La sécurité alimentaire doit être au cœur de l’accord de Paris Peggy PASCAL, responsable de plaidoyer pour Action contre la faim- France Si rien n’est fait pour lutter contre le changement climatique, 600 millions de personnes supplémentaires souffriront de sous-alimentation en 2080.1 Les changements climatiques menacent de réduire à néant les progrès effectués ces dernières années dans la lutte contre la faim et la sous-nutrition. Sécurité alimentaire et lutte contre le changement climatique sont indissociables ! Des projections alarmantes Sècheresses, irrégularités pluviométriques, hausse du niveau des mers, vagues de chaleur, perturbations des écosystèmes, cyclones plus fréquents... Frappant différentes régions du globe, les changements climatiques ont des effets dévastateurs sur les pays les plus fragiles. Sécurité alimentaire, accès à l’eau, hygiène assainissement, santé des populations : tous les déterminants de la sous-nutrition sont exacerbés par les changements climatiques. Si les tendances climatiques actuelles se confirment, la production de blé pourrait enregistrer une baisse de 10 à 20% d’ici à 2030 comparé aux rendements des années 1998-20022. La baisse des rendements agricoles aura certainement pour conséquence une hausse des prix des produits alimentaires de base. En 2009, l’IFPRI estimait que sans changement climatique les prix des denrées alimentaires de base comme le riz, le maïs, le blé et le soja subiraient une augmentation importante entre 2000 et 2050. En intégrant le facteur climatique, les prix augmenteront de manière additionnelle de 23 à 37 % pour le riz, de 52 à 55 % pour le maïs, de 94 à 111 % pour le blé et de 11 à 14 % pour le soja. De plus, les changements climatiques vont provoquer un accroissement sans précédent des maladies phytosanitaires et des zoonoses. La prévalence des maladies infectieuses à transmission vectorielle risque de s’aggraver, en entraînant un affaiblissement du statut nutritionnel. Ainsi, selon, l’OMS, 2 milliards de personnes seront exposées à la dengue d’ici à 2080. 3 L’aide-mémoire de l’OMS de 2014 rappelle qu’il est probable que, d’ici 2090, les changements climatiques étendent les zones affectées par les sécheresses, doublent la fréquence des sècheresses extrêmes et multiplient par six leur durée moyenne4. Entre 350 et 600 millions d’Africains feront face à un déficit en eau (avec un scénario de réchauffement limité à 2°C)5. Entre 2030 et 2050, on s’attend à ce que les changements climatiques entraînent près de 250 000 décès supplémentaires par an, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur. 6 Enfin, la concurrence sur les ressources naturelles (eau, pâturages) accentue le risque de conflits et les flux migratoires, qui à leur tour amplifient le risque d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Les plus vulnérables toujours les plus affectés Les projections les plus optimistes (+2°C à la surface du globe) prévoient que le taux de sousalimentation en Afrique augmentera de 25 à 90% d’ici à 2050 7. Cette situation traduit un paradoxe: ceux qui contribuent le moins au réchauffement climatique sont ceux qui en souffrent le plus. Les pays du Sud et les ménages les plus pauvres subiront la plus grande partie des dommages humains et économiques causés par le changement climatique, alors même que leurs capacités de réponse sont souvent limitées voire épuisées. Ce sont pour la plupart de petits producteurs et productrices qui vivent de l’agriculture pluviale, de la pêche ou de l’élevage, des moyens de subsistance très fortement dépendants des conditions climatiques et environnementales. Les changements climatiques et l’accroissement de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques entrainent un affaiblissement ou une destruction de ces moyens de subsistance et de l’accès aux ressources naturelles. L’adaptation au changement climatique est sous-financée Alors que seulement 10% des enfants souffrant de malnutrition aigüe ont aujourd’hui accès au traitement nécessaire, l’adaptation au changement climatique est largement sous-financée. Le PNUE prévoit en effet que même en réduisant nos émissions, l'adaptation pourrait coûter jusqu'à 150 milliards de dollars d'ici 2025/2030, et entre 250 et 500 milliards de dollars par an d'ici 2050 8. En