Anesthésie du patient en choc septique

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Anesthésie du patient en choc septique
B. Allaouchiche, F. Benatir, N. Danton
Service d'anesthésie-réanimation, hôpital Édouard Herriot, 5 place d'Arsonval, 69433 Lyon
cedex 03, France
e-mail : [email protected]
POINTS ESSENTIELS
· Aux États-Unis, environ 750 000 cas de sepsis sont rapportés chaque année, dont 225 000
sont fatals.
· Le système des cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires est étroitement lié à
d'autres systèmes d'homéostasie, notamment au système de la coagulation.
· Le volume intravasculaire est diminué lors du sepsis ; ceci conduit à une instabilité
circulatoire.
· Une expansion volémique agressive est considérée comme la meilleure thérapeutique initiale
concernant la stabilité hémodynamique lors du sepsis.
· La dopamine a des effets indésirables sur le plan immunologique et endocrinien.
· La noradrénaline améliore les paramètres hémodynamiques chez la plupart des patients avec
sepsis et peut améliorer l'oxygénation tissulaire.
· L'objectif de la phase initiale est de maintenir une pression artérielle moyenne de l'ordre de
70 à 80 mmHg.
· La CAM des halogénés est diminuée dans le sepsis.
· La kétamine est toujours considérée comme le meilleur hypnotique pour le patient en état de
choc.
· Le protoxyde d'azote ne semble pas recommandé chez les patients en état de défaillance
multiviscérale secondaire à une infection sévère.
GÉNÉRALITÉS
Le choc septique représente une des principales raisons d'admission en réanimation dans tous
les pays du monde [1]. Le sepsis est une pathologie souvent mortelle requérant d'énormes
ressources en réanimation. Depuis trois décennies, de nombreuses découvertes ont été
réalisées concernant la physiopathologie et le traitement du sepsis. Récemment deux essais
thérapeutiques majeurs sur le choc septique ont été publiés : l'un concernant l'utilisation de la
protéine C activée [2], et l'autre la corticothérapie [3].
DÉFINITION
Sur le plan étymologique, sepsis signifie putréfaction ou décomposition de matière organique
par des bactéries ou des champignons. En 1991, l'American College of Chest Physician et la
Society of Critical Care Medicine ont développé de nouvelles définitions du sepsis [4]. Ces
définitions tenaient compte du fait que le sepsis pouvait résulter de multiples agents infectieux
et de multiples médiateurs microbiens ; ceux-ci n'étant pas nécessairement liés à une
bactériémie. Le terme de SIRS (systemic inflammatory response syndrome) est caractérisé par
la présence de deux ou plus des signes suivants :
1.
2.
3.
4.
température centrale de plus de 38oC ou de moins de 36oC ;
rythme cardiaque supérieur à 90 b·min-1 ;
tachypnée (rythme respiratoire à plus de 20 c·min-1) ;
altération du chiffre de globules blancs : supérieur à 12 000 cellules/mm3, ou inférieur
à 4 000 cellules/mm3, ou présence de près de 10 % de formes immatures de
polynucléaires neutrophiles.
Quand le SIRS est secondaire à un processus infectieux, il est nommé sepsis. Le sepsis sévère
est défini comme un sepsis avec une défaillance d'organe ou l'évidence de signes
d'hypoperfusion ou une hypotension artérielle. Le choc septique dérive du sepsis sévère et est
défini comme une hypotension artérielle induite par un sepsis persistant malgré le
remplissage, ou par la présence de signes d'hypoperfusion, ou de dysfonctions d'organes [5].
ÉPIDÉMIOLOGIE
Durant les dernières décennies, l'incidence du sepsis a augmenté de manière très importante.
Ceci est lié à l'existence de ces nouvelles définitions, mais aussi au développement de
nombreuses procédures invasives. On peut ajouter à ces facteurs de risque, l'utilisation de plus
en plus importante d'immunosupresseurs et l'âge avancé de la population. Les statistiques du
Centers for Disease Control and Prevention montrent que la mortalité du sepsis a été
multipliée par 13 entre 1950 et 1991 [6]. Aux États-Unis environ 750 000 cas de sepsis sont
décrits chaque année dont 225 000 sont fatals [7]. Malgré le développement de nouveaux
agents anti-infectieux et les progrès de la réanimation, le pourcentage de patients qui décèdent
reste constant, entre 30 et 40 % [8].
ASPECTS BACTÉRIOLOGIQUES
Dans les années 1960 et 1970, les bacilles à Gram négatif étaient prédominants, puis peu à
peu, les infections à cocci à Gram positif et les champignons opportunistes sont apparues.
Cependant, les infections mixtes ne sont pas rares ; depuis quelques années, on assiste
également à une augmentation de l'incidence des bactéries multirésistantes. Alors que dans les
années 1970, les infections intra-abdominales étaient dominantes, les infections pulmonaires
apparaissent désormais comme le site prépondérant.
PHYSIOPATHOLOGIE DU SEPSIS
La physiopathologie du sepsis est extrêmement complexe et implique des interactions entre
des éléments bactériologiques et la réponse de l'hôte.
Facteurs microbiens
Les facteurs microbiens activant la réponse du système immunitaire sont les composants de la
paroi bactérienne et les protéines sécrétées par les bactéries. Les lipopolysaccharides (LPS) ou
endotoxines bactériennes, sont les composants majeurs de la paroi des bacilles à Gram
négatif [9]. Les LPS se lient à une protéine inflammatoire appelée LPS-binding protein (LPB)
qui transfère le LPS sur un récepteur de membrane (CD14) que l'on trouve sur la surface des
monocytes des macrophages et des polynucléaires neutrophiles [10]. L'activité des LPS est
modulée par de nombreuses protéines, notamment la bactericidal-permeability increasing
protein (BPI). Cette protéine est produite par les polynucléaires neutrophiles et permet
d'éviter la liaison aux LPB. La transduction du signal induit par les LPS commence avec
l'activation des récepteurs Toll (TLR4) sur les CD14 [11]. Le LPS active également la voie
classique et alterne du complément conduisant à la production d'anaphylotoxines C3a et C5a.
