Projet d`histoire économique :

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Projet d’histoire économique :
Enseignant : Jean-Christian Lambelet
Assistant : Siméon Stoitzev
Le rôle du système monétaire international
et perspective comparative
Stéphane Fischhoff
Table des matières :
Introduction
1
Plan de mon travail
1
I : Pourquoi un système monétaire basé sur l’or ?
1
II : L’âge d’or de l’étalon-or (1879-1914)
2
II.1 : Introduction
2
II.2 : La coopération
3
II.3 : La crédibilité
4
II.4 : Les avantages et les inconvénients de l’étalon-or
4
II.5 : Les limites de l’ajustement automatique
5
II.6 : La mort de l’étalon-or classique
6
III : Le flottement libre (1919-1926) et le retour au nouvel étalon-or :
7
IV : Le retour désastreux à l’étalon-or (1927-1931/36)
8
IV.1 : Introduction
8
IV.2 : Une simple identité pour comprendre le fonctionnement
du système d’étalon-or
9
IV.3 : Explication des différents ratios
9
IV.4 : La première chute du système : la sortie du Royaume-Uni en 1931
11
IV.5 : Le dernier bloc-or : le dernier souffle du système
12
V : Relation entre reprise économique et durée d’arrimage à la parité-or :
12
V.1 : Introduction
12
V.2 : Un premier modèle
13
V.3 : La régression
14
VI : Biais déflationniste du régime de l’étalon-or :
14
VI.1 : Introduction
14
VI.2 : Asymétrie entre pays à surplus/déficit par rapport à la réponse monétaire
15
requise lors de flux d’or
VI.3 : Le pouvoir insuffisant des banques centrales
16
Conclusion
16
Bibliographie
18
Annexes
19
Introduction
La Grande Dépression est un sujet complexe. Comme tous les sujets complexes, il n’existe
pas de cause unique. Mon travail a pour but d’en expliciter une : le système monétaire
international. Tout au long de mon exposé, j’espère réussir à vous convaincre de l’importance
qu’a joué cette variable dans le puzzle de la Grande Crise. L’effet peut-être le plus pervers est
celui de canal de transmission de la déflation dans le monde entier. Ce que je vais essayer de
montrer également, c’est qu’un même système implémenté de façon légèrement différente
dans deux époques passablement différentes peut conduire à des résultats catastrophiques. Un
dernier point important est le lien sans cesse vérifié entre politique et économie.
Plan de mon travail
Je vais commencer par expliquer la raison pour laquelle l’or a été choisi comme métal de
référence. Ensuite, j’expliquerai les raisons du relativement bon fonctionnement du premier
système d’étalon-or entre 1879 et 1914. Je n’oublierai pas de parler de ses inconvénients.
L’échec du second système peut être compris en comparant les deux régimes et
principalement par les différences de comportements des acteurs principaux durant ces deux
périodes. Je continuerai par montrer que les pays qui ont renoncé le plus rapidement à
l’étalon-or ont connu une reprise économique plus rapide. Je finirai par expliciter le biais
déflationniste du système d’entre-guerre ; Beaucoup d’indices montrent que la déflation qui
sévit lors de la Grande Crise a été en grande partie causée par le régime monétaire
international déficient.
Les analyses que je propose dans ce travail sont très largement tirées d’Eichengreen (1992) et
de Bernanke (2000).
Lors de ma présentation orale, je reprendrai certains points théoriques que je présente dans ce
travail. Ensuite, j’appliquerai ces analyses comparatives au cas de la Suisse.
I : Pourquoi un système monétaire basé sur l’or ?
L’instrument d’échange accepté par tous les participants d’une économie n’est pas déterminé
arbitrairement. Premièrement, il faut que cet instrument d’échange soit durable afin d’être
stocké. Dans une société primitive, le blé pourrait parfaitement jour ce rôle d’échange. Les
échanges auraient lieu durant la moisson ne laissant aucun surplus à stocker. Mais dans nos
économies plus riches, les considérations de stockage sont importantes ; ainsi le choix d’un
instrument métallique est compréhensible. De plus, un métal est homogène et divisible :
chaque unité est semblable à l’autre et il peut être fondu et frappé dans n’importe quelle
quantité. Deuxièmement et plus crucial, la marchandise choisie comme moyen d’échange doit
être un bien de luxe : le désir humain pour le luxe est illimité de sorte qu’il y aura toujours
une demande pour un tel bien. Le luxe implique la rareté ainsi qu’une grande valeur unitaire :
ce bien sera donc plus facile à transporter (une once d’or vaut une demi-tonne de fonte). Il est
parfaitement envisageable, au cours de la première étape de développement d’un système
monétaire, que plusieurs instruments soient choisis comme base d’échange. Néanmoins, au
cours du temps, le « plus acceptable » sera définitivement accepté comme unique et par ce
processus deviendra encore plus acceptable. Savoir si cet instrument est l’or, l’argent ou le
tabac dépend du niveau de développement de l’économie. Au fait, chacun de ces matériaux a
été, à un moment ou un autre, le pilier des échanges. L’or finira par seul rester en tête de liste
(bien que l’argent lui fît concurrence lors de systèmes bimétalliques) : il est durable,
transportable homogène, divisible et a toujours été considéré comme un bien de luxe.
II : L’âge d’or du régime de l’étalon-or (1879-1914) :
II.1 : Introduction
Le système de l’étalon-or, qui est un régime de change fixe, a fonctionné de 1879 à 1914. Issu
de l’échec du système bimétallique, il ne survivra pas à la crise économique et financière
créée par la première guerre mondiale. Néanmoins, cette période a la réputation de grande
stabilité commerciale et financière (même si certaines crises noircissent parfois le paysage) ;
stabilité qui fut essentiellement imputée au régime de change fixe basé sur un étalon-or. C’est
d’ailleurs cette réputation qui entraînera la création d’un second régime d’étalon-or, nettement
moins performant comme nous allons le voir, après la première guerre mondiale.
Regardons maintenant comment fonctionnait ce système et quelles étaient les raisons de cette
stabilité économique.
