Projet d’histoire économique : Enseignant : Jean-Christian Lambelet Assistant : Siméon Stoitzev Le rôle du système monétaire international et perspective comparative Stéphane Fischhoff Table des matières : Introduction 1 Plan de mon travail 1 I : Pourquoi un système monétaire basé sur l’or ? 1 II : L’âge d’or de l’étalon-or (1879-1914) 2 II.1 : Introduction 2 II.2 : La coopération 3 II.3 : La crédibilité 4 II.4 : Les avantages et les inconvénients de l’étalon-or 4 II.5 : Les limites de l’ajustement automatique 5 II.6 : La mort de l’étalon-or classique 6 III : Le flottement libre (1919-1926) et le retour au nouvel étalon-or : 7 IV : Le retour désastreux à l’étalon-or (1927-1931/36) 8 IV.1 : Introduction 8 IV.2 : Une simple identité pour comprendre le fonctionnement du système d’étalon-or 9 IV.3 : Explication des différents ratios 9 IV.4 : La première chute du système : la sortie du Royaume-Uni en 1931 11 IV.5 : Le dernier bloc-or : le dernier souffle du système 12 V : Relation entre reprise économique et durée d’arrimage à la parité-or : 12 V.1 : Introduction 12 V.2 : Un premier modèle 13 V.3 : La régression 14 VI : Biais déflationniste du régime de l’étalon-or : 14 VI.1 : Introduction 14 VI.2 : Asymétrie entre pays à surplus/déficit par rapport à la réponse monétaire 15 requise lors de flux d’or VI.3 : Le pouvoir insuffisant des banques centrales 16 Conclusion 16 Bibliographie 18 Annexes 19 Introduction La Grande Dépression est un sujet complexe. Comme tous les sujets complexes, il n’existe pas de cause unique. Mon travail a pour but d’en expliciter une : le système monétaire international. Tout au long de mon exposé, j’espère réussir à vous convaincre de l’importance qu’a joué cette variable dans le puzzle de la Grande Crise. L’effet peut-être le plus pervers est celui de canal de transmission de la déflation dans le monde entier. Ce que je vais essayer de montrer également, c’est qu’un même système implémenté de façon légèrement différente dans deux époques passablement différentes peut conduire à des résultats catastrophiques. Un dernier point important est le lien sans cesse vérifié entre politique et économie. Plan de mon travail Je vais commencer par expliquer la raison pour laquelle l’or a été choisi comme métal de référence. Ensuite, j’expliquerai les raisons du relativement bon fonctionnement du premier système d’étalon-or entre 1879 et 1914. Je n’oublierai pas de parler de ses inconvénients. L’échec du second système peut être compris en comparant les deux régimes et principalement par les différences de comportements des acteurs principaux durant ces deux périodes. Je continuerai par montrer que les pays qui ont renoncé le plus rapidement à l’étalon-or ont connu une reprise économique plus rapide. Je finirai par expliciter le biais déflationniste du système d’entre-guerre ; Beaucoup d’indices montrent que la déflation qui sévit lors de la Grande Crise a été en grande partie causée par le régime monétaire international déficient. Les analyses que je propose dans ce travail sont très largement tirées d’Eichengreen (1992) et de Bernanke (2000). Lors de ma présentation orale, je reprendrai certains points théoriques que je présente dans ce travail. Ensuite, j’appliquerai ces analyses comparatives au cas de la Suisse. I : Pourquoi un système monétaire basé sur l’or ? L’instrument d’échange accepté par tous les participants d’une économie n’est pas déterminé arbitrairement. Premièrement, il faut que cet instrument d’échange soit durable afin d’être stocké. Dans une société primitive, le blé pourrait parfaitement jour ce rôle d’échange. Les échanges auraient lieu durant la moisson ne laissant aucun surplus à stocker. Mais dans nos économies plus riches, les considérations de stockage sont importantes ; ainsi le choix d’un instrument métallique est compréhensible. De plus, un métal est homogène et divisible : chaque unité est semblable à l’autre et il peut être fondu et frappé dans n’importe quelle quantité. Deuxièmement et plus crucial, la marchandise choisie comme moyen d’échange doit être un bien de luxe : le désir humain pour le luxe est illimité de sorte qu’il y aura toujours une demande pour un tel bien. Le luxe implique la rareté ainsi qu’une grande valeur unitaire : ce bien sera donc plus facile à transporter (une once d’or vaut une demi-tonne de fonte). Il est parfaitement envisageable, au cours de la première étape de développement d’un système monétaire, que plusieurs instruments soient choisis comme base d’échange. Néanmoins, au cours du temps, le « plus acceptable » sera définitivement accepté comme unique et par ce processus deviendra encore plus acceptable. Savoir si cet instrument est l’or, l’argent ou le tabac dépend du niveau de développement de l’économie. Au fait, chacun de ces matériaux a été, à un moment ou un autre, le pilier des échanges. L’or finira par seul rester en tête de liste (bien que l’argent lui fît concurrence lors de systèmes bimétalliques) : il est durable, transportable homogène, divisible et a toujours été considéré comme un bien de luxe. II : L’âge d’or du régime de l’étalon-or (1879-1914) : II.1 : Introduction Le système de l’étalon-or, qui est un régime de change fixe, a fonctionné de 1879 à 1914. Issu de l’échec du système bimétallique, il ne survivra pas à la crise économique et financière créée par la première guerre mondiale. Néanmoins, cette période a la réputation de grande stabilité commerciale et financière (même si certaines crises noircissent parfois le paysage) ; stabilité qui fut essentiellement imputée au régime de change fixe basé sur un étalon-or. C’est d’ailleurs cette réputation qui entraînera la création d’un second régime d’étalon-or, nettement moins performant comme nous allons le voir, après la première guerre mondiale. Regardons maintenant comment fonctionnait ce système et quelles étaient les raisons de cette stabilité économique. Le succès de l’étalon-or a été imputé à ses mécanismes d’ajustement automatique. Cette capacité d’ajustement s’expliquait par le lien établi par l’étalon-or entre les conditions économiques nationales et internationales. Pour bien fonctionner, l’étalon-or supposait une libre circulation internationale de l’or, autrement dit la liberté des mouvements internationaux des capitaux. Le mécanisme d’ajustement automatique de la balance des paiements qui opérait est connu sous le nom de mécanisme de