Farge 2010-2011 Damien Mercredi 02 Novembre Philosophie

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Farge
Damien
2010-2011
Mercredi 02 Novembre
Philosophie moderne
Cours du 19 octobre rattrapé le Vendredi 4, de 14h à 17h, en A302.
Ouvrage de Naudé sur Considérations politiques sur les coups d'état disponible en ligne.
Séance du 30 novembre supprimée.
----------------------------------------------Tous les livres qui pensent donner sens du tout se révèlent contradictoires et pluriels, multiples, sans totalité. Il
n’y a pas de totalité. Il y a donc des réactions à ce sentiment d’inquiétude extrême1. Si le monde n’a plus d’ordre,
il y a alors le sentiment angoissant de la fin du monde, qui est fondamentalement chaotique, désordonné. Devant
ce délitage, où trouver sa fin ? Où trouver sa place ? Quel est son rang ? Que puis-je devenir ?
Dans la philosophie asiatique, on trouve par exemple une conception de la liberté comme libre arbitre, ou comme
libre puissance. Ce second point expose la liberté comme une puissance absolue, irréductible. Quelque soit les
forces qui s’exercent sur moi, qui me déterminent ou me conditionnent, j’ai toujours en moi-même la puissance
de dire non, d’en réchapper. C’est ça la conception de la liberté comme libre arbitre.
Seconde conception de la liberté comme puissance entre les puissances. La seule liberté que j’ai de choisir, c’est
de jouer les déterminations qui s’imposent à moi. Il n’y a qu’un seul instrument pour jouer des puissances et
affirmer la mienne : le jeu des puissances. Je peux faire jouer ma propre cause en connaissant les causes : c’est la
raison. Pour le libre arbitre, la faculté majeure est la volonté, irréductible à la raison. Le début du 17e siècle
affronte cette question du monde fondamentalement intranquille, inquiet, instable. Quel usage puis-je faire de ma
volonté si j’ignore les causes ?
Il y a donc des solutions qui sont contemporaines de Naudée : comme le scepticisme généralisé. C’est-à-dire
qu’il n’y a plus d’intelligibilité possible du monde ; il n’y a plus de réversibilité de l’essence et des sens, de
l’idée du réel. Aucun être n’est prédicat, aucun phénomène n’est déductible. En gros, il n’y a plus de savoir
ontologique, l’ontologie étant la science de l’être. Il n’y a plus d’ordre théologique, la théologie étant la science
des êtres de tous les êtres. Plus d’ordre du savoir ; il n’y a plus de science du vrai.
Comment établir une solution à ce scepticisme généralisé ? Voir Montaigne et ses Essais, pour essayer
d’examiner (scepsis) ce qu’il appelle les « passages » entre moi et moi. Tout est passage. Il essaye non pas de
juger ou de démontrer, il essaie de décrire les passages, les mobilités, les incertitudes. Tout est mobile, tout est
instable, incertain. On ne fait que des travaux d’approches sur un chantier, comme l’essai l’indique. Mais c’est
un chantier sans chef, d’où l’art du subtile, de l’équivoque. Il y a donc menace, menace d’un chaos. C’est un
terrain miné d’un esprit à lui-même : c’est-à-dire que le fonctionnement même de l’esprit ne délivre aucun
contenu inné. Je ne découvre pas, en examinant mon propre fonctionnement, une quelconque marque de savoir
déposé, ou réminiscence. Je ne découvre que l’intériorité vide d’une absence, ce que Montaigne appelle un vent.
L’esprit, c’est un vent. Sous entendu, ce n’est pas un souffle.
Esprit, spiritus, a plusieurs sens, le vent étant l’un d’eux. Le spiritus est comme un pet, un mauvais vent, qui sort
des entrailles. Autre sens : le souffle, le pneuma, qui est conçu comme créateur. En gros, l’esprit n’est qu’un vent
parmi d’autres, qui n’a pas de signification en lui-même ; et parmi d’autres vents qui sont une odeur, une sueur,
ou tout ce que l’humanité exhale de par sa condition.
Dans l’être, il y a le néant, dans le diamant le plus pur, il y a du noir. Conception très noire du baroque. Dans le
bonheur, il y a la fragilité, il y a la présence du malheur et c’est ce qui compose la mélancolie, c’est à dire porter
le deuil du double de soi-même que l’on cherche à assassiner. C’est une des formes de l’orgueil puisque ça
signifie qu’il y a un autre qui est bien meilleur. Je porte avec obséquiosité, ou ostensiblement ce dont j’ai fait
obsèques.