Bien que le peptidoglycane soit considérablement moins puissant que le LPS, de nombreuses
données suggèrent que la réponse clinique est similaire lors de l'infection à bactéries à Gram
positif. Ceci est dû à la reconnaissance par les mêmes récepteurs Toll.
Des toxines peuvent être sécrétées par les bacilles à Gram négatif et les cocci à Gram positif.
La plupart de ces toxines sont des enzymes qui ont pour cible des éléments intracellulaires des
cellules hôtes. Pour Pseudomonas aeruginosa [12], on peut noter la présence de nombreuses
toxines comme par exemple, l'élastase, la protéase alcaline, l'exotoxine A qui inhibe la
synthèse protéique, la cytotoxine (protéine qui forme des pores) et deux types d'hémolysine
(phospholipase et ramnolipides).
Facteurs liés à l'hôte
L'homéostasie est définie comme la maintenance et la régulation du milieu intérieur. Quand le
corps est agressé par les agents étrangers, des éléments régulateurs sont mis en jeu pour
éradiquer ces agents étrangers sans dommage pour l'hôte. Ceci implique l'activation de
système pro-inflammatoire et anti-inflammatoire qui sont régulés et contrôlés de manière très
fine. Le système des cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires est étroitement lié à
d'autres systèmes d'homéostasie, notamment le système de la coagulation, mais également aux
médiateurs lipidiques, aux protéines de l'inflammation, au système endocrinien, à des
phénomènes d'apoptose, à la production de monoxyde d'azote (NO) et au système
antiradicalaire. Tous ces systèmes sont liés de façon très complexe avec des boucles de
régulation positive ou négative. Le sepsis conduit à une dérégulation de l'ensemble des
mécanismes d'homéostasie.
Cytokines pro-inflammatoires et anti-inflammatoires
Les cytokines sont des protéines solubles activant et régulant des lymphocytes B et T. Ces
protéines sont produites par de nombreuses cellules hématopoïétiques et non
hématopoïétiques. Les cytokines peuvent être divisées en trois groupes, les cytokines
d'immunorégulation (interleukine-2, interleukine-3, interleukine-4), les cytokines proinflammatoires (interleukine-1 , TNF- , interleukine-6 et interleukine-8), les cytokines antiinflammatoires (interleukine-4, interleukine-10, interleukine-13). Les monocytes, les
macrophages et les cellules TH CD4+ sont les sources les plus importantes de cytokines. Chez
la plupart des patients infectés, l'organisme est capable de rétablir une balance entre les
médiateurs pro-inflammatoires et les médiateurs anti-inflammatoires ; l'homéostasie s'en
trouve restaurée. Chez certains patients cependant, cette balance est déséquilibrée et il en
découle un syndrome de réponse inflammatoire systémique, voire un syndrome de défaillance
multiviscérale quand le processus pro-inflammatoire est excessif [13]. Quand la réponse anti-
inflammatoire est excessive, ceci peut se manifester par une immunodépression avec une
augmentation de la sensibilité aux infections.
Médiateurs lipidiques
Lorsqu'il est activé par un processus inflammatoire, le macrophage est capable de mobiliser
25 à 40 % de son contenu lipidique membranaire pour produire de l'acide arachidonique.
Après métabolisation, ceci permet la production de nombreuses prostaglandines et
leucotriènes qui ont des effets inflammatoires.
Activation leucocytaire
L'accumulation de polynucléaires neutrophiles au site de l'infection est l'étape fondamentale
dans la physiopathologie du sepsis. Après reconnaissance de la cible, les polynucléaires
neutrophiles activent de nombreux mécanismes incluant NO et radicaux libres. Beaucoup de
ces mécanismes bactéricides causent des dommages aux protéines et aux cellules de l'hôte.
L'extravasation des neutrophiles et la migration à travers les tissus est la conséquence de
processus impliquant le relargage et la compartimentalisation d'une grande variété de
médiateurs inflammatoires incluant IFN- , C5a, leucotriène B4, TNF- , IL-1, IL-6, IL-8 et
GM-CSF.
Activation du système de la coagulation
Le sepsis est caractérisé par un déséquilibre entre l'activation de l'hémostase avec activation
de la voie procoagulante et diminution des mécanismes fibrinolytiques. Ce déséquilibre joue
un rôle majeur dans la physiopathologie du sepsis [14]. Bien que les manifestations
hémorragiques attirent plus l'intention, les thromboses des micro-vaisseaux sont très
importantes et largement impliquées dans le développement des défaillances multiviscérales.
La voie extrinsèque de la coagulation est la principale voie activée lors du sepsis. Cependant
la voie intrinsèque peut être aussi activée par de hautes concentrations d'endotoxines. La
diminution des concentrations de protéine C et de son activation joue un rôle important dans
le développement des troubles de l'hémostase du sepsis. Une première étude réalisée chez les
babouins par Taylor et al. [15] a montré que l'administration de protéine C activée réduisait la
mortalité, les troubles de l'hémostase et les effets hépatotoxiques après perfusion
d'Escherichia coli. Récemment, Bernard et al. [2] ont démontré que l'administration de
protéine C activée était associée à une réduction de risque relatif de décès de 19,4 %.
Rôle du NO dans le sepsis
La production du NO est un événement fondamental dans le cadre du sepsis. Ce médiateur
induit une relaxation des muscles lisses et une inhibition de l'agrégation plaquettaire. La
diminution de la pression artérielle moyenne et des résistances vasculaires systémiques est
principalement liée au relargage du NO provenant des cellules musculaires lisses [16].
L'augmentation de la production de NO est impliquée dans la diminution de réponse aux
vasoconstricteurs. Le NO est une cause majeure de dépression myocardique ; il est également
responsable de dommages tissulaires observés dans le sepsis. Cependant, il est également vrai
qu'il joue un rôle important dans les défenses de l'organisme. Le NO contribue à la morbidité
de l'infection en agissant comme vasodilatateur, dépresseur myocardique, et médiateur
cytotoxique. Par ailleurs, ses effets microvasculaires, cytoprotecteurs, immunorégulateurs et
antimicrobiens ont également un rôle important dans défense de l'organisme.