Le succès de l’étalon-or a été imputé à ses mécanismes d’ajustement automatique. Cette
capacité d’ajustement s’expliquait par le lien établi par l’étalon-or entre les conditions
économiques nationales et internationales. Pour bien fonctionner, l’étalon-or supposait une
libre circulation internationale de l’or, autrement dit la liberté des mouvements internationaux
des capitaux. Le mécanisme d’ajustement automatique de la balance des paiements qui opérait
est connu sous le nom de mécanisme de Hume. Imaginons que suite à un choc, un pays
enregistre un déficit commercial. Ce pays va alors perdre de l’or au bénéfice de ses
partenaires commerciaux, ce qui a pour effet de contracter son offre de monnaie et de gonfler
celle de ses partenaires. La Banque centrale du pays en déficit va augmenter ses taux
d’intérêts ce qui aura pour effet un afflux de capitaux étrangers, les placements dans ce pays
devenant plus rentables par rapport au reste du monde. L’excédent ainsi créé du compte
financier contrebalance le déficit commercial. De plus, la contraction de l’offre de monnaie
réduit les prix domestiques par une pression déflationniste, ce qui améliore sensiblement la
compétitivité du pays et tend, finalement, à rétablir son équilibre commercial.
Toutefois, pour que ces mécanismes puissent fonctionner d’une façon cohérente, deux
éléments nécessaires sont requis : la coopération internationale entre banques centrales ainsi
que la crédibilité de l’arrimage des monnaies à l’or. Kindleberger (1973) parle d’un troisième
facteur de même importance pour le fonctionnement d’un régime d’étalon-or : l’hégémonie
d’une nation sur les autres (hegemonic stability theory). Au fait, ces trois éléments sont
étroitement liés : en effet, lors de périodes de manque de crédibilité du régime de change fixe,
il fallait, pour maintenir le système sur les rails une augmentation de la coopération
internationale. Cette coopération prenait souvent la forme d’un jeu appelé « suis le chef ! »
(follow the leader) et ce chef était la Banque d’Angleterre.
II.2 : La coopération
Pour qu’un système de change fixe international puisse fonctionner sans heurts, il faut une
acceptation tacite des partenaires quant aux règles du jeu et donc au cadre monétaire à
adopter. Une telle entente demande un climat politique serein. Effectivement, cette période de
fin du XIXème siècle est une période relativement calme de ce point de vue. Par acceptation
des règles il faut comprendre qu’un pays, qui suite à un déséquilibre d’une nation partenaire
dans sa balance commerciale, voit l’or affluer sur son territoire ne va pas stériliser cet afflux
mais va le retranscrire sur son offre de monnaie en l’augmentant. Cette augmentation
engendrera une poussée inflationniste, une pression à la hausse sur son taux de change et ainsi
une diminution de sa compétitivité. La croissance effectivement réalisée sera plus faible qu’en
change flottant sans contrainte (l’argument est du même type lorsqu’il s’agit d’une nation qui
doit faire face à une sortie d’or : l’effet de la contrainte de la parité sera une augmentation du
chômage). Pourtant, sous l’hégémonie de la Banque d’Angleterre, tous les pays acceptaient, à
la fin, ces mesures stabilisatrices, pourtant désagréables pour l’économie locale (La plupart
d’entre eux prirent tout de même certaines libertés en terme de gestion monétaire comme je
vais l’expliciter au point II.4). Mais c’est en période de crise que la coopération internationale
prend tout son sens. Même si la plupart du temps, la Banque d’Angleterre jouait le rôle de
prêteur de dernier ressort, lorsque la livre sterling était attaquée, elle se transformait en
emprunteur de dernier ressort. C’est à ce moment-là que les autres banques centrales
arrivaient à la rescousse : soit en lui prêtant des liquidités, soit en allant directement racheter
des livres sur le marché des changes pour sauver la parité. Dans le cas de crises graves, la
Banque d’Angleterre ne pouvait stabiliser à elle seule le système, il fallait une coopération de
tous les acteurs du système.
Comme tous les pays pensaient que ce cadre monétaire était le bon, ils étaient prêts à
intervenir lorsque l’un ou l’autre connaissait des difficultés et acceptaient les termes de la
stabilisation qui impliquaient souvent des politiques contre-productive pour l’économie
nationale. Il y avait une véritable volonté internationale pour faire tenir ce système. Dans un
tel cas de figure, les forces stabilisatrices pouvaient fonctionner pleinement.
II.3 : La crédibilité
Par crédibilité, il faut comprendre le sentiment des investisseurs de tout bord quant à la
volonté des pays en parité-or de défendre, quel qu’en soit le prix, cette parité. Il est certain
que la coopération sus-mentionnée a une importance clé sur la crédibilité. De plus, sans
aucune pression politique de mouvements de travailleurs (les chômeurs étaient considérés
comme des vagabonds, des malpropres à cette époque) ou de groupements d’exportateurs, les
autorités monétaires n’avaient que peu d’incitations à vouloir sortir du système de l’étalon-or.
Une résultante de cet environnement était les actions stabilisatrices des spéculateurs. Quand
une banque centrale perdait des réserves d’or, des pressions à la baisse sur son taux de change
se faisaient sentir. Mais plutôt que de miser sur une probable dévaluation et donc d’aggraver
le phénomène, les spéculateurs anticipaient la hausse des taux d’intérêts futurs que ne
manquerait pas d’entraîner la réaction de la banque centrale. Les capitaux arrivaient
massivement et rapidement pour rétablir l’équilibre sur la balance des paiements. Souvent, la
stabilisation se produisait sans aucune intervention de la banque centrale, seules les
anticipations des spéculateurs la produisait. Il n’y avait pas de remise en question de la parité
par le marché. On peut dès lors parler de crédibilité dans le sens où le taux de change fixe
n’était que très rarement testé.
Il était donc clair que tout le système, donc également ses vertus stabilisatrices, reposait sur la
notion de coopération active alliée à une forte crédibilité perçue par les spéculateurs.
