Capítulo 2010 - Compagnons de Saint François

publicité
Chapitre 2010:
DIÁLOGUE OECUMENIQUE ET INTERRELIGIEUX
1. Introduction
Depuis le commencement je souhaite manifester que je ne suis pas un expert dans le
thème et, donc, je présente mes excuses d’avance pour mon audace. Cependant, je crois
nécessaire de rappeler que ce texte n’a, ni prétend avoir une valeur en soi, mais qu’il
essaie uniquement de servir comme point de départ pour la réflexion et le dialogue.
Avant l’entrée en matière, j’aimerais aussi exprimer mes remerciements à notre gardienne
internationale, Shena Barby, et au Conseil International des CDSF, de me faire confiance,
remplaçant le compagnon et ami Göran Werin pour rédiger ce texte sur l’œcuménisme.
Compagnons de St François nous nous définissons comme “mouvement chrétien à
caractère œcuménique et d’origine catholique (dénommé de forme différente dans chaque
pays), formé de mouvements nationaux indépendants. Le mouvement s’inspire des vies
de Jésus-Christ et de Saint François d’Assise et fomente un style de vie austère - ses
membres se préoccupent de thèmes comme la justice, la paix et la conservation de la
nature”1. Cependant, cette définition n’est pas si clairement assumée par toutes les
personnes qui font partie du mouvement des Compagnons de Saint François.
Comme nous pouvons le constater au chapitre 7 du livre de Van der Putten, intitulé Qui
sommes-nous? Que voulons-nous?, il s’agit d’un sujet polémique qui vient de loin, malgré
que ce soit une “question largement débattue”2. Dans ce chapitre du livre est cité un
article de Jean-Pierre Legrand, où sont exposés les points suivants sur la nature du
mouvement:
Un mouvement chrétien d’origine catholique (définition du point de vue œcuménique).
Mouvement œcuménique international de recherche de l’Evangile et de pèlerinage
Les Compagnons, est un mouvement de frères et sœurs de tous les pays, de toutes les
Eglises, en marche vers la fraternité universelle dans l’unité des Eglises et des hommes.
 Nous sommes “menore”; le mouvement chrétien, d’origine catholique il ne faut pas le
renier, est ouvert à toute confession monothéiste, dans l’obédience des statuts de chaque
Eglise, dans un esprit de fraternité franciscaine.
 C’est un mouvement de personnes qui prennent au sérieux la vocation de l’homme, telle
qu’elle s’exprime dans la nature de la création ou de l’Evangile.
 Le mouvement sera appelé “The pilgrims of Saint Francis” et sera la branche britannique
du Mouvement international et œcuménique des Compagnons de Saint François.
 Le Mouvement est, en principe, de Saint François, et est ouvert à tous les pauvres.
Jean Pierre Legrand précise à la fin de son rapport: “…sans doute la situation du Mouvement
est actuellement un peu confuse”.3



L’œcuménisme a été aussi un thème traité dans le chapitre de 2007 Qui sommes-nous?
Que voulons-nous ? thème auquel nous faisons référence ensuite dans le point 2 de ce
texte. Tous ces faits montrent donc la nécessité de continuer à débattre sur le thème, en
même temps qu’ils justifient l’opportunité et la pertinence de ce thème de chapitre sur le
dialogue œcuménique.
1
2
3
Point 2 du Brouillon de Constitution de Gardiennage International “Compagnons de Saint François, en
débat depuis octobre 2009.
Jan van der Putten (1991). Les Compagnons de Saint François, Bruxelles: L’Appel de la Route, Edition
en français, page 119.
Même œuvre citée, page 120.
1
2. Œcuménisme et CDSF. Références au thème de 2007
De même que dans le point précédent, où nous citions les références à l’œcuménisme qui
apparaissent dans le livre de Jean van der Putten, dans le présent aparté nous recueillons
les textes du chapitre 2007 qui traitent de ce thème pour qu’ils puissent servir comme point
de départ pour la réflexion.
Dans le point 5 de l’aparté A, Qui sommes-nous? on constate que la participation à CDSF
de chrétiens de toutes les Eglises chrétiennes continue d’être majoritairement catholique.
En ce qui concerne l’évolution des Eglises et leur influence dans la vie de CDSF (point 9 de
l’aparté A) il est dit ce qui suit:
Le concile Vatican II a supposé être un jalon important dans l’évolution des Eglises, et ses
conséquences sautent aux yeux: l’ouverture vers d’autres Eglises et religions (tous ne
l’appellent pas œcuménisme) et vers la société. Ceci a eu une influence pour que les CDSF
s’ouvrent aussi davantage à la société.
De plus, on signale que l’ouverture et la liberté qui ont surgi dans l’Eglise avec le Concile est
en train de rétrograder dernièrement. En conséquence, la distance que les compagnons plus
jeunes ressentent vers l’Eglise et ses traditions et vers les principes chrétiens catholiques de
CDSF, se fait de plus en plus grande.
En ce qui concerne la relation de CDSF avec les Eglises chrétiennes et autres mouvements
ecclésiaux, en général, les membres de CDSF de tous les pays participent individuellement
dans des paroisses et sont membres ou ont un rapport, plus ou moins ponctuel ou permanent,
avec la famille franciscaine, avec Pax Christi, avec des communautés chrétiennes de base,
avec des organisations de solidarité, etc.
Concrètement, sur l’œcuménisme en CDSF il est dit ce qui suit:
En général, CDSF est, par ses origines, un mouvement catholique et en même temps, à sa
manière, un mouvement œcuménique.
Nous voyons l’œcuménisme comme quelque chose qui nous enrichit quant aux formes,
contenus et moyen de vivre la foi; nous le voyons comme un élargissement précieux. Nous
considérons que la foi doit unir les personnes et non pas les séparer.
Normalement, l’expérience de l’œcuménisme en CDSF se limite aux activités internationales
mais il y a aussi des expériences de participation à des rencontres œcuméniques sporadiques
au niveau national.
Pour les compagnons de Grande Bretagne l’aspect œcuménique est très intéressant, et ils
accordent de l’importance à ce qu’il soit vécu aussi en dehors du christianisme. L’œcuménisme
a beaucoup influencé le mouvement britannique des CDSF.
Les suédois se posent beaucoup de questions sur l’œcuménisme, entre autres “que se passet-il avec les musulmans?”. En plus, ils commentent que “beaucoup d’humanistes” participent à
CDSF, ils disent qu’il est important de “respecter la foi des autres” et pensent que, même avec
tout cela, CDSF continue d’être un mouvement chrétien.