Hume. Imaginons que suite à un choc, un pays enregistre un déficit commercial. Ce pays va alors perdre de l’or au bénéfice de ses partenaires commerciaux, ce qui a pour effet de contracter son offre de monnaie et de gonfler celle de ses partenaires. La Banque centrale du pays en déficit va augmenter ses taux d’intérêts ce qui aura pour effet un afflux de capitaux étrangers, les placements dans ce pays devenant plus rentables par rapport au reste du monde. L’excédent ainsi créé du compte financier contrebalance le déficit commercial. De plus, la contraction de l’offre de monnaie réduit les prix domestiques par une pression déflationniste, ce qui améliore sensiblement la compétitivité du pays et tend, finalement, à rétablir son équilibre commercial. Toutefois, pour que ces mécanismes puissent fonctionner d’une façon cohérente, deux éléments nécessaires sont requis : la coopération internationale entre banques centrales ainsi que la crédibilité de l’arrimage des monnaies à l’or. Kindleberger (1973) parle d’un troisième facteur de même importance pour le fonctionnement d’un régime d’étalon-or : l’hégémonie d’une nation sur les autres (hegemonic stability theory). Au fait, ces trois éléments sont étroitement liés : en effet, lors de périodes de manque de crédibilité du régime de change fixe, il fallait, pour maintenir le système sur les rails une augmentation de la coopération internationale. Cette coopération prenait souvent la forme d’un jeu appelé « suis le chef ! » (follow the leader) et ce chef était la Banque d’Angleterre. II.2 : La coopération Pour qu’un système de change fixe international puisse fonctionner sans heurts, il faut une acceptation tacite des partenaires quant aux règles du jeu et donc au cadre monétaire à adopter. Une telle entente demande un climat politique serein. Effectivement, cette période de fin du XIXème siècle est une période relativement calme de ce point de vue. Par acceptation des règles il faut comprendre qu’un pays, qui suite à un déséquilibre d’une nation partenaire dans sa balance commerciale, voit l’or affluer sur son territoire ne va pas stériliser cet afflux mais va le retranscrire sur son offre de monnaie en l’augmentant. Cette augmentation engendrera une poussée inflationniste, une pression à la hausse sur son taux de change et ainsi une diminution de sa compétitivité. La croissance effectivement réalisée sera plus faible qu’en change flottant sans contrainte (l’argument est du même type lorsqu’il s’agit d’une nation qui doit faire face à une sortie d’or : l’effet de la contrainte de la parité sera une augmentation du chômage). Pourtant, sous l’hégémonie de la Banque d’Angleterre, tous les pays acceptaient, à la fin, ces mesures stabilisatrices, pourtant désagréables pour l’économie locale (La plupart d’entre eux prirent tout de même certaines libertés en terme de gestion monétaire comme je vais l’expliciter au point II.4). Mais c’est en période de crise que la coopération internationale prend tout son sens. Même si la plupart du temps, la Banque d’Angleterre jouait le rôle de prêteur de dernier ressort, lorsque la livre sterling était attaquée, elle se transformait en emprunteur de dernier ressort. C’est à ce moment-là que les autres banques centrales arrivaient à la rescousse : soit en lui prêtant des liquidités, soit en allant directement racheter des livres sur le marché des changes pour sauver la parité. Dans le cas de crises graves, la Banque d’Angleterre ne pouvait stabiliser à elle seule le système, il fallait une coopération de tous les acteurs du système. Comme tous les pays pensaient que ce cadre monétaire était le bon, ils étaient prêts à intervenir lorsque l’un ou l’autre connaissait des difficultés et acceptaient les termes de la stabilisation qui impliquaient souvent des politiques contre-productive pour l’économie nationale. Il y avait une véritable volonté internationale pour faire tenir ce système. Dans un tel cas de figure, les forces stabilisatrices pouvaient fonctionner pleinement. II.3 : La crédibilité Par crédibilité, il faut comprendre le sentiment des investisseurs de tout bord quant à la volonté des pays en parité-or de défendre, quel qu’en soit le prix, cette parité. Il est certain que la coopération sus-mentionnée a une importance clé sur la crédibilité. De plus, sans aucune pression politique de mouvements de travailleurs (les chômeurs étaient considérés comme des vagabonds, des malpropres à cette époque) ou de groupements d’exportateurs, les autorités monétaires n’avaient que peu d’incitations à vouloir sortir du système de l’étalon-or. Une résultante de cet environnement était les actions stabilisatrices des spéculateurs. Quand une banque centrale perdait des réserves d’or, des pressions à la baisse sur son taux de change se faisaient sentir. Mais plutôt que de miser sur une probable dévaluation et donc d’aggraver le phénomène, les spéculateurs anticipaient la hausse des taux d’intérêts futurs que ne manquerait pas d’entraîner la réaction de la banque centrale. Les capitaux arrivaient massivement et rapidement pour rétablir l’équilibre sur la balance des paiements. Souvent, la stabilisation se produisait sans aucune intervention de la banque centrale, seules les anticipations des spéculateurs la produisait. Il n’y avait pas de remise en question de la parité par le marché. On peut dès lors parler de crédibilité dans le sens où le taux de change fixe n’était que très rarement testé. Il était donc clair que tout le système, donc également ses vertus stabilisatrices, reposait sur la notion de coopération active alliée à une forte crédibilité perçue par les spéculateurs. II.4 : Les avantages et les inconvénients de l’étalon-or Avec un tel système d’arrimage de la monnaie à l’or, la politique monétaire fut fortement contrainte par le stock d’or mondial. L’avantage de cette limitation naturelle de la croissance de la masse monétaire résidait dans l’absence d’inflation. Par contre, elle a eu pour inconvénient majeur de dissocier largement la croissance de l’offre de monnaie de l’activité économique réelle. Etant donné que les prix au sens large (prix des biens et services et salaires) évoluaient lentement, les modifications conjoncturelles passaient par des ajustements sur les quantités (fort chômage en période de dépression et capacités de production insuffisantes en période de croissance). Le résultat en est une croissance économique un