Alain Finkielkraut (sous la direction de) Quest

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Alain Finkielkraut (sous la direction de) : Qu’est-ce
que la France ?
Alain Finkielkraut, philosophe et intellectuel, est
l’auteur de nombreux ouvrages, entre autres Le
Juif imaginaire sur l’identité juive depuis la Shoah
et dans un monde où la croyance a perdu de son
importance. Il existe un « genre » littéraire peu
étudié dans les universités :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Essai . Ce genre a été
illustré et peut-être inventé au seizième siècle par
Michel de Montaigne.
L’essai est une réflexion étendue sur un thème
quelconque, allant de la sexualité à l’histoire, en
passant par la philosophie et la politique.
Beaucoup des textes figurant au programme sont
des « essais ». Les essais, pris dans leur ensemble,
représentent une sorte de conversation au sein de
la société, et de leur lecture et des discussions qui
en résultent naît ce qu’on peut appeler « la vie
intellectuelle » du pays.
Ce volume est composé de conversations,
organisées et présidées par Alain Finkielkraut, et
diffusées à France-Culture. Dans ces discussions,
on trouve de nombreuses références à d’autres
textes, souvent ceux des intervenants, de sorte qu’il
faudra se référer aux notes en fin de volume et
éventuellement utiliser un moteur de recherche
pour retrouver de plus amples renseignements,
mais ces discussions illustrent assez bien le
fonctionnement de cette « conversation
intellectuelle » qui porte sur des questions
d’identité, et des rapports entre l’évolution des
institutions et la façon dont les Français perçoivent
leur place au monde.
Prologue : À la croisée des chemins
Finkielkraut commence par de longues citations
d’Ernest Renan1 : « L’existence d’une nation est un
plébiscite de tous les jours » p7. À l’idée formulée
par Renan au dix-neuvième siècle, époque où les
nationalismes sont nés, qui veut que la nation soit
une sorte de consensus de tous les citoyens, unis
dans la fierté de leur passé, Finkielkraut oppose la
situation actuelle, où la plupart des gens ont plutôt
honte d’un passé récent esclavagiste, colonial, et
hitlérien. Dans ces conditions, l’existence même de
la nation peut être contestée.
ICI ET MAINTENANT
Cette première section concerne l’actualité sociale
et les problèmes posées par la situation
postcoloniale, et les difficiles tensions résultant des
Qu’est-ce qu’une nation ? et autres écrits politiques, Ernest Renan, éd Raoul
Girardet, Paris, Imprimerie Nationale, 1996, p229 (loe texte est également disponible
en ligne : http://ourworld.compuserve.com/homepages/bib_lisieux/nation01.htm )
1
diverses perceptions de l’identité, et surtout du
conflit entre le « communautarisme » et les
« valeurs républicaines » (deux notions à étudier et
à définir).
Y a-t-il une question noire en France
Stephen Smith & Françoise Vergès
(Cette discussion a eu lieu peu de temps après des
émeutes dans les banlieues ; elle concerne
exclusivement la population d’origine négroafricaine et non pas les autres minorités de
couleur.) En 1998, quand l’équipe française de
football a remporté la coupe mondiale avec une
équipe composée de joueurs d’origines diverses, on
a parlé dela France « black-blanc-beur » (comme
bleu-blanc-rouge) comme si le pays était
parfaitement intégré sur le plan racial. Ce qu’on
perçoit comme « le problème noir » est en fait un
problème blanc. Devant le refus des Blancs de
reconnaître aux Noirs une place dans l’histoire,
certains penseurs noirs conçoivent une hostilité
envers tout ce qui est blanc. La haine dont font
l’objet les noirs est d’un autre ordre que celle
dirigée contres les Juifs ou les Arabes, dont on
craint l’influence ou la concurrence, alors les Noirs
ne comptent pas. La France a créé une journée pour
commémorer officiellement l’esclavage (le 10
mai). En fait, les Blancs ne sont pas les seuls
responsable de la traite des esclaves, et des Noirs
(et des musulmans) ont également participé à ce
commerce. Les traites négrières européennes sont
pourtant les seules à avoir donné lieu à des
communautés distinctes (comme au Etats-Unis). Il
est fait référence à un document communément
appelé le code noir2. Le statut des esclaves n’y est
pas défini en termes de race, et la situation où le
propriétaire d’une esclave l’épouserait est prévue.