Dans l’aparté B, dans les points 4 et 5, il est fait des propositions plus ou moins concrètes
relatives à l’œcuménisme et qui sont les suivantes:



Mieux connaître ses propres racines pour mieux comprendre l’autre. Etre ouverts vers
l’extérieur. Les britanniques ont une expérience positive de leur ouverture aux autres
religions et confessions religieuses (point 4)
Chercher le dialogue avec des personnes d’autres religions pour enrichir sa propre foi.
Le futur est dans l’ouverture aux autres religions (point 4)
Essayer de faire que les différences entre les confessions (chrétiennes) et les religions
n’augmentent pas. Croire en Dieu est plus important que la fidélité inconditionnelle à
une Eglise, et la foi doit unir les personnes et non les diviser. Ne pas juger. “Qui que tu
2




sois, Dieu t’appelle” (Point 4)
Nous croyons que CDSF doit se convertir en un mouvement totalement œcuménique,
basé sur le respect, où les valeurs éthiques prévalent sur les religieuses. (CDSF
Espagne). (Point 4).
Nous ne devons pas oublier que le mouvement a surgi de la volonté de susciter le
rapprochement entre personnes différentes et mêmes ennemies (point 5)
Etant donné notre exceptionnelle combinaison de spiritualité et d’ouverture aux autres
le moment est arrivé de nous rapprocher davantage des autres religions et des
courants divergents à l’intérieur de l’Eglise, sans oublier l’essentiel, c’est-à-dire, nos
principes franciscains. Les franciscains pourraient nous aider dans ceci puisqu’ils sont
ouverts au dialogue interreligieux, et pour le faire, un franciscain devrait être lié au
mouvement des compagnons. (Point 5).
Parier sur le dialogue, mettant en pratique une forme de communication “non-violente”.
(Point 5).
3. Qu’est-ce que l’œcuménisme?
Pour centrer la réflexion et le débat de façon telle qu’il puisse nous apporter un nouvel
éclairage, j’estime opportun de revoir ce qu’est et ce que suppose le dialogue
œcuménique.
Etymologiquement, le mot “œcuménisme” vient du grec oikoumene, qui signifie
“universel”. Le mot oikoumene commença à être utilisé dans les premières communautés
chrétiennes pour désigner tous les pays où était arrivée la prédication de l’Evangile et où
des communautés chrétiennes avaient surgi. Plus tard il fût utilisé pour désigner une
Eglise au singulier: la ”Oikoumene cristiana”, à laquelle appartenaient les chrétiens
formant l’unique famille dont les membres étaient, à la fois, citoyens de toutes les nations.
On appliqua aussi le terme aux credos œcuméniques qui contenaient la foi commune et
aux Pères œcuméniques qui seraient les saints docteurs, dont les écrits et doctrines furent
accueillis par toutes les communautés chrétiennes, tant d’Orient que d’Occident. Les
conciles œcuméniques étaient les assemblées des évêques de tout le monde chrétien, qui
se réunissaient pour délibérer sur des questions dogmatiques, morales ou d’intérêt
commun pour toute l’Eglise. C’était le temps de l’Eglise unie, où l’Orient et l’Occident,
maintenaient la communion malgré leurs cultures et traditions si différentes.
Mais cette communion-là s’est rompue et arrivèrent les divisions des Eglises. D’abord
entre Orient et Occident aux IXe et Xe siècles, et plus tard, au XVIe siècle, l’Eglise
d’Occident se rompit aussi, débutant une triste étape historique, celle du christianisme
divisé, celle des guerres de religion, celle des excommunications mutuelles, celle de
l’intolérance…Une liste interminable d’erreurs avec un résultat néfaste: comment
évangéliser en étant divisés? Comment pouvoir parler de communion avec Dieu à travers
Jésus-Christ en demeurant opposés et excommuniés?
Mais, malgré tout, des rafales d’air frais et renouvelé arrivèrent. Il y a une citation de Frère
Roger de Taizé qui l’exprime très bien:
Au milieu du XXe siècle apparut un homme appelé Jean XXIII. Il eût une intuition peu commune
à propos de la réconciliation des chrétiens. Il l’exprima à travers cette certitude “il n’y aura pas
de processus historique, nous ne chercherons pas à savoir qui se trompa et qui eût raison,
nous dirons seulement: Réconcilions-nous!”.
Il est très difficile de définir l’œcuménisme, parce que, c’est surtout, un mouvement et les
mouvements sont difficiles à définir. Cependant il y a des manières de le décrire, nous
exposons ici deux descriptions, que je trouve, très avisées.
3
La première est de Yves Congar4: “L’œcuménisme commence quand on admet que les
autres - et non seulement les individus, mais aussi les groupes ecclésiastiques comme
tels - ont aussi raison, même s’ils affirment des choses différentes des nôtres: qu’ils
possèdent aussi la vérité, la sainteté, les dons de Dieu, même s’ils n’appartiennent pas à
notre chrétienté. Il y a œcuménisme […] quand on admet qu’un autre est chrétien non
malgré sa confession, mais en elle et par elle”.
La seconde appartient au décret d’œcuménisme du Concile Vatican II 5, qui dit que “par
mouvement œcuménique on entend l’ensemble d’activités et d’entreprises qui, conforme
à différents besoins de l’Eglise et aux circonstances dans le temps, sont suscitées et
ordonnées à favoriser l’unité des chrétiens” (UR, 4).
4. De l’intolérance au dialogue entre les Eglises chrétiennes
Il n’est possible de trouver une base pour l’entente entre les Eglises, que s’il y a un contexte
de dépassement de l’intolérance religieuse et un ferme pari pour le dialogue. Le dialogue
est une partie essentielle de l’œcuménisme.
Il est nécessaire d’insister sur le fait que le dialogue est la meilleure expression des relations
humaines. Sans dialogue il n’y a pas d’humanisation ni de socialisation. A travers le
dialogue, les individus que nous sommes deviennent des personnes, nous découvrant nous
mêmes et découvrant les autres, pour finalement découvrir la vie elle-même. Sont donc en
jeu, le je et le tu. Dans le monologue, seulement participe le je, dans le dialogue participent:
le je et le tu. Et ainsi ils s’enrichissent.