peu plus faible mais surtout beaucoup plus variable lorsqu’on la compare à d’autres périodes. La réputation de stabilité économique n’était peut-être pas totalement fondée si on compare la période de 1870-1913 avec celle de 1946-1979 (il est vrai qu’après la première guerre mondiale, l’instabilité était telle que la nostalgie de l’étalon-or pouvait se comprendre) Indicateurs macroéconomiques pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni: source: Burda et Wyplosz, 1998, Macroéconomie, une perspective européenne, De Boeck, p.561 Royaume-Uni Etats-Unis 1870-1913 1946-1979 1870-1913 1946-1979 Taux de croissance du PIB/habitant: Moyenne 1.4 2.4 1.9 2.1 Ecart-type 2.5 1.4 3.5 1.6 Inflation: Moyenne Coefficient de variation -0.7 4.6 5.6 6.2 0.1 5.4 2.8 4.8 Croissance de la masse monétaire: Moyenne Coefficient de variation 1.5 1.6 5.9 1 6.1 0.8 5.7 0.5 II.5 : Les limites de l’ajustement automatique Pour pouvoir fonctionner parfaitement, l’ajustement automatique des balances assuré par l’étalon-or exigeait que chaque pays suive une discipline stricte en matière de couverture-or de sa monnaie et garantisse la libre circulation des capitaux. Dans les faits, ce n’était pas toujours le cas au moins pour deux raisons : la première tenait à la domination économique et financière du Royaume-Uni, qui conféra de facto à la livre sterling le statut de monnaie internationale de réserve, alors que sa gestion était d’abord fonction de la conjoncture britannique. La seconde raison tenait au coût systémique d’une telle discipline en matière de chômage et de variabilité de la croissance économique. Ainsi, la plupart des pays prirent certaines libertés en matière de gestion monétaire. La puissance financière du Royaume-Uni a largement facilité l'indépendance de sa politique monétaire. Avant 1914, le Royaume-Uni était le plus grand exportateur mondial de capitaux, avec une position extérieure nette très largement créditrice. Ainsi, il fournissait au reste du monde des avoirs en sterling (les "balances sterling") qui finirent généralement par servir de devise de réserve pour les autres banques centrales. Dans ces conditions, c'était la Banque d'Angleterre qui tendait à fixer le taux d'intérêt pour le reste du monde, mais d’abord en fonction de la conjoncture britannique, qui n'était pas nécessairement celle des autres pays européens. De plus, pour donner à la politique monétaire britannique une marge de manœuvre suffisante en cas de modification de la conjoncture, la Banque d'Angleterre prit rapidement l’habitude de ne pas couvrir ses engagements (billets émis et réserves bancaires) à 100%, mais au mieux à 30-50%. De cette façon, le Royaume-Uni échappait partiellement au mécanisme de l'ajustement automatique des balances en déconnectant l'évolution de sa masse monétaire et, par voie de conséquence, de son taux d'intérêt, des évolutions de sa balance courante. D'autres pays n'ont pas hésité non plus à prendre des dispositions pour briser le lien étroit entre déficits commerciaux et encours de la masse monétaire : limitations sur les exportations et les importations d'or ; couverture des billets nationaux assurée davantage par des réserves en devises internationales (livre, mais aussi franc français et mark allemand) que par des réserves en or. Malgré cela, il semble que le système de l’étalon-or n’ait pas trop mal marché. En dépit de ses écarts, le Royaume-Uni, pilier du système, a maintenu des taux d’intérêt relativement élevés, en liant d’une façon étroite l’émission de billets à son encaisse métallique, alors qu’elle a toujours détenu très peu d’or, beaucoup moins par exemple que la France. Une telle politique crédibilisait la livre mais freinait le rythme des investissements et la croissance de l’économie britannique. De plus, avant 1914, le rôle de la livre comme monnaie internationale de réserve demeura modeste, et sans aucune commune mesure avec celui du dollar après la Seconde Guerre mondiale. Les balances sterling restaient faibles, d’un montant à peu près égal à l’excédent de la balance des services britanniques. Ce sont les deux conflits mondiaux qui vont les gonfler exagérément (multiplication par deux puis par six), par le financement de l’effort de guerre qu’ils entraînèrent. II.6 : La mort de l’étalon-or classique Durant la première décennie du XXème siècle, le système se dégrada petit à petit. Les raisons majeures sont : l’émergence d’idées travaillistes, la montée en puissance (économique notamment) des Etats-Unis d’Amérique, une nation qui avant ne faisait que partie de la périphérie ainsi que des divergences politiques entre Etats qui ne cessèrent de croître jusqu’à la guerre. Les idées travaillistes amenèrent un débat, jusque-là inexistant, sur les coûts de la parité-or en terme de chômage. Ces idées émergèrent surtout aux Etats-Unis. La forte croissance économique des USA entraîna une diminution de la puissance hégémonique de l’Angleterre ainsi qu’un besoin vital de création d’une banque centrale américaine. Les divergences politiques entamèrent passablement la coordination si importante dans le bon fonctionnement du régime. En 1914, le système monétaire international s’effondra ; tout du moins en pratique. Beaucoup de pays, souhaitant donner une façade de fausse « prospérité », voulurent à tout prix garder les statuts officiels les liant à l’or. Mais la guerre avec son énorme besoin de dépenses budgétaires amena une forte création monétaire qui rendit parfaitement non-crédible les parités d’antan. III : Le flottement libre (1919-1926) et le retour au nouvel étalon-or: Le souci principal des économies européennes à la fin de la première guerre mondiale était la lutte contre l’inflation engendrée par un long conflit et par la reconstruction. L’Europe subit une inflation plus forte que celle des Etats-Unis. De plus, il existait des écarts importants d’inflation au sein même de l’Europe. Alors, en conformité avec la règle de la parité des pouvoirs d’achat, les principales monnaies européennes se sont mises à flotter. La politique anglaise avait pour but la restauration de la valeur de la livre par une politique d’austérité budgétaire et de restriction monétaire fortement déflationniste. En 1921, la livre retrouvait sa parité d’avant guerre avec le dollar. Toutefois, les prix britanniques étaient trop élevés par rapport aux prix américains. La libre circulation de l’or ne fut rétablie qu’en 