Le caractère « raciste » de l’esclavage a été
renforcé au siècle suivant. Bien des choses qui ont
pu être dites à propos de l’esclavagisme sont en fait
anachronique. Comme les Juifs ont réussi à faire
reconnaître les crimes dont le peuple juif a été
victime, d’autres groupes de pression essaient de
faire valoir leurs droits de la même façon. En fait,
les Noirs de France ne forment pas un bloc unique,
et ne partagent pas le même passé. À partir du
moment où la personne est définie en termes de ses
origines ethniques, le problème du rapport entre les
éventuelles exclusions dont elle est victime et ses
origines ethniques se pose ; ce rapport n’est pas
forcément simple. Dans le système scolaire, à partir
du moment où on cesse de parler de l’échec de
l’étudiant pour parler de l’échec de l’école, il se
crée une sorte de « droit à la réussite ». À propos
de la « discrimination affirmative » (affirmative
action) on note que la situation politique et
2
voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_noir et
http://fr.wikisource.org/wiki/Code_noir
économique dans les DOM-TOM est de nature à
désavantager ceux qui en sont originaires.
L’école dans la France d’aujourd’hui
Pascal Blanchard & Jean-Pierre Obin
L’école est envisagée sous le rapport de son rôle
possible dans l’intégration des immigrés. Ce
problème est lié à la façon dont l’histoire est
enseignée. En effet, la France n’a pas su assumer
son passé colonial dans l’enseignement. Le
« problème » de l’islamisation (qui existe dans
d’autres pays) vient compliquer la situation, sans
être pour autant une conséquence directe du passé
colonial. L’Angleterre n’aurait pas les mêmes
difficultés mémorielles. L’intégrisme est favorisée
en France par une stratification/ségrégation sociale,
c’est-à-dire la créations de ghettos.
Un inspecteur d’académie déplore la « régression »
des jeune sur une identité religieuse sans doute
reconstruite et bricolée p54 (se demander s’il y a
lieu, dans le contexte d’une séparation entre
l’église et l’état, de porter ce genre de jugement
sommaire sur les croyances des élèves). Il existe un
phénomène de conformisme religieux qi oblige
tous les « beurs » à pratiquer l’islam (sont-ils les
seuls à ressentir la pression du conformisme ?) : On
peut aussi s’inquiéter des confrontations de plus en
plus nombreuses de l’enseignement, principalement
dans les disciplines : l’éducation physique et
sportive, les sicences de la vie et de la terre. Les
lettres et la philosophie sont aussi concernées dans
une moindre mesure : ce qui est ciblé alors ce n’est
pas la discipline elle-même que certaines œuvres et
certains thèmes p54. Tout enseignement
concernant les cathédrales du Moyen-Âge ou la
chrétienté devient difficile, sinon impossible. Alain
Finkielkraut dont les parents ont été déportés dit
n’avoir pas souffert du fait que les événements dont
les siens avaient souffert n’étaient pas pris en
compte par l’école, mais aujourd’hui il y a des
attentes et des demandes de « mémoire » p57 (la
notion du devoir de mémoire est à étudier3). Ceux
dont le passé n’est pas pris en compte s’estiment
lésés : Les prosélytes et les intégristes ont de tous
ordres alors toute latitude pour dire que, depuis
trente ans, la République exclut les Maghrébin
mais entègre les Juifs p58. Les deux intervenants
ne sont pas d’accord sur la façon d’envisager la
diversité des histoires : est-ce que ces particularités
sont contraires à l’unité républicaine, ou peut-on
dire que la France possède plusieurs histoires ? La
loi du 23 février 20054 n’a pas pu être mise en
3
voir en particulier: http://fr.wikipedia.org/wiki/Devoir_de_mémoire
voir
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_française_du_23_février_2005_portant_reconnaissan
ce_de_la_Nation_et_contribution_nationale_en_faveur_des_Français_rapatriés
surtout controversée pour l’article 4: Les programmes scolaires reconnaissent en
particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique
du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée
française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit qui
constitue une ingérence étatique dans l’interprétation de l’histoire (voir aussi :
4
application, et Alain Finkielkraut craint que le
dénigrement de la France ne soit devenu
obligatoire. D’autres symptômes révèlent le même
malaise, comme l’absence d’un musée de la
colonisation en France. Il est noté que l’université
française accorde une place très restreinte à
l’histoire post-coloniale.
