RSCA n°6 : docteur je suis fatigué… Je reçois en consultation Mr F., 32 ans. C est la 1ère fois qu’il consulte au cabinet, il n’a aparemment pas de médecin traitant et travaille dans le quartier. Je remplis donc son dossier. C’est un urbaniste, célibataire sans enfants qui n’a aucun antécédent particulier. Il fume ½ paquet de cigarette par jour depuis une 10aine d’années, consomme de l’alcool de manière ocasionnelle. Mon interrogatoire terminé, je lui laisse la parole pour qu’il m’expose son motif de consultation. « Et bien voilà docteur, je ne sais pas ce que j’ai mais depuis 2 mois je suis fatigué ! » Ha la fatigue chronique, un de mes motifs de consultation préféré ! On ne sait jamais sur quoi on va partir ! « Fatigué c’est à dire ? » « Ba fatigué quoi, je n’ai plus la force de faire les choses! Et pourtant j’ai été en vacances pendant 3 semaines au mois d’Aout. » Il me raconte qu’il est notamment parti une semaine à Amsterdam mais a du revenir plus rapidement en France car trop fatigué pour faire quoique ce soit. Bon le cas a l ‘air sérieux. Je lui demande s’il y a une quelconque raison pour laquelle il se trouve dans cet état. Y a t il d’autres symptomes à coté ? A t il perdu du poids, a t il perdu l’appétit ? Non pas d’autres symptomes, mis à part des selles liquides mais depuis des années, déjà explorées par un gastro entérologue et qui n’avait rien trouvé. Pas de perte de poids et l’appétit, il n’a jamais été un gros mangeur. A t il eu des rapports à risque ou des comportements à risque ? A priori non pas de rapports depuis très longtemps… A t il déjà eu des épisodes similaires ? « Ha oui effectivement, en juillet l’année dernière il m’est arrivé la même chose, ha et également en janvier 2013. » Je creuse un peu et j’apprends alors qu’il a effectivement fait plusieurs épisodes de ce type, qu’il a été à priori traité par antidépresseurs à chaque fois et qu’il n’a vraiment jamais continué les traitements sur la durée. Bon bon nous y voilà… Et déjà 20 min de consultation passées… je vais encore être en retard… Malgré les minutes qui défilent à toute vitesse, j’ai beaucoup de mal à écourter la conversation. La gestion du temps en médecine générale est primordiale, mais la je suis complètement dépassée. On explore donc un peu plus son « état psychique ». Il ne saurait pas expliquer pourquoi il est comme ca. Il ne comprend pas. Pourtant en posant mes questions, je découvre un patient détestant son travail dans lequel il s’ennuie depuis des années. Il se sent de plus en plus inutile, à rester 8h pour rien. Une fois rentrée à la maison, les choses ne sont pas si roses non plus. Il n’a que très peu envie de sortir, n’a pas particulièrement envie de voir ses amis avec qui il a moins de contact du fait de leur vie personnelle. Lui a vécu une rupture douloureuse en 2013 et depuis n’a pas eu de relations sérieuses, ce qui l’angoisse… Il a du mal à parler et ne développe pas vraiment ses propos si je ne l’interroge pas… Ayant pas mal d’éléments déjà et étant à 35 minutes de consultation, je décide de continuer à lui parler en l’examinant. Rien de particulier à l’examen, tension normale, auscultation cardio pulmonaire normale, l’abdomen est sans particularités, sans hépatosplénomégalie. Pas de fièvre, pas de ganglions. Vient la fin de consultation, que dois-je faire ? Sa fatigue est probablement plus un signe de dépression que le reflet de quelque chose d’organique. Néanmoins je décide tout de meme de faire un bilan sanguin. Vient ensuite la question des antidépresseurs… Je décide d’opter sans réelle conviction pour la paroxétine, antidépresseur qu’il avait déjà utilisé auparavant. Il n’a pas l’air totalement contre et je commence d’abord par 10 mg qques jours avec une augmentation à 20 mg. Je décide de le revoir dans une semaine. 1/ Fatigue en médecine générale : bilan de 1ère intention, étiologies auxquelles il faut penser 2/ Dépression en consultation : les critères de la DSM 5 (applicables en cabinet ?) différentes molécules pour différents « états cliniques » , modalités du traitement ? 1/ Fatigue récente en médecine générale La fatigue est un motif récurrent en médecine générale (jusqu’à 30% des patients selon certaines études, 20% en moyenne). Il n’existe cependant pas de recommandations de bonnes pratiques en France sur ce symptome. La fatigue est une plainte très subjective et absolument non spécifique, pouvant être présente aussi bien dans des pathologies somatiques ou psychiques. Il convient donc d’être particulièrement vigilant et précis dans son interrogatoire et son examen clinique. 