Les principales caractéristiques de la psychologie de l'enfant roi Quand je parle des méchants,[…], j’entends les violents, tous ceux qui s’abandonnent à leurs passions […]. La force des méchants, c’est qu’ils se croient bons et victimes des caprices d’autrui. Alain Nous avons vu dans le premier article de ce dossier sur l'enfant roi que c'est l'absence de passage du stade de l'impulsivité à celui de l'autoprotection qui pave la voie à son développement. Nous avons également cerné la responsabilité première de l'autorité parentale dans la perturbation de ce processus, dans le sens où le laxisme (attitudes de trop grande permissivité, de laisser faire, de laisser aller) prive l'enfant de l'apprentissage essentiel de la condition première d'un tel passage, soit la maîtrise de cette impulsivité. Ces affirmations ne valent toutefois que pour le profil le plus commun d'enfant roi, soit ¨l'enfant roi dominateur¨; bénéficiaire du laxisme éducatif, il est celui que l'on décrit habituellement comme le résultat d'un enfant gâté et pourri tout au long de son développement, impulsif, opposé à toute autorité, et sans aucun sens de la discipline et de l'effort. Il existe un second profil, que j'ai nommé ¨l'enfant roi anxieux¨, chez qui le laxisme éducatif provoque l'émergence de caractéristiques de fonctionnement toutes autres. Même si la présente réflexion s'adresse essentiellement à l'enfant roi dominateur, compte tenu de sa prévalence et des difficultés de taille qu'il pose aux adultes qui en ont la responsabilité éducative, il convient de s'arrêter tout d'abord à cette distinction essentielle. La différence majeure animant ces deux types d'enfants rois provient de l’intensité de la pulsion agressive caractérisant chacun d'eux. L'enfant roi dominateur est évidemment celui qui présente l'intensité la plus forte; davantage impulsif et rebelle à l'autorité que l'autre, il exploite à son profit la totalité de tout l’espace éducatif ainsi que les largesses éducatives fournies par la trop grande permissivité des parents. Il se conduit alors comme il a envie de le faire et sans aucune restriction, au gré de ses désirs et caprices qui deviennent aisément confondus avec les besoins. À l'inverse, l'enfant roi anxieux n'affiche à peu près pas de tendances à l'impulsivité. Davantage fragile et malheureux, il affiche plutôt de fortes tendances à l’anxiété et à l'angoisse, de même qu'une insécurité parfois chronique, qui le conduisent à un important besoin vital d’encadrement. L’enfant roi anxieux est donc celui qui souffre du laxisme. Ne pouvant s'appuyer sur aucune référence qui pourrait lui servir en quelque sorte de balises et de guide pour encadrer sa conduite et soutenir son processus décisionnel, il évolue dans une espèce de ¨vide existentiel¨; il est comme un drapeau qui dépend du vent pour déterminer la direction vers laquelle il doit flotter. Je me rappelle à cet effet une jeune étudiante âgée de 19 ans et qui désirait me rencontrer afin de modifier son plan d’études. Lui soulignant qu’il valait peut-être mieux consulter un professionnel de l’orientation, elle insiste en me soulignant son incapacité absolue à prendre une telle décision et que c’était là le motif pour lequel elle désirait me rencontrer. Ce n’est qu’après de nombreuses rencontres cliniques qu’une phrase jaillit de sa bouche pour me permettre de comprendre ce qui n’allait pas. Rongée par l’anxiété, elle lance : ¨Depuis que je suis toute petite, je peux faire ce que je veux…. Cela ne veut pas dire que mes parents ne m’aimaient pas… cela veux dire qu’on me faisait confiance¨. Ces paroles étalaient tout le drame fatidique du laxisme éducatif dont elle avait été la victime, particulièrement le doute d’avoir été aimée qu’avait généré l’absence d’encadrement. Mes questions visant la compréhension précise de ces paroles l’ont effectivement conduite à la verbalisation de souvenirs à l’âge de 6 ans alors qu’elle suppliait en pleurs ses parents de lui signifier à quelle heure devait-elle aller simplement se coucher. Ses parents, dans une volonté manifeste de bien faire, lui répondaient régulièrement qu’elle était maintenant une grande fille et qu’elle pouvait elle-même juger de l’heure à laquelle elle devait aller se coucher. Toute son enfance avait été caractérisée par l’absence de cadres, d’une structure qui lui aurait éviter la culture d’une anxiété morbide contre laquelle elle devait dorénavant se battre, probablement pour le reste de sa vie. Tout son processus décisionnel en était ainsi affecté de sorte qu’elle évoluait dans une dépendance affective chronique, caractérisée par une référence constante à autrui pour la prise de quelque décision que ce soit. Sans cadre éducatif, cette jeune fille était devenue incapable de distinction entre le possible, le souhaitable et le désiré. Essentiellement passive dans ses relations, l’analyse de sa personnalité indiquait en outre une absence marquée d’agressivité au point où elle subissait toute action de cette nature de la part d’autrui. Cette ¨enfant¨, traitée comme une petite reine durant toute son enfance et sans aucune confiance en elle, en son propre jugement, croulait littéralement sous son anxiété. Sans agressivité, incapable d’affirmation de soi et de décisions, craignant au plus haut point le rejet d’autrui, elle n’avait cesse de rechercher l’amour, l’affection et la sécurité : elle cherchait auprès des autres à établir la relation de sécurité dont elle avait été privée de la part de ses parents. Contrairement à l'enfant roi dominateur qui suscite le rejet et la colère, ce profil anxieux a