Toutefois, pour trouver un remède à la situation, il
ne suffit pas de revoir l’enseignement de l’histoire ;
il faut créer une plus grande mixité sociale. [I]l y a
un problème d’État parce que l’État a choisi sa
mémoire p70 ; Quelle histoire n’a pas été à un
moment manipulée par une minorité ou un parti ?
p72.
Les difficulté d’intégration
Hakim Et Karoui & Michèle Tribalat
Michèle Tribalat se dit ethnographe, travaillant sur
des données précises, et pourtant elle a collaboré à
un ouvrage dont le titre est L’école face à
l’obscurantisme religieux (personne ne trouve à
redire à ce genre de langage). L’adjectif
« français » sert souvent d’insulte dans les écoles.
Le problème est peut-être plus étendu qu’on ne le
croit. L’indice d’intégration utilisé est le
pourcentage de mariages mixtes, parce que cela
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000444898&
dateTexte= )
indique l’abandon de toute appartenance
« ethnique » au profit des valeurs républicaines.
Hakin El Karoui dit : Je pars d’une vision qui est
celle des Français, la vision de l’universel et de
l’égalité de tous les hommes p80. Or, les immigrés
ne partagent pas cette vision. Les immigrés ont la
nationalité française, mais n’entendent pas faire
d’autres efforts d’intégration : Est Français celui
dont l’État di qu’il est Français (selon Télérama)
p 83 ; « celui qui est ci est d’ici » (Badiou) p83.
Selon Hakim EL Karoui, les immigrés sont
déconcertés par la difficulté de construire un
discours sur ce qu’est la France aujourd’hui p84.
Toujours selon lui : On n’arrive plus à définir
l’altérité parce qu’on échoue à définir ce que l’on
est p84. Les nouveau venus ne peuvent donc savoir
à qoi il ont à s’assimiler : Ils ne savent pas ce que
l’on attend d’eux p85. On évolue vers une situation
qui serait celle du Royaume-Uni où il est suffisant
que les immigrés respectent la loi, alors qu’en
France, traditionnellement, la notion de l’espace
privée est beaucoup plus restreinte ; l y a une
contradiction : l’opinion incite les nouveaux-venus
à respecter les codes sociaux, tandis que le discours
les autorise à vivre leur différence. Les valeurs de
la la¨cité, sur, entre autres, l’égalité des sexes,
peuvent être en contradiction avec celles de leur
culture d’origine.
Selon Hakim El Karoui la passion égalitaire
française se transforme parfois en égalitarisme
p90/ ce n’est pas la même chose et on ne trouve pas
la même confusion dans d’autres pays.
Alors que la proportion des pauvres et beaucoup
plus élevée en Angleterre, le problème de
m’immigration est moindre. Les Américains
(surtout depuis le 11 septembre) sont plus fiers de
leur pays que les Français :La France […] n’est
plus une patrie mais un État protecteur, une
compagnie d’assurances p92.
Alain Finkielkraut explique les exigences des
immigrés (« tout, tout de suite » p94) par un
consumérisme exacerbé : « le fric ou je fais des
conneries » p95. Toutefois, les intervenants
reconnaissent qu’il y un problème spécifique à
l’islam. Hakim El Karoui pense que la loi sur le
voile islamique avait le mérite de tracer les limites
entre l’espace privé et l’espace public, mais ne croit
pas qu’une loi puisent transformer les musulmans
en bons laïcs.