II.4 : Les avantages et les inconvénients de l’étalon-or
Avec un tel système d’arrimage de la monnaie à l’or, la politique monétaire fut fortement
contrainte par le stock d’or mondial. L’avantage de cette limitation naturelle de la croissance
de la masse monétaire résidait dans l’absence d’inflation. Par contre, elle a eu pour
inconvénient majeur de dissocier largement la croissance de l’offre de monnaie de l’activité
économique réelle. Etant donné que les prix au sens large (prix des biens et services et
salaires) évoluaient lentement, les modifications conjoncturelles passaient par des ajustements
sur les quantités (fort chômage en période de dépression et capacités de production
insuffisantes en période de croissance). Le résultat en est une croissance économique un peu
plus faible mais surtout beaucoup plus variable lorsqu’on la compare à d’autres périodes. La
réputation de stabilité économique n’était peut-être pas totalement fondée si on compare la
période de 1870-1913 avec celle de 1946-1979 (il est vrai qu’après la première guerre
mondiale, l’instabilité était telle que la nostalgie de l’étalon-or pouvait se comprendre)
Indicateurs macroéconomiques pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni:
source: Burda et Wyplosz, 1998, Macroéconomie, une perspective européenne, De Boeck, p.561
Royaume-Uni
Etats-Unis
1870-1913 1946-1979 1870-1913 1946-1979
Taux de croissance du PIB/habitant:
Moyenne
1.4
2.4
1.9
2.1
Ecart-type
2.5
1.4
3.5
1.6
Inflation:
Moyenne
Coefficient de variation
-0.7
4.6
5.6
6.2
0.1
5.4
2.8
4.8
Croissance de la masse monétaire:
Moyenne
Coefficient de variation
1.5
1.6
5.9
1
6.1
0.8
5.7
0.5
II.5 : Les limites de l’ajustement automatique
Pour pouvoir fonctionner parfaitement, l’ajustement automatique des balances assuré par
l’étalon-or exigeait que chaque pays suive une discipline stricte en matière de couverture-or
de sa monnaie et garantisse la libre circulation des capitaux. Dans les faits, ce n’était pas
toujours le cas au moins pour deux raisons : la première tenait à la domination économique et
financière du Royaume-Uni, qui conféra de facto à la livre sterling le statut de monnaie
internationale de réserve, alors que sa gestion était d’abord fonction de la conjoncture
britannique. La seconde raison tenait au coût systémique d’une telle discipline en matière de
chômage et de variabilité de la croissance économique. Ainsi, la plupart des pays prirent
certaines libertés en matière de gestion monétaire. La puissance financière du Royaume-Uni a
largement facilité l'indépendance de sa politique monétaire. Avant 1914, le Royaume-Uni
était le plus grand exportateur mondial de capitaux, avec une position extérieure nette très
largement créditrice. Ainsi, il fournissait au reste du monde des avoirs en sterling (les
"balances sterling") qui finirent généralement par servir de devise de réserve pour les autres
banques centrales. Dans ces conditions, c'était la Banque d'Angleterre qui tendait à fixer le
taux d'intérêt pour le reste du monde, mais d’abord en fonction de la conjoncture britannique,
qui n'était pas nécessairement celle des autres pays européens. De plus, pour donner à la
politique monétaire britannique une marge de manœuvre suffisante en cas de modification de
la conjoncture, la Banque d'Angleterre prit rapidement l’habitude de ne pas couvrir ses
engagements (billets émis et réserves bancaires) à 100%, mais au mieux à 30-50%. De cette
façon, le Royaume-Uni échappait partiellement au mécanisme de l'ajustement automatique
des balances en déconnectant l'évolution de sa masse monétaire et, par voie de conséquence,
de son taux d'intérêt, des évolutions de sa balance courante. D'autres pays n'ont pas hésité non
plus à prendre des dispositions pour briser le lien étroit entre déficits commerciaux et encours
de la masse monétaire : limitations sur les exportations et les importations d'or ; couverture
des billets nationaux assurée davantage par des réserves en devises internationales (livre, mais
aussi franc français et mark allemand) que par des réserves en or. Malgré cela, il semble que
le système de l’étalon-or n’ait pas trop mal marché. En dépit de ses écarts, le Royaume-Uni,
pilier du système, a maintenu des taux d’intérêt relativement élevés, en liant d’une façon
étroite l’émission de billets à son encaisse métallique, alors qu’elle a toujours détenu très peu
d’or, beaucoup moins par exemple que la France. Une telle politique crédibilisait la livre mais
freinait le rythme des investissements et la croissance de l’économie britannique. De plus,
avant 1914, le rôle de la livre comme monnaie internationale de réserve demeura modeste, et
sans aucune commune mesure avec celui du dollar après la Seconde Guerre mondiale. Les
balances sterling restaient faibles, d’un montant à peu près égal à l’excédent de la balance des
services britanniques. Ce sont les deux conflits mondiaux qui vont les gonfler exagérément
(multiplication par deux puis par six), par le financement de l’effort de guerre qu’ils
entraînèrent.
II.6 : La mort de l’étalon-or classique
Durant la première décennie du XXème siècle, le système se dégrada petit à petit. Les raisons
majeures sont : l’émergence d’idées travaillistes, la montée en puissance (économique
notamment) des Etats-Unis d’Amérique, une nation qui avant ne faisait que partie de la
périphérie ainsi que des divergences politiques entre Etats qui ne cessèrent de croître jusqu’à
la guerre. Les idées travaillistes amenèrent un débat, jusque-là inexistant, sur les coûts de la
parité-or en terme de chômage. Ces idées émergèrent surtout aux Etats-Unis. La forte
croissance économique des USA entraîna une diminution de la puissance hégémonique de
l’Angleterre ainsi qu’un besoin vital de création d’une banque centrale américaine. Les
divergences politiques entamèrent passablement la coordination si importante dans le bon
fonctionnement du régime. En 1914, le système monétaire international s’effondra ; tout du
moins en pratique. Beaucoup de pays, souhaitant donner une façade de fausse « prospérité »,
voulurent à tout prix garder les statuts officiels les liant à l’or. Mais la guerre avec son énorme
besoin de dépenses budgétaires amena une forte création monétaire qui rendit parfaitement
non-crédible les parités d’antan.
III : Le flottement libre (1919-1926) et le retour au nouvel étalon-or:
Le souci principal des économies européennes à la fin de la première guerre mondiale était la
lutte contre l’inflation engendrée par un long conflit et par la reconstruction. L’Europe subit
une inflation plus forte que celle des Etats-Unis. De plus, il existait des écarts importants
d’inflation au sein même de l’Europe. Alors, en conformité avec la règle de la parité des
pouvoirs d’achat, les principales monnaies européennes se sont mises à flotter. La politique
anglaise avait pour but la restauration de la valeur de la livre par une politique d’austérité
budgétaire et de restriction monétaire fortement déflationniste. En 1921, la livre retrouvait sa
parité d’avant guerre avec le dollar. Toutefois, les prix britanniques étaient trop élevés par
rapport aux prix américains. La libre circulation de l’or ne fut rétablie qu’en 1925. Les EtatsUnis furent les premier à rentrer dans le nouveau système de l’étalon-or. L’Angleterre
rejoignit le système en 1925. La France revint à l’étalon-or en 1926 avec la stabilisation
Poincaré. L’Allemagne, l’Autriche et les pays d’Europe centrale ne revinrent à l’étalon-or
qu’après avoir cassé les reins à leurs hyperinflations (c.f. tableau 3 en annexe). Cette volonté
de revenir au système d’avant guerre venait de la peur d’un retour de l’inflation. La politique
déflationniste de l’Angleterre fut fortement critiquée par Keynes dès 1930. Elle était destinée
à maintenir le leadership du Royaume-Uni en matière financière. Au fait, cette politique s’est
révélée particulièrement désastreuse pour son industrie et sa croissance économique
puisqu’elle connu une croissance annuelle moyenne du PIB nettement inférieure à celle des
Etats-Unis ou de la France. Le taux de chômage, par contre, était nettement plus élevé en
Angleterre que dans ces deux pays.