Apoptose
L'apoptose se réfère au processus de mort programmée de la cellule. L'apoptose des
neutrophiles et des monocytes est probablement un mécanisme de contre-régulation dans la
réponse inflammatoire. Les médiateurs produits dans le sepsis peuvent moduler l'apoptose
(TNF- , IL-10). Le sérum des patients atteints de sepsis peut retarder l'apoptose des
polynucléaires neutrophiles, ceci pouvant entraîner une production prolongée de médiateurs
pro-inflammatoires [17].
Activation du système hypophyse-médullosurrénale
Lors du stress, il y a augmentation de la production d'ACTH et de cortisol. Les effets des
stéroïdes sont de préparer l'organisme à la défense, en fournissant du glucose et en jouant sur
la réponse hémodynamique. Leur seconde fonction est de supprimer l'activation des
mécanismes de défense, prévenant une réaction exacerbée pouvant être dangereuse pour
l'hôte. Il a déjà été démontré que l'on observait de manière fréquente des faibles taux d'ACTH
et de cortisol chez les patients avec sepsis sévère. Le TNF- peut inhiber les fonctions
surrénaliennes.
Microcirculation dans le sepsis
De nombreux désordres microcirculatoires peuvent être observés : lésions endothéliales avec
œdème, séparation des cellules, augmentation de la perméabilité capillaire... En raison de
l'activation de l'hémostase, on peut observer des thromboses des micro-vaisseaux. Des
phénomènes d'agrégation leucocytaires et de déformabilité érythrocytaire peuvent aussi
compromettre la microcirculation. On observe également un phénomène de vasoconstriction
artériolaire associée à une réduction de la vélocité des globules rouges. On peut observer des
zones de tissu bien perfusé et mal perfusé. Ainsi une augmentation du transport d'oxygène
n'est pas toujours capable d'améliorer la perfusion tissulaire. Bien que le débit cardiaque soit
augmenté dans le sepsis, celui-ci n'est pas également distribué. On a pu observer dans le
sepsis une réduction du flux sanguin vers le myocarde, les muscles squelettiques, mais
également vers l'estomac, le duodénum, l'intestin grêle et le pancréas. En revanche, les débits
régionaux au niveau cérébral et rénal sont relativement préservés. Le débit splanchnique a
tendance à être réduit, même lorsque le débit cardiaque est élevé [18]. Le tube digestif est très
sensible à la diminution de perfusion tissulaire et les microvillosités sont particulièrement
sensibles à l'ischémie.
Phénomènes d'hypoxie tissulaire dans le sepsis
Après les études de Schoemaker et al. [19], de nombreux auteurs ont vainement tenté
d'augmenter le transport en oxygène pour améliorer la perfusion tissulaire. L'augmentation du
lactate dans le sepsis n'est en fait pas le résultat d'une diminution de l'oxygène tissulaire, mais
plutôt la conséquence de l'augmentation de la production de pyruvate.
DÉFAILLANCES D'ORGANE OBSERVÉES DANS LE SEPSIS
Effets cardiovasculaires du sepsis
Le volume intravasculaire est diminué lors du sepsis, ceci conduit à une instabilité
circulatoire. Lorsque l'expansion volémique n'a pas été suffisante, le choc septique peut se
présenter comme un état hypodynamique avec un bas débit cardiaque. La diminution du
volume intravasculaire est secondaire à une augmentation de la capacité veineuse, à un
stockage veineux, à une augmentation de la perméabilité microvasculaire, à une augmentation
des pertes insensibles et à une diminution de l'absorption des liquides. Le sepsis est
caractérisé par une vasodilatation et une résistance aux agents vasopresseurs. Chez plus de
90 % des patients avec choc septique ayant reçu une expansion volémique adéquate, le débit
cardiaque est normal ou élevé [8]. Cependant, de nombreuses études ont démontré que le
sepsis était caractérisé par une dysfonction des ventricules gauche et droit. La dépression
myocardique associée à une vasodilatation périphérique et à une diminution des résistances
artérielles systémiques est typique du choc septique. Les lésions myocardiques restent mal
expliquées ; elles semblent être le résultat d'un dommage cellulaire induit par les cytokines ou
peut-être liées à l'utilisation d'agents vasoactifs [20].
Effets pulmonaires
Le sepsis est la cause principale du syndrome de détresse respiratoire aiguë de l'adulte
(SDRA). La mortalité des patients atteints de sepsis compliqué de SDRA est de plus de
60 % [21].
Effets rénaux
L'insuffisance rénale aiguë est une complication sérieuse des patients atteints de sepsis avec
une mortalité de plus de 50 % [22]. L'expansion volémique « agressive » est essentielle pour
prévenir ce type de complication.
Effets gastro-intestinaux
La complication gastro-intestinale la plus fréquente dans le sepsis est l'ulcère gastrique de
stress, mais on retrouve également des lésions muqueuses diffuses avec une augmentation de
la perméabilité intestinale ainsi qu'une cholestase intrahépatique. L'augmentation de la
perméabilité gastro-intestinale joue un rôle majeur dans le développement de la défaillance
multiviscérale.
Effets sur les nerfs et les muscles
L'encéphalopathie septique est une perturbation aiguë et réversible de la fonction
cérébrale [23]. Dès le début de l'infection, un examen soigneux permet d'objectiver des
troubles de l'attention, de l'orientation et de l'écriture. Ce tableau peut progresser vers un coma
profond, en général sans signe neurologique. L'encéphalopathie septique est en général un
diagnostic d'exclusion car de nombreux facteurs comme l'utilisation d'agents sédatifs, une
encéphalite, une défaillance hépatique ou rénale, une hypoperfusion cérébrale, la fièvre,
l'insuffisance surrénale, les accidents vasculaires cérébraux peuvent induire aussi une
dysfonction cérébrale. La consommation cérébrale en oxygène est d'environ 33 % chez les
patients septiques. Elle reste constante même si le débit sanguin cérébral augmente [24].
