Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Le service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Les « passeuses » de culture Cahier n°65 Laboratoire des innovations sociales www.labiso.be 1 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège 2 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Table des matières UNE JOURNEE COMME LES AUTRES… ............................................................................ 5 ÉMERGENCE D’UN PROJET INTERCULTUREL AU SEIN DE L’HOPITAL ................... 8 Une dynamique interne se fait jour ..................................................................................................................... 9 S’ADAPTER AUX BESOINS CULTURELS ET LINGUISTIQUES ................................... 11 Description des patients rencontrés ................................................................................................................... 11 DES RESSOURCES HUMAINES AUX SOINS INFIRMIERS ............................................ 13 Des femmes comme médiatrices, nullement un hasard ................................................................................... 15 Exemple de médiation interculturelle ............................................................................................................... 16 UNE DYNAMIQUE INTERCULTURELLE INTEGREE ..................................................... 17 Exemple de médiation interculturelle ............................................................................................................... 19 Guide pratique des services à l’hôpital ............................................................................................................. 20 L’APPEL AUX MÉDIATRICES ............................................................................................ 21 Le rôle de chacune............................................................................................................................................... 23 La communication interculturelle ne concerne pas que l’étranger ................................................................ 23 Des chiffres qui ne reflètent pas la réalité ......................................................................................................... 24 UNE JOURNEE AVEC LES MEDIATRICES ....................................................................... 25 OBSERVATOIRE SOCIAL .................................................................................................... 29 LE POINT DE VUE D’UN “OBSERVATEUR” SUR L’EXPÉRIENCE LIÉGEOISE DE LA MÉDIATION INTERCULTURELLE EN MILIEU HOSPITALIER..................................... 31 L’importance de la triangulation ....................................................................................................................... 33 Faut-il être d’origine immigrée pour faire un bon médiateur interculturel ? ............................................... 34 Interprète, accompagnateur, médiateur ? La difficulté de se définir ............................................................. 35 C’est l’autre qui me permet de dire “je” ........................................................................................................... 37 La médiation interculturelle dans les hôpitaux ................................................................................................ 39 Normes de personnels et formation ................................................................................................................... 40 UNE FONCTION NOVATRICE ............................................................................................ 41 LES REFERENCES ................................................................................................................. 44 3 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Sources ................................................................................................................................................................. 44 Ressources ............................................................................................................................................................ 44 POUR EN SAVOIR PLUS ...................................................................................................... 45 Contact ................................................................................................................................................................. 45 LA LECTURE DE CE CAHIER VOUS DONNE ENVIE DE REAGIR ? ........................... 46 LE LABORATOIRE DES INNOVATIONS SOCIALES ET DE SANTE C’EST : .............. 47 Écrire pour décrire son projet dans l’action sociale et la santé ...................................................................... 47 Éditer dans une collection de livres numériques .............................................................................................. 47 Échanger pour s’inspirer, décloisonner, innover ............................................................................................. 48 Labiso cela peut aussi être :................................................................................................................................ 48 4 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Une journée comme les autres… Un père et son jeune fils débarquent dans le bureau de la coordinatrice du service de médiation interculturelle du Centre hospitalier régional (CHR) de la Citadelle à Liège, visiblement heureux de retrouver un visage connu. L’échange se déroule en italien, une langue que l’homme pratique un peu. Mais à l’origine, ce Tzigane parle serbo-croate. Patient régulier au CHR, il est cette fois un peu perdu devant ce qu’un médecin lui a demandé, à savoir prendre un rendez-vous chez un pédopsychiatre. Aujourd’hui, Anne Fossi assure la permanence du service. C’est donc à elle que revient la tâche d’assurer les imprévus du jour. Dans ce cas, elle essaie de comprendre pourquoi la procédure habituelle n’a pas été suivie. « Normalement, ce genre de rendez-vous doit passer par une de nos médiatrices », explique-telle… Quelques instants plus tard, le téléphone résonne. Au bout de la ligne, une personne d’origine somalienne demande un rendez-vous pour un membre de sa famille qui a le bras cassé. C’est un suivi. La personne parle en anglais mais de manière extrêmement peu compréhensible. Anne Fossi demande un numéro de téléphone où l’on peut la recontacter. Elle va chercher à 5 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège joindre un membre du personnel de l’hôpital parlant le somali pour reprendre contact et ainsi bien comprendre la demande. Ce « traducteur » bénévole fait partie d’une liste où figurent les membres de l’hôpital ayant accepté de donner un peu de leur temps au service de médiation pour « mettre à disposition » la langue qu’ils maîtrisent… Le téléphone de la permanence résonne à nouveau… Une journée comme les autres… Les interventions du service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle reposent sur les épaules de quatre médiatrices interculturelles et d’une coordinatrice. Intégré au service social de l’hôpital, le service dépend de la direction du département infirmier et paramédical. Les travailleuses portent toutes la blouse blanche. « Ainsi nous sommes identifiées comme membre du personnel hospitalier tant vis-à-vis des patients que vis-à-vis des autres professionnels. Mais cet habit nous aide également à mettre les limites de l’intervention interculturelle ». L’objectif du service de médiation interculturelle est simple, Anne Fossi le définit de la manière suivante : « permettre l’accès aux soins de qualité en favorisant la communication et la compréhension entre tous les professionnels de l’hôpital et les patients étrangers ou d’origine étrangère. Mais la concrétisation de cet objectif est bien plus complexe. Car liée à la taille de l’hôpital public et à ses micro-cultures d’entreprise, à la lenteur de l’instauration d’une dynamique transversale et des changements de mentalité, au racisme latent et aux résistances idéologiques mais aussi à l’augmentation constante des demandes et l’évolution des flux migratoires et enfin aux difficultés de percevoir l’aspect ‘passeur de culture’ ainsi que ses limites. » Tout a commencé en 1997 par une expérience-pilote d’intégration de la fonction de médiateur interculturel lancée dans différents hôpitaux belges. Or, pour qu’un projet pilote perdure, il faut, entre autres, que son promoteur choisisse de s’y investir. Ce fut heureusement le cas au CHR de la Citadelle mais cela ne coule jamais de source. Nous vous proposons donc de 6 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège découvrir les étapes de cette expérience de près de 10 ans maintenant et en même temps de mieux comprendre les enjeux d’un service de médiation interculturelle au sein d’un hôpital public. Culture ne se résumant pas à langage puisque si l’hôpital est bien au croisement des langues différentes, il l’est aussi au niveau des cultures d’origine étrangère, des cultures sociales et des cultures professionnelles. 