Le vrai baroque montre l’inutilité de la suprême beauté, l’amertume de celle-ci. Voir/Ecouter Mozart.
Il y a donc acte d’une disparition silencieuse : l’esprit retourné à lui-même n’enseigne rien à l’esprit-même. La
réflexion sur les lois de son fonctionnement, sur la logique, ne délivre plus aucune connaissance du réel pensée
dans les catégories ontologique du discours formel. C’est-à-dire qu’avant cette crise sceptique, qui nous
embourbe dans le boueux des sensations, avant le retour sur soi de l’esprit, on témoignait que le réel existe et
qu’il est représentable dans les catégories de nos esprits. Ces catégories fournissaient donc la connaissance de la
totalité du réel dès lors que celui-ci est pensé. Penser le réel dans les catégories, les règles, ou les modalités de
fonctionnement de l’esprit. Il y a fracture avec ça : fracture métaphysique entre le réel et penser. Rupture avec
Platon et Aristote en gros.
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Voir J. Deprun, sur l’inquiétude au 17e et 18e siècle.
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La connaissance du réel n’inscrit plus désormais la totalité du réel dans une somme qui serait dans l’ordre
profane de la connaissance ce que serait le livre dans l’ordre profane de la foi. (pas sûr de l’expression). Le
philosophe qui répond à cette fracture est Descartes.
Première fracture, Descartes, métaphysique de la volonté.
Seconde fracture, Kant, avec le statut des catégories pour penser le réel. Il donne une autre réponse que le
cartésianisme : Descartes apparait comme abus de la raison ; usage illégitime de la religion qui va établir une
nouvelle métaphysique. Métaphysique de la raison.
Troisième grande crise métaphysique : Heidegger. Ni la raison ni la volonté ne permet de saisir le fondement de
l’être.
Comment faire parler l’être sans volonté ni raison ni esprit ? Voir Merleau-Ponty : phénoménologie de
l’apparition, de la manifestation.
S’il y a démonstration de l’existence de Dieu, alors il n’y a plus de trou entre la pensée et l’être. C’est une
ontologie blanche : pas de contenu, mais un fondement ontologique de la connaissance de l’être.
Montaigne a un dernier espoir : il peut décrire indéfiniment, c’est là le propre de l’essai. Mais il invente par la
même occasion la littérature, la description. On pourrait presque dire que les Essais de Montaigne est la première
œuvre littéraire. La littérature prendrait fin avec Becket : « qu’est-ce qui se passe ? » Réponse : « ça suit son
cours. »
Annihilation métaphysique : sentiment très vécu au 17e siècle : sentiment panique que le monde échappe, qui a
un espèce de chaos qui est permanent, qui peut prendre plusieurs formes, comme la guerre civile. Non seulement
la crise est métaphysique, avec la coupure ou la naissance de la singularité, dans un monde radicalement
insignifiant. Mais il y a aussi la hantise panique de la guerre civile, voir Hobbes issu de Machiavel : le sentiment
panique de l’existence. Panique vient de pan, qui signifie tout : la panique veut dire que « tout fout le camp. »
C’est le spectre de l’annihilation. Où sont les lois, les cas etc.
On est ici dans la raison d’état. Il faut nécessairement qu’il y ait un homme, ou des hommes qui ont la possibilité
de faire un crime de droit. Pour échapper au chaos, à la destruction, il faut nécessairement une raison d’état.
Triple figure de Naudé :
1 - Finitude irrémédiable de l’esprit humain : l’esprit humain est fini, limité. Pas d’infini dans le fini. Conclusion,
l’extériorité de l’esprit, ce qui est indépendant de l’esprit, ou la matière. Il y a toujours plus dans la matière que
ce que je peux en penser, que ce que je peux en dire. La matière échappe toujours aux ordres de la pensée
comme aux offres du discours. Toute vérité est une approximation, tout discours est un travail d’approche. Le
monde n’est plus transparent, le monde est un réservoir d’opacité tremblant, virulent. Et pourtant, nous devons
rendre intelligible le monde pour pouvoir nous y conduire ; pour pouvoir y agir, y vivre. Comment rendre
intelligible ce qui est indicible ? La bibliographie politique, de Naudée, 1647, p. 147 : « Voilà pourquoi les
hommes, ne pouvant rien apprendre, ou que fort peu de choses par leur expérience propre, pour ce qu’étant
enfermé à l’étroit les bornes d’une tres courtes vie, n’en sont plutôt à bout ce … périodes inconstantes des choses
humaines. » Je ne pense qu’à partir d’ici et de maintenant. Je ne peux pas connaître l’infinie singularité du
monde. Finitude de l’esprit humain, donc.