1/ Etiologies - Origine toxique ou iatrogène : psychotropes, bétabloquants, antihypertenseurs centraux, inhibiteurs calciques, diurétiques, antihistaminiques, antalgiques palier 2, antihormones Tabac, alcool, caféine, stupéfiant - Origine organique : Infectieuse (virale EBV, CMV VIH, endocardite) Endocrienne et métaboliques (ins. Surrénalienne, dysthyroidie, carence martiale, hyperglycémie, IRC, ins. Antéhypophysaire Neurologiques (maladies musculaires, myasthénie, neuropathie périphérique…) Néoplasique Hématologiques Gastro entérologique (maladie coealiques, Crohn ou RCH, hépatites chroniques…) Cardiovasculaires (ins. Cardiaque) Respiratoires (ins. Respiratoire chronique) - Maladies de système Origine psychique : épisodes dépressifs majeurs, troubles anxieux, troubles somatoformes, troubles de la personnalité 2/ Démarche diagnostique L’interrogatoire et l’examen clinique sont primordiaux dans la démarche diagnostique pour éliminer une cause spécifique. On parle de fatigue aigue pour une fatigue de moins de 6 mois. Si celle-ci date de moins d’un mois, on parle de fatigue récente, prolongée si elle évolue entre 1 et 6 mois. NB : distinguer également fatigue de la somnolence à l’aide éventuellement de questionnaire comme l’échelle d’Epworth pour le dépistage de syndrome d’apnée du sommeil. La prescription d’examens complémentaires à la fin de l’examen clinique ne fait pas l’objet de recommandations particulières. L’approche doit avant tout être centrée patient et s’appuyer sur les données collectées à l’examen clinique. Devant une fatigue isolée, les éventuels examens à demander sont : NFS, CRP, ionogramme sanguin, créatininémie, bilan hépatique, ferritinémie, TSH, glycémie et BU. Une étude prospective anglaise sur 200 patients avec fatigue récente isolée chez qui un examen sanguin a été prescrit systématiquement, n’a retrouvé seulement 9% de résultats pathologiques. 3/ Traitement Si une cause a été identifié, le traitement est bien sur celui de la cause. Dans le cas de fatigue récente isolée, il n’existe pas de traitement spécifique et le recours aux vitamines n’a pas montré d’utilisté particulière. Le traitement dans ce cas repose avant tout sur des conseils d’hygiène de vie et sur une bonne relation médecin-malade avec nécessité d’un suivi pour réévaluer l’état de fatigue. A noter, dans 80% des cas, la plainte s’améliore spontannément en 6 à 8 semaines. Sources : - Revue du praticien Médecine Générale, tome 26, n° 875 février 2012 - http://www.picardie.cnge.fr/IMG/pdf/coursjyfwfatiguetcem15mars2008.p df Voici ci-dessous un tableau résumant la prise en charge diagnostique d’une fatigue. 2/ Dépression et médecine générale Du fait de sa position, le médecin généraliste est souvent confronté à ce problème dans son exercice. Selon une étude mené par la DREES, environ 72% des médecins généralistes se disent confrontés à des patients présentant une souffrance psychique au moins une fois par semaine. Cependant, encore beaucoup de patients dépressifs ne sont pas diagnostiqués comme tel et parmi ceux diagnostiqué comme ayant un épisode dépressif majeur ne sont pas traités. 1) Caractériser l’épisode dépressif en s’aidant des critères de la DSM V A/ Au moins 5 des symptomes suivants doivent avoir été présents pendant une période de 2 semaines et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement antérieur, au moins un des symptomes est soit une humeur dépressive, soit une perte d’intérêt ou plaisir. 1. Humeur dépressive pré sente pratiquement toute la journé e, presque tous les jours, signalé e par le sujet (p. ex., pleure). N.B. : É ventuellement irritabilité chez l’enfant et l’adolescent. 2. Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités, pratiquement toute la journé e, presque tous les jours (signalé e par le sujet ou observé e par les autres). 3. Perte ou gain de poids significatif en l’absence de ré gime (p. ex., modification du poids corporel en un mois excé dant 5 %), ou diminution ou augmentation de l’appé tit presque tous les jours. N.B.: Chez l’enfant, prendre en compte l’absence de l’augmentation de poids attendue. 4. Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours. 5. Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (constaté par les autres, non limité à un sentiment subjectif de fé brilité ou de ralentissement inté rieur). 6. Fatigue ou perte d’é nergie presque tous les jours. 7. Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inapproprié e (qui peut ê tre dé lirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d’ê tre malade). 8. Diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalé e par le sujet ou observé e par les autres). 9. Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idé es suicidaires ré currentes sans plan pré cis ou tentative de suicide ou plan pré cis pour se suicider. B/ Les symptomes induisent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants. C/ Les symptomes ne sont pas imputables aux effets physiologiques directs d’une substance (par exemple, une substance donnant lieu à abus, médicament) ou d’une affection médicale générale (ex : hypothyroidie…) D/ L’épisode ne répond pas aux critères du troubles schizoaffectif et ne se superpose pas à une schizophrénie, à un trouble schizophréniforme, à un trouble délirant ou à un autre trouble psychotique. E/ Il n’y a jamais eu d’épisode maniaque ou hypomaniaque. Si 5 symptomes seulement, épisode léger. Si 8 symptome, épisode sévère, sinon intermédiaire. NB : Changement par rapport au DSM 4 : il n’existe plus l’item sur le deuil Cependant, il n’est pas toujours aisé en médecine générale de faire rentrer son patient dans ces cases, le patient pouvant venir avec un tableau moins caractérisé mais ayant tout de même un impact important sur la qualité de vie. 2° Evaluer le risque suicidaire Le tableau ci-dessous extrait d’un document de l’OMS permet de faire le point sur le risque suicidaire tout en indiquant la conduite à tenir. 