7 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Émergence d’un projet interculturel au sein de l’hôpital C’est vers la fin des années 80 que le concept de « l’interculturel » commence à s’imposer un peu partout. En Belgique, une série de projets basés sur ce concept se mettent en chantier dans le domaine scolaire, médical et de l’éducation permanente, notamment. Début des années 90 à Liège, l’asbl Résonances met sur pied un projet interculturel centré sur la relation soignants-soignés. Elle s’inspire de recherches menées par l’asbl Culture et Santé à Bruxelles et d’expériences flamandes. Ensuite, l’asbl se lance dans un travail de réflexion avec des groupes d’usagers et de patients sur la représentation de la santé du côté des migrants qui aboutit à l’élaboration d’une brochure Malades d’ici venus d’ailleurs, peut-on les comprendre ?. Anne Fossi travaillait à cette époque pour l’asbl Résonances. Elle se souvient que peu à peu émergeait l’idée de travailler globalement : former les usagers/patients à la compréhension de l’environnement socio-sanitaire et former les soignants à la communication interculturelle et à la médiation interculturelle. L’asbl Résonances entre en contact avec l’hôpital de la Citadelle pour lui proposer un projet de formation à la médiation interculturelle. À cette époque, un mouvement à l’intérieur de l’hôpital était en train de grandir face au racisme ambiant. « L’hôpital s’est positionné favorablement sur notre projet qui consistait à former quelques femmes médiatrices et ensuite trouver le moyen de les engager ». Dans le même temps, au niveau national, des accords interministériels débouchent sur le lancement d’une expérience-pilote de médiation interculturelle dans les hôpitaux. « Résonances a réussi à s’imposer comme opérateur liégeois, la Citadelle devenant le partenaire officiel de l’expérience-pilote ». 8 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Une dynamique interne se fait jour L’expérience durera 11 mois et bénéficiera pendant cette période d’un temps plein financé par le fédéral. L’asbl Résonances, le CAI (Centre d’action interculturelle) de Namur et le Cunic (Centre universitaire de Charleroi) s’associeront pour l’occasion en un pôle de formation financé par le ministre wallon de l’Action sociale de l’époque. Ce pôle prendra en charge la formation des médiatrices wallonnes, la coordination et l’évaluation du projet. De son côté, la Citadelle supportera les coûts internes liés au fonctionnement du projet. Parallèlement, l’exposition « Moi, l’autre et la santé » en réponse aux problèmes liés à la multiculturalité à l’intérieur de l’hôpital se concrétise. « Grâce à la mobilisation d’un groupe de professionnels de tous les secteurs de l’hôpital, l’aide financière de la Ville de Liège, de la Province, le soutien actif de la Citadelle, de la Ligue des Droits de l’homme… » . Cette exposition sera une étape importante dans l’implantation transversale du projet de médiation interculturelle car les médiatrices seront complètement intégrées à la dynamique interne naissante. « Le groupe de travailleurs mobilisés considère le travail des médiatrices comme la suite de leur action contre le racisme. Par ailleurs, elles y nouent des liens et font peu à peu accepter leur travail dans une démarche d’accueil interculturel». Fin 1997, après les 11 mois d’expérience, l’asbl Résonances tire un bilan mitigé en termes financiers et d’encadrement mais se montre plutôt satisfaite en termes de pertinence du projet. L’association et l’hôpital de la Citadelle évaluent finalement le projet positivement et estiment qu’il doit se poursuivre. L’institution hospitalière trouve alors le moyen sur fonds propres de maintenir l’activité des médiatrices en attendant la réponse du ministère de la Santé qui, jusque là, reconnaît et autorise la formation de médiatrice interculturelle mais ne la finance pas. « Quand une offre de services et de moyens fait émerger une demande se pose alors toute la question du comment poursuivre ? La Citadelle est allée puiser dans ses ressources via le plan Maribel hospitalier. Chaque institution hospitalière peut en effet obtenir un financement annuel en termes d’emplois qu’elle affecte dans ses secteurs ». Le CHR de la Citadelle engage alors à mi-temps deux médiatrices interculturelles ayant participé au projet-pilote. Deux contrats à durée déterminée financés, entre autres, par la Ville de Liège. En 1999, le 9 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège ministre fédéral de la Santé finit par annoncer le financement partiel de la médiation interculturelle (selon des critères bien établis) et le CHR de la Citadelle obtient l’autorisation de convertir un emploi Maribel hospitalier en deux mi-temps de médiatrice interculturelle. Dans le courant 1999, l’hôpital décide d’engager une coordinatrice à temps plein financée par l’Inami. Anne Fossi pose sa candidature… Elle est choisie. Le service de médiation interculturelle du CHR la Citadelle est né. L’inscription de son action dans le long terme peut commencer. 10 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège S’adapter aux besoins culturels et linguistiques Le CHR de Liège c’est 1200 lits, 100 000 consultations et 50 000 hospitalisations par an. 3000 personnes y travaillent et 120 communautés culturelles s’y côtoient… « Ce qui a motivé la création de ce service, c’est l’accès à des soins de qualité pour tous. Et pour qu’il y ait qualité des soins, il faut qualité du dialogue et des relations entre soignant et soigné, et participation du patient à un traitement dont il comprend les enjeux et le déroulement ». Description des patients rencontrés Le service de médiation répond essentiellement à une communication difficile avec les personnes originaires d’Asie mineure (notamment les femmes turques), du Maghreb (particulièrement les femmes) et avec les nouveaux migrants en provenance des anciennes républiques soviétiques et des Balkans. On constate chez ces patients : précarité sociale, insécurité sur le plan administratif, méconnaissance des rôles des institutions ou des services de soins de santé (notamment ceux de première ligne), difficultés d’expression, des perceptions culturelles de la santé et de l’hôpital différentes de celles de la majorité des soignants. Et, ce qui semble évident, un mauvais état de santé général : pathologies d’importation (de plus en plus de cas de tuberculose), pathologies liées à l’exil (de plus en plus de problèmes psychiatriques en lien direct avec l’histoire, le trajet et le projet migratoire), pathologies liées aux conditions d’existence dans le pays d’accueil (insalubrité des logements, carences alimentaires chez les enfants et les jeunes mères, travail à degré de pénibilité élevé, prévention insuffisante, …) et la liste est encore longue… Extrait du Rapport d’activités de l’année 2004, rédigé par Anne Fossi. La première tâche de la nouvelle coordinatrice du service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle sera de réaliser une cartographie de l’activité mise en place en 1997 afin 11 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège d’évaluer les besoins culturels et linguistiques. « Le service n’est pas connu de tous les professionnels membres de l’institution, seule les langues arabe et turque sont couvertes, il n’y a pas de procédures de fonctionnement… ». Un comité d’accompagnement se constitue. « Chose assez rare dans une telle institution », souligne Anne Fossi, « et qui marque la volonté de travailler de manière transversale avec toutes les directions ». À cette époque, le service est attaché à la direction des ressources humaines. Au moment où elle entame ce premier travail de cartographie, a lieu la première grosse opération de régularisation. On est en 2000 et l’hôpital voit alors affluer massivement les personnes d’origine étrangère. « Nous avons dû mettre en place un service d’accueil spécifique pour répondre aux demandes d’attestations de présence à l’hôpital, faire le relais avec les associations et services sociaux chargés des démarches administratives mais aussi introduire les demandes de régularisation pour toutes les personnes hospitalisées. Je me souviens de ce Géorgien qui était en train de mourir. Il voulait être régularisé, - on a d’ailleurs introduit le dossier. » 12 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Des ressources humaines aux soins infirmiers Dans le courant de l’année 2000, le ministre régional des Affaires sociales et de la Santé propose des emplois Rosetta pour l’engagement de médiateur interculturel en milieu hospitalier. Le CHR de la Citadelle signe alors une convention avec la Région wallonne pour deux emplois temps plein. « Malgré qu’il s’agissait d’emplois pour personnes non qualifiées et d’une durée d’un an, nous avons fait le pas. » La Citadelle a donc recruté deux jeunes femmes. L’une vivant en Belgique depuis deux ans et parlant le turc, le russe, l’arménien. L’autre arrivée en Belgique à l’âge de 18 ans avec un diplôme de coiffure non reconnu parlant le serbo-croate. « Elles ont été formées sur le terrain par l’équipe de médiation et ont, parallèlement, suivi des formations spécifiques à la communication interculturelle. Elles venaient ainsi renforcer l’équipe au moins jusqu’en 2002. » Mais dans l’esprit d’Anne Fossi à la fin des contrats Rosetta, il était clair que l’institution devait trouver les moyens de maintenir les deux jeunes femmes dans leur fonction. « D’un 13 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège point de vue humain d’abord mais aussi parce qu’elles avaient acquis de réelles compétences et répondaient à un vrai besoin ». Ce sera chose faite grâce à l’obtention d’un Maribel social qui a permis de les engager sous CDI. Le transfert du service de médiation de la direction des ressources humaines à la direction des soins infirmiers et paramédicaux sera une autre étape importante : « la médiation interculturelle est ainsi directement associée au secteur des soins, en quelque sorte l’intégration interne se poursuit et notre action trouve petit à petit sa légitimité ». Aujourd’hui l’équipe du service de médiation interculturelle se compose de 4 médiatrices à mi-temps engagée dans des emplois Maribel social et une coordinatrice. Une petite équipe mais le CHR de la Citadelle, étant donné ses contraintes budgétaires, ne peut en engager davantage. « Se pose alors toute la question de la qualité et des moyens. Qualité en termes de statut pour la travailleuse mais aussi de charge de travail… Le recours aux bénévoles se fait exclusivement en interne et pour des