La laïcité dans tous ses états
Maurice Agulhon & Lionel Jospin (ancien premier
minstre)
(La laïcité est un mot difficile à traduire dans les
autres langues, et pourtant est un élément-clé parmi
les « valeurs républicaines ».) Au lieu de définir la
laïcité (le concept est peut-être trop bien compris)
la discussion tourne immédiatement vers la
question du foulard islamique. Le circulaire Bayrou
indique entre autres La nation n’est pas seulement
un ensemble de citoyens détenteurs de droits
individuels, elle est une communauté de destin
p104 (Cette déclaration va à l’encontre de ce qui
divers intervenants ont constaté, et rejoint le point
de vue de Renan.) Lionel Jospin —
personnellement non favorable au port de signes
religieux p105 — est gêné par le conflit entre la
constitution qui garantit la liberté même en matière
de religion et l’interdiction. Lionel Jospin ne veut
pas mettre la laïcité en position de faiblesse par
rapport à l’intégrisme radical p106. Maurice
Agulhon intervient pour dire : il ne s’agit pas d’une
religion, mais de la version intégriste et fanatique
d’une certain religion p108 et plus loin Lionel
Jospin enchaîne : Nous devons être contre la
version intégriste de l’islam p109 (ce qui s’accorde
pal avec la laïcité définie par Lionel Jospin : le
spirituel ne peut être juge du temporel, et
réciproquement p107). Alain Finkielkraut prétend
que l’islam ne peut reconnaître l’égalité des sexes,
alors ce celle-ci est un principe constitutionnel, et
que cela étant, le principe constitutionnel doit
prévaloir. Aux gens de gauche qui sont contre le
foulard viennent s’ajouter aussi des gens de droite
qui ont d’autres raisons (racistes) pour s’y opposer.
La situation se complique du fait que la France —
collectivement a mauvaise conscience à propos de
son passé colonial, notamment en Algérie.
La laïcité est-elle neutre ? Selon Lionel Jospin : La
laïcité s’est constituée en France contre la religion
p116. Depuis lors, les persécutions religieuses dans
les pays totalitaires ont fait qu’on considère la
religion comme une chose à protéger, est nullement
une menace pour la société, alors que l’islam en est
une. Par ailleurs, si le catholicisme intégriste a
pratiquement disparu, les partis de droite sont à
toutes fins pratiques des partis de la démocratie
chrétienne, et il existe un courant catholique dans le
parti socialiste (tendance Jacques Delors).
Le fait que l’école soit de plus en plus considérée
comme un prestataire de services fait que c’est de
plus en plus au client-élève de dicter ce qu’il veut.
Cela rend toute interdiction difficile à tolérer.
La discussion se termine par des réflexions sur la
morale laïque, dont il est dit qu’elle se doit de
rester neutre dans certains domaines tels que la
sexualité.
Les nouvelles radicalités : une énigme française ?
Daniel Bensaïd & Philippe Raynaud
Le mot « radical » n’a peut-être pas un sens
suffisamment clair pour se passer de tout
commentaire. Il désigne une colère avec le monde
tel qu’il est, et un désir de le changer.
Il s’agit d’un mouvement de protestation contre les
manifestations modernes de la bourgeoisie, telles
que la mondialisation, l’ultralibéralisme &c. Nous
vivons dans un monde conflictuel, et ces conflits
sont centrés sur le capital. Or, on se rend compte
qu’il existe des problèmes au monde que le
capitalisme aggrave, et qu’il ne peut pas résoudre,
notamment tous les problèmes liés à
l’environnement et à l’écologie.
Autrefois, les capitalistes étaient ceux qui prenaient
des risque, et qui couraient donc un danger, danger
dont les chefs d’entreprise sont aujourd’hui
protégés par des stock-options et des golden
parachutes, alors que les ouvriers, qui autrefois ne
couraient aucun risque, sont déjà exposés à erdre
leur emploi du jour au lendemain.