IV : le retour désastreux à l’étalon-or (1927-1931/36) :
IV.1 : Introduction
A partir de 1927, la reconstruction du système de l’étalon-or était achevée. Il regroupait la
majeure partie du monde à l’exception de l’URSS, l’Espagne et la Chine. Toutefois, le climat
politique favorable lors du système de l’étalon-or classique n’était plus. Les désaccords
concernant les dettes et le montant des réparations portaient franchement atteinte au bon
déroulement des négociations. Vu que la gestion efficace du système monétaire international
passait par une coordination importante entre les membres, les différents politiques ne
permirent pas à cette coordination de se mettre en place. De plus, des divergences profondes
quant au cadre même du système se firent sentir. Il n’y avait plus une compréhension
commune du système mais des compréhensions diverses relatives aux expériences
économiques vécues. En particulier, les expériences individuelles différaient grandement par
rapport à la façon de lutter contre l’inflation. De plus, la puissance financière du RoyaumeUni avait subi de graves dommages durant la guerre et juste après. Il n’y avait plus une
puissance hégémonique pour assurer la coordination mais deux : Le Royaume-Uni et les
Etats-Unis. Le premier n’avait plus les capacités financières pour gérer le système monétaire
international comme il l’avait fait et le second n’en avait pas la volonté. Les Etats-Unis
n’étaient pas prêts à mettre en second plan leur propre économie afin de stabiliser l’économie
mondiale. Pour envenimer le tout, la montée des puissances syndicales indiquait clairement
que les pays ne seraient plus prêts à tous les sacrifices pour maintenir leur parité-or. La
crédibilité, co-fondatrice du système de l’étalon classique, semblait bien friable. Dans ces
conditions, les actions des spéculateurs risquaient d’être déstabilisatrices, amplificatrices de
chocs plutôt que stabilisatrices. De plus, tous les pays avaient aboli la convertibilité des billets
en or et suspendu ou limité la circulation des pièces d’or. L’ajustement automatique des
balances par le mécanisme de Hume disparut. Seule la convertibilité externe, l’échange de
devises, et la convertibilité des changes demeuraient. Les monnaies étaient convertibles en or
mais uniquement entre banques centrales, les nouvelles règles imposant un taux de
couverture-or des monnaies de 40%. Il faut également ajouter à cela le fait que beaucoup de
banques centrales européennes ne pouvaient pas effectuer les opérations d’ « open market »
de façon libre (nous verrons plus en détail dans la section VI, qui traite du biais déflationniste
du système, ce que ces deux contraintes impliquent).
Normalement, la coordination des politiques monétaires était prévue par la conférence de
Gênes de 1922 et devait pallier la disparition de l’ajustement automatique. Dans les faits, cette
coordination fut défaillante, en partie en raison du refus des Etats-Unis d’y participer.
IV.2 : Une simple identité pour comprendre le fonctionnement du système d’étalon-or
M1 = (M1 / Base) * ( Base / Res ) * ( Res / OR ) * Por * Qor
Avec :
M1 = Offre de monnaie (monnaie+billets en circulation+dépôts des banques commerciales)
Base = Base monétaire (monnaie+billets en circulation+réserves des banques commerciales)
Res = Réserves internationales de la banque centrale (actifs étrangers + OR)
OR = Por * Qor (réserves d’or de la banque centrale en monnaie du pays)
Por = prix officiel de l’or en monnaie domestique
Qor = quantité physique d’or dans les réserves d’or (en tonnes métriques)
Sous un système d’étalon-or, l’offre de monnaie d’un pays est affectée aussi bien par la
quantité d’or que la banque centrale détient que par le prix officiel de l’or auquel la banque
centrale accepte de vendre ou d’acheter l’or. En particulier, ceteris paribus, si la banque
centrale joue le jeu de la coopération, une entrée d’or (i.e. une augmentation de Qor) entraîne
une expansion monétaire de même qu’une dévaluation (augmentation du prix de l’or i.e. Por).
IV.3 : Explication des différents ratios
Cette ventilation de l’offre de monnaie permet de discerner l’origine des mouvements de la
masse monétaire. Dans ses calculs, Eichengreen utilise pour ces ratios des variations
cumulées des séries mensuelles logarithmiques à partir de juin 1928 pour huit pays. Lors de
ma présentation orale, je présenterai les résultats pour la Suisse et discuterai plus largement de
cette identité.
Premier ratio : M1 / Base
Ce ratio est communément appelé le multiplicateur monétaire. Il est utilisé comme indicateur
de crise bancaire. En effet, lorsque le public doute de la sûreté des banques, les individus vont
détenir plus d’espèces par rapport au montant de leurs dépôts. Ainsi, les banques se voient
obligées d’augmenter leurs réserves de liquidités pour se prémunir contre des retraits
importants et soudains. Ces deux effets cumulés : diminution des dépôts chez les banques
commerciales et augmentation des réserves des banques commerciales entraînent une
diminution du ratio M1 / Base (
dépôts =>
M1 ;
réserves =>
Base =>
M1 / Base).
Deuxième ratio : Base / Res
On peut comprendre ce ratio inversé (i.e. Res / Base) comme la prescription légale de
couverture i.e. les 40% cités plus haut (il faut toutefois relever des différences. La loi
prévoyait que les billets en circulation, et non la base monétaire, devaient être couverts au
moins à 40% par de l’or, et non par des réserves monétaires. De plus, les billets en circulation
devaient être couverts à 100% par des actifs qui comprenaient, outre l’or et les devises,
notamment les crédits d’escompte et les avances sur nantissement). Ainsi, si l’on accepte cette
hypothèse, le ratio Base / Res peut être perçu comme un indicateur de la politique monétaire.
Celui-ci indique si la banque centrale a neutralisé les effets que les variations des réserves
monétaires exercent sur la base monétaire en procédant à des opérations compensatoires en
matière d’escompte et d’avances sur nantissement ou si elle a toléré des effets, voir les a
accentués.
Troisième ratio : Res / OR
Ce ratio qui représente les réserves de la banque centrale sur les encaisses or indique comment
la banque centrale utilise ses réserves de devises.