Les polyneuropathies décrites d'abord par Bolton et al. [25] sont des polyneuropathies
sensitivo-motrices pouvant être observées chez jusqu'à 70 % des patients. Cette
polyneuropathie est multifactorielle et dépend de l'état général sous-jacent. On la découvre
souvent chez des patients difficiles à sevrer du respirateur. Les atteintes musculaires sont
également fréquentes et peuvent être démontrées par électromyographie. Le syndrome
musculaire peut aller jusqu'à une quadriparésie.
Syndrome de défaillance multiviscérale
Grâce aux avancées de la réanimation, les patients meurent maintenant rarement de l'infection
mais plutôt de ses conséquences physiopathologiques. Ces patients développent ce type de
tableau comme une conséquence de l'infection primitive où secondaire à une infection
nosocomiale surajoutée. Ce syndrome est responsable d'une grande mortalité et d'une
augmentation du délai avant le décès. L'atteinte intestinale est probablement le facteur le plus
important impliqué dans le développement de ce syndrome.
SIGNES CLINIQUES DU SEPSIS
Le sepsis entraîne une grande variété de manifestations cliniques. Les symptômes initiaux
sont non spécifiques et incluent : malaise, tachycardie, tachypnée, fièvre, voire quelquefois
hypothermie. La leucocytose est fréquente mais on peut observer également une leucopénie,
de mauvais pronostic. Les autres manifestations incluent une altération du fonctionnement
cérébral, une hypotension, une alcalose respiratoire, une acidose métabolique, une hypoxémie,
une thrombopénie, une coagulopathie de consommation, une protéinurie, une cholestase
intrahépatique, une cytolyse hépatique, une hyperglycémie ou une hypoglycémie. Parmi les
marqueurs biologiques du sepsis, la procalcitonine paraît être le plus utile [26]. Ce marqueur
est spécifique d'une infection bactérienne sévère et est lié au pronostic de la maladie.
ASPECTS THÉRAPEUTIQUES DU CHOC SEPTIQUE
Le but thérapeutique principal du choc septique est évidemment de traiter et d'éliminer la
source de l'infection, d'utiliser les antibiotiques de manière appropriée, d'instaurer un support
hémodynamique associé à d'autres mesures de rétablissement de l'homéostasie. Plus
récemment, le traitement par protéine C activée a démontré l'amélioration du pronostic des
patients avec sepsis sévère. Enfin, des petites doses de corticostéroïdes apparaissent améliorer
le pronostic de certains patients.
Identification et éradication de la source de l'infection
Il est indispensable d'identifier et d'éradiquer aussi précocement que possible la source
d'infection. La plupart des patients présentant un choc septique ont comme source d'infection
une pneumopathie, une infection uro-génitale, une bactériémie, une infection intraabdominale ou une infection de cathéter. Chez environ 75 % des patients, on peut isoler un
agent étiologique [27].
Antibiothérapie
La chimiothérapie antibactérienne appropriée reste la base du traitement des patients en choc
septique. Le choix de l'antibiotique est déterminé par le type d'infection, l'état immunologique
du patient ainsi que l'écologie microbienne locale, s'il s'agit d'une infection nosocomiale.
Support hémodynamique
Dans le choc septique, il existe une d'hypovolémie relative associé à une vasodilatation
périphérique et une distribution anormale des débits régionaux. Une expansion volémique
agressive est considérée comme la meilleure thérapeutique initiale pour améliorer la stabilité
hémodynamique [28]. L'expansion volémique améliore de façon significative la fonction
cardiaque ainsi que le transport en oxygène améliorant ainsi la perfusion tissulaire. Malgré la
dépression myocardique induite par le sepsis, l'index cardiaque peut s'améliorer de 25 à 40 %
après remplissage. Le débat concernant le choix du type de soluté, cristalloïdes ou colloïdes,
est loin d'être clos. Cependant les colloïdes permettent un remplissage plus intense et plus
durable que les cristalloïdes. Une association de ces deux types de solutés paraît une bonne
solution. En effet, dans le sepsis, le volume interstitiel est augmenté en raison de
l'augmentation de la perméabilité capillaire. L'utilisation de cristalloïdes risque d'augmenter le
volume du secteur interstitiel. Il a été démontré sur un plan clinique et expérimental,
notamment dans le sepsis, que l'utilisation des amidons entraînait un moindre œdème
tissulaire et préservait mieux l'intégrité des vaisseaux, que les cristalloïdes [29]. Il n'est pas
évident que l'albumine réduit la mortalité ou la morbidité dans le choc septique. Ainsi, en
dehors d'une hypoalbuminémie profonde, ce soluté est à éviter. La transfusion de globules
rouges n'est recommandée qu'en cas d'anémie profonde (hémoglobine < 70 g·L-1).
Agents vasoactifs
Les patients ayant un choc septique ont une réponse ventriculaire anormale lors du
remplissage. Les résistances vasculaires systémiques étant diminuées, les patients peuvent
rester hypotendus malgré un remplissage massif. Ainsi des agents vasoactifs sont nécessaires
pour maintenir une pression artérielle correcte. Durant les dernières décennies, la dopamine
était considérée comme l'agent vasoactif de choix dans le traitement du sepsis. Cependant cet
agent n'est pas idéal ; en effet, dans le sepsis, la sensibilité chronotrope aux agents bêtaadrénergiques est augmentée, de plus il a été démontré que les propriétés bêta-adrénergiques
de la dopamine prédominent chez les patients en sepsis [30]. Les propriétés chronotropes et
inotropes de la dopamine élèvent la consommation myocardique en oxygène. Les effets sur
les débits mésentériques sont également délétères, la dopamine pouvant causer une
vasoconstriction précapillaire avec déviation du flux sanguin en dehors en la muqueuse
intestinale. Enfin, la dopamine a des effets indésirables sur le plan immunologique et
endocrinien. En conséquence, l'utilisation de cette catécholamine dans le sepsis n'est plus
d'actualité.