Le problème est de savoir s’il faut retourner au
modèle socialiste ou encore apporter des
modifications au système actuel. Mais nous ne
trouvons plus dans un monde fait d’oppositions
binaires. Ce qu’il faut protéger, ce snt donc les
droits individuels, y compris le droit au blasphème
(ceci, tout particulièrement, autour de l’affaire
Redeker). Si la lutte contre l’impérialisme doit être
poursuivie, on aura à l’occasion à s’associer à des
gens qu’on n’approuve pas à 100%.
Europe, nation, démocratie
Jean-Marc Ferry & Pierre Manent
L’identité européenne consiste justement en une
ouverture envers ce qui vient de l’extérieur : Je
trouve d’ailleurs que les nations européennes
mettent un accent ecessif sur le partimoine.
Aurjourd’huo prévaut ue sorte d’obsession de la
conservation des choses héritées qui risque de nous
faire perdre jusqu’au souvenir de l’esprit qui les a
créées p157. Mais est-ce que, pour s’ouvrir à
l’autre, il faut cesser d’être soi-même ? Il s’agit
plutôt de la reconnaissance de soi dans l’autre
p160. Si nous ne vivons plus à l’époque des
nationalismes, il ne faut pas faire abstraction de
conflits qui se sont produits dans l’histoire.
Toutefois, pour que l’Union puisse se faire, la
réconciliation est un préalable indispensable ; il ne
s’agit pas de dépasser la nation, mais de dépasser
les nationalismes. La réconciliation passe en partie
par la repentance, mais il faut éviter que la
repentance conduise au masochisme ou à la haine
de soi.
La discussion se termine par une considération de
l’expression « club chrétien », pour désigner
l’Europe, et c’est une façon détournée de se
demander si l’ouverture qui caractérise l’Europe
pourrait s’étendre à la Turquie.
INCARNATIONS
Si la première partie du livre concerne la France
contemporaine, il y est souvent fait référence à
l’histoire, et cette deuxième section contient trois
études de personnalités importantes, dont les deux
premiers sot des présidents sous la Cinquième
République, et le dernier est un historien du dixneuvième siècle.
L’héritage du Général De Gaulle
Paul-Marie Coûteaux & Nicolas Tenzer
Mitterand et l’engouement de la mémoire
Christophe Barbier et Hubert Védrine
Michelet, la France et les historiens
François Furet & Jacques le Goff (deux des
historiens les plus célèbres en France)
Michelet reste pour nous, historiens de la
Révolution, un exemple inégalé p243. Le travail de
l’historien est à 50% une travail d’érudition, et à
50% d’imagination. Pour Michelet, l’histoire peut
être une descente dans le pasé, un travail de
« ressurection », et aussi la création d’un présent :
Pour Michelet, la fonction m^me de l’historien est
de relater, et par là même de constituer l’identité
narrative de la France p251. Michelet emploie
davantage le mot nationalité plutôt que celui de
nation. Pour Michelet, nous sommes tus une
émanation de l’histoire : « Nous devons plus aux
âges antérieurs que nous ne devons à nous mêmes.
Tous, nous sommes les fils de la conversation, de la
lecture et de la tradition » p255 (ce qui tend
nettement à la définition que donne de la nation
Renan). Cette vision de la France comme une
personne est en train de disparaître, la France
d’aujourd’hui étant plus comme un catalogue
qu’une personne. Ce catalogue est en partie celui
des lieux de la mémoire, et l’histoire n’est plus une
chose qui vit, mais une chose qu’on visite en
touriste.
La discussion se termine par des réflexions sur la
possibilité de faire une histoire de l’Europe :
L’Europe existe à l’état de larve, de projet ou de
fantasme, mais elle n’existe pas encore à l’état de
personne p261.