3° Choix de l’antidépresseur Le choix du traitement antidépresseur se fait en tenant compte de plusieurs critères. Ils sont tous bien codifiés dans les recommandations de l’ANSM. Les critères à prendre en compte dans le choix de l’antidépresseur : - Contre-indications et effets indésirables - Propriétés collatérales : en plus de leur propriété antidépresseur, ils peuvent être sédatif, stimulant ou médian (effet sédatif ou stimulant selon l’age et la physiologie de l’individu) Sédatif : Miansérine, mirtazapine, amitryptilline Stimulant : Fluoxétine, Imipramine Médiant : Clomipramine - Comorbidités psychiatriques et somatiques : prendre en compte les pathologies somatiques pour les intéractions médicamenteuses. Si autre trouble psychiatrique, essayer de prendre un traitement efficace dans les 2 indications - Traitements antérieurs - Préférence du patient Voici les différentes catégories d’antidépresseurs existant aujourd hui : ISRS : Fluoxétine -> Prozac Citalopram -> Seropram Mirtazapine -> Norset Paroxétine -> Deroxat Setraline -> Zoloft… ISRSN : Velafaxine -> Effexor… Non imipraminiques non-IMAO : Miansérine -> Athymil Tianeptine sodique -> Stablon… IMAO A : Moclobémide -> Monoclamine… Imipraminiques : Amitryptiline -> Laroxyl Clomipramine -> Anafranil Imipramine -> Tofranil… Quel traitement initier ? - Pour les épisodes d’intensité légère : pas d’indication de traitement antidépresseur - Pour les épisodes modérés à sévères : il est conseillé en termes de bénéfices/risques d’initier le traitement par un ISRS, ISRSN ou d’un non imipraminique non IMAO - Pour les épisodes sévères et notamment chez les sujets hospitalisés : commencer directement par un imipraminique ou par de la Venlafaxine. 4° Stratégie thérapeutique et suivi du traitement Les délais d’amélioration des symptomes varient de : - quelques jours pour l’anxiété et l’insomnie - une à 2 semaines pour le ralentissement psycho moteur et les idées suicidaires - de 2 à 4 semaines pour l’humeur à proprement parler Après l’instauration d’un traitement par antidépresseur, il est nécessaire de revoir le patient : - à quelques jours : pour évaluer la tolérance et le risque suicidaire - pendant les 2 premières semaines : pour évaluer toujours la tolérance mais aussi les effets cliniques ou au contraire une aggravation des symptomes - à 4 semaines : pour évaluer l’efficacité. Si la réponse est insuffisante ou nulle après 6 à 8 semaines de traitement (plus court si patient très symptomatique) - évaluation de l’observance et remise en cause du diagnostic - augmentation de la posologie - changement de classe thérapeutique - association d’une psychothérapie En cas de dépression résistante, il est indispensable de recourrir à un psychiatre. Durée et arrêt du traitement Le traitement dure au total de 4 à 9 mois avec une phase aigue dite d’attaque (pour obtenir la rémission) et une phase de consolidation (éviter les rechutes). L’arrêt du traitement doit se faire de manière très progressive. Si le traitement a été pris pendant moins d’un an, diminution des doses en quelques semaines (- ¼ de la dose journalière par semaine) Si le traitement a été pris sur plus d’un an, diminution des doses en quelques mois avec baisse de ¼ de la posologie journalière tous les mois. Sources : http://www.sfmg.org/data/generateur/generateur_fiche/870/fichier_3862_poster_antidepresse ursa49cc35.pdf http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/rpc_depression_2002__mel_2006_-_recommandations._2006_12_27__16_20_34_967.pdf http://www.who.int/mental_health/media/en/57.pdf http://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/9698d423c76ea69ed0a2678ff7 a2b2b3.pdf Les compétences acquises à travers de ce RSCA sont : - Approche centrée patient, relation et communication : que ce soit dans le cadre de la fatigue ou de la dépression, il faut construire sa démarche diagnostique autour du patient, prendre en compte son environnement, son histoire personnelle. De même pour la thérapeutique, dans ces 2 symptomes/maladies, la relation médecin malade est extrêmement importante et fait partie intégrante du traitement. Cette relation doit évidemment être spécifique à ce patient pour que les choses marchent. - Approche globale et complexité : La fatigue et la dépression sont 2 plaintes très souvent intriquées et qui résultent elle-même de divers facteurs biopsychosocials. Il faut donc prendre le patient dans son ensemble. - Continuité, suivi, coordination : savoir adresser le patient à un psychiatre lorsque le traitement instauré au cabinet ne suffit pas.