La noradrénaline améliore les paramètres hémodynamiques chez la plupart des patients avec
sepsis et peut améliorer l'oxygénation tissulaire. Cet agent ne semble pas avoir d'effet délétère
sur le plan rénal [31]. La dobutamine permet d'augmenter le transport en oxygène et
d'améliorer les indices d'hypoxie tissulaire. Cet agent n'est indiqué qu'en cas de défaillance
cardiaque associée. L'utilisation de l'adrénaline ne se fait qu'en seconde intention, ce
vasoconstricteur ayant été mis en cause dans l'augmentation des taux de lactates associée à
une acidose métabolique [32]. Les données concernant la phényléphrine sont trop peu
nombreuses pour faire indiquer cet agent. La dopexamine a démontré son efficacité pour
augmenter le début sanguin splanchnique. Cependant, elle doit être utilisée avec prudence
chez les patients hypotendus. La vasopressine peut être utilisée chez les patients présentant un
choc septique réfractaire à des doses ne devant pas excéder 0,04 U·min-1 en raison du risque
d'ischémie mésentérique. De plus cet agent doit être toujours associée à des agents vasoactifs
pouvant améliorer le débit sanguin splanchnique (dobutamine, noradrénaline).
Objectifs hémodynamiques
L'objectif de la phase initiale est de maintenir une pression artérielle moyenne, de l'ordre de
70 à 80 mmHg. En effet, en dessous de 70 mmHg, la filtration glomérulaire n'est pas
adéquate. Le monitorage hémodynamique par cathétérisme droit peut être utilisé chez des
patients requérant de hautes doses de vasopresseurs, mais le monitorage non invasif par
échographie transœsophagienne ou Doppler œsophagien, tend de plus en plus à remplacer ce
type de surveillance. Il n'y a pas d'intérêt à augmenter de manière importante le transport en
oxygène [6].
Immunomodulation dans le sepsis
Les corticoïdes sont des anti-inflammatoires puissants dont l'utilisation dans le sepsis a été
depuis longtemps proposée. Un des premiers auteurs à avoir mis en évidence la surmortalité
liée à une insuffisance surrénale a été Ledingham [33] qui démontrait une augmentation de
mortalité après utilisation d'étomidate, agent narcotique pouvant induire une insuffisance
surrénale. En 1999, Briegel et al. [34] rapportaient, dans une étude randomisée chez 40
patients, que l'hydrocortisone améliorait l'état hémodynamique et diminuait le nombre de
jours d'utilisation d'agents vasoactifs. Une étude récente [3] a démontré une amélioration du
pronostic chez les patients non répondeurs au test à la syncortine.
Anticoagulation dans le sepsis
L'activation du système de coagulation entraîne une thrombose des micro-vaisseaux pouvant
contribuer à un syndrome de défaillance multiviscérale. Il n'existe encore pas d'argument pour
utiliser l'héparine afin de diminuer la mortalité ou la morbidité lors de la coagulation
intravasculaire disséminée observée lors du choc septique. Récemment un essai chez 1 690
patients a montré une réduction du risque relatif de décès de 19,4 % en utilisant de la protéine
C activée [2]. C'est le premier essai randomisé démontrant un bénéfice thérapeutique dans le
traitement du choc septique. L'administration de plasma frais et de plaquettes doit être
réservée à des patients avec une hémorragie active au taux de prothrombine bas et la
numération plaquettaire basse. L'administration de protéine C activée devra être
théoriquement associée.
TRAVAUX EXPÉRIMENTAUX
CONCERNANT ANESTHÉSIE ET SEPSIS
Curieusement, le nombre de travaux scientifiques concernant anesthésie et sepsis est très
faible. La plupart sont expérimentaux. Gill et al. [35] ont démontré que la concentration
alvéolaire minimum de l'isoflurane était réduite chez les animaux septiques, par rapport au
groupe contrôle dans un modèle de rongeurs normotendus.
Nous avons montré le même type de variation en ce qui concerne le sévoflurane [36] et le
desflurane [37] sur un modèle de porc septique normotendu. Les concentrations alvéolaires
minimales de sévoflurane étaient de 2,4 % dans le groupe contrôle, et de 1,35 % dans le
groupe sepsis. En ce qui concerne le desflurane, les concentrations alvéolaires minimales de
desflurane étaient de 9,2 % dans le groupe contrôle, et de 6,7 % dans le groupe sepsis. Ces
variations de CAM pouvaient peut-être être expliquées par des phénomènes d'encéphalopathie
septique ou par une modification des débits régionaux.
Rubins et al. [38] ont comparé le thiopental, l'halothane et le méthoxiflurane dans le cadre de
pneumopathies à pneumocoque chez le rongeur. Le nombre de bactéries retrouvées dans les
poumons était supérieur chez les rongeurs exposés à l'halothane ou au méthoxiflurane.
Van Lambalgen et al. [39] ont comparé plusieurs types de protocoles (étomidate, dropéridolmétadone-atropine) dans le cadre d'un choc septique canin. Ces auteurs ne démontrent pas de
différence notable entre les différents types d'agents anesthésiques. D'autres auteurs ont
injecté des souches vivantes de Pseudomonas aeruginosa chez des jeunes porcs [39]. Ils
comparaient la kétamine au thiopental. Cette étude démontrait des effets hémodynamiques
importants dans le groupe thiopental par rapport au groupe kétamine.
Imai et al. [40] ont analysé la survie de souris septiques endormies avec différents
anesthésiques (kétamine ou halothane). Ces auteurs ont démontré qu'une exposition à
l'halothane entraînait des décès plus précoces par rapport à la kétamine. Une autre équipe a
comparé l'halothane, l'isoflurane, l'alfentanil et la kétamine sur le plan hémodynamique dans
un modèle de chien septique [41]. La consommation en oxygène diminuait dans tous les
groupes d'animaux. Dans cette étude la kétamine était considérée comme le meilleur
anesthésique car les taux de lactate diminuaient uniquement dans ce groupe. De la même
façon, les résistances artérielles systémiques ne diminuaient pas dans le groupe kétamine.