Il est possible, donc, d’appliquer ce schéma au monde des Eglises. Pendant que les Eglises
divisées entre elles se sont maintenues dans le monologue ou se sont bornées à vivre dos
à dos, en réalité elles vivaient appauvries, enfermées en elles-mêmes, sans possibilité
d’entrer en contact avec tous les aspects positifs que pourraient offrir les autres Eglises. Au
contraire, quand les Eglises ont commencé à s’ouvrir les unes aux autres, à se rapprocher,
à initier des dialogues timides, elles ont commencé à voir des richesses insoupçonnées, des
patrimoines communs et des vérités partagées. Et dans le dialogue œcuménique elles ont
découvert non seulement les autres Eglises, mais elles se sont découvertes elles-mêmes.
Elles ont découvert, entre autres choses, la difficulté d’exprimer et de dire aux autres qui
elles sont exactement. Elles ont dû réaliser l’effort de se reconnaître elles-mêmes, de
découvrir de plus en plus leur propre identité, leurs propres faiblesses et misères, leur
besoin de se reformer continuellement pour accomplir le désir d’unité du Christ.
Dans cette découverte d’elles-mêmes les Eglises ont appris à ne pas pouvoir se passer de
la fraternité ecclésiale. Se sentir Eglises sœurs, est, certainement, le meilleur apport qu’a
promu le mouvement œcuménique. Mais dialoguer requiert un long apprentissage. Le
dialogue a sa dynamique et ses conditions dont il ne peut pas faire abstraction. Il faut partir
d’une conviction basique: le dialogue ne peut pas être imposé de force. Une chose
seulement est permanente et nécessaire: la volonté réelle de dialoguer. Quand la volonté de
dialoguer existe, des chemins s’ouvrent.
Les Eglises qui entrent en dialogue œcuménique en réalité se mettent en attitude d’écoute.
Prendre cette attitude signifie prendre au sérieux l’autre Eglise. Ceci est l’épreuve du feu du
dialogue vraiment œcuménique.
Sans l’humilité que l’on demande à tout chrétien et que l’on demande, bien-sûr, aux Eglises,
il n’est pas possible d’entrer en attitude de vrai dialogue. Car les conditions requises par le
dialogue impliquent une inéluctable charge d’humilité que toutes doivent être disposées à
4
5
Yves Congar (1904-1995) est considéré comme l’un des grands théologiens du XX e siècle. Dominicain,
professeur de théologie, historien de l’église, expert au concile Vatican II instigateur de l’œcuménisme, il
vécut sa vocation intellectuelle dans l’engagement, fut une référence pour la majorité des théologiens de
l’après concile.
Concile Vatican II, Decret Unitatis Redintegratio sur l’œcuménisme, n° 14 (UR)
4
accorder : 1) Savoir se placer sur un plan d’égalité, 2) Avoir la conviction que les autres ont
un monde spirituel qui peut nous enrichir, 3) Savoir que la communion ne peut exister que
dans la diversité. Nous analysons ensuite chacune d’entre elles.
1) Savoir se placer sur un plan d’égalité. La prétention de supériorité de la part d’une Eglise
pourrait invalider à la base toute tentative œcuménique. C’est pourquoi les Eglises doivent
dialoguer fraternellement, sans lettres de créance toutes-puissantes en nombre, en prestige
ou en titres. Toutes les Eglises savent que la pierre fondamentale se trouve en Christ seul.
2) Avoir la conviction que les autres ont un monde spirituel qui peut nous enrichir. Un
dialogue œcuménique serait impossible en partant de la conviction que les autres Eglises
incarnent la négation de la vérité et que seulement sa propre Eglise possède toute la vérité.
Le dialogue suppose que l’autre Eglise peut compléter et enrichir notre propre tradition, en
concédant que son existence même est déjà une richesse. Le problème surgit quand son
existence est constatée comme rivale, comme opposante. D’autres mondes chrétiens sont
aussi porteurs de salut. Le dire c’est reconnaître qu’aucune des frontières confessionnelles
de l’une ou l’autre Eglise ne coïncide parfaitement et de façon appropriée avec les frontières
de l’Eglise du Christ. De là surgit la tentative de l’écoute. Ecouter en profondeur suppose
admettre que l’autre Eglise peut enrichir notre propre Eglise. L’écoute apparaît alors, non
pas comme un silence stérile, mais comme un espace de réflexion dans lequel on trouve la
diversité complémentaire de la Oikoumene.
3) Savoir que la communion ne peut exister que dans la diversité. La diversité est
considérée davantage comme un présupposé et une condition de l’unité voulue par le
Christ, que comme un obstacle pour atteindre cette unité. Les études modernes sur le
Nouveau Testament, par exemple, nous indiquent comme donnée indiscutable la diversité
ecclésiologique dans les écrits bibliques et que n’importe quelle tentative d’homogénéisation
des Eglises des premiers temps, en supprimant leurs identités, aurait été condamnée à
l’échec. Par conséquent, il n’y a pas de place, comme il y a quelques années, pour la
méfiance devant les diversités. Vatican II a aussi admis sa légitimité. La diversité est loi
écrite au plus profond de la Oikoumene et son existence même ne met pas d’obstacle au
dialogue œcuménique, au contraire, elle l’anime et le stimule. Quand les diversités se
radicalisent, c’est-à-dire, se fanatisent, alors peuvent surgir, et de fait ont surgi souvent dans
l’histoire chrétienne, les luttes, les condamnations et les divisions.
5. Eucharistie y œcuménisme
Pour parler de l’eucharistie dans le contexte œcuménique nous devons parler de deux
questions: de « l’intercommunion » et de « l’hospitalité eucharistique ».
Le concept de «l’intercommunion» surgit dans le contexte du christianisme divisé, c’est-àdire, après avoir perdu la pleine communion entre les diverses Eglises chrétiennes. On fait
référence à une certaine participation aux réalités spirituelles - spécialement à l’eucharistie des membres des Eglises divisées entre elles. Dans le contexte du dialogue œcuménique,
quand nous parlons d’intercommunion nous faisons référence au partage de l’eucharistie
entre chrétiens qui ne partagent pas la même foi ni la même vie ecclésiale.
Les diverses Eglise chrétiennes évaluent l’intercommunion de différentes façons. Quelquesunes voient l’unité de l’Eglise comme une fédération libre de communautés relativement
autonomes, et considèrent l’intercommunion comme le but du mouvement œcuménique.
Dans ce cas, l’Eglise aura atteint l’objectif de l’unité quand les chrétiens de n’importe quelle
communauté spécifique seront admis à participer à l’eucharistie célébrée par n’importe
quelle autre communauté. De larges secteurs de chrétiens n’acceptent pas cette
compréhension de l’unité parce qu’ils pensent qu’avec elle on n’essaie pas de résoudre les
différences fondamentales.
