Pichon-Rivière - bei der AGOG!

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Pichon-Rivière
Table ronde au colloque de la Société Française de Thérapie
Familiale Psychanalytique
24.06.2007
Sixième Colloque national
La reconnaissance dans les liens de famille
Thomas von Salis
29.06.2007
Je ne sais pas comment j’ai mérité l’honneur d’être à cette table
ronde. Je n’ai pas connu Pichon-Rivière personnellement, mais je
pense que je dois représenter la deuxième génération dans la filiation
de ses élèves. Je parlerai
A propos des liens familiaux – de la défense contre la
reconnaissance du lien familial
Dans ses « Notes pour la biographie d’Isidore Ducasse, Comte de
Lautréamont », parues pour la première fois en 1946, dans La Nación,
à Buenos Aires, Enrique Pichon-Rivière dessine la biographie du poète
et auteur des Chants de Maldoror, et il voue à la famille un intérêt et
un espace surprenant. (En français, ces textes de Pichon-Rivière sont
contenus dans « Théorie du lien suivi de Le processus de création »
Erès 2004). Dans le manifeste de l’histoire familiale d’Isidore Ducasse
il y a un vide à la place qu’aurait dû prendre le poète Lautréamont - le
poète maudit!
Pichon- Rivière a ressenti le besoin d’éclaircir la descendance
familiale, la filiation, de Lautréamont. Il y a un vide apparent. Sa
famille n’a pour ainsi dire pas eu d’Isidore Ducasse, il paraît qu’on l’a
délibérément rayé de l’histoire familiale, et Isidore Ducasse n’a par
conséquent pas eu de famille.
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En réfléchissant sur les implications me concernant moi-même du fait
d’être un descendant dans la filiation de Pichon-Rivière, il n’y a pas de
vide, mais au contraire, je touche à la problématique d’être un
épigone.
Je cite un « épigone » qui a vécu au 19e siècle : « Nous sommes, pour
exprimer en une seule parole la misère entière, des épigones, et nous
portons le fardeau qui colle à toute hérédité et descendance. (Wir sind,
um in einem Worte das ganze Elend auszusprechen, Epigonen und
tragen an der Last, die jeder Erb- und Nachgeborenschaft anzukleben
pflegt.)
Ce passage dans le roman de Karl Immermann « Die Epigonen » est
suivi, plus bas dans le texte du roman, par un autre que je veux citer
parce qu’il fait référence au « fantôme » et par cela à l’Inquiétant sur
lequel Pichon a longuement écrit:
Quand j’observais ceux qui pompeusement fondaient des sociétés d’art
et qui passeraient froidement auprès des œuvres de Raffaele, si l’on les
leur montrait sans prononcer le nom de l’artiste (…) j’eus des moments
où j’aurais pu me suicider ! Je me tâtonnais et me demandais : « N’es-tu
pas tout aussi un fantôme, un retentissement d’un autre esprit
indépendant ? »
Cette incertitude soudaine – suis-je ou non un esprit indépendant ? –
est-elle un facteur qui rend la reconnaissance du lien familial
difficile ? On pourrait voir dans la réaction de la famille d’Isidore
Ducasse le reflet de l’angoisse niée dans les Chants de Maldoror qui
s’exprime, dans ce texte, par les concrétions cruelles de l’adolescent et
par les ingrédients hautains, agressifs et narcissiques du poème.
J’ai souvent observé l’étrange attitude de certains fils de pères connus
à l’égard de leur lien familial. Étant moi-même fils d’un père qui fut
connu par le publique européen de l’après-guerre, et appartenant par-
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dessus le marché à la descendance d’une famille bien connue par ses
anciens engagements de professionnels militaires et politiques, j’ai le
regard aiguisé sur l’influence des liens familiaux.
J’ai été témoin d’une réaction violente d’un collègue pédopsychiatre
dont le père avait été un pédopsychiatre connu : Il nous interdit de lui
poser des questions sur sa relation avec son père. Ceci m’a frappé
comme un exemple de défense, probablement dirigé contre la
reconnaissance du lien familial. La reconnaissance d’un tel lien aurait
présupposé que ce lien ne fasse pas surgir le sentiment de l’insécurité
d’identité ou de la défaillance de se sentir indépendant, d’être l’auteur
autonome de la propre pensée.
La question se pose alors s’il y a un rapport entre cette incertitude
identitaire et le sentiment de l’Unheimlich freudien. Pichon-Rivière
parle de l’Inquiétant – lo siniestro (« Théorie… p.167-198). Les
traducteurs ont préféré « l’Inquiétant » au terme « l’inquiétante
étrangeté », courant en français.