ANESTHÉSIE ET RELATION
TRANSPORT-CONSOMMATION D'OXYGÈNE
Au cours d'une intervention chirurgicale les produits anesthésiques peuvent modifier l'état
hémodynamique du patient, mais également agir sur les facteurs intervenant dans la relation
transport-consommation en oxygène. De nombreux agents anesthésiques peuvent induire une
dépression du système cardiovasculaire, diminuant ainsi l'apport en oxygène aux tissus. Les
agents anesthésiques peuvent également réduire la consommation des tissus en oxygène en
modifiant le métabolisme cellulaire, en supprimant le stress et le travail musculaire lié aux
mouvements et à la respiration. L'hypothermie induite par l'anesthésie peut également jouer
un rôle non négligeable sur la diminution de la demande en oxygène des tissus. Il a été
largement démontré que l'anesthésie diminuait la consommation en oxygène par
l'organisme [41]. Il a été prouvé que la diminution de la consommation d'oxygène
peropératoire était liée à une diminution de l'extraction en oxygène, aboutissant à une « dette
en oxygène », laquelle est compensée en période postopératoire par un état
hyperdynamique [43]. Il a été démontré que l'anesthésie était associée à une diminution
significative de la pression artérielle systémique moyenne et à une augmentation significative
du débit cardiaque et du transport en oxygène [41]. Malgré l'augmentation du transport, la
consommation en oxygène diminuait significativement et le lactate augmentait
significativement, l'extraction étant diminuée. L'anesthésie altère les possibilités d'extraction
tissulaire en aggravant les problèmes de distribution du flux sanguin dans la microcirculation
[42] et en perturbant l'activité des mitochondries au sein des cellules [43].
EFFETS CARDIOVASCULAIRES DES DROGUES ANESTHÉSIQUES
(tableau I)
Protoxyde d'azote
Le protoxyde d'azote est un dépresseur myocardique direct, effet compensé par ses propriétés
sympathicomimétiques [44]. Cette dépression cardiovasculaire ne devient importante qu'en
cas d'association à un morphinique à haute dose. Le protoxyde d'azote ne semble pas
recommandé chez les patients en état de défaillance multiviscérale secondaire à une infection
sévère.
Halogénés
Nous n'envisagerons que l'isoflurane, le desflurane et le sévoflurane. La pression artérielle
diminue de façon dose-dépendante avec des anesthésiques halogénés. Le mécanisme de
diminution de la pression artérielle consiste en une baisse de la contractilité myocardique
et/ou une diminution des résistances artérielles systémiques. Le débit cardiaque semble
préservé sous desflurane et sévoflurane. Les halogénés dépriment la régulation de la pression
artérielle à tous les niveaux de l'arc baroréflexe. Cette dépression est très supérieure à celle
induite par les agents intraveineux. Cependant elle est moins prononcée avec l'isoflurane, le
desflurane et le sévoflurane, par rapport à l'halothane et à l'enflurane. Les effets sur la postcharge sont particulièrement marqués pour l'isoflurane, qui diminue les résistances artérielles
systémiques grâce à un effet direct sur les muscles lisses artériolaires. Au niveau de la
circulation splanchnique, les agents halogénés diminuent la perfusion splanchnique de façon
dose-dépendante.
Tableau I. Effets cardiovasculaires des agents utilisés en anesthésie.
PostDébit
Agent
FC Précharge
Inotropisme
charge
cardiaque
Propofol
Étomidate
Thiopenthal
Kétamine
Halogénés
N2O
Midazolam
Morphiniques
Morphine
Myorelaxants
Midazolam +
morphine
Thiopental
Les barbituriques ont des effets directs sur le myocarde et les vaisseaux. Le thiopental
déprime la contractilité myocardique proportionnellement à la dose [45]. À cette action
s'ajoute une veinodilatation, provoquant une diminution du retour veineux. L'association de
ces deux mécanismes entraîne une chute de la pression artérielle de 10 à 25 %. Les résistances
vasculaires systémiques sont peu modifiées avec ce produit. En revanche, la tachycardie est
importante (+ 30 %). Ce type de produit est particulièrement mal toléré chez les patients en
instabilité hémodynamique. Il n'est donc pas indiqué dans le choc septique.
Étomidate
L'étomidate a peu d'effets sur la mécanique myocardique et la dynamique cardiovasculaire. Il
peut provoquer une chute de la pression artérielle systolique de 5 à 10 %, avec une petite
diminution du débit cardiaque et des résistances vasculaires systémiques inférieures à 10 %.
La stabilité hémodynamique observée avec l'étomidate peut en partie s'expliquer par son
manque d'effet sur le système nerveux sympathique et les barorécepteurs. Ce type de produit
pourrait donc être largement utilisé chez le patient instable sur le plan hémodynamique
comme dans le cadre du choc septique. Cependant, son effet sur la fonction surrénalienne peut
poser problème dans ce cadre là. En effet, cette drogue freine la fonction du cortex surrénalien
en inhibant la synthèse des stéroïdes. L'inhibition enzymatique diminue la sécrétion du
cortisol. Cette inhibition peut durer de 4 à 6 heures après une dose d'induction d'étomidate. De
plus, cet agent peut perturber les résultats d'un test à la syncortine lorsque l'on veut introduire
des corticoïdes dans le traitement du choc septique. En présence d'un phénomène infectieux
sévère, il semble préférable de conserver une réponse surrénalienne adéquate, et ceci peut
faire modérer les indications du produit.