Mais pendant que beaucoup refusent l’intercommunion comme objectif vers lequel tend
l’œcuménisme, un nombre considérable de chrétiens considèrent l’intercommunion
5
occasionnelle - célébrée à certains moments, comme les rencontres œcuméniques comme un moyen approprié pour construire une unité plus complète, basée dans la foi
commune, et dans la vie chrétienne, qui rassemble déjà, bien que de manière imparfaite, les
chrétiens. La question théologique qui est en jeu dans ce contexte est le fait que
l’eucharistie n’est pas seulement une expression de l’unité de l’Eglise, mais aussi source de
cette unité. Pour cette raison, quelques Eglises issues de la Réforme sont en faveur de
l’intercommunion occasionnelle comme moyen de grandir vers la pleine communion.
En général les Eglises orthodoxes et l’Eglise catholique mettent des obstacles à l’utilisation
de l’intercommunion comme moyen de dépasser les divisions chrétiennes (UR 8), puisque,
selon leur vision, elle viole le principe de l’eucharistie comme expression parfaite de la
pleine communion de foi et de vie qui unie les membres de l’Eglise entre eux et avec Dieu.
Partager l’eucharistie alors que cette pleine communion n’existe pas encore, viole la
signification même de l’eucharistie comme l’expression la plus haute de cette communion.
Cependant, l’Eglise catholique tient compte de quelques occasions où l’intercommunion est
possible. Ces communicationes en sacris entre chrétiens, dont les communautés sont
encore divisées, se justifient, non pas comme des moyens pour rétablir l’unité, mais plutôt
sur la base d’une vraie unité dans la foi et dans la vie ecclésiale déjà existante et en
pensant aux besoins pastoraux qui parfois se présentent. A cause des liens si étroits qui
unissent déjà les Eglises orthodoxes et l’Eglise Catholique concernant la foi dans les
sacrements et la succession apostolique du ministère, non seulement on permet parfois, et
même on conseille, de partager l’eucharistie, la pénitence et l’onction des malades, quand il
y a un authentique besoin pastoral comme, par exemple, l’impossibilité pour un chrétien
catholique ou orthodoxe de recevoir les sacrements d’un ministre ordonné par sa propre
communauté (cf. UR 15)
Etant donné que la différence quant à la foi et à la succession apostolique est beaucoup
plus grande entre l’Eglise catholique et les Eglises qui découlent de la Réforme, dans les
Eglises orthodoxes et dans l’Eglise catholique on interdit, généralement, l’intercommunion
dans ces sacrements. Cependant, en cas de besoin pastoral urgent, comme le danger de
mort ou la prison, un prêtre catholique peut donner les sacrements à des chrétiens d’autres
communautés, s’ils n’ont pas accès à leur propre ministre et s’ils demandent librement les
sacrements et professent la foi catholique en ce qui concerne les dits sacrements (Direttorio
per l’applicazione dei principi e delle nomne sull’ecumenismo, 1993, 122-136 ;
Communicatio in sacris).
A partir du Concile Vatican II beaucoup de chrétiens ont cru qu’il serait possible de donner
la priorité à un œcuménisme pastoral, pratique, de la vie quotidienne, qui privilégierait la vie
des communautés. Ainsi est né le concept « d’hospitalité eucharistique » comme une aide
aux expériences pastorales.
Dans beaucoup de célébrations des rencontres œcuméniques on a pratiqué « l’hospitalité
eucharistique » créant ainsi une proximité dans la famille des Eglises chrétiennes. Dans les
activités internationales des CDSF nous avons eu des opportunités de vivre « l’hospitalité
eucharistique », mais ceci dit, elles n’ont pas été exemptes de polémique.
Depuis 2003 avec la publication de l’encyclique de l’Eglise catholique « Ecclesia de
Eucaristia » (17 avril 2003) la législation, qui existait déjà, s’est endurcie en ce qui concerne
« l’hospitalité eucharistique », et dans le numéro 45 de la dite encyclique il est affirmé
« qu’en aucun cas est légitime la concélébration s’il manque la pleine communion » ; c’est
pourquoi nous nous demandons pourquoi tant d’intransigeance si celui qui est à côté de moi
est chrétien , veut communier parce qu’il accepte la présence du Christ et il y a en lui un
intérêt pour continuer à approfondir le processus de communion ecclésiale ?
Cette interdiction peut emmener à des situations comme celle qui s’est produite déjà en
Allemagne en mai et juin 2003, pendant la « Oecumenische Kirchen 2003 » à Berlin, où le
prêtre catholique Gotthold Hasenhuettl, professeur émérite de l’université de Saarbruecken,
a été suspendu de son ministère sacerdotal par son évêque, comme conséquence d’avoir
6
donné la communion à des non catholiques dans ce Congrès. La dite interdiction est
concrètement dans le numéro 30 de l’encyclique citée qui dit : « les fidèles catholiques, en
conséquence, même en respectant les convictions religieuses des frères séparés, doivent
s’abstenir de participer à la communion distribuée dans leurs célébrations » sommes-nous
sûrs que des interdictions comme celle-là aident à avancer dans le dialogue œcuménique,
ou lui font plutôt obstacle ?
Dans un congrès international œcuménique célébré à Budapest (Hongrie) dans l’été 2003,
organisé par Amitié Œcuménique Internationale, avec la célébration eucharistique présidée
par l’évêque Babel, responsable de la Délégation Episcopale Hongroise pour
l’Œcuménisme et la Commission de Liturgie, et dans laquelle il était prévu que l’homélie soit
donnée par le pasteur Dr. K.A. Bauer, quelques minutes avant le début de la célébration,
l’évêque a remis une note à afficher à l’entrée du temple notifiant que « l’hospitalité
eucharistique » ne serait pas possible et que cette note devait être lue avant la célébration.
Il distribua aussi dans la sacristie deux communiqués de plus aux organisateurs :
l’eucharistie serait en latin et le pasteur Bauer ne ferait pas son homélie au moment du
sermon mais à la fin de la célébration. Nous reproduisons ici le témoignage d’un témoin de
cette célébration :
Ma surprise personnelle dans cette célébration fût de constater qu’au moment de la communion
les amis des autres confessions se levaient de leur place et s’unissaient aux catholiques, mais
une fois devant l’évêque ou le prêtre qui l’aidait à distribuer l’eucharistie, ils s’inclinaient
respectueusement devant la présence eucharistique et s’en allaient sans communier. Je n’ai pas
honte de dire que j’ai eu des larmes de douleur. Rien de ceci ne serait arrivé dans les
célébrations des autres confessions (José Miguel de Haro6).