opérations de traduction dans les langues que les médiatrices ne connaissent pas. Médecin, infirmière, technicienne de surface… L’appel à ces ressources internes, aux environs de 300 personnes pour 40 langues, est aussi une manière d’implémenter une dynamique interculturelle à tous les niveaux de l’institution. » 14 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège L’activité de médiation interculturelle se concentre autour des consultations dans les polycliniques et des hospitalisations. Si au départ, l’activité de médiation touchait essentiellement les services de maternité de gynécologie et de pédiatrie, elle s’est aujourd’hui répandue à tous les autres secteurs de l’hôpital. Depuis quelques mois, le service de médiation constate une forte augmentation des demandes dans le secteur de la psychiatrie. « On constate en effet une croissance des problèmes de santé mentale chez certaines catégories de migrants, alliée à une meilleure sensibilisation à ces problèmes de la part des professionnels de la santé ». Des femmes comme médiatrices, nullement un hasard Le fait que les professionnelles du service de médiation soient toutes des femmes n’est pas complètement dû au hasard. D’une part, le secteur gynécologie/maternité a été un des principaux demandeurs de médiation. Par ailleurs, c’est souvent à la femme que revient la gestion du capital santé d’une famille. Et puis, les critères d’employabilité eux-mêmes ont favorisé le recrutement de femmes qui répondent au peu de qualification exigée parce qu’elles sont plus longtemps en période de précarité. Enfin, la pratique montre qu’une médiatrice femme avec un homme ne pose pas difficulté alors que si c’était un homme médiateur avec une femme accompagnée par le mari cela poserait bien plus de difficultés, voire parfois des refus. « Nous avons également des techniques de triangulation qui font que nous n’assistons pas nécessairement à toute la consultation. Ainsi, nous sommes présentes au moment de l’accueil et de l’anamnèse, nous sortons pour l’examen et revenons pour le diagnostic ». 15 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Exemple de médiation interculturelle Situation La situation se passe en consultation prénatale et au service de néonatalogie. Il s’agit d’une jeune femme enceinte de jumeaux. La médiatrice l’accompagne régulièrement en consultation. Un des bébés présente une anomalie cardiaque et le pronostic est défavorable. La maman est mise au courant du risque de perdre un des ses bébés. Elle est très encadrée par l’ensemble de l’équipe soignante. Le bébé décède quelques heures après la naissance et l’équipe (infirmière, médecin, psychologue...) fait tout de suite appel à la médiatrice pour communiquer avec la maman. L’intervention de la médiatrice va permettre de communiquer aisément avec la famille, de la soutenir, d’organiser un baptême pour les deux bébés puis l’enterrement de l’enfant décédé selon les rituels orthodoxes. Eléments facilitant l’intervention Démarche collective de toute l’équipe très soucieuse de la qualité du suivi et de la communication avec la patiente et sa famille. La médiatrice accompagnait la patiente depuis plusieurs semaines, la relation de confiance qui s’était instaurée a contribué à la qualité de la relation. Eléments complexifiant l’intervention Grande difficulté pour la médiatrice de garder une distance émotionnelle suffisante pour faire passer tous les messages. Résultat Soulagement des professionnels de pouvoir communiquer avec le patient et sa famille dans un moment aussi pénible. Soutien à la maman et à la famille. Respects des rituels culturels de baptême et de funérailles. Sentiment de grande utilité chez la médiatrice, malgré toute la charge émotionnelle. 16 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Une dynamique interculturelle intégrée Au CHR, toute une dynamique interculturelle s’est mise en place avec l’arrivée des médiatrices et la structuration de leur travail. Ainsi le comité d’accompagnement de la médiation interculturelle veille à l’action interculturelle qui est développée. Il se compose du directeur général, du directeur financier, du directeur du département infirmier et paramédical, du directeur médical, du responsable du service de formation, de la responsable du service social, de la coordinatrice ONE et de la coordinatrice du service de médiation interculturelle. « La dynamique suppose un double mouvement. Le premier concerne l’adaptation des patients à notre modèle de référence, le second vise l’adaptation des professionnels aux modèles de référence des patients. » C’est ce deuxième mouvement qui est privilégié par le département infirmier et paramédical. « Il est très exigeant parce qu’il implique que les actions se développent transversalement, en concertation et en collaboration avec tous les acteurs concernés ». Cette dynamique interculturelle prend donc également ancrage au niveau du service de formation, du groupe d’information et d’éducation du patient, du service social des patients… Ainsi le travail des médiatrices est-il présenté lors des journées d’accueil des nouveaux agents. Des modules de formation à la communication interculturelle et à la négociation des conflits interculturels sont proposés au personnel. Et rappelons encore l’investissement interne de plus de 300 traducteurs bénévoles. Un groupe de dynamique interculturelle, articulé au comité d’accompagnement, est également créé. Il regroupe des professionnels de l’hôpital, mais principalement des infirmier(e)s, et se réunit 4 fois par an. Véritable lieu de débats et de questionnements, il a pour objectif d’élaborer collectivement des solutions aux problèmes très concrets rencontrés sur le terrain. Il est, entre autres, à l’origine de l’exposition « Moi, l’autre et la santé », du projet de médiation interculturelle, d’actions de sensibilisation et de formation à la communication interculturelle et à la lutte contre le racisme. 17 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Même si le service de médiation constate davantage de demandes de médiation formulées à l’avance par les médecins, reste que certains n’appellent pas les médiatrices. « Ces médecins ne relaient pas la demande, ils évaluent seuls le degré de connaissance du français du patient et décident souverainement du bien-fondé de la requête d’aide. Ces situations nous sont évidemment rapportées directement par les patients puisque leurs demandes n’ont pas été relayées. Il faut alors remettre en route le processus de communication-coordination ». Les motifs de ce silence sont variables. Pour certains, la position est idéologique : « ils sont ici et n’ont qu’à apprendre le français ». Pour d’autres, la présence d’une médiatrice lors de la consultation n’est pas sans implication : ralentissement du rythme de la consultation, possibilité d’exprimer des plaintes non formulables sans la médiatrice, observation de certains dysfonctionnements… Toutefois, la situation a tendance à évoluer positivement et le service constate des modifications d’attitudes plus fréquentes chez les jeunes médecins et notamment les médecins assistants. Faut-il y voir une évolution lente mais positive de la culture médicale ? 18 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Exemple de médiation interculturelle Situation La situation se passe aux urgences. Un médecin des urgences fait appel à une médiatrice en vue de calmer un patient qui se montre agressif. Depuis trois jours, ce patient revient régulièrement aux urgences ; il crie, se plaint beaucoup et se tord de douleur. D’après le médecin, il s’agit d’un simulateur : « ce patient ne souffre d’aucun mal ». Quand la médiatrice arrive aux urgences, chacun hurle dans sa langue. La médiatrice traduit la plainte du patient. Le médecin décide alors de procéder à des examens complémentaires qui vont confirmer les plaintes (pierres aux reins) puis d’hospitaliser le patient. Le médecin présente des excuses au patient en lui expliquant que : “ malheureusement, il payait pour les abus répétés des membres de sa communauté qui viennent régulièrement aux urgences sans motif valable ”. Éléments facilitant l’intervention Présence de la médiatrice au moment où la tension montait entre le patient et le médecin. Ce patient a bien failli se faire expulser par le service d’ordre de l’hôpital, au lieu d’être soigné. Éléments complexifiant l’intervention Préjugés défavorables à l’égard de certaines communautés étrangères de la part de certains professionnels : “ ce sont tous des menteurs ”. Résultat L’intervention de la médiatrice a permis la traduction de la plainte puis la prise en charge. La tension a diminué dès que le patient a eu le sentiment d’être écouté. Le médecin concerné reverra peut-être son cadre de référence professionnelle. 19 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Guide pratique des services à l’hôpital Le service de médiation interculturelle a répondu en 2005 à un appel à projets de la Fondation Roi Baudouin sur la thématique « Accueil et entraide migrant-e-s ». Dans le partenariat du projet, figurent également l’Hôpital de Verviers et le Centre régional d’intégration de Verviers. Objectif de la demande de subsides qui se montent à 4.200 euros : l’élaboration d’un carnet d’accueil personnalisé, traduit en différentes langues et destiné à des patients récemment arrivés en Belgique. Outre des informations générales sur l’hôpital et le système de santé, ce carnet contient des données non médicales relatives au patient lui-même, comme les coordonnées de personnes-ressources (par ex. le nom de son généraliste), la langue qu’il parle, etc. Il devrait ainsi faciliter la communication entre les patients d’origine étrangère et tous les partenaires hospitaliers. « Le document est rédigé en français et une autre langue, en tout une dizaine de langues ont été choisies pour la traduction validée par le CRVI de Verviers, explique Anne Fossi. Cet outil pourra servir pour des animations mais a également pour objectif de pouvoir être transposable et utilisable dans n’importe quel hôpital. Nous avons vraiment voulu donner à travers ce guide les clés de compréhension de l’institution hospitalière, des usagers ont été associés à la méthodologie d’élaboration du guide. Il sert aussi à éduquer à la prise de rendez-vous et sera remis par la médiatrice au patient. » Un guide qui a été finalisé fin novembre 2006 et est actuellement distribué aux patients concernés. 