Prise en charge initiale du polytraumatisé a l`hôpital

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Prise en charge initiale du polytraumatisé a l'hôpital :
la règle des 5 fois 3
par J.-P. Carpentier et C. Ponchel
Département d'Anesthésie-Réanimation-Urgences, hôpital d'Instruction des Armées AlphonseLaveran, Marseille, France.
Le polytraumatisé est un blessé grave atteint d'une ou plusieurs lésions mettant en
jeu le pronostic vital à court terme, soit par elles-mêmes, soit par leur association.
La prise en charge d'un polytraumatisé doit être bien codifiée. La règle des 5 fois 3
est un moyen que nous nous donnons pour nous rappeler les 5 points importants de
la prise en charge : les 3 principes et les 3 étapes de la prise en charge, les 3
détresses vitales et les 3 examens radiologiques de base, les 3 conduites pratiques
en fonction du degré d'urgence.
I. Les 3 principes de la prise en charge
Trois principes sont à garder à l'esprit lors de la prise en charge d'un polytraumatisé :
-
le pronostic vital est engagé, il faut être rapide et efficace ;
-
les lésions sont multiples, il faut les reconnaître ;
-
la prise en charge doit être hiérarchisée en tenant compte de l'évolutivité des
lésions.
Chez le polytraumatisé, le facteur « temps » est prédominant (figure n° 1) et deux
concepts s'opposent : celui d'une évacuation «non médicalisée» où la priorité est
donnée à la rapidité du transport vers une structure adaptée et celui d'un transport
médicalisé avec réanimation pré-hospitalière. Le décès est dans 20% des cas en
rapport avec une lésion curable. Les causes les plus fréquentes sont la chirurgie trop
tardive, les indications opératoires non posées ou incomplètes et la sous-estimation
d'une hypovolémie. Un dilemme existe donc, entre la nécessité d'entreprendre sans
délai un traitement étiologique souvent chirurgical et l'urgence d'une réanimation
symptomatique des détresses vitales chez certains blessés nécessitant une mise en
condition avant le transport (état précaire, incarcération, éloignement géographique).
L'évaluation clinique doit être continue tout au long de la mise en condition et de la
réalisation du bilan lésionnel. Nombre de lésions évoluent pour leur propre compte
(choc hémorragique), d'autres ne se révèlent que secondairement (insuffisance
cardiaque révélée par un remplissage vasculaire, décompensation d'un
pneumothorax sous ventilation mécanique).
Il. Les 3 étapes de la prise en charge hospitalière
Les difficultés viennent de l'intrication des différentes étapes de la prise en charge
d'un polytraumatisé. L'examen clinique se fait simultanément avec les premiers
gestes thérapeutiques, la mise en condition peut se poursuivre sur la table de
radiographie, le bilan lésionnel pourra être complété après un geste d'hémostase au
bloc opératoire. La prise en charge initiale doit être pratiquée par une équipe
entraînée dans laquelle le rôle de chacun est déterminé à l'avance.
1. L'interrogatoire
Il permet de connaître les circonstances de l'accident et le mécanisme lésionnel,
l'état clinique initial, le délai de prise en charge et les éventuels traitements entrepris.
2. L'évaluation clinique initiale recherche 3 détresses vitales
- Une détresse hémodynamique suspectée devant un blessé pâle, agité ou prostré,
couvert de sueurs froides; un temps de recoloration capillaire augmenté; un pouls
petit, filant, rapide, perceptible uniquement sur les gros troncs artériels ou au
contraire une bradycardie; une pression artérielle effondrée, voire imprenable; un
tableau de tamponnade péricardique* associant état de choc et grosses jugulaires
(figure n°2).
- Une détresse respiratoire évoquée devant: une tachypnée superficielle ou au
contraire une bradypnée, des pauses respiratoires, des gasps; des signes de lutte
pouvant associer battement des ailes du nez, cornage, tirage sus-claviculaire ou
intercostal, balancement thoraco-abdominal; des signes d'épuisement avec une
respiration paradoxale*; l'immobilité d'un hémithorax, un fracas costal, un volet, une
plaie soufflante, un emphysème sous-cutané; une toux douloureuse avec crachats
sanglants ou une hémoptysie abondante; une cyanose qui peut être masquée par
une déglobulisation ou une vasoconstriction (figure n ° 3).
- Une détresse neurologique, évaluée par le score de Glasgow, la comparaison du
diamètre et de la réactivité pupillaire, la recherche d'un déficit (figure n° 4)
3. La mise en condition initiale
- Le déshabillage, le plus souvent avec découpage des vêtements aux ciseaux, afin
de limiter les mobilisations.
- L'oxygénothérapie est systématique si l'on dispose d'oxygène, avec si nécessaire la
mise en place d'une canule de Guedel pour assurer la liberté des voies aériennes,
voire d'une sonde d'intubation si l'état du traumatisé nécessite une assistance
ventilatoire.
- La pose d'une ou deux voies veineuses périphériques de gros calibre (16 G ou
plus), pour permettre un remplissage vasculaire par du sérum salé isotonique (9 pour
1000) et des macromolécules.
- Les prélèvements sanguins avec le groupage sanguin ABO et Rhésus, et si
possible la recherche d'agglutinines irrégulières. D'autres examens biologiques
peuvent être demandés selon le laboratoire dont on dispose : hémogramme ou
hématocrite, coagulation, urée, créatinine, protidémie, ionogramme, calcémie,
glycémie, gazométrie, enzymes hépatiques, amylases, CPK, CPKMB,
myoglobinémie, myoglobinurie, lactates, alcoolémie, toxicologie.