1925. Les EtatsUnis furent les premier à rentrer dans le nouveau système de l’étalon-or. L’Angleterre rejoignit le système en 1925. La France revint à l’étalon-or en 1926 avec la stabilisation Poincaré. L’Allemagne, l’Autriche et les pays d’Europe centrale ne revinrent à l’étalon-or qu’après avoir cassé les reins à leurs hyperinflations (c.f. tableau 3 en annexe). Cette volonté de revenir au système d’avant guerre venait de la peur d’un retour de l’inflation. La politique déflationniste de l’Angleterre fut fortement critiquée par Keynes dès 1930. Elle était destinée à maintenir le leadership du Royaume-Uni en matière financière. Au fait, cette politique s’est révélée particulièrement désastreuse pour son industrie et sa croissance économique puisqu’elle connu une croissance annuelle moyenne du PIB nettement inférieure à celle des Etats-Unis ou de la France. Le taux de chômage, par contre, était nettement plus élevé en Angleterre que dans ces deux pays. IV : le retour désastreux à l’étalon-or (1927-1931/36) : IV.1 : Introduction A partir de 1927, la reconstruction du système de l’étalon-or était achevée. Il regroupait la majeure partie du monde à l’exception de l’URSS, l’Espagne et la Chine. Toutefois, le climat politique favorable lors du système de l’étalon-or classique n’était plus. Les désaccords concernant les dettes et le montant des réparations portaient franchement atteinte au bon déroulement des négociations. Vu que la gestion efficace du système monétaire international passait par une coordination importante entre les membres, les différents politiques ne permirent pas à cette coordination de se mettre en place. De plus, des divergences profondes quant au cadre même du système se firent sentir. Il n’y avait plus une compréhension commune du système mais des compréhensions diverses relatives aux expériences économiques vécues. En particulier, les expériences individuelles différaient grandement par rapport à la façon de lutter contre l’inflation. De plus, la puissance financière du RoyaumeUni avait subi de graves dommages durant la guerre et juste après. Il n’y avait plus une puissance hégémonique pour assurer la coordination mais deux : Le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Le premier n’avait plus les capacités financières pour gérer le système monétaire international comme il l’avait fait et le second n’en avait pas la volonté. Les Etats-Unis n’étaient pas prêts à mettre en second plan leur propre économie afin de stabiliser l’économie mondiale. Pour envenimer le tout, la montée des puissances syndicales indiquait clairement que les pays ne seraient plus prêts à tous les sacrifices pour maintenir leur parité-or. La crédibilité, co-fondatrice du système de l’étalon classique, semblait bien friable. Dans ces conditions, les actions des spéculateurs risquaient d’être déstabilisatrices, amplificatrices de chocs plutôt que stabilisatrices. De plus, tous les pays avaient aboli la convertibilité des billets en or et suspendu ou limité la circulation des pièces d’or. L’ajustement automatique des balances par le mécanisme de Hume disparut. Seule la convertibilité externe, l’échange de devises, et la convertibilité des changes demeuraient. Les monnaies étaient convertibles en or mais uniquement entre banques centrales, les nouvelles règles imposant un taux de couverture-or des monnaies de 40%. Il faut également ajouter à cela le fait que beaucoup de banques centrales européennes ne pouvaient pas effectuer les opérations d’ « open market » de façon libre (nous verrons plus en détail dans la section VI, qui traite du biais déflationniste du système, ce que ces deux contraintes impliquent). Normalement, la coordination des politiques monétaires était prévue par la conférence de Gênes de 1922 et devait pallier la disparition de l’ajustement automatique. Dans les faits, cette coordination fut défaillante, en partie en raison du refus des Etats-Unis d’y participer. IV.2 : Une simple identité pour comprendre le fonctionnement du système d’étalon-or M1 = (M1 / Base) * ( Base / Res ) * ( Res / OR ) * Por * Qor Avec : M1 = Offre de monnaie (monnaie+billets en circulation+dépôts des banques commerciales) Base = Base monétaire (monnaie+billets en circulation+réserves des banques commerciales) Res = Réserves internationales de la banque centrale (actifs étrangers + OR) OR = Por * Qor (réserves d’or de la banque centrale en monnaie du pays) Por = prix officiel de l’or en monnaie domestique Qor = quantité physique d’or dans les réserves d’or (en tonnes métriques) Sous un système d’étalon-or, l’offre de monnaie d’un pays est affectée aussi bien par la quantité d’or que la banque centrale détient que par le prix officiel de l’or auquel la banque centrale accepte de vendre ou d’acheter l’or. En particulier, ceteris paribus, si la banque centrale joue le jeu de la coopération, une entrée d’or (i.e. une augmentation de Qor) entraîne une expansion monétaire de même qu’une dévaluation (augmentation du prix de l’or i.e. Por). IV.3 : Explication des différents ratios Cette ventilation de l’offre de monnaie permet de discerner l’origine des mouvements de la masse monétaire. Dans ses calculs, Eichengreen utilise pour ces ratios des variations cumulées des séries mensuelles logarithmiques à partir de juin 1928 pour huit pays. Lors de ma présentation orale, je présenterai les résultats pour la Suisse et discuterai plus largement de cette identité. Premier ratio : M1 / Base Ce ratio est communément appelé le multiplicateur monétaire. Il est utilisé comme indicateur de crise bancaire. En effet, lorsque le public doute de la sûreté des banques, les individus vont détenir plus d’espèces par rapport au montant de leurs dépôts. Ainsi, les banques se voient obligées d’augmenter leurs réserves de liquidités pour se prémunir contre des retraits importants et soudains. Ces deux effets cumulés : diminution des dépôts chez les banques commerciales et augmentation des réserves des banques commerciales entraînent une diminution du ratio M1 / Base ( dépôts => M1 ; réserves => Base => M1 / Base). Deuxième ratio : Base / Res On peut comprendre ce ratio inversé (i.e. Res / Base) comme la prescription légale de couverture i.e. les 40% cités plus haut (il faut toutefois relever des différences. La loi prévoyait que les billets en circulation, et non la base monétaire, devaient être couverts au moins à 40% par de l’or, et non