Une analyse intéressante ressort de cette identité. Un taux de confiance élevé dans les banques
permet au ratio M1 / Base d’être élevé (analyse inverse de celle effectuée ci-dessus). De plus,
une confiance en le taux de change, ou plutôt en sa parité-or, permet aux banques centrales
d’avoir un ratio de couverture (Res / Base) relativement faible, ce qui implique un ratio Base /
Res relativement élevé. L’équilibre monétaire serait donc favorable, dans ce cas à une
expansion donnant aux banques des liquidités nécessaires à leur santé. Au contraire, des
anticipations pessimistes, par exemple des anticipations de ruée vers les banques et de
dévaluation peuvent avoir un effet auto-réalisateur ce qui entraînerait une compression de la
masse monétaire est dès lors empirerait le manque de liquidité des banques commerciales.
Ainsi un tel système possède deux équilibres de Nash conditionnés par les anticipations des
spéculateurs (ou des agents au sens large). Une explication plausible des problèmes bancaires
durant la Grande Crise serait le passage du système d’un bon équilibre à un mauvais équilibre
suite à une modification des anticipations.
IV.4 : La première chute du système : la sortie du Royaume-Uni en 1931
La surévaluation persistante de la monnaie anglaise révéla rapidement les dysfonctionnements
du système. La France et l’Allemagne, dont les monnaies respectives étaient sous-évaluées
par rapport à la livre menèrent une politique monétaire restrictive destinée à empêcher tout
retour de l’inflation. A partir de 1926, cette politique les conduisit à échanger leurs réserves
en livres contre de l’or, ce qui eut pour effet d’augmenter les stocks d’or allemands et français
au détriment des britanniques. Cependant, le déficit courant britannique et l’excédent français
persistèrent en raison de la fixité des changes et de l’absence d’ajustements sur les prix (voir
la section VI sur le biais déflationniste). La conséquence de l’absorption de l’or par la France
et l’Allemagne fut de pousser les autres banques centrales européennes à hausser leurs taux
d’intérêt et à restreindre le crédit pour juguler les sorties massives d’or et ainsi sauver leurs
réserves de plus en plus rares. Les Etats-Unis auraient pu rétablir le fonctionnement du
système. Ils étaient, en effet, détenteurs du plus important stock d’or mondial depuis 1918 :
une politique américaine d’expansion monétaire et de baisse des taux d’intérêt aurait
encouragé les sorties de capitaux des Etats-Unis et ainsi favorisé la redistribution de l’or dans
le monde. Au lieu de cela, à partir de 1927, la politique de la FED s’orienta vers un
durcissement des taux pour freiner la spéculation boursière et limiter la baisse du taux de
couverture du dollar par rapport à l’or provoqué par la croissance monétaire des années 1920.
Stock d'or en % des réserves mondiales:
source: Eichengreen, 1996, "Globalizing Capital: A History of the International Monetary System"
1923
1924
1925
1926
1927
1928
1929
1930
1931
Etats-Unis
44.4
45.7
44.4
44.3
41.6
37.4
37.8
38.7
35.9
Royaume-Uni
8.6
8.3
7.8
7.9
7.7
7.5
6.9
6.6
5.2
France
8.2
7.9
7.9
7.7
10
12.5
15.8
19.2
23.9
Allemagne
1.3
2
3.2
4.7
4.7
6.5
5.3
4.8
2.1
A partir de 1929 et le déclenchement de la Grande Dépression, les fuites d’or firent fondre les
réserves britanniques au point que le passif de la Banque d’Angleterre devint très supérieur à
ses réserves. En septembre 1931, elle décidait de suspendre la convertibilité externe de la livre
et de la laisser flotter librement. L’Allemagne, l’Autriche et la Norvège suivirent peu de
temps après cette décision. Les Etats-Unis sortirent du système en 1933 pour passer à un
étalon-or qualifié (c.f tableau 3).
IV.5 : Le dernier bloc-or : le dernier souffle du système
Alors que les Etats-Unis avaient renoncé au régime de l’étalon-or, les derniers pays restant
(Belgique, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suisse) constituèrent le bloc-or le 8 juillet 1933
à Paris. Suite aux dévaluations des Anglais et Américains notamment, ces pays virent leur
compétitivité internationale grandement diminuée. Suivant la logique du régime de parité-or,
ils n’eurent d’autre choix que de réduire leurs coûts de production et baisser le prix de leurs
produits. Cette politique se heurta violemment aux syndicats et autres groupes d’intérêts.
Durant les années suivantes, les pays du bloc-or furent l’objet de plusieurs attaques
spéculatives. La Belgique dévalua en mars 1935 à la suite d’une crise bancaire. La même
année, l’Italie et la Pologne instaurèrent des contrôles de capitaux ; de ce fait, le régime de
parité-or n’avait plus aucun sens pour eux. En 1936, quand le front populaire de Léon Blum
gagna les élections législatives françaises et commença son programme de réformes sociales,
le franc français subit de fortes pressions. Pour finir, le vendredi 25 septembre 1936, la France
renonça officiellement au régime de l’étalon-or et dévalua. A la fin de la semaine, la Suisse et
la Hollande suivirent. La dévaluation du franc suisse fut de 30%.
Les raisons qui poussèrent ces pays à rester dans un bloc-or sont diverses. Les plus citées sont
la peur d’une inflation vigoureuse et un sentiment de fierté national représenté par une
monnaie forte et un arrimage solide à l’or.
V : Relation entre reprise économique et durée d’arrimage à la parité-or :
V.1 : Introduction
La Grande Dépression se caractérise notamment par une forte contraction de la demande
agrégée. On peut alors se poser deux questions : premièrement, quelles sont les causes de
cette chute de la demande agrégée dans la fin des années 20 et le début des années 30 et
deuxièmement pourquoi la dépression a-t-elle été si longue ?
Les analyses effectuées sur le régime de l’étalon-or entre les deux guerres montrent que ce
régime est la cause principale de la contraction monétaire mondiale au début des années 30
qui elle-même est la cause de la contraction de la demande agrégée. Un autre fait observé est
la reprise économique plus rapide que connurent les pays qui sortirent plus tôt du régime de
parité-or. On observe donc une grande corrélation entre le taux de reprise économique et le
choix du régime de taux de change. La section suivante présente les modèles qu’Eichengreen
(1992) et Bernanke (2000) firent pour expliciter ce résultat.
V.2 :Un premier modèle
Bernanke a choisi treize variables macroéconomiques pertinentes pour montrer l’effet du
régime de change sur le taux et la vitesse de reprise d’une économie. Il a calculé pour chacune
de ces variables les changements logarithmiques (taux de croissance) selon le régime de
change adopté par les pays : dans le système d’étalon-or ou hors de ce système.
