tend un aspect comportementaliste d’un côté, et un aspect plus psychologique de l’autre. Nous l’avons vu, pour les groupes d’entraide, la rechute est plutôt dramatisée, seule l’abstinence permettant la rémission. La culpabilité ressentie par le sujet signe la crainte du retour de la maladie et son incurabilité. Au contraire, certains auteurs et praticiens posent la rechute comme une étape éventuelle, non dramatique et culpabilisante, du processus engagé par les addictés. A. MARLATT & J. GORDON (in Les addictions chez Armand Colin). Ils proposent une stratégie thérapeutique de « prévention des rechutes » : afin d’éviter le drame de la première rechute qui entraînera le sujet dans une « replonge » extrême, il est proposé au sujet d’adopter des stratégies qui vont lui permettre de palier au comportement addictif. Par exemple, éviter certains éléments de contexte, apprendre à repérer les situations stressantes…Dans tous les cas, il s’agit d’un moyen opérant à long terme, où le sujet expérimente autant de rechutes que de « victoires » sur son objet d’addiction. En somme, aborder la question de la rechute revient à s’interroger sur les objectifs que l’on se donne : _ l’abstinence face au comportement addictif, considérée par certains auteurs et praticiens comme pathologique (C.VEDEILHIE par exemple). _ la démarche de soin du patient. _ la mise en évidence d’une problématique plus profonde, découlant d’un fonctionnement de mise en échec perpétuel. Autant d’objectifs différents qui sont basés sur des fondements et des valeurs 31 différents mais qui viendront donner du sens, autrement que négativement à la question de la rechute. Pour conclure sur l’addictologie clinique, deux choses essentielles ressortent : _ Il n’existe pas de prise en charge unique de l’addict, mais une variété car chacune porte sur des objets différents. On s’intéresse aussi bien au comportement du sujet qu’à ses difficultés psychologiques. L’addiction étant définie par la théorie de laquelle elle découle, l’addict sera, quant à lui, défini par la pratique auquel il aura accès. Tantôt malade, tantôt représentant une minorité ou encore, être en souffrance qui manifeste un symptôme…ce sont autant de possibilités qui vont justifier des pratiques thérapeutiques variées mais aussi un regard particulier sur la personne. _ Il est intéressant de noter que la diversité des propositions, la relative souplesse dans l’application des « programmes » reflètent la liberté de choix des patients concernant la mise en œuvre des moyens. On peut bien sûr formuler des critiques ou des réserves cependant, cet éventail de possibilités semble être du sur-mesure pour le sujet et lui apporter au final, une qualité de vie mailleure. 2 ) L’addictologie de Santé Publique Cet aspect concerne essentiellement la prévention. Quand on parle de cette notion, il est souvent question de LEDERMAN, un démographe français, qui en 1956 proposa un modèle statistique faisant un lien entre la consommation générale d’alcool dans la population et la quantité de problèmes de santé consécutifs. Plus l’offre serait abondante, plus le nombre de consommateurs augmenterait. De même, le développement d’un usage nocif d’un objet ou produit entraînerait l’apparition de la problématique de dépendance. De nombreux constats ont pu valider ce modèle concernant l’alcool, les substances psychoactives mais aussi pour les addictions sans drogue comme le jeu pathologique ( plus fréquent à proximité des villes de casino). Auparavant aux Etats-Unis, dans les années 1919 à 1933, la Prohibition avait donné un exemple différent : interdire l’alcool a entraîné de la délinquance et du traffic de contrebande et a fait de cette « politique » une sorte « d’illégalisme populaire », plus dangereux encore poour la société et les personnes. En matière de prévention, s’occuper des addicts n’est pas l’objectif principal mais plutôt, lutter pour la diminution globale de la consommation de la population générale. C’est une politique de Santé Publique s’intéressant à tous et non pas à une minorité touchée par les « gros problèmes ». Les instances préfèrent viser les conduites ayant des conséquences directes, visibles et nocives pour les individus, tant sur son état physique que sur ce qu’il peut représenter comme danger pour autrui. Ainsi de nombreuses actions, publicités et campagnes sont essentiellement axées sur les ravages du tabac, de l’alcool et du cannabis, en France. Il existe pourtant beaucoup d’autres conduites dangereuses mais, semble t il moins inquiétantes pour la société si on analyse correctement les volontés politico-sociales. 32 Réduire les risques, éviter que l’usage ne devienne abusif et que l’abus signe la dépendance est l’objectif visé. Concernant la politique de réduction des risques liés à la toxicomanie s’axe en partie, sur une politique « hygiéniste » plus générale car elle lutte contre les problèmes de contaminations du VIH, des hépatites par la mise en place de distribution de seringues et de préservatifs (Stéribox). En outre, la prévention passe aussi en France par une réglementation « stricte » (ou qui tend à le devenir) à l’égard des produits « possiblement addictifs ». Ainsi la commercialisation du tabac, de l’alcool, des médicaments psychoactifs (prescrits) sont concernés, tout comme les publicités qui s’y rapportent ; le but semblant être de réduire les tentations. Par exemple, la Loi Evin sur le retrait du prix du tabac du calcul des indices de consommation serait une politique dissuasive.( !) Enfin une large part concerne une prévention plus répressive : la sécurité routière, la protection des mineurs et depuis quelques années le dopage. L’addictologie de Santé Publique s’axe donc essentiellement sur une politique de réduction des risques. Parce que certaines « dépendances » peuvent comporter un aspect positif et constituer des compromis existentiels valides, à un moment donné de la vie du sujet, elle tente d’imaginer des stratégies particulières visant à prserver certaines formes de dépendances pour limiter au maximum les plus extrêmes. 33