i - le discours direct

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LE DISCOURS RAPPORTÉ
Il existe plusieurs moyens de rapporter la parole des autres dans un énoncé : c'est ce qu'on
appelle en particulier le discours direct ou le discours indirect.
Remarque : nous utiliserons le mot parole, et quelquefois le mot voix, au sens large, c'est-à-dire
qu'il peut s'agir de paroles véritables, ou de pensées.
Ce qu'on appelle discours rapporté, c'est la superposition de deux énoncés (au moins) : l'énoncé
d'un premier locuteur est rapporté par un second locuteur, et ce n'est pas forcément terminé ; en
fin de compte, le dernier locuteur, c'est l'auteur. Bien sûr, si on superpose trop d'énoncés, le
lecteur ne comprend plus rien (X raconte que Y a raconté que Z a raconté que...) !
On peut dire qu'un passage de roman superpose des voix : c'est pourquoi l'on parle parfois de
polyphonie. Un auteur peut faire exprès de mêler des voix jusqu'à les rendre indistinctes ; dans
une étude littéraire, il est essentiel de distinguer ces subtilités.
Il existe trois formes de discours rapportés, avec des différences sur plusieurs niveaux
grammaticaux.
I - LE DISCOURS DIRECT
Un personnage ou un auteur se fait le porte-parole d'un autre locuteur. Cela peut être très simple,
sans fioritures, sans aucun élément d'interprétation :
Groucho Marx a dit : "Je ne voudrais pour rien au monde faire partie d'un club qui serait
disposé à m'accepter comme membre."
A priori, le locuteur-rapporteur ne modifie en rien la parole historique du premier locuteur.
1) Caractéristiques du discours direct

A l'écrit, la citation se reconnaît aux guillemets, qui correspond à une pause orale, avec
élévation mélodique, après le verbe introducteur. Quand il s'agit d'un dialogue, on utilise
des tirets. Cette ponctuation a surtout été utilisée à partir du XIXème siècle (jusqu'au
XVIIIème, souvent, pas de guillemets). La ponctuation, avec la mise à la ligne, signale
l'indépendance syntaxique du discours direct par rapport au verbe introducteur, quand il
y en a un. Ce verbe est assez souvent placé avant les paroles, et suivi de deux points ; il
peut aussi être incis (intercalé) dans les paroles (ex : ..., dit-il,...), ou placé à la fin d'une
phrase, quand elle est courte. Syntaxiquement, il n'y a aucune liaison entre ce verbe et le
contenu des paroles. Toutefois, on peut considérer que les propos entiers du personnage,
quels qu'en soient le contenu et la longueur, sont en situation de COD par rapport à un
verbe de parole ; sinon, on serait souvent en présence d'un verbe qui aurait un COI 2nd
sans avoir de COD 1er :
Il lui dit : "Passe-moi le sel !" (lui = COI 2nd)



Caractéristique essentielle en ce qui nous concerne : le discours direct contient tous les
indices de l'énonciation, tous les embrayeurs, pronoms personnels, indication de lieu et
de temps relatives au locuteur, temps des verbes centrés sur le présent, etc. Il faudra
envisager ce que deviennent ces indices dans le discours indirect.
La ponctuation à l'intérieur des paroles retranscrit le ton du personnage (ponctuation
interrogative, exclamative, points de suspension, etc.). [modalités d'énonciation]
Le discours direct n'est pas forcément constitué de phrases. On retranscrit les
interjections, les termes agrammaticaux, les phrases incomplètes et toutes les maladresses
d'un langage approximatif ; également, les termes étrangers, les accents, etc. :
Alors, faisant de ses mains un porte-voix, il mugit de nouveau : "Méli-e-e !" Du fond de la cour
sa femme répondit :
"Qué qu'y a ?
- Ousqu'il est saint Blanc ! Je l'trouve pu dans l'bûcher."
Alors, Mélie jeta cette explication :
"C'est-y pas celui qu't'as pris l'aut'e semaine pour boucher l'trou d'la cabane à lapins ?"
Mathieu tressaillit : "Nom d'un tonnerre, ça s'peut bien !"