par des réserves monétaires. De plus, les billets en circulation devaient être couverts à 100% par des actifs qui comprenaient, outre l’or et les devises, notamment les crédits d’escompte et les avances sur nantissement). Ainsi, si l’on accepte cette hypothèse, le ratio Base / Res peut être perçu comme un indicateur de la politique monétaire. Celui-ci indique si la banque centrale a neutralisé les effets que les variations des réserves monétaires exercent sur la base monétaire en procédant à des opérations compensatoires en matière d’escompte et d’avances sur nantissement ou si elle a toléré des effets, voir les a accentués. Troisième ratio : Res / OR Ce ratio qui représente les réserves de la banque centrale sur les encaisses or indique comment la banque centrale utilise ses réserves de devises. Une analyse intéressante ressort de cette identité. Un taux de confiance élevé dans les banques permet au ratio M1 / Base d’être élevé (analyse inverse de celle effectuée ci-dessus). De plus, une confiance en le taux de change, ou plutôt en sa parité-or, permet aux banques centrales d’avoir un ratio de couverture (Res / Base) relativement faible, ce qui implique un ratio Base / Res relativement élevé. L’équilibre monétaire serait donc favorable, dans ce cas à une expansion donnant aux banques des liquidités nécessaires à leur santé. Au contraire, des anticipations pessimistes, par exemple des anticipations de ruée vers les banques et de dévaluation peuvent avoir un effet auto-réalisateur ce qui entraînerait une compression de la masse monétaire est dès lors empirerait le manque de liquidité des banques commerciales. Ainsi un tel système possède deux équilibres de Nash conditionnés par les anticipations des spéculateurs (ou des agents au sens large). Une explication plausible des problèmes bancaires durant la Grande Crise serait le passage du système d’un bon équilibre à un mauvais équilibre suite à une modification des anticipations. IV.4 : La première chute du système : la sortie du Royaume-Uni en 1931 La surévaluation persistante de la monnaie anglaise révéla rapidement les dysfonctionnements du système. La France et l’Allemagne, dont les monnaies respectives étaient sous-évaluées par rapport à la livre menèrent une politique monétaire restrictive destinée à empêcher tout retour de l’inflation. A partir de 1926, cette politique les conduisit à échanger leurs réserves en livres contre de l’or, ce qui eut pour effet d’augmenter les stocks d’or allemands et français au détriment des britanniques. Cependant, le déficit courant britannique et l’excédent français persistèrent en raison de la fixité des changes et de l’absence d’ajustements sur les prix (voir la section VI sur le biais déflationniste). La conséquence de l’absorption de l’or par la France et l’Allemagne fut de pousser les autres banques centrales européennes à hausser leurs taux d’intérêt et à restreindre le crédit pour juguler les sorties massives d’or et ainsi sauver leurs réserves de plus en plus rares. Les Etats-Unis auraient pu rétablir le fonctionnement du système. Ils étaient, en effet, détenteurs du plus important stock d’or mondial depuis 1918 : une politique américaine d’expansion monétaire et de baisse des taux d’intérêt aurait encouragé les sorties de capitaux des Etats-Unis et ainsi favorisé la redistribution de l’or dans le monde. Au lieu de cela, à partir de 1927, la politique de la FED s’orienta vers un durcissement des taux pour freiner la spéculation boursière et limiter la baisse du taux de couverture du dollar par rapport à l’or provoqué par la croissance monétaire des années 1920. Stock d'or en % des réserves mondiales: source: Eichengreen, 1996, "Globalizing Capital: A History of the International Monetary System" 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 Etats-Unis 44.4 45.7 44.4 44.3 41.6 37.4 37.8 38.7 35.9 Royaume-Uni 8.6 8.3 7.8 7.9 7.7 7.5 6.9 6.6 5.2 France 8.2 7.9 7.9 7.7 10 12.5 15.8 19.2 23.9 Allemagne 1.3 2 3.2 4.7 4.7 6.5 5.3 4.8 2.1 A partir de 1929 et le déclenchement de la Grande Dépression, les fuites d’or firent fondre les réserves britanniques au point que le passif de la Banque d’Angleterre devint très supérieur à ses réserves. En septembre 1931, elle décidait de suspendre la convertibilité externe de la livre et de la laisser flotter librement. L’Allemagne, l’Autriche et la Norvège suivirent peu de temps après cette décision. Les Etats-Unis sortirent du système en 1933 pour passer à un étalon-or qualifié (c.f tableau 3). IV.5 : Le dernier bloc-or : le dernier souffle du système Alors que les Etats-Unis avaient renoncé au régime de l’étalon-or, les derniers pays restant (Belgique, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suisse) constituèrent le bloc-or le 8 juillet 1933 à Paris. Suite aux dévaluations des Anglais et Américains notamment, ces pays virent leur compétitivité internationale grandement diminuée. Suivant la logique du régime de parité-or, ils n’eurent d’autre choix que de réduire leurs coûts de production et baisser le prix de leurs produits. Cette politique se heurta violemment aux syndicats et autres groupes d’intérêts. Durant les années suivantes, les pays du bloc-or furent l’objet de plusieurs attaques spéculatives. La Belgique dévalua en mars 1935 à la suite d’une crise bancaire. La même année, l’Italie et la Pologne instaurèrent des contrôles de capitaux ; de ce fait, le régime de parité-or n’avait plus aucun sens pour eux. En 1936, quand le front populaire de Léon Blum gagna les élections législatives françaises et commença son programme de réformes sociales, le franc français subit de fortes pressions. Pour finir, le vendredi 25 septembre 1936, la France renonça officiellement au régime de l’étalon-or et dévalua. A la fin de la semaine, la Suisse et la Hollande suivirent. La dévaluation du franc suisse fut de 30%. Les raisons qui poussèrent ces pays à rester dans un bloc-or sont diverses. Les plus citées sont la peur d’une inflation vigoureuse et un sentiment de fierté national représenté par une monnaie forte et un arrimage solide à l’or. V : Relation entre reprise économique et durée d’arrimage à la parité-or : V.1 : Introduction La Grande Dépression se caractérise notamment par une forte contraction de la demande agrégée. On peut alors se poser deux questions : premièrement, quelles sont les causes de cette chute de la demande agrégée dans la fin des années 