- Les 3 examens radiologiques, que l'on peut avoir d'emblée et sans mobiliser le
blessé : un cliché du thorax de face, un abdomen sans préparation (ASP) à défaut
d'un examen échographique de l'abdomen et un bassin de face à défaut d'un
scanner.
- La mise en place d'une surveillance du pouls et de la pression artérielle, de la
diurèse avec pose d'une sonde vésicale ou d'un cathéter sus-pubien et de la
température.
- Cette mise en condition est complétée par la pose d'une sonde gastrique, la
préparation du matériel d'intubation et de ventilation (ballon d'auto-insufflation voire
respirateur) et des médicaments d'urgence, pour faire face à toute évolution de l'état
du patient.
III. Stratégie diagnostique et orientation thérapeutique
À l'issue de cette évaluation sommaire et de cette mise en condition initiale, on peut
se trouver face à trois situations. La stratégie suivante peut être proposée
(figure n° 5).
1. Situation 1 : le blessé est en état de détresse extrême
La mise en condition initiale est inefficace. Dans ce contexte, les examens
complémentaires sont réduits au strict minimum.
La détresse hémodynamique est la principale cause de mortalité en urgence. Le
collapsus cardio-vasculaire persiste malgré le remplissage vasculaire initial. Le
recours à la chirurgie ne doit pas être retardé par des examens complémentaires
inutiles si les lésions responsables sont évidentes (hémopéritoine, hémorragie
extériorisée). Si les lésions ne sont pas évidentes, un diagnostic lésionnel rapide est
souhaitable, orienté sur les circonstances de l'accident et l'examen clinique initial
(encadré n° 1).
La détresse respiratoire peut être en rapport avec une obstruction des voies
aériennes ou une atteinte pulmonaire. Le rétablissement de la liberté des voies
aériennes passe d'abord par le nettoyage de la cavité buccale et du carrefour
pharyngé, la protrusion du maxillaire inférieur et la mise en place d'une canule de
Guedel, mais le plus souvent il faudra intuber pour assurer une ventilation manuelle
ou mécanique. Le fonctionnement de l'échangeur pulmonaire nécessite de rétablir la
vacuité pleurale, c'est-à-dire d'évacuer un épanchement d'autant plus mal supporté
qu'il est sous pression. La persistance d'une détresse respiratoire ou d'un
saignement thoracique abondant (1,5 à 2 litres ou 500 ml/h), chez un patient drainé,
intubé et ventilé conduit généralement à poser l'indication d'une thoracotomie en
urgence pour une chirurgie d'hémostase ou d'aérostase (encadré n° 2).
La détresse neurologique est une cause importante de mortalité à la phase initiale et
ultérieurement peut être responsable de lourdes séquelles. Le maître signe de la
détresse neurologique est l'existence ou l'apparition d'un coma avec ou sans signe
de localisation. Plusieurs éléments doivent être ris en compte pour évaluer de
manière fiable la détresse neurologique : un état hémodynamique et respiratoire
correct, l'absence d'hypothermie profonde, l'absence d'intoxication médicamenteuse
et éthylique et l'absence de sédation. Un score de Glasgow < à 7 doit faire poser
l'indication d'une intubation endotrachéale afin de protéger les voies aériennes d'une
inhalation et de contrôler la ventilation (encadré n° 3).
2. Situation 2 : le polytraumatisé est dans un état précaire mais stabilisé
La pression artérielle est maintenue au prix d'un remplissage vasculaire mais chute
à son arrêt ou à sa diminution. Un bilan lésionnel plus complet peut être entrepris,
orienté en fonction de l'état du patient et adapté à l'évolution clinique du blessé
(tableau) En l'absence d'échographie abdominale, la ponction lavage du péritoine
(PLP) permet de confirmer la présence d'un saignement, mais ne permet pas
toujours de faire la différence entre une hémorragie d'origine péritonéale ou rétro
péritonéale et d'établir un diagnostic lésionnel.
3. Situation 3 : il n'y a pas de détresse vitale mettant en jeu le pronostic vital à
court terme
Le collapsus initial se corrige sous remplissage, l'hypoxie régresse sous oxygénation,
l'examen neurologique est normal dès que l'équilibre hémodynamique et respiratoire
est rétabli. Le nombre des examens n'est plus limité que par le facteur " temps "
imposé par les interventions chirurgicales urgentes. Une hiérarchisation des lésions
est nécessaire afin d'organiser au mieux la prise en charge d'un polytraumatisé. Par
ordre de priorité le traitement chirurgical commence classiquement par les
hématomes extraduraux ou sous-duraux aigus, puis les lésions hémorragiques
(hémopéritoine, hémothorax, rupture vasculaire), les lésions médullaires pour
décompression (hématome, entorse et luxation vertébrales), les lésions abdominales
peu hémorragiques (rupture d'organe creux, rupture du diaphragme, plaie
abdominale), les lésions oculaires, chirurgie orthopédique (fracture ouverte, ischémie
aiguë, crush syndrome), les lésions rachidiennes stables, chirurgie maxillo-faciale,
les fractures du bassin (secondairement). Les équipes pluridisciplinaires sont d'un
grand intérêt car le temps global de traitement chirurgical est réduit, les délais
préopératoires sont diminués, améliorant ainsi le pronostic fonctionnel de chacune
des lésions. Le traitement de toutes les lésions en un seul temps reste l'idéal mais
n'est pas toujours possible.
IV. Conclusion
L'accueil d'un polytraumatisé, qui est l'exemple type d'un patient médico-chirurgical
lourd de réanimation, doit se faire dans le cadre de structures disposant d'un
plateau technique et d'équipes multidisciplinaires comprenant au moins un
anesthésiste-réanimateur, un chirurgien et un radiologue, le laboratoire et la banque
de sang devant être avertis.
Développement et Santé, n° 139, février 1999
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