20 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège L’appel aux médiatrices Les médiatrices interculturelles interviennent dans tous les services de l’hôpital, consultation et hospitalisation, à la demande soit du patient et/ou de ses proches, des professionnels de l’hôpital ou encore des partenaires extérieurs. Leurs coordonnées figurent dans tous les services de l’hôpital, elles ont également une ligne de garde qu’elles tiennent à tour de rôle. Chaque médiatrice remet au patient dont elle s’est occupé une carte de visite multilingue. Quand les patients ne trouvent pas le service de médiation, ils font appel aux bénévoles de la Croix-Rouge qui appellent alors une médiatrice. « Et puis, surtout, confie Anne Fossi, le ‘téléphone arabe’ fonctionne très bien… » Mais pourquoi fait-on appel aux médiatrices ? « Au-delà de la langue, la plupart des difficultés relationnelles entre soignants-soignés trouvent leurs origines dans la noncompréhension des cadres de référence culturelle des parties en présence. Les malentendus culturels conduisent inévitablement à des tensions préjudiciables à la qualité des soins et à la qualité de vie au travail. La relation se transforme parfois en rapport de force où l’un des protagonistes (souvent le professionnel) finit par imposer son code à l’autre ». L’exemple de cette famille tzigane admise à voir un membre aux soins intensifs illustre l’importance du décodage des références culturelles. « On leur a dit que la famille pouvait venir mais elle est arrivée en masse… Plus de 40 personnes… Il a fallu maintenir le calme, gérer les visites, éviter les crises… ». Ou encore d’arriver à expliquer à une femme caucasienne de type mongole que son enfant était trisomique. « Pour elle tout allait bien car les caractéristiques physiques de son bébé n’avaient rien d’étonnant »… 21 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège « Les médiatrices permettent donc de dépasser les barrières linguistiques, tout en garantissant le secret professionnel et de décoder/expliquer les codes culturels des patients et des professionnels de l’hôpital, précise la coordinatrice dans son rapport d’activités. En aucun cas, elles ne remplacent les professionnels. Elles ne posent pas de diagnostic, ne dispensent pas des soins et ne font pas d’interventions sociales. Quand il s’agit de traduire coronographie en berbère (un mot qui n’existe pas), c’est au médecin à faire des efforts de langage pour expliquer ce qu’est une coronographie. Nous ne sommes pas là pour que les médecins fassent l’économie de réfléchir sur la manière de communiquer. Nous sommes au service de la relation thérapeutique, pas au service du patient ni à celui du médecin ». En aucun cas, elles ne remplacent Si le rôle de la médiatrice reste le même avec toutes les personnes, les professionnels son modèle d’intervention varie sans cesse. « Notre pratique nous a appris que chaque patient se différencie de son soi-disant groupe d’appartenance. La médiatrice doit donc être en adéquation avec les besoins et compétences du patient. Si certains ne nécessitent qu’une aide ponctuelle en matière d’interprétariat, d’autres doivent être accompagnés dans des processus 22 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège plus complexes d’information, de défense du traitement, d’éducation, de soutien, de gestion de conflits ». Le rôle de chacune Si, au départ, la première demande du professionnel est souvent réduite à sa plus simple expression – « Dites au patient que… » –, la présence du médiateur, grâce à la parole donnée au patient, fait émerger des questions là où personne ne les attendait. C’est au médiateur que revient le rôle de trier, d’inventorier, de dresser les priorités, d’établir les relais avec les autres professionnels. Et cela sans jamais empiéter sur leur terrain. Car derrière une simple consultation en polyclinique se cache souvent une montagne de difficultés susceptibles de freiner l’accès aux soins de santé. De plus, les patients voient bien souvent la personne du médiateur comme un « sauveur ». Difficile dès lors pour ces médiatrices de mettre des limites, surtout quand elles ont eu des parcours similaires. C’est là qu’intervient la coordinatrice de service. Chargée, entre autres, d’encadrer l’équipe, de développer avec elle de nouveaux outils ou procédures d’intervention. Elle veille également, au travers de supervisions collectives ou individuelles, à permettre aux membres de l’équipe de conserver la distance suffisante et nécessaire à l’exercice de leur mission. La communication interculturelle ne concerne pas que l’étranger Le CHR accueille un public qui multiplie les handicaps, qu’il soit d’origine étrangère ou non d’ailleurs. Pathologies particulières relevant de la santé mentale, fragilités physiques et psychologiques, précarité sociale et économique. Et, pour certains, il faut ajouter les problèmes de langue et de culture et la fragilité administrative. « Au fond, notre travail de médiation interculturelle pourrait tout aussi bien s’effectuer avec les populations autochtones parce que le décodage culturel est tout aussi nécessaire. On ne communique pas nécessairement avec des étrangers mais avec la différence. Il est tout aussi compliqué d’entrer en relation avec un toxicomane belge qu’avec un patient maghrébin. La question sous-jacente, c’est comment respecter les différences dans une relation de soins ; qu’elles soient d’ordre social ou culturel…» 23 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Des chiffres qui ne reflètent pas la réalité Selon l’INS, le taux de population étrangère présente dans la zone hospitalière de Li7GE tourne aux environs des 17%. « Les chiffres que nous récoltons au CHR ne reflètent pas cette réalité multiculturelle. En effet, la nationalité n’est pas obligatoire dans le formulaire d’inscription, tous les patients sont belges par défaut. Nous recevons également de nombreux sans papier ou avec papiers dans un autre alphabet et donc impossible à déchiffrer. Pour les patients entrant par les urgences, les professionnels ont peu de temps à consacrer à la constitution complète de la fiche signalétique. Enfin, certains patients, pour des raisons de contentieux historique, ne donnent pas leur véritable nationalité. Par ailleurs, il nous semble que la nationalité est un descripteur trop simplificateur créant des catégories d’individus alors que la réalité à l’intérieur de ces catégories est extrêmement diversifiée sur le plan économique, culturel et linguistique », souligne Anne Fossi, coordinatrice du service de médiation interculturelle du CHR. Ainsi en 2004, le nombre de patients suivis par le service de médiation interculturelle s’élevait à 1057 pour 2616 interventions. 849 de ces interventions ont été menées en turc, 657 en russe, 480 en serbo-croate, 144 en arabe, 131 en français, 96 en kurde, 80 en berbère, 64 en arménien, 40 en italien, 19 en albanais, 16 en bulgare, 10 en roumain, 7 en chinois et en anglais, 6 en polonais, 4 en espagnol, 1 en lingala… Ces chiffres ne concernent que les interventions réalisées par les médiatrices, seules ou accompagnées de traducteurs ; ils ne tiennent pas compte des traductions effectuées par les traducteurs bénévoles de l’institution sans participation de l’équipe de médiation. 24 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Une journée avec les médiatrices Inga Karapetyan et Mirela Knezic sont deux des médiatrices attachées au service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle. Inga vient d’Arménie où elle travaillait comme secrétaire. Mais elle a aussi dans ses bagages des études universitaires en anglais. Comme tous les demandeurs d’asile, arrivée en Belgique elle a commencé à apprendre le français. Elle y a ensuite ajouté le néerlandais. Et puis, elle s’est mise à la recherche d’un emploi via le Cripel, le Centre régional pour l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège. Elle a commencé son boulot de médiatrice en même temps que Mirela venue de Croatie, il y a maintenant 11 ans. Là-bas, Mirela a suivi des études en économie mais ici, elle a obtenu un diplôme de coiffure tout en suivant une formation hospitalière. À elles deux, elles répondent aux demandes d’intervention en russe, arménien, turc, bulgare et serbo-croate. Ce matin, elles ont toutes les deux des rendez-vous planifiés dans l’agenda du service. « Nous fixons les rendez-vous entre patients et médecins dans les plages horaires où nous sommes présentes. Pour les consultations, on essaye de s’organiser au mieux avec la patientèle. On finit aussi par connaître ces patients et parfois il nous arrive de retéléphoner pour leur rappeler le rendez-vous pris. Mais nous devons aussi assurer les urgences, les entrées en salles ou encore les sorties… » Par ailleurs, chacune à tour de rôle, elles assurent avec les deux autres médiatrices et la coordinatrice la ligne de garde interne. Lorsqu’une demande imprévue arrive dans une langue qu’elles ne maîtrisent pas, elles font alors appel au personnel interne, via le répertoire. Parfois, c’est au sein de la famille qu’elles cherchent du soutien. « Hier, j’ai été appelée pour une dame d’origine indienne », raconte Inga. « J’ai essayé de connaître le dialecte et me suis rendue dans la salle où elle était hospitalisée. Son mari était là. Il parlait quelques mots de français. Alors on s’est arrangé pour qu’il revienne aujourd’hui avec une connaissance parlant le français et le panjabi ». 