l’état actuel des financements internationaux disponibles pour l’adaptation, nous sommes encore très loin du compte. Plus le temps passe, plus le coût économique, environnemental et social sera élevé. Le secteur privé est à juste titre considéré comme un acteur majeur du financement du développement durable. Cependant, on assiste à un déséquilibre dans les investissements privés qui vont privilégier la rentabilité offerte par les actions d’atténuation et peu s’engager dans le financement de l’adaptation. Dès lors, comment assurer une mobilisation financière à la hauteur des enjeux pour soutenir les petits agriculteurs familiaux et le développement de plans d’adaptation efficaces en matière de sécurité alimentaire ? La sécurité alimentaire, au cœur de la convention de Paris L’accord international sur le climat doit permettre de fixer les engagements des Etats en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’adaptation aux impacts du dérèglement climatique et de financement. Il est capital qu’à Paris, les états reconnaissent que le changement climatique aura des conséquences majeures sur la faim dans le monde et la sous-nutrition et s’accorde à faire de la lutte contre la faim un objectif des actions prises pour lutter contre le changement climatique. Lors des négociations tenues à Genève en février dernier, le terme « sécurité alimentaire » est apparu pour la première fois dans le texte pour Paris, à la fois dans le préambule du texte provisoire, mais aussi dans le paragraphe sur l’adaptation au changement climatique. Cependant, rien ne dit qu’il y restera jusqu’à la COP 21. En effet, le texte des négociations n’est pour l’instant qu’une compilation de positions très divergentes, sur des enjeux variés. Les nombreuses options laissent la porte ouverte à toute modification. La mention de la sécurité alimentaire ne doit pas utilisée comme un « tradeoff » d’ici la COP 21 et être supprimée à la dernière minute pour satisfaire un autre enjeu. Enfin, il est impératif de demeurer vigilant face aux mirages que constituent certaines « fausses solutions », à l’instar de l’alliance pour une agriculture intelligente face au climat (AAIC) qui présente par exemple les OGM comme une action d’adaptation au changement climatique, aux dérives des marchés carbone, aux agro carburants. L’agriculture intelligente face au climat est un concept beaucoup trop imprécis. Il englobe des modèles agricoles extrêmement différents (de l’agro-écologie à la promotion des OGM), dont les impacts environnementaux sociaux et économiques varient. Ce concept fait peser un risque énorme : celui de faire de l’AIC un label qui permettrait de légitimer les modèles agricoles productivistes et de l’agrobusiness, qui n’ont pas réussi jusqu’ici à assurer la sécurité alimentaire des 560 millions d’agriculteurs et d’agricultrices qui souffrent de la faim aujourd’hui. Il n’y a pas de « quick fix » à espérer pour permettre aux plus pauvres de faire face aux impacts du changement climatique. Lutter contre le changement climatique et lutter contre la faim sont deux objectifs indissociables qui doivent être pensés conjointement. Il est donc urgent pour la communauté internationale de relever un quadruple défi: 1. 2. 3. 4. Adopter et mettre en place de manière urgente un plan d'action ambitieux d'atténuation du changement climatique, afin de maintenir la température à la surface du globe en deçà des +2°C de réchauffement en 2100, afin de limiter les impacts du changement climatique sur la sécurité alimentaire. Faire de la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle un objectif commun de l’ensemble des Parties de la CCNUCC. La convention climat qui sera adoptée à Paris doit reconnaitre explicitement les risques du CC sur la sécurité alimentaire et s’engage à ce que les mesures d’adaptation et d’atténuation contribuent à une meilleure sécurité alimentaire. Assurer un rééquilibrage entre les fonds consacrés à l’atténuation et ceux destinés à l’adaptation et accroitre les financements publics additionnels pour soutenir les pays les plus pauvres à mettre en place des stratégies d’adaptation et de renforcement de la résilience. Mettre en place un système de compensation des pertes et dommages occasionnés par le changement climatique et qui ne peuvent être évités.