Une des sources de l’Inquiétant est, selon Freud, le double, tel qu’il l’a
trouvé dans le Conte d’E.T.H. Hoffmann, les Élixirs du diable. Otto
Rank a, lui aussi, travaillé sur ce thème. Pour ma part, je me réfère au
roman de Dostoïevski, « Le Double » pour une illustration de ce
sentiment de terreur, d’envie et de rage face au double. Dans ce
roman, le double va dérober tout ce qui appartient au sujet, de la
faveur du chef jusqu’à la place de travail et de la bonne représentation
de soi jusqu’à la certitude d’être lui-même, le poussant à l’extrême
effondrement de la personnalité.
Pour passer aux problèmes plus proches de notre profession, je vous
raconterai quelques épisodes qui me donneront l’occasion d’illustrer
l’importance des questions soulevées par le phénomène de l’Inquiétant
qui est en rapport avec le lien familial.
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Il y a seize ans, j’ai appelé Armando Bauleo en Suisse orientale pour
introduire et modérer une table ronde au congrès annuel de la Société
Suisse de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il avait comme
thème l’épistémologie. La table était composée non seulement de
médecins spécialisés dans le domaine pédopsy, mais, puisque on avait
choisi comme thème du congrès les bases scientifiques de la
psychiatrie d’enfants et d’adolescents, il y avait aussi un ethnologue,
Mario Erdheim, et des psychiatres d’adultes.
Armando a dit que le « petit patient » apparaissait comme un lieu de
confluence. L’enfant serait aussi un lieu de forces centrifuges : Non
seulement on théoriserait sur l’enfant, mais celui-ci aussi théoriserait
(les théories sexuelles). Armando poursuivit en disant que « nous
parlons des enfants à partir de notre propre enfance. Apparaissent dit-il – les problèmes liés au fait d’avoir à penser à l’intérieur d’un
lien. » (Publié en français dans la Revue de clinique groupale et
recherche institutionnelle I, n. 2 – 1991, p. 58-59).
C’était sous-entendu que ce fait rendait notre travail particulièrement
difficile.
Puisque notre enfance reste en partie séquestrée de notre vie
consciente et par cela inatteignable aux moments de changement,
l’Inquiétant nous hante à l’occasion où l’on est amené à penser aux
liens familiaux qui font l’objet des études et de nos efforts
thérapeutiques et didactiques.
Un soir d’été dans les années 1970, j’avais le privilège de pouvoir
amener Marie Langer à Saint Gall pour avoir une séance de
supervision dans l’institution pédopsychiatrique que je dirigeais à
cette époque. Elle observa les enfants aller se coucher avant de faire
une séance avec l’équipe des soignants. En rentrant à Zurich, elle me
disait : « Les enfants vont bien. Mais les soignants, eux, ont des
problèmes ! » Cela m’a fait du plaisir parce que ça voulait dire que
l’équipe se chargeait des dépôts sous lesquels les enfants avaient dû
souffrir auparavant. Mais plus tard, mon entreprise de « libération des
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patients » (Basaglia) prit une fin brusque à cause de la suspicion
malveillante des patrons politiques locaux. Cela ne manque pas de me
rappeler l’expérience de Pichon-Rivière qui avait dû quitter l’endroit où
il avait traité avec succès des adolescents. Il y a d’autres exemples de
projets d’inspiration psychanalytique qui ont pris une fin trop précoce.
Je me demande à quel point l’Inquiétant se fait sentir parmi les
dirigeants responsables qui nous laissent bien travailler jusqu’au
moment où la direction que prend le changement que nous voulons
promouvoir, devient pour eux perceptible. Mon employeur à Saint Gall
m’avait dit un jour que ce n’était pas désirable que les enfants aient
une bonne vie dans l’institution soignante, parce qu’il fallait qu’ils
retournent dans les familles et par là dans la vielle misère. Il se
défendait ainsi contre l’idée de changement. L’amélioration
symptomatique et le changement de structure de l’enfant ont des
répercussions sur la famille qui engendrent encore des changements.
Puisque ces changements touchent à l’ordre tel qu’il est conçu par
ceux qui ont du pouvoir dans la société, la réaction de mon supérieur
qui était très conservateur, est compréhensible.
Mais il y a davantage qui fait que même les professionnels les plus
progressistes se mettent à résister à nos tentatives – par exemple dans
des groupes de supervision – de faire valoir les parties latentes de la
tâche groupale. Aussi les familles et les couples bien motivés à la
thérapie et donc voulant eux-mêmes changer quelque chose, ont des
résistances parfois redoutables très agressives et même destructives,
comme s’ils devaient se battre pour leur survie. Ceci pourrait bien
avoir comme arrière-fonds la perception du danger de pénétrer dans
les régions de l’Inquiétant et par là dans le domaine de l’identité, de
l’authenticité et de l’existence.