plutôt pour effet d’attirer la sympathie et la prise en charge. L’enfant roi dominateur, quant à lui et tel que mentionné précédemment dans le premier article de ce dossier se caractérise tout d’abord par l'impulsivité que lui fournit sa forte pulsion agressive. Il s'agit là de sa caractéristique dominante. Nullement contraint à quelque modification de conduite que ce soit, il demeure fixé au stade de développement de l'impulsivité, caractéristique de l'enfant âgé de 2 à 4 ans, de sorte qu'il maintient puis intensifie avec le temps les comportements de cette nature qui dominent sa vie affective depuis sa naissance. Contrairement à l'enfant roi anxieux qui subit le laxisme et dont la tendance à l'anxiété réclame un encadrement sécurisant, l'enfant roi dominateur en exploite donc toutes les failles et réclame pour sa rééducation en encadrement répressif. Cette impulsivité demeure au service exclusif et enivrant de la facilité, du plaisir et du pouvoir sur autrui. Cette deuxième caractéristique en importance signifie que ce type d'enfant maintient une conduite alimentée par une motivation de nature infantile, c'està-dire une motivation analogue dans sa nature à celle qui le caractérise depuis sa naissance. Nullement capable de composer avec les frustrations et de reporter la satisfaction de ses besoins, désirs et pulsions dans le temps, il n'accède donc pas au contrôle de soi et à la discipline, deux ingrédients constitutifs de toute maturité. Tout le développement de cette impulsivité devient grandement facilité par la déficience de sa morale. Cette autre caractéristique de sa psychologie est tributaire de l'absence de toutes conséquences appliquées sur ses comportements de nature impulsive. Tout se passe comme si le laxisme éducatif provoquait une espèce de réaction circulaire possédant sa propre énergie : l'absence de cadre éducatif devient une autorisation à la poursuite de la conduite impulsive et annule tout développement de crainte de ses conséquences, interdisant dès lors le développement de toute morale qui autorise à son tour la poursuite de l'impulsivité et de la satisfaction du plaisir. Cette absence de relations avec le domaine de la peur des conséquences devient donc le principal catalyseur de sa déviance et entraîne avec elle des conséquences dramatiques sur le développement de son équilibre personnel. Elle annule en effet toute possibilité d'accès au remords et à la culpabilité, deux affects (ce qui est ressenti) essentiels et incontournables dans l'apprentissage de la distinction entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. C’est la raison pour laquelle la morale de l'enfant roi dominateur possède une structure de nature psychopathe et que toutes tentatives d'interventions visant à le sensibiliser à la déviance de sa conduite sont vouées à l'échec. Égocentrique, sans empathie et incapable de remords et d'empathie, il piétine sans ambages les besoins et la vie des autres. Lorsqu'il se présente ainsi ¨équipé¨ aux portes de l'école et de la socialisation, c'est rapidement qu'il fera étalage de toute cette absence d'emprise sur la gestion de sa personnalité et de son opposition farouche à toute contrainte. Parfois vulgaire, il invective l’autorité en s’adjoignant l’appui des autres enfants rois de la classe ou ceux qui nourrrissent une rébellion conséquente à un abus de pouvoir parental sur leur personne. Soutenant parfois son opposition aux enseignants à l'aide de menaces d'un recours contre eux, avec l’appui occasionnel et malheureux de ses parents tout aussi inconscients que lui, il continue de nourrir une gestion narcissique et égocentrique des situations. Les enseignants dépistent rapidement ces enfants rois qui, de plus en plus nombreux, sont responsables de l’éclatement en pleurs chez certains, d’un taux croissant d’épuisement professionnel, ainsi que d’une consommation de plus en plus élevée d’antidépresseurs et de congés de maladie. Les différentes enquêtes dans le domaine de l’éducation indiquent d’ailleurs et de façon alarmante que c’est au niveau préscolaire que le taux d’agression physique sur les enseignants a connu la plus forte hausse. L’enquête au Québec du Journal de Montréal publiée dans la première semaine de février 2004, révèle également la pathologie morale de ces enfants rois parvenus à la puberté et à l'adolescence. Une autre caractéristique voit le jour au fur et à mesure de son évolution vers l’âge adulte, celle d’une exploitation éhontée des relations interpersonnelles. Asservissant à ses besoins toutes les personnes avec qui il entretient des relations, c’est avec colère qu’il réagit lorsque ces derniers ne daignent pas se soumettre à sa volonté. Ce n’est qu’une question de temps pour que l'intensification de cette colère s'adresse à ses parents, particulièrement au tournant de la puberté alors que ces derniers continuent le plus souvent de demeurer ses otages. Utilisant parfois l'agression verbale et physique contre eux, le développement de sa force physique s’ajoute ainsi à son arsenal de contrôle et de domination déjà imposant. Voilà une explication potentielle et fort réaliste de certains parents molestés par un de leurs enfants, situation rapportée occasionnellement par les médias. La culture de son égocentrisme et de son narcissisme, cet amour excessif et pathologique de sa propre personne, le prépare également à une dysfonction absolue dans le domaine de l’intimité où il poursuit son exploitation des relations. S’imposant comme roi et maître de ses sujets, omettant la plupart du temps les anniversaires des membres de sa famille