(Maupassant, Un Normand)
"Je vous prierai, matame, de fous lever et de tescentre pour qu'on fous foie. (...) Che ne tolérerai
bas d'insolence. Si fous ne fous levez pas de ponne volonté, che trouverai pien un moyen de fous
faire bromener toute seule." (Maupassant, La Folle)
On peut considérer que le discours direct est mimétique : il imite le comportement du
personnage, le ton sur lequel il parle...
2) Modalisation du discours direct
Pourtant, cette fidélité littérale au discours rapporté n'est en fait qu'apparente :

On ne retranscrit pas forcément les hésitations, les bafouillages fréquents dans le langage
parlé, les euh... , les blancs, etc. Un auteur peut faire exprès de les transcrire, ce qui est
déjà une sorte d'interprétation, de commentaire invisible sur le personnage ; bref, ce n'est
pas neutre. Le langage parlé est aussi riche en répétitions, qu'on éliminera en
retranscrivant.
Si on laissait tout cela, ça ferait un mauvais roman, ou un mauvais film (dialogues), ou un
mauvais article (interview). On peut dire que la littéralité (exactitude) du discours direct ne
concerne que la teneur du discours.

Les dialogues sont introduits par des verbes. Or, le choix du verbe n'est pas innocent ; il
peut indiquer l'attitude, le ton (ex : vociférer), le sentiment, d'un personnage, ce qui relève
du choix de l'auteur. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un verbe de parole : un auteur peut
introduire des paroles par un verbe qui montre un geste :
Dès qu'elle m'eut laissé seul avec son mari, il me prit les mains, les serrant à les broyer :
"Voici longtemps, cher monsieur, que je veux aller vous voir. Ma femme m'a tant parlé de
vous..." (Maupassant, Ce cochon de Morin)
Le verbe de présentation, à lui seul, parvient souvent à "modaliser", interpréter les propos qui
sont transmis : il en évalue la vérité ou la fausseté par exemple, comme les verbes reconnaître ou
prétendre, sans compter tous les sous-entendus, comme le verbe insinuer.
Ce verbe est aussi souvent accompagné d'un commentaire qui sert justement à modaliser, à
montrer la distance que prend le rapporteur par rapport au personnage, ou son point de vue :
"Hélas ! lui dis-je, avec un soupir parti du fond du cœur, votre compassion doit être excessive,
mon cher Tiberge..." (Abbé Prévost)
Le personnage qui rapporte ses propres paroles se décrit bien sûr à son avantage.
Le texte suivant de Queneau montre bien l'ensemble de ces aspects : verbes de parole, ton et
attitude des personnages, etc., et le point de vue de l'auteur, la modalisation :
- Que vois-je ! s'écria le roi assis sous son chêne, n'est-ce point là mon bien aimé Auge qui
s'avance ?
- Lui-même, sire, répondit le hobereau en s'inclinant bien bas. Mes respects, ajouta-t-il.
- Je suis heureux de te voir en florissante santé, dit le roi. Comment va ta petite famille ?
- Ma femme est morte, sire.
- Tu ne l'as pas tuée, au moins ? Avec toi, on ne sait jamais.
Le roi sourit de sa bénévole indulgence et la flotte qui l'entourait ne l'en admira que plus.
(R. Queneau, Les Fleurs bleues)
Le réalisme, la neutralité, le rapport exact, c'est ici un moyen pour l'auteur de montrer son ironie,
comme chez Voltaire.
II - LE DISCOURS INDIRECT
Dans le discours indirect, les propos d'un locuteur sont intégrés dans ceux d'un autre locuteur,
une énonciation est intégrée dans une autre, avec une ligne de démarcation qui est celle de la
subordination : la "traduction" des paroles se fait à l'aide de subordonnées, presque toujours.
L'étude des différences avec le discours direct va donc nous indiquer ce que deviennent les
embrayeurs du discours originel.
1) La subordination
L'énoncé originel perd son indépendance syntaxique : il se transcrit à l'aide de subordonnées qui
sont compléments d'un verbe de communication, ou de pensée ; on peut en effet transcrire des
pensées, ce qui correspond à une 2ème transcription, car la pensée véritable ne se formule pas au
départ avec des mots (quand on l'exprime avec des phrases, on la transforme en parole, en
monologue, ou dialogue avec soi-même).
La perte de l'indépendance syntaxique se manifeste aussi par la disparition de la ponctuation
directe : les deux points, les guillemets. Il n'y a même pas une virgule, pour séparer le verbe de la
subordonnée, parce que celle-ci est COD de ce verbe.