Propofol
L'induction de l'anesthésie par propofol entraîne une diminution de la pression artérielle de
l'ordre de 25 %. Cette diminution de la pression artérielle est plus fréquente et plus grave chez
les patients instables sur le plan hémodynamique. Ces effets sont majorés en présence d'un
morphinique. La chute de pression artérielle est secondaire à un effet inotrope négatif associé
à une vasodilatation à la fois artérielle et veineuse. Ses effets hémodynamiques peuvent le
faire contre-indiquer dans le cadre d'un choc septique non contrôlé sur le plan
hémodynamique.
Kétamine
La kétamine entraîne une stimulation cardiovasculaire marquée par une augmentation de la
pression artérielle et du débit cardiaque. L'action sur le myocarde est controversée. Certains
auteurs rapportent un effet inotrope négatif, d'autres un effet inotrope positif [46]. L'effet de la
kétamine diffère selon que le myocarde est normal ou pathologique. En raison de ses effets
cardiovasculaires, la kétamine est l'agent anesthésique de choix au cours de l'état de choc. En
effet, il a été démontré dans le cadre d'un choc hémorragique [47] que la survie d'animaux
hypovolémiques anesthésiés par la kétamine était plus importante qu'avec d'autres agents
anesthésiques.
Midazolam
Le midazolam entraîne peu de changements hémodynamiques avec une chute de la pression
artérielle moyenne de l'ordre de 25 %, associée à une augmentation de la fréquence cardiaque
d'environ 25 %. Cet agent peut entraîner une baisse significative de la pression artérielle
moyenne et des résistances vasculaires systémiques. À des doses de 0,2 mg·kg-1 les
répercussions hémodynamiques de l'injection de midazolam restent très peu importantes.
Morphiniques
Les morphiniques ont peu d'effets cardiovasculaires. Les morphiniques histaminolibérateurs
(morphine) créent une vasodilatation artériolaire et veineuse dépendante de la dose. Les autres
morphiniques ne modifient ni la précharge ni la post-charge quand le système sympathique
n'est pas stimulé. En revanche, en cas d'hypovolémie, l'administration d'un morphinique,
même à de faibles doses, majore l'hypotension artérielle par diminution centrale de
l'hyperréactivité sympathique. Les morphinomimétiques ne dépriment pas cliniquement la
contraction myocardique, même après de fortes doses.
Curares
La succinylcholine : dans le cadre d'anesthésie d'un patient en choc septique, retenons que
l'injection de succinylcholine fait croître de manière transitoire en moyenne la kaliémie
d'environ 0,5 mmol·L-1. Les injections répétées de succinylcholine peuvent être responsables
d'une bradycardie. En ce qui concerne les autres curares, leurs effets dépendent de
l'interaction avec le système nerveux autonome et des pouvoirs histaminolibérateurs. Le
pancuronium inhibe le recaptage des catécholamines et bloque les récepteurs muscariniques
présynaptiques au niveau des terminaisons noradrénergiques. Le vécuronium, le
pipérocuronium, le doxacurium et le rocuronium ont des effets cardiovasculaires minimes.
L'atracurium et le mivacurium peuvent provoquer une hypotension s'il existe une
histaminolibération.
ASPECTS PRATIQUES DE L'ANESTHÉSIE DU PATIENT
EN ÉTAT DE CHOC SEPTIQUE
L'anesthésie d'un patient en état de choc représente un défi certain même pour un anesthésisteréanimateur expérimenté.
Au cours de l'intervention chirurgicale, l'anesthésiste doit s'efforcer de maintenir un transport
en oxygène maximal, en choisissant une technique d'anesthésie qui déprimera le moins
possible l'état hémodynamique déjà altéré. La plupart des agents anesthésiques diminuent la
réponse au stress [48], ce qui peut altérer de manière majeure l'état hémodynamique du
patient lors de l'induction anesthésique. La plupart des agents anesthésiques présentent des
effets vasodilatateurs associés ou non à des effets inotropes négatifs. Idéalement, l'anesthésie
ne devrait débuter qu'après stabilisation de la situation hémodynamique. En pratique, le
patient est souvent déjà en choc septique préopératoire et doit être correctement stabilisé sur
le plan hémodynamique avant l'intervention ; cependant le choc septique peut apparaître en
cours d'intervention.
Hussain et Roussos [49] ont démontré expérimentalement chez le chien que la ventilation
mécanique pouvait réduire l'acidose métabolique et améliorer la survie d'un choc septique
expérimental. Après correction de l'hypoxémie ou de l'anémie éventuelles, le transport en
oxygène sera accru grâce à l'expansion volémique et à l'utilisation d'agents vaso-actifs. Il
n'existe pas d'agent anesthésique idéal... Tous les anesthésiques volatils diminuent la pression
artérielle et dépriment la fonction myocardique, surtout en cas d'insuffisance ventriculaire
sous-jacente ou lorsque la réponse sympathique au stress est diminuée. Le patient en choc
septique ne requiert généralement que des concentrations assez faibles d'agents halogénés.
L'étomidate, au vu de ses propriétés hémodynamiques, semble être l'agent d'induction
intraveineux de choix, mais ces effets sur la sécrétion corticosurrénalienne pourrait diminuer
le taux de survie des patients [33]. Les benzodiazépines et le thiopental seront utilisés avec
prudence car ils induisent une sympatholyse centrale conduisant à une chute importante de la
pression artérielle. Les morphiniques utilisés seuls présentent peu d'effets hémodynamiques
mais ne permettent pas une narcose suffisante ; en revanche, associés aux benzodiazépines et
ou au protoxyde d'azote, ils peuvent altérer l'état hémodynamique du patient.
Posture
Au cours du choc septique, la position de Trendelenburg améliore de façon inconstante l'état
hémodynamique en raison d'un stockage de sang dans le compartiment vasculaire
mésentérique. Les modifications de posture sont généralement peu efficaces et ne doivent pas
être utilisées, d'autant qu'elles peuvent aggraver l'état respiratoire du patient.