et le don de présents, son partenaire de vie ainsi que ses enfants lui doivent obéissance et vénération. Souvent infidèle, c’est fréquemment qu’il entretient des relations hors couple, guidé pas ses instincts primaires et le plaisir narcissique qu’il retire de la sexualité. Incapable d’aimer et de toute remise en question de soi, la poitrine gonflée à bloc et orné d’une couronne de sa propre fabrication, la race humaine est à ses pieds. Il est également fréquent que sa déviance le conduise à des difficultés de consommation. Contrairement au profil habituel du toxicomane et de l’alcoolique, chez qui cette problématique assure l’élimination de la souffrance affective issue d’une enfance destructrice de l'image et de l’estime de soi, l’enfant roi consomme par pur plaisir. De là à aboutir au trafic des stupéfiants dans le but de bénéficier des sommes colossales qu’une telle activité illicite rapporte, il n’y a qu’un pas qui peut devenir vite franchi. En trente ans de métier, il m’a été donné de connaître plusieurs de ces enfants à l’âge adulte. Non pas parce qu’ils se présentaient en consultation, ce à quoi ils ne sauraient s’abaisser, mais bien plutôt parce qu’ils étaient les partenaires de patients que je recevais ou parce qu’ils participaient contre leur gré au programme de réhabilitation que j’offrais dans le système carcéral canadien. Dans ce dernier cas, je me rappelle un jeune homme de 29 ans, marié avec deux enfants et aux nombreuses maîtresses, dont les parents millionnaires lui avaient procuré dès l’âge de 14 ans une voiture de grand luxe, voiture qui avait vite été abandonnée à 16 ans pour une voiture sport allemande, suite à une crise de leur progéniture. Incarcéré pour trois ans suite à un trafic de stupéfiants et suivant le programme de Connaissance de soi dans une position physique qui donnait plutôt l’impression qu’il se dorait au soleil dans les îles du Sud, il a opposé un refus immédiat aux travaux obligatoires de réflexion personnelle, ce qui lui a valu l’expulsion du cours. Une lettre de sa mère, contenu à son dossier, soulignait sa grande peine de voir son fils incarcéré. Elle prodiguait son encouragement à ¨son fils chéri¨(sic) et renouvelait sa croyance dans ses propos à l’effet qu’il avait été victime d’une erreur judiciaire, malgré les faits et les preuves irréfutables amassés contre lui. De plus, la mère ajoutait que père, riche homme d’affaires, avait prévu un poste au conseil d’administration dès son retour, afin de panser les affres de son incarcération. Le ton ainsi que le vocabulaire infantile de la lettre donnaient cette impression d’une maman qui s’adresse à son petit ¨choux¨ de 8 ans. Je me rappelle également un homme de 34 ans qui me consultait pour d’importants problèmes de couple. La description des réactions de sa conjointe ne laissait aucun doute : il était le valet d’une enfant roi, qui continuait d’ailleurs de maltraiter sa mère et de la molester à l’occasion lorsqu'elle n'obéissait pas à ses exigences. Cette enfant de 36 ans, sous le coup de la frustration la plus insignifiante, pouvait se jeter par terre pour entrer alors en crise; elle frappait par terre des pieds et des mains, lançant ici et là les objets qui lui tombaient sous la main pendant que son conjoint et la fille de cette dernière, âgée de 13 ans, assistaient, médusés, à ce spectacle désolant d’une enfant de 4 ans en crise dans un corps adulte. Un dernier exemple démontre plus clairement les traits psychopathiques ainsi que les niveaux de méchanceté que peuvent parfois atteindre la soif insatiable du pouvoir ainsi que l’égocentrisme, le narcissisme et l'inconscience de ces enfants rois dominateurs. Frappée assez régulièrement tout au long de son développement par une mère despotique qui tient bordel et exploite un hôtel, une patiente me raconte qu'elle devient utilisée par celle-ci et dès la puberté pour l’attrait marqué que son corps suscite auprès des clients en mal de sexe. Assise sur le bout du comptoir, telle que commandé par sa mère qui utilise les charmes sexuels de sa fille pour augmenter l’achalandage de la clientèle ainsi que le revenu de ses commerces, elle doit fuir occasionnellement en courant dans les différentes parties de l’hôtel pour se défendre seule contre des hommes ivres qui cherchent à la violer. Échangée à l’âge de 18 ans par sa mère, pour une période d’environ deux ans, contre une automobile à un homme de 36 ans, elle devra subir une sexualité abusive. Pathologiquement soumise à sa mère, elle ne dit mot pour retourner dans le giron contrôlant de sa mère par la suite. La mère, actuellement âgée de plus de 80 ans et vivant dans un autre pays avec un multimillionnaire, soumet ses deux filles, dont ma patiente qui s’occupe gratuitement de l’entretien des immeubles de sa génitrice, à l’obligation de l’envoi d’un chèque mensuel en guise de remerciement pour les avoir mises au monde. Intéressé à connaître le passé de cette mère dénaturée, je m’attends à un récit d’intenses abus chez cette personne. Bien au contraire, ma patiente résume l’enfance de sa mère en lançant qu’elle est une enfant gâtée et pourrie, qui a toujours obtenu tout ce qu’elle désirait depuis sa tendre enfance, au simple claquement des doigts. La fixation au stade de l'impulsivité En résistant et en s’opposant, l’enfant entraîne et forme sa volonté: en passer les caprices, c’est préparer un tyranneau; la brimer purement et simplement, c’est en casser peut-être à jamais le ressort E. Mounier Représentant la 3parfaite antithèse du respect, l'enfant roi dominateur est le triste produit du laxisme