On remarquera que les verbes qui introduisent les subordonnées ne sont pas exactement les
mêmes que ceux du discours direct. Ex :
Il l'interrogea : "Connaissiez-vous la victime ?" / Il lui demanda s'il connaissait la victime.
Sur le plan syntaxique, les paroles sont le plus souvent transformées en subordonnées
conjonctives pures, ou subordonnées interrogatives, compléments d'objet :
Il fit pourtant réflexion qu'on lui avait dit que les noyés pouvaient revenir à la vie. (Musset)
2 sub. conj. pures introduites par que ; la 2ème est COD de dire ; la 1ère est complément d'une locution verbale, on
peut analyser formellement comme COD de cette locution, ou complément du nom réflexion, dont le sens indique
que cette réflexion se fait à haute voix.
Personne ne me demanda qui j'étais, d'où je venais. (Chateaubriand)
2 sub. interr. partielles, la 1ère introduite par un pronom interrogatif, la 2nde par un adverbe interrogatif.
Elle vient sans tarder, lui demande ce qu'il faut faire. (La Fontaine)
sub. interr. partielle, introduite par le pronom interrogatif ce que.
J'ai compris, répondit-il. Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. (Hugo)
sub. interr. partielle introduite par un adverbe interrogatif.
On lui demanda d'abord s'il avait jamais lu quelque livre. (Voltaire)
Sub. interr. totale, introduite par la conjonction interrogative si.
Toutes ces subordonnées sont COD.
On voit dans les exemples précédents ce que deviennent les phrases assertives et interrogatives :
des subordonnées conjonctives pures, ou des subordonnées interrogatives.
Les phrases injonctives connaissent un sort particulier :
Le caporal leur ordonna : "Couchez-vous à plat ventre, et rampez sous les barbelés !"
Le caporal leur ordonna de se coucher à plat ventre et de ramper sous les barbelés.
On obtient un infinitif introduit par de. Soit on considère que cet infinitif est complément d'objet
du verbe injonctif ordonner (souvent : dire), COI de préférence (certains analysent comme
COD) ; soit on considère qu'il s'agit d'une subordonnée infinitive, dont le sujet est leur, pronom
personnel qui se trouve pourtant à une forme régime indirect.
Donc, on se trouve ou non dans la subordination au sens strict, mais on est dans la subordination
au sens large : un élément subordonné est un élément complément. Comme au départ la parole
s'exprime à l'aide de phrases, celles-ci se transposent tout naturellement en éléments phrastiques,
en propositions.
On peut d'ailleurs à l'occasion trouver une conjonctive introduite par que :
Il leur dit (ordonna) qu'ils fassent... (lourd)
Les subordonnées exclamatives indirectes existent aussi, bien qu'elles soient rares et de
constructions limitées :
Nous admirâmes [comme ils avaient bien su rénover cette vieille demeure si délabrée autrefois].
Ceci renforce l'impression que la phrase exclamative est un type de phrase ambigu.
2) Le verbe de la subordonnée
Dans le discours direct, les verbes sont, si l'on peut dire, à un temps et à un mode "naturels",
nécessités par le sens de la communication ; le temps de base, c'est le présent ; le mode de base,
c'est l'indicatif ; pour la phrase injonctive, c'est le plus souvent l'impératif. Le discours indirect
apporte des changements entraînés par la subordination.

Les temps ne s'organisent plus autour du présent : il faut se référer à ce que nous avons
vu dans un chapitre précédent, la différence entre discours et histoire. Le discours direct
se situe dans le discours, et le discours indirect dans l'histoire. Sauf exception, les temps,
dans l'histoire, s'organisent autour du passé simple et de l'imparfait. L'exception, c'est la
narration au présent, ce qui est une façon familière de raconter, ou bien un effet de style
qu'on appelle justement le présent de narration. On peut aussi rapporter au présent des
paroles immédiates, encore vraies au moment où on les rapporte :
Il affirme : "Tu as tort." / Il affirme que tu as tort.
En discours indirect, la narration est le plus souvent au passé, et le temps de base dans la
subordonnée, c'est l'imparfait, car le passé simple s'utilise dans le récit indépendant. Les verbes
subissent la concordance des temps ; il y a donc un décalage vers le passé ; ainsi, le passé
composé devient plus-que-parfait, le futur devient conditionnel, qu'on appelle alors "futur du
passé".