Les succès et les faillites qui ont accompagné l’application des idées
de Pichon-Rivière par nous en Suisse orientale et en Suisse romande,
ainsi qu’en Italie du nord, les réactions violentes et les résistances
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silencieuses, nous ont fait penser que nous avons favorisé l’émergence
d’une anxiété qui pourrait être comprise par ce que je viens d’évoquer.
Pichon-Rivière a dit (Théorie du lien, p. 33) « Un délire chez un patient
peut se comprendre comme une tentative de reconstruction de son
monde intérieur et extérieur comme une structure totale. » (…) « Pour
comprendre un délire il est important de réaliser l’investigation de
l’ensemble des forces qui agissent sur le milieu groupal duquel émerge
la maladie mentale. (…) » - Je donne ma propre traduction pour la
phrase suivante : « Toutes les tensions de la structure convergent
dans un point donné déterminé dans lequel cette personne est située.
Elle est ensuite transformée en porte-parole des tensions du groupe à
travers du groupe ».
L’intention d’interpréter la structure totale doit mobiliser les angoisses
les plus profondes et rappeler l’ « Inquiétant ». Les cruautés dans le
Maldoror pourraient être comprises dans ce contexte. Non seulement
les évènements guerriers à l’extérieur de l’appartement d’Isidore
Ducasse à Montevideo que celui-ci a dû percevoir dans son enfance,
mais aussi et surtout l’Inquiétant et sa terreur qui doit être refoulée,
formerait alors la base souterraine des textes du Comte de
Lautréamont. La question de l’indépendance de la propre pensée a dû
hanter l’adolescent « grand, mince, un peu voûté, au teint pâle, aux
cheveux longs qui lui tombaient sur le front (…) La scène dans
laquelle Œdipe finit par connaître la terrible vérité et lance des cris de
douleur, les yeux crevés, maudissant le destin, touchait selon lui au
sublime. Toutefois, il aurait préféré que Jocaste se tue devant les
spectateurs. » (p. 163 dans Théorie du lien suivi de Le processus de
création), Erès 2004). Nous rappelons que Lautréamont a écrit tout au
commencement des chants de Maldoror, en s’adressant au lecteur,
qu’il faut humblement détourner le regard du visage de la mère. Même
quand il se confronte directement avec la scène horrible de Jocaste
qui se pend lorsqu’elle se voit découverte comme mère incestueuse, il
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évite encore une fois l’Inquiétant qui lui indiquerait ses insécurités les
plus profondes.
L’effet de se sentir épigone est renforcé par la tentative de saisir la
structure totale d’une situation, telle que Pichon-Rivière nous
recommande de le faire pour comprendre un patient. Étant nousmême le sujet dont il s’agit de comprendre la structure totale, interne
et externe, actuelle et historique, nous sommes amenés à vaincre les
résistances qui barrent la voie aux sphères de l’Inquiétant, c’est-à-dire
comme j’ai cherché à déduire plus haut, aux sphères qui touchent à
l’intégrité de l’identité, à ce qui nous fait croire que nous sommes les
auteurs de notre propre pensée.
Le poète adolescent qui voudrait voir Jocaste se pendre sur scène, et
qui par ses exagérations morbides et narcissiques se défend contre le
sentiment de ne pas être l’auteur de sa propre pensée, a réussi
néanmoins de créer une œuvre de poésie importante et
impressionnante. Il fonctionne comme l’artiste décrit par Freud : Il ne
fait pas explicite toute l’histoire, tout le matériel, toute la pensée. Il
cache au public ce qui lui est caché par ses mécanismes inconscients
à lui-même. Et même si il savait - « Das beste, was Du wissen kannst,
darfst Du den Buben doch nicht sagen » - C’est la citation de Goethe –
Faust par Freud lorsqu’il analyse l’effet de l’œuvre d’art en soulevant
la nécessité pour l’artiste de dire ou faire assez pour mettre en marche
les émotions, mais pas autant que les informations, épuisantes,
favorisent des mécanismes de défense comme par exemple
l’intellectualisation.
Adresse de l’auteur:
Dr.med.Thomas von Salis
Facharzt für Kinder- und Jugendpsychiatrie und Psychotherapie FMH
Adresse postale: Postfach 620, CH 8702 Zollikon Station
E-mail: [email protected]
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