José Miguel de Haro continue à raconter que, une fois la célébration terminée, après la
bénédiction finale et en présence de l’évêque, le pasteur Bauer lut sa prédication, qui avait
été donnée auparavant à chaque participant dans sa langue, l’évêque connaissant donc le
contenu d’avance. Le sermon de Bauer s’inspirait du texte de saint Luc 22, 24-27. Nous
reproduisons ici une partie de son sermon :
Combien de divisions entre nous chrétiens et combien de schismes entre les Eglises ont
commencé comme ça ! «Entre eux il y eut aussi une querelle à propos de qui était le plus
grand»… Luttant pour la grandeur et le pouvoir, ils trahissent Celui qui avec son amour est venu
à la rencontre de notre entêtement. Cette lutte honteuse continue jusqu’à aujourd’hui, entre nous
chrétiens et entre les Eglises, en étant en général, la façon de se bagarrer la plus polie. Qui
n’ose pas penser qu’il a droit à la première place pensant que d’autres ne répondraient pas de la
même façon ? Qui peut s’appeler Eglise et qui, seulement, communauté ecclésiale ? Qui a gardé
le mystère de l’eucharistie en sa totalité et qui non ? Qui invite-on à la table du Seigneur et qui
n’invite-t-on pas ? Ce ne sont que des variantes de la lutte que les apôtres avaient commencée
lors de la Dernière Cène, lutte qui continue encore ! Et ceci alors que nous étions d’accord sur
les questions de base de la foi. Tant que nous continuerons cette lutte nous donnerons au
monde l’image du combat pour le pouvoir et l’influence.7
6. La nécessité d’un dialogue interreligieux
Dans la réunion du Gardiennage International de CDSF on décida que ce thème de chapitre
comprendrait aussi, une partie sur la nécessité du dialogue interreligieux, sans écarter la
possibilité d’aborder le sujet dans les prochaines années. Et bien, nous dédions à cela un
6
7
José Miguel de Haro est missionnaire rédemptoriste, a travaillé beaucoup d’années dans la pastorale
avec les jeunes. Il est l’auteur du livre Dans le désir et la soif de Dieu. A partir des lettres de Frère Roger
de Taizé, Madrid: Editorial PPC, 2003.
Cette citation et la précédente sont prises de l’article de José Miguel de Haro, “Eucharistie et
Œcuménisme”, publié dans la revue ecclésiastique Alandar, mars 2004.
7
chapitre, tout au moins pour nous introduire dans le thème.
Le dialogue entre les différentes religions et aussi avec les traditions laïques nous semble
aujourd’hui nécessaire et urgent pour rompre avec les stéréotypes et pour ne pas criminaliser
l’inconnu. Les migrations économiques ont fait et sont en train de faire que beaucoup de
personnes de différentes Eglises chrétiennes cohabitent dans la société et ceci, au lieu d’être
vu comme un problème, peut être vécu comme une opportunité de promouvoir une
connaissance plus profonde des autres religions, qui tourne en bénéfice de
l’approfondissement de sa propre religion. L’humanité doit apprendre à vivre des identités
relationnelles au lieu de se fermer dans des identités isolées. D’autre part, il est plus important
que jamais de s’efforcer au niveau mondial d’empêcher la polarisation entre communautés
religieuses. Le compromis interreligieux dans les conflits peut être une contribution essentielle
à la construction de la paix et à la réconciliation là où le conflit a éclaté. Construire la paix avec
justice doit devenir une stratégie mondiale de la part de tout le monde, parce que le destin des
uns est le destin des autres.8
On dit que les astronautes, quand ils contemplent la terre depuis l’espace, durant la
première semaine regardent seulement leur propre pays; pendant la deuxième semaine ils
s’identifient avec leur continent, et à partir de la troisième semaine, ils sentent qu’ils
appartiennent à une seule planète. Peut-être trouve-t-on en eux, de façon condensée, le
processus de l’humanité : depuis l’instant tribal, où le sentiment d’appartenance à un groupe
tend à exclure les autres, à un progressif élargissement d’horizon de fraternité mondiale.
De la même façon que l’appartenance à la planète terre non seulement n’exclue pas, mais a
besoin de l’identité particulière de chaque pays et de chaque culture, l’accolade des
religions requiert la singularité de chaque religion, la richesse de son bagage historique et
culturel. Parce qu’il ne s’agit pas de faire une mixture de religions, dans laquelle on pourrait
se servir selon son goût. Le caractère libérateur des religions se trouve précisément dans
leur capacité de nous libérer de l’auto-centrisme qui ne nous laisse pas grandir comme des
personnes.
Chaque religion se présente comme un tout compacte, que chacun ne croit pas selon ses
goûts mais qu’il le reçoit d’une Tradition qui s’est petit à petit déposée et a mûri pendant des
générations. La rencontre entre les religions suppose qu’il y aura un échange fécond pour
tous, partageant des aspects de la Divinité inabordable qui pourront enrichir les différentes
traditions. Ceci requiert, cependant, un discernement attentif et affiné de la part des
différentes parties.
L’espérance est-elle vaine que nous puissions passer, comme ces astronautes, des
divisions intra-confessionnelles (pays), à la conscience d’appartenir à une commune grande
Tradition (continents), jusqu’à nous reconnaître frères par un même désir ardent pour la
Transcendance, comme source de communion universelle?
Nous vivons des temps nouveaux comme jamais c’est arrivé dans l’histoire de l’humanité.
Au début du Troisième Millénaire dans lequel cette conscience planétaire émerge de plus en
plus, les Eglises chrétiennes seront-elles ses précurseurs et dynamiseurs ou seront-elles les
dernières à y arriver ? Seront-elles capables d’unir l’humanité ou seront-elles les dernières
instances à impulser l’accolade entre les humains ? Il serait lamentable pour tous les
croyants des différentes religions que cette dernière hypothèse se réalise.
Parmi ces enrichissements mutuels on devrait inclure aussi la posture du non-croyant - celui
que nous appelions « chercheur » dans le thème 2007 de CDSF - qui apporte aux religions :
son acceptation de la finitude, l’option de ce que l’on pourrait appeler le dieu des petites
choses, des aspects qui aident les croyances religieuses à se purifier des prétentions et des
rêveries qui parfois les distraient du concret. Dans certaines occasions notre excès de
paroles sur Dieu est ce qui nous éloigne de beaucoup de nos contemporains qui vivent de
8
M. Dolors Oller i Sala (2008), “Construire la cohabitation. Le nouvel ordre mondial et les églises
chrétiennes. Dans Cahier Christianisme et Justice (CJ), n°157, page 28.