éducatif de nos sociétés modernes et le malheureux résultat de l'éclatement des couples et des familles. Au pouvoir de son petit univers cimenté autour de l'égocentrisme, c'est avec acharnement qu'il résiste à toutes les interventions éducatives et qu'il piétine tout ce qui de près ou de loin entrave le plaisir et la facilité dont il s’abreuve sans jamais se rassasier. Devenu parent, c'est pour des générations durant qu'il risque d’assurer la perturbation de sa progéniture. Issu des générations suivant celle des «Baby-boomers» nés de 1947 à 1966, soit la génération X et X-bis (enfants nés à la fin du baby-boom), mais surtout l’écho du babyboom (enfants nés de 1980 à 1995) et ceux qui sont nés depuis 1995, qualifiés d’enfants du nouveau millénaire, sa fréquence ne cesse d'augmenter et contribue de façon significative à l'élévation du dérèglement des comportements à laquelle nous assistons. Les enfants rois appartiennent donc à différents groupes d’âges et leur présence constitue un des plus grand défis éducatifs auxquels les adultes sont confrontés. Les difficultés de comportements et de conformisme social de l'enfant roi se manifestent d'ailleurs dès leur arrivée à la garderie où seul l’arrêt d’agir devient la plupart du temps l’unique intervention possible. De nombreuses éducatrices me confient régulièrement que près de la moitié des enfants dont elles ont la responsabilité affichent maintenant les caractéristiques de ce type de problématique; plusieurs d'entre elles doivent d'ailleurs se protéger contre l'agression physique en situation de frustration chez certains. S’opposant ensuite avec une constance sans faille à tout appel à la discipline et à toutes les règles établies lors de leur entrée à l’école, ils jouent malheureusement un rôle significatif dans la dilution des programmes d’enseignement depuis des années, en vertu du haut degré d'échec scolaire qu'ils manifestent. Certains enseignants de niveau secondaire (l'équivalant du lycée français) me partagent d'ailleurs qu'ils donnent actuellement à leurs finissants le programme qu'ils offraient au début de cette même période de scolarisation il y a environ 20 ans. Les réactions d'adaptation du système ¨éducatif¨ contribuent donc elles aussi au renforcement social du règne de la facilité. Au contrôle du pouvoir sur leurs parents depuis la tendre enfance et ultérieurement sur toute figure d’autorité, on les retrouve en outre et de plus en plus souvent dans les milieux fermés de rééducation et maintenant en prison, lorsque leur absence totale de discipline et l’hégémonie fascinante de leur plaisir les conduisent à la déviance, à la toxicomanie ainsi qu’au trafic de stupéfiants, particulièrement lors de leur passage à la puberté. Lors de mes interventions dans le système correctionnel canadien, c'est avec constance que près du quart des participants au programme Connaissance de soi affichaient la problématique de ce type d'enfant. Ce premier article sur une série de quatre vise à cerner la perturbation précise du développement qui autorise la mise en place du scénario typique de l'enfant roi, nommément l'absence du passage du stade de l'impulsivité au stade de l'autoprotection vers l'âge de 4 ans. Je m'inspire ici de la nomenclature des stades de développement du moi proposée par Jane Loevinger. Examinons brièvement les stades de développement précédant ce moment clé qui permettra à l'enfant roi de conserver les caractéristiques qui le définissent depuis sa naissance. Évoluant dans son monde à lui où n’existe aucune perception du monde extérieur, branché sur ses instincts et dirigé par ses réflexes primaires, la conduite de l'enfant naissant répond initialement à un principe de plaisir dominant, c'est-à-dire par une incapacité absolue de tolérer toute frustration de ses besoins et d'en reporter la satisfaction dans le temps. L'enfant naît donc roi. Ce premier stade qualifié d'autisme est suivi par celui de la symbiose (fusion) dont l’apparition vers l’âge de six mois correspond au développement de la vision et du sourire volontaire; reconnaissant de plus en plus sa mère, dont la perception est apte à provoquer l’agitation, ce stade permet l’empreinte biologique et affective de la figure maternelle, tout comme il en est le cas dans le règne animal, phénomène largement étudié par le fondateur de la psychologie animale, Konrad Lorenz . Cette période du développement de la symbiose s’étend jusqu’à l’âge d’environ un an et demi à deux ans, période au cours de laquelle apparaît le langage articulé et différent de l'écholalie (simple répétition de sons entendus); grâce à la maturation de son cerveau et à l'évolution de sa pensée intellectuelle, l’enfant devient donc en mesure d'ajouter le langage au répertoire de ses outils d’expression de sa vie intérieure. De plus, et il s’agit d’une donnée importante dans la compréhension de la perturbation du développement qui conduira l'enfant au maintien des caractéristiques de l'enfant roi, à peine sait-il déjà parler depuis six mois qu’il saura imposer aux parents un ¨Non!