HIER ET MAINTENANT
Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui
Pierre Nora et Paul Thibaud
Alain Finkielkraut revient à la définition classique
de Renan. Depuis 1882, bien des choses ont
changé, et certains mots comme foi, amour ou
honneur ne sont plus employés. Selon Toqueville
l’honneur est le sentiment d’un groupe particulier,
alors que la morale est un principe universel p267.
L’ère démocratique supprime l’honneur au profit
de la morale. On est passé d’une conception
purement historique de la nation à une conception
mémorielle p269. Or, la mémoire tend à mettre en
évidence les divisions. Au lieu de reconnaître leur
dette envers le passé, les gens portent un jugement
sévère sur le passé, comme on le fait actuellement
sur la guerre d’Algérie. Si le gaullisme marquait
une rupture avec Vichy (ou un oubli), il avait un
caractère illusoire dont les gens ne sont plus dupes.
Il existe une distinction importante entre le
souvenir (passif) et la mémoire (à laquelle il faut
travailler : Le seul moyen de maîtrise l’avenir est
d’habiter le passé p275. Ce passé mettra en
évidence les divisions : Aujourd’hui, l’intégration
progressive de ces groupes sociaux au collectif
national fait que chacun d’entre eux veut récupérer
sa propre histoire comme son dentté personnelle
p276.
L’identité en France naît de la politique nous
sommes le pays où la politique crée de la socialité,
au lieu d’hériter cette socialité de la religion ou
des traditions p280 (ceci explique peut-être le
conflit identitaire avec certains immigrés croyants).
En Europe, il existe un certain nombre de pays qui
cherchent à faire leur entrée dans l’histoire, et il
reste à savoir s’ils s’inspireront du modèle français.
La République et la philosophie
Marie-Claude Blais & Marcel Gauchet
(Dans ces entretiens il est souvent question des
« valeurs républicaines » et il est ici question d’un
des fondateurs de la République, Charles
Renouvier, 1815-1903 ; il est souvent question de
la philosophie — notion difficile pour les étudiants
qui ne connaissent pas cette discipline qui fait
partie de la formation de tous les Français cultivés.)
Toute sa philosophie va être dès lors une
philosophie de la construction de la république sur
la base individuelle et donc des responsabilités de
l’administration politique dans la transmission, la
diffusion et la garantie de cette morale p291. Il
prend ses distances par rapport aux positivistes
(Auguste Comte, Lafitte, Littré), dont la tendance
est de mettre la science à la place de la religion, et
aussi des libéraux, pour qui c’est l’individu
cherchant son propre bien-être qui fait avancer
l’État. Renouvier s’est efforcé, en s’inspirant de
Kant, de faire une synthèse entre la protection des
libertés individuelles, d’une part, et une morale
d’État d’autre part. Sa conception de la laïcité
n’était pas simplement que l’État devait être
absente de la sphère religieuse, mais supposait en
outre qu’il devait prendre en main l’enseignement
de la morale.
Aujourd’hui, on s’écarte de l’idéal de Rnouvier, en
insistant sur les droits du citoyen, sans donner une
importance égale à ses devoirs. Alain Finkielkraut
pense que ce qui forme obstacle au travail du
gouvernement aujourd’hui, c’est la notion de
société (c’est-à-dire du collectif) alors que
Renouvier pensait que le travail du gouvernement
était de transmettre à l’individu un ensemble de
valeurs (que le communautarisme religieux rend
difficile aujourd’hui). Les systèmes de sélection
(concours &c) mis en place par l’État pour assurer
l’égalité des chances servent aujourd’hui à
maintenir l’ascendant de la bourgeoisie.
La France est-elle encore un pays catholique ?