(Le tableau 1 en annexe montre les résultats du modèle. Les graphiques 1 à 13 explicitent
clairement ces résultats. Je vais commenter ceux qui me semblent importants)
Graphique 1 :
La production manufacturière a connu un taux de reprise significatif dès 1931 pour les pays
sortis de la parité-or. Pour les autres, la hausse ne s’est produite qu’avec un retard après un
taux de croissance toujours négatif. Même si la progression après 1932 fut plus grande, ces
pays connurent une rechute en 1933. Rechute qui ne vint que plus tard pour les pays ayant
abandonné l’étalon-or. Je pense que cette rechute est due aux diverses dévaluations
compétitives qui eurent lieu.
Graphique 2 :
Les pays du bloc-or n’ont pas connu une remontée des prix aussi grande que les autres. Il est
certain que la poursuite du régime de l’étalon-or entraîne la déflation par une rigidité
excessive de la masse monétaire. L’évolution des prix est à mettre en parallèle avec
l’évolution de la production.
Graphique 3 :
Les pays ayant quittés le régime de l’étalon-or ont pu augmenter significativement leur masse
monétaire qui n’était plus contrainte par le respect de l’ancienne parité. Le bloc-or a aussi
tenté d’aller dans ce sens mais les attaques spéculatives les ont contraints à retourner à des
politiques restrictives. La baisse drastique de la croissance monétaire après 1934 en est la
preuve.
Graphique 7 :
La croissance de l’emploi dans le bloc-or a tardé à augmenter comparativement aux autres. Ce
choix de régime de change les a entraînés vers des taux de croissance de l’emploi à nouveau
négatifs au cours de l’année 1935. On peut alors comprendre les pressions qui furent exercées
sur les gouvernements par les syndicats et les travailleurs.
Graphique 11 :
Les exportations réelles ont pu croître plus vite pour les pays ayant dévalué leur monnaie.
Même si le bloc-or a connu une croissance significative en 1932, cette croissance a été
retardée par leur régime de change. De plus, les pays hors du bloc-or ont des taux toujours
supérieurs aux leurs.
Ces graphiques montrent clairement la relation qu’il y a entre sévérité de la crise et ancrage au
système de l’étalon-or.
V.3 :La régression
Le tableau 2 représente les résultats de la régression des treize variables macroéconomiques
précédentes sur deux variables : « dans l’étalon-or » et « panique ». La première de ces
variables peut être interprétée en nombre de mois durant lesquels le régime de l’étalon-or a été
maintenu. La variable « panique » peut être interprétée en nombre de mois durant lesquels les
pays ont subi des ruées sur leurs banques. L’idée derrière ce modèle est la même que
précédemment : expliciter le lien entre sévérité de la crise et régime de change. Il est
intéressant de noter que la durée du régime de change fixe semble avoir un impact marqué et
négatif sur la production, l’offre de monnaie, les prix ,l’emploi. L’impact sur les salaires réels
est significatif est positif. Il montre la rigidité des prix à remonter dans un tel régime. Les
ruées sur les banques ont un impact significatif sur la production, l’offre de monnaie, le ratio
M1 / monnaie, les salaires nominaux, l’emploi et les importations réelles. L’effet sur les taux
d’intérêt réels ex-post est par contre positif. Il est logique d’imaginer que dans un cas de
panique, les taux d’intérêts risquent fortement d’augmenter.
La conclusion amenée par ce modèle est de la même nature que pour le premier. Le choix du
régime de change peut entraîner des effets significatifs et souvent négatifs sur l’économie
réelle. On peut dès lors fortement penser que si tous les pays s’étaient sortis du régime de
l’étalon-or en 1931, la reprise mondiale aurait été nettement plus importante. La sévérité et la
durée de la crise sont donc effectivement fortement corrélées avec le fait d’avoir quitté ou non
le bloc-or.
VI : Biais déflationniste du régime de l’étalon-or :
VI.1 : Introduction
La mauvaise gestion du régime de l’étalon-or a entraîné la déflation mondiale de la fin des
années 20 et du début des années 30. Ce furent les conditions financières et monétaires
chaotiques ( hyperinflation en Europe centrale et inflation dans le monde entier) qui
amenèrent un désir puissant de revenir à un régime d’étalon-or. La perception qu’il n’y avait
pas assez d’or pour satisfaire la demande mondiale sans déflation existait à la base. C’est pour
cela qu’à la conférence de Gênes de 1922, les pays participants recommandèrent l’adoption
d’un standard de change-or dans lequel des réserves de change étrangères (principalement des
$ et des £) aussi bien que d’or seraient utilisées pour contrebalancer l’offre de monnaie.
L’idée derrière ce processus était « d’économiser » sur l’or. Au fait, comme nous l’avons vu,
des monnaies-clés comme la livre étaient déjà utilisées comme réserves avant la guerre. Le
traité de Gênes devait permettre d’officialiser et d’étendre cette pratique. Néanmoins, cette
règle a entraîné des failles irrémédiables dans le système.
VI.2 : Asymétrie entre pays à surplus / déficit par rapport à la réponse monétaire
requise lors de flux d’or
Selon les règles du jeu, nécessaires au bon fonctionnement du système, une banque centrale
qui voyait ses réserves d’or augmenter était supposée augmenter son offre de monnaie ce qui
engendrerait de l’inflation. Au contraire, une banque centrale qui voyait ses réserves fondre
devait enclencher le mécanisme inverse. En pratique, le besoin absolu d’éviter une perte totale
de réserve et alors de ne plus pouvoir assurer la convertibilité force un pays déficitaire à
toujours appliquer cette règle. Pourtant, de l’autre côté, aucune sanction ne pénalise le pays à
surplus d’or de stériliser ses entrées d’or (c’est à dire de ne pas augmenter son offre de
monnaie) et alors d’accumuler indéfiniment de l’or si des objectifs domestiques rendent ce
processus désirable. Cette asymétrie entraîne un biais déflationniste potentiel dans les
opérations de cet étalon-or. Cette asymétrie existait déjà lors du régime classique mais avec
une différence importante. Avant la guerre, les opérations étaient « contrôlées » par la Banque
d’Angleterre. Ainsi, la Banque d’Angleterre devait posséder suffisamment d’or pour garantir
la convertibilité de la livre mais comme une institution recherchant des profits, elle avait
également une forte incitation à ne pas garder trop d’or (à opposer à des actifs rapportant des
intérêts). La Banque d’Angleterre gérait donc le système (avec l’assistance des autres banques
centrales) pour éviter les entrées ainsi que les sorties soutenues d’or. Elle arrivait à assurer la
convertibilité avec un niveau relativement bas de réserves d’or. Mais au contraire, les deux
plus grands pays à surplus d’or lors du régime d’étalon-or d’entre-guerre (les USA et la
France) avaient peu d’incitations à ne pas accumuler de l’or. Le biais déflationniste était
amplifié par des statuts de réserve (les 40%) imposés sur la majorité des banques centrales
(surtout les nouvelles) après la guerre. Cela voulait dire qu’une grande partie de l’or était
immobilisée dans les réserves et ne pouvait donc pas être utilisée pour corriger les
déséquilibres. Ainsi, les banques centrales avaient de grandes incitations à stériliser leurs
opérations au lieu d’augmenter leur offre de monnaie pour rééquilibrer le système. Un
deuxième effet par rapport à un statut de réserve minimum se retrouve dans la relation entre
contraction monétaire et sortie d’or. Avec des réserves fractionnaires, la relation entre sortie
d’or et contraction monétaire n’est plus de 1 pour 1 : avec 40% de réserves obligatoires par
exemple, l’impact sur l’offre de monnaie d’une sortie d’or est 2.5 fois la perte externe. A
nouveau, un déficit d’or peut causer immédiatement une pression déflationniste qui ne sera
pas balancée par une poussée inflationniste. L’asymétrie est donc démontrée.