25 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Inga attend le coup de fil du médecin d’un patient qui avait rendez-vous… Mais il y a visiblement du retard… Dans le même temps, elle reçoit une demande d’un médecin qui n’était pas prévue… Dilemme ! Inga décide de répondre à la demande imprévue. Elle avisera quand l’autre médecin se manifestera. Elle se rend donc à la consultation du spécialiste qui reçoit un homme d’origine russe. Le médecin lui explique le problème : le patient qui souffre d’apnée du sommeil est suivi depuis deux ans mais visiblement ne prend pas les traitements… Explication d’Inga au médecin après avoir entendu le patient : ce monsieur n’avait pas compris à l’époque qu’il devait subir un examen complémentaire pour avoir l’appareillage nécessaire. Le médecin décide alors de reprendre les choses où elles se sont visiblement interrompues : faire passer un examen pour adapter l’appareil nocturne mais également programmer une intervention chirurgicale. Le patient et le médecin discutent par l’intermédiaire d’Inga de la double proposition de traitement et de ses implications. Accord pris, Inga se dirige vers le bureau des infirmières pour effectuer la programmation des différents examens nécessaires et en préciser à nouveau le déroulement avec le patient. « Cette situation est complexe et heureusement ce patient est en ordre de mutuelle… Il y a deux ans, il s’est perdu en route. Aujourd’hui, il a mes coordonnées et moi les siennes ». Une partie de l’équipe des médiatrices interculturelles du CHR de la Citadelle. 26 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Pendant qu’elle gérait cet imprévu, Inga n’a pas pu répondre à la demande du médecin dont le rendez-vous était pourtant programmé. Elle décide de téléphoner pour s’excuser auprès du jeune garçon qu’elle devait accompagner… Et enchaîne avec un nouveau patient qui est en phase de prise de rendez-vous pour une hospitalisation. Elle lui explique le fonctionnement de la salle d’attente, du ticket et de l’appel par numéro. « Au début j’accompagnais tout le monde dans toutes les démarches. Mais ce sont des adultes responsables. Avec la bonne explication, ils peuvent s’en sortir. Pour une simple inscription, il n’y a pas besoin de parler. La CroixRouge est là pour réorienter les personnes s’il y avait un problème ». Inga se retrouve à présent dans un bureau de prise de rendez-vous d’une personne aidée par le CPAS. Grâce à un modèle de demande de réquisitoire établi en allemand et en néerlandais, les démarches administratives dans le cas de personnes aidées par les CPAS et les centres d’accueil sont plus simples. « Cet outil évite de répéter oralement à chaque fois toutes les explications ». Depuis qu’elle travaille au service de médiation, Inga n’a rencontré que deux « pépins ». Il s’agissait de comportements de manipulation par rapport au paiement d’une opération. « Ce qui est difficile à gérer, ce sont les priorités. Mais aussi le fait de toujours être concentrée sur la parole et enfin les situations avec grande souffrance, mal-être et parfois perspective de mort ». Ce qui est difficile à gérer, Mirela travaille beaucoup avec les populations tziganes. « Des situations où ce sont les priorités l’on rencontre beaucoup de difficultés dans le suivi et la mise à jour administrative. Souvent ces personnes ne savent ni lire, ni écrire et donc ont beaucoup de mal à se situer dans le temps et à respecter les délais…». Elle accompagne un jeune garçon chez l’ophtalmologue. Le père, la mère et la petite sœur sont là également. Pendant la consultation, elle explique au papa qu’il doit absolument donner un document au médecin pour l’obtention d’allocations familiales majorées. « Dans ce cas-ci, on a déjà annulé une fois l’opération car la maman a très peur. » À nouveau, Mirela explique ce que le spécialiste réexplique : plus particulièrement le caractère bénin de cette intervention et tous les avantages pour l’enfant. Elle essaye de donner 27 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège les informations nécessaires pour rassurer la maman qui finit par accepter. La maman pleure, le père est affligé, l’enfant triste de voir sa mère ainsi touchée… Il faut alors à Mirela trouver le ton juste pour rassurer et encourager à suivre le traitement médical. « La médiation interculturelle, ce n’est pas que la traduction. C’est la capacité de créer la relation, de la maintenir, de la décoder, de reformuler, de faire émerger ce qui est essentiel de part et d’autre. La première étape consiste toujours à établir la confiance, à instaurer ou restaurer le dialogue, à considérer l’autre, le patient, comme un partenaire égal dans la relation. Autonomiser la personne fait aussi partie de notre mission, le but n’est pas de faire de l’assistanat. » 28 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Observatoire social Le service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle joue en quelque sorte un rôle d’observatoire social selon Anne Fossi. « C’est un lieu où l’on peut tirer une série d’enseignements sur la vie hospitalière en général, les difficultés de compréhension du fonctionnement de l’hôpital, les problèmes d’accueil, le peu de temps consacré à la relation avec le patient, la question des droits des patients, le statut du malade dans la relation thérapeutique, l’accès aux soins de qualité pour les plus démunis… » Ainsi, en-est-il du constat de l’utilisation abusive de l’hôpital par de nombreux patients qui recourent systématiquement aux urgences pour des problèmes relevant de la médecine de première ligne ou encore de l’augmentation des consultations spécialisées sans coordination par un médecin généraliste. De même, l’accroissement des difficultés à appliquer l’aide médicale urgente à cause des procédures administratives de plus en plus complexes et qui varient d’un CPAS à l’autre ou encore l’interprétation de plus en plus restrictive de la loi par certains médecins… « Certains médecins proposent des interventions sans s’inquiéter de savoir si la personne est en ordre de mutuelle ou si elle n’est pas en situation de surendettement. » Et aussi, l’augmentation des demandes dans le secteur de la santé mentale pour des suivis psychologiques et psychiatriques. En ce qui concerne spécifiquement les demandeurs d’asile, on observe une utilisation abusive de l’hôpital pour les demandes de certificats médicaux afin d’appuyer des demandes de 29 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège régularisation. Par ailleurs, certains médecins refusent de pratiquer des interventions en urgence parce que l’acte est médicalement réalisable dans le pays d’origine. « Mais ils ne tiennent pas compte de la question essentielle : cette personne aurait-elle accès à cet acte médical dans son pays d’origine ? », observe la coordinatrice. Le service intervient également de plus en plus régulièrement pour des personnes qui n’ont pas de problèmes de compréhension de la langue. « L’existence de notre service ne doit pas nous conduire à faire l’économie d’une réflexion plus globale portant sur la formation des patients à la compréhension de leur environnement socio-sanitaire, l’éducation à la santé, mais également la formation de tous les professionnels de la santé et de la communication », analyse Anne Fossi. 30 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Le point de vue d’un “observateur” sur l’expérience liégeoise de la médiation interculturelle en milieu hospitalier Bonaventure Kagné est chargé de recherches au Cémis, le Centre d’études et de mémoire des migrations subsahariennes. Spécialiste des questions d’interculturalité et de migrations, le chercheur connaît bien le service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle. Il a assisté à ses débuts et suivi son évolution. Il recontextualise pour nous l’émergence du service et d’un métier aux contours encore quelque peu flous et insuffisamment reconnu et valorisé. “Le projet est né de plusieurs constats, se souvient Bonaventure Kagné. Anne Fossi (ndlr : coordinatrice actuelle du service) travaillait à l’époque à l’asbl Résonances qui deviendra plus tard un des moteurs du projet. Je suis entré en contact avec l’asbl, à l’occasion d’une recherche portant sur les ‘politiques du multiculturalisme et les formes de citoyenneté dans les villes européennes : le cas de la ville de Liège’. Cette recherche s’inscrivait dans le cadre du Programme Most (‘Management of social transformation’) de l’Unesco et visait, entre autres, à examiner, d’une part, les mécanismes en faveur de la participation des immigrés à la vie municipale et locale et, d’autre part, comment interagissent des initiatives politiques des autorités locales et/ou régionales et les mobilisations de groupes immigrés ou des minorités en vue d’améliorer la position de ces derniers dans la société et influencer les politiques qui les touchent directement. À l’instar d’expériences d’actions interculturelles menées dans les années quatre-vingt en Belgique (notamment à Bruxelles et en Flandre) et dans certains pays européens (France, 31 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Suisse, etc.), Résonances travaillait sur les besoins de la population d’origine étrangère de Liège en matière d’accès aux soins de santé. J’ai alors eu l’occasion d’accompagner l’association dans ses réflexions. Il y avait clairement besoin qu’un dialogue puisse s’installer entre soignants et soignés afin de garantir un accès à des soins de qualité pour tous. En réalité, cet objectif participe de la volonté de l’acteur de terrain de tenter de mettre en pratique certaines recommandations de l’ex-Commissariat Royal à la Politique des Immigrés(CRPI ) qui, dans une de ses