Danièle Hervieu-Léger & Henri Tincq
Malgré certaines incohérences, comme le fait que
la plupart des fêtes légales en France sont des fêtes
religieuses (Pâques, Noël, Assomption &c), la
réponse semble être « non ». Comme les écoles ont
pendant longtemps éviter de prononcer le mot
« dieu » les jeunes, dont certains recommencent à
participer de façon ponctuelle à des manifestations
de piété, comme des pèlerinages, sont d’une grande
ignorance en ce qui concerne la foi, et lorsque
certains parents entreprennent de donner à leurs
enfants une éducation religieuse, ce n’est pas pour
leur inculquer cette religion, mais pour leur donner
les éléments nécessaires pour prendre une décision
plus tard. Depuis le dix-neuvième siècle, l’église
autrefois dogmatique, est arrivée au point où elle
est ouverte au dialogue. Selon les intervenants, ce
dialogue n’est pas envisageable avec l’islam : pas
de dialogue avec l’islam dans les conditions où est
l’islam aujourd’hui p334.
La France et les Juifs
Paul Thibaud & Michel Winock
Impossible, à propos des Juifs, de ne pas évoquer
l’Affaire Dreyfus5. Or, cette affaire et remarquable,
non pas en raison du sentiment antisémite qu’il
révèle (l’antisémitisme étant alors une chose banale
partout en Europe) mais parce que les intellectuels
français (c’est à partir de cette époque qu’on
commence à parler des « intellectuels ») se sont
mobilisés pour prendre la défense de l’officier juif.
En effet, les Juifs, généralement favorables aux
acquis de la Révolution, étaient très bien intégrés à
tous les niveaux de la société — à tel point que peu
des Juifs ont cherché à se convertir au
5
voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Dreyfus et http://www.assembleenationale.fr/histoire/dreyfus/dreyfus-chrono.asp
christianisme, alors qu’en Allemagne, à la même
époque, ils le faisaient par milliers. S’ils ne
l’étaient plus sous le régime de Vichy, c’est que les
responsables de Vichy étaient ceux qui avaient
essuyé une défaite avec la victoire des
dreyfussards, et peut-être aussi à cause d’une vague
d’immigration juive provenant des pays de l’est
pendant les années 30. C’est à cette époque qu’on a
commencé à parler du « problème juif » en France.
Pendant les persécutions antijuives de la Guerre, il
s’est trouvé des « Justes » (= righteous among the
nations) pour porter secours aux Juifs, d’abord des
protestants, ensuite d’autres. Après la Guerre, et
depuis la fondation de l’État d’Israël, on assiste à
l’émergence d’une opinion juive. Ce courant
particulier dans la vie politique de l’époque a peutêtre contribué au commentaire tristement célèbre
du Général De Gaulle : « peuple d’élite, sur de luimême et dominateur » p349. Vers la même époque,
celle de la décolonisation, l’arrivée massive de
séfarades nord-africains a doublé la population
juive de la France.
C’est de cette époque que datent les manifestations
visibles de l’appartenance juive, et aussi le désir
d’un savoir plus long sur le rôle des autorités
françaises dans la Shoah, ce qui a peut-être conduit
les Juifs à se présenter un peu trop souvent dans le
rôle de victimes. Si la France a voulu s’impliquer
dans les institutions européennes, c’est en partie
pour faire porter à l’Europe la responsabilité de
l’antisémitisme, et pour éviter d’avoir à l’assumer
elle-même.
Depuis la même époque, qui fut celle de la Guerre
de Six Jours, l’opinion publique s’est en partie
retournée contre Israël, au point de contester sa
légitimité (alors qu sa création fut approuvé par
l’ONU et l’Union Soviétique). Les Juifs — qui
peuvent avoir des opinions divergentes sur l’État
d’Israël — se trouvent impliqués dans cette
polémique bien malgré eux.
Y a-t-il un fascisme français ?
René Rémond & Zeev Sternhell
Il existe en France deux traditions, dont une est
issue de la Révolution : C’est la tradition
rationaliste, universaliste et humaniste, celle qui
fait la gloire de la France p362. Dans le cas de
l’autre, elle repose sur une vision organique de la
société et elle vomit les droits de l’homme,
l’individualisme et l’égalité. La société est
envisagée comme un corps dont les individus sont
les parties, et elle se définit en termes historiques,
culturels, raciaux, ethniques p362. Dans un cas, il
s’agit de disséminer, et dans l’autre de défendre. La
réaction de défense se manifeste surtout en temps
de crise.