Période d'induction
L'induction de l'anesthésie ne se fera qu'en tenant compte du fait que cette correction de l'état
hémodynamique n'est que partielle et il faut donc réduire en titrant les doses des différents
agents. L'existence d'une hypotension, d'un certain degré d'hypothermie et d'acidose, la baisse
de l'albuminémie, peuvent expliquer une diminution du besoin en agents anesthésiques. Le
choix de la drogue d'induction est sujet à controverse car aucune substance ne provoque une
narcose tout en préservant une perfusion adéquate chez un patient choqué. Généralement les
posologies doivent être diminuées en raison de concentrations plasmatiques élevées et de
besoins réduits. La kétamine est souvent présentée comme l'hypnotique idéal pour le patient
en état de choc. La posologie intraveineuse recommandée chez le patient en état de choc est
comprise entre 0,5 et 1,5 mg·kg-1.
Entretien de l'anesthésie
Si l'état hémodynamique est instable, on utilisera de faibles doses de morphinomimétiques,
associés à la curarisation si nécessaire. En cas d'hypovolémie, le protoxyde d'azote entraîne
une dégradation hémodynamique et métabolique comparable à celle d'une administration
équipotente d'halothane [50]. Le risque lié à la diffusion de ce gaz et les conséquences d'une
réduction de la fraction d'oxygène dans le mélange gazeux inspiré chez des patients
susceptibles de présenter une détérioration de l'échangeur pulmonaire feront récuser l'emploi
du protoxyde d'azote chez le patient en état de choc septique. Pour l'entretien, les agents
halogénés sont des agents de choix si l'état hémodynamique est stabilisé car ils fournissent
une analgésie, une amnésie et un certain degré d'immobilisation à des concentrations
appropriées dans le mélange gazeux inspiré. Si l'état hémodynamique est toujours instable, la
kétamine peut être utilisé pour l'entretien de l'anesthésie.
INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
AVEC LES AGENTS ANTI-INFECTIEUX
Le système du cytochrome P450 (CYP) est responsable du métabolisme oxydatif de
nombreux agents par le foie. Les systèmes les plus importants sont le système CYP1A2,
CYP2C9, CYP2C19, CYP2D6 et CYP3A4. Pour la pratique anesthésique, retenons que le
cytochrome CYP1A2 est responsable du métabolisme de l'ondansétron ; le cytochrome
CYP2C19 est responsable du métabolisme du diazépam ; le cytochrome CYP3A4/5 est
responsable du métabolisme des benzodiazépines (midazolam) et des morphiniques. Les
macrolides, les fluoroquinolones et les dérivés azolés peuvent diminuer la clairance de ces
anesthésiques, en inhibant leur métabolisme, augmentant ainsi leur toxicité. En revanche, un
antibiotique comme la rifampicine peut élève la clairance des drogues en augmentant leur
métabolisme.
Il existe des interactions médicamenteuses entre macrolides et midazolam. Olkkola et al. [51]
ont démontré que durant la coadministration de midazolam et d'érythromycine, les pics
plasmatiques et les aires sous la courbe du midazolam étaient significativement augmentés.
De la même façon, la clairance du midazolam est réduite de 54 %. Sur le plan clinique ceci se
traduit par une augmentation des effets du midazolam sur le système nerveux central, avec
sédation profonde et altération des tests psychomoteurs. De la même façon, il a été démontré
des interactions médicamenteuses entre macrolides et alfentanil. Dans une étude parue en
1997 [52], il a été démontré que la troléandomycine entraînait une diminution de 79 % de la
clairance de l'alfentanil. Ces paramètres pouvaient induire une dépression respiratoire
prolongée.
La rifampicine est un antibiotique pouvant être utilisé dans les infections bactériennes à Gram
positif. Cet antibiotique peut entraîner des modifications du métabolisme des
benzodiazépines. Ainsi, Backman et al. [53] ont démontré que l'utilisation de rifampicine
diminuait l'aire sous la courbe et la concentration maximale du midazolam de 96 %. La
rifampicine peut également multiplier par trois la clairance de l'alfentanil par son action sur le
cytochrome CYP3A4. En conséquence, l'effet de l'alfentanil peut s'en trouver réduit.
Il existe des interactions entre antifongiques azolés avec de nombreuses benzodiazépines, par
action sur le cytochrome CYP3A4. Ces dérivés peuvent altérer la clairance du midazolam.
L'utilisation du fluconazole à la posologie de 400 mg·j-1 augmente les concentrations de
midazolam administré en perfusion continue [54]. Le fluconazole est également responsable
d'une baisse de clairance de l'alfentanil entraînant une majoration de ses effets respiratoires.
Les bêtalactamines sont des agents antibactériens le plus souvent utilisés pour traiter les
infections sévères. Les interactions médicamenteuses avec ces antibiotiques sont assez rares.
Dans le peu d'études publiées on peut retrouver que la dopamine, le furosémide et la
dobutamine peuvent augmenter la clairance rénale des bêtalactamines en améliorant le débit
sanguin rénal. Il n'y a pas d'interaction décrite entre aminosides et anesthésiques. Il n'y a pas
d'interaction décrite entre aminosides ou glycopeptides et agents anesthésiques.
CONCLUSION
L'anesthésie du patient en choc septique est un sujet peu étudié. La connaissance de la
physiopathologie et des conséquences sur les grandes fonctions de l'organisme est un
préalable nécessaire à la prise en charge de ces patients. Le choix des produits anesthésiques
se fera principalement sur la base de leur effet cardiovasculaire. La kétamine paraît toujours
être l'agent de choix de l'induction. L'entretien pourra se faire avec des agents halogénés en
ayant pris soin de corriger l'hypovolémie. Le protoxyde d'azote doit être évité. Les
myorelaxants ne posent pas de problème particulier. Les morphinomimétiques seront utilisés
à dose modérée si l'état hémodynamique est trop instable.
Remerciements
Aux docteurs Emmanuel Boselli (service d'anesthésie-réanimation, Hôtel Dieu, Lyon) et
Bernard Floccard (service d'anesthésie-réanimation, Hôpital Édouard Herriot, Lyon) pour leur
aide à la préparation de ce manuscrit.
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