Il affirma : "J'y suis allé ; j'y retournerai." / Il affirma qu'il y était allé, et qu'il y retournerait.
Ce sont des règles de transposition mécaniques, qui peuvent connaître quelques entorses, quand
le temps originel conserve sa valeur :
Il enseignait que la somme des angles d'un triangle est égale à 180 degrés. (vérité générale)
Il a dit que tu es un imbécile / que tu étais un imbécile. (1er cas : on prend en charge les paroles
rapportées ; 2ème cas : on s'en détache)

En ce qui concerne les modes, il peut y avoir ce qu'on appelle une contrainte modale ;
un subjonctif apparaît dans certains cas, et remplace l'indicatif ; Le subjonctif est
fondamentalement lié à la subordination. C'est l'indice d'une modalisation : c'est le sens
du verbe introducteur qui gouverne ce changement, et ce verbe exprime le point de vue
du rapporteur. Ainsi, un verbe marquant un sentiment ou un doute pourra entraîner le
subjonctif dans la subordonnée :
Il s'indigna : "Comment ! on n'a pas encore réparé la chaudière ? !" / Il s'indigna (de ce) qu'on
n'eût pas encore réparé la chaudière.
De même, la phrase injonctive, quand l'infinitif n'est pas utilisé, devient une conjonctive au
subjonctif :
Il ordonna : "Rappelez le réparateur !" / Il ordonna qu'on rappelât le réparateur.
Cette contrainte modale, entre autres, remplace dans certaines phrases l'intonation d'origine, qui
disparaît forcément dans le discours indirect.
3) La structure de la phrase
Tout ce qui n'est pas assertion, déclaration, disparaît dans le discours indirect.

C'est d'abord la tournure, par exemple la tournure interrogative, avec inversion du sujet,
qui n'est pas gardée. Il est incorrect de dire :
*Dis-moi où est-il. / *Dis-moi qu'est-ce que tu en as fait. / *Il faut s'interroger sur comment on
va faire.
Il en est de même pour les tournures injonctive et exclamative.

En même temps, l'intonation interrogative, injonctive, ou exclamative, avec la voix qui
monte ou qui descend, et certains mots plus appuyés que d'autres, cette intonation n'est
pas conservée. Comment est-elle transposée ?
Elle est lexicalisée, c'est-à-dire qu'elle est remplacée par des verbes introducteurs appropriés
dans la proposition principale : demander, ordonner, s'indigner, etc.

Concernant toujours la structure de la phrase d'origine, qui peut être anormale, non
verbale par exemple, cette structure est ramenée à une structure verbale syntaxiquement
correcte :
a - Interjection : "Ouf !" / *Il m'a dit que ouf.
b - Phrase averbale : "Mon chef ? Un imbécile !" / *Il m'a dit que son chef, un imbécile.
c - Phrase incomplète : "Ben, tu sais, moi... enfin !" / *Il m'a dit que ben, je savais, lui... enfin.
d - Mot ou tournure incorrecte : "Si que je l'aurais vu, j'en aurais été toute boulversifiée." / Elle
m'a dit que si qu'elle l'aurait vu, elle en aurait été toute bouleversifiée. (??)
Si on reproduit ces tournures ou ces termes, cela correspond en fait à une citation, c'est-à-dire
que ce n'est plus en fait du discours indirect. De même, un mot bizarre, ou étranger, sera repris
entre guillemets : si c'est un texte écrit (roman), on écrit les guillemets ; si c'est un texte oral,
comme au théâtre, on marque une pause et une intonation caractéristiques qui correspondent aux
guillemets. Un journaliste, par exemple, dira : "Je cite", ce qui marque la distance.
De même que nous disions que l'intonation est lexicalisée, tout ce qui n'est pas reproductible
dans le discours indirect sera aussi lexicalisé, quand c'est possible :
a - Il poussa un soupir.
b - Il me confia que son chef était un imbécile.
c - Il m'avoua, gêné, qu'il n'était pas très chaud pour se lancer dans cette aventure hasardeuse.
d - Elle reconnut maladroitement qu'un tel spectacle l'aurait profondément perturbée.