premières productions en 1990, soulignaient, avec juste raison, qu’une bonne connaissance et une prise en compte suffisante des différentes culturelles en matière de soins de santé aux immigrés étaient susceptibles de renforcer le processus de leur insertion et le degré de leur participation à la société globale. Jusque-là, dans la perspective de résoudre ce qui était naguère qualifié de ‘problèmes socioculturels des immigrés’, on procédait en général à l’aide de bricolages. En milieu hospitalier par exemple, de nombreux professionnels de soins avaient recours à différents types de support tel que le langage non verbal pour communiquer avec des patients issus de pays étrangers, porteurs de repères culturels distincts ou supposés tels. Dans la relation bilingue soignant-soigné, des enfants d’immigrés servaient d’interprètes pour leurs parents. On les faisait ainsi brusquement passer du monde de l’enfance à l’âge adulte, en leur demandant aussi de s’immiscer dans des choses de l’ordre de l’intime. Dans ce cas, on assiste à un bouleversement de positions sociales et de rôle au sein de la famille en immigration. Le renversement des rôles des plus jeunes par rapport à ceux des parents donne lieu à de nombreuses conséquences. C’est le cas de l’érosion de l’autorité parentale. On retrouve quasi le même processus en ce qui concerne l’école. Que ce soit le recours à la gestuelle ou à des traducteurs d’occasion, force est de souligner que le besoin d’être correctement outillé était bien présent. Car, un simple traducteur ne suffit pas. De plus, dans une autre culture, le même mot n’a pas toujours la même signification. D’un autre côté, il est délicat de recourir en matière de soins de santé à des gestes comme 32 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège vecteur de communication interculturelle. Le personnel du CHR de la Citadelle était bien conscient qu’il fallait trouver d’autres outils de travail pour améliorer l’efficacité des pratiques professionnelles en contexte de plus en plus multiculturel. Le terreau était donc prêt pour la création d’un service de médiation même si, tout le monde n’en était pas entièrement convaincu au départ, au sein de l’hôpital. Il a fallu alors trouver des leviers intra et extra muros. Le projet pilote de créer un service de médiation était entre autres soutenu financièrement et politiquement à la fois par les autorités fédérales et par la Ville de Liège. Le fait que certains responsables politiques locaux exerçaient des mandats à la fois au CHR et à l’exécutif de la Ville a rendu plus facile la sensibilisation de l’équipe dirigeante ainsi que différents départements de l’hôpital. Il a fallu convaincre le département des Ressources humaines, trouver les budgets, mettre en place les formations. Des profils de personnes de plus en plus diversifiés, de nouvelles nationalités se sont ajoutées, il a fallu augmenter le personnel. Petit à petit, les réticences se sont levées, la dynamique préexistante a pris de l’ampleur. Le service a ainsi pu prendre sa place dans la structure et démontrer toute son utilité.” L’importance de la triangulation “Quand on entre en migration, explique Bonaventure Kagné, il y a des interactions, au gré des rencontres, et une confrontation de valeurs culturelles qui s’opèrent. A la suite d’auteurs tels que Denys Cuche, je postule que tout être humain est un être de culture. Toutefois, l’influence de la culture sur nos comportements diffère d’un individu à l’autre. Bien qu’elle apparaisse de nos jours comme une espèce de talisman que l’on brandit pour appuyer toute revendication, force est de souligner que la culture n’est pas statique et qu’un individu peut parfaitement changer ou participer à la fois à plusieurs cultures. Cela dit, un des supports essentiels de la culture qui est à la base de la relation soignésoignant, est la langue. Lorsque l’on ne parle pas la langue du pays de résidence, vous vous retrouvez en position de fragilité, en demande. Vous avez alors besoin d’une aide optimale et de nouer une relation de confiance. Le fait de faire intervenir une 3e personne entre soignant 33 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège et soigné permet de passer d’une relation linéaire, de type relais obligé de ce que dit le patient ou le soignant, à une relation de type triangulaire, qui intègre par exemple ce qui est dit dans le contexte culturel. Un des enjeux est qu’il y ait non seulement une relation entre soignant et soigné, ce que certains auteurs qualifient « d’entretien médical bilingue », mais aussi entre soignant et médiateur et entre soigné et médiateur. Il s’agit de passer d’un partage de parole à deux à trois, de passer d’un dialogue à un trilogue basé sur le respect mutuel, sans a priori aucun. L’objectif est que les choses se déroulent le mieux possible et là, l’empathie est essentielle. Outre l’enjeu de pouvoir parler dans la rencontre entre patient et soignant, l’étape suivante est de construire une relation plus approfondie, de savoir écouter davantage, de développer une confiance mutuelle, d’installer une meilleure compréhension et une bonne maîtrise par le patient des étapes et des enjeux du traitement thérapeutique”. Bonaventure Kagné, chargé de recherche au Cémis. Faut-il être d’origine immigrée pour faire un bon médiateur interculturel ? “Je serais très prudent par rapport au postulat d’être issu de l’immigration pour être un bon médiateur interculturel, répond le chercheur. Je ne suis pas certain qu’une personne de 34 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège nationalité turque ou congolaise, par exemple, qui vient de débarquer fraîchement en Belgique, est à même de parler des enjeux sociopolitiques de la Turquie ou du Congo, simplement parce qu’elle est Turque ou Congolaise de nationalité. On devrait davantage porter l’attention plus sur les compétences des individus. Dans la pratique, certaines études ont démontré que le fait de partager ou d’être issu de la même culture que la personne pour laquelle vous intervenez peut être un facteur bloquant dans la communication et la rencontre interculturelle. Par ailleurs, le risque d’enfermement ethnoculturel ne relève pas que d’une vision d’esprit. Des situations sont pour ainsi dire très différenciées. Ceci étant dit, pour le service de médiation du CHR, Anne Fossi, en sa qualité de coordinatrice, a toujours mis l’accent sur la formation continuée des médiatrices, afin d’être toujours en osmose avec la diversification des aires d’origine et la nature des besoins du public issu des migrations. Car chaque situation de traitement peut permettre une communication très différenciée entre soignant et patient selon les besoins”. Interprète, accompagnateur, médiateur ? La difficulté de se définir “Actuellement, la religion reste la matrice essentielle sur laquelle se fonde le débat public sur l’interculturel, poursuit Bonaventure Kagné. On oppose souvent religion musulmane et religion catholique. Or, on oublie ce faisant, d’autres dimensions, pourtant décisives pour qui souhaite se faire une meilleure opinion de la complexité des affinités culturelles, cultuelles et religieuses. L’islam et le christianisme ne forment pas des groupements homogènes, caractérisés par des critères supposés coïncider avec des pratiques cultuelles et des convictions religieuses spécifiques. Loin s’en faut. Nos sociétés sont historiquement et socialement complexes, pluralistes et hétérogènes. Ce constat qui, à certains égards, peut paraître d’une évidence primaire, demeure fondamentale et utile pour penser l’unité de l’humanité dans la diversité, adopter professionnellement des stratégies les plus appropriées pour venir en aide aux individus, aux familles ou aux groupes qui en ont souvent grandement besoin. 35 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Dans l’ouvrage “Choc de cultures : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel”, Carmel Camilleri et Margalit Cohen-Emerique examinent notamment comment les professionnels peuvent comprendre les situations multiculturelles dans lesquelles ils sont impliqués et favoriser la communication. L’attention que portent les travailleurs sociaux et d’autres acteurs sur les besoins de la population de nationalité ou d’origine étrangères me semble s’inscrire dans la volonté d’atteindre l’intégration des identités diverses présentes sur un territoire, non seulement en respectant la spécificité de chaque groupe culturel, mais en s’appuyant également sur des structures sociales différentes pour réussir la promotion individuelle et collective. Je reconnais néanmoins que les acteurs de terrain éprouvent énormément de difficultés à se définir. D’aucuns revendiquent le terme d’interprète (au sens de traduction fidèle de ce qui est dit par le patient), certains d’accompagnateur interculturel (sorte de conseil du patient tenu par un interprète), d’autres de médiateur interculturel (qui connote l’idée de dépasser la traduction neutre mot à mot, pour commenter, expliquer dans une culture, ce qui a été dit, ressenti, vécu ou perçu, dans une autre langue). Le secteur n’est pas parvenu encore à clarifier collectivement les concepts et les usages. La reconnaissance pleine et entière du métier de médiateur interculturel en Région wallonne avance à pas de tortue. Ce métier demeure du moins mal ou peu connu de tous. D’un autre côté, l’entente des acteurs sur le contenu reste un chantier à parachever. L’intervention d’un acte réglementaire en 2002, au niveau fédéral, a le mérite, à défaut de reconnaître de manière satisfaisante son rôle de tisseur de lien social et de répondre adéquatement à toutes les questions que soulève l’exercice du métier de médiateur interculturel, de circonscrire le cadre général et d’initier les balises référentielles à remplir pour y accéder. C’est important, aussi bien pour les personnes d’être reconnues