8
jour en jour, en essayant d’être honnêtes au quotidien.
Sur un plan plus élaboré, les religions sont appelées à promouvoir conjointement la paix et
la justice dans le monde. Les religions devraient être des prophètes sur ce terrain. Une
grande partie de leur crédibilité est dans le fait de montrer comment le lien avec l’Absolu est
source d’implication dans l’humain. Plus encore, il leur appartient de montrer que des
entrailles mêmes de l’expérience religieuse bourgeonne un torrent de tendresse pour les
plus petits et les démunis, et une consécutive passion pour la paix et la justice. Dans ce
sens la religion devrait porter témoignage de générosité, c’est-à-dire, montrer l’option
préférentielle pour les pauvres. Dans cette cause et témoignage communs, chaque religion
est appelée à apporter la spécificité de sa propre sainteté, la richesse de sa façon de
procéder. Ainsi, les religions occidentales devraient contribuer avec une parole audacieuse
et prophétique, avec les moyens efficaces propres à leur culture, alors que les religions
orientales devraient apporter leur sérénité et leur sagesse. Toutes peuvent participer à la
cause de la paix et la justice : développer le regard intérieur, la réconciliation et la
pacification du cœur comme force et dynamisme pour la réconciliation sociale.
La rencontre d’Assise (1986) convoquée par le Pape Jean Paul II pour prier pour la paix
mondiale avec les représentants des diverses religions de la planète fut un geste inspiré et
prophétique qui signale par où l’on peut continuer à avancer.
Quelques années après, le 24 janvier 2002 eût lieu à Assise une autre rencontre de prière
pour la paix dans le monde. Dans cette importante rencontre interreligieuse les
représentants des diverses religions ont voulu codifier ce souhait sincère de travailler dans
la recherche commune de la paix et la justice dans le monde, et l’on a fixé dans un
« décalogue » proclamé à la fin de la Journée, le Décalogue d’Assise pour la paix, que nous
reproduisons ici pour le grand intérêt qu’il a et qui nous met en contact avec le plus
authentique de CDSF :
1. Nous nous engageons à proclamer notre ferme conviction que la violence et le
terrorisme s’opposent à l’authentique esprit religieux, et, en condamnant tout recours à la
violence et à la guerre au nom de Dieu ou de la religion, nous nous engageons à faire tout
le possible pour éradiquer les causes du terrorisme.
2. Nous nous engageons à éduquer les personnes dans le respect et l’estime réciproques,
afin que l’on arrive à une cohabitation pacifique et solidaire entre les membres d’ethnies,
cultures et religions diverses.
3. Nous nous engageons à promouvoir la culture du dialogue, pour que la compréhension
et la confiance réciproques, augmentent entre les personnes et entre les peuples, car ce
sont les conditions d’une paix authentique.
4. Nous nous engageons à défendre le droit de toute personne humaine à vivre une
existence digne selon son identité culturelle et à former librement sa propre famille.
5. Nous nous engageons à dialoguer avec sincérité et patience, sans considérer ce qui
nous différencie comme un mur insurmontable, mais, au contraire, en reconnaissant que
la confrontation avec la diversité des autres peut devenir l’occasion d’une plus grande
compréhension réciproque.
6. Nous nous engageons à nous pardonner mutuellement les erreurs et les préjugés du
passé et du présent, et à nous soutenir dans l’effort commun pour vaincre l’égoïsme et
l’abus, la haine et la violence, et pour apprendre du passé que la paix sans justice n’est
pas la paix véritable.
7. Nous nous engageons à être au côté de ceux qui souffrent de la misère et de
l’abandon, en devenant les voix de ceux qui n’ont pas de voix et en travaillant
concrètement pour dépasser ces situations, avec la conviction que personne ne peut être
heureux tout seul.
8. Nous nous engageons à faire nôtre le cri de ceux qui ne se résignent pas à la violence
et au mal, et nous voulons contribuer avec toutes nos forces à donner à l’humanité de
9
notre temps une espérance réelle de justice et de paix.
9. Nous nous engageons à appuyer toute initiative qui souhaite promouvoir l’amitié entre
les peuples, convaincus que le progrès technologique, quand il manque une entente
solide entre les peuples, expose le monde à des risques croissants de destruction et de
mort.
10. Nous nous engageons à solliciter les responsables des nations pour qu’ils fassent tout
le possible pour que, aussi bien dans le cadre national comme international, on construise
et on consolide un monde de solidarité et de paix, fondé sur la justice.
Les religions sont appelées à promouvoir avec audace des causes conjointes. Par exemple,
que les musulmans et les chrétiens s’unissent avec davantage de courage pour défendre
les droits des émigrants ; et qu’ils fassent ceci à partir de centres communs d’accueil et de
prière. De fait, de tels centres existent déjà, des présences anonymes dans des sous-sols
où l’on se déchausse pour y entrer, et où la Bible et le Coran occupent ensemble un lieu
vénérable dans la salle. Un certain nombre de CDSF connaissent les gestes, en ce sens, du
compagnon belge Germain Dufour, de Liège, qui accueille des croyants musulmans et
chrétiens dans une même salle de prière, présidée par la Bible et le Coran.
Le propre de l’expérience religieuse c’est de révéler que nous sommes tous un en Un. En
fin de compte, l’apport spécifique des religions sur le terrain de la paix et de la justice, c’est
de montrer qu’une action injuste ou violente non seulement détruit la victime, mais aussi
l’agresseur ; que nous nous blessons tous quand nous vivons en nous dévorant
mutuellement, parce que quand nous arrachons le matériel à autrui et que nous nous
servons d’eux, nous atrophions notre capacité d’être des humains, et d’être des frères.
7. Deux textes qui ouvrent des chemins: “Œcuménisme de religions avec vigueur ” et
“Unité des Eglises?”
Il m’a semblé opportun, comme enrichissement de ce thème, de transcrire textuellement le
point 5 d’un article de Jon Sobrino S.J.9 intitulé « Œcuménisme de religions avec
vigueur »,ainsi qu’un extrait d’une lettre écrite par José Arregui OFM10 à l’occasion de la
« Semaine de prière pour l’unité des chrétiens », intitulé « Unité des Eglises », car à mon
avis, ces deux textes ouvrent des chemins, des éclairages et de nouvelles possibilités de
débat, sur le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux, entre les CDSF.