20 et le début des années 30 et deuxièmement pourquoi la dépression a-t-elle été si longue ? Les analyses effectuées sur le régime de l’étalon-or entre les deux guerres montrent que ce régime est la cause principale de la contraction monétaire mondiale au début des années 30 qui elle-même est la cause de la contraction de la demande agrégée. Un autre fait observé est la reprise économique plus rapide que connurent les pays qui sortirent plus tôt du régime de parité-or. On observe donc une grande corrélation entre le taux de reprise économique et le choix du régime de taux de change. La section suivante présente les modèles qu’Eichengreen (1992) et Bernanke (2000) firent pour expliciter ce résultat. V.2 :Un premier modèle Bernanke a choisi treize variables macroéconomiques pertinentes pour montrer l’effet du régime de change sur le taux et la vitesse de reprise d’une économie. Il a calculé pour chacune de ces variables les changements logarithmiques (taux de croissance) selon le régime de change adopté par les pays : dans le système d’étalon-or ou hors de ce système. (Le tableau 1 en annexe montre les résultats du modèle. Les graphiques 1 à 13 explicitent clairement ces résultats. Je vais commenter ceux qui me semblent importants) Graphique 1 : La production manufacturière a connu un taux de reprise significatif dès 1931 pour les pays sortis de la parité-or. Pour les autres, la hausse ne s’est produite qu’avec un retard après un taux de croissance toujours négatif. Même si la progression après 1932 fut plus grande, ces pays connurent une rechute en 1933. Rechute qui ne vint que plus tard pour les pays ayant abandonné l’étalon-or. Je pense que cette rechute est due aux diverses dévaluations compétitives qui eurent lieu. Graphique 2 : Les pays du bloc-or n’ont pas connu une remontée des prix aussi grande que les autres. Il est certain que la poursuite du régime de l’étalon-or entraîne la déflation par une rigidité excessive de la masse monétaire. L’évolution des prix est à mettre en parallèle avec l’évolution de la production. Graphique 3 : Les pays ayant quittés le régime de l’étalon-or ont pu augmenter significativement leur masse monétaire qui n’était plus contrainte par le respect de l’ancienne parité. Le bloc-or a aussi tenté d’aller dans ce sens mais les attaques spéculatives les ont contraints à retourner à des politiques restrictives. La baisse drastique de la croissance monétaire après 1934 en est la preuve. Graphique 7 : La croissance de l’emploi dans le bloc-or a tardé à augmenter comparativement aux autres. Ce choix de régime de change les a entraînés vers des taux de croissance de l’emploi à nouveau négatifs au cours de l’année 1935. On peut alors comprendre les pressions qui furent exercées sur les gouvernements par les syndicats et les travailleurs. Graphique 11 : Les exportations réelles ont pu croître plus vite pour les pays ayant dévalué leur monnaie. Même si le bloc-or a connu une croissance significative en 1932, cette croissance a été retardée par leur régime de change. De plus, les pays hors du bloc-or ont des taux toujours supérieurs aux leurs. Ces graphiques montrent clairement la relation qu’il y a entre sévérité de la crise et ancrage au système de l’étalon-or. V.3 :La régression Le tableau 2 représente les résultats de la régression des treize variables macroéconomiques précédentes sur deux variables : « dans l’étalon-or » et « panique ». La première de ces variables peut être interprétée en nombre de mois durant lesquels le régime de l’étalon-or a été maintenu. La variable « panique » peut être interprétée en nombre de mois durant lesquels les pays ont subi des ruées sur leurs banques. L’idée derrière ce modèle est la même que précédemment : expliciter le lien entre sévérité de la crise et régime de change. Il est intéressant de noter que la durée du régime de change fixe semble avoir un impact marqué et négatif sur la production, l’offre de monnaie, les prix ,l’emploi. L’impact sur les salaires réels est significatif est positif. Il montre la rigidité des prix à remonter dans un tel régime. Les ruées sur les banques ont un impact significatif sur la production, l’offre de monnaie, le ratio M1 / monnaie, les salaires nominaux, l’emploi et les importations réelles. L’effet sur les taux d’intérêt réels ex-post est par contre positif. Il est logique d’imaginer que dans un cas de panique, les taux d’intérêts risquent fortement d’augmenter. La conclusion amenée par ce modèle est de la même nature que pour le premier. Le choix du régime de change peut entraîner des effets significatifs et souvent négatifs sur l’économie réelle. On peut dès lors fortement penser que si tous les pays s’étaient sortis du régime de l’étalon-or en 1931, la reprise mondiale aurait été nettement plus importante. La sévérité et la durée de la crise sont donc effectivement fortement corrélées avec le fait d’avoir quitté ou non le bloc-or. VI : Biais déflationniste du régime de l’étalon-or : VI.1 : Introduction La mauvaise gestion du régime de l’étalon-or a entraîné la déflation mondiale de la fin des années 20 et du début des années 30. Ce furent les conditions financières et monétaires chaotiques ( hyperinflation en Europe centrale et inflation dans le monde entier) qui amenèrent un désir puissant de revenir à un régime d’étalon-or. La perception qu’il n’y avait pas assez d’or pour satisfaire la demande mondiale sans déflation existait à la base. C’est pour cela qu’à la conférence de Gênes de 1922, les pays participants recommandèrent l’adoption d’un standard de change-or dans lequel des réserves de change étrangères (principalement des $ et des £) aussi bien que d’or seraient utilisées pour contrebalancer l’offre de monnaie. L’idée derrière ce processus était « d’économiser » sur l’or. Au fait, comme nous l’avons vu, des monnaies-clés comme la livre étaient déjà utilisées comme réserves avant la guerre. Le traité de Gênes devait permettre d’officialiser et d’étendre cette pratique. Néanmoins, cette règle a entraîné des failles irrémédiables dans le système. VI.2 : Asymétrie entre pays à surplus / déficit par rapport à la réponse monétaire requise lors de flux d’or Selon les règles du jeu, nécessaires au bon fonctionnement du système, une banque centrale qui voyait ses réserves d’or augmenter était supposée augmenter son offre de monnaie ce qui engendrerait de l’inflation. Au contraire, une banque