pour ce qu’elles font au quotidien que, pour obtenir des budgets des autorités. Au niveau wallon, il y a eu une velléité de définition de l’ex-ministre de l’Action sociale et de la Santé, Thierry Detienne, qui avait amorcé une réflexion régionale via notamment le Carrefour Interculturel Wallon (CIW) mais 36 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège celle-ci ne s’est malheureusement pas poursuivie. En Espagne pourtant, on est déjà un pas plus loin : il existe à l’Université de Grenada, un département autour du métier de médiateur interculturel. En Belgique, le tronc commun est encore à "maturer". Pour arriver à une définition commune, tout porte à croire qu’il faut attendre un certain temps, ainsi que la réalisation de beaucoup de compromis. On assiste également à un glissement sémantique ces dernières années. On est passé de la médiation interculturelle, en passant par le traducteur et l’interprète, à l’interprétariat social. Pour l’essentiel, cela semble résulter d’une démarche globalement pragmatique : il fallait parler d’interprétariat social soit pour coller au plus près de l’évolution des besoins et des pratiques de terrain, soit, de façon plus opportune pour d’aucuns, prétendre à certains subsides, notamment européens, ou encore satisfaire à des critères de programmes européens spécifiques, soit encore pour respecter des choix politiques. Somme toute, traduire ou interpréter se conjuguent régulièrement au pluriel dans la pratique. De l’avis des acteurs de terrain, un espace de liberté et de flexibilité est souvent essentiel au travail de l’interprète comme à celui du médiateur interculturel. Par voie de conséquence, les frontières s’amenuisent et augmentent çà et là selon les contextes et les situations, relativisant au passage le poids et le sens des mots”. C’est l’autre qui me permet de dire “je” “Si je devais tirer un bilan de l’expérience menée au CHR La Citadelle de Liège, je dirais que ce service semble répondre à un besoin. Son utilité tant sociale que dans la structure hospitalière est de jour en jour largement répandue et reconnue par un nombre croisant de personnes appartenant à différents horizons professionnels. Il y a manifestement satisfaction à la fois des utilisateurs et des soignants. On assiste à une diversification des parcours et des histoires migratoires des populations en quête de soins de santé et un accroissement notable du temps que les soignants peuvent leur consacrer. Malheureusement, les moyens pour y répondre de façon satisfaisante ne suivent pas toujours ces évolutions, malgré la volonté et la détermination de certains acteurs. 37 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège L’enseignement majeur, qu’apporte, selon moi, ce service, c’est qu’il répond indiscutablement à un besoin qui dépasse la recherche de solutions immédiates à un problème concret du migrant au niveau de l’individu pour répondre à des enjeux plus collectifs et sociétaux. C’est-à-dire, cette nécessité de promouvoir l’égalité des droits et des chances, sans exacerber outre mesure les différences culturelles, en favorisant l’accès de tous aux soins de qualité, faire en sorte que des critères d’âge, de sexe, d’origine ethnique, de nationalité, supposés coïncider avec des entités sociales et culturelles spécifiques, ne constituent pas des handicaps et des facteurs de rejet et d’exclusion. Tous les médecins vous diront qu’ils pratiquent l’art de guérir mais les patients en face ressentent et extériorisent différemment les pathologies. C’est alors que la médiation interculturelle prend tout son sens. Une bonne compréhension et un échange sur la santé du patient immigré ou un individu supposé tel, fait partie des exigences d’un travail professionnel adéquat, sans lequel la qualité des soins ne peut être assurée. La présence sur le territoire de personnes de nationalité ou d’origine étrangères apporte indéniablement un regard différent sur nos sociétés. Elle est source de questionnement sur notre quotidien et nos pratiques professionnelles et peut leur donner une dimension nouvelle. Le caractère habituellement versatile de l’opinion publique face aux flux migratoires et aux migrants influence les rapports que l’on a avec eux à un niveau individuel. Communiquer et intervenir plus efficacement (qu’il s’agisse du praticien, du travailleur social, ou de tout autre acteur) en milieu pluraliste, multiculturel et multiethnique, passe assurément par une ouverture et un intérêt pour la culture l’autre, une compréhension profonde de sa propre culture et de l’influence de celle-ci sur ses modes de sentir, d’agir, de pensées, ses attitudes, ses comportements et pratiques professionnelles. “C’est l’autre qui me permet de dire ‘je’”, disait Albert Jacquard. La promotion d’une société cohésive et inclusive induit le renforcement de notre capacité à prendre en compte et à gérer efficacement les différences culturelles, à penser universel et à agir particulier.” 38 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège La médiation interculturelle dans les hôpitaux Les hôpitaux généraux et psychiatriques peuvent introduire une demande de financement d’un poste de médiateur interculturel et/ou de coordinateur de la médiation interculturelle auprès de la Direction générale de l’organisation des établissements de soins du SPF Santé publique. La médiation interculturelle puise ses racines dans le début des années 1990 avec la publication du rapport du Commissariat royal à la Politique des immigrés qui identifiait un certain nombre d’éléments posant problème dans « l’application des soins de santé aux immigrés » parmi lesquels « la connaissance de la culture du client (patient) et les aptitudes à la communication ». Les premières initiatives ont été soutenues par le Fonds d’impulsion à la politique des immigrés (Fipi) jusqu’à ce que le SPF de la Santé publique intègre une Cellule de coordination Médiation interculturelle. Un AR du 25 avril 2002 fixe désormais un cadre législatif. Il n’existe pas de consensus aujourd’hui parmi les différents acteurs quant à la question de savoir ce qu’est ou devrait être la médiation interculturelle. Cela dit, les missions habituellement confiées aux médiateurs interculturels sont de faire de l’interprétariat de liaison, du décodage culturel, de l’accompagnement, de l’écoute, du soutien, de la gestion des conflits, un relevé des problèmes, etc. Globalement, la mission des coordinateurs de la médiation interculturelle consiste à inscrire les soins dans une perspective interculturelle, c’est-à-dire à mettre en œuvre une politique axée sur la sensibilisation à la dimension culturelle des soins hospitaliers, avec pour finalité d’assurer aux demandeurs de soins (potentiels) « allochtones » et « autochtones » un égal accès à des soins de qualité uniforme. En 2004, on recensait pour l’ensemble du pays 63 médiateurs (40.5 ETP) et 14 coordinateurs (8 ETP). 39 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Normes de personnels et formation L’AR de 2002 spécifie que la personne doit être titulaire d’un diplôme de l’enseignement universitaire, supérieur de type long ou court dans les orientations sociales ou paramédicales. En outre, elle doit avoir suivi une formation théorique dans le domaine de la médiation interculturelle dans le secteur des soins de santé, ou elle doit pouvoir justifier une expérience professionnelle encadrée d’au moins deux ans dans le même domaine. Le poste est accessible aussi aux porteurs du CESS ou équivalent, moyennant certificat de formation spécifique et reconnu de médiateur interculturel dans le domaine des soins de santé. Une condition supplémentaire est qu’un médiateur interculturel maîtrise, en plus de l'une des langues nationales, au moins une des langues de l’un des groupes-cibles. Notons enfin que les médiateurs doivent aussi participer au minimum à 3/4 des réunions de supervision et de formation organisées par la Cellule de coordination Médiation interculturelle. Source : Extrait du dossier “Médiation et nouvelles régulations sociales. Les métiers de la médiation.” In La Vigilante - n° 23 - novembre 2006, bimestriel de l’asbl l’Apef. 40 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Une fonction novatrice Anne Fossi, de son côté, a tenté de préciser dans un rapport d’activités du service, comment elle envisageait le métier de médiateur interculturel. Une analyse, en forme de conclusion. « La médiation interculturelle en milieu hospitalier compte parmi les nouvelles ressources mises à disposition des professionnels de la santé et des patients pour favoriser la communication, l’approche de cadres de références culturelles différents et partant, l’accès aux soins de santé de qualité pour tous. La qualité des soins s’appuie le plus souvent sur la qualité du dialogue et des relations soignant-soigné, ainsi que sur la participation du patient à un traitement dont il comprend à la fois les enjeux et le déroulement. Recouvrant des pratiques professionnelles très variées, la médiation ne se réfère pas à un modèle unique, aux contours parfaitement définis, partagé par l’ensemble des praticiens. Certes, il existe un cadre de référence professionnel de départ commun, mais, sur le terrain, chaque expérience est singulière. Comme tous les nouveaux métiers émergeant dans le paysage de l’action sociale (accompagnateurs, personnes relais…), la médiation suscite un nombre important de questions sur sa raison d’être, la place du médiateur dans la relation, les limites de la fonction, la déontologie…. Les débats d’École se succèdent. Pendant ce temps, les médiateurs interculturels hospitaliers, qui ne sont ni interprètes professionnels, ni assistants sociaux, ni infirmiers, exercent un métier aux contours encore flous. Les expériences de terrain menées dans les hôpitaux comme celui du CHR de la Citadelle se caractérisent par des modèles développés pour répondre le plus adéquatement possible aux demandes, en fonction des contextes institutionnels, des réalités sociologiques et géographiques. 