VI.3 : Le pouvoir insuffisant des banques centrales
Pour la majorité des banques centrales d’Europe, les opérations d’ « open-market » étaient
limitées ou interdites. Ces limitations de pouvoir résultaient des programmes de stabilisations
des années 20 afin d’empêcher la monétarisation des déficits budgétaires qui créent de
l’inflation. Cela obligeait les banques centrales à utiliser le taux d’escompte (à quel terme la
banque centrale prête aux banques commerciales) comme principal instrument pour
influencer l’offre de monnaie. Excepté en période de crise, le contrôle de l’offre d monnaie
par les banques centrales était faible. La perte du lien entre banque centrale et offre de
monnaie a engendré quelques bénéfices dans les années 30 lorsque cela a modéré les sorties
de réserves. Sinon, dans la majorité des cas, cette impossibilité d’intervenir librement sur le
marché des changes a été déstabilisatrice. Par exemple, la Banque de France était une de ces
institutions qui ne pouvaient agir librement. Elle a eu, comme nous l’avons vu, des entrées
massives d’or jusqu’en 1932. Ces contraintes légales ont limité sa capacité à répercuter les
entrées d’or sur son offre de monnaie et donc de faire une politique expansionniste ce qui
aurait équilibré le système. Cette incapacité de la Banque de France
a engendré de la
déflation dans le reste du monde alors que l’or continuait d’arriver en France.
Ces deux raisons montrent bien le problème systémique inhérent au système de l’étalon-or
d’après-guerre. Le régime-or a donc été le canal principal par lequel les poussées
déflationnistes se sont propagées à travers le monde entier causant les ravages économiques
que l’on sait.
Conclusion
Ce travail tend à montrer que la sévérité de la Grande Dépression a été amplifiée par le
système monétaire international. Même s’il est parfaitement compréhensible que des
gouvernements cherchèrent un cadre monétaire permettant d’empêcher le retour de l’inflation
après les terribles années d’après-guerre, ils auraient dû chercher à comprendre les raisons du
(relatif) succès de l’étalon-or du XIXème siècle plutôt que de s’engouffrer à l’aveugle dans un
système similaire mais, en fait fort différent. Différent de par les modifications politiques et
économiques survenues après la guerre. Ironiquement, le choix d’un système à fort potentiel
déflationniste a causé des dommages tout aussi conséquents que lors de périodes
inflationnistes. Je pense que le maître mot de ce projet est la coopération. Si elle n’avait fait à
ce point défaut, peut-être que les vertus stabilisatrices du système auraient empêché une
dépression aussi violente de voir le jour.
Bibliographie
-
BERNANKE S. BEN, 2000, Essays on the Great Depression, Princton University
Press, New Jersey
-
BURDA M. Et WYPLOSZ C., 1998, « Macroéconomie, une perspective
européenne », De Boeck
-
EICHENGREEN BARRY, 1992, « Golden Fetters : The Gold Standard and the Great
Depression, 1919-1939”, Oxford University Press, Oxford
-
GREENSPAN ALAN, july 1966, “Gold and Economic Freedom”, The Objectivist
-
ZURLINDEN MATHIAS, 2/2003, “Régime de l’étalon-or, déflation et dépression:
l’économie suisse dans la crise économique mondiale”, Bulletin trimestriel, Banque
Nationale Suisse
Tableau 1 : Sélection d'indicateurs macroéconomiques: comportement moyen des ces
variables pour des pays appartenant ou non à l'étalon or, 1930-1936:
source: Bernanke, "Essays on the great depression", 2000, Table 2: pp. 18-19
1930
1931
1932
1933
1934
1935
1936
1) Production du secteur manufacturier (chgmnt log):
moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.066 -0.116 -0.09 0.076
-0.117 -0.173 0.068
-0.113 -0.057 0.078
2) Prix de gros (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.116 -0.122 -0.045 -0.017 0.018 0.024 0.048
-0.14 -0.133 -0.065 -0.037 -0.038
-0.084 -0.011 -0.002 0.033 0.036
3) M1 offre de monnaie (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
0.016 -0.088 -0.068 -0.006 0.019 0.027 0.074
-0.094 -0.088 -0.045 -0.013 -0.067
-0.076 -0.06 0.007 0.028 0.046
4) Ratio M1/monnaie (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
5) Salaires Nominaux (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
6) Salaires réels (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
7) Emploi (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
8) Taux d'intérêt nominal (points de %):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
9) Taux d'intérêt réel ex-post (points de %):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
0.1
0.074 0.072
0.025 -0.001
0.12 0.008
0.03
-0.129 -0.006 -0.024 -0.002 -0.011 -0.011
-0.142 -0.052 -0.009 -0.016 -0.037
-0.102 0.014 -0.03 0.002 -0.006
0.004
-0.03 -0.053 -0.03 -0.002 -0.001 0.031
-0.027 -0.07 -0.033 -0.031 -0.022
-0.039 -0.045 -0.029 0.007 0.004
0.122
0.094
0.11
0.059
0.007 -0.009 -0.023 -0.022 -0.018
0.064 0.032 0.005 0.016
-0.02 -0.025 -0.032 -0.031
-0.066 -0.117 -0.074 0.05
-0.113 -0.137 0.006
-0.127 -0.047 0.065
0.096 0.064 0.068
0.028 -0.016
0.113 0.083
5.31
5.43
5.22
5.9
5.29
4.2
5.68
4.37
3.69
4.56
3.97
3.26
4.13
3.89
4.05
3.86
3.79
16.89
9.39
10.38
7.16
6.51
9.41
5.47
2.78
6.94
1.64
1.11
3.35
0.61
-1.19
-4.92
-0.62
-8.93
0.084 -0.067
0.14 -0.112
0.07 -0.058
0.39
10) Prix relatif des exportations (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.033 -0.011 -0.047 0.076