¨dont la constance et l'ampleur auront parfois raison du plus résistants de ces derniers : faisant son entrée triomphante dans la période impulsive qui s’étendra jusqu’à environ l’âge de 4 ans, voici l’enfant roi dans son maximum d'intensité! Cette phase impulsive de l'affectivité correspond à une période de la pensée intellectuelle où le concept n’existe pas. Qualifiée de ¨syncrétique¨ par le psychologue généticien feu Jean Piaget, l’enfant de cet âge est incapable de raisonnement : tout ce qui est affirmé devient la réalité et toute tentative de lui présenter un autre raisonnement que le sien est voué à l’échec. Évoluant dans une pensée magique, il interprète ainsi le monde des objets et des événements en fonction d’une vie analogue à celle qui caractérise les êtres humains; c'est la raison pour laquelle sa pensée est qualifiée d'animiste et d'anthropomorphiste. Il n’est donc pas raisonnable au sens propre du terme, c’est-à-dire que tout raisonnement logique lui est inaccessible. Inutile donc de lui proposer des raisonnements afin de le rendre ¨conscient¨ de certains aspects de la déviance de ses comportements : il n'y comprend strictement rien et de toute façon, cela ne l'intéresse pas! À cette phase du développement, l'enfant est donc à la fois impulsif et incapable de tout raisonnement, et ce sont là les deux caractéristiques qui confèrent le degré habituel de difficulté à cette période de la croissance pour les parents. Si cette période de 2 à 4 ans est par contre d'une totale importance au chapitre du développement et de la gestion des pulsions de vie que recèle l'agressivité, ainsi que de leur contribution à la puissance future du caractère, elle place toutefois les parents devant un premier défi, et il est de taille : comment conduire cet enfant impulsif à l’apprentissage de la discipline (du latin disciplina et qui signifie enseignement) et du contrôle de ses réactions devant les frustrations sans jamais briser le ressort de sa personnalité? C'est ici qu'entre en scène l'important concept de la peur des conséquences, dont le rôle est de forcer l'accès au stade de développement suivant, soit celui de l'autoprotection. Ce faisant, l'enfant accède simultanément au second stade du développement de la morale et voici pourquoi. Il faut comprendre qu'à cette étape de la croissance, la maîtrise de la conduite repose exclusivement entre les mains des parents. Contraints d'utiliser l'arrêt d'agir auprès de l'enfant, ce sont eux qui décident littéralement de la conduite permise ou interdite. C'est ce qui se produit par exemple lorsque nous cherchons à le rattraper dans la maison alors qu'il fuit la demande de bien vouloir se vêtir pour le départ, ou lorsque nous devons le lever de terre au supermarché alors qu’il est en crise parce qu’on lui a refusé ce qu'il désirait, ou lorsque nous lui imposons une obligation de se nourrir convenablement et non seulement de dessert. C'est la persistance des parents à freiner certains aspects de la conduite de l'enfant et à utiliser un répertoire raisonnable de contraintes et de punitions qui conduira ce dernier à la saturation des conséquences de ses comportements impulsifs; la seule solution possible de protection pour l'enfant devient alors un minimum de contrôle sur sa conduite ainsi que la répression des comportements qui le conduisent à subir des conséquences qu'il ne désire plus. L'apparition des premiers balbutiements de ce contrôle indique alors que l'enfant quitte l'impulsivité pour entrer de plein pied dans le stade de l'autoprotection. L'arrêt d'agir devient de moins en moins nécessaire et c'est maintenant la peur des conséquences qui régularise la conduite. C'est ce changement précis qui permet l'évolution de la morale : le contrôle de soi quitte les mains des parents pour passer maintenant entre celles de l'enfant, lui permettant un début de distinction entre ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, entre qui est souhaité et ce qui ne l'est pas. Non seulement cette peur des conséquences joue-t-elle un rôle majeur dans le passage du stade de l'impulsivité à celui de l'autoprotection mais elle contribue également au développement d'une morale équilibrée compte tenu de son rôle dans la production d'anxiété et de culpabilité, deux affects (ce qui est ressenti) essentiels dans une gestion saine de l'affectivité. Sans la présence de la peur des conséquences, aucun être humain ne devient contraint à une maîtrise de sa conduite et ne s'expose à une anxiété et une culpabilité potentielles. Prenons simplement l'exemple de notre fonctionnement dans la relation de couple. La crainte que nos comportements ne viennent heurter notre partenaire joue un rôle important dans la maîtrise de nos réactions en situation de tensions; nous allons alors verbaliser le contenu de notre réaction en évitant toutefois de verser dans l'agression verbale afin de ne pas blesser notre partenaire car tel n'est pas notre objectif. Par le contrôle de cette pulsion d'agression, nous nous protégeons de l'anxiété et de la culpabilité que pourraient faire naître les conséquences blessantes de ce comportement, qui pourraient aller jusqu'à son départ de la relation. L'autorité parentale doit donc agir à cette période du développement de façon à faire naître la saturation tout autant que la peur des conséquences du comportement impulsif pour ainsi ¨forcer¨ l'enfant à mettre les pieds dans le stade de l’autoprotection et ce passage doit s'effectuer au plus tard autour de l'âge de 4 ans. En agissant ainsi, les parents érigent autour de l'enfant un cadre qui l'engage dans l'entonnoir menant à un contrôle de soi qui s’enracine graduellement et qui permet son passage ultérieur aux autres stades de développement menant à la maturité. Tout enfant qui n’effectue pas ce passage du stade de l’impulsivité à celui de l’autoprotection compromet grandement ses chances d'accéder au contrôle éventuel de son impulsivité et à l'élimination définitive de ses tendances au plaisir et à la facilité; la peur des conséquences ne voit alors jamais le jour et le développement de sa morale s'arrête pour priver l'enfant