41 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Ainsi, le démarrage du projet en 1997 a été difficile. Habitués à se débrouiller seuls ou avec les moyens du bord, les professionnels de l’hôpital ont mis du temps à comprendre le rôle des médiateurs interculturels, à les accepter au sein de leurs équipes et à les appeler en cas de besoin. Les difficultés de fonctionnement ont été nombreuses : liées à la taille des entreprises, à la diversité des interlocuteurs (cultures spécifiques à chaque unité de soins), au caractère novateur de la fonction, à la lenteur de prise de décision (en raison de l’aspect transversal de la médiation, les projets et initiatives nécessitent souvent l’accord de plusieurs personnes), aux expressions manifestes ou latentes de racisme, aux résistances de la part de travailleurs se sentant dépossédés d’une part de leur mission, aux difficultés pour le personnel hospitalier de percevoir l’aspect “ passeur de culture ”, aux limites d’intervention (cela se passe toujours sur le terrain de quelqu’un d’autre) et à l’évolution permanente des flux migratoires qui nécessite une adaptation constante de l’offre de service aux besoins exprimés ou estimés. La médiation ne se réfère Dans le passé, ce sont des dysfonctionnements, souvent accidentels, pas à un modèle unique qui ont généré le recours systématique aux services offerts par les équipes de médiation interculturelle, constate Anne Fossi. Aujourd’hui, plus besoin de situations critiques pour que l’on appelle le service de médiation. Et s’il nous arrive de ne pas savoir répondre à tous les besoins en traduction et en médiation, ce n’est pas la bonne volonté des travailleurs qu’il faut mettre en cause, mais plutôt l’insuffisance de moyens et le manque de traducteurs et de médiateurs disponibles face à des demandes de plus en plus variées sur le plan culturel et linguistique. Faute d’appartenir à une catégorie socio-professionnelle déterminée, les médiateurs interculturels se définissent par les rôles qu’ils sont censés jouer, les fonctions qu’ils assument, les pratiques qu’ils mettent en œuvre. Comme déjà mentionné, ils jouent également un rôle d’observatoire social, et, à ce titre, leurs observations mériteraient d’être relayées vers les pouvoirs politiques compétents afin qu'ils 42 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège définissent et soutiennent ensemble les axes d’actions prioritaires pour répondre efficacement, entre autres : Aux problèmes croissants de communication, notamment en raison de la diversification des populations et des besoins linguistiques. Aux difficultés d’accès aux soins de santé de qualité, lesquelles induisent le développement de stratégies préjudiciables, à moyen et long terme, aux patients et à l’institution (usurpation d’identité, recours systématique aux urgences…). Aux dysfonctionnements observés en matière d’application de la loi sur l’aide médicale urgente (ndlr : aide médicale qui concerne les personnes illégales et qui relève de la compétence des CPAS). » Néanmoins, pour conclure sur une note optimiste, rappelons que les manifestations de satisfaction des patients, l’augmentation constante des demandes de médiation et/ou de traduction, le nombre croissant d’acteurs impliqués dans la démarche, l’utilisation de plus en plus répandue des outils mis à disposition, les initiatives spontanées d’agents ou de services, les réflexes développés par les professionnels confrontés à des difficultés relationnelles avec des personnes étrangères sont des indicateurs du développement positif du projet et de la réelle nécessité d’un service de médiation interculturelle à l’intérieur de l’hôpital. 43 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Les références Sources o Anne Fossi, coordinatrice du service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle, Rapports d’activités. o Bonaventure Kagné, chargé de recherche au Cémis (Centre d'Études et de mémoire des migrations subsahariennes), rue Chauve-Souris, 104, 4000 Liège GSM : 0486 20 09 30 - [email protected] - www.cemis.org o Le dossier intitulé “Médiation et nouvelles régulations sociales. Les métiers de la médiation.” in La Vigilante n° 23 - novembre 2006, bimestriel de l’asbl l’Apef (l’Association paritaire pour l’emploi et la formation). Ressources La littérature sur cette question de l’interculturalité dans les hôpitaux est essentiellement néerlandophone. Néanmoins, on peut trouver quelques documents en français : o Les rapports d’activités du Centre pour l’égalité des chances : www.diversite.be o Le Cahier Labiso n° 14 Médiation interculturelle, voir www.labiso.be o La médiation interculturelle en milieu hospitalier in Médiations & Sociétés, n° 8 – août 2004 – pp. 24-27 – Zohra Chbaral et Hans Verrept. o La Cellule de coordination du SPF Santé publique, voir : https://portal.health.fgov.be/portal/page?_pageid=56,704702&_dad=portal&_schema=PORTAL o La Vigilante n°21 consacré au thème de l’interculturalité. 44 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Pour en savoir plus Contact Anne Fossi Service de médiation interculturelle CHR Citadelle Boulevard du 12e de Ligne 1 4000 Liège Tél. : 04 223 86 78 Courriel : [email protected] Crédits illustrations : © Cédric Tonon (CHR de la Citadelle) 45 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège La lecture de ce Cahier vous donne envie de réagir ? Labiso.be est un espace interactif. Sur le site Internet http://www.labiso.be, vous trouverez un forum qui vous permettra de déposer vos impressions de lecture. Réactions à chaud ? Avis divergent sur une idée défendue par cette expérience ? Projets semblables à mettre également en évidence ? Liens à faire avec l'actualité ? Témoignage? N'hésitez pas… 46 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège Le laboratoire des innovations sociales et de santé c’est : Écrire pour décrire son projet dans l’action sociale et la santé Présenter son action au delà d’un rapport d’activités, d’un dossier de subvention ou d’une prise de parole publique, c’est une manière de se positionner autrement par rapport à l’extérieur, de décrire ses pratiques professionnelles sous un autre jour. C’est aussi s’extirper du quotidien et prendre le temps de la réflexion : qui est-on, que fait-on, quel sens a l’action… ? L’équipe de journalistes de Labiso propose cette démarche d’écriture voire même de coécriture. Concrètement, en fonction des attentes et de la disponibilité des équipes, plusieurs scénarios peuvent naître de la rencontre avec un journaliste spécialisé. Rédaction par nos soins sur base d’entretiens et de documents, accompagnement dans l’écriture d’un membre de l’équipe tenté par le travail, écriture à quatre, huit ou douze mains, mise en valeur de productions internes… Tout est possible. Éditer dans une collection de livres numériques Avec Labiso, la démarche d’écriture se prolonge et se matérialise en une publication d’un livre numérique, partie d’une collection de « cahiers ». Ces petits bouquins, téléchargeables gratuitement sur Internet, peuvent être imprimés, lus à l’écran, compulsés à l’envi. La Toile offre l’avantage d’occuper un espace d’expression et de visibilité aux possibilités infinies. Les cahiers numériques sont recyclables sur n’importe quel site web et d’une formule plus souple 47 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège que les éditions papiers. Même si l’accès aux nouvelles technologies et à Internet n’est pas encore égal pour tous, investir cet espace d’expression c’est aussi être au plus près des nouvelles réalités sociales, des nouveaux besoins, des nouvelles formes de pauvreté. Échanger pour s’inspirer, décloisonner, innover L’ambition est là : favoriser l’échange sur les pratiques et le décloisonnement entre professionnels, stimuler les démarches innovantes. Une fois sur la Toile, les effets des « cahiers » sont entre les mains des équipes et des lecteurs. Si les équipes ont trouvé intérêt à faire le point, ont modifié leurs pratiques ou déterminé un nouveau projet…, les lecteurs eux, peuvent faire des liens entre différents types d’interventions, s’interroger sur les modèles et, nous le souhaitons, s’interpeller les uns les autres. C’est en tout cas loin des codes de « bonnes pratiques », des grands’messes institutionnelles, que Labiso propose le premier terme de l’échange. Labiso cela peut aussi être : Certains services, certaines associations ont fait le pari de l’Internet comme outil de visibilité, de travail en réseau, d’échanges sur les pratiques. Ils sont conscients des énormes possibilités que leur offre la Toile : devenir émetteur/producteur et non plus seulement consommateur/récepteur. Le recours aux nouvelles technologies de la communication est conçu ici comme un outil au service du travail social et de ses travailleurs. Si la démarche de Labiso montre des effets très positifs, elle est aussi de celles qui nécessitent une adaptation continue, un questionnement permanent, notamment du fait du support qui la sous-tend. Un support, l’Internet, dans lequel il est intéressant que les professionnels de terrain des secteurs de l’aide aux personnes investissent pour l’alimenter de contenus pertinents et mobilisateurs. 48 Les services de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle à Liège [email protected] Catherine Daloze – tél. : 02 541 85 22 Catherine Morenville – tél. : 02 541 85 28 La collection est coordonnée par Xavier Bodson (Agence Alter). Ce cahier a été rédigé par Pascale Hensgens et Catherine Morenville (Agence Alter) sur la base de rencontres et de rapports d’activités de la coordinatrice du service de médiation interculturelle du CHR de la Citadelle. Il a été achevé le 30 novembre 2006. 49