Œcuménisme de religions avec vigueur11
“Œcuménisme, dialogue interreligieux, me semble bon et nécessaire. Et existe. Nairobi et El
Salvador sont à milliers de milles de distance, et il est rare que leurs peuples se
connaissent. Cependant, quelque chose les unie. C’est une petite école de Kibera12, une
petite fille me dit : « El Salvador ? La terre d’un évêque ». Elle faisait référence à Mgr
Romero. Un compagnon jésuite de la République Démocratique du Congo me parlait d’une
thèse doctorale, écrite dans l’Université de Louvain en 2004, avec le titre suivant :
« L’évêque Munzihirwa, le Romero du Congo ? ». Munzihirwa, très semblable à notre
9
10
11
12
Jon Sobrino S.J. (Barcelona, 27/12/1938). Théologien jésuite catalan de famille originaire du Pays
Basque (Espagne) et professeur de la UCA (Université Centre-Américaine de San Salvador, El Salvador).
Prolifique auteur qui a développé une contribution importante dans la christologie, ecclésiologie et
spiritualité de la libération.
José Arregui OFM, est franciscain, a obtenu son doctorat en Théologie à l’Institut Catholique de Paris, a
publié plusieurs œuvres de contenu biblique et est professeur de théologie à l’Université de Deusto
(Bilbao, Espagne).
Ce texte appartient à l’article de Jon Sobrino intitulé “Kibera. Secousse et invitation à la conversion et la
libération”. Dans Pasos, nº 129, 14 février 2007.
Kibera est l’un des faubourgs de Nairobi (Kenya), on dit que c’est le plus grand et pauvre bidonville
d’Afrique, avec plus d’un million d’habitants.
10
Monseigneur, avait été assassiné en 1996. Et lors de la clôture du Forum de Théologie, à la
fin, j’ai eu l’occasion de saluer Desmond Tutu. Il avait présenté un rapport impressionnant,
par la force de sa compassion, la faim de justice, et la profondeur de sa foi. Je lui dis merci,
et ajoutai que je venais du Salvador, la terre de Mgr Romero.
Alors, comme absorbé, il commenta avec conviction et reconnaissance : “Romero? He
inspired us”. Notre Monseigneur salvadorien et catholique, était présent dans l’Afrique du
Sud anglicane. Sans se connaître, Desmond Tutu et Oscar Romero, sont arrivés à être
frères, non seulement interlocuteurs œcuméniques. Et ce que je veux maintenant relever
c’est qu’aucun des deux n’avait laissé son Eglise, et n’avait cherché, pour que
l’œcuménisme progresse, le plus petit dénominateur commun, mais au contraire le plus
grand : dans les deux cas le grand amour pour leurs peuples oppressés, et la disposition à
tout donner pour leur libération.
Cet œcuménisme - ou dialogue - doit avoir lieu aussi entre les religions. Mais je veux
souligner un danger, tel que je le vois, et pointer une solution. Le danger c’est que l’on
conçoive le dialogue interrelation à partir de ce qui peut être commun à tous, bien que pour
cela il faille se contenter du plus petit dénominateur commun, pour arriver à des religions
diluées, sans vigueur. Nous pourrons alors être tous d’accord, mais ce qui sera convenu
sera peu et très faible pour retourner notre monde. Je pense que la solution vient d’un autre
côté : que chaque religion approfondisse son propre contenu dans ce qu’il a de meilleur et
dans ce qui peut transformer le plus ce monde malade. Je ne sais pas combien
d’œcuménisme sera généré comme ça, mais il sera fondé dans la profondeur du religieux. Il
est nécessaire d’élargir les accords, même s’ils sont minimes, mais, à la longue, approfondir
ce qui est positif dans chaque religion porte davantage de fruits. Et je ne crois pas que ceci
pose des obstacles à l’œcuménisme. Je pense qu’approfondir Jésus de Nazareth, Gandhi
dans l’hindouisme, Bouddha, peut unifier les hommes et les femmes de bonne volonté. Et je
regarde ici des témoins plutôt que des textes.
Mon espérance est que nous coïncidions dans ce qui est profond, dans ce qui - dit dans des
termes chrétiens - est exprimé comme règne et Dieu, prophétie et utopie, compassion et
justice, praxis et grâce… L’œcuménisme dont le monde a besoin n’est pas seulement que
nous nous rencontrions tous dans un lieu, mais que nous nous rencontrions en agissant, en
espérant, en priant pour le salut, la rédemption et l’humanisation dont le monde a besoin. Et
ceci s’obtient quand une religion - ou religions - est une religion avec vigueur.
L’unité des Eglises? 13
La semaine dernière c’était « la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens ». Elle fut
promue - il y a déjà cent ans - par des pionniers méritoires de l’œcuménisme, et chaque
année c’est une opportunité de rencontre, de réflexion et de collaboration entre diverses
églises de par le monde. Cela est très bien. Mais cette semaine ne provoque pas des
interrogations radicales, à commencer par son nom : « Semaine de prière pour l’unité des
chrétiens ».
Nous, chrétiens, sommes très différents, il n’y a pas de doute, mais sommes-nous à cause
de cela divisés ? « Nous appartenons », oui, à beaucoup d’églises différentes, mais
qu’est-ce qui est mauvais dans le fait de continuer ainsi ? Suis-je réellement séparé dans
ma foi d’une famille orthodoxe de Pampelune, ou d’amis luthériens de Bilbao ? [...] Et je
me dis : si Dieu avait besoin que nous lui demandions quelque chose, ne devrions-nous
pas lui demander de pouvoir nous sentir unis en étant très différents. Ne serait-ce mieux,
alors, d’organiser une « Semaine de prière pour la diversité des églises » ? [...]
Beaucoup de catholiques très bien intentionnés appellent les autres chrétiens « frères
séparés », mais c’est une formule assez malheureuse : à ceux que l’on qualifie
amicalement de « frères » l’on reproche sans pudeur d’être séparés, et on leur rappelle,
13
Article de José Arregui OFM, publié dans le blog Atrio (disponible sur www.atrio.org), daté du 29/01/2009.
11
au fond, qu’ils doivent revenir à la véritable Eglise dont ils se sont éloignés. Si nous disons
« frères séparés » deux questions fondamentales se posent. Première question : qui s’est
séparé de qui ? Constantinople s’est séparé de Rome ou Rome de Constantinople ?