de toute accession future à l'anxiété, la culpabilité et au remords. C’est l’absence de ce passage de l’enfant du stade impulsif au stade de l’autoprotection qui coule les premières fondations de ce que sera le royaume futur de l’enfant roi. Comme l'enfant de cet âge évolue encore et de façon exclusive à l'intérieur de la dynamique familiale, force est de conclure que les parents sont les premiers artisans du succès ou de l’échec de cette entreprise. Ils sont donc les premiers responsables de la naissance de l’enfant roi, un enfant dont les développements de l’affectivité et de la morale se cristallisent pour autoriser la poursuite d'une utilisation parfois destructrice de son impulsivité dans l'atteinte de ses objectifs exclusifs de plaisir et de facilité. Le drame devient ici manifeste : au fur et à mesure de son développement physique, cet enfant roi pourra disposer des armes redoutables que lui conférera sa croissance graduelle vers l’âge adulte comme appui à son immaturité. Il demeurera ainsi un enfant de 3 à 4 ans dont la force physique et les ressources intellectuelles deviendront au service exclusif du maintien du principe de plaisir et d’une impulsivité dont la dangerosité pourra aller s’accentuant. Il y effectivement toute une différence entre les interventions requises et possibles pour un enfant de 4 ans en pleine crise ou un jeune de 14 ans qui perd contrôle sur sa frustration et qui verse dans l'agression sur les objets et peut-être sur les personnes. Si l'arrêt d'agir pouvait connaître une certaine efficacité durant l'enfance, compte tenu de la différence entre la force physique de l'enfant et celle des parents, c'est maintenant l'inverse qui risque de se produire. Tous les enfants rois ne répondent évidemment pas à ce profil impulsif, qui peut paraître alarmiste à priori. Il faut effectivement reconnaître qu'ils ne manifestent pas tous le même degré d'impulsivité de sorte que certains pourront présenter tout simplement une absence totale de discipline et une problématique de toxicomanie lors de leur passage à la puberté. Il faut toutefois retenir que peu importe ce degré d'impulsivité, l'enfant roi conserve toujours les tendances au plaisir et à la facilité, appuyées par une manipulation et une volonté de contrôle que leur intelligence grandissante saura raffiner au fur et à mesure de leur développement. En ce qui concerne la caractéristique de l'impulsivité, plus son intensité devient élevée, plus l'enfant roi risque d'augmenter la déviance de sa conduite et de se rapprocher ainsi de la délinquance. Le développement du pouvoir Les pouvoirs d’être et d’agir sur soi Mais pourquoi est-ce que j'agis comme je ne veux pas? J. B., cliente Mon objectif est ici de vous sensibiliser à l'importance cruciale de la notion de pouvoir dans la compréhension des différentes facettes de la conduite humaine et de ses perturbations. Ce pouvoir revêt deux facettes bien précises et qui jouent un rôle essentiel dans l'accession à l'identité ou la mise en place d'une structure de dépendance affective. Il s'agit des pouvoirs d'être et d'agir sur soi. Toute perturbation quant à l'efficacité de leur gestion place la personne en danger de pouvoir. Tout être vivant doit obligatoirement disposer d'une certaine quantité d’énergie s’il veut assumer sa vie, sa survie. Les variations en intensité de cette énergie sont fonction de la rencontre entre le milieu intérieur, défini par les besoins, pulsions, désirs, et le milieu extérieur avec ses multiples résistances qui peuvent en émerger. À la base de tout passage de la volonté à la détermination, de la simple expression de soi à l’affirmation de soi et à la revendication, de la colère à l’agression puis à la violence, l’être humain entier est ce pouvoir. Son importance est telle que sa gestion détermine à elle seule les deux positions de vie possibles : agir, par l’accession à l’identité et à l’autodétermination, ou subir, par la stagnation du développement de sa propre vie intérieure dans la dépendance affective, cette façon d’être et de se comporter par l’attribution du pouvoir sur soi à autrui. Toutes les personnes en difficulté éprouvent toutes et sans aucune exception une perturbation de la gestion de ces deux types de pouvoirs. Elles sont toutes à la recherche de solutions leur permettant la récupération de leur pouvoir et de leur liberté d’être par l’élimination de la crainte d’être véritablement elles-mêmes qui asphyxie leur élan vital, et l’accession au pouvoir d’agir sur soi et de se déterminer elles-mêmes, de présider enfin seule à leur propre destinée en se libérant de toute attribution de ces pouvoirs à autrui. En ce sens, la notion de pouvoir permet la compréhension tout autant que les solutions aux différentes formes de perturbation affective, telles la dépression, la délinquance, la passivité réactionnelle ou l’impulsivité. Ce premier article portant sur la notion de pouvoir vise la présentation succincte de la nature ainsi que de la dynamique du développement de ces deux types de pouvoirs à partir desquels tout être humain accède à la santé affective ou à sa perturbation. Le pouvoir d’être La notion de pouvoir traduit la présence des pulsions de vie à la base de tout élan vital. Elles puisent leur énergie dans les ressources que recèle l’agressivité qui, dans sa racine étymologique, signifie ¨aller vers…¨, ¨se diriger vers…¨. Du nourrisson qui hurle l’urgence de la satisfaction de ses besoins en passant par le jeune pubère, qui clame haut et fort le droit (le besoin) à son autonomie décisionnelle, et par l’adulte qui oeuvre à l’acquisition