centrale qui voyait ses réserves fondre devait enclencher le mécanisme inverse. En pratique, le besoin absolu d’éviter une perte totale de réserve et alors de ne plus pouvoir assurer la convertibilité force un pays déficitaire à toujours appliquer cette règle. Pourtant, de l’autre côté, aucune sanction ne pénalise le pays à surplus d’or de stériliser ses entrées d’or (c’est à dire de ne pas augmenter son offre de monnaie) et alors d’accumuler indéfiniment de l’or si des objectifs domestiques rendent ce processus désirable. Cette asymétrie entraîne un biais déflationniste potentiel dans les opérations de cet étalon-or. Cette asymétrie existait déjà lors du régime classique mais avec une différence importante. Avant la guerre, les opérations étaient « contrôlées » par la Banque d’Angleterre. Ainsi, la Banque d’Angleterre devait posséder suffisamment d’or pour garantir la convertibilité de la livre mais comme une institution recherchant des profits, elle avait également une forte incitation à ne pas garder trop d’or (à opposer à des actifs rapportant des intérêts). La Banque d’Angleterre gérait donc le système (avec l’assistance des autres banques centrales) pour éviter les entrées ainsi que les sorties soutenues d’or. Elle arrivait à assurer la convertibilité avec un niveau relativement bas de réserves d’or. Mais au contraire, les deux plus grands pays à surplus d’or lors du régime d’étalon-or d’entre-guerre (les USA et la France) avaient peu d’incitations à ne pas accumuler de l’or. Le biais déflationniste était amplifié par des statuts de réserve (les 40%) imposés sur la majorité des banques centrales (surtout les nouvelles) après la guerre. Cela voulait dire qu’une grande partie de l’or était immobilisée dans les réserves et ne pouvait donc pas être utilisée pour corriger les déséquilibres. Ainsi, les banques centrales avaient de grandes incitations à stériliser leurs opérations au lieu d’augmenter leur offre de monnaie pour rééquilibrer le système. Un deuxième effet par rapport à un statut de réserve minimum se retrouve dans la relation entre contraction monétaire et sortie d’or. Avec des réserves fractionnaires, la relation entre sortie d’or et contraction monétaire n’est plus de 1 pour 1 : avec 40% de réserves obligatoires par exemple, l’impact sur l’offre de monnaie d’une sortie d’or est 2.5 fois la perte externe. A nouveau, un déficit d’or peut causer immédiatement une pression déflationniste qui ne sera pas balancée par une poussée inflationniste. L’asymétrie est donc démontrée. VI.3 : Le pouvoir insuffisant des banques centrales Pour la majorité des banques centrales d’Europe, les opérations d’ « open-market » étaient limitées ou interdites. Ces limitations de pouvoir résultaient des programmes de stabilisations des années 20 afin d’empêcher la monétarisation des déficits budgétaires qui créent de l’inflation. Cela obligeait les banques centrales à utiliser le taux d’escompte (à quel terme la banque centrale prête aux banques commerciales) comme principal instrument pour influencer l’offre de monnaie. Excepté en période de crise, le contrôle de l’offre d monnaie par les banques centrales était faible. La perte du lien entre banque centrale et offre de monnaie a engendré quelques bénéfices dans les années 30 lorsque cela a modéré les sorties de réserves. Sinon, dans la majorité des cas, cette impossibilité d’intervenir librement sur le marché des changes a été déstabilisatrice. Par exemple, la Banque de France était une de ces institutions qui ne pouvaient agir librement. Elle a eu, comme nous l’avons vu, des entrées massives d’or jusqu’en 1932. Ces contraintes légales ont limité sa capacité à répercuter les entrées d’or sur son offre de monnaie et donc de faire une politique expansionniste ce qui aurait équilibré le système. Cette incapacité de la Banque de France a engendré de la déflation dans le reste du monde alors que l’or continuait d’arriver en France. Ces deux raisons montrent bien le problème systémique inhérent au système de l’étalon-or d’après-guerre. Le régime-or a donc été le canal principal par lequel les poussées déflationnistes se sont propagées à travers le monde entier causant les ravages économiques que l’on sait. Conclusion Ce travail tend à montrer que la sévérité de la Grande Dépression a été amplifiée par le système monétaire international. Même s’il est parfaitement compréhensible que des gouvernements cherchèrent un cadre monétaire permettant d’empêcher le retour de l’inflation après les terribles années d’après-guerre, ils auraient dû chercher à comprendre les raisons du (relatif) succès de l’étalon-or du XIXème siècle plutôt que de s’engouffrer à l’aveugle dans un système similaire mais, en fait fort différent. Différent de par les modifications politiques et économiques survenues après la guerre. Ironiquement, le choix d’un système à fort potentiel déflationniste a causé des dommages tout aussi conséquents que lors de périodes inflationnistes. Je pense que le maître mot de ce projet est la coopération. Si elle n’avait fait à ce point défaut, peut-être que les vertus stabilisatrices du système auraient empêché une dépression aussi violente de voir le jour. Bibliographie - BERNANKE S. BEN, 2000, Essays on the Great Depression, Princton University Press, New Jersey - BURDA M. Et WYPLOSZ C., 1998, « Macroéconomie, une perspective européenne », De Boeck - EICHENGREEN BARRY, 1992, « Golden Fetters : The Gold Standard and the Great Depression, 1919-1939”, Oxford University Press, Oxford - GREENSPAN ALAN, july 1966, “Gold and Economic Freedom”, The Objectivist - ZURLINDEN MATHIAS, 2/2003, “Régime de l’étalon-or, déflation et dépression: l’économie suisse dans la crise économique mondiale”, Bulletin trimestriel, Banque Nationale Suisse Tableau 1 : Sélection d'indicateurs macroéconomiques: comportement moyen des ces variables pour des pays appartenant ou non à l'étalon or, 1930-1936: source: Bernanke, "Essays on the great depression", 2000, Table 2: pp. 18-19 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1) Production du secteur manufacturier (chgmnt log): moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.066 -0.116 -0.09 0.076 -0.117 -0.173 0.068 -0.113 -0.057 0.078 2) Prix de gros (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.116 -0.122 -0.045 -0.017 0.018 0.024 0.048 -0.14 -0.133 -0.065 -0.037 -0.038 -0.084 -0.011 -0.002 0.033 0.036 3) M1 