Deuxième question : Même en supposant qu’une Eglise se soit séparée d’une autre, qui
décide si elle avait ou non d’authentiques raisons de se séparer ? En définitive, aussi bien
dans un cas comme dans l’autre, qui doit se rapprocher de qui, pour récupérer une
véritable unité perdue ? Les orthodoxes des catholiques ou les catholiques des
orthodoxes ? Les luthériens des catholiques ou les catholiques des luthériens ? Les
anglicans des romains ou ceux-ci de ceux-là ? La question décisive est : En quoi consiste
réellement l’unité ? L’unité requiert-elle que nous ayons tous la même théologie, consentir
aux dogmes, se soumettre au même pape ?
On devrait le demander à Paul, qui s’est confronté à Pierre, et Pierre n’était pas qualifié
pour « l’excommunier » (ni lui ni personne d’une autre Église qui n’était pas celle qu’il
dirigeait, pour autant qu’il en ait jamais dirigé une). On devrait le demander aux chrétiens
et chrétiennes de ces toutes premières années après la Pâque de Jésus, ont-ils continué
à mener une vie itinérante comme Jésus, et à d’autres qui, à la même époque, ont formé
des communautés stables, et ne s’entendaient pas toujours très bien entre eux. On devrait
le demander à l'Église judéo-chrétienne de Jérusalem, dirigée par Jacques et aux Eglises
hellénistiques, avec leurs théologies et christologies si diverses, avec leurs modèles
d’organisation si variés. On devrait le demander aux « églises de Jean » qui ont toujours
revendiqué leur liberté par rapport aux « églises principales » (ce qui revient à dire les plus
puissantes, celles de Paul et Pierre). [...] Ou on devrait le demander à Saint Irénée de
Lyon (IIe), qui n’avait pas admis que le « pape » Victor impose aux églises d’Asie Mineure
la date romaine pour célébrer la Pâque ou à Saint Cyprien de Carthage (III e) qui se
confronta au « pape » Etienne dans l’affaire - vitale pour eux - de s’il fallait rebaptiser ou
non ceux qui avaient reçu le baptême des mains d’un hérétique. On n’en finirait pas de
questionner et d’être surpris.
La conclusion est simple : ce ne sont pas les différences, quelles qu’elles soient, mais la
manière de les vivre qui casse l’unité. Donc, que les vieilles églises monophysites 14
restent monophysites, et les vieilles églises nestoriennes15 restent nestoriennes, si ceci les
aide à suivre Jésus, bien que leurs christologies soient opposées. Que les vénérables
églises orthodoxes continuent à maintenir et à actualiser leur foi et leurs institutions
antérieures à la papauté. Que les grandes et petites églises inspirées par d’illustres
réformateurs (Luther, Zwingli, Calvin) continuent à se laisser inspirer par leurs justes
intuitions à propos de la grâce et de la parole. Que « l’église nationale anglicane » et sa
sœur, l’église épiscopale d’Amérique du Nord continuent à être bonne nouvelle et levain
pour leurs sociétés. Et que les nombreuses églises baptistes et évangéliques continuent à
être ce qu’elles sont, se transformant au souffle de l’Esprit. Et que même l’église de
Lefebvre continue avec Saint Pie X, s’ils pensent qu’ainsi ils sont plus fidèles à la Bonne
Nouvelle dans le monde d’aujourd’hui. Continuons en étant différents, sans pour cela être
divisés, en dialoguant sans anathèmes16 et en nous laissant transformer par l’autre et par
14
15
16
Le monophysisme est une doctrine théologique du V e s. qui soutient qu’en Jésus seulement la présence
divine est présente, mais pas la nature humaine. Le dogme de l’Eglise Catholique soutient qu’en Christ
existent deux natures, la divine et l’humaine “sans séparation” et “sans confusion”. Cependant, le
monophysisme maintient qu’en Christ existent les deux natures, “sans séparation” mais ”confondues”, de
telle manière que la nature humaine est absorbée par la nature divine.
Le nestorianisme (IIIe, IVe et Ve s.) est une doctrine qui considère que le Christ est radicalement séparé
en deux personnes, une humaine et une divine, toutes les deux complètes, de façon à former deux
entités indépendantes, deux personnes unies en Christ, qui est Dieu et homme en même temps, mais
formé de deux personnes distinctes. Le nestorianisme fût proposé par le moine Nestorius, originaire
d’Alexandrie, une fois intronisé évêque de Constantinople.
‘Anathème’ signifie étymologiquement “offrande”, mais son principal usage équivaut à “malédiction”, dans
le sens de condamnation à être écarté ou séparé d’une communauté de croyants. Anathème était une
12
la vie. (Et ce que je dis pour les églises vaut pour les religions).
En conclusion, je propose : que l’évêque de Rome dépose définitivement sa primauté de
juridiction sur d’autres évêques et églises, car aujourd’hui cela n’a pas de sens, pour
autant qu’un jour il en ait eu ; qu’il lève toutes les excommunications - à droite et à gauche,
toutes - ; que l’église catholique romaine déclare unilatéralement qu’elle se sent en
communion avec toutes les églises aussi distinctes que soient leur théologie, culte,
organisation et règles morales; qu’elle admette volontiers qu’il n’est pas nécessaire que
nous chrétiens soyons davantage unifiés pour être réellement unis, pour être « Un en
Jésus » et dans le Mystère de Dieu, car Dieu n’est pas une pyramide rigide, mais pure
relation de respect et de liberté; et qu’en conséquence, elle annonce qu’elle n’organisera
plus de Semaines de prière pour l’unité des églises, mais une Semaine par an pour que
des chrétiens et des chrétiennes de toutes les églises se réunissent et se reconnaissent,
célèbrent la présence consolatrice et universelle de l’Esprit, essaient d’élargir les marges
de la communion dans la diversité des formes et, s’ ils le veulent, élisent ceux qui iraient
les représenter dans un Conseil Universel de toutes les Églises, un espace où ils
s’accueillent les uns les autres avec plaisir, en étant chacun ce qu’il est. Comme Dieu
nous accueille.
Comme Dieu t’accueille dans sa sainte paix.
Je conclus ainsi avec le désir et l’espérance que ce thème apporte des lumières au
dialogue œcuménique entre les compagnons de Saint François, et que le dialogue puisse
avoir des résultats pratiques dans nos rencontres dans lesquelles, souvent, nous
participons, comme chrétiens de diverses églises, occasionnellement comme croyants
d’autres religions, et quelques compagnons chercheurs (non-croyants ) qui partagent avec
nous les valeurs qui nous identifient comme Compagnons de Saint François.
Pedro Sanz, CDSF Espagne, Valladolid, 31 décembre 2009
Traduction: Begoña Leroy
sentence à travers laquelle on expulsait un hérétique du sein de la société religieuse; c’était une peine
encore plus grave que l’excommunication.
13
Téléchargement