0.003 -0.019 0.134
-0.04 -0.058 0.058
11) Exportations réelles (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.073 -0.179 -0.222 0.014 0.056 0.021 0.072
-0.193 -0.292 -0.008 0.015 -0.024
-0.146 -0.192 0.021 0.067 0.03
12) Importations réelles (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.071 -0.211 -0.264 0.004 0.038 -0.02 0.049
-0.159 -0.25 -0.006 -0.067 -0.012
-0.315 -0.271 0.008 0.07 0.027
13) Prix réel des actions (chgmnt log):
Moyenne
Dans l’étalon or
Hors de l’étalon or
-0.107 -0.186 -0.214 0.133 0.06 0.091
-0.181 -0.219 0.139 -0.028 0.062
-0.198 -0.211 0.13 0.092 0.098
0.115
Graphiques selon le tableau 1 :
1) Production du secteur manufacturier (chgmnt
log):
0.15
0.1
0.05
moyenne
0
Dans l'étalon-or
-0.05
Hors de l'étalon-or
-0.1
-0.15
-0.2
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
2) Prix de gros (chgmnt log):
0.1
0.05
moyenne
0
Dans l'étalon-or
-0.05
Hors de l'étalon-or
-0.1
-0.15
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
3) M1 Offre de monnaie (chgmnt log):
0.1
0.08
0.06
0.04
0.02
0
-0.02
-0.04
-0.06
-0.08
-0.1
-0.12
moyenne
Dans l'étalon-or
Hors de l'étalon-or
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
4) Ratio M1/monnaie (chgmnt log):
0.04
0.02
0
-0.02
-0.04
-0.06
-0.08
-0.1
-0.12
-0.14
-0.16
moyenne
Dans l'étalon-or
Hors de l'étalon-or
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
5) Salaires nominaux (chgmnt log):
0.04
0.02
0
moyenne
-0.02
Dans l'étalon-or
Hors de l'étalon-or
-0.04
-0.06
-0.08
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
6) Salaires réels (chgmnt log):
0.14
0.12
0.1
0.08
moyenne
0.06
Dans l'étalon-or
0.04
Hors de l'étalon-or
0.02
0
-0.02
-0.04
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
7) Emploi (chgmnt log):
0.15
0.1
0.05
moyenne
0
Dans l'étalon-or
Hors de l'étalon-or
-0.05
-0.1
-0.15
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
8) Taux d'intérêts nominaux (points de % ):
7
6
5
moyenne
4
Dans l'étalon-or
3
Hors de l'étalon-or
2
1
0
1930
1931
1932
1933
1934
1935
1936
9) Taux d'intérêts réels ex-post (points de % ):
20
15
10
moyenne
5
Dans l'étalon-or
0
Hors de l'étalon-or
-5
-10
-15
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
10) Prix relatifs des exportations (chgmnt log):
0.2
0.15
0.1
moyenne
0.05
Dans l'étalon-or
0
Hors de l'étalon-or
-0.05
-0.1
-0.15
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
11) Exportations réelles (chgmnt log):
0.1
0.05
0
-0.05
moyenne
-0.1
Dans l'étalon-or
-0.15
Hors de l'étalon-or
-0.2
-0.25
-0.3
-0.35
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
12) Importations réelles (chgmnt log):
0.1
0.05
0
-0.05
moyenne
-0.1
Dans l'étalon-or
-0.15
Hors de l'étalon-or
-0.2
-0.25
-0.3
-0.35
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
13) Prix réels des actions (chgmnts log):
0.2
0.15
0.1
0.05
moyenne
0
Dans l'étalon-or
-0.05
Hors de l'étalon-or
-0.1
-0.15
-0.2
-0.25
1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936
Tableau 2: Sélections d'indicateurs macroéconomiques: régression sur l’Etalon OR et
sur un dummy représentant les paniques bancaires, 1931-1935:
source: Bernanke, "Essays on the great depression", 2000, Table 3: pp. 20-21:
variable dépendante
production du secteur manufacturier
(t-stat)
Dans l'étalon or:
1a
1b
(t-stat)
prix de gros
2a
2b
M1 Offre de monnaie
3a
3b
Ratio M1/monnaie
4a
4b
Salaires Nominaux
5a
5b
Salaires réels
6a
6b
-0.0704
(4.04)
-0.496
(2.80)
-.0914
(8.20)
-0.0885
(7.47)
-0.0534
(3.26)
-0.0344
(2.06)
-0.0329
(1.91)
-0.0176
(0.99)
-0.0204
(2.62)
-0.0145
(1.78)
0.0605
(5.84)
0.0656
(5.99)
Panique
R2 ajusté
0.601
-.0926
(3.50)
0.634
0.622
-0.0129
(0.73)
0.620
0.297
-0.0846
(3.40)
0.352
0.263
-0.0680
(2.55)
0.294
0.196
-0.0262
(2.16)
0.219
0.466
-0.0230
(1.41)
0.470
Emploi
7a
7b
Taux d'intérêt nominaux
8a
8b
Taux d'intérêt réels ex-post
9a
9b
Prix relatif des exportations
10a
10b
Exportations réelles
11a
11b
Importations réelles
12a
12b
Prix réel des actions
13a
13b
-0.0610
(4.38)
-0.0507
(3.48)
-1.22
(2.83)
-1.00
(2.20)
2.70
(2.07)
2.16
(1.56)
0.0464
(1.70)
0.0288
(1.00)
-0.0745
(2.08)
-0.0523
(1.39)
-0.000
(0.00)
0.0232
(0.75)
-0.0299
(1.12)
-0.0206
(0.72)
0.557
-0.0458
(2.10)
0.569
0.109
-0.97
(1.43)
0.116
0.264
2.39
(1.16)
0.266
0.198
0.0783
(1.83)
0.213
0.323
-0.0990
(1.76)
0.334
0.416
-0.1036
(2.25)
0.435
0.354
-0.413
(0.97)
0.354
Tableau 3: Sélection de pays dans le système d'étalon or, 1919-1937:
source: Eichengreen, 1992, "Golden Fetters", Table 7.1: pp. 188-191
Pays
1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937
Autriche
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Belgique
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
France
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Allemagne
x
x
x
x
x
x
x
x
Italie
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Japon
x
x
x
x
x
x
Hollande
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Norvège
x
x
x
x
Pologne
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Portugal
x
Espagne
Suède
x
x
x
x
x
x
x
x
Suisse
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Roy.-Uni
x
x
x
x
x
x
x
USA
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Q
Q
Q
Q
USSR
X := Etalon or
Q := Etalon or qualifié
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