Si cela est un élément du fascisme, le fascisme
possède en outre une fascination avec un chef fort,
et une composante belliciste.
L’avènement au dix-neuvième siècle du
nationalisme a fixé des limites aux vises
universalistes de la Révolution ; si un Thomas
Paine pouvait devenir Français et se faire élore à
l’Assemblée nationale au dix-huitième siècle, au
dix-neuvième ç’aurait été impossible.
S’il existait une droit nationaliste en France avant
la Seconde guerre mondiale, celle-ci n’était pas
belliciste, la droite comme la gauche tant gagnée à
la cause de la paix. D’un côté, on peut prétendre
que la France de Vichy n’était pas vraiment
fasciste ; Vichy voulait la conservation des élites
traditionnelles, alors que le fascisme rêve de
substituer à ces élites qu’elle n’aime pas des élites
nouvelles issues de la masse du parti p370. Mais à
côté de cela, il faut considérer que les lois raciales
ont été adoptées par Vichy sans que l’Allemagne
en fasse la demande, et ont été appliquées de façon
plus draconienne qu’en Italie.
Le fascisme est une doctrine culturelle autant que
politique, et c’est peut-être ce qui tend à indiquer
que le Front National dont l’indigence en matière
de culture est notoire ne fait pas vraiment partie du
mouvement fasciste : L’antifascisme est le ciment
de la France contemporaine p380.
L’adieu aux paysans
Pierre Jourde & Richard Millet
(Un paysan est le propriétaire de sa propre terre,
qu’il travaille, ou seul, ou avec sa famille.
Traditionnellement, le paysan jouait un rôle
important dans l’économie française, et était
considéré comme la figure emblématique de
l’enracinement en littérature, la littérature
régionaliste étant généralement une littérature de
droite). Les deux intervenants croient que le paysan
est voué à disparaître. En partie, avec l’Union
européenne, le paysan est devenu un fonctionnaire
de l’agriculture p389. On parle davantage
aujourd’hui d’agriculteurs et le personnage d’un
José Bové compte parmi les personnages
marquants de l’anti-mondialisation.
Les deux intervenants ont de nombreux antécédents
littéraires, mais plus que Giono, ce sont les auteurs
américains Faulkner et Steinbeck qui leur ont servi
de modèles.
Avec le monde paysan, c’est aussi un monde
religieux qui a disparu, et le sentiment religieux est
indispensable à la compréhension de la littérature.
Pour lire un roman, il faut être capable de lire la
Bible. Ce n’est as seulement le latin qui se perd,
mais le français, ou plutôt, le français est en train
de se modifier radicalement.
Les chances de la galanterie
Claude Habib & Mona Ouzouf
(La galanterie est un code qui gouvernait les
rapports entre les sexes sous l’ancien régime) : le
galant homme se définit pas la capacité d’inverser,
au moins imaginairement, les rôles assignés à
chacun des sexes p413. Paradoxalement, ce code
permet de parler d’amour tout en interdisant de
parler de soi ; il permet ainsi d’exprimer de désir
sexuel sans que celui-ci soit perçu comme une
agression. Grâce à la galanterie, les femmes ont pu
conquérir une place importante dans la société
française, à la différence de certains autres pays où
règnait la séparation des sexes. Il existe peut-être
un lien entre la galanterie et le libertinage
(structure de parasitage de la galanterie p427),
mais la distinction est pourtant de taille, et il ne faut
pas confondre les deux choses. De même, la
coquetterie est liée à cette notion, mais en est une
forme particulière. La galanterie est peut-être une
sorte de mensonge — c’est à ce titre qu’elle fut
condamnée par Rousseau — mais elle a l’avantage
de laisser à la femme le droit de choisir.
Or, a galanterie est la reconnaissance de l’inégalité
des sexes, et pour cette raison elle est peu
compatible avec le féminisme moderne. Les
intervenantes se demandent si les acquis du
féminisme n’ont pas conduit à une brutalisation du
rapport amoureux.
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