Tout ceci montre bien que, à part dans les exercices simplistes (scolaires), le discours indirect
n'est pas qu'une simple transposition, une paraphrase, du discours direct, mais une sorte de
traduction, une interprétation de son contenu et de son énonciation. Cela peut se constater peutêtre encore plus nettement dans l'exercice inverse ; comment en effet transcrire au discours direct
le texte suivant ?
Le chat se demande s'il restera dans la rue malgré les passants qui le bousculent et l'effarent ou
s'il rentrera dans la boutique au risque d'en sortir au bout d'un soulier. (A. France)
(Ce sont des pensées, et c'est un chat qui pense !)
4) Les personnes
La transposition des personnes suit des règles assez complexes, mais en fait, si l'on ne se trompe
pas de personnage, on doit s'y retrouver : dans la vie courante, quand on rapporte les paroles d'un
autre, on ne se trompe jamais. S'il s'agit d'un extrait de roman, il faut bien identifier les
personnages.
Techniquement, il faut considérer qu'un locuteur-rapporteur (qu'on peut appeler X, ou LR)
rapporte à un allocataire (Y, ou A), les propos d'un autre locuteur (Z, ou L2...) ; quand les
personnages sont bien identifiés, c'est encore plus clair de les appeler par leur nom !
Nous ne passerons pas en revue toutes les possibilités, ce qui serait fastidieux. Globalement, les
indices de la 1ère ou de la 2ème personne sont fréquemment transposés à la 3ème personne dans
le discours indirect. Il faut pourtant envisager le cas où le je ou le tu sont coréférents dans
l'énonciation qui rapporte une autre énonciation.
On peut rapporter ses propres paroles (Je1 = Je2) :
"Je suis malade." / Je lui ai dit que j'étais malade.
Ou bien reprendre les paroles de la personne à qui on parle :
"Je suis malade." / Tu me dis que tu es malade ? (Je devient tu, et non il)
Rappelons qu'en plus des pronoms personnels, les adjectifs et pronoms possessifs sont
concernés, puisqu'ils se rapportent à des personnes.
5) Les indicateurs de temps et de lieu
Là encore, les indicateurs déictiques de temps et de lieu suivent des transpositions mécaniques :
hier / la veille ; demain / le lendemain ; aujourd'hui / ce jour-là, ... ; ici / là, là-bas...
"J'ai vu ton frère avant-hier, près d'ici." / Il m'a dit qu'il avait vu mon frère l'avant-veille, près de
chez lui.
On peut associer à ces indicateurs de circonstances les démonstratifs, dans la mesure où, quand
ils sont déictiques, ils servent à montrer ; il peut y avoir une modification : ceci devenant cela
(ça), de même que le présentatif voici disparaît, remplacé par une expression comme il y avait là,
près de lui... (avec un autre présentatif, verbal).
Tout ceci (ou tout cela ?) se fait spontanément dans la pratique orale.
III - LE DISCOURS INDIRECT LIBRE (ou semi-direct)
Il existe un troisième procédé pour rapporter des paroles, et qui est littérairement intéressant,
puisque c'est justement un procédé littéraire (il se rencontre peu dans la langue parlée). Il n'est
d'ailleurs pas toujours facile à reconnaître, car c'est là que les auteurs prennent un malin plaisir à
brouiller les cartes, entre les paroles d'un personnage, ou ses pensées, et l'intervention de l'auteur
lui-même, qui peut prendre une distance par rapport au personnage, une distance ironique par
exemple.
Ce discours existe depuis un certain temps, puisque La Fontaine au XVIIème siècle, ou
Rousseau, Marivaux et quelques autres au XVIIIème siècle l'utilisaient, mais il s'est surtout
développé dans les romans du XIXème siècle, et c'est à la fin du XIXème siècle qu'il a
commencé à être étudié.
La mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! Une femme chantait ;
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
(La Fontaine, Le coche et la mouche)
(2 phrases dans les 2 derniers vers sont au discours indirect libre)
1) Caractéristiques du discours indirect libre
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Syntaxiquement, la construction est celle du discours direct : pas de subordination. C'est
une partie du caractère énonciatif qui est conservée.
La ponctuation qui marque l'indépendance du discours direct n'est pourtant pas utilisée
(pas de deux points, guillemets, tirets).