offre de monnaie (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 0.016 -0.088 -0.068 -0.006 0.019 0.027 0.074 -0.094 -0.088 -0.045 -0.013 -0.067 -0.076 -0.06 0.007 0.028 0.046 4) Ratio M1/monnaie (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 5) Salaires Nominaux (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 6) Salaires réels (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 7) Emploi (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 8) Taux d'intérêt nominal (points de %): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 9) Taux d'intérêt réel ex-post (points de %): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or 0.1 0.074 0.072 0.025 -0.001 0.12 0.008 0.03 -0.129 -0.006 -0.024 -0.002 -0.011 -0.011 -0.142 -0.052 -0.009 -0.016 -0.037 -0.102 0.014 -0.03 0.002 -0.006 0.004 -0.03 -0.053 -0.03 -0.002 -0.001 0.031 -0.027 -0.07 -0.033 -0.031 -0.022 -0.039 -0.045 -0.029 0.007 0.004 0.122 0.094 0.11 0.059 0.007 -0.009 -0.023 -0.022 -0.018 0.064 0.032 0.005 0.016 -0.02 -0.025 -0.032 -0.031 -0.066 -0.117 -0.074 0.05 -0.113 -0.137 0.006 -0.127 -0.047 0.065 0.096 0.064 0.068 0.028 -0.016 0.113 0.083 5.31 5.43 5.22 5.9 5.29 4.2 5.68 4.37 3.69 4.56 3.97 3.26 4.13 3.89 4.05 3.86 3.79 16.89 9.39 10.38 7.16 6.51 9.41 5.47 2.78 6.94 1.64 1.11 3.35 0.61 -1.19 -4.92 -0.62 -8.93 0.084 -0.067 0.14 -0.112 0.07 -0.058 0.39 10) Prix relatif des exportations (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.033 -0.011 -0.047 0.076 0.003 -0.019 0.134 -0.04 -0.058 0.058 11) Exportations réelles (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.073 -0.179 -0.222 0.014 0.056 0.021 0.072 -0.193 -0.292 -0.008 0.015 -0.024 -0.146 -0.192 0.021 0.067 0.03 12) Importations réelles (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.071 -0.211 -0.264 0.004 0.038 -0.02 0.049 -0.159 -0.25 -0.006 -0.067 -0.012 -0.315 -0.271 0.008 0.07 0.027 13) Prix réel des actions (chgmnt log): Moyenne Dans l’étalon or Hors de l’étalon or -0.107 -0.186 -0.214 0.133 0.06 0.091 -0.181 -0.219 0.139 -0.028 0.062 -0.198 -0.211 0.13 0.092 0.098 0.115 Graphiques selon le tableau 1 : 1) Production du secteur manufacturier (chgmnt log): 0.15 0.1 0.05 moyenne 0 Dans l'étalon-or -0.05 Hors de l'étalon-or -0.1 -0.15 -0.2 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 2) Prix de gros (chgmnt log): 0.1 0.05 moyenne 0 Dans l'étalon-or -0.05 Hors de l'étalon-or -0.1 -0.15 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 3) M1 Offre de monnaie (chgmnt log): 0.1 0.08 0.06 0.04 0.02 0 -0.02 -0.04 -0.06 -0.08 -0.1 -0.12 moyenne Dans l'étalon-or Hors de l'étalon-or 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 4) Ratio M1/monnaie (chgmnt log): 0.04 0.02 0 -0.02 -0.04 -0.06 -0.08 -0.1 -0.12 -0.14 -0.16 moyenne Dans l'étalon-or Hors de l'étalon-or 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 5) Salaires nominaux (chgmnt log): 0.04 0.02 0 moyenne -0.02 Dans l'étalon-or Hors de l'étalon-or -0.04 -0.06 -0.08 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 6) Salaires réels (chgmnt log): 0.14 0.12 0.1 0.08 moyenne 0.06 Dans l'étalon-or 0.04 Hors de l'étalon-or 0.02 0 -0.02 -0.04 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 7) Emploi (chgmnt log): 0.15 0.1 0.05 moyenne 0 Dans l'étalon-or Hors de l'étalon-or -0.05 -0.1 -0.15 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 8) Taux d'intérêts nominaux (points de % ): 7 6 5 moyenne 4 Dans l'étalon-or 3 Hors de l'étalon-or 2 1 0 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 9) Taux d'intérêts réels ex-post (points de % ): 20 15 10 moyenne 5 Dans l'étalon-or 0 Hors de l'étalon-or -5 -10 -15 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 10) Prix relatifs des exportations (chgmnt log): 0.2 0.15 0.1 moyenne 0.05 Dans l'étalon-or 0 Hors de l'étalon-or -0.05 -0.1 -0.15 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 11) Exportations réelles (chgmnt log): 0.1 0.05 0 -0.05 moyenne -0.1 Dans l'étalon-or -0.15 Hors de l'étalon-or -0.2 -0.25 -0.3 -0.35 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 12) Importations réelles (chgmnt log): 0.1 0.05 0 -0.05 moyenne -0.1 Dans l'étalon-or -0.15 Hors de l'étalon-or -0.2 -0.25 -0.3 -0.35 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 13) Prix réels des actions (chgmnts log): 0.2 0.15 0.1 0.05 moyenne 0 Dans l'étalon-or -0.05 Hors de l'étalon-or -0.1 -0.15 -0.2 -0.25 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 Tableau 2: Sélections d'indicateurs macroéconomiques: régression sur l’Etalon OR et sur un dummy représentant les paniques bancaires, 1931-1935: source: Bernanke, "Essays on the great depression", 2000, Table 3: pp. 20-21: variable dépendante production du secteur manufacturier (t-stat) Dans l'étalon or: 1a 1b (t-stat) prix de gros 2a 2b M1 Offre de monnaie 3a 3b Ratio M1/monnaie 4a 4b Salaires Nominaux 5a 5b Salaires réels 6a 6b -0.0704 (4.04) -0.496 (2.80) -.0914 (8.20) -0.0885 (7.47) -0.0534 (3.26) -0.0344 (2.06) -0.0329 (1.91) -0.0176 (0.99) -0.0204 (2.62) -0.0145 (1.78) 0.0605 (5.84) 0.0656 (5.99) Panique R2 ajusté 0.601 -.0926 (3.50) 0.634 0.622 -0.0129 (0.73) 0.620 0.297 -0.0846 (3.40) 0.352 0.263 -0.0680 (2.55) 0.294 0.196 -0.0262 (2.16) 0.219 0.466 -0.0230 (1.41) 0.470 Emploi 7a 7b Taux d'intérêt nominaux 8a 8b Taux d'intérêt réels ex-post 9a 9b Prix relatif des exportations 10a 10b Exportations réelles 11a 11b Importations réelles 12a 12b Prix réel des actions 13a 13b -0.0610 (4.38) -0.0507 (3.48) -1.22 (2.83) -1.00 (2.20) 2.70 (2.07) 2.16 (1.56) 0.0464 (1.70) 0.0288 (1.00) -0.0745 (2.08) -0.0523 (1.39) -0.000 (0.00) 0.0232 (0.75) -0.0299 (1.12) -0.0206 (0.72) 0.557 -0.0458 (2.10) 0.569 0.109 -0.97 (1.43) 0.116 0.264 2.39 (1.16) 0.266 0.198 0.0783 (1.83) 0.213 0.323 -0.0990 (1.76) 0.334 0.416 -0.1036 (2.25) 0.435 0.354 -0.413 (0.97) 0.354 Tableau 3: Sélection de pays dans le système d'étalon or, 1919-1937: source: Eichengreen, 1992, "Golden Fetters", Table 7.1: pp. 188-191 Pays 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 Autriche x x x x x x x x x Belgique x x x x x x x x x x x France x x x x x x x x x Allemagne x x x x x x x x Italie x x x x x x x x x x Japon x x x x x x Hollande x x x x x x x x x x x x Norvège x x x x Pologne x x x x x x x x x x Portugal x Espagne Suède x x x x x x x x Suisse x x x x x x x x x x x x Roy.-Uni x x x x x x x USA x x x x x x x x x x x x x x x Q Q Q Q USSR X := Etalon or Q := Etalon or qualifié