de son identité ou qui s’insurge avec une colère bien canalisée contre un pouvoir qu’on cherche à lui imposer, la conduite humaine traduit avec constance et de multiples façons la présence d’un pouvoir, de sa naissance à sa mort. Alors que le pouvoir d’agir sur soi ne peut que s’acquérir au fur et à mesure de la croissance vers la maturité, le pouvoir d’être quant à lui est présent dès la naissance : il est une donnée initiale du développement et connaît des fluctuations en fonction tant de l’impact du monde extérieur sur l’enfant (et sur l’adulte, bien sûr) que de la puissance émergeant des besoins, désirs et pulsions qui meublent sa vie intérieure. Il circule entre différents paliers d’intensification que sont les pouvoirs d’être, de s’exprimer, de s’affirmer, de revendiquer, l’agression et la violence, pour prendre également les couleurs de la colère, la rage, la haine et la vengeance, des affects (ce qui est ressenti) traduisant tous différents niveaux d’amplification de l’instinct de l’agressivité. Correspondant à la parfaire liberté d’être et essentiel à la protection de la santé mentale, ce pouvoir inné d’être soi se doit d’être préservé et ne souffrir en aucun temps d’une répression indue, compte tenu qu’il assume la libre circulation de l’énergie vitale et de l'équilibre dynamique. Si la gestion de ce pouvoir doit bien sûr subir un raffinement lors de la socialisation de l’enfant, en aucun temps ce volet éducatif ne doit-il interférer de façon à conduire l’enfant à une sensation traduisant le moindre danger de demeurer soi au travers l’expression libre de son pouvoir d’être. Le pouvoir d’agir sur soi Le pouvoir d’agir sur soi est absent à la naissance et ne peut s'acquérir qu'au fur et à mesure du développement de l'autonomie et des ressources individuelles. Comme l’enfant ne peut évidemment pas faire l’objet de sa propre observation, il ne peut initialement agir de façon à modifier consciemment sa conduite par lui-même. Ce pouvoir d’agir appartient initialement aux parents qui en sont les possesseurs exclusifs puisqu’ils disposent seuls des pouvoirs de permissions et d’interdictions. Ce n’est que lors du passage à l’adolescence, alors que la maturation de la pensée permet l’abstraction et conséquemment la conscience de soi que l’enfant devient en mesure d’accéder à une maturité de maîtrise de son propre pouvoir d’agir sur soi, de se déterminer lui-même en fonction de décisions autonomes à propos de sa propre personne, pour autant que la crise pubertaire ait connu une résolution positive, bien évidemment, ce qui n'est malheureusement plus la règle. Au même titre que le pouvoir d’être, le pouvoir d'agir sur soi tire sa puissance des mêmes ressources fournies par l'instinct de l’agressivité. Si ces deux pouvoirs connaissent chacun différents paliers d’intensification, le pouvoir d’agir possède ceci de particulier qu'il s'inspire de différents niveaux de motivation. Si l’enfant peut graduellement agir sur sa conduite et en modifier certains aspects bien avant son adolescence, sa motivation demeure toutefois limitée aux peurs des conséquences de ses comportements, comme à l’âge de trois ou quatre ans lors de son passage à la phase de l’autoprotection, ou aux exigences du conformisme, comme à l’âge de six et sept ans. Ce n’est que lors de l’accession à l’adolescence que ce pouvoir d’agir sur soi devient en mesure de bénéficier du raffinement et de la puissance graduelle de la conscience de soi, pour s’alimenter dès lors d'une motivation liée aux exigences de l’image et l’estime désirées de soi. En d'autres termes, ce n'est plus la peur des conséquences ou le conformisme qui guident la conduite mais bien maintenant le besoin profond de se plaire à soi-même, le souci d'entretenir une expérience satisfaisante avec soi dans le respect de l'image et de l'estime désirées de soi. On oublie en effet et trop souvent que la conscience est le tribunal du face à face avec soi. L'importance de ces deux types de pouvoirs dans l'accession à la santé mentale permet donc de saisir un aspect capital de toute qualité d'éducation. Cette dernière doit permettre à l’enfant de conserver puis de raffiner son pouvoir d’être par la libre expression de soi et l’affirmation de soi, tout en l'amenant à réaliser l'apprentissage de l’inutilité de l’agression et de la violence dans des rapports humains où la survie est absente. Dans un second temps, ces mêmes conditions éducatives doivent permettre à l'enfant sa libre accession au pouvoir éventuel d’agir sur sa personne, c’est-à-dire de se doter d’un processus décisionnel conscient et axé sur la façon avec laquelle il entend maintenant disposer de lui, dans le respect de soi et des autres. Comme j’en discuterai lors d’articles subséquents, c’est à la fois la qualité de gestion de ces deux types de pouvoir et leurs interrelations qui permettent la compréhension du processus d’acquisition de l’identité ou à l’inverse, de la dilution de sa personnalité dans une structure de dépendance affective. Afin que le processus de développement de ces deux pouvoirs daigne s’accomplir, toutefois, il faut bien entendu que l’autorité parentale se conduise de façon à en permettre l’accomplissement. Ce processus de responsabilité éducative implique non seulement le maintien de la permission d’être soi à l’enfant tout au long de son développement mais également la remise graduelle du pouvoir d’agir entre ses mains, au fur et à mesure de son évolution vers la capacité de se gérer lui-même. Un tel processus ne voit jamais le jour dans les familles dysfonctionnelles où l’échec