Les phrases peuvent être annoncées ou accompagnées d'un verbe de parole, situé devant
elles, ou en incise. Quand ce n'est pas nécessaire pour la compréhension, l'auteur s'en
dispense. Ainsi, dans cette fable, le discours indirect libre fait suite à du discours
indirect : La mouche se plaint que...
A l'intérieur des phrases, la ponctuation qui fait l'aspect vivant du discours direct est
conservée : points d'interrogation, d'exclamation ou de suspension, c'est-à-dire les
intonations. C'est une autre partie du caractère énonciatif qui est conservée. La preuve en
est que l'on garde aussi les exclamations simples, les interjections : Quoi ! il faudrait
encore supporter que...
On garde peu, au contraire, les aspects maladroits, non structurés, du discours direct.
D'ailleurs, le discours indirect libre exprime souvent des pensées, qui ne sont pas
vraiment formulées avec des mots. Il conserve en bonne partie l'aspect interprétatif du
discours indirect.
Les personnes sont celles du discours indirect, ce qui est un signe de dépendance.
Il en est de même des temps des verbes.
Il en est de même encore des autres éléments déictiques qui indiquent le temps et le lieu ;
ex : alors, dans la fable de La Fontaine.
2) Intérêt du discours indirect libre
Il superpose deux instances d'énonciation : le discours qui rapporte se fait l'écho d'un discours
qui est rapporté. Les deux énoncés, les deux voix se confondent dans la bouche d'un seul
locuteur ; deux énoncés, cela veut dire deux manières de parler, sur le plan du sens, de la pensée,
de la formulation, des mots ou tournures utilisées, etc. Le locuteur-rapporteur prend tout cela en
charge, alors que ce n'est pas de lui. Il y a donc bien énonciation double.
Pourtant, c'est un discours fictif, un discours du "comme si", du "à la manière de".
Littérairement, son intérêt réside dans son ambiguïté. Les frontières sont en effet floues entre les
deux voix. Le déchiffrement demande une bonne interprétation des deux contextes, tant sur le
plan de l'environnement que sur celui de la pensée, des idées des personnages. Il faut rechercher
les signaux, les embrayeurs correspondant aux deux énonciateurs. Les auteurs jouent sur ce flou,
en particulier quand le rapporteur est l'auteur lui-même : cela permet souvent à l'auteur de
prendre une certaine distance par rapport à son personnage, alors qu'il fait semblant de prendre
en charge les paroles ou les pensées de celui-ci. Cette distance peut être affectueuse, cela peut
être de la compréhension, mais aussi de l'ironie. Il faut en particulier toujours se méfier quand un
auteur semble reprendre avec le plus grand réalisme, avec exactitude, les paroles ou pensées d'un
personnage : c'est une manière de mettre en relief les faiblesses, les défauts, les naïvetés, en
refusant justement de les gommer.
D'ailleurs, la distance prise par l'auteur peut être manifeste : elle s'exprimera par un verbe qui
apporte une modalisation, dans une expression incise comme ..., prétendait-il,... / ..., insinuaitil... ; cela se passe de la même façon que dans le discours direct.
La distance est floue entre les deux voix ; elle l'est aussi entre les propos ou pensées ainsi
rapportées, et le récit lui-même : on peut dire que l'auteur maîtrise son personnage, et relâche de
temps en temps la bride, la laisse, pour le rattraper quand il le veut (dans le discours direct, il le
lâche complètement).
- Monsieur vous attend, Madame ; la soupe est servie.
Et il fallut descendre ! il fallut se mettre à table !
(Flaubert, Madame Bovary)
L'énonciation d'Emma, la trace de sa voix, se situe dans la tournure exclamative, ainsi que dans
l'expression de l'obligation, donc le caractère pénible de la situation qui en ressort. Cela suppose
une contrainte par rapport aux désirs du personnage. On peut qualifier ces éléments de subjectifs.
La voix d'Emma se situe aussi dans l'absence de pronom complément de la 3ème personne : il lui
fallut. La parole de l'auteur s'efface ainsi, l'auteur prend à son compte celle d'Emma.
Pourtant, le récit au passé simple laisse penser qu'il n'y a qu'un seul locuteur : Flaubert, l'auteur.
Il y a donc bien une superposition des voix. C'est pourquoi on parle de polyphonie à propos du
discours indirect libre.
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