2 - Le monde est soumis à un désordre potentiel permanent, à des variations qui l’atomisent. Le monde est
soumis à sa propre révulsion. Voir même ouvrage que précédemment, p. 148. Pas d’ordre certain, suite
immuable, variété, contingence. On est au moment où le finalisme qui hiérarchisait toutes les natures, dans les
traditions métaphysiques de la somme, disparait. Il n’y a plus de finalisme, et on en est pas encore au mécanisme
galiléen. On est dans l’entre deux.
3 - Il n’y a que des civilisations historiques : que des modalités culturelles de faire avec. Il n’y a d’assurance que
construite, artificielle, mais, par là même, destructibles, mortelles. Première version d’un texte de Paul Valérie :
« Nous, civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortels. » Ca peut et ça a fini. Même les idées
sont mortelles : tout est construit, donc tout est destructible. Pas d’immortalité transcendante.
Addition à Louis XI, 1630, p. d’avertissement : toutes les choses du monde, sans en excepter aucune, sont
subjette à révolution : les sciences, les empires, les sectes, le monde même n’est pas exempté de cette vicissitude.
Comment affronter la mortalité puisque tout est miné par le néant, menacé du chaos ? Comment résister ?
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Qu’est-ce que « conserver » dans ce cadre là ? Ce n’est pas l’éternité en acte. Mais conserver, c’est juste
transmettre des traditions, des habitudes, des cadres. On bricole dans l’incurable.
Devant un monument s’opère ce qu’on appelle une cérémonie, céré-monie. Il faut construire des monies, avec
des rituels, de célébration, de co-mémoration pour que s’opère la transmission de traditions de ce qui a
possibilité de résister à la mort. Ce qui résiste à la mort, c’est le symbole, ce qui réuni des parties disjointes.
C’est ce qui unifie à travers le temps des choses hétérogènes.
Là où il n’y a pas de puissance symbolique, il n’y a que des cadavres.
Le religare implique des liens, des lacets, des nœuds. Ca va aller plus loin, ce qu’on appelle des obligations.
Nous sommes tous des êtres religieux, puisque nous avons tous des sentiments d’obligation.
Autre sens : religere, ou relire. Lire une seconde fois avec scrupule. L’homme est un relecteur. L’acte
fondamental de l’humanité est la lecture ainsi que la relecture. Lecture, élection, par lequel l’humanité
s’augmente de la présence de Dieu, tout en échappant à la finitude, l’incertitude etc.
Quand il n’y a plus de livre, il faut continuer à lire et à relire pour transmettre, et résister aux désastres et aux
spectres du chaos : il faut construire une bibliothèque, puis la bruler.
La question de l’état comme souveraineté artificielle, est le seul moyen de conserver les acquis humains. Pour
bien conserver, il faut d’abord être ordonné. L’enjeu névralgique, le ce sans quoi il n’y a rien de transmissible,
rien de fécond, rien de normatif, c’est l’état. C’est une institution supérieure à toutes les entités, à toutes les
représentations, à toutes les médiations. Capacité à résister à l’usure du temps.
Qu’est-ce que la statistique ?
Anecdote : pourquoi n’y a-t-il pas eu d’état grec ? Pourquoi Périclès n’a-t-il pas pu transmettre son savoir ? Si
Socrate est le seul à pouvoir faire de la politique (Gorgias), pourquoi a-t-il été exécuté ?
Une guerre sans soldat est la pire de toutes les guerres : une guerre civile. De plus, ce qu’il y a aussi de pire dans
un état, c’est de recevoir le droit de tuer ou d’être tué au nom d’un état.
Puissance qui doit faire peur : on a pas d’état sans coercition, sans oppression. Un état sert à interdire.
Comment monumentaliser le corps (politique) ? Quels sont les insignes, le décorum ?
L’histoire, c’est la succession d’évènements singuliers, reproductibles.
Quand on parle de l’histoire, on doit parler avant tout d’une singularité absolue, c’est la contingence, le
diabolique, l’imprévisible, l’impondérable. On avait tout prévu sauf une chose : que ça ne change pas. Mais ca
peut toujours changer.
Selon Naudé, il n’y a pas de science, mais des savants. On ne dégage pas de loi, mais des modalités, des règles,
même si demeure la fortuna (chance, malchance).
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