de cette mission éducative génère à l’inverse l’apparition de la peur d’être soi, au travers la présence d’anxiété, d’angoisse et de culpabilité. C'est lorsque cette peur d'être soi se substitue à la liberté et au pouvoir initial d’être soi que se développe le scénario constitutif de toute perturbation affective : la négation de soi assure dorénavant le maximum de confort affectif et le minimum de souffrance. En d'autres termes, lorsque l'enfant se bute à une interdiction d'être librement lui-même au travers une souffrance qui lui est imposée chaque fois qu'il transgresse cette règle, il ne lui reste qu'à remplir cette exigence afin de souffrir le moins possible; c'est ainsi qu'il réalise l'apprentissage toxique d'un bien-être maintenant axé sur la négation de sa personne et qu'il inverse ainsi les conditions initiales de sa naissance où ce sont la liberté et le pouvoir d'être qui guident la conduite. Outre son action perturbatrice sur le pouvoir d'être, la famille dysfonctionnelle refuse la remise du pouvoir d’agir sur soi entre les mains de l’enfant. Le maintien et l'exercice abusif de ce pouvoir par les parents, satisfaisant ainsi leur propres besoins à cet effet, véhicule donc une interdiction auprès de l’enfant de se déterminer lui-même et de se comporter différemment des attentes parentales. L'enfant ne peut donc accéder au pouvoir d'agir que lui permet pourtant sa croissance vers l'autonomie, ni en développer le plein raffinement, coupant dès lors tout accès à son identité. C’est donc à la fois l’impossibilité de toute poursuite du pouvoir d'être et la privation de tout accès au pouvoir d'agir sur soi qui ouvrent la porte à un scénario de dépendance affective et qui génèrent la souffrance, au minimum le malaise avec soi, pour entraîner un dérèglement parfois pathologique de la personnalité. Je me rappelle ici une dame âgée de 56 ans qui, en sanglots, traduisait en ses propres mots et de façon dramatique cette absence totale du pouvoir d'agir sur soi et d’emprise sur sa personnalité : ¨Mais pourquoi donc j’agis comme je ne veux pas?¨. Voilà ce qui se produit lorsque les peurs acquises durant l'enfance maintiennent leur emprise sur les commandes de la personnalité. La résolution positive ou négative du développement de ces deux pouvoirs détermine directement les deux positions fondamentales de la vie. Les personnes disposant de leurs pouvoirs d’être et d’agir ne subissent jamais l’action du pouvoir des autres ou des événements : elles sont détentrices de cette puissance décisionnelle à l’intérieur de laquelle l’atteinte de leur identité traduit l’absolue priorité accordée à leur propre jugement ainsi qu’à leurs propres sensations. Elles sont littéralement ¨audessus¨ des situations, devant lesquelles elles ont tôt fait d’agir ou de réagir avec une saine agressivité, canalisée dans une belle colère au service de la détermination, plutôt que de subir les événements ou le jugement d’autrui et de verser conséquemment dans différents scénarios nourris par la peur des réactions d’autrui, telles le rejet, l’abandon ou le jugement, et une recherche infantile de reconnaissance et d’amour de leur personne. Il est facile de reconnaître ici les liens entre l’accession à une conscience efficace de soi, d’une part, et d’autre part la saine gestion de ces pouvoirs d’être et d’agir sur soi. Plus la conscience de soi devient aiguë, plus le pouvoir d’être soi cherche à imposer sa primauté, sa loi naturelle, et plus le pouvoir d’agir sur soi s’enracine dans la détermination et dans le souci d’une image et d’une estime positives de soi. Conclusion Ainsi donc, que faut-il retenir de cette première notion de pouvoir, de cette expression ultime des pulsions de vie que recèle l’agressivité? Tout d’abord, il existe une relation directe entre la santé mentale (affective), d'une part, et d'autre part la liberté ainsi que le pouvoir d’être soi, présents à la naissance. Il s’agit là d’une condition initiale du développement et l’obligation de son respect est incontournable. Dans un second temps, tout être humain, sous réserve d’une absence de potentiel à cet effet, possède cette capacité d’accéder à la conscience de soi et, partant, au pouvoir de se modifier lui-même puis d’accorder à sa vie le sens et la direction désirés. L’accession à l’identité est tributaire de l’exercice et de la parfaite maîtrise de ces deux types de pouvoir; toute perturbation de ceux-ci conduit l’individu à une dépendance toxique à autrui pour le cimenter dans des conditions de développement qui le tiennent à distance de toute accession à son identité, c'est-à-dire à cet état affectif de sérénité issue d'une parfaite correspondance entre qui je suis et qui je juge devoir être. Dans un troisième temps, toute perturbation de la vie affective équivaut à une information à l’effet d’une perturbation de ces deux pouvoirs, devenant ainsi une occasion de rectifier consciemment la gestion de sa conduite par la récupération du pouvoir perdu d’être soi et par l’accession, tardive, au pouvoir d’agir sur soi. En d'autres termes, la présence d'anxiété, d'angoisse et de culpabilité ne correspondent pas à une pathologie mais bien à une information disponible à la conscience que quelque chose ne va plus avec soi et que des changements sont maintenant requis quant à la façon avec laquelle nous nous sommes gérés jusqu'à ce jour. Voilà définie l’utilité certaine du malaise affectif sous toutes ses formes et sous toutes ses intensités, dont il sera question dans les articles qui porteront sur l’intervention clinique. Gilbert Richer Psychologue Avril 2004